M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste. (Applaudissements.)
M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le 7 novembre 1944, lorsque l’Assemblée consultative provisoire se réunit pour la première fois à Paris, le drapeau nazi flotte encore sur Strasbourg. À cette date, Metz, les Vosges, l’Alsace et la Lorraine sont encore sous contrôle allemand.
Le 7 novembre 1944, la guerre n’est donc pas finie, loin de là, mais les forces de la Résistance tiennent à placer le plus tôt possible la France libérée sous le signe de la démocratie. Tel est le sens de l’installation de cette instance ici même, au Palais du Luxembourg.
Au travers de cette séance solennelle, nous commémorons et célébrons en réalité trois choses.
Premièrement, c’est l’aspect le plus visible, nous commémorons la renaissance du phénix démocratique. Le symbole est fort et impérissable : ni une invasion étrangère ni une dictature collaborationniste n’ont pu venir à bout de notre attachement à la démocratie.
Deuxièmement, l’Assemblée consultative provisoire est une assemblée représentative. En l’instaurant, le général de Gaulle réaffirme l’engagement de la France à bâtir la démocratie sur le socle de la représentation nationale.
Troisièmement, permettez-moi de le dire dans un clin d’œil avec une pointe de facétie, en nous réunissant aujourd’hui, nous célébrons aussi le fait que, désormais, les assemblées ne soient plus ni provisoires ni consultatives… (Sourires.)
Retour à l’Histoire : lors de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire, le 9 novembre 1944, le général de Gaulle souligna l’importance de son installation à Paris. Il qualifia l’événement « d’étape nouvelle sur la route qui nous conduit à la fois vers la victoire et vers la démocratie ».
Pour autant, nous savons qu’il ne tenait pas les assemblées délibératives en très haute estime. C’est très explicite dans ses Mémoires de guerre : « Ce n’est pas que je prête à un tel collège la capacité d’agir », écrit-il au sujet de l’Assemblée consultative provisoire. Dans l’esprit du Général, cette dernière est « un exutoire » au « bouillonnement » des forces politiques disparates qui ont contribué à la victoire de la France – toute ressemblance avec la situation actuelle est évidemment fortuite…
Pour autant, cette assemblée joua un rôle non négligeable dans la reconstruction républicaine : réintégration de l’Alsace-Lorraine, construction européenne, reconnaissance de l’éphémère alliance franco-soviétique, réorganisation des transports, désignation des juges de la Haute Cour de justice, nationalisations, réforme fiscale… Les dossiers les plus brûlants du moment lui furent soumis.
En tant que président du groupe Union Centriste, vous me permettrez d’évoquer brièvement quelques figures marquantes de cette époque, en commençant par Maurice Schumann. Cofondateur du Mouvement républicain populaire (MRP), celui-ci s’est illustré par sa vision d’une Europe fondée sur la coopération et une paix durable.
Il a porté haut cet idéal au sein de la commission des affaires étrangères, et son message résonne encore à l’aune des défis européens actuels. Il nous invite à défendre une Europe intégrée, réactive et volontaire, conjuguant liberté d’entreprendre et humanisme pour accompagner les transformations technologiques et économiques. Ce message est plus que jamais d’actualité, vingt-quatre heures après les résultats de l’élection présidentielle américaine.
Je pense aussi à Marie-Hélène Lefaucheux, résistante et pionnière, qui s’est illustrée dans l’aide au rapatriement des déportés. Parmi les premières femmes à devenir parlementaires, elle s’est battue avec ardeur pour les droits des femmes. Au sein de la Commission de l’équipement national, de la production et des communications, parmi les représentants de l’Organisation civile et militaire (OCM) et, plus tard, à l’ONU, où elle a présidé pendant dix ans la Commission de la condition de la femme, elle a défendu l’idée d’une juste place des femmes dans la vie publique. Nous devons faire perdurer sa volonté en promouvant une politique d’intégration plus paritaire.
Enfin, je rendrai hommage à André Colin, qui fut le premier président de notre groupe, de 1963 à 1971. Homme de dialogue, il a joué un rôle au sein des commissions de la jeunesse et des sports, de l’intérieur et de la santé publique et du règlement de l’Assemblée consultative provisoire, proposant des mesures pour les aides aux familles, le remembrement agricole et le développement des régions – des engagements qui restent un modèle pour nous aujourd’hui.
Je le disais en préambule, le fait de commémorer est l’occasion d’honorer la mémoire, mais aussi de mesurer le chemin parcouru pour éclairer les temps présents. Le défi du 7 novembre 1944 était le retour du parlementarisme ; quatre-vingts ans après, le défi du 7 novembre 2024 est peut-être de le réinventer.
À la suite de la dissolution de l’Assemblée consultative provisoire, l’Assemblée constituante a élaboré la Constitution de la IVe République, qui périt en 1958 de son incapacité à assurer une stabilité institutionnelle suffisante. Et voici qu’aujourd’hui la Constitution de la Ve République, référence s’il en est du parlementarisme rationalisé, confronte de nouveau notre pays à une majorité au socle commun fragile.
Il est loin le temps où certains voulaient faire disparaître le Sénat. Comme vient de le souligner le président Larcher, le bicamérisme a démontré sa raison d’être. Pour que nos assemblées ne soient pas de nouveau réduites au rang d’exutoire au bouillonnement des forces politiques, il nous appartient individuellement de répondre, en responsabilité, aux attentes que la situation nous impose. Mais il est aussi de notre responsabilité collective de réfléchir aux adaptations nécessaires, tout en prolongeant l’action de nos anciens au sein de l’Assemblée consultative provisoire. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, président du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements.)
M. François Patriat, président du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, célébrer cet anniversaire revient à nous replonger dans l’Histoire avec solennité, mais aussi avec émotion.
Pour vous faire sourire, nous sommes peu à pouvoir le dire dans cet hémicycle, sachez que j’étais déjà né lorsque l’Assemblée consultative provisoire tenait sa première séance de travail au Palais du Luxembourg. Je n’en ai certes aucun souvenir, mais je me rappelle la reconstruction de notre pays ; c’est mon enfance.
Je me souviens que la France entamait alors, dans la douleur, la décolonisation. Il y avait encore des bidonvilles dans notre pays. Je me souviens que l’Europe, autrefois si orgueilleuse, découvrait, au petit matin, la honte : celle des ravages de la Seconde Guerre mondiale, des crimes atroces, des camps de concentration, des exécutions sommaires, de la Shoah, des brigades de la mort, de la collaboration des autorités locales et, en ce qui nous concerne, nationales. Et pourtant, il soufflait un vent d’optimisme et d’enthousiasme sur le pays.
La reconstruction est une période dont on parle peu en France, marquée par les stigmates de la IVe République et par le réveil paradoxal de la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : à la fois dans le camp des vainqueurs et humiliée par la défaite militaire et morale que notre pays a connue en 1940.
Pourtant, la reconstruction est aussi la période où la France, en repartant de très bas, a réussi à redevenir une puissance mondiale respectée. Malgré l’instabilité ministérielle et le début de la guerre froide, l’Assemblée consultative provisoire a su poser les bases d’un pays fort et d’une construction européenne visant à bannir la guerre de notre continent et à construire une prospérité commune.
Devant les difficultés d’approvisionnement qui frappaient les Français au quotidien, le Gouvernement a réussi à relancer rapidement et efficacement la production et les chaînes logistiques. Face à l’inflation galopante, Antoine Pinay a su assainir en seulement dix mois les finances publiques et stabiliser le franc, engendrant une hausse massive du pouvoir d’achat des Français.
J’ai connu cette époque, et je peux témoigner que les débats politiques étaient au moins aussi enflammés qu’actuellement, si ce n’est plus. Mais prévalaient alors le respect du contradictoire et la primauté de l’intérêt général, ce qui permettait au pays d’avancer malgré les soubresauts de la vie politique. Il n’existait nul blocage inutile ou symbolique. Ainsi ont été posées les fondations des Trente Glorieuses.
La commémoration que vous avez organisée, monsieur le président – ce dont nous vous remercions – met en lumière un trait singulier de notre pays : aussi sombre soit la période que nous traversons, nous avons montré au fil des guerres, des crises et des épidémies que nous savons unir nos forces pour reconstruire une nation encore plus forte qu’auparavant. Au cœur des crises, l’esprit français ne se penche pas uniquement sur le meilleur moyen d’abattre son ennemi, il est résolument tourné vers l’avenir.
C’est dans la Résistance, par l’union de la rose et du réséda, qu’est née l’Assemblée consultative. Dans ce pays où une partie de la génération des grands-parents n’avait pas connu la République comme forme régulière de l’État français, des aristocrates, des communistes, des maquisards, d’anciens parlementaires et des citoyens normaux restauraient la République.
À cet instant, j’ai également une pensée pour le bataillon du Pacifique, qui se formait en Polynésie française dès 1940 pour continuer le combat.
C’est dans les caves, dans les greniers, à l’abri des miliciens et des soldats allemands que l’armée des ombres imaginait l’organisation des pouvoirs, de la santé, de la vie économique de notre pays après la victoire. Ainsi, le 15 mars 1944, huit mois avant la séance inaugurale de l’Assemblée consultative que nous commémorons aujourd’hui, le Conseil national de la Résistance signait son programme d’action.
Alors que le débarquement de Normandie n’avait pas encore eu lieu, alors qu’ils préparaient les échéances militaires à venir, ses membres avaient à cœur de dire comment il fallait rétablir nos institutions et notre démocratie, comment devrait fonctionner la vie dans les entreprises et dans la société. Ils ont eu la volonté et la capacité d’imaginer la sécurité sociale.
Dans ma vie, j’ai eu la chance extraordinaire d’avoir pour ami et mentor Pierre Meunier, qui fut le collaborateur direct de Jean Moulin, puis le secrétaire général du Conseil national de la Résistance. Jusqu’à son dernier souffle, je l’ai vu chaque semaine. Il me demandait régulièrement de conserver les acquis du Conseil national de la Résistance. (Murmures sur les travées du groupe CRCE-K.)
Par la suite, alors que le territoire n’était pas encore libéré et que la 2e DB n’avait pas encore libéré Strasbourg, l’Assemblée consultative se réunissait de nouveau sur le sol français.
Mes chers collègues, les crises qui se profilent à l’horizon menacent sérieusement notre pays dans toutes ses dimensions : notre économie, notre cohésion sociale, l’environnement dans lequel nous vivons. Et je n’oublie pas que la guerre fait de nouveau rage sur notre continent… Cette cérémonie est l’occasion de rappeler qu’aussi grandes soient les difficultés, l’esprit français nous impose de garder espoir et d’unir nos forces pour surmonter ces crises et construire un avenir meilleur pour nos enfants. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements.)
M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants – République et Territoires. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la vice-présidente de l’Assemblée nationale, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le premier enjeu d’une commémoration est de tirer la leçon des événements que nous commémorons.
C’est ce que faisait, le 9 novembre 1944, le général de Gaulle en résumant les années tragiques qui ont précédé la libération de la France : « Parmi les leçons des épreuves inouïes que la France traverse, l’une de celles qui apparaissent de la plus éclatante manière, c’est la conjugaison en quelque sorte organique du désastre avec la tyrannie, comme du succès avec la République. »
Quatre-vingts ans plus tard, il est à craindre que la France et, plus généralement, les démocraties n’aient oublié ces enseignements et l’aveuglement devant les totalitarismes que dénonçait de Gaulle. Alors qu’ils assistaient à la victoire du nazisme en Allemagne et du communisme en URSS, à la remilitarisation de l’Allemagne, à l’Anschluss, à l’invasion des Sudètes, à la signature du pacte germano-soviétique, la plupart des dirigeants furent incapables de comprendre la montée des périls ; quant à ceux qui avaient compris ces périls, ils furent incapables de convaincre leur peuple qu’il fallait les combattre tant qu’il était encore temps.
Ils avaient une excuse : ils étaient confrontés pour la première fois à l’essor des régimes totalitaires, pire encore, à leur improbable alliance. Nous n’avons plus cette excuse. Sous nos yeux l’histoire du XXe siècle se répète au XXIe siècle.
Aux totalitarismes nazi et soviétique ont succédé les dictatures russe, chinoise, nord-coréenne et iranienne, et au pacte germano-soviétique l’alliance de ces quatre tyrannies. À l’Anschluss, aux Sudètes et à la Pologne répondent l’invasion de la Géorgie et de l’Ukraine, les menaces sur la Moldavie, sur Taïwan et toute la mer de Chine et les appels à la destruction d’Israël. À l’obsession d’Hitler et de Staline de détruire par tous les moyens l’ordre démocratique fait suite la guerre que les despotes actuels ont ouvertement déclarée au monde de paix, de liberté et de prospérité instauré par les démocraties en 1945.
Aux cinquièmes colonnes qu’étaient les partis communistes et fascistes de l’entre-deux-guerres en Europe ont succédé des populismes d’extrême droite et d’extrême gauche ouvertement alliés aux tyrans. Ces populismes relaient leurs activités subversives et retournent contre les démocraties les réseaux numériques, dont nous avions cru qu’ils seraient un formidable outil d’information et de communication. Ils en font des armes redoutables, mises au service d’un affrontement permanent et d’une menace mortelle.
À force de détester leur pays, les extrémistes finissent toujours par le trahir.
Beaucoup de nos dirigeants affirment que nous ne sommes pas en guerre contre l’internationale des dictateurs, comme Daladier rentrant de Munich se félicitait d’avoir sauvé la paix.
Il n’y a rien de plus dangereux que de croire que nous ne sommes pas en guerre contre des gens qui sont en guerre contre nous et qui le disent. L’Europe doit comprendre qu’il est urgent pour elle de redevenir une puissance militaire ; le résultat des élections américaines doit achever de nous ouvrir les yeux. La prophétie du général de Gaulle est, en effet, en train de se réaliser : « Un jour, les États-Unis quitteront le vieux continent. » Si nous persistons dans notre aveuglement, ce n’est pas seulement l’Ukraine qui, demain, sera vaincue, mais la liberté.
« De 1933 à 1938, les Français ont fait tout ce qui était nécessaire pour mener à la guerre, parce qu’ils en avaient peur », disait Raymond Aron. Il ajoutait : « Je crois à la victoire des démocraties, à condition qu’elles le veuillent. »
Pour ma part, je ne suis pas certain qu’aujourd’hui, alors qu’une nouvelle guerre froide a commencé, les démocraties veuillent la victoire.
Mes chers collègues, 10 000 soldats nord-coréens viennent d’arriver en Russie. Or les Occidentaux continuent d’interdire aux Ukrainiens d’utiliser leurs missiles pour frapper en Russie les bases d’où partent les avions et les bombes qui détruisent l’Ukraine.
La dissuasion nucléaire est censée sanctuariser notre territoire et préserver notre liberté d’action ; et c’est au nom de cette même dissuasion que nous théorisons notre inaction, que nous laissons à Poutine le monopole de la menace et de l’agression. Nous savons pourtant que ses alliés chinois lui interdisent son emploi. Son abstention après que les Ukrainiens ont franchi la frontière russe à Koursk apporte la preuve que ses lignes rouges ne sont qu’un bluff.
La Seconde Guerre mondiale, disait de Gaulle le 9 novembre 1944, a eu pour cause « la frénésie dominatrice d’un système politique, social, moral, abominable […], mais revêtu du sombre attrait de la puissance. Elle a trouvé, pour la favoriser, la dispersion des États du parti de la liberté […], les divisions passionnées, les routines de tous ordres, la défaillance des élites dirigeantes ». En cet anniversaire, alors que les Ukrainiens meurent chaque jour par milliers pour défendre notre liberté, dans une indifférence chaque jour croissante, chaque jour plus préoccupante, puissions-nous méditer ces paroles prophétiques. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements.)
Mme Cécile Cukierman, présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, quatre-vingts ans ont passé, mais l’Histoire est là, toujours présente, imprégnant nos débats d’aujourd’hui.
Voilà quatre-vingts ans, l’Assemblée consultative provisoire ouvrait ses travaux ici même, au Palais du Luxembourg, sous les drapeaux des forces alliées, qui lançaient alors un ultime et terrible assaut contre le IIIe Reich, contre la barbarie nazie.
C’est le général de Gaulle lui-même qui, le 9 novembre 1944, inaugura les travaux de cette assemblée dont la constitution marquait la renaissance de la démocratie. Il faut se transporter dans le temps, en cet automne de 1944 ; imaginer la situation de notre pays, de l’Europe et même du monde entier, confronté à une violence inouïe.
Sur notre continent, les morts se comptent par millions ; les populations civiles ont été décimées, notamment par la Shoah ; l’Europe doit affronter l’horreur des camps, qui ne sont pas encore libérés, ainsi que des combats terribles impliquant soldats et partisans. À la bataille de Stalingrad a succédé le débarquement de Normandie, mais la bataille des Ardennes n’a pas encore eu lieu et les armées d’Hitler n’ont pas dit leur dernier mot.
L’Assemblée consultative provisoire, créée par une ordonnance du Comité français de libération nationale du 17 septembre 1943, siège d’abord à Alger, puis se transporte à Paris, où sa première séance se tient le 7 novembre 1944 sur l’initiative du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF).
Sa composition représente alors la France en lutte pour sa libération, les mouvements et organisations de la Résistance formant le socle du renouveau démocratique. Les délégués du Conseil national de la Résistance appartiennent de droit à l’Assemblée consultative provisoire, où les représentants des Francs-tireurs et partisans (FTP) côtoient ceux de Combat et bien d’autres encore. Les Forces françaises de l’intérieur (FFI) sont ainsi l’âme de cette assemblée.
Les syndicats, représentants des travailleurs, qui furent à maintes occasions le bras armé de la lutte contre le fascisme, étaient eux aussi dûment représentés. Je salue leurs délégués actuels, qui, depuis les tribunes, assistent à cette séance.
Mes chers collègues, je ne serais pas devant vous aujourd’hui si, par leur engagement, la classe ouvrière et les paysans d’alors n’avaient été le fer de lance de la lutte contre l’occupant.
C’est nécessairement avec émotion que je relis la liste de ces valeureux membres de l’Assemblée consultative provisoire. Aux côtés de véritables héros de la Résistance, comme Emmanuel d’Astier de La Vigerie, Maurice Schumann, Daniel Mayer, Lucie Aubrac, Robert Chambeiron, Pierre Cot et tant d’autres, siégeaient de nombreux communistes : André Mercier, membre du Conseil national de la Résistance, Georges Cogniot, Jacques Duclos, Léo Figuères, Benoît Frachon ou encore Waldeck Rochet.
L’Assemblée consultative provisoire s’est fixé pour objectif la sortie des années noires, le redressement du pays et la marche vers les jours heureux, auxquels aspire notre peuple tout entier, qui, bien que meurtri, est resté debout.
L’Assemblée consultative provisoire marque la rupture avec cet État français qui a choisi la collaboration, œuvrant même parfois à la place de l’occupant.
C’est le programme du Conseil national de la Résistance qui est au cœur des débats de cette assemblée et de ses décisions. Ce programme – il faut le rappeler – porte en germe le retour de la démocratie et de la justice sociale. Aujourd’hui, nous célébrons cette aspiration née dans la lutte, née dans le sang, à l’émancipation, à l’égalité et à la juste répartition des richesses.
Ce programme prône l’instauration d’un régime démocratique et social. C’est lui qui a permis la création de la sécurité sociale, assurée par le ministre communiste Ambroise Croizat. C’est également à lui que nous devons les grandes nationalisations, la fondation des comités d’entreprise, l’instauration du droit de vote des femmes et tant d’autres conquêtes.
Chacun sait ici que notre parti est resté fidèle à l’élan fondateur imprimé par le Conseil national de la Résistance. Nous combattons chaque jour les funestes projets qui entreprennent de détruire, pierre après pierre, les constructions démocratiques de ces années d’espoir.
Ici siégeaient ceux qui ont sauvé la démocratie, qui ont porté l’idée de justice au plus haut.
Mon regard s’est arrêté sur le nom de Mathilde Péri, épouse de Gabriel Péri, journaliste à L’Humanité, sauvagement assassiné par les nazis ; de cet homme qui, dans sa dernière lettre, écrite au Mont-Valérien alors qu’il s’apprêtait à affronter la mort, annonça « les lendemains qui chantent ».
L’Assemblée consultative provisoire, ce sont ces drames et ces tragédies. C’est aussi cet espoir fou.
C’est pour rappeler ce combat pour que l’espoir devienne réalité que je tiens, en guise de conclusion, à vous lire « Demain », poème écrit par Robert Desnos en 1942 :
« Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
« De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
« Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
« Peut gémir : le matin est neuf, neuf est le soir.
« Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
« Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
« Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
« À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
« Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
« De la splendeur du jour et de tous ses présents.
« Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
« Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »
(Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, présidente du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements.)
Mme Maryse Carrère, présidente du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la vice-présidente de l’Assemblée nationale, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, mes chers anciens collègues présents en tribune, membres notamment du groupe RDSE – Françoise Laborde, Jean-Marc Gabouty et Yvon Collin, notre ancien président –, la Seconde Guerre mondiale est une époque particulièrement sombre de notre histoire.
C’est la France occupée par l’Allemagne nazie, terrorisée par la Gestapo. C’est le rationnement. Ce sont les bombardements de civils. C’est le régime de Vichy, qui participe à tant d’actes arbitraires, déportations, arrestations ou assassinats. Ce sont tant et tant de soldats et de résistants morts pour la France.
Toutefois, la période ne saurait être réduite à cette face tragique et résignée. Les années 1939 à 1945 sont également ponctuées de grands moments d’espérance et de courage, qui ont fini par changer le cours de l’Histoire. Ce sont celles de la Résistance, ô combien exemplaire, incarnée par Jean Moulin et tant d’autres hommes et femmes héroïques ; celles des débarquements alliés, à la fois extraordinaires et essentiels à la libération de la France.
Bien sûr, le visage de l’espoir, c’est aussi celui du général de Gaulle, refusant farouchement la défaite et déclarant depuis Londres le 18 juin 1940 : « Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. »
Tandis qu’on lutte pour la France sur les champs de bataille, en métropole comme dans le reste du monde, c’est également le sort de la vie parlementaire qui se joue.
Les assemblées législatives ont été mises en sommeil par le régime de Vichy – une première depuis 1789. Mais, à cet égard aussi, une lumière vient heureusement percer le brouillard des temps.
N’écoutant que leur devoir politique et leur conscience de républicains, cinquante-sept députés et vingt-trois sénateurs refusent de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Par leur audace, ces quatre-vingts parlementaires rendent un peu de fierté à leur pays défait.
Le 10 juillet 1940, au sein du groupe de la Gauche démocratique, l’honneur est du côté des sénateurs Camille Rolland, Jean Odin et François Labrousse, parmi d’autres. Je n’oublie pas non plus Gaston Manent, député des Hautes-Pyrénées, qui, de même, a refusé la perspective d’un régime autoritaire.
L’Assemblée consultative provisoire, dont nous commémorons aujourd’hui la séance inaugurale, participe elle aussi de l’épopée de cette France en marche pour la liberté, comme le Gouvernement provisoire de la République française, qui succéda au Comité français de libération nationale.
Bien que tournés vers la reconquête par les armes, les acteurs de la France libre n’ont pas oublié la nécessaire reconquête des institutions par le rétablissement, en 1943 à Alger, d’une assemblée parée autant que possible de la légalité républicaine.
Certains évoqueront une assemblée imparfaite, car dépourvue de pouvoir législatif et placée face à un exécutif puissant. Mais, quoi qu’on en dise, la réunion de l’Assemblée consultative provisoire est une étape décisive de la reconstruction républicaine. Elle incarne le retour à une forme de séparation des pouvoirs.
Un journaliste anglais de l’époque ne s’y est pas trompé, en écrivant dans The Manchester Guardian : « L’Assemblée consultative provisoire marque une étape capitale ; cette réunion est en effet ni plus ni moins qu’un début de résurrection d’une institution représentative de la France. »
Mandataires délégués par les organisations de la Résistance, parmi lesquels un certain nombre de femmes ; membres des assemblées de la IIIe République ; représentants des groupements économiques et syndicaux ; universitaires ; délégués des corps élus des territoires libérés et des associations de citoyens français de l’étranger : forte de cette composition militante, l’assemblée, bien que consultative, servira de boussole à d’importantes politiques publiques.
Dans le feu de la guerre, les débats se sont souvent concentrés sur la diplomatie et le soutien armé à la Résistance. Mais ils se sont progressivement étendus aux institutions de la France, à l’organisation de la presse, ainsi qu’aux réformes sociales.
À cet égard, j’ai une pensée particulière pour Fernand Grenier, délégué communiste, qui défendit le droit de vote des femmes avec obstination et même acharnement. Cette extension du suffrage universel fut actée par l’ordonnance du 21 avril 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine.
Il y a quatre-vingts ans jour pour jour, au Palais du Luxembourg devenu siège de l’Assemblée consultative provisoire, résonnaient ces mots du président d’âge Paul Cuttoli : « Ne nous attardons aux souvenirs du passé que pour y trouver du courage pour le présent et de la confiance dans l’avenir. »
Mes chers collègues, nous sommes les héritiers de cette France libre qui, au prix d’immenses sacrifices, a fini par emporter la lutte.
Le contexte international nous rappelle, si besoin était, combien la démocratie est fragile. Il nous rappelle qu’à tout moment la paix peut être menacée.
Nous connaissons les défis qui attendent notre pays. C’est aussi avec courage et responsabilité que nous devrons les affronter, forts des valeurs de solidarité et de fraternité qui ont éclairé l’Assemblée consultative provisoire. (Applaudissements.)