Dans un tel contexte, comment ferez-vous pour respecter les engagements que nous avons pris dans le cadre de l’accord de Paris, et que le Gouvernement réaffirme pourtant dans ce document ?
En somme, votre plan, c’est du pur « en même temps » : vous y dites tout et son contraire. Ce document n’est crédible ni pour le parlementaire que je suis, ni pour le Haut Conseil des finances publiques, ni, comme cela a été souligné par mes collègues il y a quelques instants et relevé par la presse ces derniers jours, pour les agences de notation.
Mais il y a plus grave encore, monsieur le ministre : comment voulez-vous, dans ces conditions, que la parole de la France soit entendue ?
La parole de la France, ce n’est pourtant pas rien : bien plus que nos chars Leclerc ou nos canons Caesar, il nous faudra assainir nos finances publiques si nous voulons gagner en crédibilité. Il nous faudra surtout transmettre à nos partenaires européens un plan budgétaire sérieux, qui ne devienne pas caduc un mois après sa présentation.
La crédibilité et la confiance supposent le respect d’autrui. Or, avec le document que vous nous soumettez, vous frôlez l’insincérité.
Par manque de crédibilité, la France perd en influence. Nous avons pourtant besoin que notre pays soit respecté pour faire évoluer les règles européennes. Monsieur le ministre, prenez-vous l’engagement de faire voter une loi de programmation des finances publiques rectificative ?
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont souligné les précédents orateurs, on nous a tout de même trompés !
Pendant sept longues années, monsieur le ministre, nous avons entendu votre prédécesseur nous dire que tout allait bien, qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, et que nous pourrions bientôt ramener notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB, voire approcher les 60 % d’endettement.
Cela n’a pas été le cas. En mars dernier déjà, l’excellent rapporteur général de notre commission des finances évoquait, s’agissant du programme de stabilité 2024-2027, « une dérive budgétaire annoncée ». Il formulait alors un certain nombre de propositions que le Gouvernement n’a pas entendues.
Aujourd’hui, on nous présente dans des conditions quelque peu surréalistes un document fort volumineux. Est-il tout à fait achevé ? Le dialogue avec notre commission des finances est-il finalisé ? Je l’ignore.
En tout état de cause, ce plan exige davantage de la part des Français que ce qu’induisent les contraintes budgétaires européennes. On nous demande de prendre part à une course de vitesse lestés d’une lourde charge sur le dos…
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne partage pas certains des points de vue que je viens d’entendre, celui du ministre, naturellement, au premier chef, mais également celui de mes collègues qui considèrent que nous n’en faisons pas assez.
En marge de la dernière réunion de la commission des finances, mon collègue Vincent Delahaye, qui vient du reste de faire un excellent discours, fidèle à sa ligne politique, me reprochait le manque de pertinence de mon analyse, au motif que, selon lui, le PSMT n’est pas « austéritaire ».
M. Vincent Delahaye. En effet, il ne l’est pas !
M. Victorin Lurel. Or j’ai beau le lire et le relire : ce plan est terriblement austéritaire, je dirai même substantiellement, significativement austéritaire ! L’austérité est au cœur du projet qui nous est soumis ; c’est une évidence et cela a été, me semble-t-il, très largement démontré.
Le Haut Conseil des finances publiques lui-même n’a pas pu se prononcer avec assurance sur ce document, compte tenu des approximations et de l’incertitude qui l’entourent.
Vos prévisions en matière de croissance, votre hypothèse concernant une réduction du déficit de la balance commerciale et de la balance des paiements, celle d’une reprise de la consommation des ménages qui résulterait d’une hausse du pouvoir d’achat des Français, ne sont en effet, monsieur le ministre, que pure spéculation.
Ma boule de cristal est peut-être aussi fêlée que la vôtre, mais il n’est qu’à voir l’environnement économique international et européen pour douter de vos projections. Nous faisons face à un véritable mur de financement qu’il va nous falloir franchir.
Force est toutefois de reconnaître un certain courage à ce gouvernement, puisqu’il réclame aux Français un effort considérable, équivalent à 1,4 point de PIB, et ce dès 2025. L’Europe n’en exigeait pas tant !
En agissant ainsi, vous escomptez trois avantages. Premièrement, vous pariez sur le fait qu’en sortant au plus vite de la procédure de déficit excessif dont elle fait l’objet la France aura moins d’efforts à fournir sur la période 2029-2031. C’est un faux calcul : un effort considérable de 0,6 point, voire de 0,78 point de PIB restera nécessaire au titre de l’ajustement structurel primaire et de l’indispensable réduction de notre endettement.
Deuxièmement, en demandant cet important effort aux Français, vous cherchez à rétablir notre crédibilité budgétaire et la confiance dans notre pays et, peut-être, à faire plaisir aux agences de notation.
Troisièmement, vous pensez engranger quelques dividendes et constituer des réserves pour anticiper une crise à venir.
Cela peut se défendre, mais pourquoi vouloir aller aussi vite ? Ne peut-on pas demander le même effort, mais à un autre rythme, en faisant en sorte qu’il soit plus équitable et mieux ciblé ? Vous, vous préférez demander beaucoup dès le départ, au risque de provoquer un repli qui aura des effets récessifs, et même austéritaires – je le dis à l’intention de mon collègue Delahaye.
Ce risque est documenté et étayé par de nombreux instituts, qu’il s’agisse du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) par la voix de Mme Delatte, que nous avons auditionnée, de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), de l’institut Avant-garde, ou encore de l’institut Bruegel.
Selon les économistes, les effets induits par le plan du Gouvernement seraient considérables. Ainsi, une économie de 10 milliards d’euros entraînerait une telle baisse de l’activité économique que notre déficit primaire ne baisserait en réalité que de 5,6 milliards d’euros, tandis que 15 000 emplois seraient supprimés. Et encore, il faudrait calculer le coût social de l’austérité que vous imposez.
Le même effort pourrait être mieux réparti pour répondre à un impératif de justice fiscale.
M. le président. Il faut conclure !
M. Victorin Lurel. C’est tout le sens du contre-budget que le groupe socialiste vous présentera lors du prochain débat budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat pour l’organisation de ce débat, qui porte sur un champ très vaste et qui nous permettra, notamment, d’évoquer nos trois fonctions publiques – fonction publique d’État, territoriale et hospitalière –, dont les problématiques sont étroitement liées.
Les masses financières dont nous parlons sont considérables, qu’il s’agisse du budget de la sécurité sociale ou de celui de l’État. Ces budgets sont comparables, puisqu’ils dépassent tous deux allégrement les 800 milliards d’euros, mais le déficit du régime général de la sécurité sociale est beaucoup plus faible que celui de l’État, puisqu’il s’établit à un peu moins de 20 milliards d’euros.
Voilà cinquante ans que la France n’a pas connu une situation d’excédent budgétaire. Depuis 1974, l’État oublie de se comporter en bon gestionnaire. Sur les quinze dernières années, les exercices 2018 et 2019 ont été les seuls au cours desquels notre déficit est passé sous la barre des 3 %. Chaque Français qui naît aujourd’hui hérite d’une dette de l’ordre de 44 000 euros.
Depuis un demi-siècle, nous avons perdu le sens de la dépense publique et les gouvernements, les uns après les autres, ont oublié collectivement qu’une bonne gestion publique doit s’inspirer du bon sens.
Nous sommes désormais à un tournant essentiel de notre stratégie budgétaire. Le redressement des finances publiques n’est plus une option, mais une absolue nécessité.
Le plan budgétaire et structurel à moyen terme qui nous est présenté incarne une volonté de transformation et de résilience. Pour en garantir le succès, un impératif s’impose : la dynamique de notre dépense publique ne peut pas excéder celle de nos recettes publiques.
Le bon sens impose d’abord d’équilibrer ces dépenses et ces recettes, comme tentent de le faire chaque jour nos concitoyens.
Imagine-t-on une seule seconde nos compatriotes se comporter comme le fait l’État ? Pensez-vous vraiment, mes chers collègues, qu’un foyer préférera emprunter pour financer son train de vie plutôt que d’investir dans son logement, alors qu’il en aurait les moyens ?
Bien sûr, les coups durs et les aléas de la vie peuvent justifier de s’endetter à très court terme, mais aucun père, aucune mère de famille, ne se comporte ainsi dans la durée.
Équilibrer ses comptes et emprunter pour investir : voilà le comportement habituel de chaque Français. Tel est le bon sens que l’État a abandonné au cours des dernières décennies.
En effet, celui-ci emprunte pour financer son fonctionnement au quotidien et sacrifie, au passage, les investissements d’avenir. En d’autres termes, nous aliénons l’avenir de nos enfants pour payer les errements du passé.
Cette addiction à la dépense publique crée un cercle vicieux : nous empruntons toujours plus pour rembourser les dettes précédentes, tout en continuant à dépenser plus que nous gagnons. Résultat : nous empruntons pour rembourser nos emprunts.
En voulant tout faire, tout le temps, l’État oublie de se concentrer sur ses missions les plus importantes. Nombre de concitoyens estiment ainsi que les services publics auxquels ils ont accès ne sont pas au niveau des impôts qu’ils paient.
Les missions que les Français attendent de l’État sont multiples : celles qui touchent au régalien d’abord, avec la justice, la sécurité, l’armée et l’éducation de nos enfants ; celles qui garantissent la pérennité de notre modèle social, ensuite, avec une santé accessible à tous, des retraites pour nos aînés et une protection pour les plus fragiles d’entre nous ; celles, enfin, qui contribuent aux investissements dans nos infrastructures, notamment dans la nécessaire transition écologique et dans les technologies qui contribuent au progrès humain.
Cet équilibre dans la gestion des finances publiques n’est pas un idéal inaccessible. Treize des vingt-sept pays de l’Union européenne, soit près de la moitié d’entre eux, ont affiché un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2023. Les Pays-Bas sont presque à l’équilibre, et trois États – Chypre, l’Irlande et le Portugal – dégagent même un excédent budgétaire.
Vous comprenez, mes chers collègues, qu’il y va de l’image de la France. Dans ces conditions, ces pays peuvent regarder leur avenir avec sérénité, quand nous regardons la fin du mois la ceinture à la main, mais sans trous supplémentaires pour la serrer…
Ce plan budgétaire et structurel à moyen terme vise à remettre la France sur les rails de son histoire. En se fixant comme objectif de ramener le déficit sous les 3 % du PIB en 2029, le Gouvernement souhaite insuffler du bon sens dans sa gestion des finances publiques. Il tourne ainsi le dos, progressivement, à cinquante années de déficit non maîtrisé.
La revue des dépenses annoncée par le Gouvernement permettra, à condition d’être suffisamment ambitieuse – nous y veillerons, monsieur le ministre –, de renforcer les bonnes dépenses publiques et d’alléger l’État de celles qui ne le sont pas.
Nous ferons ainsi en sorte que chaque euro d’impôt, de taxe, de cotisation ou de prélèvement, fruit du travail des Français et des Françaises, soit pleinement utilisé au service de leur bien-être.
M. le président. Il faut conclure !
M. Marc Laménie. C’est uniquement de cette manière que nous pourrons, nous aussi, regarder notre avenir avec sérénité, et emprunter pour investir là où sont les besoins. Et ils sont nombreux ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la gouvernance économique européenne, adoptée en avril 2024, prévoit que le Gouvernement transmette cet automne à la Commission européenne un plan budgétaire et structurel à moyen terme visant, notamment, à placer la dette publique sur une trajectoire soutenable.
Une trajectoire soutenable… Après les échanges que nous avons eus dans cet hémicycle depuis quelques mois, j’hésite à convoquer Molière, ou bien le plus grand d’entre tous les sénateurs, Victor Hugo.
Le Premier aurait pu dire : « Ah, qu’en termes galants, ces choses-là sont mises ! ». Mais j’ai bien peur que le second eût dit : « Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon de servir… ». Vous connaissez la suite !
On n’emploie malheureusement plus cette langue, mais la comédie des mots demeure un exercice d’actualité, ce document en fournissant une preuve tangible.
Alors qu’avec mes collègues membres de la commission des finances nous nous évertuons à réfléchir à la répartition la plus équitable possible des 60 milliards d’euros d’économies qui doivent permettre d’inverser les effets délétères de sept années d’incurie budgétaire, je ne vous cacherai pas que l’exercice auquel nous nous livrons ce soir relève de la boule de cristal ou du bonneteau, selon que vous préférez la caravane ou le parapluie. (Sourires.)
En effet, comment apprécier le réalisme de la trajectoire pluriannuelle figurant dans ce PSMT ? Sans mauvais jeu de mots, quel crédit peut-on apporter à ce document, alors que les facteurs de la croissance au-delà de 2025, tout comme les hypothèses sur lesquelles il repose concernant les revenus des ménages et des entreprises, ne sont absolument pas détaillés ?
Quels sont les réformes et les investissements que notre pays s’engagerait à mettre en œuvre pour bénéficier d’une extension de quatre ans à sept ans de la période d’ajustement budgétaire ?
Comment la France entend-elle réduire son déficit public à l’horizon 2029 ? Faut-il croire en l’amorce d’une décrue du ratio de la dette par rapport au PIB en 2028, alors que l’on connaît l’incertitude qui entoure les prévisions en matière de déficit public ?
Il est indispensable de disposer des réponses à ces questions pour apprécier le réalisme de la fameuse trajectoire.
Certes, me direz-vous, l’évaluation de la croissance potentielle, ainsi que le nouveau scénario d’évolution du produit intérieur brut potentiel sont désormais raisonnables. De même, on peut admettre qu’en décalant de deux ans la date prévue pour le retour du déficit sous le seuil des 3 % du PIB – elle passe de 2027 dans le programme de stabilité à 2029 dans le PSMT –, le Gouvernement gagne en crédibilité, ce que je tiens à saluer.
Cela étant, ce PSMT, qui est le premier de son genre, nous montre à quel point la technostructure, sous l’ardente férule des ronds-de-cuir bruxellois, rivalise d’ingéniosité pour tenter de nous faire prendre des vessies pour des lanternes !
La réalité crue, c’est que l’évolution de la dette est plus que préoccupante.
La réalité crue, c’est que l’annonce d’une amorce de la décrue du ratio de dette en 2028 est affectée par l’incertitude qui entoure les prévisions en matière de déficit public.
La réalité crue, c’est que la France va demeurer, avec la Grèce et l’Italie, le plus mauvais élève de l’Union européenne.
La réalité crue, c’est que, sous l’effet de la remontée des taux, la charge des intérêts de la dette de l’État devrait s’élever à 46,3 milliards d’euros en 2024 et à 72,3 milliards d’euros en 2027, alors qu’elle était de 39 milliards d’euros en 2023.
La réalité crue, c’est que la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu payé par les contribuables français ne servira plus qu’à rembourser les intérêts de la dette.
La réalité crue, c’est que les marges de manœuvre pour faire face à un choc conjoncturel qui surviendrait dans les années à venir sont extrêmement réduites.
La réalité crue, enfin, c’est que la soutenabilité à moyen terme des finances publiques appelle des efforts immédiats et soutenus dans la durée. Dans ce domaine, l’indicateur de dépenses primaires nettes est un élément central et incontournable du PSMT.
Non seulement la France devra impérativement respecter la trajectoire de son plan budgétaire et structurel à moyen terme, tout en continuant de financer les investissements prioritaires, mais elle devra, dans le même temps, veiller à ne pas affecter son potentiel de croissance. Et ça, c’est une autre histoire !
Mes chers collègues, charité bien ordonnée commence par soi-même : je vais donc, pour ma part, commencer par économiser le temps de parole à cette tribune, afin de préserver nos nerfs et de ne pas attenter à notre insondable dynamisme, alors même que nous entrons de plain-pied dans un tunnel budgétaire qui s’annonce pour le moins particulier cette année.
Monsieur le ministre, nous travaillerons sérieusement à vos côtés pour dégager des économies ; encore faudrait-il qu’elles soient justes et équitables pour notre pays, qui ne peut plus supporter la langue de bois ni – je n’emploierai pas le terme de « mensonges » – l’insincérité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de l’orientation des finances publiques et du plan budgétaire et structurel à moyen terme de notre pays.
Ce plan est crucial pour poser les bases d’une gestion des finances publiques durable dans un contexte incertain. Les crises récentes ont mis à rude épreuve ces finances, et il est impératif que nous reprenions le contrôle de la situation budgétaire.
À ce stade, je tiens à souligner que le groupe RDPI souscrit pleinement à l’objectif de redressement des comptes publics. La croissance de la dette publique, qui atteindra bientôt 114,7 % du PIB, est préoccupante. L’aggravation des déficits compromet notre souveraineté économique et notre crédibilité internationale.
Le plan qui nous est présenté prévoit de ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB d’ici à 2029. Il nous faudra impérativement nous y tenir. Étaler l’effort jusqu’en 2029 est une décision pragmatique, qui permet de lisser les ajustements, sans étouffer la croissance économique ni fragiliser les services publics essentiels.
Nous avons tous conscience que pour réaliser les 60 milliards d’économies prévues, nous devrons faire preuve de détermination et de méthode.
Cela dit, cette trajectoire doit impérativement être accompagnée de mesures destinées à garantir que l’effort ne se fasse pas au détriment des plus vulnérables.
M. Victorin Lurel. Eh oui !
Mme Patricia Schillinger. Nous devons absolument éviter d’affaiblir les services publics dans les territoires ruraux, ainsi que dans les territoires ultramarins, où la fracture territoriale est déjà trop marquée. (M. Victorin Lurel acquiesce.)
Nos concitoyens, où qu’ils se trouvent, doivent continuer à bénéficier d’un accès aux soins, à l’éducation et à la sécurité. Dans de nombreux territoires, la question des déserts médicaux est devenue un problème majeur, et le département dont je suis élue, le Haut-Rhin, ne fait pas exception.
Il est donc crucial que la réduction des dépenses n’aggrave pas ces inégalités.
Le Sénat est la maison des territoires. Aussi, je me dois d’aborder la question des collectivités locales, qui seront appelées, elles aussi, à prendre leur part dans l’effort de réduction des dépenses ; en responsabilité, elles l’assumeront.
Toutefois, si la réduction du déficit public exige une mobilisation collective, à laquelle les collectivités locales ne sauraient se soustraire, il nous appartient de veiller à ce que l’effort reste supportable. Il est essentiel que les départements, qui sont au cœur des solidarités, les régions, dans leur rôle de soutien majeur à la vie économique, et bien sûr, les communes, piliers du maintien de la cohésion sociale, puissent conserver une capacité d’action suffisante pour continuer à conforter le dynamisme de nos territoires et à répondre aux besoins quotidiens de nos concitoyens.
Le Sénat prendra garde à ce que l’effort demandé n’entame pas la qualité des services publics de proximité ni la vitalité de nos territoires.
Je souhaite également insister sur la nécessité d’approfondir l’évaluation continue des politiques publiques, car trop d’angles morts nuisent encore à l’efficacité des dépenses.
La revue annuelle des dépenses est cruciale pour identifier des économies structurelles et améliorer la qualité des services rendus.
Le succès du PSMT repose sur notre capacité à mieux dépenser, et pas seulement à moins dépenser.
Dans ce contexte budgétaire contraint, il est néanmoins primordial de continuer à investir dans des secteurs stratégiques pour l’avenir. Deux axes doivent rester au cœur de notre stratégie : la transition écologique et la réindustrialisation.
Le plan prévoit des investissements massifs pour accélérer la décarbonation de notre économie. Cet engagement est indispensable, non seulement pour répondre à l’urgence climatique, mais aussi pour renforcer la compétitivité de nos entreprises dans une économie de plus en plus axée sur le développement durable. La France doit se positionner en leader européen de l’économie verte, ce qui suppose un soutien sans faille aux énergies renouvelables, à la rénovation énergétique, ainsi qu’à la décarbonation de l’industrie.
La réindustrialisation, quant à elle, est essentielle. Elle permettra de recréer des emplois durables dans nos territoires. Notre pays pourra ainsi retrouver sa capacité productive et son autonomie industrielle.
L’emploi reste une priorité absolue, au cœur de la relance. Les réformes récentes ont abouti à des résultats encourageants : le taux de chômage, par exemple, est historiquement bas.
Toutefois, pour maintenir cet élan, nous devons renforcer l’accompagnement vers l’emploi des jeunes et des personnes éloignées du marché du travail.
Si la transformation de Pôle emploi en France Travail représente une avancée notable, la réforme de l’assurance chômage demeure une priorité. Il revient désormais aux partenaires sociaux de parvenir à un nouvel accord, qui tienne compte à la fois de l’impératif de réaliser des économies et des besoins d’un marché du travail en pleine transformation.
En matière de retour à l’emploi, je rappelle que plus d’un million de travailleurs demeurent encore sous le seuil de pauvreté. Si le travail reste une protection contre la pauvreté, il est également important qu’il soit rémunérateur. Aussi, il ne faut pas relâcher nos efforts pour que celui-ci paie et pour que l’emploi soit synonyme de sécurité économique et de reconnaissance.
Enfin, je tiens à rappeler que les efforts demandés doivent être équitables. Le plan prévoit ainsi une contribution temporaire des grandes entreprises et des ménages les plus aisés. Cela va dans le bon sens. Il est impératif que ceux qui bénéficient le plus de la croissance économique participent de manière proportionnée à l’effort collectif. Il y va de la justice sociale et de la cohésion de notre société.
Le chemin qui nous attend est semé d’embûches, monsieur le ministre. Je suis toutefois convaincue que nous pouvons atteindre nos objectifs. Pour cela, il nous faudra faire preuve de détermination, mais aussi, à plus long terme et au-delà des simples ajustements comptables, de courage politique. Nous devrons oser nous poser la question difficile d’une réforme structurelle et profonde de l’État.
Le plan que nous examinons aujourd’hui constitue un premier pas vers un nécessaire redressement budgétaire. Il nous faut, cependant, rester vigilants et maintenir un équilibre fragile entre les exigences de sérieux budgétaire et de réalisation des investissements indispensables pour l’avenir de notre pays.
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aborde ce débat avec toute l’incrédulité et la prudence qui siéent aux exercices de planification. Les prévisions sont certes nécessaires, mais on sait bien qu’elles ne se réalisent que rarement…
Néanmoins, la première qualité que l’on doit reconnaître à votre scénario, monsieur le ministre, c’est certainement son réalisme, a fortiori si on le compare à la trajectoire que nous promettait le précédent gouvernement.
Un objectif de déficit de 3 % du PIB en 2029, un effort budgétaire d’ampleur, la maîtrise de la dépense publique, le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale : tout cela semble raisonnable et rassurant.
Malgré tout, j’identifie deux faiblesses sur lesquelles je veux attirer votre attention.
La première concerne les perspectives macroéconomiques, et notamment la croissance, qui devrait atteindre, selon vos hypothèses, environ 1,2 % dans les années à venir. La lucidité commande d’avoir à l’esprit les signaux d’alerte qui émanent des remontées de terrain.
Les indicateurs économiques de l’Insee dans le département dont je suis élu, le Lot, par exemple, sont encourageants. Mais il serait imprudent d’ignorer les indices qui laissent augurer un risque de retournement de la situation.
Je pense d’abord à la profonde dégradation des bilans économiques des exploitations agricoles, qui menace directement l’économie rurale.
De même, des tensions de recrutement pèsent sur l’industrie et l’artisanat et conduisent à un repli volontaire des carnets de commandes. Ces difficultés à recruter freinent terriblement l’activité économique.
La consommation des ménages souffre, aux dires des commerçants, de fragilités que ne montrent pas les chiffres. Là se situe peut-être le facteur le plus inquiétant : la défiance dans laquelle baignent notre économie et notre société. La France traverse une triple crise de confiance : démocratique, économique et fiscale.
Ces constats suggèrent que la trajectoire proposée relève, au fond, d’un pari sur l’avenir plutôt que d’un plan garanti.
La seconde faiblesse de ce scénario porte sur les réformes destinées à consolider ces perspectives. La croissance ne se décrète pas. Nous devons dépasser l’arithmétique budgétaire et impulser une stratégie courageuse et ambitieuse.
Un choc d’investissement public serait, à mes yeux, un levier pertinent pour relancer l’économie et répondre aux défis de demain. Les investissements publics ont un effet multiplicateur avéré : ils stimulent l’activité économique bien au-delà des montants engagés.
Les collectivités territoriales, en tant que premiers investisseurs publics, jouent un rôle central dans cette dynamique. Pourquoi ne pas nous saisir complètement de cet outil ?
M. Victorin Lurel. Elles sont matraquées !
M. Raphaël Daubet. Toujours dans le département du Lot, cette année, l’enveloppe de subventions dont disposait Mme la préfète n’a malheureusement permis de soutenir que la moitié des projets prêts à être engagés par les communes. Cela signifie que la moitié des projets de construction d’écoles, de crèches, de logements, de maisons de santé est tombée à l’eau.
La maîtrise de la dépense publique ne devrait pas porter sur les dotations d’investissement. Au contraire, nous devons donner plus de marges de manœuvre financières et réglementaires à l’échelon local.