La trajectoire de dépenses nettes finalement retenue dans le PSMT suppose une stabilité des dépenses primaires nettes en 2025, puis une augmentation annuelle de 1,4 % de celles-ci entre 2026 et 2028, avant une hausse de 1,9 % en 2029. Elle correspond à un ajustement structurel primaire moyen de 0,78 point de PIB sur la période, ce qui est significatif.
Cet ajustement est concentré sur l’année 2025, à hauteur de 1,4 point de PIB, puis diminuera en 2026 avant d’augmenter légèrement les années suivantes. Le PSMT ne prévoit donc pas autre chose qu’un ajustement continu, année après année, pour enfin rééquilibrer nos comptes publics. Si l’allongement de la période d’ajustement de quatre ans à sept ans est accepté, il n’y a, selon nous, pas de raison que le PSMT soit rejeté par les autorités européennes et que celles-ci nous demandent un plan révisé.
Comme je le disais en introduction, le PSMT s’accompagne d’un scénario macroéconomique sous-jacent.
Tout d’abord, j’observe que la prévision de croissance potentielle du Gouvernement, qui s’élève à 1,2 % pour la période 2024-2028, puis à 1 % ensuite, est plus prudente que celle qui avait été mise en avant dans le cadre du programme de stabilité pour 2024-2027. Le chiffre désormais retenu est en accord avec le scénario des conjoncturistes, puisque la croissance à long terme de la France serait de 1,2 % par an selon le consensus des économistes et le Fonds monétaire international (FMI). Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), dans l’avis qu’il a rendu le 9 octobre dernier sur le PSMT, estime ainsi que ce nouveau scénario de PIB potentiel, quoique encore un peu optimiste, est désormais « raisonnable ».
Plus conservatrice que les précédentes, cette prévision débouche toutefois sur un scénario de croissance effective qui peut paraître optimiste, avec certes une croissance de 1,1 % en 2025, mais une augmentation par la suite à 1,4 % en 2026 et à 1,5 % en 2027 et 2028. L’assouplissement de la politique monétaire engagé cette année, qui devrait se poursuivre l’an prochain, peut bien sûr y contribuer, mais la réduction continue du déficit public sur cette période devrait à l’inverse modérer les perspectives de croissance.
Toutefois, les prévisions de croissance nominale du Gouvernement, qui prennent en compte l’inflation et qui sont celles qui comptent le plus pour déterminer le solde public, paraissent raisonnables.
Si l’indicateur de dépenses primaires nettes est central dans le PSMT pour apprécier l’effort réalisé par un État membre, il ne faut pas perdre de vue que l’objectif de ce plan est de placer chaque pays sur une trajectoire viable de finances publiques. Le PSMT 2025-2029 s’accompagne donc d’une trajectoire de déficit public et d’une trajectoire d’endettement.
Je me félicite du regain de rigueur qui a présidé, en la matière, à l’exercice. À la différence du PStab présenté en avril, les hypothèses présentées ici me semblent cohérentes et crédibles. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ne traduisent pas une situation quelque peu alarmante, mais elles constituent autant d’arguments pour engager un redressement rapide de nos finances publiques.
Le PSMT prévoit une trajectoire de réduction du déficit public sur la période 2025-2029 : après un effort franc en 2025, puisque le déficit public passerait de 6,1 % du PIB à 5 % du PIB, celui-ci se poursuivrait les années suivantes, avec une petite respiration en 2026, année lors de laquelle le déficit passerait à 4,6 %, puis une réaccélération en 2027 et 2028 avant d’atteindre 2,8 % en 2029.
Je regrette que nous ne puissions pas respecter nos engagements dès 2027, comme le prévoyait initialement la LPFP, dont l’examen nous avait donné l’occasion de chercher à établir une trajectoire plus exigeante. Mais dans les conditions budgétaires actuelles, et n’en déplaise à l’ancien ministre de l’économie et des finances qui se plaisait à répéter, encore début septembre, que l’objectif des 3 % était atteignable dès 2027, ce ne sera pas le cas.
La dérive des années 2023 et 2024 a fait dérailler la trajectoire de la dette publique française : même avec les efforts importants qui nous sont présentés, celle-ci augmenterait progressivement jusqu’en 2027 pour atteindre 116,5 % du PIB, soit un niveau jamais atteint depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ! Cela doit tous nous alerter.
Par ailleurs, étant donné le poids désormais plus que significatif de notre dette – vous l’avez qualifiée il y a quelques instants de « colossale », monsieur le ministre – et le risque qu’elle fait courir à notre souveraineté du fait de son accroissement et du signal négatif que cela donne à nos prêteurs, je pense qu’il est temps d’engager une réflexion sur le financement hors marché d’une part de notre dette publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons ce soir du plan budgétaire et structurel à moyen terme de la France pour les années 2025 à 2029. Si la commission des finances a demandé la tenue d’un tel débat, c’est qu’il s’agit d’un document essentiel et stratégique.
Je veux tout d’abord souligner que, compte tenu de l’importance du document, les conditions dans lesquelles le Parlement en est saisi sont problématiques. Si je salue le fait que le Haut Conseil des finances publiques a pu donner son avis sur le PSMT, alors que les textes n’étaient pas mis à jour pour le rendre obligatoire, je déplore en revanche que, en dépit de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), qui prévoit la transmission du document au Parlement quinze jours avant sa présentation aux institutions européennes, celui-ci n’ait fait l’objet que d’une transmission à titre provisoire le 20 octobre dernier, avant la présentation du document en conseil des ministres le 23 octobre.
Certes, monsieur le ministre, vous n’êtes qu’en partie responsable de cette dérive du calendrier. Selon les règles européennes, il aurait même fallu présenter le PSMT aux institutions européennes avant le 20 septembre ! Il n’en demeure pas moins que la loi organique n’a, une fois de plus, pas été respectée, et que c’est le Parlement qui en fait les frais une fois encore.
Mais le plus grave, au fond, c’est que, d’un côté, le Parlement examine des lois de programmation des finances publiques avec attention, en menant un travail minutieux, alors même que la trajectoire des finances publiques qui y figure n’a manifestement d’autre valeur que déclaratoire, et que, de l’autre, il reçoit à la hâte, de sorte qu’il doit l’examiner rapidement, un document qui, pour le coup, nous engage réellement, et qui va contraindre fortement la trajectoire des finances publiques pour les années à venir. Un débat, c’est mieux que rien, mais convenez que ce n’est tout de même pas grand-chose…
Ce document est particulièrement engageant, car la France fait l’objet, depuis le mois de juillet dernier, d’une procédure pour déficit excessif, ce qui signifie que le Conseil de l’Union européenne lui adressera prochainement une recommandation visant à mettre en œuvre une trajectoire de correction de ses dépenses nettes qui garantisse que le déficit public soit rapidement ramené sous les 3 % du PIB. Ou bien le PSMT satisfait les exigences de Bruxelles, ou bien il faudra prendre des mesures de redressement supplémentaires.
Par ailleurs, le PSMT est contraignant, car le non-respect des engagements qu’il comporte placerait la France sous la menace de sanctions financières, lesquelles s’élèvent à 0,05 % du PIB par semestre – le rapporteur général vient de l’indiquer.
Enfin, je rappelle que le PSMT devrait contenir une liste d’investissements et de réformes destinés à justifier un allongement de la période d’ajustement de quatre ans à sept ans. Cette période est celle au terme de laquelle le déficit public doit être ramené sous les 3 % du PIB, et au terme de laquelle le ratio d’endettement doit être placé sur une trajectoire descendante d’un point de PIB en moyenne chaque année, garde-fou supplémentaire que l’on doit à nos partenaires allemands.
Chaque année, un rapport annuel d’avancement doit être adressé à la Commission européenne pour faire le point sur la liste de ces investissements et réformes et vérifier qu’elles sont mises en œuvre. Autant dire que cette liste est d’une importance déterminante. Pourtant, à ce stade, le document présenté nous paraît bien pauvre…
En ce qui concerne la trajectoire des finances publiques qui nous est soumise, il y a peut-être un mieux par rapport au programme de stabilité, mais prévoir à partir de 2026 un taux de croissance entre 1,4 % et 1,5 %, tout en maintenant un ajustement de 0,6 point à 0,7 point de PIB par an, me paraît bien optimiste.
Je veux bien admettre que l’assouplissement de la politique monétaire engagé en juin dernier, et qui devrait se poursuivre encore quelque temps, permettra de relancer l’investissement, et que la baisse de l’inflation relancera la consommation. Tout cela est plausible, mais c’est faire un peu rapidement l’impasse sur les effets récessifs du redressement budgétaire qui nous attend.
Ne nous y trompons pas : la situation de nos finances publiques est critique – nous y reviendrons lors de l’examen du prochain projet de loi de finances –, de sorte que la contrainte européenne et la procédure pour déficit excessif ne suffisent pas, à elles seules, à démontrer la nécessité d’un redressement. Faut-il moins de dépenses, plus de recettes, et quel niveau fixer ? C’est un choix politique qui reste à définir et dont nous débattrons prochainement.
Quoi qu’il en soit, pour redonner à l’action politique ses lettres de noblesse et pour engager de nouvelles et nécessaires politiques publiques, il nous faut des comptes publics en équilibre. C’est un fait indiscutable.
Durant les trente dernières années, les seules fois où un redressement a été opéré, c’était sous Lionel Jospin, entre 1997 et 2002,…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cela ne nous rajeunit pas !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. … et au début du quinquennat de François Hollande, grâce à l’action déterminée de son gouvernement. Je vous laisse méditer ce point d’histoire… (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Grégory Blanc et Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre du projet de plan budgétaire et structurel national à moyen terme, le fameux PSMT – nouveau sigle, auquel nous devrons nous habituer –, tant attendu.
En avril dernier, lors de l’examen du programme de stabilité, j’avais exprimé ma perplexité, alors que le Gouvernement n’indiquait pas ce qu’il prévoyait de faire concrètement pour respecter sa trajectoire.
S’agissant du PSMT, nous sommes dans une situation analogue, en particulier pour ce qui est des finances sociales.
Il était sans doute difficilement évitable qu’il en aille autrement, dans la mesure où nous avons déjà du mal à nous mettre d’accord sur les mesures à prendre dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. On conçoit aisément qu’un document programmatique ne puisse, aujourd’hui, documenter précisément les mesures à prendre d’ici à 2031.
Je remarque toutefois que, même dans les grandes lignes, le projet de PSMT aborde très peu le sujet des finances sociales. Quand l’expression « administrations de sécurité sociale » apparaît, ce n’est que pour les années 2024 et 2025, pas au-delà. En particulier, ce projet ne précise pas comment l’effort sera réparti entre les différentes catégories d’administrations publiques.
C’est un recul par rapport au contenu actuel des programmes de stabilité, qui détaillent les prévisions en matière de besoins de financement pour chaque catégorie d’administrations publiques, et ce pour chaque année de la programmation.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est lui aussi très vague sur ce qui doit se passer après 2025, pour ce qui est de la sécurité sociale. Il comporte bien, conformément aux dispositions organiques, une programmation à moyen terme, laquelle est d’ailleurs très préoccupante – nous aurons l’occasion d’en reparler dans les prochaines semaines –, puisqu’elle prévoit une augmentation continue du déficit de la sécurité sociale, qui atteindrait 20 milliards d’euros en 2028.
Toutefois, comme chaque année, cette programmation n’en est pas vraiment une. Il s’agit plutôt d’une sorte de projection à politiques inchangées, qui ne prend en compte que les mesures déjà prévues et qui témoigne d’un certain volontarisme concernant l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) et la croissance du PIB.
Le projet de PSMT prévoit, pour l’ensemble des administrations publiques que, après un ajustement structurel primaire de 1,6 point de PIB – soit près de 50 milliards d’euros – en 2025, cet effort serait de 0,7 point ou 0,8 point de PIB – soit environ 25 milliards d’euros – chaque année jusqu’en 2029. Je vois mal comment cet effort supplémentaire pourrait ne pas concerner en partie la sécurité sociale.
Dans ces conditions, ne faudrait-il pas modifier l’annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale, en intégrant un certain quantum de mesures de redressement chaque année ? Je ne fais que poser la question, monsieur le ministre. Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen de ce texte.
Il deviendrait possible, dès lors qu’il y aurait de nouveau des perspectives de retour à l’équilibre de notre régime de sécurité sociale, de réaliser de nouveaux transferts de dette sociale à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). Ces nouveaux transferts devront être réalisés tôt ou tard, me semble-t-il, alors que la sécurité sociale ne peut s’endetter qu’à court terme.
Nous ne pouvons pas jouer avec la pérennité de notre système de protection sociale. Nous ne pouvons pas nous contenter de la trajectoire financière inquiétante annexée au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce débat aura au moins eu le mérite de le rappeler.
La Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne doivent prochainement se prononcer sur le PSMT. Nous sommes, en réalité, sous la surveillance de l’Union européenne. Nous sommes aussi sous la surveillance des marchés financiers. Mais nous sommes, avant tout, sous la surveillance des Françaises et des Français, à qui nous devons d’être à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger, M. Marc Laménie et M. le rapporteur général de la commission des finances applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant le dire tout de suite, je doute quelque peu que ce plan budgétaire rassure vraiment nos partenaires européens et les agences de notation sur l’évolution de la situation financière de notre pays.
Monsieur le ministre, vous n’êtes pas en cause, mais les ministres passent, Bercy reste. (M. le ministre sourit.) Si vos intentions sont bonnes et si nous souscrivons aux mêmes objectifs que vous, la méthode proposée par votre ministère pour équilibrer les comptes publics de notre pays n’est, en revanche, pas la bonne.
En effet, vous êtes dans le virtuel : vous fondez toute votre communication sur l’effort colossal que nous aurions à accomplir pour faire passer notre déficit de 7 % à 5 % du PIB. Or je n’ai rien trouvé dans tout ce que j’ai pu lire qui permettrait de valider un tel déficit tendanciel. Le Haut Conseil des finances publiques, dont j’apprécie les travaux et la méthodologie, s’est lui-même dit incapable de juger de la pertinence de ce taux de 7 %. Comment le serions-nous davantage ?
Il faut savoir regarder la réalité en face. Voilà des années que je demande que l’on distingue, dans le budget de l’État, les dépenses exceptionnelles et les dépenses courantes, car sans cela il est difficile de se prononcer sur l’évolution de nos finances publiques. De ce point de vue, vous nous avez fourni un document intéressant, qui permet de comparer les budgets des missions de l’État, c’est-à-dire les budgets des ministères, entre 2019 et 2025.
Monsieur le ministre, savez-vous de combien ces budgets ont augmenté ? De 100 milliards d’euros en six ans ! Si l’évolution des dépenses des ministères n’avait fait que suivre l’inflation – ce qui est déjà bien, car, dans les collectivités territoriales, la hausse des dépenses reste inférieure à l’inflation –, nous aurions fait 33 milliards d’euros d’économies. Vous rendez-vous compte, monsieur le ministre ?
Par conséquent, pour trouver des économies, il suffirait de n’augmenter le budget des missions que de la moitié du taux d’inflation, par exemple. M. Savoldelli ne pourrait pas parler d’« austérité », comme il le fait souvent, car les dépenses continueraient d’augmenter, mais dans une proportion inférieure à ce qui a été décidé dans le passé.
J’en viens à présent aux retraites – c’est un peu devenu mon dada… Celles-ci représentent un quart des dépenses publiques de notre pays, soit la moitié de notre déficit et la moitié de notre dette. Or, dans le document que vous nous avez transmis, monsieur le ministre, savez-vous combien de pages sont consacrées à ce sujet ? Trois pages sur deux cent dix-huit pages !
J’ai voté la réforme des retraites d’avril 2023 et je considère qu’elle va dans la bonne direction, mais soyons honnêtes : elle ne règle que 10 % à 20 % du problème. Il faut avoir le courage de le dire, ceux qui veulent la remettre en question sont des irresponsables et nous devons au contraire amplifier cette réforme, en revoyant notamment le système de retraite de la fonction publique. En effet, le déficit des retraites, c’est avant tout celui des régimes publics, qui représentent 80 % à 90 % du problème. Il faudra donc avoir le courage politique – rien n’est moins sûr – de rouvrir ce chantier de la réforme des retraites.
Quant au nucléaire, un sujet qui vous tient à cœur, monsieur le ministre, le projet de PSMT ne lui accorde que quatorze lignes sur deux cent dix-huit pages.
Le Gouvernement prétend qu’il veut relancer le nucléaire en favorisant la création de nouveaux EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2). En réalité, il prévoit certes d’investir un milliard d’euros dans les petits réacteurs modulaires (PRM), c’est-à-dire dans le nouveau nucléaire, mais pas un centime dans l’ancien.
Pour rappel, le rachat par l’État des parts détenues par les actionnaires minoritaires au capital d’EDF a coûté 10 milliards d’euros. Voilà une entreprise très endettée, qui affiche des résultats en dents de scie, et à qui l’État demande aujourd’hui d’investir des dizaines de milliards d’euros – sans doute entre 70 milliards et 80 milliards d’euros – dans les EPR2, alors que, dans le même temps, celui-ci lui annonce que sa contribution sera nulle dans les cinq prochaines années…
J’espère me tromper, monsieur le ministre, mais une telle situation ne me semble pas raisonnable : sur un sujet aussi majeur que l’énergie décarbonée et le nucléaire, un actionnaire unique doit investir bien davantage !
Pour expliquer l’envolée de nos dépenses publiques, il faut, selon moi, incriminer les lois de programmation que nous avons adoptées – même si, à titre personnel, je ne les ai pas votées – sans prévoir aucun financement.
Madame la rapporteure générale, dans le cadre du Ségur de la santé, nous avons augmenté de 13 milliards d’euros les rémunérations des professionnels du secteur. En vérité, ce sont 13 milliards des 16 milliards d’euros du déficit actuel de la sécurité sociale qui n’ont pas été financés. Cela n’est pas responsable ! Quand on décide d’augmenter le salaire de certains personnels, il faut soit disposer des financements idoines, soit trouver des sources d’économies. En l’espèce, l’État s’est mis lui-même en difficulté.
D’un côté, les dépenses continuent d’augmenter – le Gouvernement prévoit 6 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en 2025 par rapport à ce que prévoyait la loi de finances rectificative pour 2024 ; de l’autre, les recettes risquent d’être inférieures aux prévisions.
À cet égard, vous me semblez bien optimiste, monsieur le ministre : l’exécutif table, par exemple, sur une augmentation de 6 milliards d’euros du produit de l’impôt sur le revenu en 2025. Or je ne suis pas convaincu que les rémunérations de nos compatriotes aient augmenté dans ces proportions.
Au total, d’après vos hypothèses, les recettes fiscales devraient progresser de 37 milliards d’euros. Alors que nous souhaitions tous n’augmenter les impôts qu’à la marge, tout en réduisant significativement les dépenses, c’est en réalité l’inverse qui se profile. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) le souligne fort justement : 70 % des recettes résulteront d’augmentations d’impôts quand 30 % seulement de celles-ci découleront de réductions de dépenses. Il nous faut absolument inverser cette répartition.
À cet égard, j’espère que le prochain débat budgétaire nous permettra d’identifier des pistes d’économies. Sachez, monsieur le ministre, que vous nous trouverez toujours à vos côtés pour explorer ce type de solution. Il a été question récemment de la lutte contre l’absentéisme dans le secteur public : je suis évidemment favorable à l’extension du délai de carence à trois jours dans la fonction publique.
Nous devons poursuivre dans cette voie : ayons le courage de diminuer la dépense publique sans céder, chaque fois que la situation nécessite un redressement des finances publiques, à la tentation d’une hausse de la fiscalité, fût-elle exceptionnelle !
Comme chacun le sait, augmenter les impôts peut avoir des effets récessifs. Nombre d’entreprises, notamment dans le secteur des services à la personne, craignent déjà de devoir procéder à des licenciements ou liquider leur société.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous en conjure, faisons porter nos efforts davantage sur la dépense et un peu moins sur les impôts ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de vous surprendre, je tiens en préambule à féliciter M. le ministre pour la qualité de ce document. (Sourires.)
M. Michaël Weber. Oh ! Oh !
M. Pascal Savoldelli. Une telle qualité se faisait plutôt rare ces dernières années. Or vous nous présentez un plan budgétaire et structurel à moyen terme suffisamment complet pour nourrir un débat éclairé.
Sur le fond, en revanche, l’autosatisfaction du Gouvernement est de rigueur, pour ne pas dire d’austérité (Sourires.), et ce dès les premières lignes : « Les réformes menées ces dernières années pour répondre aux défis structurels de la France portent leurs fruits en ayant amélioré l’attractivité de la France, la compétitivité de nos entreprises, et soutenu le dynamisme sur le marché du travail et nos performances à l’exportation. Les crises mondiales successives ont mis en lumière la capacité de résilience de l’économie française […]. »
Cette autosatisfaction de l’exécutif est une constante : elle consiste à se réfugier derrière les crises – certaines sont bien réelles, d’autres quelque peu fantasmées –, afin de dissimuler des choix politiques qui sont tragiques pour nos finances publiques.
Je m’arrêterai un instant, monsieur le ministre, sur les résultats que vous revendiquez en matière de politique industrielle à grand renfort de communication.
La France – croyez bien que les communistes le regrettent – n’est plus un pays industriel. Si l’on se réfère à la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB, notre pays occupe, avec un taux de 13,4 %, la vingt-quatrième place sur vingt-sept en Europe. Seuls Malte, Chypre et le Luxembourg sont derrière nous.
La part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée est passée de 15 % en 1995 à 10 % en 2017 puis à 9,5 % en 2022.
En 2017, les emplois industriels représentaient 20 % de l’emploi total ; ils n’en représentaient plus que 19 % en 2022. Seuls 5 % des emplois créés depuis 2017, soit 101 600 emplois, sont des emplois industriels.
La moyenne annuelle de notre production industrielle a diminué de 4,66 %, tous secteurs industriels confondus, par rapport à 2015.
Pire encore, si le nombre d’emplois dans l’énergie dite verte augmente, 70,4 % des sous-divisions de l’Insee correspondant à une activité industrielle ont vu le nombre des emplois diminuer entre 2017 et 2022.
Certes, pour 2022 et 2023, vous avancez le chiffre de 377 créations nettes d’entreprises productives. Ces entreprises sont toutefois cantonnées à quelques secteurs d’activité et sont faiblement pourvoyeuses d’emplois.
Voilà la réalité des chiffres. Elle est à mettre en regard des dépenses consenties au nom de la prétendue compétitivité et de la politique de l’offre.
Au total, les baisses de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production, ainsi que les baisses de cotisations sociales sur les salaires – notamment via le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – s’élèvent, hors niches fiscales, à 52,9 milliards d’euros chaque année depuis le début du quinquennat du président Emmanuel Macron. Et elles sont pérennes !
Permettez-moi de citer de nouveau un court passage de votre document, monsieur le ministre : « Ces efforts se matérialisent aujourd’hui, en témoignent la dynamique de réindustrialisation en cours et l’attractivité renouvelée de l’économie française pour les investisseurs étrangers. »
Parlons vrai : il est temps de cesser de brader notre souveraineté et notre modèle social à grand renfort de cadeaux fiscaux. En supposant que toutes les baisses d’impôts et de cotisations décidées par le Gouvernement le soient dans le but de créer des emplois dans l’industrie, la création d’un emploi coûte 406 923 euros aux finances publiques !
Admettez-le, les résultats sont mauvais ! Et puis, le capital est subventionné, voire assisté ! (Sourires.)
Alors que certains secteurs comme le luxe, avec des groupes tels que LVMH, Chanel ou Kering, ont pleinement profité de la mondialisation et renforcé leur position au sein du capitalisme français, l’industrie a connu, de son côté, un effondrement spectaculaire, conséquence directe de la désindustrialisation qu’ont favorisée les gouvernements successifs. En un peu plus de vingt ans, la part de l’industrie dans l’économie française, hors agroalimentaire, est passée de 33 % à seulement 14 %.
Pour rattraper son retard, l’Union européenne devra engager des investissements massifs et sans précédent. Mario Draghi estime ainsi que l’Europe devra emprunter 800 milliards d’euros aux marchés financiers. Évidemment, ce sont ces mêmes marchés qui définiront les taux – pourquoi s’embêter ? – et qui, ainsi, renforceront leur emprise sur les économies des États européens, dont la France.
À côté de la fable industrielle, il y a la fable budgétaire, celle qui nous enjoint de réduire notre déficit public à hauteur de 5 % du PIB dès 2025.
S’il est vrai que le pacte de stabilité et de croissance contraint la France et pèse sur ses choix budgétaires, en altérant – au passage – sa souveraineté, il faut savoir que Bruxelles n’appelle qu’à une réduction de 0,5 point de notre solde structurel, quand le Gouvernement souhaite un effort structurel plus de deux fois supérieur, équivalent à 1,2 point de PIB.
Une telle violence n’est pas prescrite par le médecin européen : l’ordonnance émane de votre gouvernement, monsieur le ministre. Ce zèle n’appelle pas seulement un effort sans précédent ; il provoquera une hémorragie inédite et injustifiée, au point que je ne suis pas sûr que le pays se relèvera de ces coups de boutoir.
Le Gouvernement, quant à lui, recourt à une formule de communication visiblement travaillée, puisqu’il évoque un « effort partagé ». (MM. Jean-Raymond Hugonet et Stéphane Le Rudulier s’en amusent.) J’admets que c’est une formule assez tendre et compatissante, voire unitaire, mais force est de constater que, pour l’heure, ce sont les classes populaires, les classes moyennes et les collectivités territoriales qui sont le plus largement mises à contribution pour redresser les finances publiques.
Monsieur le ministre, vous pourrez compter sur la détermination du groupe communiste pour faire changer les choses lors de la discussion du prochain projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage le constat de mon collègue Pascal Savoldelli : le plan du Gouvernement est très bien documenté, du moins jusqu’en 2025…
Mais ensuite ? Vacuité, voilà le terme adéquat pour évoquer ce document de plus de deux cents pages, dont quelques-unes seulement comportent réellement des éléments relatifs à la trajectoire pluriannuelle de nos finances publiques pour la période 2025-2029.
Vos projections ne sont au mieux, monsieur le ministre, qu’une littérature floue, notamment en ce qui concerne les perspectives de croissance ou les réformes à conduire à compter de 2026. Cela méritait d’être dénoncé à la tribune du Sénat.
Le Haut Conseil des finances publiques l’a lui-même reconnu en des termes certes plus diplomatiques. Bref, il n’y a dans ce document rien de clair sur le devenir des comptes de la Nation ni sur les réformes à conduire.
C’est d’autant plus fâcheux que cet exercice qui consiste à débattre de la trajectoire financière de notre pays pourrait être utile, au moment où l’on ne parvient plus à se parler ni à bâtir un horizon commun.
Les lois de programmation pluriannuelle sont des outils de mise en perspective pensés par les pères de la loi organique relative aux lois de finances et par l’Europe. Or vous décrédibilisez l’exercice, monsieur le ministre, en ajoutant du discrédit à celui dont souffrent déjà la LPFP et le programme de stabilité.
Pour rappel, la LPFP, votée en décembre 2023, est devenue caduque un mois après son adoption ; le programme de stabilité 2024-2027, débattu en avril 2024, l’a été dès l’été.
Au-delà de la faiblesse des informations fournies dans le PSMT, un élément à lui seul témoigne de la caducité de ce qui nous est soumis : les perspectives d’évolution de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Alors même que tout est fait aujourd’hui pour faire évoluer les véhicules individuels et les chaudières, vous prévoyez en effet une hausse d’un milliard d’euros du produit de cette taxe.
Certes, une partie de cette augmentation découle de la reprise de fonds affectés à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) mais, à l’heure où la Chine connaît un ralentissement sans précédent et amorce une transformation significative de son parc automobile, les observateurs – au premier rang desquels la Banque mondiale – estiment que, de la hausse de 1,2 milliard de barils des capacités de production pétrolière, il devrait résulter une baisse de 10 % du prix du pétrole.
Comment pouvez-vous, dans ce contexte d’électrification du parc automobile et de baisse des prix, prévoir une hausse des recettes de la TICPE ? La transition écologique s’impose à nous : elle implique une mutation de notre système fiscal, y compris parce qu’elle aura des effets sur l’assiette de certains impôts.
Votre majorité, qui réunit libéraux et conservateurs, a certes cessé de promouvoir la stabilité fiscale – un slogan cher au Président de la République –, mais force est de reconnaître qu’après avoir baissé les impôts de 62 milliards d’euros vous n’aviez pas d’autre solution que de les augmenter.
En l’absence de réformes de notre infrastructure fiscale, vous ne ferez toutefois qu’ajouter de la gravité à la gravité ; vous creuserez les inégalités et détruirez encore davantage la cohésion nationale dans une France inadaptée au réchauffement climatique.
Dans votre document, vous auriez pu évoquer un certain nombre de réformes fiscales. Les entreprises, les citoyens, les acteurs économiques ont besoin, certes, de financements, mais surtout de lisibilité pour s’adapter aux mutations. Ils ont besoin non pas d’un pilotage par à-coups, mais de perspectives.
Les collectivités doivent financer les deux tiers de l’investissement public destiné à favoriser la transition écologique. Or, d’un côté, vous leur demandez de s’endetter pour le faire et, de l’autre, vous le leur reprochez – voire vous les en empêchez, en prenant des mesures qui affectent leur épargne…