M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 30 octobre à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour une mise au point au sujet de votes.

Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, lors du scrutin n° 20 sur l’article 9 constituant l’ensemble du projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souhaitait bien sûr voter contre, conformément à la position exprimée lors de la discussion générale.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue.

Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

6

Communication d’avis sur des projets de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable, par 39 voix pour, à la nomination de Mme Catherine Paugam-Burtz aux fonctions de directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Par ailleurs, conformément aux mêmes dispositions, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable – 19 voix pour, 5 voix contre – à la nomination de M. Pierre-Marie Abadie à la présidence de l’Autorité de sûreté nucléaire.

7

Candidatures à une commission mixte paritaire, à une commission spéciale et à une délégation sénatoriale

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’ont été publiées des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale, au sein de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, ainsi qu’au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

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Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Article 1er

Renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, présentée par M. Patrick Kanner, Mmes Corinne Narassiguin, Mme Viviane Artigalas, M. Rachid Temal et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 759 [2023-2024], texte de la commission n° 39, rapport n° 38).

Ce texte a fait l’objet d’une consultation du congrès de la Nouvelle-Calédonie, en application de l’article 90 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

L’avis favorable du congrès de la Nouvelle-Calédonie a été communiqué le 22 octobre 2024 et transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des lois, que je félicite de son élection, mes chers collègues, pourquoi sommes-nous là aujourd’hui ? Et comment en sommes-nous arrivés là ?

La Nouvelle-Calédonie vit un cataclysme. La situation est telle que les dégâts sur les infrastructures publiques et privées s’élèvent aujourd’hui à plus de 2 milliards d’euros, que treize décès en lien direct avec les émeutes sont à déplorer, auxquels d’autres viendront certainement s’ajouter en raison de la crise sanitaire provoquée par ces émeutes, que le taux de chômage atteint des records et que l’usine de la province Nord, dans laquelle le nickel est exploité, a fermé.

À très court terme, nous risquons également de voir éclater des émeutes de la faim.

J’ai une pensée émue pour les familles meurtries et je tiens à saluer nos forces de sécurité intérieure, qui ont su répondre à l’urgence de la situation. La crise en Nouvelle-Calédonie illustre aussi le professionnalisme de nos armées. Je pense notamment à nos forces aériennes, sans lesquelles les aides tant matérielles qu’humaines n’auraient pas pu être déployées aussi rapidement.

La situation de l’archipel reste très fragile, comme l’atteste le maintien continu du couvre-feu depuis le début des émeutes en mai dernier.

Nous n’avons jamais pu revenir à la normale. Le désordre entraîné par les décisions mortifères du précédent gouvernement a fragilisé ce territoire pour plusieurs années et a affaibli la position stratégique de la France dans le Pacifique à l’égard des dirigeants des îles océaniennes, ainsi que de nos alliés australiens, néo-zélandais et bien sûr américains.

Nous l’avons constaté, certaines influences étrangères ont cherché à profiter de la situation. Une mission d’information du Forum des îles du Pacifique est du reste attendue sur le territoire pour dresser un état des lieux.

Mes chers collègues, depuis bientôt un an, avec nos collègues Corinne Narassiguin, Viviane Artigalas et Rachid Temal, nous alertons par tous les moyens possibles sur l’impérieuse nécessité d’un plan global. Nous préconisions, pour y parvenir, d’accorder du temps au temps – le temps nécessaire pour créer les conditions dans lesquelles les populations néo-calédoniennes pourraient choisir librement leur destin.

Dès avril 2024, nous avions écrit aux présidents de la commission des affaires économiques et de la commission des lois du Sénat – ce dernier se reconnaîtra aisément (Sourires.) – pour leur demander de convier Bruno Le Maire, afin de l’interroger sur le pacte nickel.

Par deux fois, en avril et en septembre 2024, nous avons demandé au président du Sénat de réunir le groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie.

En mai dernier, avec Boris Vallaud et Olivier Faure, j’ai cosigné deux courriers à l’attention du Président de la République, dans lesquels nous lui demandions de suspendre le processus constitutionnel en repoussant la convocation du Congrès jusqu’à la conclusion d’un accord global. Nous appelions également à dépêcher sur place une mission de dialogue sous l’autorité du Premier ministre.

Je me félicite du reste que M. Barnier ait repris le sujet sous son autorité, car, depuis Édouard Philippe, les Premiers ministres ne s’intéressaient plus à la situation du Caillou.

Aussi, mes chers collègues, l’on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas. Il nous faut maintenant réparer ce terrible gâchis humain, économique, social et institutionnel.

Le discours de politique générale qu’a prononcé le chef du Gouvernement le 1er octobre dernier est du reste conforme, sur un dossier si délicat, à ce que l’on pouvait attendre d’un Premier ministre souhaitant se placer dans les pas de Michel Rocard et de Lionel Jospin. Mais encore faut-il se mettre en mouvement et tracer un chemin.

Le président Emmanuel Macron a installé une mission de médiation et de travail, composée de trois hauts fonctionnaires chargés de faire des propositions pour dénouer la crise. En tant que sénateurs, nous n’avons pas été destinataires d’une quelconque information émanant de cette mission, ce que je déplore. Tel est le sens de ma missive au président Larcher du 30 septembre, qui, je l’espère, fera prochainement l’objet d’une réponse.

Je rappelle que l’information du Parlement sur les mesures prises dans le cadre d’un état d’urgence est prévue par l’article 4-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

Le couvre-feu en vigueur en Nouvelle-Calédonie depuis la mi-mai est systématiquement reconduit par le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Même si l’état d’urgence, lui, a cessé, dans de telles conditions et par analogie avec la procédure encadrant l’état d’urgence, on aurait pu présenter aux sénateurs des points d’étape de cette mission.

La présente proposition de loi organique, que nous avons fort opportunément déposée le 16 septembre dernier, n’est que l’ultime étape de la mobilisation de mon groupe face à un exécutif indifférent à toutes nos propositions.

Il semblerait que nous ayons bien fait, puisque la plus haute autorité de la juridiction administrative française, le Conseil d’État, a émis un avis favorable sur notre démarche, qu’il a considérée comme nécessaire.

Dans la nuit de lundi, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a également donné un avis favorable sur notre texte, par 47 voix sur 50 exprimées.

Grâce au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, vous disposez d’un véhicule législatif qui vous permettra, enfin, de mettre en œuvre une politique fondée sur le dialogue, monsieur le ministre. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

La mise à disposition à votre profit de notre proposition de loi organique n’est toutefois pas un blanc-seing. Nous n’avons jamais considéré que cette proposition de loi organique était l’alpha et l’oméga de la résolution des difficultés rencontrées sur place.

La complexité de la situation en Nouvelle-Calédonie appelle une réponse globale, incluant l’avenir institutionnel de l’archipel, en particulier l’incontournable question du dégel du corps électoral pour les élections du congrès et des assemblées de province, mais aussi l’urgence de la reconstruction économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le ministre, après un long déplacement en Polynésie française, en juillet 2023, vous avez commis, avec MM. Philippe Bas, Hervé Marseille et notre ancien collègue Jean-Pierre Sueur, un rapport d’information intitulé Nouvelle-Calédonie : renouer avec la promesse dun destin commun pour tous les Calédoniens.

Dès le rapport d’étape, en juillet 2022, vous préconisiez de ne rien imposer et de ne pas contraindre. Vous prôniez un processus global de concertation associant la société civile, les instances coutumières et les élus locaux sur les questions institutionnelles, économiques, sociales et culturelles.

Le président Macron et ses gouvernements successifs n’ont ni lu ni écouté le Sénat, pas plus qu’ils n’ont écouté les acteurs locaux.

J’ai donc une autre question pour vous, monsieur le ministre : Buffet François-Noël, ancien président de la commission des lois du Sénat, sera-t-il en osmose avec François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer ? (Sourires.)

Nous, socialistes, sommes cohérents depuis toujours. Notre position, connue, est celle qui a conduit avec Michel Rocard aux accords de Matignon et d’Oudinot, sanctionnés par le référendum national du 6 novembre 1988 sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.

C’est la position qui a permis de sortir la Nouvelle-Calédonie d’une situation dramatique. C’est la position, fondée sur la coexistence et le dialogue, qui a ramené une paix durable dans ce territoire. C’est encore cette méthode éprouvée qui a mené aux accords de Nouméa, sous Lionel Jospin, en 1998.

Nous sommes également en parfaite cohérence avec l’avis clairvoyant du Conseil d’État, qui a préconisé systématiquement le choix du temps long.

Nous sommes enfin en cohérence avec les travaux récents du Sénat, puisque, lors des examens du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, nous n’avons fait que reprendre les recommandations de votre rapport, monsieur Buffet.

En tant que ministre, vous êtes désormais comptable de la situation. Et même si le président Emmanuel Macron porte la pleine responsabilité de la crise institutionnelle et existentielle dans laquelle est plongée la Nouvelle-Calédonie, et si cette forme de gestion restera sans nul doute l’acmé de son obstination et de son entêtement, vous êtes maintenant aux affaires.

En quelques mois, en quelques semaines, en quelques jours, l’exécutif est parvenu à remettre en cause trente-six ans de réconciliation, de reconstruction et de vivre-ensemble !

Si le Premier ministre Michel Barnier semble avoir opéré une volte-face sur le sujet et s’il a exprimé le souhait de se rendre à son tour prochainement sur l’archipel, nous serons très attentifs au positionnement de l’État dans les jours à venir. Le soin apporté à la mise en place de la future délégation interministérielle devra en particulier témoigner de l’implication des pouvoirs publics sur le dossier néo-calédonien.

Monsieur le ministre, votre récent déplacement constitue une première étape, mais les annonces faites ne semblent pas totalement à la hauteur des enjeux.

Je rappelle que des morts, dont deux gendarmes, sont à déplorer, que l’économie est massacrée, que le taux de chômage insupportable et que la situation sanitaire ne cesse de se dégrader.

Le déplacement très prochain de la présidente de l’Assemblée nationale et du président du Sénat pourrait également constituer un signal fort, à condition qu’il permette de renouer avec l’esprit qui nous a conduits aux accords de Matignon et de Nouméa. Loin d’être une parenthèse, ces derniers doivent constituer le socle sur lequel se construira l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Mes chers collègues, nous l’appelons de nos vœux : l’État doit retrouver son rôle impartial, modérateur et facilitateur du dialogue. À défaut, la présente proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ne serait qu’un leurre bien peu crédible. Sans cela, le chemin de la paix et de la sérénité sera introuvable.

De longs et pénibles efforts nous attendent. Soyons donc à la hauteur de l’enjeu, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui, pour reporter, au plus tard au 30 novembre 2025, le renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, qui devait initialement se tenir avant le 12 mai 2024, ce délai ayant déjà été reporté une première fois au 15 décembre 2024.

Lors du vote par le Sénat du premier report de ces élections, le délai fixé au 14 décembre 2024 était déjà considéré comme très optimiste et ne laissant pas assez de temps aux parties prenantes pour élaborer un accord global.

La conclusion d’un tel accord incluant la question de la composition du corps électoral paraît pourtant le préalable nécessaire à la tenue des élections. Telle est la position constante de notre commission.

Je salue d’ailleurs le travail de Philippe Bas, de François-Noël Buffet, de Jean-Pierre Sueur et d’Hervé Marseille, qui, déjà, dans leur rapport de juillet 2023 sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, soulignaient la nécessité de favoriser la conclusion d’un accord consensuel et global entre les trois parties avant les prochaines élections provinciales.

Le rôle du Parlement n’est toutefois pas de décider pour les Néo-Calédoniens si, oui ou non, un accord global est possible, ni quand. Ce n’est pas le rôle du Gouvernement non plus – le gouvernement actuel l’a du reste bien mieux compris que le précédent.

Forcer la main des acteurs locaux a mené à des violences, à une crise politique, économique et sociale d’une rare gravité dans l’archipel, et cela malgré de nombreuses alertes.

Le refus de la convocation du Parlement en Congrès pour le vote du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie était un signe nécessaire et bienvenu. Il est urgent de revenir à la méthode consensuelle et de retrouver le sens du processus d’autodétermination et de décolonisation.

Par cette proposition de loi organique déposée par le groupe socialiste et reprise par le Gouvernement, nous voulons donc donner aux acteurs le plus de temps possible, pour répondre aux urgences de la reconstruction, d’une part, et retrouver le chemin de l’apaisement et du dialogue, d’autre part.

Le consensus politique doit être la priorité absolue. Un accord politique doit être trouvé avant l’intervention du législateur, comme cela s’est toujours fait depuis les accords de Matignon.

La commission des lois a donc adopté la présente proposition de loi organique, après l’avoir modifiée par l’adoption de trois amendements.

Elle s’est en premier lieu attachée à améliorer la lisibilité du dispositif proposé, en réécrivant le dispositif initialement prévu, conformément aux recommandations émises par le Conseil d’État dans son avis sur la présente proposition de loi organique.

En second lieu, à la demande de l’ensemble des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, la commission des lois a introduit un article additionnel prorogeant les fonctions des membres du bureau et des commissions du congrès jusqu’à la réunion du congrès nouvellement élu, de façon à éviter l’organisation de renouvellements successifs des instances internes dans un délai très court. Sans cet amendement, les instances internes du congrès seraient en effet renouvelées à la fin du mois d’août, comme c’est le cas chaque année, puis une nouvelle fois lors de la première réunion du congrès nouvellement élu à l’issue des élections provinciales.

En troisième lieu, afin de garantir l’entrée en vigueur de la future loi organique avant la date limite de convocation des électeurs aux urnes, c’est-à-dire avant le 17 novembre prochain, et ainsi d’écarter tout risque de contentieux, la commission des lois a prévu que la future loi organique entrerait en vigueur dès le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le report de ces élections nous paraît un préalable au chemin de l’apaisement. Il est soutenu par la quasi-totalité des acteurs politiques locaux et a été approuvé hier à une très large majorité par le congrès de Nouvelle-Calédonie, ce qui constitue un signe d’espoir.

La reconstruction économique et l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie sont aujourd’hui indissociables. Le report des élections doit être la première étape de la reprise du processus de construction du destin commun des Néo-Calédoniens.

Permettez-moi pour terminer de citer des propos récemment tenus par Lionel Jospin, mes chers collègues : « L’accord à construire demain doit permettre de fonder un nouveau contrat social entre les communautés qui vivent sur une même terre. Il pourrait aussi ouvrir le chemin d’une évolution des relations de la Nouvelle-Calédonie avec la France, conduisant, le moment venu, à une émancipation plus complète. » (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des lois, que je salue et félicite de sa brillante élection et à qui j’adresse tous mes encouragements pour la réussite de son action, qui est d’intérêt collectif, monsieur le président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, auteur de la proposition de loi, que je remercie de son initiative, mes chers collègues, quand les forces de gouvernement de ce pays engagent un travail en commun, celui-ci peut aboutir. (Marques dironie sur les travées du groupe SER.)

En effet, grâce au Gouvernement, qui a inscrit cette proposition de loi à son ordre du jour prioritaire, celle-ci pourra, je l’espère, être adoptée par les deux chambres dans un délai rapide.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Heureusement que nous étions là !

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission des lois du Sénat peut se prévaloir de la grande cohérence de son approche du dossier néo-calédonien.

Je remercie l’ancien président de la commission des lois, M. François-Noël Buffet, d’y avoir hautement contribué, notamment par le rapport susvisé que nous avons rendu public en juillet 2023 : nous y soulignions la nécessité que l’État soit impartial et néanmoins actif ; nous faisions de la recherche d’un accord entre les parties calédoniennes le préalable à toute intervention constitutionnelle, organique ou législative.

Monsieur le ministre, vous revenez de Nouvelle-Calédonie où vous avez effectué votre premier déplacement dans nos outre-mer. Par ce déplacement, vous avez contribué à rétablir la confiance à l’égard de l’État, sur les bases que je viens de mentionner.

Prenant en compte la situation économique et sociale catastrophique de l’archipel, vous avez annoncé un certain nombre de mesures d’urgence bienvenues.

Vous avez enfin réengagé le dialogue avec les formations politiques, les élus et les forces vives de Nouvelle-Calédonie.

Il faut prendre la situation telle qu’elle est aujourd’hui, car il est inutile de revenir sur les erreurs, et peut-être les fautes, des gouvernements précédents, que chacun connaît bien.

La vie démocratique de l’archipel est suspendue, dans l’attente des prochaines élections.

Les destructions d’infrastructures, d’équipements publics et d’entreprises ont provoqué l’interruption d’un grand nombre d’activités dans l’archipel, où le chômage atteindrait 30 %. De nombreux départs ont été constatés parmi les cadres de la Nouvelle-Calédonie – les médecins, les enseignants –, et un fossé s’est creusé entre les communautés, entraînant des manifestations de haine que l’on n’avait jamais vues en Nouvelle-Calédonie.

Ce fossé, je l’espère, pourra être comblé, car il n’y a pas d’avenir possible pour les Néo-Calédoniens sans le rétablissement d’une concorde civile et l’accord sur un destin commun.

À côté de l’urgence économique et sociale, face à laquelle, le 28 août dernier, l’ensemble des forces politiques représentées au congrès de la Nouvelle-Calédonie ont uni leurs voix pour adopter une résolution par laquelle ils en appellent à la solidarité nationale, il est désormais urgent d’engager un nouveau dialogue pour explorer les voies d’un destin commun. J’espère que le prochain déplacement des présidents de nos deux assemblées permettra d’y contribuer.

En tout état de cause, les conditions sont aujourd’hui réunies pour que les parties puissent discuter ensemble et avec un État bienveillant, accompagnateur des institutions calédoniennes, de la composition des listes électorales, de l’évolution des relations entre la Nouvelle-Calédonie et l’Hexagone et des modalités d’exercice du droit à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, qui figure dans la Constitution comme dans nos engagements à l’égard des Nations unies.

Pour que ce dialogue soit fécond et pour qu’il puisse aboutir, il nous faut de nouveau reporter les élections au congrès et aux assemblées provinciales de Nouvelle-Calédonie, mes chers collègues.

Un minimum de temps est nécessaire pour que ce dialogue se noue et aboutisse. Ce temps ne devra naturellement pas être gaspillé, parce qu’il n’est pas excessif et parce que, dans le cadre constitutionnel actuel, un nouveau report ne pourra pas intervenir.

Les conditions me paraissent réunies pour l’adoption de ce nouveau report de la date des élections au 30 novembre 2025, au plus tard : le motif d’intérêt général est évident, et la durée totale de prorogation des mandats, qui est de dix-huit mois au maximum à compter du 12 mai 2024, ne sera pas dépassée.

Telles sont les raisons, mes chers collègues, pour lesquelles Corinne Narassiguin et moi-même vous proposons d’adopter cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, que je félicite à mon tour de son élection, mesdames, messieurs les sénateurs, la situation en Nouvelle-Calédonie est extrêmement préoccupante.

Les événements survenus le 13 mai dernier et les jours qui ont suivi ont été d’une violence inouïe. Leurs conséquences ont plongé la Nouvelle-Calédonie dans une crise économique et sociale très grave.

Quelque 15 % du produit intérieur brut calédonien ont disparu, 6 000 salariés ont perdu leur emploi depuis le début des émeutes et plus de 30 % des salariés ont dû bénéficier du chômage partiel. La Nouvelle-Calédonie a par ailleurs perdu 910 travailleurs indépendants, et près de 11 % de ses médecins ont demandé à être radiés de l’ordre des médecins de la Nouvelle-Calédonie.

Les entreprises ont subi de nombreux dégâts matériels, si bien que la reconstruction économique prendra du temps.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi les collectivités locales – provinces et communes –, sont en grande difficulté.

En somme, la Nouvelle-Calédonie se trouve dans une situation d’urgence.

Ces émeutes, nous le savons, trouvent leur origine dans la volonté d’organiser les élections provinciales en fin d’année et de modifier le corps électoral, ainsi que le Conseil d’État l’avait demandé dans sa décision du mois de mars 2023. Les plus belles plaidoiries sont toujours celles que l’on fait après l’audience, c’est bien connu. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie sourit.) Comme le rapporteur Philippe Bas l’a souligné, s’il nous faut tenir compte de la situation actuelle, il n’y a pas lieu d’en interroger trop longuement les causes.

Par conséquent, le Gouvernement a souhaité reporter à 2025 les prochaines élections provinciales initialement prévues à la fin de l’année 2024, ainsi d’ailleurs que les élections du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Il a opportunément saisi la proposition de loi organique présentée par le président Kanner et plusieurs de ses collègues et en a fait un véhicule législatif utile et pertinent, permettant de régler la situation juridique et d’inscrire définitivement le report de ces élections dans un délai suffisamment court. En effet, la Haute Assemblée se prononcera aujourd’hui et l’Assemblée nationale devrait le faire, en principe, le 6 novembre prochain. Quant au Gouvernement, il espère pouvoir ensuite publier le texte définitif dans un délai extrêmement rapide.

Trouver un large consensus sur ce report n’avait rien d’évident. Mais le déplacement que j’ai effectué en Nouvelle-Calédonie, la semaine dernière, m’a permis d’engager un dialogue avec l’ensemble des interlocuteurs, qu’ils soient élus ou issus du monde économique ou associatif. Force est de constater que ce qu’ils souhaitent avant toute autre chose, c’est que l’on apporte une réponse à la crise qu’ils traversent. Pour faire face à cette urgence, il est nécessaire d’éviter d’avoir à se projeter dans des élections provinciales, dans quelques semaines.

D’ailleurs, outre que le Conseil d’État, cela a été rappelé, a donné un avis favorable sur ce report, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a apporté son soutien à cette mesure par 47 voix pour, 2 abstentions et 1 voix contre, ce qui mérite d’être salué. Il y a là un consensus tout à fait remarquable, que l’on peut interpréter comme la volonté non seulement de s’engager dès à présent dans un processus de reconstruction pour réparer les dégâts matériels et économiques, mais aussi de rouvrir la discussion institutionnelle.

Nul doute que cette discussion doit être rouverte. Nul doute que nous reparlerons de l’ensemble des dossiers. Mais nous devons le faire dans un climat apaisé. Je le dis tout de go au président Kanner, aux rapporteurs et à l’ensemble des sénateurs présents dans cet hémicycle : j’inscrirai mon action dans la suite des conclusions du rapport d’information de 2022. Et les positions que je prendrai comme ministre chargé des outre-mer seront en tout point fidèles à celles du président de la commission des lois du Sénat que je fus. Procéder ainsi relève d’une forme de cohérence et d’une certaine bonne santé d’esprit, me semble-t-il ! (Sourires.)

Je termine ce propos en vous assurant que le Gouvernement soutiendra ce texte. Je salue le travail accompli par la commission des lois, en particulier pour assurer le prolongement des mandats des élus de la Nouvelle-Calédonie.

Je vous annonce également qu’une mission de techniciens sera mise en place dans les jours qui viennent.

Elle se rendra rapidement en Nouvelle-Calédonie pour travailler sur la reconstruction et pour face à l’urgence, en facilitant les procédures et en redonnant de l’oxygène aux communes et aux provinces, pour qu’elles retrouvent leur capacité budgétaire, ne serait-ce que pour payer leurs fournisseurs.

Elle travaillera avec les assurances, pour accélérer la prise en charge des dégâts, qui pose quelques difficultés, et pour soutenir l’ensemble des Calédoniens. Il faudra aussi étudier de nouveau la problématique du nickel, qui présente une certaine forme d’urgence. Cette mission aura donc pour vocation que tous se remettent au travail.

Il me reste à saluer le prochain déplacement des présidents des deux assemblées. Dans le cadre de leurs prérogatives parlementaires, ils ont naturellement toute liberté pour orienter comme ils le souhaitent cette mission. Celle-ci sera utile au Gouvernement, parce que nous ne serons jamais trop nombreux pour nous pencher sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Comme vous l’avez rappelé, il faudra travailler sur l’aspect institutionnel et revoir toutes les questions qui se posent – elles sont nombreuses. Dans le même moment, il faudra travailler à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, à son développement économique et social, à la convergence des points de vue, autant que faire se peut, et au respect des uns et des autres sur le territoire.

Aujourd’hui, nos compatriotes sont tous inquiets, et j’emploie là un terme qui n’est sans doute pas assez fort. Ils ont besoin de stabilité. Ils ont besoin d’une vision commune, qu’ils soient élus, entrepreneurs ou bien, tout simplement, habitants de la Nouvelle-Calédonie. Ce report nous donne du temps, et nous devrons le mettre à profit pour atteindre au mieux cet objectif.

Nous aurons besoin de tout le monde. Le Gouvernement prendra ses responsabilités et dira ce qu’il souhaite, dans une logique impartiale – nous en avons parlé –, mais avec détermination. Tous les élus de ce territoire, les maires en particulier, devront être largement associés. La société civile le sera ; les forces économiques et les entreprises le seront aussi. Au moment même où nous parlons, l’enjeu est vital pour la Nouvelle-Calédonie.

Je ne saurais terminer ce propos sans saluer, encore une fois avec une certaine gravité, les forces de l’ordre qui, sous l’autorité du Haut-Commissaire de la République, ont lutté contre des violences dont on ne peut imaginer l’ampleur tant que l’on n’a pas rencontré ceux qui les ont directement subies. Ces hommes et ces femmes ont besoin d’entendre la représentation nationale leur exprimer son soutien. Ils ont besoin de savoir que nous leur faisons confiance dans la mission qui est la leur, et Dieu sait qu’elle n’est pas simple.

Certes, la situation n’est pas tout à fait réglée et il faut être prudent, car le feu peut encore couver de-ci de-là. Mais je crois sincèrement que nous pouvons commencer à envisager une nouvelle période, qui sera extrêmement importante, pour la Nouvelle-Calédonie.

Encore une fois, je remercie le Sénat de son initiative, ainsi que le président Kanner, qui a accepté que le Gouvernement s’appuie sur son texte et en inscrive l’examen dans l’espace réservé à son propre ordre du jour, en engageant la procédure accélérée. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que vous voterez massivement ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et GEST. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)