M. le président. L’amendement n° 143 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 5 :

Après le mot :

et

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

de viser un mix de production d’électricité majoritairement nucléaire à l’horizon 2050 sous réserve de la protection des intérêts mentionnés au premier alinéa de l’article L. 593-1 du code de l’environnement ;

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. Accroître la production d’énergie décarbonée nécessite une relance inédite du nucléaire et l’accélération du déploiement des énergies renouvelables, deux énergies complémentaires.

Leur part respective dans le mix énergétique dépend des contraintes techniques et industrielles. Eu égard aux contraintes industrielles et de sûreté nucléaire, il ne peut être exclu que la part du nucléaire en 2050 soit légèrement inférieure à 50 %, en particulier en cas d’électrification massive des usages.

Ainsi, il convient de conserver le maximum de latitude possible à l’horizon 2050, au bénéfice du service rendu aux consommateurs d’électricité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Cadec, rapporteur. La commission n’est pas favorable à ces amendements, pour trois raisons.

Tout d’abord, leur adoption conduirait à supprimer une disposition déjà adoptée par le Sénat. Lors de l’examen de la loi Nouveau nucléaire de 2023, notre collègue Daniel Gremillet avait proposé, à l’article 3, de faire adopter un objectif de mix majoritairement nucléaire à l’horizon 2050.

Ensuite, ces amendements contreviendraient à l’ambition fixée par la présente proposition de loi, ce qui aurait pour effet de la dénaturer complètement.

Enfin, ils vont à l’encontre des positions des acteurs économiques, qui nous ont tous demandé de conserver l’article tel qu’il est rédigé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 133 ?

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. Le Gouvernement est plutôt favorable à l’amendement n° 133. Toutefois, je vous propose de le retirer au profit de notre amendement n° 143 rectifié, afin de consolider la modification suggérée.

M. le président. Monsieur Gay, l’amendement n° 133 est-il maintenu ?

M. Fabien Gay. Je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je le mets donc aux voix.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 143 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 9 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 249
Pour l’adoption 51
Contre 198

Le Sénat n’a pas adopté.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 134, présenté par M. Gay, Mmes Corbière Naminzo, Margaté et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 5° quater De construire de nouveaux réacteurs nucléaires et des petits réacteurs modulaires sous maîtrise publique, avec l’objectif qu’au moins 9,9 gigawatts de nouvelles capacités soient engagées d’ici 2026 et que des constructions supplémentaires représentant 13 gigawatts soient engagées au-delà de cette échéance ;

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Dans le texte de la commission, il est proposé de construire 15 SMR et 14 EPR2, plus éventuellement 6 EPR2 supplémentaires…

Je le répète, je vois là toute la limite de cette proposition de loi : on prendrait une telle décision sans étude d’impact, sans avis du Conseil d’État, mais aussi sans débat sur la question de l’eau. Or, dans les trente prochaines années, la construction de 20 EPR2, combinée au remplacement des réacteurs existants, ne manquerait pas d’amplifier les conflits d’usage que l’on connaît, surtout au vu des sécheresses prévues. Ne pas avoir ce débat tout à fait sérieux nous mettrait en difficulté.

C’est pourquoi, pour notre part, nous proposons d’en rester à l’objectif initial de 6 EPR2 ; on verra bien ensuite.

La seconde question est celle du financement de ces projets. Le coût de 6 EPR2, c’est 67 milliards d’euros. Aujourd’hui, EDF n’a pas cet argent.

Nous vous posons donc de nouveau, madame la ministre, la question que nous avons déjà posée dans la discussion générale et que notre collègue Franck Montaugé a réitérée tout à l’heure : comment votre gouvernement compte-t-il assurer le financement des six premiers EPR2 ? Où pense-t-il trouver ces 67 milliards d’euros ?

La question est d’autant plus pressante que votre gouvernement, dans son projet de budget 2025, a pris la décision de ne plus taxer les rentes inframarginales, mais de frapper la production des énergéticiens, EDF au premier chef.

Si ce budget est voté – c’est bien votre intention, puisque votre gouvernement le propose –, on amputera EDF de 3 milliards d’euros, tout en laissant les roquets alternatifs continuer à se gaver sans remettre un rond dans le pot commun !

Là, vous allez avoir un problème : vous ne pouvez à la fois prendre la décision de relancer le nucléaire en fixant un objectif de 20 nouveaux EPR, soit un investissement de 200 milliards d’euros, et instaurer une fiscalité extrêmement négative sur la production. Ce sont tout de même deux signaux complètement différents que vous envoyez là !

C’est pourquoi, madame la ministre, je le redis, nous vous remercions de bien vouloir répondre à cette question.

M. le président. L’amendement n° 144 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 7

1° Première phrase

Remplacer les mots :

Construire au moins

par les mots :

Tendre vers

et les mots :

au moins quatorze réacteurs électronucléaires de troisième génération et quinze installations de

par les mots :

des réacteurs électronucléaires de grande puissance et des

2° Deuxième phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

La construction d’au moins 10 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées, dont six réacteurs électronucléaires de grande puissance, est engagée d’ici 2026 et la construction supplémentaire d’au moins 13 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées, dont huit réacteurs électronucléaires de grande puissance et un petit réacteur modulaire, est engagée d’ici 2030.

3° Troisième phrase

Après la référence :

L. 100-1 A,

rédiger ainsi la fin de la phrase :

la construction d’au moins 10 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées est étudiée.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. L’objectif du Gouvernement est bien d’engager, d’ici à 2026, un programme de construction de 10 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires, au travers de 6 EPR2, pour une mise en service entre 2035 et 2045. S’y ajoute le développement d’un petit réacteur modulaire, ainsi que les SMR soutenus dans le cadre du plan France 2030. Les travaux relatifs aux 8 réacteurs supplémentaires sont en cours.

À mon sens, il importe d’éviter de figer prématurément la puissance totale et le nombre de réacteurs qui seront construits à l’horizon 2050, afin de se préserver une latitude suffisante en matière d’innovation et de diversité des projets. Il convient aussi, selon moi, de ne pas s’enfermer dans une technologie : on étudie la possibilité de construire 6 réacteurs supplémentaires, mais ceux-ci ne seraient pas forcément de troisième génération.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Cadec, rapporteur. L’amendement n° 144 rectifié du Gouvernement tend à consolider l’ambition initiale de l’auteur de la proposition de loi.

La rédaction proposée permettrait de cranter la construction de nouvelles capacités de 23 gigawatts d’ici à 2030, ce qui correspond aux 14 EPR2 que nous prévoyions et à un premier SMR, et de 27 gigawatts d’ici à 2050, en accord avec le scénario N03 de RTE. Elle conserve également l’étude, d’ici à la prochaine loi quinquennale sur l’énergie, de 10 gigawatts supplémentaires, soit 6 EPR2 supplémentaires, en cas de réindustrialisation.

La commission s’en remet donc à la sagesse de notre assemblée sur cet amendement.

À l’inverse, adopter l’amendement n° 134 éroderait l’ambition initiale de l’article 3. La rédaction suggérée ne permettrait de cranter que la construction de 23 gigawatts d’ici à 2030, correspondant aux 14 EPR2 et à un premier SMR.

J’ajoute que mentionner la nécessité d’une maîtrise publique poserait une difficulté au regard des règles de la commande publique. Au reste, elle n’est pas nécessaire, puisque la loi Nouveau Nucléaire du 22 juin 2023, qui doit servir de socle à la relance du nucléaire, ne permet la construction d’EPR2 que dans les sites existants déjà nucléarisés, excluant une complète ouverture à la concurrence.

L’avis de la commission sur l’amendement n° 134 est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 134 ?

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. Je remercie le rapporteur de son avis de sagesse sur l’amendement du Gouvernement et je sollicite le retrait de l’amendement n° 134 à son profit.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Pardonnez-moi, madame la ministre, mais je n’ai pas entendu votre réponse sur le financement.

On peut avoir tout un débat sur le nombre de réacteurs à construire – 6, 14 ou 20 –, mais même pour les 6 premiers, l’addition est déjà de 67 milliards d’euros. Comment EDF peut-elle trouver cette somme, avant même la taxe que vous allez lui imposer ? Elle ne l’a pas, car elle a déjà été amputée de beaucoup d’argent, notamment à cause de l’Arenh et de l’Arenh+, qui lui auront coûté 8,4 milliards d’euros.

Et maintenant, voilà la nouvelle taxe ! Vous aussi, chers collègues de la droite sénatoriale, il faudra que vous nous disiez ce que vous en pensez, car on ne peut à la fois défendre 20 nouveaux EPR2 et cette taxe sur les unités de production.

Vous imaginez le signal qu’on envoie à EDF ! L’entreprise va se dire : « Pourquoi irais-je investir dans de nouvelles capacités de production nucléaire si c’est pour être taxée ? Plus je vais produire, plus je serai taxée, alors que mes concurrents, qui, eux, n’investissent pas un seul euro dans la production et se contentent de revendre l’énergie que je leur fournis, peuvent rester tranquilles. » Il y a là, je le redis, une contradiction extrêmement forte.

C’est pourquoi, au point où nous en sommes du débat, madame la ministre, je me permets d’insister : il faut que vous nous répondiez, pour que l’on y voie plus clair sur cette question. J’étudierai cette réponse et, si elle nous convient (Sourires.), je retirerai mon amendement au profit du vôtre.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Dans le prolongement des propos de Fabien Gay, je crois qu’il faut prendre le temps d’entrer un peu plus avant dans les détails, comme l’a fait la commission d’enquête que j’ai présidée.

En réalité, ces investissements colossaux peuvent être financés par trois techniques : le recours à des fonds souverains ; la mise en place d’une base d’actifs régulée à partir des équipements nucléaires à construire ; enfin, la mise en place de contrats pour différence et de contrats de type PPA (Power Purchase Agreement). Ces trois techniques peuvent être combinées.

Quelle réflexion mène le Gouvernement sur cette question fondamentale ? Quelles orientations retient-il pour le financement du nouveau nucléaire, mais aussi du grand carénage, c’est-à-dire de la prolongation de la durée de vie des réacteurs existants ? S’y ajoute la question des réseaux de transport et de distribution. Tous ces projets aboutissent à une somme gigantesque.

Nous voulons connaître la position du Gouvernement sur ces questions absolument fondamentales, qui surdéterminent le reste. Notre efficacité en dépend, tout comme, de fait, notre souveraineté économique nationale. Je vous remercie donc de bien vouloir nous répondre, madame la ministre.

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.

M. Yannick Jadot. Je voudrais abonder dans le sens de mes collègues. EDF fait déjà face à un mur d’investissement absolument colossal – on parle de 100 à 150 milliards d’euros ! – autour du carénage, des démantèlements, quand le temps en viendra, ou encore du traitement des déchets : les sommes en jeu sont astronomiques.

Rappelez-vous la façon dont le projet de Hinkley Point a été négocié par Emmanuel Macron quand il était ministre de l’économie : tous les surcoûts retomberont sur EDF, donc in fine sur le contribuable français ! Telle a été la magie de l’action de M. Macron : faire des contrats avec des Chinois exclus de bien des pays pour espionnage industriel et mettre tous les surcoûts sur le dos d’EDF !

Fabien Gay a rappelé la somme de 67 milliards d’euros qui correspond à la facture révisée des 6 EPR2 prévus. Mais elle ne comprend pas les frais financiers. C’est pourquoi je parlais de 13 milliards d’euros au moins par réacteur.

Certes, le financement n’est pas totalement le sujet de la proposition de loi, mais il va tout de même bien falloir trouver de l’argent ! Nous sommes tous extrêmement sérieux dès qu’il s’agit du budget. Eh bien, on ne peut pas ainsi faire valser les milliards sans s’interroger sur leur provenance, ainsi que sur la rentabilité et l’efficacité des dépenses, y compris, in fine, dans le prix du kilowattheure.

M. le président. Monsieur Gay, l’amendement n° 134 est-il maintenu ?

M. Fabien Gay. Je n’ai pas entendu de réponse de Mme la ministre… Par conséquent, je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 134.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 144 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 145 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Supprimer les mots :

et d’une disponibilité moyenne de cette capacité installée de 75 % à l’horizon 2030

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. Aux termes de l’article 3, toutes les installations de production d’électricité d’origine nucléaire seraient maintenues, avec un objectif de capacité installée de 63 gigawatts jusqu’en 2035 et un taux de disponibilité de cette capacité installée de 75 % à l’horizon 2030.

Le Gouvernement partage l’objectif de maintenir en fonctionnement les réacteurs nucléaires existants aussi longtemps que les exigences de sûreté le permettent. Je tiens d’ailleurs à rappeler que, quand j’étais députée, j’avais fait adopter un amendement visant à étudier la possibilité de porter la longévité des réacteurs à soixante ans, voire au-delà.

Je suis donc favorable à une amélioration de la disponibilité du parc. En revanche, je ne juge pas souhaitable d’inscrire dans la loi un objectif chiffré de disponibilité, car celle-ci peut être affectée par des facteurs tels que la crise du covid-19 ou des exigences de sûreté, comme on a pu le constater avec les problèmes dus à la corrosion sous contrainte.

Je vous invite par conséquent à adopter le présent amendement, qui vise à supprimer l’objectif chiffré de disponibilité des réacteurs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Cadec, rapporteur. Je trouve cet objectif de disponibilité plutôt intéressant, car il traduit la volonté de disposer d’un parc nucléaire résilient, même si j’entends les arguments de Mme la ministre.

L’avis de la commission est donc favorable.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. J’essaie de comprendre la logique initiale du texte, même si l’on voit bien que, avec le présent amendement, le Gouvernement se veut plus prudent.

À ce propos, je veux rendre hommage à Mme la ministre, qui a présidé un groupe de travail sur la sobriété énergétique auquel j’ai eu l’honneur d’appartenir. Ce groupe de travail a eu une efficacité redoutable, puisque la consommation électrique ne repart pas en France : bravo, madame la ministre ! (Sourires.)

J’en reviens à la logique de cet alinéa. On dit que l’on veut absolument garder, le plus longtemps possible, toute la capacité de production nucléaire existante ; on veut encore y ajouter 6, 14, voire 20 EPR, plus des SMR ; enfin, si j’ai bien entendu Daniel Gremillet tout à l’heure, on a évidemment besoin, d’ici à 2035, de mettre le paquet sur les énergies renouvelables. Mais qui va acheter toute cette électricité ? Il n’y a pas la demande pour une telle production ! On aura donc des prix négatifs sur le marché, c’est couru d’avance !

Quand on fait de la planification, on a une colonne pour la demande et une colonne pour la production ; il existe une certaine marge d’erreur, mais on essaie de les faire correspondre. À l’inverse, on est en train de faire ici quelque chose d’hallucinant, de manière en outre complètement déconnectée du marché européen : à aucun moment on n’observe ce qui se passe au Portugal et en Espagne, où l’on va arriver à 75 %, voire à 80 % d’électricité renouvelable dans le mix, avec des prix de marché bien inférieurs à ceux qui ont cours en France. Certes, c’est depuis la crise de la covid-19, et ce n’est pas lié uniquement à la fluctuation de l’offre et de la demande ; il n’en reste pas moins que ce que l’on est en train de faire dans notre pays, depuis le discours de Belfort et avec ce genre de propositions de loi, même si l’on ne sait pas trop en l’occurrence où elle finira, c’est tout simplement de ruiner la France !

On prépare le crash d’EDF : on aura de l’électricité qui sera vendue bien moins cher que son coût de production et des clients électro-intensifs qui choisiront des pays où c’est moins cher encore. Tout cela ne marche pas, et il serait temps que l’on reprenne un peu conscience de la situation !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Il serait intéressant, selon moi, de maintenir dans le texte cet objectif de disponibilité.

Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut donner de la perspective aux acteurs de la filière, EDF au premier chef, pour ce type de production. Fixer un objectif de disponibilité, c’est aussi motiver et éclairer les engagements de la Nation à l’égard de l’opérateur énergétique majeur qu’est EDF.

Je ne pense donc pas que ce soit une bonne chose que de supprimer cet objectif, même si je puis entendre vos arguments, madame la ministre : il y aurait selon moi plus d’inconvénients à supprimer cet objectif qu’à le conserver.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Cadec, rapporteur. Je souhaite formuler une petite remarque en passant : ce qu’il y a de bien avec M. Dantec, c’est sa modestie : il sait tout et il a toujours raison !

M. Ronan Dantec. Je suis d’accord ! (Sourires.)

M. Alain Cadec, rapporteur. Il n’y en a pas un autre dans l’hémicycle qui soit comme vous, monsieur Dantec, vous êtes incontestablement le champion ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. Lorsque nous avons inscrit dans ce texte un objectif de disponibilité de 75 %, c’était en réponse à la situation de crise que nous avions connue au cours des années précédentes : il était nécessaire, là encore, de rappeler aux producteurs d’électricité qu’il était indispensable de revoir leur copie en matière de capacité de production à un instant t.

J’ai entendu l’argument de Mme la ministre et je suis d’accord avec sa proposition de ne pas chiffrer l’objectif. Ce qui importe, c’est que ceux qui sont aux commandes comprennent que le Parlement est très attaché à cette obligation de résultat : il faut à chaque instant avoir une capacité de production injectable et pilotable. Je le dis aussi à notre collègue Ronan Dantec, parce que cette garantie doit répondre aux soucis de nos concitoyens et des collectivités, mais aussi permettre la réindustrialisation de la France.

M. Ronan Dantec. Ça ne marche pas !

M. Daniel Gremillet. Nous soutiendrons donc l’amendement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. On peut toujours faire des plans sur la comète. Rappelons-nous ce qui était prévu, en 1973, dans le plan Messmer : 1 000 térawattheures de consommation d’électricité en 2000. Or, à cette date, elle ne s’élevait en réalité qu’à quelque 450 térawattheures ; la prévision était complètement à côté ! Le résultat, ç’a été un parc surdimensionné, qui produisait pratiquement à perte ; en tout cas, on vendait à perte aux autres pays européens, bien contents d’acheter cette électricité bon marché payée par le contribuable français !

Et voilà que l’on repart dans la même direction, en se disant que la consommation d’électricité va exploser. Certes, il devrait y avoir des augmentations tangibles de consommation, avec les pompes à chaleur et l’électrification des transports. Mais ces hausses sont chiffrées ; ainsi, on évalue la consommation supplémentaire dans le secteur des transports à quelque 60 térawattheures.

Or on va plutôt, avec ce texte, vers des productions d’électricité qui vont se révéler démesurées : on va se retrouver avec un parc sous-exploité, alors même que, comme on l’a rappelé tout à l’heure, le nucléaire ne représente tout de même pas de petits investissements.

On demande, à cet alinéa, que le parc fonctionne à 75 % ; mais il ne fonctionnera peut-être qu’à 50 % faute de demande. On le voit bien aujourd’hui, même si les productions renouvelables sont variables, voire intermittentes pour le solaire, il y a des moments dans la journée, de plus en plus fréquents, où le prix du mégawattheure est négatif.

Or je ne sais pas comment EDF va réussir à engranger des profits avec de plus en plus de mégawattheures négatifs, d’autant que les autres pays avancent à marche forcée sur les énergies renouvelables : au-delà du continent européen, je note que 450 gigawatts de capacité ont été installés l’an dernier à l’échelle mondiale ; d’ici à 2030, ce sera 1 000 gigawatts par an. Mais nous, nous resterons avec notre superbe parc nucléaire, dont personne ne voudra l’électricité !

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour explication de vote.

M. Stéphane Piednoir. Ce qui est bien, dans ce genre de débats, c’est que l’on a affaire à des devins ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

J’y apprends beaucoup de choses, parce que, pour certains, l’avenir est déjà écrit. On n’a donc plus besoin de faire des rapports, on peut cesser de faire de la prospective : j’invite tous mes collègues de l’Opecst à arrêter de plancher sur les nouvelles technologies à dix, vingt ou trente ans : nous avons déjà parmi nous les sachants, nous avons un puits de science à nos côtés, profitons-en allégrement ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations amusées sur les travées du groupe GEST.)

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Stéphane Piednoir. Plus sérieusement, il y a, me semble-t-il, une différence entre la puissance installée et la consommation.

M. Ronan Dantec. Là, on est d’accord !

M. Stéphane Piednoir. Le problème, c’est que l’électricité, aujourd’hui, ne représente qu’un quart de la consommation d’énergie en France.

M. Daniel Salmon. Tout à fait !

M. Stéphane Piednoir. Si j’ai bien compris les différents rapports et documents de prospective, on veut faire passer cette proportion à 55 %, par un changement des usages.

On pense bien sûr à l’électrification des transports, mais ce n’est pas le plus important : le changement majeur viendra de l’industrie, car c’est là que sont les plus gros consommateurs d’énergie. Ainsi de l’hydrogène, dont on a déjà parlé au cours du débat : tout le monde sait qu’il est actuellement produit par des procédés qui sont extrêmement polluants. Si l’on veut passer demain à une électrolyse de masse, il nous faudra de l’électricité de masse ! C’est là, en fait, qu’est le gap : si l’on veut réindustrialiser notre pays, il faut lui permettre d’accéder à une électricité à bon marché.

Par ailleurs, mes chers collègues, quand je vous entends parler, j’ai l’impression que vous n’avez pas vécu la même crise de l’énergie que nous. J’ai l’impression que vous n’avez pas entendu les Français se plaindre, des mois durant, de leurs factures d’électricité, qui ont dépassé des sommets incroyables.

Aujourd’hui, vous nous dites que ce n’est pas grave, que le vrai danger, c’est que l’on va produire de l’électricité à perte. Pardonnez-moi, mais il me semble que nous ne sommes pas dans le même débat et que nous ne vivons pas sur la même planète ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.

M. Yannick Jadot. Mes chers collègues, on peut avoir ce débat sans s’envoyer à la tête des expressions comme « les sachants », « vous avez toujours raison », « vous êtes des devins »…

M. Alain Cadec, rapporteur. Mais c’est vrai ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Yannick Jadot. Pardonnez-moi, mais on dispose tout de même aujourd’hui de chiffres sur les coûts de l’électricité qui sont incontestables : il faut lire les rapports de l’Agence internationale de l’énergie et de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) : on y constate que les énergies renouvelables sont meilleur marché. Et c’est tant mieux : faisons-en une chance !

En revanche, on sait que le mégawattheure produit par un EPR reviendra à 130 euros, ce qui est tout de même assez cher ! Regardez les difficultés que rencontre le gouvernement britannique pour faire accepter par ses citoyens que ce seront eux, en tant que consommateurs, qui paieront le prix du kilowattheure nucléaire, sans subvention publique.

Ce sont des débats importants, que l’on peut tout de même avoir, entre nous, sans s’envoyer des invectives qui nous éloignent du débat de fond sur les coûts réels des différentes énergies, sur leur disponibilité et sur ce qu’on sera capable de faire dans les années qui viennent.