Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Comme vous l’avez mentionné, monsieur le rapporteur général, la France fait l’objet, ainsi que six autres pays de l’Union européenne, d’une procédure de déficit excessif engagée par la Commission européenne.
C’est effectivement, comme vous l’indiquez, un enjeu de crédibilité pour notre pays, y compris, au-delà de la simple question budgétaire, pour toutes les politiques que nous voulons promouvoir – souveraineté technologique, défense, protection de nos agriculteurs, etc. L’influence, la voix de la France en Europe, dépendra aussi de la crédibilité de la trajectoire fiscale et budgétaire que nous communiquons à nos partenaires.
Vous savez que le Premier ministre et le Gouvernement en font une priorité majeure. Nous allons entrer ces prochains mois dans un cycle budgétaire qui permettra de lancer une trajectoire de redressement de nos comptes publics pour revenir à 3 % de déficit à l’horizon 2029. Cette année, nous vous proposerons un budget ambitieux de réduction de notre dépense publique, laquelle est aujourd’hui la plus élevée de l’OCDE, ce qui nous placera sur cette trajectoire.
Vous avez raison de le rappeler, nos partenaires nous attendent sur ce sujet et nous serons au rendez-vous. Au-delà de la question de l’équilibre des comptes publics, il y va de la crédibilité de nos positions sur tous les grands dossiers européens.
J’ajoute que l’Union européenne devra dégager des ressources pour investir dans les industries d’avenir, comme la technologie de l’intelligence artificielle, la défense, l’espace, l’énergie. Nous devrons collectivement, à l’échelon européen, dégager des ressources d’épargne à la fois privée et publique pour pouvoir investir au même niveau que nos concurrents et partenaires, notamment les États-Unis, à l’instar de ce que nous avons su faire lors de la crise du covid-19 avec le plan Next Generation EU. C’est le message que portera la France en s’appuyant sur les conclusions du rapport Draghi.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, pour la réplique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le ministre, j’apprécie le ton de votre discours, qui a radicalement changé. En effet, vous avez repris calmement les arguments que nous développons depuis un certain temps sur le dérapage de nos comptes publics, qui nous met en situation de fragilité, et pas seulement par rapport aux objectifs du pacte de stabilité et de croissance. C’est aussi un enjeu de souveraineté, car nous nous mettons dans la main des marchés, qui ne font pas de cadeaux. Nous le savons, la dette appartient de plus en plus à des investisseurs étrangers, avec des taux en progression et des conditions qui risquent de peser lourdement…
Monsieur le ministre, je vous charge de sensibiliser vos collègues du Gouvernement sur l’importance de l’allégement de la dette, qui passe aussi par une meilleure implication au niveau européen.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, vous avez parlé de votre hémicycle de cœur. Sachez qu’ici – vos prédécesseurs me l’ont dit à plusieurs reprises –, c’est comme dans le film Bienvenue chez les Ch’tis : on pleure quand on arrive, mais aussi quand on part. (Sourires.)
Tout semble se remettre enfin en ordre de marche, mais le monde ne nous a pas attendus. L’ordre du jour du prochain Conseil en témoigne, avec un volet international d’une ampleur considérable, reflet de l’intensité de la période que nous vivons.
L’Union européenne semble bien impuissante pour mettre fin à la guerre en Ukraine, éviter l’embrasement autour d’Israël ou apaiser la situation au Soudan. Même sur son cœur de métier, sur lequel je vais me concentrer, l’Union est à la peine : la liberté de circulation qui la fonde est chaque jour plus contestée.
Près d’un tiers des États membres, dont notre pays et désormais l’Allemagne depuis trois semaines, ont rétabli temporairement les contrôles aux frontières intérieures, conformément au code Schengen qui l’autorise en cas de menace grave pour l’ordre public et la sécurité intérieure. La pression politique a encore augmenté d’un cran avant-hier, avec l’appel d’une majorité d’États membres, dont la France, à réviser la législation sur les retours des migrants irréguliers.
La triste actualité nous le rappelle trop souvent : il est indispensable de garantir l’éloignement efficace des personnes qui n’ont pas le droit de rester sur le territoire de l’Union, sans quoi la politique européenne de l’asile sera menacée. D’ores et déjà, la Hongrie, après les Pays-Bas, a demandé à la Commission européenne une exemption des règles européennes en matière d’asile et de migration si une modification des traités devait avoir lieu à l’avenir.
Monsieur le ministre, que compte proposer la France à ses partenaires, précisément, pour répondre efficacement au défi migratoire ? J’y suis quotidiennement confronté dans mon département et j’en suis convaincu : c’est un défi européen qui appelle une réponse européenne.
La compétitivité du marché intérieur est un autre défi proprement européen. C’est la condition sine qua non de la souveraineté européenne, qui est d’autant plus vitale que l’instabilité géopolitique transforme nos dépendances en vulnérabilités. C’est pourquoi les rapports rendus avant l’été, par Enrico Letta sur l’avenir du marché intérieur, puis par Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne, ne sauraient rester lettre morte.
Décrochage clair de sa croissance ; moindre accès aux marchés mondiaux ; perte de son principal fournisseur d’énergie ; nécessité de réinvestir dans la défense, mais aussi dans les technologies émergentes après avoir manqué le train du numérique ; perspectives démographiques négatives : le constat est sombre pour l’Union, qui ambitionne d’être leader dans les nouvelles technologies – phare de la responsabilité climatique et acteur indépendant sur la scène mondiale –, tout en gardant son modèle social. Il s’agit d’un « défi existentiel », comme le dit Mario Draghi, et l’Union doit vite réagir, en trouvant comment devenir plus productive.
Le Conseil européen risque de reporter ce sujet à sa rencontre informelle en novembre, mais nous ne pouvons pas attendre, monsieur le ministre ! D’ores et déjà, l’Espagne propose un « laboratoire de compétitivité » pour tester des initiatives avec quelques États membres avant d’envisager de les étendre à tous : la France, que nous savons très occupée à rétablir sa crédibilité budgétaire auprès de ses partenaires et qui sort également affaiblie du changement in extremis de son candidat pour la Commission européenne – le choix a été trop rapidement fait –, ne doit pas rester à l’écart de cet élan.
Je voudrais insister sur l’enjeu démocratique qui s’y attache. Ces réformes ambitieuses ne seront durables que si elles bénéficient d’un soutien démocratique. Mario Draghi lui-même a appelé à veiller à ce que nos institutions démocratiquement élues soient au centre de ces débats. Les parlements nationaux en font partie et je souhaitais, monsieur le ministre, le rappeler fortement ce soir : il importe que l’exécutif prenne bien soin d’associer le Parlement aux réorientations profondes de l’Union qui s’annoncent.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le président, je ne suis pas sans savoir que votre territoire est au cœur de cet enjeu migratoire. Je vous remercie d’avoir souligné qu’il s’agissait d’un enjeu européen appelant une réponse européenne, laquelle devra être robuste, ferme, humaine. La maîtrise de l’immigration attendue par nos concitoyens fait aujourd’hui consensus chez nos partenaires européens. La crédibilité de l’Union sera jugée à l’aune de sa capacité à obtenir des résultats concrets dans la maîtrise des flux migratoires.
Nous avons adopté le pacte européen sur la migration et l’asile, qui est une avancée majeure. Il permet notamment une première sélection des demandeurs d’asile aux frontières de l’Union européenne. Nous appelons maintenant, avec nos partenaires, à sa mise en œuvre rapide, mais globale, et non pas différenciée. En effet, on commence à voir émerger un débat chez certains pour mettre en œuvre certaines parties du pacte avant d’autres.
Nous militons, pour notre part, en faveur d’une approche globale et équilibrée des différentes problématiques auxquelles sont confrontés les États membres : c’est ce qui fait la force et la justesse de ce pacte. Pendant trop longtemps, nous avons laissé certains partenaires, comme l’Italie et la Grèce, seuls face au défi migratoire. Nous avons une responsabilité collective à cet égard.
Il faudra aussi penser aux prochaines étapes, notamment la directive Retour. Je rappelle à ce sujet les efforts déployés par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur pour réformer ce texte et permettre une expulsion plus rapide des déboutés du droit d’asile. Il importe également de repenser les instruments des politiques externes de l’Union européenne : la politique des visas, les accords commerciaux, la conditionnalité de la politique d’aide au développement, ainsi que les partenariats plus globaux avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. C’est un enjeu véritablement générationnel, compte tenu des bouleversements climatiques, démographiques et économiques auxquels font face ces régions. Cela doit être au cœur des priorités de la politique externe de l’UE.
Enfin, je vous remercie d’avoir parlé de la compétitivité. La France sera au rendez-vous de ce débat. Nous porterons des propositions avec nos partenaires, notamment sur les investissements. L’Union devra opérer un changement de braquet, après avoir mis l’accent ces dernières années sur la régulation pour encadrer les plateformes numériques, pour protéger notre industrie et notre souveraineté technologique. Nous devons maintenant mettre en œuvre les mesures qui permettront d’avoir l’environnement le plus propice à l’innovation, à l’entrepreneuriat. Il importe également d’unifier les marchés de capitaux, une étape absolument essentielle. Sur ce dernier sujet, la France sera extrêmement active auprès de la Commission.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes, pour la réplique.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Je veux revenir sur Schengen et l’utilisation de cette possibilité qu’ont les États membres de fermer leurs frontières intérieures. C’est à mon sens un échec, même si cela peut paraître opportun. Ce qui compte, c’est la protection des frontières extérieures avant tout. Le Sénat a fait un travail important sur Frontex que le Gouvernement pourrait reprendre.
Par ailleurs, sur l’union des marchés de capitaux, je rappelle que l’épargne des Européens représente 30 000 milliards d’euros. Il y a sûrement des choses à faire de ce côté-là avant d’envisager d’autres emprunts pour mettre en œuvre le rapport Draghi.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la présidente, mes chers collègues, je m’associe d’abord aux félicitations adressées à M. le ministre pour sa nomination, et je formule le vœu que s’engage une bonne collaboration avec le Sénat.
Il sera notamment question lors du Conseil européen des 17 et 18 octobre de la situation internationale, qui est critique. Mon intervention y sera consacrée.
Je commencerai par parler de l’Ukraine. Les négociations en vue de son processus d’adhésion ont débuté le 25 juin dernier à Luxembourg, conjointement avec celles relatives à l’adhésion de la Moldavie.
Lors des différentes auditions que nous avons menées ici, au Sénat, nous avons pu mesurer que la route pour l’adhésion serait plus longue que prévu. Bien que l’Ukraine doive faire face à une situation de guerre avec la Russie, il est, à mon sens, important de ne pas griller les étapes. Toute procédure d’adhésion, quelle que soit la situation du pays concerné, doit se faire sans précipitation et dans le respect des règles.
Lors de la réunion du Conseil européen de février 2023, les dirigeants de l’Union ont pris acte des efforts considérables que l’Ukraine a déployés en vue d’atteindre les objectifs indispensables pour justifier de son statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union.
Nous avons pu observer que l’Ukraine continuait de déployer d’importants moyens pour remplir les conditions d’adhésion à l’Union européenne. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si des points particulièrement litigieux au cours de l’examen analytique de la candidature pourraient retarder ce processus d’adhésion ?
Sur l’Ukraine toujours, il n’est pas neutre de rappeler que se tiendra bientôt, le 5 novembre 2024, l’élection présidentielle aux États-Unis. Deux scénarios sont possibles.
Le premier repose sur l’élection de Kamala Harris, l’actuelle vice-présidente.
Le second scénario, c’est la réélection de Donald Trump. Cette dernière hypothèse est la plus inquiétante, notamment pour la cause ukrainienne.
Donald Trump, dont la proximité avec Vladimir Poutine lors de sa présidence n’est plus à démontrer, a indiqué pouvoir mettre fin à la guerre en quelques heures s’il est réélu. Si cette solution se traduisait par l’arrêt de livraisons d’armes et de moyens par les États-Unis au profit de l’Ukraine, pour l’affaiblir considérablement, l’Union européenne serait-elle en mesure de pallier la fin de l’aide américaine ?
J’en viens maintenant à la situation au Moyen-Orient, deux jours après la première commémoration du tragique et sanglant attentat du 7 octobre 2023. Un an après, la situation politique est angoissante et la situation humanitaire dramatique.
Il est compréhensible qu’Israël, attaqué de toute part, se défende. Cependant, la situation au Liban, pays historiquement lié à la France, est particulièrement inquiétante.
Je tiens à saluer la rapidité du déblocage par l’Union de 30 millions d’euros en faveur de la population civile libanaise, afin que puissent être livrés rapidement une aide alimentaire et des moyens médicaux.
Ce conflit a provoqué des déplacements de population sans précédent au Liban. Selon le gouvernement libanais, depuis la mi-septembre, plus de 1 000 personnes ont été tuées et environ 1,2 million ont été déplacées à cause des bombardements. Aux dires de la Commission européenne, près de 2 millions de personnes, Libanais et réfugiés syriens, sont en situation de carence alimentaire dans ce pays.
Est-il utile de rappeler que le Hezbollah est une organisation terroriste aux ordres de l’Iran ? Pour autant, monsieur le ministre, il est impératif d’appeler lors de ce Conseil européen à une désescalade dans le conflit au Liban, pays dont la situation intérieure était déjà tendue, mais également à une désescalade globale au Moyen-Orient.
J’aurais aimé parler de la COP29, mais je manque de temps. C’est à mon sens une hérésie d’avoir choisi l’Azerbaïdjan pour accueillir celle-ci. Je vous informe au passage que je fais partie des soixante-seize parlementaires figurant sur une liste de persona non grata…
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Vous pouvez en faire un motif de fierté, monsieur le sénateur !
Vous connaissez les liens forts de l’Arménie et de la France, qui se traduisent dans l’action résolue du Gouvernement en faveur de la souveraineté et de la liberté de ce pays.
Sur l’Ukraine, vous avez raison de souligner les incertitudes que fait peser l’élection présidentielle américaine, qui aura plus largement un impact sur l’avenir de la relation transatlantique et l’architecture de sécurité européenne. Ces incertitudes nous imposent d’investir massivement dans notre outil de défense et dans la coopération industrielle européenne.
Ainsi, la France soutient activement la préférence européenne au travers de la stratégie industrielle européenne de défense (Edis) et du programme européen pour l’industrie de la défense (Edip), pour disposer d’une base industrielle de défense européenne autonome. Cela nous permettra de développer nos instruments de soutien à l’Ukraine sur le temps long.
J’ai mentionné le prêt financé sur les profits d’aubaine résultant de la gestion des avoirs gelés de la Russie au sein du G7. La France a pour priorité de flécher ces 50 milliards d’euros vers l’achat de matériel militaire, pour que les Ukrainiens puissent se défendre. Se posera aussi la question du renouvellement de la Facilité européenne pour la paix, qui a servi ces dernières années à financer les livraisons d’armes à ce pays. La France y est particulièrement attachée.
Pour ce qui concerne le Moyen-Orient, nous partageons votre position sur les messages principaux que nous devrons porter.
Nous avons commémoré voilà deux jours l’attaque barbare du Hamas du 7 octobre 2023 contre la population civile israélienne, au cours de laquelle quarante-huit de nos compatriotes ont été tués. Nous appelons à la libération inconditionnelle des deux otages franco-israéliens encore aux mains de cette organisation terroriste. Le Président de la République et la diplomatie française se mobilisent pour obtenir une désescalade dans la région, avec un cessez-le-feu, la libération de tous les otages, l’acheminement de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza et la relance du dialogue politique.
Vous avez raison de souligner la responsabilité du Hezbollah, et plus généralement de l’Iran, dans la déstabilisation régionale. Ce point sera d’ailleurs inclus dans les conclusions du Conseil européen. Y figureront également les différents paquets de sanctions adoptées par l’UE, ainsi qu’un appel à la protection de la population civile, à la désescalade et à la reprise du dialogue régional.
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le déchaînement de violence à l’encontre de populations civiles, que celles-ci se trouvent au Proche-Orient, en Ukraine ou encore au Soudan, ne connaît aucune trêve.
Après avoir fait déplacer 1,2 million de Libanais et provoqué la mort de près de 2 000 personnes par d’innombrables bombardements, après avoir perpétré sur le territoire libanais, les 17 et 18 septembre derniers, deux attentats ayant mutilé des milliers de personnes et tué des dizaines d’autres, dont des enfants, les forces armées israéliennes envahissent dorénavant le Liban.
Cette dévorante machine de guerre qui sévit à Gaza depuis le 7 octobre 2023 se déploie maintenant au Liban, où est bombardé le point de passage de Masnaa, qui est emprunté par des centaines de milliers de réfugiés pour fuir vers la Syrie.
Le bilan de l’acharnement à Gaza est à rappeler sans cesse : plus de 40 000 morts, dont 16 756 enfants, d’innombrables disparus présumés morts sous les décombres, un exode massif sans fin à la recherche éperdue d’un refuge qui n’existe pas.
Nourrissant ainsi les germes d’une guerre totale et, avec elle, l’espoir de faire taire toutes les dissidences à son projet colonial, le gouvernement israélien – je dis bien le gouvernement, et non pas le peuple israélien – bénéficie de l’hypocrisie complice des États-Unis et de la majorité des pays de l’Union européenne. D’un côté, ces gouvernements appellent timidement au cessez-le-feu ; de l’autre, ils continuent à fournir des armes à Israël.
Israël a assurément le droit de se défendre contre le terrorisme. Mais est-il réaliste de penser que le Hezbollah et le Hamas peuvent être éradiqués par les bombes, alors même qu’ils bénéficient d’un ancrage dans leur population ?
La guerre en Afghanistan et en Irak a coûté 21 000 milliards de dollars pour des résultats absolument navrants. L’organisation d’Al-Qaïda ne comptait au départ que quelques milliers de terroristes dans les montagnes d’Afghanistan. Elle a recruté à tour de bras en Irak, laissant ensuite place à Daech qui a su occuper un territoire aussi grand que la Grande-Bretagne entre la Syrie et l’Irak.
Mes chers collègues, les peuples ont besoin non pas de guerres, mais de justice, et surtout de paix. Et la paix ne peut pas s’obtenir sous les bombes.
Nous demandons justice pour le peuple palestinien, pour le peuple libanais, et aussi pour le peuple israélien.
Pour cela, il faut que les instruments diplomatiques de l’Union européenne frappent fort et juste contre le gouvernement de Netanyahou.
Monsieur le ministre, quand le Gouvernement mettra-t-il hors d’état de nuire la machine de guerre israélienne une bonne fois pour toutes ? Quel énième massacre Israël doit-il commettre pour que vous déclariez un embargo sur toutes les armes, des sanctions financières, ou encore que vous geliez les avoirs des criminels de guerre et de leurs soutiens ?
Monsieur le ministre, j’ajoute que reconnaître l’État palestinien n’est pas affaiblir l’État d’Israël.
L’Union européenne n’a pas tremblé pour prendre des sanctions à l’encontre de la Russie, qui, elle aussi, s’évertue à faire plier son voisin par une guerre d’agression.
La logique d’élargissement des conflits nous menace également à l’est de l’Europe. L’enlisement généralisé dans la guerre se confirme en Ukraine et en Russie. Le risque d’une escalade gravissime se renforce dès lors qu’aucune solution diplomatique n’est trouvée. La décision de Moscou, prise le 25 septembre dernier, de réviser sa doctrine nucléaire est grave et doit nous interroger. Le risque d’un conflit nucléaire est réel.
Son refus de jouer un rôle pour la paix, en laissant les feux de la guerre se propager de Gaza à Kiev en passant par Beyrouth, permet à l’Union européenne d’accélérer et de légitimer sa course à la remilitarisation. Alors que nous devrions agir en faveur d’un fonds de développement économique, social et écologique européen pour les services publics, c’est l’engrenage belliciste qui nous est promis. Pourtant, seule une politique de paix et de sécurité collective indépendante des logiques de blocs permettra de bannir la guerre et de construire la paix. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, vous revenez sur des sujets déjà évoqués par certains des intervenants précédents, mais je veux tout de même rappeler et souligner l’engagement de la diplomatie française. Le voyage récent au Liban et dans la région du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, en témoigne.
Je tiens aussi à insister sur l’engagement personnel du Président de la République, avec une position ferme et équilibrée depuis le 7 octobre 2023, qui consiste d’abord en une condamnation sans faille du terrorisme et de l’attaque barbare du Hamas contre la population civile israélienne, laquelle a causé plus de 1 200 victimes.
Emmanuel Macron s’est aussi engagé en faveur de la livraison d’aide humanitaire. D’ailleurs, la visite du ministre de l’Europe et des affaires étrangères a permis de fournir 12 tonnes d’aide humanitaire à la population civile libanaise la semaine dernière.
Enfin, la France milite pour un dialogue politique au service d’un processus de paix régional, qui doit aboutir à deux États, Israël vivant en sécurité au côté d’un État palestinien reconnu.
Je veux souligner encore une fois le rôle joué par le Hamas dans le déclenchement de cette guerre et de ce déchaînement de violence, et celui que joue l’Iran avec ses activités déstabilisatrices et son soutien à des proxys terroristes dans la région. Cela sera rappelé dans les conclusions du Conseil européen.
Pour conclure, je vous remercie, madame la sénatrice, d’avoir mentionné la situation au Soudan, qui est malheureusement trop souvent oubliée. Cette guerre civile a fait plus de 11 millions de réfugiés. C’est l’une des plus graves crises humanitaires de ce début de XXIe siècle. Je veux, là aussi, rendre hommage à l’action de la diplomatie française : 90 % des engagements financiers et humanitaires pris lors de la conférence de Paris, organisée par le Président de la République, ont été respectés. Nous continuerons à nous mobiliser avec nos partenaires européens pour que la population civile soudanaise ne soit pas oubliée et qu’une solution politique soit trouvée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour la réplique.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le ministre, à aucun moment je n’ai, me semble-t-il, contesté le fait que le Hamas était une organisation terroriste, qu’il n’est aucunement question de défendre. Mais j’ai aussi souhaité souligner la responsabilité de l’armée israélienne, aujourd’hui, dans les drames vécus par les populations civiles de la région.
Nous savons aussi que certaines positions d’ordre diplomatique vous empêchent probablement d’intervenir plus franchement dans ce conflit. C’est ce que je voulais mettre en lumière ce soir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier.
Mme Mathilde Ollivier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’ONU demande régulièrement un cessez-le-feu, que la situation humanitaire est cauchemardesque à Gaza, le gouvernement israélien a récemment étendu son action militaire au Liban.
Les attaques contre le Hezbollah libanais ont entraîné la mort de nombreux civils à la suite de frappes aériennes dans le sud du pays.
L’argument sécuritaire ne peut être entendu face à un nombre aussi important de victimes civiles : 41 000 morts et près de 100 000 blessés à Gaza ; 2 000 morts et 1 million de déplacés au Liban.
Une année s’est écoulée depuis les attaques terroristes du 7 octobre. Une année durant laquelle nous n’avons cessé de demander un cessez-le-feu et la libération des otages retenus par le Hamas ; nous ne les oublions pas.
Un apaisement durable, avec le cessez-le-feu que nous désirons tous, ne pourra être atteint dans cette escalade de violence. Le droit international doit être respecté, le massacre de civils doit cesser et les États européens doivent agir pour que soit ramenée la paix dans la région.
Cela fait aussi presque un an maintenant que nous demandons la fin de l’envoi d’armes à Israël face aux atteintes au droit international dont nous alerte régulièrement la Cour internationale de justice.
Nous saluons, bien qu’elle soit tardive, la prise de position d’Emmanuel Macron, qui a souhaité samedi dernier l’arrêt de l’envoi d’armes à Israël. Toutefois, il faut aller plus loin et agir à l’échelon européen. Nous demandons depuis plus de six mois maintenant une suspension de l’accord d’association entre l’UE et Israël. La France, lors du prochain Conseil, saura-t-elle prendre ses responsabilités et s’exprimer en ce sens ?
En ce qui concerne le Mercosur, nous avons appris récemment que onze États membres de l’UE avaient adressé une lettre à la Commission européenne pour accélérer les négociations en vue de la signature de l’accord de libre-échange avec cette organisation.
La position de la France, depuis la signature de l’accord d’association en 2019, a toujours été de bloquer tout accord qui ne comporterait pas de clauses miroirs sur les normes environnementales et sociales. Les écologistes dénoncent la concurrence déloyale liée à l’importation de produits qui ne respectent pas les normes sociales et de durabilité en vigueur en Europe.
Michel Barnier a indiqué être opposé à cet accord, dans la lignée de la position gouvernementale depuis 2019. Quelles actions comptez-vous mener au cours des prochains mois pour rouvrir les négociations, retarder la signature de l’accord, voire abandonner celui-ci ?
J’en viens au Sahara occidental. En 2020, le Haut-Représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, affirmait que « l’Union [considérait] le Sahara occidental comme un territoire non autonome, dont le statut final [serait] déterminé par le résultat du processus de l’ONU en cours ».
En 2022, une résolution de l’ONU appelait le Maroc et le Front Polisario à « parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, fondée sur le compromis, qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ».
Pourtant, le 30 juillet 2024, Emmanuel Macron a estimé que le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, qui ne comprend pas de recours à un processus d’autodétermination, était la « seule base de règlement » de ce conflit, en contradiction avec le droit international et les résolutions 1514 et 2072 de l’Assemblée générale des Nations unies, ainsi qu’avec les résolutions 690 et 1495 du Conseil de sécurité.
Alors, quels sont les impacts des divergences entre la France et l’Union européenne sur le Sahara occidental ?
Plus récemment, le 4 octobre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a annulé les accords sur la pêche et les produits agricoles passés entre l’UE et le Maroc en 2019, au motif que ces accords avaient été conclus en « méconnaissance des principes de l’autodétermination » du peuple sahraoui. La position prise par la France en juillet dernier ne semble prendre en considération ni le droit international ni le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
À cet égard, dans quel sens évoluera la position de la France lors des prochaines négociations de l’accord d’association entre l’Union et le Maroc ? Comment la France compte-t-elle inscrire ses actions et ses politiques relatives au Sahara occidental dans le respect des juridictions internationales et européennes ?
Pour finir, Greta Thunberg et plusieurs dizaines d’activistes ont été arrêtés samedi dernier à Bruxelles lors d’une action de désobéissance civile. Les militants bloquaient une route pour appeler à la fin immédiate des subventions apportées aux énergies fossiles par l’UE.
Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié en février 2023, ces subventions représentent plus de 50 milliards d’euros par an à l’échelle européenne. Une résolution adoptée par le Parlement européen à l’occasion de la COP28 appelle à ne plus utiliser les deniers publics au profit d’un secteur climaticide « d’ici 2025 au plus tard ». L’échéance est proche !
Où en sommes-nous dans la mise en œuvre de cet engagement et quelles positions défendez-vous en la matière à l’échelle européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)