Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, sur la question du Proche-Orient, je vous renverrai à mes réponses précédentes, même si, je le redis, je continuerai volontiers à échanger avec vous sur ces sujets et vous rendrai naturellement compte des conclusions du Conseil européen.

Je voudrais dire un mot de l’accord avec le Mercosur, que je vous remercie d’avoir mentionné. Sur ce point, je veux vous assurer que la position de la France reste extrêmement ferme.

Nous ne sommes pas opposés par principe aux accords de libre-échange. Nous avons soutenu les accords conclus par l’Union européenne lorsqu’ils comportent des clauses miroirs et respectent un principe de réciprocité, notamment en matière de normes environnementales, dont vous avez souligné l’importance à juste titre. Tel était par exemple le cas de l’accord avec la Nouvelle-Zélande.

Pour ce qui est du Mercosur, notre position n’a pas changé : nous considérons que, en l’état, cet accord n’est pas satisfaisant ; par conséquent, nous nous y opposerons. Hier encore, à Strasbourg, lors de la session plénière du Parlement européen, j’ai pu constater que ce sujet avait été évoqué, notamment par certains présidents de groupe. Nous continuerons à créer des coalitions avec nos partenaires pour réaffirmer cette position, qui protège nos intérêts économiques, commerciaux et environnementaux, mais témoigne aussi de notre exigence de respect des principes et de la souveraineté de l’Union européenne à travers le monde, dans les relations qu’elle entretient avec ses partenaires.

Sur la question du Sahara occidental, le Gouvernement réaffirme son attachement indéfectible à son partenariat avec le Maroc. La relation entre l’Union européenne et ce pays revêt un caractère stratégique. C’est une priorité pour nous, auprès de nos partenaires européens comme des institutions de l’Union. Nous appelons donc ceux-ci à poursuivre les travaux pour renforcer nos échanges, notamment économiques, avec le Maroc et préserver les acquis de ce partenariat.

À cet égard, comme le Président de la République l’a écrit à Sa Majesté le roi du Maroc à l’occasion de la Fête du Trône, la France reste déterminée à accompagner les efforts du Maroc en faveur du développement économique et social du Sahara occidental, au bénéfice des populations locales.

Concernant la décarbonation, vous n’ignorez pas que nous soutenons les objectifs ambitieux mis en place au travers du Pacte vert, qui permettront d’aboutir à la neutralité carbone, à un continent « zéro carbone » d’ici à 2050. Ces objectifs doivent désormais être mis en œuvre au cours de la nouvelle mandature de la Commission. La France y veillera, en conservant cet objectif d’investir de façon ambitieuse à la fois dans les énergies renouvelables, dans la décarbonation et dans le nucléaire, de manière à être le premier continent à atteindre la neutralité carbone.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.

Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le ministre, je vous interrogeais sur le Sahara occidental ; vous m’avez répondu sur le partenariat fort avec le Maroc. Ma question était sensiblement différente…

Quant au Proche-Orient, ma question portait spécifiquement sur l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, point sur lequel il ne me semble pas avoir entendu de réponse de votre part au cours du débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Monsieur le ministre, je veux avant tout vous présenter à mon tour mes vœux de réussite dans vos nouvelles fonctions, dans l’intérêt de la France et de la construction européenne.

À l’approche du prochain Conseil européen, ce débat préalable devant la représentation nationale nous semble bienvenu, car nous sommes depuis plusieurs semaines particulièrement inquiets.

Oui, nous sommes inquiets, car, dans un parallèle politique troublant entre les situations française et européenne, nous découvrons un exécutif européen qui nourrit des alliances contre nature et ne respecte plus les équilibres qui ont permis à l’Union européenne, pendant de longues années, de bâtir des compromis utiles à son développement.

Oui, nous sommes inquiets, car nous constatons amèrement que la France, après une fin de mandature déjà particulièrement compliquée, perd chaque jour en capacité à peser dans le jeu européen.

Ces constats devraient tous nous alerter, monsieur le ministre, sur le moment que nous connaissons.

Alors que l’Europe fait face à une question existentielle, dans un monde secoué par les guerres et miné par une compétition internationale exacerbée, une chape conservatrice s’abat aujourd’hui sur elle et risque malheureusement de mettre en danger ses valeurs et ses objectifs.

Mes chers collègues, nous avons un modèle à défendre, celui de la démocratie européenne, fondée sur la primauté de l’État de droit, sur le respect et la protection des droits humains et sur la solidarité.

Pourtant, pour la première fois, deux commissaires, italien et hongrois, ouvertement d’extrême droite et issus de partis politiques officiellement hostiles à l’Union européenne, figurent au sein de l’exécutif européen. Mme von der Leyen pouvait construire sa majorité en s’appuyant, au Parlement européen, sur les partis pro-européens, mais elle a finalement décidé d’accepter ces deux représentants de l’extrême droite et même d’élever le commissaire italien au rang de vice-président exécutif de la Commission.

Nous assistons ainsi à la banalisation d’alliances entre la droite du Parti populaire européen (PPE) et les groupes d’extrême droite que sont les Conservateurs et réformistes européens (CRE), les Patriotes pour l’Europe et l’Europe des nations souveraines (ENS). Cette tendance s’est fait jour dans une démarche commune en faveur d’une résolution sur le Venezuela, ou encore, plus récemment, pour empêcher l’audition des commissaires à l’agriculture et à la pêche par la commission de l’environnement du Parlement européen.

Monsieur le ministre, nous n’avons vu aucune réaction du Gouvernement à ces ronds de jambe faits à l’extrême droite ; je vous le dis très sincèrement, ce n’est pas acceptable !

Nous avons également assisté avec stupeur au changement express du commissaire européen français, dans un mouvement qui illustre finalement assez bien le moment : une soumission de la France à un diktat de la présidente de la Commission, qui ne tolérait plus le poids politique et la liberté de parole de Thierry Breton.

Cette décision devait, à ce qu’il paraît, garantir à la France, au travers de M. Séjourné, une vice-présidence exécutive et un portefeuille élargi ; finalement, notre commissaire hérite d’un périmètre bien moins important et influent que celui dont disposait Thierry Breton, amputé de l’industrie de la défense et du numérique. En outre, M. Séjourné sera plus étroitement encadré par trois commissaires issus du PPE, du fait des nombreuses co-supervisions ; ses collègues n’hésiteront pas à agir collectivement.

Cette mise au pas de la Commission européenne par Ursula von der Leyen, qui a parfaitement compris l’adage « diviser pour mieux régner », inquiète également, d’autant que cette reprise en main s’accompagne d’un fort renforcement de notre partenaire allemand au sein de la Commission européenne – relevons que de nombreux chefs de cabinet sont originaires de ce pays –, alors que les Français ont totalement disparu de ces fonctions, à en croire M. Breton.

Bien que la France et l’Allemagne connaissent toutes deux leurs difficultés internes, l’Allemagne n’a pas oublié l’importance d’une présence forte dans les différentes instances européennes.

Enfin, l’absence de commissaire à l’emploi et aux droits sociaux est un très mauvais signal envoyé à la nécessaire construction de l’Europe sociale, pourtant indispensable si nous voulons améliorer la situation des salariés et des plus précaires.

Tous ces éléments montrent que la France n’a pas pu ou su peser sur la constitution de la commission « von der Leyen II » ; finalement nous risquons de n’avoir qu’un rôle de second plan au cours de cette nouvelle mandature.

Pour conjurer ce danger, monsieur le ministre, nous vous demandons d’affirmer des orientations claires et de les défendre sans relâche lors de vos séjours bruxellois.

Pour notre part, nous ne transigerons pas sur ce que nous pensons devoir être les priorités des politiques européennes pour les années à venir.

Tout d’abord, nous serons particulièrement vigilants à l’évolution du Pacte vert.

Bien que la nomination de la commissaire espagnole Teresa Ribera en tant que première vice-présidente exécutive de la Commission pour une transition propre, juste et compétitive, soit une bonne nouvelle, nous craignons également qu’elle se retrouve particulièrement entravée et limitée par les nombreux découpages de compétences : pas moins de quatre commissaires seront par exemple responsables du pacte « Industrie propre ».

La droite et l’extrême droite ne cachent plus leur ambition de détricoter le Pacte vert : allégement des contraintes environnementales de la politique agricole commune (PAC), contestation de la directive sur la restauration de la nature, recul sur la diminution de l’utilisation des pesticides et sur la directive relative à la déforestation, remise en cause de la fin des moteurs thermiques en 2035, transformation du Pacte vert en pacte propre, pour certains, et relecture de la lutte contre le dérèglement climatique au travers du prisme de la compétitivité.

« Si on ouvre la boîte de Pandore, demain ce sera la taxe carbone aux frontières, après-demain l’extension du marché carbone aux bâtiments et aux transports… Toutes les pièces du Green Deal tomberont les unes après les autres. » Cette inquiétude, que je partage, est celle de Pascal Canfin, député européen du groupe Renew, proche du Président de la République.

Concernant l’agriculture, le choix de confier ce portefeuille au commissaire européen luxembourgeois – le Luxembourg n’est pas la plus grande nation agricole de l’Union européenne… – pose également question, alors même que la prochaine PAC sera essentielle pour l’avenir et l’évolution de l’agriculture européenne.

Rappelons que la Cour des comptes européenne a récemment reconnu que les plans stratégiques nationaux de la PAC ne permettaient aucunement de répondre aux objectifs fixés par le Pacte vert.

Nous serons également attentifs aux accords de libre-échange et à la position tenue par la France et son nouveau gouvernement.

Monsieur le ministre, nous attendons des clarifications de la position française sur le traité avec le Mercosur. Alors que certains annoncent que cet accord pourrait être scindé en deux afin de faciliter son adoption, à l’image du Ceta (accord économique et commercial global), la France aurait donné des gages à ses partenaires européens pour aboutir à un compromis. Le report de la mise en œuvre du règlement sur la déforestation serait même un premier signal envoyé au Brésil.

Alors que les agriculteurs connaissent de grandes difficultés et voient leurs revenus baisser, alors que la crise agricole menace de revenir dès cet hiver, la signature de cet accord en catimini, sans consultation de la représentation nationale, serait un véritable renoncement du Gouvernement et un déni de démocratie.

Enfin, l’un des sujets majeurs est bien sûr la gestion des migrations au sein de l’Union européenne et des différents États membres.

Nous avons été particulièrement choqués par les propos tenus par le ministre de l’intérieur sur les frontières Schengen et sur la remise en cause de la politique européenne d’asile.

Monsieur le ministre, cette position est-elle celle que vous défendrez au nom de la France à l’échelle européenne ?

Sur ce sujet, il convient de rappeler que nous sortons à peine d’une réforme du code frontières Schengen, adoptée le 24 mai 2024, et de l’approbation d’un tout nouveau pacte sur la migration et l’asile que la France a approuvé en juin et dont les mesures ne sont pas encore en œuvre. À peine adoptées, ces mesures sont déjà remises en cause par des responsables politiques qui semblent penser davantage à la surenchère politique qu’à la dignité des vies humaines.

Alors que plus de 50 % des frontières internes de l’espace Schengen sont déjà concernées par des contrôles temporaires, nous assistons à une politique migratoire européenne où chaque État membre fait ce qu’il veut sans respecter les cadres édictés.

Nous constatons notamment une fuite en avant sur le sujet de l’externalisation des procédures de traitement des migrants, approche où les conditions d’accueil et le respect des droits des demandeurs d’asile et des migrants passent au second plan.

Pour notre part, nous plaidons pour une profonde révision de la politique migratoire européenne.

Nous défendons la création de voies légales et sécurisées de migration, l’organisation de conditions de réadmission dans le cadre d’accords bilatéraux et l’arrêt de l’externalisation de nos politiques migratoires. Nous appelons au développement des compétences de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), afin qu’elle assure une meilleure gestion des demandes, ainsi qu’à une réforme en profondeur de la gouvernance de Frontex.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, sur ce sujet, nous serons très attentifs à l’action que vous mènerez au nom de la France, pays qui se doit de défendre une politique humaniste et solidaire, conforme à son histoire.

Nous ne doutons pas de votre connaissance des dossiers européens, ni de celle du Premier ministre, mais nous n’oublions pas les déclarations de M. Barnier sur la remise en cause de la primauté du droit européen sur le droit national, auxquelles, vous le savez, nous ne souscrivons pas.

Pour conclure, je veux évoquer les négociations, très importantes pour l’avenir de l’Union européenne comme pour le nôtre, qui sont devant nous.

Quel soutien supplémentaire sera apporté à l’Ukraine, pour faire mieux que résister, pour gagner ?

Quel cadre financier pluriannuel permettra de répondre aux défis de la compétition mondiale et au changement de paradigme climatique ? De quelles ressources sera-t-il doté, et avec quelle volonté de mobilisation de l’épargne des Européens et de levée d’emprunts mutualisés ?

Comment, et à quel rythme, répondra-t-on aux attentes légitimes des peuples ukrainien, moldave, géorgien, et à ceux des Balkans occidentaux de rejoindre l’Union européenne et d’être soustraits à l’influence russe ?

Comment défendra-t-on à l’intérieur de l’Union européenne l’État de droit, la démocratie et les droits humains, aujourd’hui remis en cause par plusieurs gouvernements illibéraux, et comment promouvra-t-on ce modèle à l’extérieur quand les tentations autoritaires se multiplient ?

Nous vous demandons, monsieur le ministre, à vous-même et au Gouvernement, de défendre et de poursuivre le projet européen.

Nous sommes inquiets, oui, mais nous restons pleinement combatifs et vigilants pour vous rappeler vos responsabilités, pour vous aiguillonner et pour contrôler les décisions que vous prendrez. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, je vous remercie de ce discours résolument pro-européen, et j’entends les exigences que vous formulez à l’égard du Gouvernement et de l’action de la France.

Je veux vous répondre sur quelques points précis, bien que je ne doute pas que notre conversation dure plus longtemps que cet échange.

Sur la question de l’influence, je voudrais vraiment, comme je l’ai déjà fait tout à l’heure, souligner que, au-delà du portefeuille de notre commissaire, les priorités portées par la France depuis le discours de la Sorbonne et l’agenda de Versailles sur la souveraineté européenne et l’autonomie stratégique se reflètent dans celles de la nouvelle Commission.

Quand la présidente de la Commission européenne parle de défense, de nucléaire, de souveraineté industrielle et technologique, voire de droits sociaux – ils sont inclus dans le portefeuille de l’une des vice-présidentes de la Commission –, il est bien question des priorités que nous défendons, avec nos partenaires. Je ne dis pas cela pour faire un satisfecit, car vous avez raison : l’influence se construit, patiemment, durablement, avec humilité, par notre présence au sein des institutions européennes et le dialogue permanent que le Gouvernement entier – tous les ministres et non pas seulement celui chargé de l’Europe – doit entretenir avec les parlementaires européens, le Conseil et la Commission, ainsi que le dialogue que les parlementaires français, députés et sénateurs, peuvent avoir avec leurs collègues européens, à Bruxelles comme dans les différents États membres. J’y veillerai tout particulièrement dans mon action, avec le Premier ministre et tous les membres du Gouvernement.

Cette stratégie d’influence doit être mise en œuvre. Nous avons un projet pro-européen : nous sommes là pour défendre les intérêts de la France, c’est-à-dire une Europe forte qui assume de défendre sa sécurité, ses intérêts et sa puissance sur la scène internationale.

Vous avez aussi mentionné l’État de droit, autre sujet fondamental. Vous connaissez l’attachement de notre pays à le défendre. L’Union européenne est une union de valeurs, fondée sur la démocratie libérale. Des débats sont apparus ces dernières années – je suis sûr qu’ils continueront au cours de la mandature européenne qui s’ouvre – sur l’extension du domaine de la conditionnalité des fonds de cohésion des budgets européens au regard du respect de l’État de droit. Cette exigence est absolument fondamentale et cette approche a d’ailleurs obtenu des succès : je pense à la clôture des procédures concernant la Pologne.

Je veux dire un dernier mot sur les élargissements ; le sujet avait été mentionné plus tôt dans le débat, mais j’avais oublié d’y répondre.

La France soutient la perspective européenne des pays que vous avez mentionnés, monsieur le sénateur : l’Ukraine, bien sûr, la Géorgie, la Moldavie et les pays des Balkans occidentaux. Ce sera un processus exigeant, qui doit répondre aux critères de l’acquis communautaire et intégrer la réforme de l’État de droit, la lutte contre la corruption, ou encore la transparence des marchés. Cela étant, la France, avec nos partenaires, s’engage à accompagner ces pays candidats dans un processus qui devra être basé avant tout sur le mérite.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le ministre délégué !

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. On ne dit pas ça pour fermer la porte, mais pour accompagner ces pays : c’est aussi la garantie de notre sécurité et de la stabilité géopolitique de notre continent.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.

M. Didier Marie. Monsieur le ministre, j’entends vos déclarations et je salue votre optimisme. Cela étant dit, le résultat des dernières élections européennes atteste d’une poussée très forte de l’extrême droite et d’une modification des rapports de force. Celle-ci est sensible au Parlement, mais aussi au Conseil – la récente victoire de l’extrême droite en Autriche le confirme – et à la Commission, avec près de quinze commissaires issus du PPE.

Il va falloir constituer des majorités d’intérêts. De ce point de vue, je m’inquiète de la nature des relations que nous avons aujourd’hui avec notre partenaire allemand. Il me semble que la première de vos missions, de celles du Gouvernement français, devrait être de restaurer la confiance avec nos partenaires allemands.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Monsieur le ministre, au nom du groupe Les Indépendants, je vous présente toutes nos félicitations pour votre nomination à ces fonctions et je vous souhaite la bienvenue dans cet hémicycle ; j’espère qu’il saura toucher votre cœur !

Notre débat de ce soir se tient alors que la prochaine réunion du Conseil européen devra faire face à deux défis : un défi diplomatique, du Proche-Orient à l’Ukraine, et un défi structurel, car l’heure est venue d’engager l’Union dans la voie d’investissements massifs pour préparer l’avenir.

Tout cela se déroule dans un contexte lourd et chargé. Le mois prochain, les États-Unis éliront un nouveau président ; cette élection aura beaucoup d’incidences en Europe. C’est aussi le mois prochain que débuteront les auditions des commissaires européens ; on verra bien lesquels seront confirmés dans leurs fonctions.

Je voudrais ce soir évoquer trois nécessités pour l’Union.

Premièrement, celle-ci doit se donner les moyens de son action.

Au Proche-Orient, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, la France et l’Europe sont mobilisées pour éviter que la situation débouche sur un conflit généralisé.

Dès après le 7 octobre 2023, afin de dissuader de nouvelles gradations en intensité, les États-Unis ont dépêché dans la région un premier porte-avions, rejoint depuis par un second. Alors que la marine américaine compte 11 porte-avions, les 27 pays de l’Union européenne ne peuvent compter que sur le Charles de Gaulle… Vous connaissez la réplique de Staline à Churchill et Roosevelt au sujet du pape : « Combien de divisions ? » (Sourires.)

Si l’on veut peser, agir et compter, il faut avoir les moyens de faire entendre sa voix avec force. L’Europe puissance dont on parle tant n’aura de sens que si un acte II pour une politique de défense plus intégrée est engagé.

À cet égard, le rôle du futur commissaire à la défense et à l’espace sera, à mon sens, déterminant. Lituanien, il sait mieux que d’autres à quel point nous nous trouvons aujourd’hui à la croisée des chemins.

Pour l’Ukraine, pour protéger nos frontières orientales, l’Union doit, enfin, devenir une puissance militaire : pour avoir la paix, prépare la guerre !

En 2022, le Conseil européen a adopté ce que l’on a appelé la « boussole stratégique ». Il s’agissait de fixer une nouvelle étape de notre politique de défense et de sécurité. Le Sénat sera attentif aux précisions que vous pourrez nous donner, monsieur le ministre, sur ces objectifs capitaux et sur le chemin qui reste à parcourir pour les atteindre.

À cet égard, l’élargissement du vote à majorité qualifiée représente une voie juridique pour accélérer le processus. Nous serions heureux de vous voir porter cette demande.

J’en viens à la deuxième nécessité, celle de redresser notre productivité. Jean-François Rapin a bien expliqué tout à l’heure combien c’était fondamental, dans l’ensemble des pays européens pour échapper à la lente agonie, au déclin de l’Europe décrits par Mario Draghi dans son rapport. En effet, l’écart de PIB entre l’Europe et les États-Unis a doublé en notre défaveur au cours des vingt dernières années !

Dès lors, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous poser une question simple : l’effort d’investissement de 800 milliards d’euros préconisé dans le rapport Draghi est-il réaliste ? Pouvons-nous consentir autant d’investissements en si peu de temps ?

La troisième nécessité est celle de réformer certaines règles inscrites dans les traités européens.

Nous nous félicitons de la nomination de Stéphane Séjourné et lui souhaitons bon courage, car son portefeuille est l’un des plus stratégiques, même si, comme cela a déjà été relevé ce soir, il convient de clarifier plus avant son amplitude.

Pour ma part, j’ai deux interrogations.

Premièrement, il est grand temps de réformer le droit européen de la concurrence. Cette réforme est fondamentale pour restaurer la productivité en Europe. Sera-t-elle, ou non, du ressort du commissaire français ?

Deuxièmement, si nous voulons que l’Europe soit réellement au service de nos concitoyens, elle doit se doter de ressources propres à la mesure des défis que nous avons à affronter. Sans argent, nous ne ferons rien ! Dans cet esprit, elle devra revenir sur les rabais accordés à certains États membres. Sur ce point aussi, monsieur le ministre, je serais très heureux de vous entendre nous expliquer où nous en sommes véritablement. Y a-t-il une chance de consacrer des ressources propres ou, ce qui apparaît tout de même plus simple, de supprimer les rabais ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur, sans entrer dans un débat historique, les dirigeants soviétiques ont peut-être eu tort de sous-estimer les divisions spirituelles du pape – lui aussi a contribué à la chute de l’Union soviétique…

Il n’en reste pas moins que l’Union européenne ne peut certainement pas se limiter aux efforts déclamatoires ou performatifs en matière de politique étrangère et de sécurité. Vous avez eu raison de souligner l’impact des élections américaines : quel que soit leur résultat, elles confirmeront une tendance d’éloignement des États-Unis à l’égard des priorités de l’Union européenne, qui doit investir résolument dans son autonomie stratégique sur les questions de défense. Cela fait partie des priorités que nous porterons au sein de la nouvelle Commission.

C’est dans cet esprit que nous participons aux débats sur le programme Edip et la stratégie Edis pour continuer à soutenir notre base industrielle de défense européenne. La France, aux côtés de ses partenaires, défend une préférence européenne en la matière, mais nous devrons être encore plus ambitieux et créatifs.

Vous avez évoqué la nécessité de trouver de nouvelles ressources, soulignée dans le rapport Draghi, qui mentionne d’ailleurs l’industrie de défense et la nécessaire compétitivité en la matière. Des propositions innovantes ont été formulées par certains de nos partenaires, comme l’ancienne Première ministre estonienne Kaja Kallas, qui va devenir haute représentante de l’Union européenne ; je pense notamment à l’idée d’un grand emprunt européen d’une centaine de milliards d’euros qui soutiendrait à la fois nos capacités de défense et nos amis ukrainiens dans le temps long. La France a soutenu de telles propositions et continuera de les défendre dans les prochaines années.

Quant à la possibilité de l’idée formulée par Mario Draghi de débloquer 800 milliards d’euros, je voudrais rappeler qu’il s’agit peu ou prou de la somme qui avait pu être mobilisée dans le grand emprunt Next Generation EU lancé lors de la crise, existentielle, du covid-19.

Les enjeux de compétitivité et de décrochage de productivité que vous avez évoqués sont également existentiels pour l’Union européenne : si nous ne voulons pas être tenus à l’écart des grands équilibres géopolitiques et économiques de demain, nous devons nous doter des moyens de libérer l’épargne publique et privée et d’investir dans les industries d’avenir. Tel sera clairement le message que nous porterons au sein du Conseil et auprès de la nouvelle Commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel, pour la réplique.

M. Louis Vogel. M. le ministre a été limité par son temps de parole, mais je regrette qu’il n’ait pu répondre à ma question sur la possibilité d’une réforme du droit de la concurrence.