M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Nous nous abstiendrons sur ce texte, car si la demande de réduire le nombre de conseillers municipaux est réelle de la part des toutes petites communes, qui doivent réunir une proportion très importante de leur population pour constituer un conseil municipal, elle est beaucoup moins forte, voire inexistante, dans les communes de plus de 1 000 habitants.
M. Stéphane Sautarel. Très juste !
Mme Céline Brulin. J’attire votre attention sur le fait que les communes de 3 500 habitants sont souvent des bourgs, avec des centres-bourgs qui jouent un rôle central pour les communes voisines. Le travail de l’équipe municipale est donc très important pour l’ensemble d’un territoire et ce n’est pas lui rendre service que d’en réduire le nombre de membres.
Vous connaissez l’adage : il y a le texte et le contexte. Or nous examinons ce texte alors qu’il y a quelques mois, on nous expliquait dans un rapport réalisé à la demande du précédent gouvernement qu’il fallait diminuer de 20 % le nombre de conseillers municipaux, soit 100 000 élus, et que, plus récemment, la Cour des comptes, dans un rapport, appelait à faire disparaître, d’ici à 2030, 100 000 agents de nos collectivités.
Lorsqu’il y a une réelle crise de l’engagement, nous ne la nions pas. Dire à tous ceux qui se démènent et qui cherchent à susciter des vocations qu’ils sont un peu trop nombreux, ce n’est pas les remercier de leur engagement.
Je ne répéterai pas ce qui a été dit par mes collègues, mais plusieurs raisons expliquent le désengagement : le manque de moyens financiers, les leviers dont disposent les élus, le poids des intercommunalités,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Céline Brulin. … l’abandon des services de l’État, etc. Nous ne pourrons pas faire l’économie de ce travail.
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote.
M. Vincent Louault. Je comprends bien que les maires redoutent de ne plus s’occuper que des chiens écrasés, en voyant toutes les compétences qui ont été transférées aux EPCI et la dénaturation des équipes municipales. C’est évident.
En revanche, il faut tenir compte du principe de réalité. Primo, il y a eu de la casse en matière d’engagement associatif et municipal à cause de la crise covid. Les élus n’ont pas pu entrer dans leur mandat de manière normale. Secundo, bien sûr que les petites communes de 1 000 habitants sont plus intéressées par la mesure que celles de 2 000 ou de 3 000 habitants, car, très souvent, dans ces communes, une seule liste se présente aux élections municipales. Alors, forcément, ils ne veulent pas que cela change ! C’est plus pratique…
Dans ces communes moyennes où une seule liste se présente, car il est trop compliqué de réunir suffisamment de noms pour en constituer plusieurs, la démocratie se trouve quelque peu abîmée. Cela a été le cas dans une vingtaine de communes de mon département. Les électeurs n’ont pas eu d’autre choix que de voter pour l’équipe municipale qui s’est présentée.
Dans un contexte où l’on nous demande de faire des efforts, il ne s’agit pas de diminuer pour diminuer. Il est de la responsabilité de notre assemblée d’envoyer un autre message politique que celui de ne rien changer.
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour explication de vote.
M. François Bonneau. L’objet de ce texte n’est pas de répondre à l’ensemble des problèmes que rencontrent nos communes, tels que celui du statut de l’élu et bien d’autres. Toutefois, il n’a pas été imaginé par un parlementaire qui s’est levé un matin en se disant que c’était une bonne idée. Si nous l’avons déposé, c’est parce que nous sommes allés au contact de maires, nous les avons écoutés et nous avons constaté leur désarroi dans l’exercice de leur mandat.
L’idée est de défendre l’existence des mairies, car certaines d’entre elles – et je puis en témoigner – ont des difficultés à réunir un conseil municipal. Si nous ne faisons rien, ce problème va s’accentuer.
Je remercie les rapporteurs et tous mes collègues qui ont déposé des amendements pour ajouter de la souplesse au dispositif pour qu’il s’adapte aux diverses situations, mais je crois fondamentalement que le mieux est l’ennemi du bien. Ce texte va dans le bon sens et c’est pour cela que je le défends !
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour explication de vote.
M. Fabien Genet. Je ne mets pas en doute la bonne volonté de nos collègues, qui souhaitent répondre à quelques cas dont ils ont pris connaissance sur le terrain, mais la grande majorité des communes, où tout se passe bien, serait affectée si cette proposition de loi était adoptée.
Je voterai contre ce texte pour deux raisons.
D’une part, je ne partage pas le message politique qu’il envoie. Dans la situation actuelle de notre pays, je ne crois pas que la réduction de 40 000 du nombre d’élus locaux puisse être considérée comme une solution aux problèmes que nous rencontrons dans nos communes : le délitement social, la montée de la violence, l’augmentation des querelles entre voisins, etc. Au contraire, nous avons besoin de davantage d’engagement citoyen au sein de nos conseils municipaux pour traiter les maux de la société.
D’autre part, je crains que cette baisse du nombre de conseillers municipaux n’altère la collégialité de la délibération. Dans les plus petites communes, à force de réduire le nombre d’élus municipaux et compte tenu des problèmes de la vie quotidienne, des absences, voire des démissions en cours de mandat, les décisions seront prises par un nombre très restreint d’élus. La qualité de la délibération en pâtit.
Aussi, je le répète, je ne voterai pas ce texte.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour explication de vote.
M. Bernard Buis. Pour ma part, je voterai ce texte. Pourtant, j’étais défavorable à la proposition de loi initiale, qui ne portait que sur les communes de moins de 500 habitants. Ce texte a évolué grâce au travail de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et de la commission des lois, qui ont tenu compte des demandes de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et de l’Association des maires ruraux de France.
Ce week-end, je me trouvais à l’assemblée générale des maires ruraux de la Drôme. Quand je les ai informés de l’évolution du texte, tous y étaient favorables. La centaine de maires présents m’ont dit que cela faisait des années qu’ils attendaient cette disposition et la demandaient avec force.
Évidemment, ce texte ne résoudra pas tous les problèmes liés à l’engagement, mais s’il peut y contribuer, il apportera sa pierre à l’édifice.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour explication de vote.
M. Stéphane Sautarel. À ce stade du débat, je suis très embêté. Contrairement à mon collègue Bernard Buis, j’étais initialement favorable à la proposition de loi, mais je m’interroge désormais sur le sens de mon vote.
Je suis d’accord avec l’auteur du texte sur le fait qu’il existe une attente réelle dans les plus petites communes : elle est certaine dans celles de moins de 500 habitants et probable dans celles de moins de 1 000 habitants.
En revanche, l’extension de la mesure aux communes de moins de 3 500 habitants pose problème. Comme d’autres collègues, j’estime que le message politique qui serait ainsi envoyé par la réduction du nombre de nos conseillers municipaux serait celui de la réduction de l’engagement municipal, de l’engagement civique. Pour le Sénat, il s’agirait d’un très mauvais message politique.
Aussi, l’évolution du texte ne me permet pas de le voter. Alors que j’en partageais l’objectif initial, je trouve qu’il a été dénaturé.
M. Olivier Paccaud. Très bien !
M. André Reichardt. Bravo !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à réduire le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas la proposition de loi.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, reprise à dix-neuf heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Fermetures abusives de comptes bancaires
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues (proposition n° 519 [2023-2024], texte de la commission n° 672 [2023-2024], rapport n° 671 [2023-2024]).
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce texte est inscrit dans l’espace réservé au groupe Union Centriste, lequel est d’une durée de quatre heures maximum. Je serai donc dans l’obligation de suspendre nos travaux à vingt heures quarante-cinq. Si nous n’avons pas achevé d’étudier cette proposition de loi, il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de son examen à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Je vous précise que la durée prévue pour la discussion générale est d’une heure et quinze minutes, et que dix amendements sont à examiner : je vous invite donc à la concision.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi.
M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais m’efforcer d’être bref, de sorte que le Sénat puisse voter dès ce soir cette proposition de loi qu’attendent nombre de nos concitoyens.
Le secteur bancaire est particulièrement important et fait honneur à notre pays : la France abrite certaines des plus grandes banques du monde. Ce secteur représente 350 000 salariés, qui, pour la quasi-totalité d’entre eux, font très bien leur travail. Il est important de le souligner.
C’est, en outre, un secteur qui va bien – pour l’année 2023, son résultat cumulé atteint 29 milliards d’euros –, et cette proposition de loi ne vise évidemment pas à remettre en cause sa place ou son rôle.
Le droit de fermeture d’un compte bancaire se justifie dans trois cas de figure principaux : si les conditions générales fixées par la banque ne sont pas respectées ; si le client se révèle indélicat ; et lorsque tels ou tels mouvements de compte peuvent être considérés comme suspects.
La fermeture abusive de comptes bancaires n’en constitue pas moins un problème social, même si c’est un problème à bas bruit : de fait, personne n’en parle. Dans un dîner en ville ou lors d’un repas entre copains, personne ne va dire que son compte bancaire a été fermé par sa banque. Ces difficultés sont entourées d’une discrétion – on serait même tenté de parler d’omerta – qui peut être lourde de conséquences.
La stratégie de déshumanisation que suivent maintes compagnies bancaires n’est pas étrangère à ces problèmes. On ferme les agences au profit de simples robots, censés répondre aux sollicitations des clients. Dans un certain nombre de banques, il est bien loin le temps où ces derniers pouvaient compter sur des conseillers bancaires dédiés… Ce n’est souvent plus qu’un souvenir.
Certes, en l’absence de statistiques clairement établies, il est impossible de savoir précisément combien de personnes sont victimes de la fermeture abusive d’un compte bancaire. J’ai toutefois reçu bon nombre de témoignages, permettant presque de déterminer un profil type.
Il s’agit souvent d’un petit artisan, d’un commerçant ou d’un agriculteur. Une banque peut en effet chercher à se débarrasser des clients dont le code APE – activité principale exercée – est, selon elle, associé à une trop forte sinistralité. De telles stratégies ne sont bien sûr pas avouées ; mais, pour être cachées, elles n’en sont pas moins réelles.
Parmi les victimes, on trouve également des associations. C’est précisément le cas de l’association que je préside : cette structure, qui gère un tiers lieu culturel, a été frappée par une telle fermeture abusive. Depuis quinze ans, son compte fonctionnait de manière tout à fait régulière : il a été clôturé du jour au lendemain, sans la moindre explication.
Un certain nombre de personnes d’origine étrangère et régulièrement installées en France – Albanais, Colombiens, Afghans, Chinois ou Russes – subissent, elles aussi, des difficultés de cette nature.
Les Français établis à l’étranger doivent, de même, faire face à cette problématique. Un certain nombre d’entre eux n’ont pas de domicile en France, mais y rendent visite à leur famille : pour telle ou telle raison personnelle, par exemple pour bénéficier de certaines prestations, ils peuvent souhaiter détenir un compte bancaire français. Or ils se heurtent à des difficultés.
N’oublions pas non plus les personnalités politiques exposées : c’est une réalité, qu’il s’agisse de membres du Gouvernement, de parlementaires ou encore de hauts fonctionnaires, auxquels il faut encore ajouter leurs familles. En France, des milliers de personnes sont touchées par ces problèmes.
Lorsque votre banque décide de clôturer votre compte bancaire, elle vous accorde deux mois de préavis pour trouver un autre établissement. Vous pouvez certes invoquer le droit au compte auprès de la Banque de France, également au terme d’un délai de deux mois ; mais, par ce biais, vous n’accédez qu’à un compte en mode dégradé – passez-moi l’expression. Vous ne pouvez pas disposer de tous les services bancaires que vous souhaitez, ce qui n’est pas sans conséquence.
Enfin, j’appelle votre attention sur l’iniquité territoriale qui, en la matière, frappe nos concitoyens. Les Parisiens disposent d’une vingtaine de banques dans un rayon d’un kilomètre autour de chez eux ; à l’inverse, dans mon village de Saint-Pierre-de-Trivisy, dans le département du Tarn, il n’y a qu’une agence bancaire. En zone rurale, les personnes dont on ferme ainsi le compte bancaire doivent parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver une nouvelle banque.
L’objectif de ce texte est très clair : les clients victimes d’une fermeture de compte doivent savoir pourquoi leur banque a pris une telle décision. Ils ont légitimement droit à l’information. Dans certains cas, la mesure prise est justifiée ; mais, dans bien d’autres, aucune raison n’est fournie.
J’en suis convaincu, l’adoption du présent texte entraînera une forme d’autorégulation. Les banques y réfléchiront à deux fois avant de fermer abusivement un compte bancaire. J’y insiste : de telles décisions sont souvent lourdes de conséquences.
Je tiens à remercier M. le président de la commission, M. le rapporteur et l’ensemble de nos collègues de la commission des finances du travail accompli sur cette proposition de loi. L’honneur du Parlement, c’est de faire progresser le droit et les droits : avec le présent texte, c’est précisément ce que nous ferons, au service des consommateurs. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc Laménie, rapporteur de la commission des finances. Avant tout, je souhaite à Mme la secrétaire d’État la bienvenue au Sénat et je salue bien entendu Philippe Folliot, auteur de cette proposition de loi.
Mes chers collègues, comme l’a souligné M. le président, nous sommes malheureusement contraints par le temps : je vais donc faire la synthèse d’une synthèse, ce dont je m’excuse par avance.
Cette proposition de loi, dont M. Folliot a clairement présenté les enjeux, a été examinée au mois de juin dernier par notre commission des finances, puis travaillée avec l’appui de nos administrateurs, que je tiens également à saluer. Il s’agit de répondre à une demande légitime et concrète, exprimée sur le terrain, dans les campagnes comme dans les villes. À cet égard, force est de constater la complexité des liens entre les banques et leurs clients, tous autant qu’ils sont.
La décision de fermeture d’un compte est laissée à la discrétion de la banque, si l’on excepte le régime protecteur propre aux bénéficiaires du droit au compte, garanti par la Banque de France.
Les banques revendiquent une certaine liberté contractuelle dans leurs relations avec leurs clients, lesquelles sont régies par une convention dédiée. Or le présent texte limite la possibilité pour les banquiers de rompre les contrats conclus en instituant une obligation de motivation, lorsque le client en fait la demande. Il part du principe qu’il revient au législateur d’encadrer les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté contractuelle.
Au total, le dispositif qui nous est présenté traduit une position d’équilibre.
Dans sa version initiale, il ne soulevait en fait qu’une seule difficulté majeure, inhérente au fait qu’une relation contractuelle entre l’établissement et son client peut être rompue au nom de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme – il s’agit, bien sûr, de sujets particulièrement sensibles. Toutefois, la rédaction adoptée en commission a permis de traiter ce point, si bien que le présent texte, dont on ne peut que saluer l’objectif, semble désormais satisfaisant.
Quelques amendements, examinés ce matin même en commission, ont été déposés sur ce texte : j’indique dès à présent qu’ils recevront sauf exception un avis défavorable.
Mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – M. le président de la commission applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État, à qui je souhaite la bienvenue dans cet hémicycle, qu’elle connaît déjà bien. (Sourires.)
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargée de la consommation. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous dire le plaisir avec lequel je retrouve cette assemblée, que j’ai la chance de connaître un peu. Je sais la grande qualité des travaux du Sénat et je ne doute pas que nous agirons en étroite collaboration.
La proposition de loi de M. Folliot que nous examinons aujourd’hui vise à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires. À cette fin, elle entend garantir la transparence des motifs de clôture de comptes bancaires. Les banques seraient ainsi tenues de motiver, sur demande expresse du client, toute décision de résiliation unilatérale qu’elles prendraient à l’égard du compte de dépôt d’un client.
Les travaux menés par M. le rapporteur et par ses collègues de la commission des finances, que je salue, ont permis de faire évoluer le texte, afin d’exonérer les établissements bancaires de cette obligation lorsque la divulgation du motif contreviendrait aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public.
De plus, il est désormais précisé que la banque dispose d’un délai de deux semaines pour répondre à la demande du client, sauf, bien sûr, si elle est autorisée à garder le silence.
En tant que secrétaire d’État chargée de la consommation, je tiens à saluer l’initiative prise ici pour renforcer les droits des consommateurs dans leurs relations avec les banques. Chaque fois que c’est possible et souhaitable, nous devons renforcer la transparence, la confiance étant un élément clé de l’économie. En effet, pour protéger efficacement les consommateurs, la transparence doit être pleinement opérationnelle.
Monsieur Folliot, votre objectif ne fait pas doute : il s’agit bien de protéger les consommateurs et non de défendre l’accès aux services bancaires, lequel fait déjà l’objet de dispositifs dédiés – vous les avez évoqués –, notamment le droit au compte.
Le présent texte vise également à répondre à des difficultés que peuvent rencontrer nos compatriotes établis hors de France, ce qui constitue un véritable enjeu.
C’est donc avec beaucoup d’intérêt que j’ai étudié votre proposition de loi, dont le Gouvernement approuve bien sûr le principe général, à savoir – je le répète – la protection des consommateurs. Nos divergences d’analyse, que je vais vous présenter, portent sur certains obstacles dont il ne faut pas négliger l’importance. À nos yeux, ces derniers nous imposent de redoubler de prudence.
Premièrement, le présent texte pourrait remettre en cause une liberté fondamentale : celle du choix du cocontractant, consacrée par notre code civil.
Lorsqu’il quitte sa banque, un client n’est pas tenu de donner les motifs de sa décision. Par parallélisme des formes, le droit dispense la banque de se justifier lorsqu’elle résilie un compte.
La seule exception à cette liberté contractuelle est le droit au compte, évoqué à l’instant, dispositif dérogatoire piloté au cas par cas par la Banque de France. Lorsqu’un client ne trouve aucune banque prête à s’engager avec lui, il peut activer ce droit et la Banque de France désigne une banque. Dès lors, cette dernière ne peut résilier le compte que pour certains motifs.
Deuxièmement – il s’agit là d’un obstacle plus considérable –, le présent texte est susceptible, évidemment de manière involontaire, de porter atteinte à une politique publique essentielle : la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le terrorisme.
M. le rapporteur a déjà évoqué ce point. Quelles que soient nos fonctions ou nos appartenances politiques, il va sans dire que nous sommes tous profondément attachés à cette politique. Le blanchiment d’argent, c’est un coup porté à notre contrat social, des recettes en moins pour nos services publics, un moyen de dissimuler les profits tirés d’actes répréhensibles et dangereux.
Comme vous le savez, les banques sont autorisées à clôturer un compte après avoir adressé une déclaration de soupçon au renseignement financier national. Mais, pour préserver l’efficacité de la lutte contre le blanchiment, la loi interdit aux banques de porter à la connaissance du propriétaire des sommes ou de l’auteur des opérations suspectes l’existence de cette déclaration.
Cette confidentialité est essentielle à l’efficacité de notre renseignement financier : nous ne devons y toucher qu’avec une très grande prudence.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, j’ai bien noté les modifications apportées au présent texte. Les travaux de votre commission ont permis de le remodeler, afin que les banques soient autorisées à garder le silence lorsque la sécurité nationale ou l’ordre public sont en jeu. Le dispositif a ainsi été calé sur ce qui se fait en matière de droit au compte. Toutefois, la nouvelle rédaction ne résout que partiellement la seconde difficulté mentionnée.
Dans le cadre du droit au compte, la banque est certes soumise à un principe de « motivation sauf impératif d’ordre public » ; mais cette disposition ne pose pas de problème notable, étant donné que le client visé n’a pas d’autre compte sur lequel transférer ses fonds.
Or, dans le schéma classique, celui qui nous occupe aujourd’hui, c’est bien plus problématique : le titulaire du compte pourra demander la raison de la clôture à la banque. Si cette dernière garde le silence, il pourra en déduire que c’est pour un motif de sécurité nationale ou d’ordre public. Et, si ce client est un fraudeur, il s’empressera de transférer ses fonds dans d’autres banques. Il pourra également opter pour des opérations de moindre ampleur, ou plus discrètes, ce qui limitera nos moyens d’action.
De surcroît, nous ne parlons pas du tout des mêmes ordres de grandeur. Au total, 30 000 comptes sont ouverts chaque année au titre du droit au compte, tandis qu’il existe environ 80 millions de comptes bancaires classiques : si le présent texte était adopté, bon nombre de « suspects » en viendraient à savoir qu’ils sont dans le viseur des pouvoirs publics.
Nonobstant ces deux réserves, nous faisons bien sûr nôtre l’objectif de meilleure information des consommateurs.
À mon sens, pour traiter efficacement ces problématiques, il faut commencer par quantifier l’ampleur du phénomène. M. Folliot l’a rappelé au début de son intervention : à ce jour, nous ne disposons pas de données précises. Selon nous, une analyse plus fine et plus approfondie est nécessaire pour lever un certain nombre d’interrogations et, ce faisant, établir un diagnostic clair de la situation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s’engage donc à saisir rapidement le Comité consultatif du secteur financier (CCSF). Vous connaissez bien cette instance, et pour cause : elle a déjà apporté d’importantes contributions à vos travaux – je pense notamment à la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, adoptée il y a deux ans, texte dont M. Gremillet était le rapporteur.
M. Jean-François Husson. Excellente référence !
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État. Le Gouvernement saisira prochainement le CCSF d’une mission prioritaire sur ce sujet, afin d’objectiver le phénomène et d’y apporter des réponses.
Le Sénat, qui est représenté au sein de ce comité, pourra, qui plus est, être associé à ladite mission ; et c’est sur cette base que le Gouvernement pourra accompagner le travail législatif des deux chambres.
En résumé, ce texte soulève d’importantes questions, mais les réponses qu’il apporte nous semblent encore un peu fragiles. C’est pour cette raison, et du fait de la saisine à venir du CCSF, que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Corinne Bourcier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de nos jours, les comptes bancaires constituent un service de première nécessité. Depuis 1984, le législateur a d’ailleurs tenu à garantir l’accès aux moyens de paiement pour tous en gravant dans la loi le droit au compte, censé assurer l’accès à un service bancaire de base universel.
L’ouverture d’un compte bancaire repose sur la signature d’une convention de compte entre une banque et son client. Sa clôture peut être décidée sur l’initiative, non seulement du client, mais aussi de la banque. Cette relation repose sur la contractualisation et sur un principe de réciprocité encadré par la loi, la force obligatoire du contrat et le code civil.
Le client peut clôturer son compte bancaire sans préavis et sans justification. La banque, elle, doit l’informer par écrit de sa volonté de clôturer son compte en respectant un préavis de deux mois. Or ce délai est souvent trop court pour que le titulaire trouve un autre établissement bancaire et transfère toutes ses opérations – je pense notamment aux prélèvements automatiques.
Dans certains cas, la banque choisit de fermer un compte parce qu’il est inactif ou parce qu’il n’est pas assez rentable. Plus souvent, elle invoque la lutte contre le blanchiment ou le terrorisme, conformément à la réglementation européenne et au code monétaire et financier.
Notre commission des finances a souligné un risque sur lequel insistent les banques elles-mêmes : il ne faudrait pas qu’un défaut de motivation en vienne à éveiller les soupçons de potentiels financeurs d’opérations terroristes ou de blanchiment. En effet, ces clients seraient dès lors susceptibles de faire disparaître un certain nombre de preuves précieuses pour les enquêteurs.
Une nouvelle rédaction a donc été retenue par notre commission : en cas de demande par le client, la banque motive gratuitement par écrit, dans les quinze jours, la décision de résiliation, « sauf lorsque cette motivation contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public ».
Mes chers collègues, il ne faut pas minimiser les conséquences, pour le titulaire, de la fermeture unilatérale et brutale d’un compte bancaire. Une telle décision représente une perte d’opportunité. Elle entraîne la suppression des coordonnées bancaires, qu’il s’agisse du relevé d’identité bancaire (RIB) ou de l’Iban (International Bank Account Number). Elle impose de rechercher rapidement un nouvel établissement bancaire, puis de transférer toutes les opérations automatiques. Vous mesurez l’ampleur des problèmes subis.
C’est pourquoi l’auteur de cette proposition de loi souhaite limiter les fermetures abusives de comptes bancaires.
Le présent texte part bien sûr d’une bonne intention, mais, de manière tout à fait pragmatique, je m’interroge : si nous l’adoptons, mettra-t-il fin aux pratiques abusives de fermetures des comptes ? Pour ma part, je ne le crois pas.
Au mieux, il aboutira à l’envoi d’un courrier rédigé peu ou prou dans le style des conditions générales du compte, que personne ici n’a jamais lues, j’en suis sûr, et pour cause : elles sont proprement incompréhensibles. « Vu la directive européenne 4 327-6, vu le rapport adopté par l’OCDE lors de sa réunion du 4 novembre, vu les règles prudentielles qui nous sont imposées par la Banque centrale européenne (BCE), vu votre solde général, lequel contrevient aux diverses dispositions réglementaires et prudentielles que nous sommes tenus d’appliquer, nous sommes dans l’obligation de clôturer votre compte. » Merci, circulez, il n’y a rien à voir ! (Sourires.)
Vous l’avez compris : comme mes collègues de groupe, je suis partagé… On nous reproche parfois de légiférer pour légiférer. En l’occurrence, je me demande si ce n’est pas le cas, car je ne vois pas comment un tel texte pourrait empêcher la moindre fermeture abusive de compte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)