M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
Mme Guylène Pantel. Je tiens à mon tour à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui ont sollicité la tenue de ce débat.
Professionnels, élus locaux et usagers dressent un constat unanime : nos services d’urgences sont en difficulté. Les représentants des services déconcentrés de l’État le soulignent parfois eux-mêmes.
Dans un tel contexte, je tiens à relever l’exemple atypique de l’hôpital Lozère : depuis quatre ans, et malgré la crise covid, cet établissement n’a pas connu un seul jour de fermeture ou de régulation de l’accès au service. Il s’agit là d’un signal rassurant pour la population. Je remercie tout particulièrement les équipes de cet hôpital de leur engagement quotidien, qui contribue à un accompagnement de qualité.
À l’échelle nationale, les chiffres n’en sont pas moins alarmants : en France, selon l’enquête menée par une association professionnelle, 202 services d’urgences ont dû fermer au moins une ligne médicale cet été. Or – on le sait – lesdits services connaissent une recrudescence d’activité en cette saison. Prendre une telle mesure, c’est donc s’exposer au risque de ne plus assurer la sécurité sanitaire des patients.
Si la Lozère est relativement épargnée par ce problème, tel n’est pas le cas de certains départements voisins, comme l’Aveyron.
Par exemple, à Saint-Affrique, l’accès aux urgences de l’hôpital est régulé depuis juin dernier en raison d’un manque de médecins. Dans cet établissement, un seul médecin est en poste pendant vingt-quatre heures pour assurer l’accueil, la gestion des lits de courte durée ainsi que les sorties du service mobile d’urgence et de réanimation (Smur).
Là comme ailleurs en France, la médiatisation de ce fonctionnement en mode dégradé, à laquelle vient s’ajouter la rumeur publique, décourage les usagers de se rendre aux urgences. En résultent une baisse du taux de remplissage et une remise en question du maintien de ce service public pourtant essentiel, notamment en zone rurale. C’est, en somme, un cercle vicieux…
Dans les déserts médicaux, bon nombre de professionnels constatent un report de la patientèle dépourvue de médecin traitant vers les services d’urgences pour des soucis de santé qui relèvent plutôt de la « bobologie ». Enfin, les Padhue sont toujours confrontés à des procédures administratives qui compliquent leur intégration dans nos hôpitaux.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer s’il existe une évaluation régulière et qualitative du nombre d’usagers qui fréquentent les urgences faute de médecin traitant ? En outre, comptez-vous assouplir les conditions d’exercice des Padhue ? Ne serait-ce pas une piste à creuser ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question et je me réjouis que la Lozère ne soit pas trop touchée par ces problèmes, d’autant qu’il s’agit également d’un territoire très touristique. Toutefois, comme vous le rappelez, certains départements voisins sont plus en difficulté.
En ville aussi, la démographie médicale est fragile : nous en avons longuement parlé lors du débat de cette après-midi sur la formation des médecins.
Bien évidemment, le médecin traitant reste l’interlocuteur privilégié de ses patients pour la prise en charge des soins non programmés. Dans un monde idéal, les urgences se consacreraient aux seules situations d’urgence…
Une étude menée par Doctolib au printemps dernier indique que 41 % des consultations de médecine générale sont réalisées dans les quarante-huit heures suivant la prise de rendez-vous.
Trop souvent le passage aux urgences est allongé, car les services hospitaliers dédiés ne peuvent admettre les patients. À l’évidence, notre système hospitalier souffre d’un manque de fluidité entre lits d’hospitalisation. Je pense en particulier aux lits d’aval, qui sont très importants, notamment pour la gériatrie. Une autre gestion de ces lits permettrait aux urgences de travailler dans de bien meilleures conditions, en particulier pour accueillir les patients. Il s’agit là d’une véritable difficulté.
Madame la sénatrice, vous le savez : récemment encore, un très grand nombre de patients en affection de longue durée (ALD) n’avaient pas de médecin traitant. Depuis la fin de l’année 2023, ce problème a fait l’objet d’une action spécifique. Au total, 240 000 nouveaux patients en ALD disposent depuis d’un médecin traitant ; 472 000 en sont encore dépourvus, sur 13 millions de patients en ALD.
Enfin, beaucoup a été fait en faveur des Padhue, mais il nous reste de nombreuses situations à analyser qui exigent la plus grande attention : nous devons fluidifier les recrutements tout en préservant la qualité et la sécurité des soins. J’insiste sur le fait que ces médecins rendent des services inestimables à notre système de santé.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Je me félicite à mon tour de la tenue de ce débat. L’état des urgences est évidemment une question de moyens, mais c’est aussi une question d’organisation et de stratégie.
En outre, je salue la décision du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale de l’année 2025.
On parle beaucoup en ce moment de coups de rabot budgétaires. Or, pour la psychiatrie – je parle d’expérience, ayant, en tant que maire, présidé le conseil d’administration, puis de surveillance d’un hôpital psychiatrique pendant près de vingt ans –, il s’agit plutôt d’un massacre à la tronçonneuse… Au cours des dix dernières années, les budgets ont été littéralement amputés.
Aujourd’hui, les regards tendent à changer : les patients comme leurs familles en sont désormais convaincus, la maladie mentale n’est pas une maladie honteuse. C’est, du reste, une maladie dont on peut guérir. Mais les soins de ville sont défaillants, notamment parce que le métier de psychiatre est de moins en moins attractif. Quand un patient est en crise, sa famille n’a d’autre choix que de s’adresser aux urgences. En résulte un cocktail assez détonnant, car ces services ne sont pas toujours organisés en conséquence.
Madame la ministre, ma question est double. Premièrement, comment comptez-vous adapter l’organisation des urgences afin de mieux traiter de la santé mentale ? Deuxièmement, que pensez-vous de l’expérimentation du Samu psy ? Envisagez-vous de le généraliser ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, vous le soulignez avec raison : la psychiatrie est un sujet à part entière et M. le Premier ministre entend faire de la santé mentale, enjeu bien plus large encore, la grande cause nationale de l’année 2025.
La psychiatrie exige une approche complète. Il faut agir à la fois à domicile, pour éviter les ruptures de prise en charge et donc le suivi des traitements médicamenteux, comme en hospitalisation dans des secteurs spécialisés, et en aval de l’épisode aigu.
Les financements de l’assurance maladie pour les activités de psychiatrie ont augmenté de près de 32 % entre 2020 et 2023. Ils atteignent désormais 12 milliards d’euros ; je ne puis donc pas vous laisser parler de massacre à la tronçonneuse…
J’ajoute que, depuis quatre ans déjà, la psychiatrie bénéficie d’un plan dédié assurant le déploiement de nouveaux moyens, même si nous devons maintenant fixer de nouveaux objectifs.
De nombreuses mesures ont été prises. Elles ont permis l’attribution de crédits pérennes, dans le cadre des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, qui se sont tenues en septembre 2021.
Dans ce contexte, une réforme des autorisations a été accomplie, afin d’associer davantage le secteur privé à la prise en charge des urgences.
Dans le cadre du nouveau régime d’autorisations, les établissements doivent être à même de proposer trois formes de prise en charge : des séjours à temps complet, des séjours à temps partiel et des soins ambulatoires. Cette réforme prévoit également un fonctionnement en réseau, pour inciter les établissements autorisés en psychiatrie à réfléchir ensemble, dans une même zone d’intervention, aux modalités de prise en charge des patients en amont et en aval des urgences.
Pour soutenir ces actions, menées par des collectifs de soins, un fonds d’innovation a été mis en œuvre. Au total, 226 millions d’euros y ont été alloués pour l’ensemble de la période. Quant aux fameux services d’accès aux soins, ils peuvent inclure la prise en charge psychiatrique.
Enfin, je tiens à insister sur l’effort de prévention. Il faut éviter les crises aiguës conduisant les malades dans les services de psychiatrie. À ce titre aussi, de nombreuses mesures ont été prises – je pense notamment à Mon soutien psy.
Les deux minutes qui me sont imparties sont, hélas ! bien insuffisantes pour vous détailler les politiques de santé mentale que nous envisageons de mettre en œuvre. J’ai d’ailleurs déjà largement dépassé mon temps de parole… Mais nous poursuivrons bien sûr ce dialogue.
Mme Silvana Silvani. Madame la ministre, mes chers collègues, pour les urgences, les étés se suivent et se ressemblent. Désormais, les gouvernements se déclarent satisfaits quand « seulement » 46 % des établissements ferment leurs services durant la période estivale.
Pour les élus locaux, les mois de juillet et d’août sont au contraire source de tensions et d’angoisses. Aux urgences, dans les services de soins et de réadaptation ou encore en psychiatrie les tensions sont maintenant généralisées.
Dans le département dont je suis élue, la Meurthe-et-Moselle, les urgences du centre hospitalier (CH) de Briey ont été temporairement fermées l’été dernier. La prise en charge des accouchements y a de même été suspendue un temps, faute de soignants.
Madame la ministre, faut-il inciter nos maires à prendre des arrêtés pour mettre en demeure l’État d’assurer l’égalité des soins ? On l’a observé dans au moins un département. Pardonnez-moi de rappeler une évidence : les femmes enceintes arrivant à terme en été ne peuvent attendre le mois de septembre pour accoucher…
Allez-vous déployer les moyens nécessaires via le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr…
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, le centre hospitalier de Briey rencontre des difficultés de recrutement depuis plusieurs années, que ce soit en gériatrie, en pédiatrie, en psychiatrie, en gynécologie ou encore en anesthésie. Ces difficultés se sont accrues plus particulièrement pour les urgentistes. Un travail est mené en étroite collaboration avec le centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville pour apporter un soutien à l’établissement dans ces disciplines.
Au regard de l’ensemble de ces difficultés, une organisation adaptée des urgences a été élaborée, en lien avec les professionnels de ce service, le Samu 57 – pour la Moselle –, le Samu 54 – pour la Meurthe-et-Moselle – et l’appui du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de la Moselle, avec les moyens médicaux disponibles.
Des mesures d’exception ont été prises occasionnellement cet été. Systématiquement, elles ont été retenues au terme d’une concertation avec le Samu 54, le Samu 57 et l’agence régionale de santé. Elles ont conduit à fermer l’accueil au public et à réorienter les patients vers d’autres sites. En pareil cas, la présence d’un infirmier a toujours été assurée pour accueillir les patients qui n’auraient pas eu connaissance de la mesure de fermeture. L’appui d’un médecin anesthésiste réanimateur a également été assuré en cas d’urgence vitale.
En outre, le centre hospitalier de Metz-Thionville a apporté un fort appui à la maternité. Une seule garde de médecin anesthésiste réanimateur de vingt-quatre heures, en juillet dernier, a posé problème, mais l’établissement avait anticipé ces difficultés : il avait pris les mesures nécessaires pour sécuriser les parturientes au cours de cette journée. Même si, in fine, l’établissement a pu résoudre les problèmes posés à sa ligne de garde, il a fait le choix de maintenir l’organisation validée et communiquée aux parturientes, afin d’éviter toute confusion.
Cet établissement bénéficie d’un suivi resserré des équipes de l’ARS. Un groupe de travail « urgences » a été constitué pour identifier toutes les organisations pertinentes, tous les leviers à même d’améliorer la situation.
En parallèle, le CHR de Metz-Thionville et le CH de Briey s’engagent, bien sûr, à renforcer leur collaboration. Leurs réflexions conjointes portent notamment sur la gradation des filières de soins et des équipes de territoires.
Madame la sénatrice, il s’agit là d’un véritable sujet d’attention. L’hôpital de Briey peut compter sur le soutien du territoire tout entier ; mais, dans cet établissement comme ailleurs, les médecins que nous attendons sont actuellement en formation. Je ne peux pas les inventer…
Pour l’heure, nous devons garantir des solutions sécurisées pour la prise en charge de nos patients, ce qui m’importe avant tout.
Soyez assurée que cet hôpital retient toute mon attention.
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour la réplique.
Mme Silvana Silvani. Madame la ministre, je vous remercie sincèrement de votre attention.
La position stratégique de l’hôpital de Briey a été reconnue, en particulier par l’ARS. Or les difficultés auxquelles cet établissement doit faire face datent de plus de quinze ans – vous voyez que je ne vous rends nullement responsable de la situation.
Le CHR de Metz-Thionville apporte certes un soutien bienvenu, mais ces deux villes sont assez éloignées de Briey, au nord du département.
En 2018, un audit a été engagé par l’ARS, mais on attend toujours la mise en œuvre de projets, de propositions ou encore de réflexions. Pendant ce temps, la situation de l’hôpital se dégrade. Les sommes évoquées il y a quinze ans ne sont plus d’actualité et il n’est plus du tout question de régulation.
Au moins avez-vous pris connaissance de cette situation. (Mme la ministre le confirme.) Je vous assure que, chaque été, les habitants du nord du département sont extrêmement inquiets.
Au cours de ce débat comme lors du précédent, dont je salue bien sûr l’organisation, vous avez rappelé que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie devait progresser de 2,8 % en 2025. Mais, avec un taux si faible, on n’y arrivera pas. La Fédération hospitalière de France (FHF), précédemment citée, laquelle est présidée par un médecin par ailleurs membre du parti Horizons, demande, elle, une revalorisation de 6 %.
Les dépenses de santé ont certes augmenté, comme vous le soulignez, mais elles ne sont pas à la hauteur des besoins, si bien que les problèmes déplorés ici et là demeurent.
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir respecter votre temps de parole, y compris pour la réplique ; c’est tout simplement une question d’équité.
La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. Madame la ministre, ma question porte sur la répartition des obligations de garde entre l’hôpital, les cliniques privées et les professionnels de ville.
Si les urgences sont saturées, c’est bien sûr faute de professionnels en nombre suffisant dans ces services vitaux et du fait de leurs conditions de travail extrêmement difficiles ; mais c’est aussi à cause de l’injuste répartition des efforts entre les diverses branches de notre système de santé pour la prise en charge des soins non programmés.
En 2023, selon l’inspection générale des affaires sociales (Igas), la permanence des soins en établissement était assumée à 82 % par les hôpitaux publics, quand le secteur privé n’en assurait que 13 %. De plus, seuls 39,34 % des médecins libéraux participaient à la permanence des soins ambulatoires.
Je souhaite connaître la position de votre gouvernement sur deux points. Premièrement, comptez-vous rendre obligatoire la participation des médecins libéraux à la permanence des soins ou, à tout le moins, renforcer l’incitation de ces professionnels à y prendre part ? Deuxièmement, quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour que les établissements privés prennent leur juste part à la permanence des soins ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, vous posez là des questions importantes.
Comme vous le soulignez, l’engagement des médecins de ville est non seulement nécessaire, mais indispensable à l’accès aux soins dans l’ensemble de notre territoire.
La permanence des soins s’organise sur la base du volontariat. Toutefois, le code de déontologie médicale précise qu’il est du devoir du médecin d’y participer ; et, si la carence est constatée, les textes en vigueur permettent déjà au préfet de réquisitionner les médecins sur proposition de l’ARS. On enregistre même une hausse du nombre de réquisitions : au total, 1 019 médecins ont été réquisitionnés en 2023.
La dernière étude annuelle de l’ordre des médecins sur la permanence des soins ambulatoires indique que 39 % des médecins généralistes ont participé à la permanence des soins en 2023 – vous l’avez rappelé vous-même. Ainsi, 26 065 praticiens se sont portés volontaires sur un total de 66 257 médecins susceptibles de prendre une garde. Un médecin réalise en moyenne vingt-huit gardes chaque année et l’âge moyen des effecteurs de gardes est de 45 ans.
En la matière, nous sommes face à deux enjeux principaux : premièrement – nous sommes tous d’accord sur ce point –, assurer la permanence des soins ambulatoires en évitant l’engorgement des services d’urgences par des soins pouvant être assurés en ville – et, à mon sens, ces derniers sont majoritaires ; deuxièmement, faciliter le parcours des patients en soirée, les week-ends et jours fériés.
Il faut lancer une campagne d’information pour que les services en question soient mieux connus des patients eux-mêmes.
En parallèle, nous devons construire des ponts avec tous les établissements médico-sociaux et renforcer ceux qui existent entre l’hôpital, d’une part, et ces établissements, de l’autre, toujours au nom de la permanence des soins. Il faut à tout prix éviter que les personnes âgées qui arrivent aux urgences n’y restent des heures sur des brancards. De telles situations, profondément insatisfaisantes, peuvent mettre en péril la santé des intéressés.
Nous allons continuer à travailler en ce sens. Tous les acteurs sont animés d’un esprit de responsabilité et, à l’heure actuelle, de plus en plus de partenariats se nouent. Nous allons les encourager et les faciliter, dans une logique d’adaptation aux besoins des territoires.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.
Mme Anne Souyris. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Néanmoins, vous parlez toujours d’incitation et n’abordez jamais la piste de l’obligation. Or, vous le reconnaissez, plus de 60 % des médecins de ville ne participent pas à la permanence des soins : c’est tout de même beaucoup.
En vertu d’un amendement adopté au titre de la loi du 27 décembre 2023, l’ARS, qui autorise l’installation des médecins, doit s’assurer à ce moment-là que le praticien participe bien à la permanence des soins. Cette mesure a-t-elle été appliquée et, le cas échéant, évaluée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Sauf erreur, c’est l’ordre des médecins qui autorise l’installation.
Pour ma part, j’ai connu toutes les périodes. J’ai été praticien, j’ai siégé au conseil de l’ordre et j’ai vu les médecins se désengager peu à peu de la permanence des soins, tout simplement parce que les urgences clamaient haut et fort qu’elles accueillaient tout le monde, urbi et orbi.
Nous devons aujourd’hui assurer un nouvel équilibre. Je ne sais pas si la coercition peut être une solution. Ce que je sais, c’est que l’enjeu, à moyen et long termes, c’est de conclure des partenariats de confiance et de modifier la structuration de notre système de santé.
Au préalable, nous avons besoin de solutions d’urgence, mais je crois que nous pouvons faire avec les outils dont nous disposons. Je le répète, les réquisitions sont possibles.
Bien sûr, nous devrons évaluer régulièrement cette politique afin de la réorienter autant que nécessaire. C’est une question d’efficacité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, les urgences sont, par définition, le lieu où les Français se rendent en cas de nécessité immédiate, qu’ils subissent un accident de santé ou un accident de la vie. C’est l’endroit réflexe pour sauver des vies.
Il faut résoudre le problème des urgences dans les meilleurs délais : en témoignent un certain nombre d’exemples observés dans le département dont je suis l’élu.
Une étude menée par l’AP-HP souligne qu’une nuit passée sur un brancard aux urgences augmente de plus de 40 % la mortalité des patients de plus de 75 ans.
Cet été, les personnels du centre CHU de Brest ont présenté à l’entrée des urgences ce qu’ils appellent un mur de la honte. Y étaient affichés des prénoms de patients, leur âge et le nombre d’heures passées sur un brancard. On pouvait par exemple y lire : « M. S., 89 ans, a passé trente heures sur un brancard. »
À Carhaix, les urgences sont toujours régulées par le 15, malgré un accord signé en octobre 2023 par l’État, les collectivités territoriales du centre-ouest Bretagne et les partenaires sociaux. Cette année, à Morlaix, le service des urgences a été mis en très grande difficulté par l’afflux d’estivants.
Madame la ministre, la population et les élus des territoires vous demandent d’agir efficacement. Nous n’attendons pas de miracle : nous exigeons simplement ce qui est dû.
Comment comprendre que les cliniques privées refusent de prendre en charge certains actes jugés non lucratifs, les renvoyant aux urgences de l’hôpital public ? Comment comprendre que les groupements hospitaliers de territoires (GHT) en soient réduits à gérer des pénuries par un système de reconcentration des moyens autour des métropoles, alors qu’ils devaient servir de leviers de bonne répartition des moyens sur l’ensemble du territoire ?
À la désertification de la médecine de ville vient s’ajouter celle des urgences hospitalières. Accepterez-vous de voir rogner le budget alloué aux hôpitaux publics, ce qui serait, pour ces derniers, une quasi-condamnation à mort ? Ou bien, à l’inverse, défendrez-vous fermement l’hôpital public en lui garantissant, via le budget pour 2025, les moyens qui lui sont nécessaires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, bien sûr que nous défendrons l’hôpital public. C’est à dessein que j’ai rappelé tout à l’heure que, sur nos 620 services d’urgences, une soixantaine ont rencontré des problèmes aigus : on trouve donc également des services d’urgences qui fonctionnent, même avec des listes d’attente ou des personnes sur des brancards. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Je voudrais que nous donnions aussi une image positive de l’hôpital de France, qui est un bel hôpital. (Mme Annie Le Houerou et M. Mickaël Vallet s’exclament.) On y trouve des services spécialisés et hyperspécialisés, qui prennent en charge des pathologies de manière tout à fait exceptionnelle. L’accès aux soins de base, la permanence des soins et les soins non programmés posent problème, mais ne ternissons pas l’image de notre hôpital, des professionnels qui y travaillent et des prises en charge qui y sont faites.
Monsieur le sénateur, nous les soutiendrons. Vous avez raison de dire que les établissements privés doivent participer à la permanence des soins. Les conventions qui ont été passées doivent s’appliquer. Des établissements privés reçoivent des budgets particuliers : en contrepartie, ils doivent participer à la permanence des soins.
Je ferai tout pour bâtir des ponts entre l’hospitalisation privée et l’hôpital public, ce qui est absolument nécessaire à la bonne prise en charge des patients.
Quant aux problèmes que vous décrivez dans votre département, je ne puis me réjouir que des personnes restent des heures sur un brancard et que des soignants dressent un mur de la honte dans un hôpital. Cela me navre et ne fait que renforcer ma détermination à agir.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la ministre, pendant l’été 2024, la situation des urgences a été difficile dans de nombreux territoires, notamment en Nouvelle-Aquitaine, que vous connaissez bien, et qui comprend l’ancienne région du Limousin, avec la fermeture perlée des services d’urgences et des Smur dans de nombreux départements.
En Corrèze, les services ont tenu, fonctionnant jour et nuit tout l’été. Je tiens à en féliciter les médecins et tous les personnels, qui ont été très solidaires et très professionnels.
Ces fermetures et difficultés sont dues à un manque de médecins urgentistes, à des tensions sur le personnel et à une hausse de la fréquentation des urgences pendant cette période, de 10 % en Corrèze. La mise en place des SAS a parfois été une solution pour assurer des soins non programmés, mais elle se heurte au manque de médecins de ville. De plus, beaucoup se rendent directement aux urgences, sans composer le 15. Il convient toutefois de poursuivre la mise en place de communautés professionnelles territoriales de santé en complément des SAS.
Il faut former plus de médecins, généralistes et urgentistes. En novembre 2026, l’arrivée de médecins juniors permettra de renforcer les effectifs.
La mise en place de deux dispositifs pourrait améliorer la prise en charge aux urgences : premièrement, généraliser le triage à l’entrée, afin que les urgences mineures soient prises en charge dans une salle différente par un médecin généraliste ; deuxièmement, disposer de davantage de lits d’aval pour les personnes qui, sans urgence aiguë, doivent rester à l’hôpital pour effectuer un bilan approfondi et qui, souvent, encombrent les urgences et attendent sur des brancards.
Madame la ministre, ne faudrait-il pas mettre en œuvre rapidement ces deux dispositifs ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, vous soulevez des problèmes organisationnels. Certains hôpitaux ont déjà peu ou prou un fonctionnement proche de celui que vous venez de décrire.
Les établissements doivent s’efforcer de travailler avec les ARS et les GHT à des organisations plus logiques, à même de fluidifier les parcours.
Vous avez raison de souligner que la présence d’une personne pour accueillir et orienter les patients facilite les choses.
La question des lits d’aval est cruciale. Nous avons besoin de bien davantage de lits de soins médicaux et de réadaptation (SMR) afin de libérer des places pour ceux qui arrivent aux urgences avec des besoins aigus.
Cela suppose de mettre en place une organisation hospitalière et des financements et de satisfaire aux besoins en personnel, infirmiers et médecins pour gérer ces lits. Nous continuons d’y travailler.