Mme Émilienne Poumirol. C’est exact !
M. Guillaume Gontard. Soutenez-les !
Face à la colère et à l’angoisse des agriculteurs, vos propositions sur les marges de la grande distribution et les clauses miroirs des traités de libre-échange nous semblent largement insuffisantes. Nous vous demandons d’instaurer des prix planchers pour les agriculteurs, comme l’a promis le Président de la République, et de mettre fin à l’accord économique et commercial global et à l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne, qui sont en cours de discussion – encore une aberration et une anomalie démocratiques.
Enfin, soutenez sans tarder l’agriculture biologique, seul modèle agricole qui n’emprunte pas la terre à nos enfants et qui souffre gravement de notre régime de subventions inéquitable.
Pour donner corps à votre attachement à la consultation citoyenne, commencez donc par publier les milliers de cahiers de doléances du grand débat national qui dorment depuis cinq ans dans les préfectures, comme le demande notamment notre collègue Marie Pochon.
Le temps me manque pour répondre à l’intégralité de votre discours. Nous saluons néanmoins votre reprise en main du dossier calédonien, comme nous l’appelions de nos vœux. Nous espérons qu’elle permettra de retrouver l’esprit de l’accord de Nouméa et de réparer les dégâts du coup de force présidentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Pour conclure, alors que Gaza est rasée, alors que le Liban est au bord de l’effondrement, alors qu’Israël est sous les bombes, alors que les victimes se comptent par dizaines de milliers, alors que la situation au Proche-Orient nous rapproche chaque jour d’une guerre régionale, ou pire, alors que vos appels au cessez-le-feu sont aussi louables que vains, nous vous implorons d’agir avec force pour stopper l’engrenage de la violence. Décrétez l’embargo sur toutes nos licences d’exportation d’armes et de biens à double usage vers Israël et tout autre belligérant, et reconnaissez, enfin, l’État de Palestine. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement n’a pas d’avenir, nous le savons, mais sur ce sujet, vous pouvez immédiatement jouer un rôle décisif. (Mêmes mouvements.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis une quinzaine de jours, nous sommes enfin sortis du brouillard politique et institutionnel né de la dissolution de juin dernier.
Je ne reviendrai pas sur l’interminable feuilleton de l’été – recherche Premier ministre désespérément –, qui est désormais derrière nous. Toutefois, je dirai quelques mots pour regretter qu’une situation inédite – une assemblée tripartite sans véritable majorité – n’ait pas conduit à un gouvernement davantage pluriel.
Nous en connaissons les raisons : une culture de la coalition étrangère à certains responsables politiques, un sectarisme bien ancré, l’horizon sacré du scrutin présidentiel, ou encore des arrière-pensées électoralistes incompatibles avec le sens du compromis… Bref, alors que Georges Clemenceau disait que la République est une idée toujours neuve, certains ont préféré ne rien changer.
J’en profite pour vous féliciter, monsieur le Premier ministre, ainsi que votre gouvernement, et vous encourager, en ayant une pensée particulière pour nos collègues sénateurs. La fameuse sagesse sénatoriale, dans un contexte difficile, est opportune, pourvu cependant qu’elle ne s’égare pas…
M. Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur. Bravo !
Mme Maryse Carrère. Je salue en particulier la ministre Nathalie Delattre, dont l’expérience sera utile au service des relations entre l’exécutif et les assemblées parlementaires.
Le dogmatisme n’est pas la boussole du groupe du RDSE. Notre charte politique prône, dès ses premières lignes, l’esprit de tolérance, par philosophie, mais aussi par volonté de coconstruire. C’est donc sans préjugés que nous examinerons les politiques publiques qui seront bientôt mises en œuvre. Mais cela ne signifie en aucun cas que nous vous signons un chèque en blanc, monsieur le Premier ministre. Nous tenons à notre indépendance.
Fort de cela, c’est au cas par cas, texte par texte, que nous jugerons vos actions et vos propositions, à l’aune des valeurs qui nous sont chères, dans le respect de la diversité qui caractérise notre groupe.
Vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, la gravité de la situation de la France, compte tenu notamment de sa dette publique colossale, ne doit pas occulter tous les atouts et toutes les richesses dont dispose notre pays.
Si la France a autant brillé cet été dans le monde avec les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris, c’est parce que, derrière l’événement, il y a eu de la richesse humaine, des gens créatifs, des organisateurs totalement investis, des infrastructures publiques à la hauteur, des entreprises ingénieuses, un patrimoine solide et préservé, une sécurité sans faille.
J’ai une pensée émue pour toutes ces personnes, notamment celles qui sont d’origine étrangère, qui contribuent toute l’année à la santé économique de notre pays, à son rayonnement culturel et à ses succès sportifs. À ce titre, elles doivent trouver toute leur place dans la société, sans aucune discrimination.
Alors, si le devoir de vérité sur la situation de la France est une obligation, nous, élus, avons aussi la responsabilité de cultiver l’espoir. Sans tout promettre à nos concitoyens, nous devons mobiliser, repenser parfois toutes les ressources dont dispose notre pays afin de répondre à leurs attentes. Celles-ci sont nombreuses dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, de la santé physique et mentale, du logement, de la sécurité ou en matière de lutte contre les discriminations.
Le RDSE est prêt à débattre de nouvelles propositions et à soutenir toutes celles qui porteront le sceau de la justice sociale, de la solidarité et du progrès.
Nous serons à vos côtés sur le chemin d’une école qui remplirait mieux sa mission d’assurer l’égalité des chances et la mixité sociale. Nous serons là pour rappeler aussi que former des citoyens libres est depuis toujours la tâche de l’école républicaine. Je ne surprends personne en disant cela : mon groupe est profondément attaché au respect de la laïcité. Vous déclarez vous en soucier, monsieur le Premier ministre, et c’est une bonne chose. Reconnaissons que votre prédécesseur avait fait preuve de fermeté sur ce terrain.
Il s’agit de mettre en œuvre une politique ambitieuse visant à redonner du sens à la citoyenneté. Nous avons, ici au Sénat, soutenu des propositions : nous demandons au Gouvernement de les regarder.
Vous souhaitez également être au rendez-vous de l’écologie, un combat que vous menez depuis longtemps, comme a pu le faire une grande figure radicale, Michel Crépeau, pionnier de la mobilité douce. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle : l’écologie doit être non pas punitive, mais intelligente, cohérente, socialement acceptable et soutenable par les forces vives de notre économie, notamment par notre agriculture.
Parmi vos priorités figure le niveau de vie des Français. On ne peut que l’approuver. L’objectif d’atteindre le plein emploi doit être maintenu, mais il doit aussi être accompagné d’une réflexion sur les conditions de travail.
Le niveau de vie des Français est aussi largement déterminé par leurs conditions de logement. Accession à la propriété, investissement locatif, logement social : tous ces chantiers méritent d’être ouverts.
Je n’oublie pas le système de santé, son fonctionnement à deux vitesses par le jeu des mutuelles, ses déserts médicaux et pharmaceutiques. Le Sénat a multiplié les rapports sur ce sujet, à l’instar de celui sur l’avenir de la santé périnatale réalisé dans le cadre de la mission d’information dont mon groupe a demandé la création. Nous vous encourageons à puiser dans le travail de contrôle du Parlement.
Je ne serai pas exhaustive, car toutes les politiques publiques se méritent. Attaquons le vif du sujet, le nerf de la guerre – je veux parler des comptes publics. Une dette de 3 228 milliards d’euros engage « à faire beaucoup avec peu ».
Pour mon groupe, le relèvement de l’impôt n’est pas tabou, tant que l’effort est juste et suffisamment dosé pour ne pas gripper la croissance. Or la contribution est-elle également répartie aujourd’hui ? Non ! Toutes les études démontrent que le taux d’imposition réel des plus riches est inférieur à celui des classes moyennes.
Aussi, je trouve curieux ce refus dogmatique d’augmenter le prélèvement des plus aisés, qui ont tant profité de la crise du covid-19 et de la solidarité nationale. Je trouve également étrange la posture idéologique qui consiste à abaisser massivement les impôts des détenteurs de capital en laissant se creuser les déficits publics pour refuser aujourd’hui tout rééquilibrage fiscal, sans dire, dans le même temps, quelles dépenses publiques il faudrait réduire, quels services publics il faudrait sacrifier. (MM. Yannick Jadot et Thomas Dossus applaudissent.) C’est une posture risquée que de tout miser sur la croissance pour rééquilibrer les comptes. On le voit, cela ne marche pas.
Je ne laisserai pas dire non plus que la solution serait la réduction des dépenses des collectivités locales, comme on a pu l’entendre il y a quelques semaines. Dois-je rappeler que celles-ci subissent de plein fouet à la fois les conséquences de la situation économique et les choix réglementaires et budgétaires de l’État et qu’elles sont enfermées dans des dispositifs rigides, comme peut l’être le ZAN pour certains territoires ? Jouant un véritable rôle d’amortisseur social, les collectivités participent fortement à la création de richesses par l’investissement local, l’intelligence et l’innovation.
J’en profite pour évoquer aussi les territoires d’outre-mer, dont plusieurs rencontrent de grosses difficultés économiques et sociales. Je pense en particulier à la Nouvelle-Calédonie, qui a besoin de soutien pour sa reconstruction. Il faut bien entendu au préalable assurer sa stabilité politique, laquelle doit être consolidée par le dialogue. L’annonce sur le sort réservé au projet de loi constitutionnelle devrait permettre de l’amorcer dans de bonnes conditions.
La France doit relever un autre défi, qui ne dépend pas uniquement de vous, monsieur le Premier ministre : occuper sa place dans le monde, peser en vue de contribuer au rétablissement de la paix au Proche-Orient et en Ukraine, pour ne citer que les conflits les plus brûlants.
Mes chers collègues, cela a été dit, les Français nous regardent. Dans l’intérêt de notre pays, je vous souhaite, monsieur le Premier ministre, de réussir et d’être ce premier de cordée indispensable pour affronter des pentes aussi escarpées que celles de Savoie ou des Hautes-Pyrénées.
Le Gouvernement est certes en première ligne, mais n’oublions pas notre propre responsabilité : rester ouverts tout en demeurant exigeants quant à nos valeurs de fraternité et d’humanisme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.)
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la fin de la tragicomédie qui a précédé votre nomination aura – nous devons l’admettre – été un modeste soulagement.
Soulagement que s’achève cette pantalonnade présidentielle, qui fatiguait jusque sur les plateaux de télévision et désolait les Français de savoir qu’ils n’étaient pas gouvernés.
Soulagement de ne pas voir une extrême gauche sectaire et radicale atteindre le pouvoir après une prise d’otage électorale, à laquelle la droite sénatoriale a parfois donné des gages.
Soulagement, encore, que cette même extrême gauche ne puisse temporairement exercer ses méfaits et étendre son idéologie à la tête de l’État.
Soulagement, enfin, que la solution n’ait pas été cette fois-ci un gadget politique issu d’un nouveau monde factice ou d’une société civile de plateaux de télévision. Nous vous reconnaissons la qualité d’incarner une politique, peut-être ancienne, que nous combattions parce que ses tenants nous paraissaient incapables de se remettre en cause, mais qui a encore pour elle la dignité.
Néanmoins, vous avez servi avec ardeur toutes les institutions et toutes les politiques qui ont conduit à la situation actuelle du pays, ce qui suscite inévitablement notre perplexité. Une simple question se pose dès lors : comment régler les errements du présent lorsque l’on a pris part aux turpitudes du passé ? Vous seul connaissez la réponse, monsieur le Premier ministre, et nous aimerions vous accorder le bénéfice du doute.
Mais il nous faut le dire, avec tout le respect que nous vous devons, chers collègues de la majorité : voilà qu’un parti, désavoué depuis douze ans – depuis l’échec du sarkozysme – lors de chaque élection présidentielle et ayant recueilli à peine plus de 5 % des voix aux élections législatives se retrouve à diriger un gouvernement. Vous savez comme moi que cette situation n’est pas normale, qu’il s’agit d’une facétie de l’histoire politique et qu’elle n’est pas destinée à perdurer.
Devant un budget impossible, face à la véritable faillite économique et sociale dont vous avez été plus que les témoins, ce doux moment du retour sous les ors des ministères prendra fin devant le mur des réalités financières.
Monsieur le Premier ministre, comme nous vous l’avons dit, la bienveillance n’exclut pas la surveillance, mais pas uniquement celle des parlementaires du Rassemblement national et de ses alliés.
Vous êtes sous la surveillance d’un président de la République dont l’hubris et l’ego briseront bientôt vos bonnes volontés.
Vous êtes sous la surveillance d’un Parlement qui passera de la méfiance du moment à la défiance lors du budget.
Vous êtes sous la surveillance du système européen, dont vous avez été l’un des serviteurs, mais qui n’hésitera pas à contraindre vos décisions et, avec elles, à porter atteinte à notre souveraineté.
Enfin, vous êtes, selon vos propres mots, sous la surveillance du peuple français, dont la juste impatience vous submergera bientôt alors qu’il traverse une situation dramatique à tout point de vue. En la matière, nous craignons votre timidité.
Et puisque nous sommes au Sénat, vous vous savez sous la surveillance des élus locaux, qui redoutent d’être accusés encore une fois de tous les maux et de devenir la cible d’un défouloir austéritaire. Or eux savent mieux que quiconque ce que signifie devoir faire plus avec moins.
J’aurai tout de même un mot pour le nouveau ministre de l’intérieur, en sa qualité de président sortant du groupe majoritaire de notre assemblée. Monsieur le ministre, nous aimerions que vos premiers pas médiatiques préfigurent ce que vous ferez réellement en matière d’immigration et d’insécurité.
M. Yannick Jadot. Quel rapport ?
M. Christopher Szczurek. Mais nous n’oublions pas que, alors que vous conceviez sans difficulté le dialogue avec la gauche, ce qui est parfaitement normal en ces murs, consigne avait semble-t-il été donnée de ne jamais voter le moindre amendement du Rassemblement national… Ce simple fait nous fait craindre beaucoup de postures, mais peu de résultats.
Monsieur le Premier ministre, nous préférerions votre réussite, car l’intérêt de la France et des Français importe bien plus que les querelles partisanes. Mais nous n’y croyons guère, car le problème du sérail politique français est moins la compétence que le conformisme.
Si les Français ne veulent de la radicalité, ils souhaitent au moins une rupture. Pour l’heure, nous espérons le respect dû à nos 11 millions d’électeurs, puis, surtout, l’alternance et l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen et de Jordan Bardella en 2027.
Bonne chance et bon courage malgré tout ! (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Michel Barnier, Premier ministre. Il fut très instructif, et même stimulant, d’écouter vos interventions, mesdames, messieurs les présidents de groupe.
Je ne reviendrai pas sur tous les sujets qui ont été évoqués, car nous aurons bien d’autres occasions, lors de la discussion budgétaire ou d’autres débats, notamment lors des questions d’actualité au Gouvernement, de nous retrouver.
Il est vrai, madame la présidente Carrère, que dans les Hautes-Pyrénées, comme en Savoie, les pentes sont escarpées. Il y a des crevasses, des fossés, des chemins qui sont parfois difficiles. Comme vous, j’aime bien marcher en montagne et je fais toujours attention à l’endroit où je mets les pieds, à poser un pas devant l’autre, à garder mon souffle.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça tombe bien !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Oui ! (Sourires.)
Je m’efforce également de toujours garder un œil sur l’horizon, parce que c’est ce qui vous entraîne, vous motive et vous encourage dans les moments de doute. Je retiens l’image que vous avez utilisée et je veux faire montre de ce tempérament de montagnard que nous partageons.
Le président Darnaud, que je tiens à féliciter pour sa désignation à la tête de ce grand groupe politique, mais aussi à encourager et à remercier pour sa confiance, a évoqué d’emblée la volonté que s’établisse une plus large coopération avec le Parlement.
J’aurais pu dire précédemment – et donc je le fais maintenant – que nous allons utiliser l’incroyable quantité de travail, d’intelligence et d’expertise que recèlent les propositions de loi, les travaux des commissions d’enquête et des missions d’information, d’autant que tout cela est, comme cela a été dit, « libre de droits ». Et je saurai rappeler d’où viennent ces propositions !
En tout cas, nous éviterons de tout réinventer, parce que vous avez beaucoup travaillé ; mais nombre des travaux que vous avez entamés ont été interrompus par la dissolution et la suspension des travaux parlementaires. Comme vous pourrez l’observer lors de l’examen de plusieurs textes, nous utiliserons cette expertise. Soyons objectifs : l’Assemblée nationale a connu la même situation, le travail parlementaire sur plusieurs textes ayant également été suspendu.
Je veux aussi exprimer mon accord avec ce qu’a dit le président Hervé Marseille, qui a rappelé, avec beaucoup de sagesse, l’importance des textes européens ; j’y reviendrai.
J’ai exprimé hier, en parlant quelque peu d’expérience, une idée à laquelle je crois. J’ai demandé à tous les ministres, et pas seulement au ministre chargé des affaires européennes, d’être beaucoup plus attentifs aux textes issus de la Commission européenne. Ceux-ci commencent en effet leur parcours législatif à Bruxelles et à Strasbourg, que ce soit au Conseil des ministres ou au Parlement européen, dans une sorte d’indifférence nationale de la part de chaque État européen, en tout cas de notre pays. Il n’y a pas à ce stade de communication sur ces textes. Or ils sont parfois importants : je me souviens, par exemple, de la fameuse directive Bolkestein.
Puis le temps passe – parfois un an, deux ans, trois ans –, le texte est soumis au Parlement, au Sénat ou à l’Assemblée nationale, pour être transposé au beau milieu d’une nuit ou d’une soirée. Et parfois cela explose, ou bien il est trop tard…
Il est donc très important que, dans le cadre d’un processus démocratique, vous soyez alertés par le Gouvernement, notamment par le ministre chargé des affaires européennes, et par les parlementaires européens sur les textes ayant une certaine importance et que l’on vous fournisse un matériau vous permettant d’ouvrir des débats dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs, et pour les députés dans leurs circonscriptions. Seraient ainsi signalés les textes intéressants, portant sur des questions importantes et venant de Bruxelles, de la Commission européenne, laquelle fait des propositions au Parlement européen et au Conseil des ministres, qui décident.
Je pense que, à cet égard, il y a un manque, un vide. Lorsque j’étais président de la délégation sénatoriale pour l’Union européenne, je m’étais déjà inquiété de ce problème, avec plusieurs d’entre vous. Il y a là un vide démocratique à combler. Il pourrait être intéressant pour les sénateurs comme pour les députés d’ouvrir ainsi des débats, d’écouter les partenaires et les acteurs concernés par un projet de directive ou de règlement.
Je vais essayer de combler ce vide. Cela évitera aussi, monsieur le président Marseille, les problèmes, que l’on découvre en général trop tard, de surtransposition. En effet, lorsqu’on est alerté assez tôt de l’arrivée d’un projet de cette nature, on peut mettre en garde, prévenir contre le risque de surtransposition par tel ou tel service administratif.
J’ai ainsi relié deux points évoqués l’un par le président Darnaud, l’autre par le président Marseille.
J’aborderai à présent quelques questions de fond.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué le contexte politique.
Madame la présidente Cukierman, vous avez utilisé, à l’instar de M. Szczurek, le mot « surveillance ».
Personnellement, je ne suis sous la surveillance de personne, si ce n’est du peuple et des parlementaires. C’est vous qui me surveillez et qui surveillez le Gouvernement ! Les sénateurs et les députés nous surveillent : telle est la vérité démocratique. Évitons les polémiques et les petites phrases, qui ne servent à rien…
M. le président Gontard a, quant à lui, parlé de « déni de démocratie » ; là encore, je ne polémiquerai pas, car nous n’avons, les uns et les autres, pas de temps à perdre…
Pour autant, je tiens à dire à M. Gontard et à Mme Cukierman que je n’ai pas besoin que l’on me rappelle quelle est la situation à l’Assemblée nationale ! Celle-ci est inédite depuis le début de la Ve République : il n’y a pas de majorité, il n’y a que des socles parlementaires plus ou moins importants.
Il y a un socle dirigé et animé par LFI, auquel le parti communiste, les Verts et le parti socialiste participent. (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – M. Claude Malhuret applaudit.)
M. Yannick Jadot. Pas de polémique !
Mme Cécile Cukierman. Évitons les petites phrases…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il n’est pas « dirigé » par LFI !
M. Olivier Paccaud. Il est « dominé » ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Il n’y a pas de LFI ici !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Je suis très sensible à votre souci d’autonomie ! (Sourires.)
Ce socle donc, qui a obtenu un résultat important, représente des millions de citoyens.
Il y a aussi le socle du Rassemblement national, rejoint par le parti de M. Ciotti.
Entre ces deux socles, il y a six groupes, dont plusieurs membres, des hommes et des femmes, ont été nommés au sein du Gouvernement. Lesdits groupes forment le socle le plus important.
M. Yannick Jadot. Comment ça marche à l’échelon européen ?
M. Michel Barnier, Premier ministre. Ce socle comprend les partis qui sont proches du Président de la République, ainsi que le groupe Les Républicains, cette famille politique qui est la mienne, même si j’ai toujours été libre et loyal.
Il faut enfin citer les députés non-inscrits et le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot).
Il n’est pas compliqué, si l’on pose des questions précises, en regardant les faits et les chiffres, de constater que dans cette Assemblée nationale, divisée comme jamais entre tous ces socles, ces partis et ces alliances – je n’aime pas beaucoup le mot de coalition –, il y a un socle plus important que les autres, dont je tire ma légitimité. Vous ne pouvez pas le contester !
Elle est minoritaire, cette légitimité, si je puis dire : je représente une majorité relative. Il existe des majorités plus ou moins relatives, mais celle-ci est la moins relative… C’est aussi simple que cela ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Par ailleurs, je n’ai pas besoin non plus que l’on me rappelle que le sort de mon gouvernement dépend d’une conjonction, probable ou improbable, entre l’extrême gauche et l’extrême droite…
Mme Cathy Apourceau-Poly. On ne fait pas partie de l’extrême gauche !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Je sais tout ça ! Va-t-on pour autant baisser les bras, renoncer, jouer au jeu consistant à nommer à la tête du Gouvernement quelqu’un issu de la gauche ou de l’extrême gauche ? J’ai entendu ces derniers jours des personnalités importantes dire qu’il aurait fallu faire cela, même si – on le savait – la censure aurait été immédiate…
Franchement, pensez-vous que notre pays, dans l’état où il est, peut continuer à attendre que l’on agisse, que l’on trouve des solutions ? (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Pour ma part, je ne le pense pas ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Je le dis avec respect, et j’écoute beaucoup…
M. Yan Chantrel. La censure n’aurait pas été immédiate, vous le savez très bien !
M. Michel Barnier, Premier ministre. Mme Maryse Carrère a parlé de gouvernement pluriel… Mais le gouvernement que j’ai l’honneur d’animer est très pluriel ! Et il aurait pu l’être encore davantage si je n’avais pas reçu une réponse négative de telle ou telle personnalité que j’ai consultée. (Applaudissements sur les mêmes travées. – M. Bernard Buis applaudit également.) J’ai même entendu des remarques ou des critiques pointant le fait qu’il était peut-être trop pluriel…
Il n’y a pas que la gauche qui est plurielle !
Le gouvernement que je dirige, très pluriel, représente de nombreuses sensibilités. J’ai remercié hier les hommes et les femmes qui le composent d’avoir bien voulu y participer – je le fais de nouveau devant le Sénat –, dans un moment très difficile, et d’essayer de trouver des solutions par le compromis, le dialogue et la discussion, dans le respect de chacun.
Je le répète, nous ne venons pas tous du même endroit et nous n’allons pas tous au même endroit. Mais en ce moment très grave que nous connaissons, nous décidons d’agir ensemble et de tenter, aussi longtemps que le Parlement le voudra, d’obtenir des progrès, grands ou petits, pour faire face à une situation extrêmement sérieuse.
Il n’y a pas de déni démocratique, mais il y a ce socle. Je dis cela en m’adressant également à François Patriat, que je tiens à remercier sincèrement de son soutien.
J’en ai appelé tout à l’heure à l’esprit de compromis. Cet appel, monsieur Kanner, n’est pas arrivé jusqu’à vous, si j’en crois le ton que vous avez employé et le fond de votre propos ! J’ai encore du travail à faire à cet égard… Mais comme je suis très déterminé, plein d’énergie, et que je conserve en moi depuis le début de mon engagement politique une part d’utopie, je vais essayer de vous convaincre d’aller vers plus de compromis.
Le président Darnaud, François Patriat, ainsi que d’autres orateurs ont évoqué des points particuliers.
Je vous confirme que je continuerai à porter une attention particulière aux agriculteurs et aux pêcheurs, qui sont des producteurs et qui – je l’ai dit hier et le répète devant vous – ont fait beaucoup d’efforts. Peu de professions ont vécu, assumé, voire voulu, autant de transformations depuis vingt ans pour assurer une activité vitale : fournir à nos concitoyens, et notamment aux familles, une alimentation saine, diversifiée et traçable.
Ces producteurs se sont également engagés dans la voie du développement durable. Lorsque j’étais ministre de l’agriculture, j’ai lancé le plan Écophyto avec les agriculteurs, et non pas contre eux, sans eux !
J’ai parlé de l’écologie des solutions : je veux bien recevoir des leçons dans ce domaine – on a toujours des leçons à recevoir – mais je sais, car mon engagement dans ce domaine est ancien, que l’on peut faire beaucoup « avec » : avec les citoyens, avec les entreprises, avec les agriculteurs, et non pas contre eux et sans eux. Il n’y aura donc pas, de mon côté, d’écologie dogmatique. Elle sera pragmatique.
À cet égard, je réitère mon engagement de remettre à plat et en perspective la politique de l’eau, qui vous préoccupe.
Je réaffirme l’objectif de sobriété du ZAN, sur les modalités duquel nous allons retravailler.
Vous avez évoqué le statut de l’élu local. Je sais quel travail a été effectué au Sénat sur ce sujet ; nous ne le referons donc pas complètement, mais nous allons nous en inspirer, voire le reprendre.
Le président Marseille a évoqué deux thèmes importants : l’Europe, dont j’ai déjà parlé, et le dialogue social. Comme je l’ai dit concernant le Parlement et les élus locaux, il faut rouvrir le dialogue social, même si toutes les parties ne sont pas toujours d’accord. Pour ma part, je pense qu’un pays comme le nôtre se porterait mieux s’il avait des syndicats forts, partout respectés et engagés ; j’en suis profondément convaincu.
Nous relancerons le dialogue social sur des sujets graves et importants, sur lesquels nous ne serons pas toujours d’accord. Je pense à l’assurance chômage et à la réforme des retraites qui a été adoptée. Nous en améliorerons et en aménagerons de nombreux points, tout en conservant son cadre budgétaire : je pense aux dispositions relatives à la retraite progressive, à la pénibilité ou à l’usure au travail, par exemple.
François Patriat a cité un homme pour lequel j’ai exprimé hier mon respect, Pierre Mendès France, qui n’a eu pour gouverner qu’un temps court.