M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
Mme Olivia Richard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de rendre, à mon tour, un hommage appuyé à la rapporteure et présidente de la délégation aux droits des femmes, Dominique Vérien, pour son engagement sans faille dans la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment perpétrées dans le cadre familial.
Vous le savez, la présidente Dominique Vérien est coautrice du Plan rouge VIF, issu du rapport éponyme visant à améliorer le traitement judiciaire des VIF, qui est une véritable feuille de route. Avec la députée Émilie Chandler, autrice de la présente proposition de loi, notre collègue a démontré qu’il était possible d’agir concrètement pour lutter contre ces violences. Cela passe par une prise de conscience d’un phénomène qui n’est certes pas nouveau, mais qu’il nous appartient collectivement de pointer du doigt.
Pour ce faire, je réaffirme la nécessité, questionnée dans cet hémicycle lors de nos débats en première lecture, de nommer les choses pour qu’elles soient prises en compte. C’est bien pour cela qu’est apparu le terme « féminicide ». Une femme qui est tuée dans son cercle familial l’est parce qu’elle est une femme et que, de tout temps, la sphère privée est restée secrète, ce qui permet les violences.
Utiliser le terme « féminicide », c’est reconnaître cela, en prendre la mesure et le dénoncer. Nommer ces violences pour qu’elles existent, les compter pour qu’elles comptent : ce sont des axes de travail importants au sein de la délégation aux droits des femmes de notre assemblée.
La commission mixte paritaire qui s’est réunie sur ce texte a permis à nos deux chambres de trouver un accord sur les points restant en discussion, et le groupe Union Centriste s’en félicite.
L’article 1er permet de délivrer une ordonnance de protection lorsque les enfants sont en danger. Cette clarification, qui tient en une virgule, permettra de mieux protéger les enfants qui sont désormais, il faut le rappeler, considérés comme des victimes des VIF.
La proposition de loi vise également – c’est tout à fait essentiel – à protéger les femmes qui n’ont pas d’enfants. Être ou ne pas être mère, telle n’est pas la question !
Pour garantir cette protection, le texte issu de la commission mixte paritaire tend à combler une faille que les agresseurs savent très bien exploiter : la publicité des listes électorales. En modifiant le code électoral, le texte que nous voterons aujourd’hui empêchera le conjoint dangereux de retrouver l’adresse de sa victime en consultant, lui-même ou par le biais d’un tiers, la liste électorale.
Si nous évoquons cette faille et essayons de la combler, c’est parce qu’elle nous a été signalée. Permettez-moi à cet égard de saluer, comme l’a fait Dominique Vérien, notre collègue Anne-Sophie Romagny.
Sur un tout autre sujet, ce texte offre également une liberté supplémentaire à la victime : celle de garder l’animal de compagnie du couple dès lors qu’une ordonnance de protection a été délivrée. C’est en effet un outil d’emprise qu’il fallait enlever de la main du conjoint violent.
Lors de l’examen en première lecture, deux points ont été largement débattus.
Il s’agit, tout d’abord, de la notion de danger, interprétée par la jurisprudence de façon trop restrictive. De trop nombreux magistrats estiment que la cessation de la cohabitation éteint la menace : c’est faux et illusoire.
Un compromis a été trouvé sur la rédaction de l’article 515-11 du code civil, et je félicite vivement Dominique Vérien pour sa démarche pragmatique. Les engagements du garde des sceaux ont été entendus, et une augmentation rapide du nombre d’ordonnances accordées est attendue.
Concernant, ensuite, l’ordonnance provisoire de protection immédiate, dont la création, inspirée du Plan rouge VIF, est l’une des principales avancées de ce texte, un compromis a également été trouvé sur la question de l’initiative.
L’OPPI pourra être demandée par le procureur, avec l’accord de la victime. Le nombre des ordonnances effectivement accordées selon cette procédure fera l’objet d’une grande vigilance.
Enfin, une autre nouveauté a été introduite par le Sénat au travers d’un amendement présenté par la présidente Vérien, et que la commission mixte paritaire a conservée : grâce à ce texte, les juges auront la capacité de protéger les femmes victimes de mariage forcé.
Le juge pourra, sur sa demande expresse, prononcer une interdiction de quitter le territoire français à l’encontre de la victime. En tant que sénatrice des Français établis hors de France, je me félicite particulièrement de cette avancée. En effet, en 2023, douze mariages forcés ont pu être évités à l’étranger grâce à l’action de notre administration consulaire. C’est à la fois beaucoup et, hélas, insuffisant. Nous verrons comment la disposition introduite, très précieuse pour les femmes en France, pourra être traduite pour les femmes françaises à l’étranger.
En créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate et en allongeant à une année la durée de l’ordonnance de protection, le texte qui nous est présenté marque des avancées importantes pour protéger les femmes.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera avec enthousiasme en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la rapporteure, Mme Marie-Claude Varaillas et M. Laurent Somon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je prends la parole au nom de ma collègue Mélanie Vogel qui ne peut être présente parmi nous aujourd’hui et vous prie de bien vouloir l’en excuser.
À chaque fois qu’une femme devient victime de harcèlement, de coups, de menaces, de viol, c’est une vie qui est brisée, c’est une femme de plus qui vit dans la peur. Pour lutter contre ces violences patriarcales intolérables, il faut les prévenir, poursuivre les agresseurs et protéger les victimes. Pourtant, ces efforts restent largement insuffisants.
D’abord, la prévention demeure insuffisante. En effet, l’État n’a pas atteint l’objectif fixé par la loi en matière de dispense de cours d’éducation à la sexualité, lesquels participent à la prévention.
Ensuite, les poursuites ne sont pas assez efficaces. Les victimes rencontrent toujours d’énormes difficultés à porter plainte et un violeur est condamné dans seulement 0,6 % des cas.
Enfin, la protection est toujours parcellaire. La présente proposition de loi vise à la renforcer, et j’en remercie sincèrement Émilie Chandler et Dominique Vérien : nous soutenons pleinement ce texte sur lequel elles ont beaucoup travaillé. Celui-ci permettra notamment de compléter le dispositif des ordonnances de protection, lesquelles ne peuvent être délivrées qu’à l’issue d’une procédure contradictoire qui prend nécessairement plusieurs jours.
Imaginez la situation : on vous agresse ; malgré le choc, les blessures et le traumatisme subis, vous réussissez tout de même à demander une ordonnance de protection. Mais avant que celle-ci ne soit délivrée, votre agresseur vous retrouve et vous menace une nouvelle fois…
Les ordonnances de protection ne permettent pas de protéger la victime dans les premiers jours qui suivent l’alerte. C’est pourquoi nous saluons sans réserve la création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, qui vise à accorder plus rapidement une protection.
La liste des mesures pouvant être prononcées pour la mise en œuvre des OPPI a été complétée sur votre initiative, madame la rapporteure. Je me félicite que la commission mixte paritaire ait validé cet élargissement, comme elle l’a fait pour l’octroi des téléphones grave danger.
Nous nous réjouissons également que la durée de l’ordonnance de protection ait été allongée, passant de six mois à un an. Nous avons soutenu cette initiative qui permettra enfin à la France de rattraper son retard dans ce domaine. À Chypre et en Grèce, par exemple, l’ordonnance de protection peut demeurer en vigueur jusqu’à ce que la justice pénale rende un arrêt sur les faits justifiant la mise en vigueur du dispositif. En Finlande, sa durée maximale est de deux ans, et en Italie d’un an.
Le Sénat avait adopté des mesures davantage protectrices des personnes en danger, mais elles ont été supprimées par la commission mixte paritaire, ce qui est dommage.
Ainsi, la commission mixte paritaire s’est opposée à ce que la victime puisse demander elle-même une OPPI, comme l’avait proposé le Sénat. Faire dépendre la délivrance de cette protection des procureurs de la République témoigne-t-elle d’une méfiance envers les juges ? Émilie Chandler justifie la suppression de la mesure que nous proposions par la volonté d’éviter tout risque d’instrumentalisation. Nous craignons pour notre part que, du fait de cette barrière, le dispositif ne soit sous-utilisé.
La commission mixte paritaire est aussi revenue sur l’évolution que le Sénat avait prévue concernant les critères d’examen des ordonnances de protection, c’est-à-dire sur le caractère cumulatif des violences et du danger.
Cette évolution avait fait suite à des travaux transpartisans constructifs qui allaient, au demeurant, dans le sens d’une proposition de loi que l’Assemblée nationale avait déjà adoptée. La commission mixte paritaire a supprimé la disposition au motif qu’il existait un risque d’inconstitutionnalité. Devancer une éventuelle décision du Conseil constitutionnel, c’est limiter le débat parlementaire !
Ce texte a ainsi été amputé de plusieurs mesures qui auraient pu renforcer considérablement la protection des femmes, une protection dont elles ont grandement besoin. Nous le regrettons.
Malgré tout, ce texte comporte des avancées que nous soutenons pleinement. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme la rapporteure et M. Christophe Chaillou applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord rappeler les chiffres effroyables des violences intrafamiliales en France. En 2022, ce sont 244 000 victimes de violences commises par leur conjoint ou ex-conjoint qui ont été enregistrées par les services de sécurité ; 86 % de ces victimes étaient des femmes.
Ces chiffres sont en hausse : dans notre pays, entre 2022 et 2023, les violences intrafamiliales ont augmenté de 9 % sur tout le territoire.
Mon département de la Dordogne, à dominante rurale, n’est pas épargné. Il ressort du bilan préfectoral de 2023 sur la délinquance que les violences intrafamiliales représentent 63 % des affaires de coups et blessures volontaires. Surtout, la préfecture enregistrait cette même année une hausse terriblement importante des violences intrafamiliales, de 52,8 %. Rendons-nous compte !
Derrière ces chiffres, il y a des femmes meurtries, détruites, victimes. Agir est plus qu’un devoir, c’est un impératif. Je me félicite donc que nous puissions, à l’issue de cette commission mixte paritaire, adopter ensemble cette proposition de loi qui renforce le mécanisme de l’ordonnance de protection et met en place l’ordonnance provisoire de protection immédiate.
Le dispositif de l’ordonnance de protection, mis en place en 2010 et amélioré par plusieurs réformes, permet ainsi au juge aux affaires familiales de statuer sur une situation de danger et de prendre des mesures à l’encontre du conjoint violent, pour protéger les victimes.
Nous avons renforcé le dispositif en allongeant la durée du mécanisme de l’ordonnance de protection de six à douze mois, afin que la victime soit protégée le plus longtemps possible. C’est une victoire !
L’introduction du mécanisme de l’ordonnance provisoire de protection immédiate est également une grande avancée. Désormais, le juge aux affaires familiales pourra prendre des mesures de protection de la victime sous vingt-quatre heures, afin d’interdire au conjoint ou ex-conjoint violent d’entrer en relation avec celle-ci, de se rendre dans certains lieux, mais aussi, par exemple, afin de suspendre l’exercice de l’autorité parentale et d’autoriser la victime à dissimuler son adresse. Ces mesures s’inscrivent bien dans le cadre de la lutte contre les violences intrafamiliales.
Nous souhaitons toutefois rappeler qu’il est nécessaire que des formations à destination des magistrats du siège et du parquet soient mises en place, afin de développer l’usage de ces mécanismes et d’unifier les pratiques sur tout le territoire. En 2022, le ministère public n’était à l’origine que de 2 % des demandes d’ordonnances de protection. Le besoin de formation est donc criant.
Enfin, mes chers collègues, si la protection des femmes victimes de violences intrafamiliales est indispensable, il nous faut également lutter contre le sexisme à la racine, puisqu’il est la cause de ces violences immondes.
Dans un rapport de 2010, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe rappelait d’ailleurs que la lutte contre les stéréotypes sexistes était un outil de prévention de la violence fondée sur le genre. Or, selon le rapport pour 2024 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le sexisme est en augmentation dans la société française.
Le sexisme est un tout, justifié par la culture patriarcale. Il procède d’une représentation du monde fondée sur l’inégalité entre les femmes et les hommes, considérée comme naturelle. Il engendre non seulement des inégalités, mais aussi des violences sexistes et sexuelles. Il est à l’origine d’un continuum des violences, des plus anodines en apparence aux plus graves. Dans la mesure où il puise sa source dans le patriarcat, c’est donc bien le système patriarcal dans lequel nous évoluons qui justifie et légitime ces violences.
La lutte contre le sexisme et la lutte contre le patriarcat sont indissociables. On ne peut faire reculer l’un avant l’autre ; ils se nourrissent mutuellement, avancent et reculent de concert. Plus les femmes s’affirment sur la scène publique, plus les préjugés sexistes perdent du terrain dans l’imaginaire collectif. Plus les préjugés sexistes reculent, plus le système patriarcal apparaît pour ce qu’il est.
Les inégalités entre les femmes et les hommes sont aggravées, de surcroît, par la crise et les difficultés sociales qui en résultent, lesquelles touchent plus durement les populations qui sont déjà en situation inégalitaire.
Nous devons lutter ensemble contre ce système patriarcal sous toutes ses formes, au travail, au sein du foyer, dans la rue, dans les lieux d’études, dans les espaces associatifs, sans nous cantonner aux conséquences. Sinon, nous continuerons à perdre du terrain.
Le groupe CRCE-K votera unanimement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme la rapporteure applaudit également.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Simplification de la vie économique
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de simplification de la vie économique (projet n° 550, texte de la commission n° 635, rapport n° 634).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement ravie de vous retrouver ce soir pour débattre de ce projet de loi de simplification.
Ce texte, vous le savez, s’inscrit dans un plan d’action plus large qui obéit à un seul objectif : simplifier la vie et le quotidien de nos entreprises. Il s’agit de simplifier non pas pour le plaisir, même si cela peut en être un, mais pour libérer du temps utile à nos entrepreneurs, du temps pour qu’ils puissent innover, recruter, se développer – bref, du temps pour entreprendre !
Nous croyons que le rôle des pouvoirs publics en matière de politique économique est d’enlever des cailloux de la chaussure de nos entrepreneurs, et non d’en ajouter ! Alléger la charge normative, les obligations et les sanctions qui pèsent sur eux, c’est alléger leur charge mentale et leur quotidien.
Telle est l’ambition que nous portons avec le Président de la République et Bruno Le Maire depuis 2017.
Depuis cette date, nous avons fait adopter des lois importantes, comme la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite loi Essoc, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, ou encore, l’automne dernier, la loi relative à l’industrie verte qui a permis de renforcer notre attractivité industrielle, si cruciale au XXIe siècle.
Nous avons également allégé la fiscalité des entreprises en matière d’impôt sur les sociétés et d’impôts de production.
Ces mesures portent leurs fruits : elles nous ont permis de créer de la croissance, de devenir le pays le plus attractif en Europe pour les investissements étrangers – c’est la cinquième année que nous le sommes –, d’ouvrir de nouvelles usines, de créer deux millions d’emplois en sept ans et de faire baisser substantiellement le chômage.
Pour continuer sur cette lancée, une nouvelle impulsion était nécessaire. Nous avons donc consulté les entreprises, les fédérations et organisations professionnelles, les Françaises et les Français : six mois de consultations, 33 000 participants, plus de 730 000 votes sur la plateforme citoyenne.
Ce projet de loi vient du terrain, des entrepreneurs, mais aussi des parlementaires, dont Nadège Havet que je remercie pour les échanges que nous avons eus et la qualité de son travail. Je veux aussi saluer avec respect et sincérité la qualité du rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises et l’engagement de son président, Olivier Rietmann.
Ce texte affiche trois objectifs ambitieux.
Premier objectif : continuer de mettre l’administration au service de toutes les entreprises. La simplification – je n’aurai de cesse de le répéter devant vous –, c’est non pas un choc, mais un état d’esprit, et cela doit devenir l’esprit de l’État à chaque échelon.
Trop souvent, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez entendu, comme moi, dans vos circonscriptions des entrepreneurs râler à juste titre contre la lenteur d’une administration face, par exemple, à une demande d’extension de site ou d’ouverture d’usine.
Cette remise à plat, nous souhaitons la faire sans totem ni tabou. Nous souhaitons par ailleurs inscrire ce travail dans la durée grâce à des lois annuelles de simplification et un suivi renforcé, qui passeront au peigne fin les normes applicables aux entreprises pour déceler de nouvelles marges de manœuvre.
Le cœur de ce texte, ce sont le stock et le flux de normes dont vous entendrez parler tout au long de la discussion. Nous cherchons bien sûr à abaisser le stock existant, mais des mesures plus structurelles, comme le débat annuel que nous prévoyons d’instituer ou le « test PME » que nous évoquerons à la fin de l’examen du texte, doivent permettre de nous attaquer au flux de normes de façon régulière et rigoureuse.
Deuxième objectif : soulager les acteurs économiques, en particulier les plus petits.
On parle souvent de justice sociale. J’ai travaillé un certain temps en entreprise – dans des petites, des moyennes et une grande – et j’ai même eu l’impertinence de créer la mienne il y a maintenant dix ans. Je peux vous dire qu’il m’est arrivé de râler parce que les TPE ou les PME – vous le savez bien au Sénat – ne sont pas outillées comme les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou les grandes entreprises pour mettre en œuvre ou exécuter les nouvelles normes, pour s’y adapter.
Nous ne sommes pas tous égaux devant la norme selon que l’on soit une petite PME de dix salariés ou une grande ETI dotée d’une équipe spécialisée. Face à la complexité administrative, les entreprises ne sont donc pas égales entre elles ; c’est un véritable enjeu d’égalité économique.
Laissez-moi vous rappeler les chiffres de l’excellent rapport du Sénat relatif à la simplification des règles et normes applicables aux entreprises : 8 heures par semaine, c’est le nombre d’heures consacrées par un tiers des chefs d’entreprise à l’administratif ; 50 %, c’est la part des entreprises qui renoncent à des aides publiques pour cause de complexité. J’y insiste, une entreprise sur deux renonce à une aide, effrayée par la démarche à effectuer pour la demander !
Le non-recours aux prestations sociales est un enjeu majeur de justice ; il est souvent le fait des plus fragiles ou des plus isolés. Force est de constater que c’est un peu la même chose dans le champ de l’entreprise : les plus petites sont parfois isolées et convaincues qu’il est trop compliqué de demander une aide. Ce non-recours est un problème important pour les toutes petites entreprises. C’est pourquoi nous proposons dans ce texte trois mesures qui leur sont destinées.
Il s’agit, tout d’abord, de rapprocher le droit des professionnels et le droit des particuliers en matière de banque et d’assurance pour que les professionnels soient mieux protégés. Concrètement, il faut prévoir la possibilité pour les entreprises de procéder à la résiliation à tout moment de certains contrats d’assurance et de raccourcir les délais d’indemnisation des assurés dans le cadre des dommages aux biens – j’espère qu’il sera de six mois pour les professionnels comme pour les particuliers.
Il s’agit, ensuite, de simplifier les démarches complexes, notamment l’installation et l’exploitation des commerces dans les galeries marchandes et les centres commerciaux, qui nécessitent jusqu’à quatre mois – autant de temps et de chiffre d’affaires perdus pour le commerçant.
Il s’agit, enfin, de libérer la trésorerie pour les entreprises en adaptant le bail commercial, avec notamment la mensualisation des loyers qui permettra de rendre environ 2 milliards d’euros de trésorerie aux commerçants. Ce sujet a émergé à la suite des travaux du Conseil national du commerce (CNC), que j’ai créé il y a maintenant deux ans. Sur ce point, je souhaite saluer l’accord de place historique qui a été trouvé sur les baux commerciaux sous l’égide du CNC et sur lequel j’aurais le plaisir de revenir en détail lors de nos débats.
La simplification des procédures du quotidien, c’est le nerf de la guerre. C’est pour cela que nous proposons également la suppression des formulaires Cerfa à horizon 2030 et de 80 % d’entre eux d’ici à 2026.
J’entends naturellement – j’étais députée avant d’être ministre – votre réticence à donner au Gouvernement une habilitation à légiférer par ordonnance sur ce sujet, mais, si cette habilitation est large, c’est que la matière est très foisonnante : même si nous ne sommes pas d’accord sur la méthode, vous reconnaîtrez que supprimer 1 800 formulaires au Parlement serait un exercice titanesque et une utilisation bien peu respectueuse par le Gouvernement du temps parlementaire.
Bien sûr, le Gouvernement vous rendra des comptes : c’est la moindre des choses ! L’article 1er prévoit qu’un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
Troisième objectif : continuer à faciliter et à accélérer les transitions écologique, énergétique et numérique. C’est un enjeu de compétitivité et une question de bon sens. Mes collègues Marina Ferrari et Roland Lescure auront l’occasion de défendre ces mesures devant vous.
Nous souhaitons poursuivre le travail en matière de raccourcissement des délais et d’allégement des conditions d’installation des usines et des centres de données. Nous voulons lever les barrières qui nous empêchent encore d’atteindre notre plein potentiel en matière de géothermie, d’éolien en mer, de stockage du carbone et de biogaz. Nous voulons aussi encourager l’exploitation minière de lithium et de cuivre dans notre sous-sol pour alimenter nos gigafactories de batteries électriques.
Je tiens à préciser que nous serons également favorables aux amendements visant à prolonger le mandat de La Poste comme prestataire du service universel postal et à lui permettre de continuer de contribuer au recensement de la population opéré par l’Insee. Simplifier la vie des Français, c’est aussi garantir un accès équitable à ce grand service public sur tout le territoire ; ces amendements y contribueront.
Je le redis, ce projet de loi a vocation à enlever des cailloux de la chaussure de nos entrepreneurs. Car – soyons lucides – le temps que nous examinions ce texte, une dizaine de normes nouvelles seront peut-être entrées en vigueur !
C’est la raison pour laquelle la simplification doit devenir une hygiène du quotidien, d’abord pour l’exécutif : nous devons nous attaquer non seulement au stock de normes, mais aussi au flux ; sinon, nous risquons de réinventer le mythe de Sisyphe.
C’est dans cet esprit que le projet de loi met en place une nouvelle méthode pour mieux appréhender les effets concrets sur les entreprises, TPE et PME.
Nous voulons que tous les projets de loi qui concerne les entreprises, mais également les textes réglementaires lorsque le Gouvernement l’estimera utile, fassent l’objet d’un test PME. La loi en posera les principes grâce à l’intégration des propositions de la remarquable délégation sénatoriale aux entreprises dont je salue de nouveau le travail.
Avant de conclure, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous dire que le Gouvernement prend bonne note des craintes exprimées lors des travaux de la commission spéciale – certaines sont légitimes.
Je pense notamment à celle relative à la simplification du bulletin de paie. La situation actuelle ne satisfait personne : l’élaboration du bulletin de paie est coûteuse pour l’entreprise et celui-ci est peu lisible pour le salarié. (M. Thomas Dossus s’exclame.) Nous souhaitons inverser cette logique : le bulletin de paie de demain doit comporter moins d’informations, mais de meilleures informations.
C’est un travail de longue haleine, à n’en pas douter, qui commence par l’établissement d’un nouveau format de bulletin par voie réglementaire, auquel nous travaillerons avec les partenaires sociaux d’ici à 2027 ; notre cible étant de parvenir à quinze lignes, les principales, comme c’est le cas chez nos voisins européens.
Pour autant, soyons clairs, le salarié continuera, s’il le souhaite, d’avoir accès à toute l’information : l’entreprise la gardera à sa disposition, comme c’est déjà le cas, mais sous le format le plus simple pour elle, et le salarié pourra la consulter avant 2030 sur le portail national des droits sociaux. Le Gouvernement attache en effet une importance primordiale à ce que cette réforme ne se traduise pas par une charge supplémentaire pour l’employeur. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi est désormais entre vos mains, et je ne doute ni de votre soutien à cette ambition de simplification ni de votre capacité à améliorer le texte. Je remercie de nouveau les rapporteurs et la commission spéciale pour le sérieux de leurs travaux.
Il n’est pas un aboutissement, c’est un point de départ. Comme je le disais, la simplification est non pas un choc, mais un état d’esprit, et elle doit devenir l’esprit de l’État. Nous devons y travailler chaque année – c’est pourquoi nous proposons un débat annuel – et elle doit sous-tendre chaque projet de loi qui concerne nos entrepreneurs : nous en débattrons à l’article 27 avec le test PME.
Le défi est immense, nous en sommes conscients. Léonard de Vinci le disait bien mieux que moi : « La simplicité est la sophistication suprême. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)