Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis, moi aussi, de l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux de ce débat, et je remercie Jean-Baptiste Lemoyne de l’avoir organisé.
Après la « mondialisation heureuse », qui s’est révélée être une chimère, nous entrons dans une ère plus raisonnée, sans doute marquée par un regain du protectionnisme. Dans ce contexte, les équilibres sont complexes à trouver.
La crise du covid-19 et le retour de la guerre sur le sol européen et au Proche-Orient ont fait lentement évoluer les mentalités. Les orateurs qui m’ont précédé l’on dit abondamment : les mots « souveraineté », « sécurité économique » et « intelligence économique » viennent enfin au premier plan.
Tout n’est pas réglé pour autant. En parallèle, l’attractivité devient le nouveau mantra de notre économie fragilisée et désindustrialisée, de notre commerce extérieur dégradé. La consommation des ménages ne peut plus être le principal moteur de l’économie. En outre, le mur de la dette limite les capacités d’intervention publique.
Parmi les initiatives qui ont été prises, on peut citer le sommet Choose France, qui s’est tenu voilà quelques semaines. À cette occasion, 15 milliards d’euros d’investissements ont été annoncés, preuve que cet événement phare pour l’attractivité de la France, destiné à capter les investissements internationaux, va dans le bon sens.
La réindustrialisation est nécessaire, même si elle est difficile et qu’elle peine à se matérialiser, tant l’objectif est ambitieux. Reconnaissons que nous partons d’assez loin, d’où l’impératif de travailler collectivement.
Dans ce contexte, nous devons trouver un équilibre délicat entre souveraineté et attractivité, tout en veillant à ne pas laisser entrer un loup dans la bergerie qui, par ses investissements et ses actions, aurait des intentions inamicales, prédatrices ou déstabilisatrices.
Dans les relations internationales, les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts, comme l’affirmait le général de Gaulle. Toutefois, les États peuvent avoir des alliés.
En revanche, je sais, pour avoir longtemps œuvré dans ce domaine, qu’en matière économique, il n’y a ni amis ni alliés. Même les alliés et les partenaires peuvent se faire de mauvaises manières, notamment en utilisant leurs outils de sécurité à des fins d’intelligence économique et, au besoin, pour orienter leurs investissements à l’étranger.
Nos compétiteurs stratégiques ne se privent pas d’user de tous leurs moyens : subventions publiques, mesures protectionnistes, renseignement, désinformation, investissements, etc. Au service de la puissance, cette confrontation relève d’une véritable guerre économique.
La prise de conscience, en France comme dans l’Union européenne, est assez lente chez les gouvernants, quels qu’ils soient, plus encore à l’échelon des territoires. Le débat d’aujourd’hui est d’autant plus utile que le Sénat travaille sur le sujet de l’intelligence économique depuis plusieurs années et qu’il a formulé des propositions.
En France, sous la pression des événements géopolitiques et du risque de prédations sur des pépites technologiques, des dispositions défensives ont été prises pour renforcer le contrôle des investissements étrangers. Divers pays viennent aussi de mettre en place de telles dispositions.
Le contrôle se révèle d’une importance cruciale pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD), qui compte environ 4 000 entreprises et assure à nos armées la capacité de défendre nos intérêts dans le monde, en toute indépendance.
Des actions devraient aussi être menées par le Gouvernement à l’échelon européen pour mieux tenir compte des spécificités du secteur de la défense dans les réglementations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Ces contraintes unilatérales freinent nos investisseurs.
Certains États hors de l’Union européenne font, au contraire, tout pour soutenir leur BITD. Ils s’affranchissent des ONG, instrumentalisent leurs prises de position, voire les suscitent. L’intelligence économique passe aussi par là et, faute de vision d’ensemble, nous peinons à résister à ces manœuvres.
La défense n’est pas le seul domaine nécessitant une attention en matière de contrôle, comme l’ont démontré les crises récentes. Ainsi que le relevait le chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économique, la France fait face à une forte augmentation de la menace économique étrangère, souvent de nature capitalistique.
En ces temps troublés, avec des moyens comptés, il s’agit donc de ne pas baisser la garde et de passer à une phase plus offensive. Il convient en outre d’agir le plus en amont possible, afin d’éviter que nos entreprises ne deviennent des proies pour certains investisseurs.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre : sur ces différents sujets, quelles solutions proposez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Je vous remercie d’avoir évoqué les enjeux d’équilibre de cette stratégie, qui doit être source d’ouverture. En effet, si nous voulons exporter et laisser nos entreprises et nos industriels se projeter dans le monde, notamment via des opérations capitalistiques, il faut que la France reste ouverte. Toutefois, cela suppose de garder nos yeux bien ouverts, ce que permet le dispositif que nous avons mis en place avec l’appui du Parlement. La loi Pacte, que j’ai défendue dans mes précédentes fonctions, comme l’a rappelé le sénateur Lemoyne, a renforcé le dispositif de contrôle du Parlement sur ces dossiers.
Nous avons également investi dans les équipes et, monsieur Montaugé, dans les territoires. Cela nous permet d’alerter davantage les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), et de les former sur ces sujets.
Bref, le nouveau dispositif que nous avons mis en place est assez complet. Nous sommes prêts à rendre compte au Parlement de sa mise en œuvre au moins une fois par an, comme c’est le cas aujourd’hui.
Conséquence de ce nouveau dispositif : nous recevons davantage d’alertes. On dénombre plus de malades parce qu’on a mis plus de médecins dans les cabinets ! Même si les menaces, je suis prêt à le reconnaître, sont en hausse dans le monde, il est difficile de dire si les quelque mille alertes qui remontent tous les ans sont en partie liées ou non au fait qu’on les mesure mieux.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Nous sortons collectivement d’une grande phase de naïveté sur ce sujet, et c’est heureux.
Pour finir, j’insiste sur la problématique de la BITD française, notamment sur les plus petites entreprises. Aujourd’hui, des États, des ONG et des compétiteurs instrumentalisent leurs discours et leurs méthodes. Cela fonctionne plutôt bien, car le secteur bancaire et financier pratiquant en France la sur-compliance, les sources de financement se sont taries. Pour le coup, nous sommes réellement victimes d’intelligence économique étrangère.
Je vous en supplie, monsieur le ministre, prenez ce sujet à bras-le-corps : le financement de la BITD est exposé à un réel danger. Si tel est le cas aujourd’hui, c’est parce que des compétiteurs internationaux arrivent à faire valoir leur position, tandis que nous attendons trop sagement que le temps passe.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il a raison !
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contrôle des investissements étrangers en France est en effet crucial pour retrouver notre souveraineté.
Cependant, avec un gouvernement dirigé par M. Emmanuel Macron, qui, depuis 2012, en tant que secrétaire général adjoint de l’Élysée, ministre de l’économie, puis Président de la République, contribue à vendre la France et ses entreprises au monde entier, il est à la fois paradoxal et urgent de parler de souveraineté.
Devons-nous ici évoquer de nouveau la vente scandaleuse d’Alstom, véritable trahison des intérêts de l’État ? Nous devons aussi au président Macron la cession de l’équipementier télécom Alcatel-Lucent au Finlandais Nokia, du parapétrolier Technip à l’Américain FMC, de l’aéroport de Toulouse-Blagnac à la Chine, et peut-être demain d’Atos. J’en passe, et des pires !
La liste est malheureusement longue et les gouvernements qui se sont succédé depuis quarante ans en portent aussi la responsabilité, avec la désindustrialisation à marche forcée de notre pays qui a détruit des emplois créateurs de valeur et affaibli notre souveraineté, nous rendant dépendants de l’étranger dans bien des domaines.
À ces échecs stratégiques s’ajoute aussi la menace de l’extraterritorialité américaine et, de plus en plus, chinoise, qui met à mal notre tissu industriel. Si le Président de la République pouvait intervenir dans notre débat aujourd’hui, que dirait-il ? « Il faut agir en Américain… » – pardon, mon lapsus est révélateur – « … en Européen ! »
Vraiment ? Dois-je rappeler que, l’an dernier, une économiste américaine ayant travaillé pour Microsoft, Apple et Amazon a été nommée au poste de chef économiste à la direction générale de la concurrence européenne ? On a connu mieux comme défense de la souveraineté ! M. le président Macron pourrait aussi affirmer : « Cela fait partie du marché », comme il l’a récemment déclaré au média Bloomberg en acceptant l’idée que la Société Générale puisse être rachetée par une banque espagnole.
Il est temps, monsieur le ministre, mes chers collègues, de défendre réellement notre souveraineté. Au-delà des mots, cela passera, je vous le dis solennellement, par un changement complet de politique économique et, donc, par la mise en œuvre de l’alternance politique souhaitée par les Français.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur, jusqu’ici, tout allait bien, mais voilà que nous entrons dans la polémique, dans les non-dits et les faussetés.
Je suis désolé de devoir vous corriger : si l’économiste en chef de la direction de la concurrence de la Commission européenne n’a pas été recrutée, contrairement à ce que vous affirmez, c’est bien grâce à l’intervention de la France, qui s’est émue à juste titre d’un conflit d’intérêts au regard de son expérience passée.
Vous évoquez le rachat d’une banque française de qualité par je ne sais quelle banque espagnole. Je n’ai jamais entendu le Président de la République mentionner cela, pas plus qu’aucun membre du Gouvernement.
En revanche, même si, sur le fond, nous sommes en désaccord, mais vous avez raison sur un point : la meilleure défense, c’est l’attaque. Nous souhaitons que les entreprises françaises soient offensives à l’international, à l’exportation, y compris dans un cadre européen, dans des secteurs stratégiques où nous sommes persuadés que nous serons plus forts à trois, à cinq ou à vingt-sept que seuls.
Sur ce point, nous avons, c’est vrai, de sérieux désaccords de fond. Les Français auront bientôt l’occasion de trancher ; je forme le vœu qu’ils choisissent l’offensive et l’ouverture plutôt que le repli et la défense.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis cinq ans, la France est le pays européen qui attire le plus de capitaux étrangers. Nous pouvons en être fiers, cela prouve que notre pays est redevenu attractif et que le site France a retrouvé sa compétitivité.
Alors que la concurrence internationale n’a jamais été aussi rude, entre le dumping structurel permanent de la Chine et la politique agressive de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis, cette attractivité retrouvée est un atout stratégique pour la France. Elle nous oblige.
Faire entrer des capitaux étrangers sur notre sol, se reposer sur ces flux pour irriguer notre tissu économique peut aussi exposer notre Nation à des intérêts qui ne sont pas les siens. C’est là le propre des sociétés ouvertes et la condition de toute puissance économique démocratique.
Dans le contexte que je viens de rappeler, nous aurions donc tort de verser dans l’irénisme : le libéralisme n’interdit pas l’intervention de l’État ; il l’encadre pour éviter qu’elle n’entrave le fonctionnement du marché. On peut parfaitement défendre l’économie de marché et confier à la puissance publique la mission de contrôler les investissements étrangers. Le meilleur exemple s’en trouve outre-Atlantique.
Il y a encore quelques années, le concept de souveraineté avait chez nous très mauvaise presse. On ne l’utilisait que pour dénoncer les excès de la mondialisation ou pour s’opposer au commerce international. L’ère de la naïveté est terminée et la France, comme, plus globalement, l’Europe, a compris que leur destin géopolitique dépendait de leur capacité à défendre leur appareil productif et leur souveraineté économique. Cette prise de conscience, sans doute tardive, est salutaire.
C’est pourquoi je remercie nos collègues du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat sur le contrôle des investissements étrangers en France. Nous sommes nombreux ici à considérer qu’il s’agit d’un outil stratégique au service de cette souveraineté.
Sur ce point, en 2019, la loi Pacte avait déjà renforcé notre arsenal public de contrôle des investissements étrangers dans certains secteurs stratégiques.
Plus récemment, le Gouvernement a encore rehaussé cette ambition en pérennisant le contrôle des franchissements de seuil de 10 % dans les sociétés cotées et en élargissant son champ d’application. Il serait intéressant, monsieur le ministre, que Bercy fournisse à la représentation nationale des informations sur les cas d’usage de cette nouvelle mesure, devenue effective le 1er janvier dernier.
C’est évidemment sur les aspects capitalistiques que ce contrôle est le plus stratégique et je tiens à dire que notre groupe soutient pleinement cette approche.
Dans la même logique, il me semblerait pertinent de renforcer notre arsenal de contrôle des investissements étrangers par le biais du levier fiscal. En effet, l’attractivité de notre site France, que j’évoquais en préambule, tient aussi en grande partie aux mécanismes d’incitation fiscale que nous déployons pour qu’une entreprise étrangère décide de s’installer chez nous plutôt qu’ailleurs.
Parmi ces mécanismes, il en est un que vous connaissez tous et qui a la part belle : le crédit d’impôt recherche (CIR). Avec plus de 7 milliards d’euros annuels, cette dépense fiscale constitue évidemment un outil très puissant pour attirer des investissements étrangers.
Pour autant, j’ose espérer, monsieur le ministre, que les entreprises étrangères ne choisissent pas de venir en France seulement à cause du CIR. L’attractivité de notre pays ne doit pas se payer en deniers publics, mais bien en opportunités économiques.
En tout état de cause, il me semble pertinent de renforcer les contrôles dans l’utilisation du crédit d’impôt recherche, concernant, en particulier, la sous-traitance. Il s’agit vraiment de garantir que les dépenses fiscales bénéficient d’abord et surtout à notre propre écosystème d’innovation, en France et en Europe.
Ce raisonnement vaut également pour d’autres leviers fiscaux. Alors que le Gouvernement a prévu de rationaliser les dépenses, il nous semble inévitable de rouvrir le sujet lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Il y va de l’efficacité de nos dépenses publiques. Dans le cadre de la mission d’information sur la recherche et l’innovation que j’avais eu l’honneur de rapporter il y a environ deux ans, nous avions identifié ce sujet comme un levier stratégique pour accélérer la réindustrialisation.
Cette réindustrialisation de nos territoires, qui vous doit beaucoup, monsieur le ministre, ne saurait se résumer à l’arrivée d’investissements étrangers en France. Nous devons, en premier lieu, nous assurer que les deniers publics favorisent notre écosystème d’innovation, nos instituts de recherche publics, nos start-up industrielles, tout ce continuum qui permet à une découverte scientifique de qualité de devenir un produit compétitif sur le marché.
Il ne s’agit peut-être pas du pari le plus rémunérateur à court terme, mais, à long terme, c’est le seul qui nous permettra de recouvrer cette souveraineté économique que nous appelons de nos vœux. Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est cela qui doit guider notre action. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, je vous remercie de votre intervention ainsi que de tout ce que vous faites afin de soutenir le secteur de l’innovation en France.
Celui-ci va dégager des revenus et de la prospérité, mais aussi préparer la France de demain et d’après-demain dans tous les domaines où nous en avons tant besoin : l’industrie verte, les technologies, l’énergie ou la défense.
Vous l’avez souligné, le CIR, et la fiscalité en général, ne fait pas tout. Pour autant, cela fait partie des atouts retrouvés de la France. De ce point de vue, la stabilité ne nuit pas, bien au contraire : notre capacité à donner de la visibilité sur tous les dispositifs fiscaux qui permettent à des entreprises de choisir la France est bienvenue.
Le dispositif « investissements étrangers en France » constitue également un atout, à condition qu’il soit transparent et clair. Si les entreprises savent à quelle sauce elles vont être mangées, si je puis dire, l’installation en France sera plus simple pour celles qui le souhaitent. La plupart d’entre elles sont disposées à engager le débat avec l’État de manière à satisfaire à certaines conditions si nécessaire.
Un dernier point très important de votre intervention mérite d’être souligné : choisir la France concerne d’abord et avant tout les entreprises françaises, qui doivent elles aussi faire le choix d’investir sur notre territoire. S’il est excellent d’attirer des capitaux étrangers, dont nous manquons, il est tout aussi positif de garder les capitaux en France.
À cet égard, je me réjouis que, au-delà des investissements de Choose France, nous ayons récemment eu l’occasion d’annoncer des investissements substantiels. Sanofi va ainsi investir plus de 1 milliard d’euros dans la recherche en France, tandis que le groupe Bolloré, via son entreprise Blue Solutions, installera une gigafactory de batteries dans le Grand Est. Voilà qui est également fort bienvenu. La France attire tout le monde !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny.
Mme Anne-Sophie Romagny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de leurs travaux sur l’avenir de l’entreprise Atos en avril 2024, les rapporteurs de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ont souligné les moyens limités dont disposait la direction générale du Trésor en matière de contrôle des investissements étrangers.
Pourtant, notre pays a été l’un des premiers au sein de l’Union européenne à développer ces mécanismes, et les siens sont parmi les plus stricts.
La France, à l’instar de nombreux États, s’est dotée d’une politique de vérification des investissements étrangers qui repose sur un équilibre entre le principe de liberté des relations entre la France et l’étranger et la défense des intérêts nationaux.
Certains financeurs extérieurs sont ainsi soumis à une autorisation préalable du ministre de l’économie.
Ce dispositif concerne les investissements dans les activités participant, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique, ou étant de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale, ou relevant d’une activité de recherche, de production ou de commercialisation d’armes et de substances explosives.
La France a mis en place dès 1966 un dispositif de contrôle préalable des investissements directs étrangers. Ce mécanisme a été renforcé en 2005 par l’introduction d’une liste de secteurs pouvant faire l’objet d’un tel contrôle dans le but de protéger les champions nationaux contre des acquisitions potentielles par des investisseurs étrangers.
La liste précise des activités concernées par ces contrôles des investissements étrangers a été progressivement étendue entre 2014 et 2024. Sont désormais concernées, par exemple, les activités portant sur des matériels, des biens ou des services essentiels pour garantir l’approvisionnement en électricité, en eau ou en énergie, la sécurité et l’intégrité des réseaux de transport ou de communication, le stockage de données stratégiques ou encore les services essentiels pour garantir la sécurité alimentaire.
Depuis le 1er janvier 2024, ce contrôle s’étend également aux activités essentielles à l’extraction, à la transformation et au recyclage des matières premières critiques, ainsi qu’aux activités de recherche et de développement dans la photonique.
Parallèlement, le seuil de détention de droits de vote ou de capital déclenchant une procédure de contrôle a été abaissé : de 33,33 % jusqu’en 2019, il a été fixé à 25 %, puis à 10 % en juillet 2020, afin de protéger certaines sociétés fragilisées pendant la pandémie pouvant être l’objet de participations minoritaires opportunistes, ce qui ferait peser un risque sur la sécurité nationale.
Cette mesure temporaire a été prorogée en 2023, puis pérennisée par décret depuis le 1er janvier 2024. Nous nous félicitons de cette pérennisation, préconisée dès juillet 2022 par nos collègues de la commission des affaires économiques dans leur rapport Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique.
Malgré le renforcement du dispositif, nos entreprises restent encore trop vulnérables aux stratégies d’acquisition d’acteurs étrangers.
Dans leur rapport d’information intitulé Anticiper, adapter, influencer : l’intelligence économique comme outil de reconquête de notre souveraineté, notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne et notre ancienne collègue Marie-Noëlle Lienemann recommandaient notamment de renforcer le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France par un suivi obligatoire des engagements souscrits ayant conditionné l’autorisation d’investissement.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est crucial.
Mme Anne-Sophie Romagny. Trop souvent, un tel suivi n’est pas systématique ; de plus, il est centralisé et mis en œuvre par des services distincts de ceux qui fixent les conditions aux investisseurs. Cela complexifie et dilue le contrôle.
Les administrations centrales doivent impérativement disposer de moyens suffisants pour contrôler l’effectivité du respect des conditions assorties à une autorisation du ministère de l’économie. En 2022, sur 131 investissements autorisés au titre du contrôle IEF, 53 % ont été assortis de conditions. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que vos services auront la capacité de contrôler le respect de ces conditions ?
La question de la souveraineté de la France a fait l’objet de nombreux travaux au sein de notre assemblée et notre constat est unanime : il est absolument nécessaire que l’intelligence économique soit repensée de manière globale et intégrée plus largement à notre politique économique.
Il apparaît également essentiel que les parlementaires soient mieux associés aux dispositifs de contrôle des investissements étrangers et à la politique d’intelligence économique pratiquée par le Gouvernement.
Depuis 2020, notre pays fait face à de nombreux chocs. Les conséquences de la crise sanitaire du covid-19 et les tensions sur les matières premières liées au conflit russo-ukrainien ont révélé nos dépendances dans de très nombreux secteurs : agriculture, industrie, numérique, médicaments et énergie. Replacer l’intelligence économique au cœur de nos politiques publiques est urgent et nécessaire afin de préserver notre souveraineté. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre intervention.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bonne intervention !
M. Roland Lescure, ministre délégué. Je souhaite rappeler à l’ensemble des sénateurs et des sénatrices ici présents qu’en 2017, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, il n’existait pas de bureau dédié au contrôle des investissements étrangers en France. Aujourd’hui, un bureau spécifique rassemblant une trentaine de personnes s’acquitte de cette mission cruciale, avec des moyens accrus et une efficacité nettement renforcée.
Cette amélioration notable s’explique en grande partie par une sensibilisation croissante de nos entreprises, du Gouvernement, mais aussi de la représentation nationale vis-à-vis de ces dossiers stratégiques.
Il convient de souligner que le nombre de dossiers examinés a triplé depuis 2017 ; cette hausse d’activité a été rendue possible par l’augmentation des moyens alloués.
De plus, nous avons renforcé le dispositif à trois reprises, en élargissant le nombre de secteurs concernés et en durcissant le régime des sanctions applicables. Les seuils de déclenchement ont été abaissés à 10 % pour les entreprises cotées ciblées par des investisseurs non européens. Dès que ce seuil est franchi, une alerte est émise et une analyse approfondie est menée. L’an dernier, une dizaine de cas ont ainsi été passés au crible. Aujourd’hui, la France dispose d’un des dispositifs les plus aboutis d’Europe en la matière.
S’agissant des enjeux de contrôle évoqués, nous mettons en place un programme annuel qui nous conduira à mener chaque année de façon systématique, au-delà des alertes individuelles, une centaine de contrôles des conditions préalablement fixées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, pour la réplique.
Mme Anne-Sophie Romagny. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Réussir à contrôler systématiquement l’intégralité des conditions fixées lors de l’octroi des autorisations d’investissement étranger serait idéal, en effet. Nous comptons sur votre vigilance à ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Bernard Buis applaudit également.)