M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de son discours de la Sorbonne, le 25 avril dernier, le président Emmanuel Macron a rappelé que l’excellence européenne résidait dans ses savoir-faire. À cette occasion, il a également précisé qu’il fallait décupler l’Erasmus de l’apprentissage et de la formation professionnelle, en fixant comme objectif l’engagement d’au moins 15 % des apprentis dans une mobilité européenne d’ici à 2030.
La conclusion de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier s’inscrit dans le cadre de la politique de développement de l’apprentissage en France, mais également dans celui de la politique de coopération avec l’Allemagne ; enfin, elle s’insère dans les objectifs de la politique européenne en matière d’éducation et de formation.
Il s’agit du premier accord conclu dans le nouveau cadre légal posé par l’article 186 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.
Cet article offre aux apprentis la possibilité d’effectuer une partie de leur formation, pratique ou théorique, dans un pays frontalier de la France. Il dispose également que, pour chaque pays frontalier, la mise en place effective de l’apprentissage transfrontalier est conditionnée à la conclusion d’un accord bilatéral qui en définit les modalités de mise en œuvre.
L’accord que nous examinons aujourd’hui est donc la traduction concrète des dispositions relatives à l’apprentissage de cette loi.
Les anciennes régions réunies aujourd’hui dans le Grand Est, en particulier l’Alsace, avaient développé un dispositif d’apprentissage transfrontalier en lien avec certains territoires frontaliers allemands, sur la base de conventions régionales : l’accord-cadre relatif à l’apprentissage transfrontalier dans le Rhin supérieur du 12 septembre 2013 et l’accord-cadre entre la Sarre et la Lorraine pour la coopération transfrontalière en formation professionnelle initiale et continue du 20 juin 2014.
Toutefois, ce dispositif a été fragilisé par l’évolution des compétences régionales en matière d’apprentissage découlant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. En effet, cette réforme a provoqué la perte de la compétence de financement des formations par apprentissage par les régions françaises.
Cet accord est donc une étape attendue pour la relance de l’apprentissage transfrontalier dans la région frontalière franco-allemande. Il concrétise une volonté politique exprimée conjointement par les régions concernées de l’Allemagne et de la France.
Il a pour objectif d’ouvrir aux apprentis une possibilité de formation professionnelle transfrontalière par apprentissage entre la France et l’Allemagne, afin de leur permettre de développer leurs compétences, notamment linguistiques, et leur employabilité sur un marché du travail élargi.
L’entrée en vigueur de l’accord ouvrira une voie de formation professionnelle à forte valeur ajoutée, au bénéfice de la jeunesse.
Dans une enquête réalisée par la région Grand Est auprès d’apprentis ayant bénéficié du dispositif avant 2018, il est constaté que les apprentis transfrontaliers accèdent rapidement à un premier emploi : un sur deux était employé dès la fin du contrat d’apprentissage ; deux sur trois l’étaient dans le mois qui suivait et près de 80 % dans les trois mois. Quelque 80 % de ces apprentis ont obtenu un CDI.
Pourtant, le nombre d’apprentis en mobilité est extrêmement faible, comme le notait l’Igas dans un rapport de décembre 2022. Sur la période 2018-2019, elle estime le taux de mobilité de ces jeunes à seulement 2 %, alors que le nombre total d’apprentis a connu une hausse spectaculaire à la suite de la réforme de l’apprentissage.
À cette occasion, l’Igas avait identifié plusieurs freins à cette mobilité : une trop grande diversité des modèles éducatifs européens, un statut juridique inadapté aux mobilités longues, ou encore la difficulté de reconnaître les compétences acquises à l’occasion de ces périodes de mobilité.
L’accord franco-allemand relatif à l’apprentissage transfrontalier constitue donc une très grande avancée dans ce domaine.
Le groupe Union Centriste, vous l’aurez compris, soutiendra cette démarche, en formulant le vœu que de nouveaux accords bilatéraux viennent compléter ce premier pas, afin d’atteindre l’objectif de 15 % d’apprentis en mobilité européenne d’ici à 2030. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – Mme Sabine Drexler et M. Ludovic Haye applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la coopération franco-allemande, scellée notamment dans le cadre du traité de l’Élysée en 1963, et, plus récemment, de celui d’Aix-la-Chapelle, est au cœur de la construction européenne.
Après la Seconde Guerre mondiale, la France et la République fédérale d’Allemagne ont signé divers accords pour renforcer les liens qui unissent nos deux États, en particulier chez les plus jeunes, afin de leur inculquer des valeurs de fraternité et d’enrichir nos cultures mutuelles.
Coopération transfrontalière, partenariats scientifiques, travail en commun sur le climat et la politique étrangère : nos domaines de coopération avec nos voisins d’outre-Rhin sont nombreux.
Pourtant, trente-sept ans après la création du programme Erasmus, un domaine d’échange demeure peu développé : celui de l’apprentissage. Développée de longue date en Allemagne, cette pratique associant enseignement théorique et expérience concrète en entreprise est longtemps restée embryonnaire en France. Ce retard est regrettable, car cette forme d’études supérieures permet souvent une très bonne insertion professionnelle et correspond aux souhaits de nombreux jeunes.
En 2018, une réforme de l’apprentissage a permis de démocratiser, enfin, cette pratique en France. Malheureusement, elle a eu pour effet pervers de fragiliser juridiquement la coopération qui existait dans ce domaine entre la région Grand Est et l’Allemagne.
Avec ce projet de loi, le gouvernement vient remédier utilement à cette difficulté. Mieux, l’accord ainsi ratifié permettra à tous les apprentis en centre de formation d’apprentis (CFA) de travailler dans une entreprise allemande implantée dans une région frontalière de la France, et vice-versa. Ce texte offrira donc à ces jeunes des opportunités professionnelles et des occasions décuplées de découvrir la culture et la langue allemandes. Il s’agit donc d’une avancée positive, que nous saluons et pour laquelle nous voterons.
Au-delà de l’Allemagne, la coopération en matière d’apprentissage a également vocation à se développer avec nos autres voisins. La Suisse, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie et l’Espagne se sont déjà montrés intéressés.
Néanmoins, ce futur élargissement des échanges d’apprentis implique une vraie évaluation de ce mécanisme, qui est malheureusement absente de ce texte. Il aurait été souhaitable de pouvoir identifier les points faibles et les points forts de ce dispositif, qu’il s’agisse du type de formations concernées, des aspects financiers et logistiques d’une formation reçue dans deux pays à la fois, ou encore des questions de logement pour les étudiants. Ce travail d’évaluation est impératif pour bâtir un espace européen de l’apprentissage.
Par ailleurs, si nous sommes nombreux dans cet hémicycle à vouloir renforcer les liens universitaires avec les autres pays européens, je regrette qu’il n’en soit pas de même pour la coopération avec les pays hors de l’Union européenne. Je pense ici à l’explosion des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires depuis quelques années, ou encore aux multiples obstacles créés pour ces jeunes par la récente loi Immigration.
Enfin, ce développement de l’apprentissage pose une question fondamentale, qui n’est pourtant pas abordée dans ce texte : celle de la langue.
L’apprentissage de l’allemand est en chute libre en France depuis une vingtaine d’années. En 2022, seuls 14 % des élèves choisissaient l’allemand en première ou seconde langue, contre 23 % à la fin des années 1990. Près de la moitié des postes de professeurs d’allemand sont vacants et leur nombre a pratiquement été divisé par deux en quinze ans.
Nous sommes entrés dans un cercle vicieux : de moins en moins d’élèves choisissent cette langue étrangère et les enseignants doivent donner des cours dans des établissements toujours plus éloignés. Si nous voulons faire vivre le couple franco-allemand, il est urgent de nous pencher sur ce sujet.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Guillaume Gontard. En conclusion, les écologistes soutiendront ce renforcement de la coopération avec l’Allemagne et, bientôt, nos autres voisins. Cependant, sa réussite passera nécessairement par un sursaut des moyens accordés à notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet accord fait suite à la loi visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l’apprentissage » ; notre assemblée avait adopté la proposition de loi qui en a été à l’origine, mais le groupe CRCE-K s’était alors abstenu.
Nous nous étions montrés assez circonspects, parce que ce texte s’apparentait, selon nous, plutôt à un mécanisme complexe ayant pour seul but d’assouplir, une fois de plus, les règles appliquées aux entreprises qu’à une réelle levée de freins à la mobilité des apprentis.
En outre, ne prévoir aucune solution pour améliorer les conditions d’études et de rémunération des apprentis, alors même que l’on sait la forte prévalence de personnes d’origine sociale populaire parmi ces derniers, nous avait paru constituer une erreur.
Aujourd’hui, nous sommes amenés à débattre d’un accord liant notre pays à la République fédérale d’Allemagne et visant à ouvrir aux apprentis une possibilité de formation professionnelle transfrontalière par apprentissage.
Selon l’étude d’impact de ce texte, le nombre d’entrées en contrat d’apprentissage transfrontalier franco-allemand s’élèverait à environ 300. Il me semble cependant important de souligner ici la politique globale dans laquelle cet accord s’inscrit : celle du démantèlement de l’enseignement professionnel public.
Ce démantèlement est impulsé par des réformes qui subordonnent les enseignements généraux aux stricts besoins professionnels et soumettent de ce fait le lycée professionnel aux besoins immédiats du patronat. J’en citerai pour preuve la réforme Attal, qui n’a fait que calquer la filière professionnelle sur le modèle des CFA, organismes qui sont bien, rappelons-le, au service des entreprises.
Cette réforme a également permis d’instrumentaliser l’orientation de jeunes de 15 ans vers les métiers les plus pénibles et les moins valorisés de ce pays, en les rémunérant 2,80 euros de l’heure.
Cette politique n’a pas seulement un coût pour l’avenir de nos jeunes ; elle implique également une dépense considérable pour les finances publiques. Dans un contexte où le Gouvernement ne cesse d’évoquer la fin de l’argent magique et la nécessité de réduire les dépenses publiques, je souhaite souligner que l’Observatoire français des conjonctures économiques évalue la dépense publique pour l’apprentissage à 15,7 milliards d’euros en 2021. Mais à qui profite cette dépense publique ?
L’engouement pour l’apprentissage est manifeste, mais cette politique du tout-apprentissage n’est pas gage de réussite. En effet, du côté des apprentis, près de 25 % d’entre eux ne terminent pas leur formation. En février 2021, le système d’information du Gouvernement InserJeunes faisait état de 30 % de contrats interrompus avant terme pour les CAP (certificat d’aptitude professionnelle) et de 27 % pour les bacs professionnels. De plus, après une telle rupture de contrat, les trois quarts de ces jeunes abandonnent leur formation.
Néanmoins, le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres. Selon un rapport de France Compétences, les centres de formation d’apprentis ont dégagé un bénéfice net de 702 millions d’euros en 2021, contre 426 millions d’euros en 2020, soit une hausse de 64 % sur un an. L’apprentissage est donc une véritable aubaine pour les CFA et une activité rentable.
Naturellement, nous sommes plus que favorables à la mobilité de nos jeunes, en Europe, mais aussi ailleurs. Seulement, le plus urgent à nos yeux aujourd’hui, c’est le renforcement des enseignements dans la voie professionnelle et la fin du démantèlement de cette filière.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de plaisir que je monte aujourd’hui à cette tribune pour soutenir cet accord, qui ranime une coopération instaurée voilà quelques années entre la région Grand Est et les Länder frontaliers, lorsque l’apprentissage était encore géré par les régions.
M. André Reichardt. Le Grand Est n’existait pas !
Mme Véronique Guillotin. Cet accord est aussi la conséquence du traité signé le 22 janvier 2019 sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, ainsi que de la loi 3DS, qui a ouvert la voie, en 2022, à la formation par apprentissage dans les pays frontaliers de la France.
Il s’agit d’une véritable plus-value pour le secteur éducatif français, pour nos jeunes frontaliers et pour leur accès à l’emploi, comme Claude Kern l’a souligné il y a quelques instants. Nous espérons qu’il sera rapidement suivi d’accords similaires avec nos autres voisins.
Je pense notamment aux territoires proches de la Belgique et du Luxembourg, que je connais plus particulièrement, où l’apprentissage transfrontalier demeure malheureusement anecdotique : il n’en existe pas, ou très peu, en Belgique, et il est limité à certains métiers au Luxembourg, où l’apprentissage post-bac pose particulièrement problème, alors que c’est là que se situe la demande.
Par ailleurs, comme pour les flux de travailleurs frontaliers, les déplacements se font aujourd’hui essentiellement de la France vers les pays limitrophes, alors que nous avons, nous aussi, de grands atouts pour nos voisins. Je pense notamment, dans mon département de Meurthe-et-Moselle, au site Renault de Batilly, où se fait l’assemblage du Master E-Tech, ou encore à Le Bras Frères, entreprise d’exception connue de tous, ici, qui travaille à la reconstruction de Notre-Dame.
Nous avons beaucoup à offrir aux apprentis des autres pays et nous avons tout à y gagner, tant pour la valorisation de nos entreprises et de nos savoir-faire que pour la mise en place d’une situation plus équilibrée dans les flux frontaliers.
L’apprentissage transfrontalier donne une garantie d’équivalence indispensable pour reconnaître les diplômes et expériences reçus dans d’autres pays.
Aujourd’hui, outre le manque de reconnaissance de ces périodes de formation effectuées à l’étranger, il existe de nombreux obstacles à la mobilité des apprentis que cet accord pourrait lever : l’absence de statut reconnu, qui pose des problèmes de nature légale et administrative, notamment pour la sécurité sociale et l’assurance ; le manque d’information et de réseaux professionnels ; enfin, le manque de coopération globale, notamment sur l’apprentissage des langues étrangères en formation professionnelle initiale.
J’en viens à un point important, mais absent de ce texte, que M. Gontard a également évoqué : cet accord ne produira pas les effets attendus sans une politique volontariste pour développer l’apprentissage de la langue allemande. De moins en moins de jeunes apprennent l’allemand, de moins en moins de jeunes partent en Allemagne, et nous avons de plus en plus de mal à recruter des professeurs d’allemand.
Le problème affecte aussi le Luxembourg, car la langue des lycées techniques luxembourgeois est l’allemand, ce qui constitue bien évidemment un frein pour les Français. Certes, de plus en plus de formations sont dispensées en français au Luxembourg, mais elles s’adressent plutôt aux adultes déjà frontaliers, qui privilégient un apprentissage complet au Luxembourg, plutôt qu’un apprentissage transfrontalier.
Si l’on veut donner à cet accord toutes ses chances, ce qui me paraît tout à fait nécessaire, et offrir de vraies chances supplémentaires à nos jeunes, il va donc falloir développer l’apprentissage de l’allemand dans les territoires frontaliers.
L’accord que nous sommes appelés à ratifier aujourd’hui permettra, je le souhaite, d’amplifier le phénomène de l’apprentissage transfrontalier. Les parties prenantes attendent ce vote et les clarifications qui l’accompagnent concernant les modalités d’exécution de l’accord.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe du RDSE apportera sa voix à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier notre rapporteur, Akli Mellouli, de son travail minutieux sur ce texte, mais également M. le ministre et ses équipes de tout le travail sous-jacent qu’ils ont accompli, en particulier avec nos voisins allemands.
Pour l’Alsacien d’adoption que je suis, pour l’élu de ce territoire à l’histoire si singulière, ce texte représente beaucoup. Sans remonter jusqu’à la création des universités d’Heidelberg et de la Sorbonne, il est important de rappeler le rôle majeur joué par les échanges universitaires et scolaires dans les relations entre les pays européens.
« On se lasse de tout, excepté d’apprendre », remarquait Virgile en son temps. C’est bien là toute la raison d’être de programmes comme Erasmus ou les sections AbiBac, pour ne citer qu’eux, que de permettre le rapprochement des peuples par la construction d’un espace européen de l’éducation et du savoir.
Toutefois, les nombreux programmes déjà existants ne concernent pas l’apprentissage. En France, nous avons la chance de bénéficier d’une filière de l’apprentissage développée et performante, dont le développement s’est fortement accéléré depuis 2017.
Les chiffres sont particulièrement significatifs : près de 852 000 contrats d’apprentissage ont commencé en 2023, secteurs privé et public confondus ; un peu plus d’un million de contrats d’apprentissage étaient en cours au 31 décembre 2023.
Les élèves issus de l’apprentissage s’intègrent normalement mieux sur le marché de l’emploi, car ils jouissent d’une expérience déterminante, mais aussi d’un réseau élargi.
Avec ce projet de loi, pour ainsi dire, nous rétablissons une situation normale. Avant 2018, les élèves de la région Grand Est pouvaient aisément aller faire leur apprentissage de l’autre côté de la frontière avec l’Allemagne. La nécessaire évolution de notre droit et des compétences des régions a malheureusement fragilisé ce dispositif par la suite.
C’est la raison pour laquelle nous avons fait figurer dans la loi 3DS un article 186, qui autorise la signature de conventions bilatérales entre la France et ses pays frontaliers, afin notamment de permettre aux élèves de réaliser une partie de leur formation en apprentissage dans un autre pays.
Nous avons face à nous, mes chers collègues, un texte juste, équilibré et attendu à la fois par nos amis allemands, nos élèves français et les différentes collectivités territoriales impliquées dans le projet.
En effet, cet accord rend éligibles à l’apprentissage transfrontalier toutes les certifications qui le sont en France et en Allemagne, mais également tous les diplômes professionnels qui peuvent être obtenus par une formation professionnelle ayant fait l’objet d’un contrat d’apprentissage entre l’entreprise et les apprentis.
Ce texte est le fruit d’une négociation menée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères français et les ministères fédéraux allemands, en lien avec les Länder frontaliers concernés.
Certains points ont fait l’objet de discussions plus approfondies, comme le mécanisme simplifié d’extension de l’accord à d’autres Länder, ou encore les différents aspects financiers. À ce sujet, les parties sont convenues que le financement de l’apprentissage transfrontalier serait assuré conformément aux dispositions en vigueur dans chaque pays.
Il est juste, à mes yeux, d’offrir à tous les élèves français la possibilité de franchir les frontières à des fins d’apprentissage, d’autant que ces frontières, dans de nombreux domaines, n’en sont déjà plus. Je sais toutefois, à la lumière des destinations prévues en Allemagne – le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat et la Sarre –, que la région Grand Est sera la première concernée, à la fois par l’envoi d’élèves français et par l’accueil d’élèves allemands ; je ne puis que m’en réjouir.
Je précise que, en Alsace et en Lorraine, mais également dans les Vosges et dans le Territoire de Belfort, cher au président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, nous vivons le transfrontalier et l’Europe au quotidien. Nous traversons les frontières aisément et régulièrement. Nos collectivités territoriales, la Collectivité européenne d’Alsace en particulier, ou encore notre eurorégion, jouent un rôle majeur d’échange avec les communes et les Länder allemands.
Nous voyageons, nous travaillons, nous faisons des études supérieures des deux côtés de la frontière, cette frontière qui s’efface chaque jour grâce à l’Europe. Il est logique que nous puissions, dans le même esprit de coopération, effectuer notre apprentissage dans le pays européen de notre choix.
Pour la région Grand Est comme pour les autres collectivités concernées, l’apprentissage outre-Rhin est l’occasion d’un véritable rééquilibrage de nos flux transfrontaliers.
De la même manière, et dans un souci d’équilibre entre les jeunes qui sortent du territoire français et ceux qui y entrent, nous avons bien fait d’ouvrir l’entièreté du territoire métropolitain aux apprentis allemands. Cela va réellement permettre de multiplier les opportunités, de réarmer des filières en tension et de stimuler, chez les jeunes Allemands, l’attrait pour notre langue et notre pays.
La solution réside, évidemment, dans l’apprentissage scolaire et dans les efforts déployés par nos élus et nos enseignants, afin de donner envie d’apprendre ces langues germaniques à nos étudiants. Ainsi, comme l’a relevé notre collègue Véronique Guillotin, la perspective d’un apprentissage et d’un marché de l’emploi transfrontaliers dynamiques sera un puissant vecteur d’intérêt et de motivation.
C’est pour toutes ces raisons, mes chers collègues, que le groupe RDPI soutient ce texte et votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michaël Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l’apprentissage transfrontalier entre la France et l’Allemagne s’inscrit dans une ambition plus large, celle d’une meilleure mobilité européenne des apprentis et d’un espace européen d’éducation.
L’importance de ce sujet justifie que l’on questionne la pertinence du recours à un accord bilatéral pour traiter ce sujet d’envergure européenne, que l’on se demande si les moyens financiers accordés sont à la hauteur d’une telle ambition et que l’on s’interroge sur le périmètre géographique, encore modeste, d’application d’une telle mesure.
Une série d’accords similaires est, semble-t-il, en négociation avec la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, l’Italie ou encore l’Espagne. J’attends de vous, monsieur le ministre, que vous nous renseigniez sur le calendrier établi par votre gouvernement pour ces conventions, sans quoi l’objectif affiché d’un espace européen de l’apprentissage restera lettre morte.
Le développement de l’apprentissage transfrontalier est évidemment une bonne nouvelle. Je me réjouis que cet accord vienne pérenniser un dispositif créé et voulu par la région Grand Est, en particulier entre la Lorraine et la Sarre.
L’accord répond ainsi au souhait des acteurs locaux et inaugure une politique d’envergure nationale et européenne pour l’apprentissage.
Je voudrais néanmoins attirer votre attention sur quelques points qui nous appellent à la plus grande vigilance, car ils peuvent bloquer les avancées figurant dans ce texte.
Le présent accord fournit certes un cadre juridique sécurisé pour l’apprentissage transfrontalier, mais, à lui seul, il ne suffira pas à insuffler une dynamique pour la mobilité encore modeste des apprentis, et cela pour une raison simple : le frein principal en la matière n’est pas tant d’ordre juridique que d’ordre financier. Sans renforcement des aides pour le fonctionnement des centres de formations d’apprentis et pour les référents, la mobilité des apprentis restera faible.
En France, le Gouvernement a récemment annoncé une baisse des prises en charge des CFA, ainsi que de l’enveloppe versée aux régions pour financer le fonctionnement desdits centres, ceux-là mêmes sur lesquels le Gouvernement se fonde pour encourager la mobilité internationale des apprentis.
Dès l’origine, le montant alloué aux régions avait été jugé insuffisant pour leur permettre d’assurer ce rôle d’équilibre. Sans ce complément, certains CFA, notamment ceux des premiers niveaux de qualification, seront contraints de fermer des sections de formation, voire des sites entiers de formation.
L’apprentissage transfrontalier est néanmoins un cas particulier, puisqu’une ordonnance prévoit la prise en charge de ces contrats par un opérateur de compétence unique, pour un montant fixé par arrêté des ministres chargés de la formation professionnelle et du budget.
Je profite donc de votre présence devant nous, monsieur le ministre, pour vous demander de préciser la procédure, le périmètre et le niveau de prise en charge par l’opérateur de compétences.
Dans le cas précis de la convention avec l’Allemagne, deux points retiennent particulièrement mon attention.
Le premier est la question du champ d’application géographique du dispositif. Du côté de l’Allemagne, seuls trois Länder sont concernés par l’accord à l’heure actuelle. Je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement quant à la possible extension de l’accord à d’autres Länder, voire à l’ensemble de l’Allemagne, suivant les termes de l’article 10 du présent accord, pour que l’ambition de promouvoir l’apprentissage dépasse l’échelon régional et devienne bien une politique d’envergure nationale.
Mon second point de vigilance porte sur les conditions financières de l’apprentissage. Les deux parties n’ont pas mis en place un système de compensation dans le cadre de l’accord, ce qui se justifie peut-être en raison du nombre encore modeste d’apprentis en mobilité transfrontalière.
La hausse progressive prévue du nombre de bénéficiaires doit amener les parties à considérer un système de financement plus pérenne. L’absence d’un tel système de compensation risque, à court terme, de freiner la mobilité des apprentis. L’accord prévoit qu’une nouvelle négociation financière pourra être engagée à la demande de l’une des parties.
Le Gouvernement devrait dès à présent engager un travail de réflexion avec les partenaires allemands en vue d’ouvrir des négociations dans ce sens.
Enfin, j’aurai aujourd’hui une pensée pour ma collègue du conseil régional de Lorraine trop tôt disparue, Angèle Dufflo. Elle s’est battue pendant de nombreuses années pour le bilinguisme et la mobilité des jeunes. Élus tous deux en Moselle, nous avons vécu concrètement ces obstructions sur les contrats d’apprentissage, alors que l’on refusait catégoriquement qu’un jeune fasse son école en France et son apprentissage en Allemagne. Ce fut un combat commun de chaque instant que nous avons mené de concert.
Aussi, en dépit des possibles écueils que je viens d’évoquer sur le projet d’apprentissage transfrontalier, permettez-moi, pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, de saluer cet accord comme une véritable avancée pour nos territoires transfrontaliers. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)