Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mmes Catherine Di Folco, Patricia Schillinger.
2. Hommage à Jean-Claude Gaudin, ancien sénateur
3. Questions d’actualité au Gouvernement
réforme de l’audiovisuel public
Mme Sylvie Robert ; Mme Rachida Dati, ministre de la culture ; Mme Sylvie Robert.
aides à la rénovation énergétique
M. Jean-Pierre Corbisez ; M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement ; M. Jean-Pierre Corbisez.
communication du ministère des affaires étrangères
M. Édouard Courtial ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe.
situation à gaza et mandat d’arrêt émis par le procureur de la cour pénale internationale
M. Roger Karoutchi ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe ; M. Roger Karoutchi.
politiques publiques relatives à la famille
M. Xavier Iacovelli ; Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de la jeunesse et des familles.
M. Philippe Tabarot ; M. Patrice Vergriete, ministre délégué chargé des transports ; M. Philippe Tabarot.
stratégie industrielle et commerciale de stellantis
M. François Bonhomme ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. François Bonhomme.
évolution des zones de revitalisation rurale
Mme Anne-Sophie Romagny ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
situation en nouvelle-calédonie (i)
M. Claude Malhuret ; M. Gabriel Attal, Premier ministre.
situation en nouvelle-calédonie (ii)
Mme Annick Girardin ; M. Gabriel Attal, Premier ministre.
situation en nouvelle-calédonie (iii)
Mme Mélanie Vogel ; M. Gabriel Attal, Premier ministre.
situation dans les territoires ultramarins
Mme Audrey Bélim ; M. Gabriel Attal, Premier ministre.
réforme de la fonction publique
M. Jean-Gérard Paumier ; M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques ; M. Jean-Gérard Paumier.
Mme Colombe Brossel ; Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Colombe Brossel.
avenir de la centrale émile-huchet de saint-avold
M. Khalifé Khalifé ; M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie ; M. Khalifé Khalifé.
M. Clément Pernot ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Suspension et reprise de la séance
4. Candidatures à une commission mixte paritaire
5. Transformation des bureaux en logements. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Amendement n° 29 rectifié de M. Daniel Gremillet. – Adoption.
Amendement n° 31 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 9 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
Amendement n° 1 de Mme Marianne Margaté. – Rejet par scrutin public n° 196.
Amendement n° 13 de Mme Antoinette Guhl. – Rejet par scrutin public n° 197.
Amendement n° 15 de Mme Antoinette Guhl. – Rejet par scrutin public n° 198.
Amendement n° 16 de Mme Antoinette Guhl. – Rejet par scrutin public n° 199.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 3 rectifié de Mme Florence Blatrix Contat. – Rejet.
Amendement n° 28 rectifié de M. Daniel Gremillet. – Retrait.
Amendement n° 2 de Mme Florence Blatrix Contat. – Rejet.
Amendement n° 8 rectifié bis de M. Jean-Baptiste Blanc. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 30 rectifié bis de M. Daniel Gremillet. – Retrait.
Amendement n° 17 de Mme Antoinette Guhl. – Rejet
Amendements nos 10 du Gouvernement et 25 de M. Bernard Buis. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 4 de M. Christian Redon-Sarrazy. – Retrait.
Amendement n° 19 de Mme Antoinette Guhl. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Amendement n° 22 de M. Bernard Buis. – Retrait.
Amendement n° 23 de M. Bernard Buis. – Retrait.
Amendement n° 21 de M. Bernard Buis. – Retrait.
6. Mise au point au sujet de votes
7. Transformation des bureaux en logements. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Suspension et reprise de la séance
8. Accord avec l’Allemagne sur l’apprentissage transfrontalier. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe
M. Akli Mellouli, rapporteur de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
9. Justice patrimoniale au sein de la famille. – Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
Mme Isabelle Florennes, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics
Texte élaborée par la commission mixte paritaire
Amendement n° 1 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
10. Ingérences étrangères en France. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois
M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
Demande de renvoi à la commission
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 23 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 5 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 8 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 9 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 7 de M. Jérôme Durain. – Adoption.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 4 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 51 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 28 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 42 rectifié bis de M. Raphaël Daubet. – Rejet.
Amendement n° 43 rectifié bis de M. Raphaël Daubet. – Rejet.
Amendement n° 55 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 56 rectifié de la commission. – Adoption.
Amendement n° 10 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 11 de Mme Gisèle Jourda. – Rejet.
Amendement n° 54 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 34 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 12 de Mme Gisèle Jourda. – Rejet.
Amendement n° 52 de M. Pascal Savoldelli. – Adoption.
Amendement n° 50 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 14 de Mme Gisèle Jourda. – Rejet.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Amendement n° 15 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 16 de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 17 rectifié de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 45 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 30 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 47 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 48 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 46 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 49 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 19 de Mme Gisèle Jourda. – Rejet.
Amendement n° 18 de Mme Gisèle Jourda. – Rejet.
Articles 4 bis (nouveau) et 5 – Adoption.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 21 de Mme Gisèle Jourda. – Rejet.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
11. Ordre du jour
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Catherine Di Folco,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage à Jean-Claude Gaudin, ancien sénateur
M. le président. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec une grande tristesse que nous avons appris la disparition brutale de Jean-Claude Gaudin. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)
Nous honorons non seulement la mémoire du ministre, du député et du sénateur qu’il a été, mais aussi la mémoire de celui qui a incarné profondément Marseille, sa ville.
Rendre hommage à Jean-Claude Gaudin, c’est honorer l’un de nos plus grands élus ; son parcours politique ne pouvait que passer par l’assemblée chargée d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, à savoir le Sénat.
Dès l’âge de 15 ans, il admire par-dessus tout Vincent Delpuech, propriétaire du quotidien Le Petit Provençal, qui siégea au Sénat de 1939 à 1966.
Le 27 mars 1965, le jeune professeur d’histoire-géographie fait son entrée au conseil municipal de Marseille. Peut-il penser une seule seconde qu’il y siégera pendant cinquante-cinq ans ?
Son arrivée au Palais Bourbon, en mars 1978, sera un grand moment d’émotion.
Élu sénateur en 1989, il siège au sein du groupe des Républicains et Indépendants, et rejoint la commission des affaires étrangères. Il restera attaché à la Haute Assemblée pendant vingt-huit ans. En septembre 1995, le sénateur-maire de Marseille est élu président du groupe des Républicains et Indépendants au Sénat. Après avoir été nommé ministre de l’aménagement du territoire, de la ville et de l’intégration en 1995, il revient au Sénat et devient alors vice-président de la Haute Assemblée en 1998.
Il est un président de séance courtois, chaleureux, au savoir-faire efficace dans la conduite parfois délicate de nos débats. Ceux qui l’ont connu se souviendront de sa présidence courtoise et de sa technique de vote unique, ni numérique ni arithmétique : il « consulte du regard ». (Sourires.)
En mars 2011, les membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) du Sénat le désignent comme leur président. L’empathie et la sympathie qu’il suscite tiennent à cette estime de l’autre qu’il a développée au cours de sa jeunesse et tout au long de sa carrière, dans l’esprit même de la doctrine sociale de l’Église qu’il a incarnée au sein du groupe d’amitié France-Saint-Siège du Sénat. Je pense aussi à son empathie envers le peuple arménien, dont il a inlassablement défendu la cause au Sénat.
En juillet 2017, il décide, en application des nouvelles règles relatives au cumul des mandats, de céder son mandat de sénateur et de conserver celui de premier magistrat de la ville de Marseille, afin de privilégier le lien direct avec ses administrés, et ce jusqu’en 2020.
Un certain nombre d’entre nous ont encore en mémoire, comme les témoignages que j’ai reçus l’ont montré, l’ultime séance qu’il a présidée – c’était pendant une session extraordinaire, le 25 juillet 2017 – et l’émotion que, sur toutes les travées, nous avons alors ressentie.
Lors de la réunion de la questure décentralisée, à la fin du mois de février et au début du mois de mars, à l’invitation du maire de Marseille, nous l’avions retrouvé au Palais du Pharo, les trois questeurs et moi-même ; le lendemain, je me suis rendu chez lui, dans sa maison du quartier de Mazargues, autour d’un café et de calissons. Il adorait particulièrement les calissons, dont nous avons alors fait ensemble un usage immodéré. (Sourires.) Il était toujours aussi aigu dans sa réflexion politique, dans son regard sur notre pays.
« Jean-Claude… », « Monsieur le maire… » : il faut avoir traversé Marseille avec lui, dans sa voiture, pour comprendre ce que signifie la relation si forte qu’il avait avec les Marseillaises et les Marseillais.
Un certain nombre d’entre nous l’accompagneront demain à la cathédrale de La Major, à Marseille.
À ses proches, à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire la part que le Sénat prend à leur tristesse et à leur chagrin.
Je n’oublie pas qu’il a été, à mes côtés, un vice-président engagé, fidèle, qui savait dénouer toutes les situations, même les plus inextricables. Il y avait comme une science particulière chez Jean-Claude Gaudin.
Je propose que nous partagions un moment de recueillement en sa mémoire.
À tous ceux qui l’ont connu ici, je suggère de fermer les yeux : ils le verront, à cette place qu’il a tant aimée, diriger nos débats avec autant de fermeté que de gentillesse. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent une minute de silence.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif à l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
J’excuse l’absence, pour le début de cette séance, du Premier ministre, qui revient des cérémonies organisées ce matin à Caen en hommage aux deux surveillants pénitentiaires tués le 14 mai dernier dans l’attaque de leur fourgon. La semaine dernière, le Sénat avait lui-même rendu hommage à ces deux fonctionnaires victimes d’un crime odieux. Le Premier ministre, que j’ai eu au téléphone, devrait nous rejoindre au cours de notre séance de questions.
En conséquence et avec l’accord des groupes, nous examinerons un peu plus tard les questions relatives à la Nouvelle-Calédonie, auxquelles le Premier ministre souhaite répondre personnellement.
réforme de l’audiovisuel public
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert. Madame la ministre de la culture, « BBC à la française », quel beau slogan, malheureusement vide de sens. Avez-vous une seule fois présenté la vision stratégique qui sous-tend cette BBC ? Non !
Avez-vous une seule fois justifié la pertinence de cette fusion, au-delà de votre autre slogan, « Se réunir pour être plus forts » ? Non plus !
Avez-vous une seule fois dissipé les doutes et les craintes que fait peser ce texte sur l’indépendance et le pluralisme de l’information ? Toujours pas !
Avez-vous également clarifié le futur financement de l’audiovisuel public, préalable indispensable à toute réforme ? Absolument pas !
Avez-vous enfin consulté les personnels de l’audiovisuel public ? La grève prévue demain par les syndicats apporte une réponse limpide.
Nous avons découvert à quel point la cacophonie au sein de l’exécutif et de la majorité règne, et à quel point vous naviguez à vue. J’en donnerai deux exemples. L’audiovisuel extérieur doit-il être inclus dans le projet de réforme ? Oui, mais en fait, non. Faut-il déplafonner ou contraindre les recettes publicitaires ? On ne sait plus. À quelques mois de cette fusion, plus on avance, moins on en sait !
Madame la ministre, si vous souhaitez réellement protéger l’audiovisuel public, comme vous le dites, ne passez pas en force et reconnaissez que votre projet n’est pas mûr. Êtes-vous prête à y renoncer ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice Robert, vous dites que l’on vogue vers l’inconnu, mais cette réforme n’est pas tombée du ciel ! Cela fait plus de dix ans qu’elle est connue !
Plusieurs voix sur les travées du groupe Les Républicains. C’est faux !
Mme Rachida Dati, ministre. Elle est connue, puisque vous en avez vous-mêmes débattu ici, lors de l’examen d’une proposition de loi que le président Lafon a fait adopter – j’en profite pour lui rendre hommage. C’est cette proposition de loi qui poursuit son parcours. Je souhaite aussi rendre hommage à l’ensemble des sénateurs qui ont travaillé sur l’audiovisuel public, depuis très longtemps, comme le sénateur Hugonet ou le sénateur Karoutchi, et bien d’autres encore.
Ici même, madame la sénatrice, les débats ont eu lieu, les enjeux ont été identifiés. Aujourd’hui, certains ont le sentiment que nous allons revenir à l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française). Cependant, le contexte est différent : tandis que 26 chaînes privées se structurent, s’organisent en groupes et rassemblent leurs forces, l’audiovisuel public voit ses propres forces encore très dispersées. Tous les rapports et études d’impact le reconnaissent.
Les pratiques de consommation de la population, notamment des jeunes, évoluent, comme en témoignent les deux indicateurs suivants : l’âge moyen des téléspectateurs de France Télévisions est de 64 ans ; il est passé, pour Radio France, de 51 ans à 57 ans en quelques années.
M. Yannick Jadot. Quel rapport ?
Mme Rachida Dati, ministre. Il est donc nécessaire de réformer l’audiovisuel public ; c’est un enjeu d’avenir, pour les générations futures. Le paysage médiatique public est très fracturé.
M. Thomas Dossus. Hors sujet !
Mme Rachida Dati, ministre. Concernant la création d’une maison commune, il ne s’agit d’uniformiser ni les métiers ni les activités. Quant au financement, nous avons réussi à créer un dispositif unique. Vous-même ne l’aviez pas obtenu ! À cet égard, je rends hommage au président Lafon, car nous avons réussi à faire avancer cette question. Nous serons les seuls en Europe à disposer de ce mode de financement tout à fait inédit.
Mme Émilienne Poumirol. Précisez !
Mme Rachida Dati, ministre. Ce sera un prélèvement sur recettes, et nous sommes les seuls en Europe à avoir sanctuarisé un tel financement. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s’impatiente.)
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Enfin, j’ai bien consulté l’ensemble des organisations syndicales, les journalistes et les rédactions. Cette réforme, très ambitieuse, est attendue par les Français eux-mêmes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.
Mme Sylvie Robert. Madame la ministre, le Sénat avait voté la création d’une holding, non une fusion !
Surtout, le service public de l’audiovisuel va bien. Il est plébiscité par les auteurs, les éditeurs et les auditeurs. Pourquoi le fragiliser ? Pourquoi le déstabiliser ? Pourquoi cette précipitation ?
Comme l’ont dit plusieurs de vos prédécesseurs, cette fusion sera, je les cite, « inutile » et « inefficace ». Surtout, madame la ministre, elle va à contre-courant des urgences actuelles. Nous avions besoin d’une grande réflexion sur l’avenir des médias, car là est l’urgence ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
aides à la rénovation énergétique
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Jean-Pierre Corbisez. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé du logement.
Monsieur le ministre, à l’issue de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, l’objectif initial de 200 000 logements en rénovation énergétique a été revu à la baisse, à hauteur de 140 000 logements, et ce à la suite des coupes budgétaires décidées récemment.
En janvier 2024, les monogestes d’isolation prenaient fin et les contrats de certificats d’économies d’énergie (C2E) passaient sous le contrôle de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).
Il y a une semaine, monsieur le ministre, vous avez fait trois pas en arrière en réautorisant les monogestes énergétiques et en reportant au 1er janvier 2025 les décisions initialement prévues au 1er janvier de cette année.
Beaucoup de candidats n’y comprennent plus rien : j’y vais, je n’y vais pas, j’attends l’année prochaine… au risque de voir les subventions baisser voire disparaître, au vu des nouvelles économies de 20 milliards d’euros à faire pour 2025, annoncées ce matin dans la presse.
Monsieur le ministre, n’y avait-il pas moyen de faire plus simple pour les candidats à la rénovation énergétique de leur logement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du logement.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Corbisez, je souhaite vous remercier de votre question, qui me permet de rappeler que MaPrimeRénov’ est un succès français dont nous pouvons nous réjouir collectivement. (MM. Yannick Jadot et Akli Mellouli ironisent.)
MaPrimeRénov’ a permis à plus de deux millions de Français de rénover leur habitation au cours des trois dernières années. Pour tous ces Français qui ont eu la chance d’en bénéficier, nous pouvons nous en réjouir.
Vous avez évoqué les questions budgétaires. En réalité, jamais le budget de MaPrimeRénov’ n’a été aussi élevé, malgré notre effort de restitution. Ce budget, qui s’élève à 3,85 milliards d’euros en 2024, contre 3,49 milliards d’euros en 2023, est donc bien en augmentation.
Cependant, le budget pour 2023 a été sous-consommé. La baisse de 85 % du nombre de dossiers déposés en janvier et février de cette année nous a conduits, Christophe Béchu et moi-même, à être à l’écoute des professionnels du bâtiment – Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et Fédération française du bâtiment (FFB) – et à ajuster les règles, afin que plus de Français puissent bénéficier de MaPrimeRénov’.
C’est pourquoi nous avons pris un décret, le 15 mai dernier, qui a permis à de nombreux Français de bénéficier à nouveau de MaPrimeRénov’. Nous avons notamment supprimé l’obligation du diagnostic de performance énergétique (DPE) dans le cadre d’une rénovation par geste et nous avons ouvert la possibilité de recourir à des travaux monogestes d’isolation. L’un dans l’autre, nous avons voulu redonner aux Français la possibilité d’accéder à MaPrimeRénov’.
Certes, cela représente un changement par rapport à la réforme initialement prévue, mais c’est un changement de bon sens, qui va permettre à de nombreux Français de bénéficier du dispositif.
Les résultats, monsieur le sénateur, commencent à être au rendez-vous. Au 21 mai, nous avons eu 7 618 dossiers de demandes déposés sur le site de l’Anah, soit deux fois plus que la moyenne hebdomadaire depuis le début de l’année. De plus en plus de Français sollicitent les services de l’Anah et MaPrimeRénov’. Nous pouvons nous en réjouir.
Je réunirai d’ailleurs l’ensemble des acteurs de la filière pour organiser un mouvement de structuration du secteur de la rénovation et nous prévoyons de signer un pacte. Nous allons tous nous mettre autour de la table pour avoir encore plus d’ambition, simplifier les procédures et accélérer la rénovation des logements. Il y va non seulement du portefeuille des Français, mais aussi de nos ambitions écologiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Corbisez. Il est vrai que le volume financier est plus important, comme il est vrai que de nouveaux dossiers de monogestes énergétiques ont été déposés depuis le début de l’année en quantité importante. Toutefois, ces dossiers iront-ils à terme ? Je pense aussi aux contrats C2E : désormais, tout passe par l’Anah, contrairement aux contrats passés l’année dernière – j’en ai fait l’expérience.
Mes chers collègues, les dossiers Anah sont complexes ; qu’un élément manque, c’est le retour à la case départ. Vous devez payer les travaux et vous ne pouvez lancer la demande de subvention qu’une fois que 80 % des travaux sont engagés. Certes, il est possible de demander une avance, mais voilà encore un dossier à remplir, et la réponse n’est donnée qu’une fois les travaux finis.
L’ancien système était, monsieur le ministre, beaucoup plus simple : il y avait un contrôle technique avant et après les travaux, et le bénéficiaire payait sa part, tandis que l’entreprise cherchait le solde auprès des grands groupes français pollueurs.
Monsieur le ministre, faites plus simple ! Par ailleurs, la simplicité, depuis quelques jours, ce sont nos collectivités locales qui l’apprennent ! Nous venons d’apprendre que, dans le cadre du fonds vert, l’État financera les projets de rénovation des parcs luminaires d’éclairage public à hauteur de 15 % au lieu de 25 %. Quant à la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et à la rénovation énergétique des bâtiments publics locaux, les aides diminuent de 35 % à 25 % ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
communication du ministère des affaires étrangères
M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Édouard Courtial. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le ministre, depuis deux jours, la voix du Quai d’Orsay est brouillée. Lundi dernier, à la suite de la mort du président iranien Ebrahim Raïssi, votre ministère a « présenté ses condoléances à la République islamique d’Iran ».
Le jour même, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a réclamé des mandats d’arrêt contre Benyamin Netanyahou et contre Yahya Sinouar, chef du Hamas dans la bande de Gaza et cerveau présumé de l’attaque du 7 octobre.
Ce faisant, le procureur général a renvoyé dos à dos le chef d’un gouvernement démocratique et le patron d’une organisation terroriste. Là encore, le Quai d’Orsay s’est fendu d’un courtois communiqué indiquant que la France soutenait l’indépendance de la CPI et « la lutte contre l’impunité dans toutes les circonstances ».
Monsieur le ministre, nous sommes bien conscients que les deux événements sont indépendants, mais leur télescopage et la façon dont le Quai a réagi brouillent la voix de notre pays. Lorsque l’on présente ses condoléances pour la mort d’Ebrahim Raïssi, la jeune Mahsa Amini, tuée pour avoir bravé l’absolutisme des mollahs, se retourne dans sa tombe. Vous avez vous-même dû réagir à la comparaison entre Netanyahou et Sinouar pour préciser qu’il ne pouvait y avoir d’équivalence entre le Hamas et Israël.
Monsieur le ministre, vous comprenez que tout cela ait pu susciter l’émotion et le trouble. Pouvez-vous nous confirmer que vous allez reprendre la main sur la communication de votre ministère et que nos valeurs y auront, à l’avenir, bien plus clairement droit de cité ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Courtial, je vous prie d’excuser Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui est retenu aujourd’hui à Weimar avec ses homologues polonais et allemand.
S’agissant de la Cour pénale internationale, le Quai d’Orsay a simplement rappelé ce que sont le droit et le principe de conventionnalité, à savoir que la France reconnaît l’indépendance de la Cour pénale internationale.
M. le ministre a aussi rappelé que cette reconnaissance n’implique en aucun cas et d’aucune manière une équivalence entre, d’une part, le Hamas, un groupe terroriste qui s’est rendu coupable du pire massacre antisémite depuis la Shoah, qui a revendiqué et célébré des attaques barbares, des actes de torture et des violences sexuelles, et, d’autre part, Israël, un État démocratique, qui doit respecter le droit international dans la conduite d’une guerre qu’il n’a pas provoquée lui-même. Voilà ce que Stéphane Séjourné a rappelé à son homologue israélien ce matin même.
En ce qui concerne le décès du président iranien, le Quai d’Orsay s’en est tenu aux usages protocolaires entre pays qui entretiennent des relations diplomatiques, ce qui n’enlève rien aux différends que nous avons avec l’Iran, en particulier eu égard à son action déstabilisatrice dans l’ensemble du Moyen-Orient. Je pense à son action au Liban, en Syrie, et en particulier à l’agression inacceptable de l’Iran contre l’État d’Israël du 13 avril dernier, que nous avons publiquement condamnée. Je pense aussi à la répression intolérable des mouvements pour les libertés publiques, et notamment pour les droits des femmes, au développement illégal et irresponsable du programme nucléaire iranien et, enfin à l’indigne politique d’otages d’État dont sont victimes quatre de nos compatriotes.
Le respect des usages protocolaires n’enlève rien à la fermeté avec laquelle la France s’adresse à l’Iran. (M. François Patriat applaudit.)
situation à gaza et mandat d’arrêt émis par le procureur de la cour pénale internationale
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, internationalement, la parole de la France s’est toujours inscrite dans la lutte contre l’obscurantisme et pour la démocratie. Avez-vous le sentiment que c’est toujours le cas aujourd’hui ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Karoutchi, me voilà abonné aux questions courtes ! (Sourires.)
Oui, la France tient son rang de grande puissance d’équilibre, que l’on considère la situation au Proche-Orient, le front ukrainien ou tous les théâtres où nous sommes amenés à prendre position.
Je vous prie d’excuser de nouveau M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui se trouve précisément avec ses homologues allemand et polonais pour porter, dans ce Triangle de Weimar ainsi réactivé, la voix d’équilibre qui est celle de la France.
Pour ce qui concerne la situation au Proche-Orient, c’est bien le Président de la République, lors du dernier Conseil européen, qui a amené nos partenaires à parler d’une seule voix pour tout à la fois dénoncer la situation des otages dans la bande de Gaza, appeler à une trêve humanitaire conduisant à un cessez-le-feu durable, appeler à ce que l’acheminement de l’aide humanitaire puisse se faire sans entraves et enfin appeler à ce que des sanctions puissent être prises – nous l’avons fait au niveau national – à l’encontre des dirigeants du Hamas comme à l’encontre des colons extrémistes violents.
C’est cette voix d’équilibre que porte le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, que porte le Président de la République, et qui, à mon sens, est entendue partout dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. À force de « en même temps », plus personne ne vous entend.
L’ONU, ce « machin », comme disait de Gaulle, a beaucoup évolué : un forum du Conseil des droits de l’homme présidé par l’Iran, la Commission de la condition de la femme présidée par l’Arabie saoudite, tandis que le rapporteur du Comité spécial de la décolonisation est le représentant de la Syrie de Bachar al-Assad, comité qui, d’ailleurs, demande régulièrement l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie.
Le secrétaire général a demandé une minute de silence pour le boucher de Téhéran. Visiblement, l’ambassadeur de France y a participé volontiers.
Vous nous dites que nous avons présenté les condoléances de la France pour des raisons protocolaires. Franchement, il y a des messages que l’on entend plus ou moins bien. Que pensent les femmes iraniennes ? Que pense l’opposition démocratique iranienne ? Que pensent tous les jeunes Iraniens d’un tel message ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.) La France obséquieuse avec l’obscurantisme, c’est non !
La France, c’est aussi la voix de la démocratie. Vous me dites que le communiqué du Quai d’Orsay sur la demande du procureur de la CPI est institutionnel. S’il n’est qu’institutionnel, il ne fallait pas le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Rappeler que la France respecte l’indépendance de la CPI n’est d’aucune utilité. Nous espérons bien que tel est toujours le cas, et pas juste ce soir-là, à minuit et quart ! Aviez-vous honte de ce communiqué pour le publier nuitamment ?
Ne mettez pas sur le même plan, quels que soient les commentaires des uns et des autres sur le gouvernement de M. Netanyahou, un État démocratique avec des instances élues et une organisation terroriste qui a assassiné. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
politiques publiques relatives à la famille
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Xavier Iacovelli. Madame la ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles, en France, la notion de famille a beaucoup évolué depuis le code civil de 1804, particulièrement depuis 1970 en ce qui concerne la composition familiale et l’égalité parentale.
Aujourd’hui, les familles sont multiples, elles sont diverses, elles sont dites traditionnelles, parfois elles sont recomposées, une fois, plusieurs fois. Les familles sont parfois homoparentales, elles sont aussi pour 20 % d’entre elles monoparentales, choisies ou subies. L’éducation des enfants se fait parfois par un beau-parent, qui n’a aujourd’hui aucun statut.
Cependant, les droits familiaux peinent à obtenir le grand dépoussiérage qui les adapterait aux réalités du quotidien, afin de dessiner un nouveau cadre global et solidaire.
Depuis 2021, nous avons doublé le congé de paternité, qui est passé de quatorze à vingt-huit jours. Aujourd’hui, 71 % des pères ont eu recours à ce nouveau droit, afin de profiter pleinement, avec le deuxième parent, des premiers jours du nourrisson. C’est une vraie réussite.
À l’inverse, le congé parental, instauré en 1977, est à bout de souffle, avec 0,8 % des pères et 14 % des mères qui y ont recours. Les revenus sont trop bas et la durée, trop longue, éloigne le plus souvent les mères de la vie professionnelle. C’est pourquoi le Président de la République a réitéré sa volonté de soutenir les parents, en accompagnant la parentalité grâce à l’instauration d’un congé de naissance, certes plus court, mais aussi mieux indemnisé, avec une égalité entre les parents.
Comme je l’ai dit, pour renforcer le socle d’une société, il est impératif de repenser le soutien apporté aux familles. Cela commence par le fait de s’assurer que les ajustements des droits familiaux correspondent bien aux besoins de familles de 2024 et contribuent à réduire les inégalités de genre.
Madame la ministre, comptez-vous lancer des concertations pour actualiser les droits familiaux ? Quelles actions le Gouvernement compte-t-il entreprendre pour que la maternité ne soit plus un vecteur supplémentaire d’exclusion professionnelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Cécile Cukierman proteste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Iacovelli, vous avez raison, les familles françaises ont évolué. Elles ont plusieurs visages. Mais, en réalité, il y a une inégalité qui perdure, celle qui existe entre les deux parents, entre celui qui s’arrête et celui qui ne s’arrête pas.
À l’heure actuelle, force est de constater que l’existant ne suffit plus. Plus de la moitié des parents ne prennent pas le congé parental. Nous sommes passés de 500 000 demandes de par an – en très grande majorité, des mamans – à un peu moins de 250 000 demandes. La réalité est là : ce congé éloigne du travail, a des conséquences sur le salaire et creuse les inégalités.
Il est certain, en revanche, que pour accompagner la vie des familles, il faut les regarder telles qu’elles sont aujourd’hui, en donnant peut-être un nouveau visage à la politique familiale et en apportant de nouvelles réponses.
La politique familiale, c’est le soutien de la parentalité, c’est l’accompagnement des mille premiers jours, mais c’est aussi des droits nouveaux.
Aujourd’hui, c’est également l’obsession du Premier ministre, la classe moyenne n’a pas accès à ces droits, car la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) est forfaitaire, fixée à 448 euros : voilà le problème. Lorsque les deux parents travaillent, comment peuvent-ils avoir une chance de se poser la question de rester ou pas auprès de leur enfant au moment de sa naissance ?
Notre objectif est de parvenir à ouvrir un nouveau droit aux deux parents à temps égal, soit trois mois, avec une prise en charge proportionnelle au salaire – 50 % des indemnités journalières – afin de réduire l’inégalité qui existe malheureusement trop souvent entre le salaire de la mère et celui du père, plus élevé. Nous voulons permettre à cette classe moyenne de se poser la question de prendre ou non ce congé.
La concertation a commencé avec les associations familiales et les organisations syndicales, mais aussi avec le monde de l’entreprise.
Notre obsession est la suivante : simplifier la vie des familles, de toutes les familles, en ayant un regard particulier et privilégié – je sais que vous êtes également mobilisé en ce sens – en faveur des familles les plus vulnérables, notamment les familles monoparentales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez convaincus que notre mobilisation sera totale pour garantir un nouveau droit aux familles françaises. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
droit de grève
M. le président. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Philippe Tabarot. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des transports.
Monsieur le ministre, à soixante-cinq jours des jeux Olympiques, le chantage à la grève dans les transports tourne à plein régime. Pas de trêve olympique pour les mobilités ni pour les finances publiques. (Murmures sur les travées du groupe CRCE-K.)
Devenant le préalable à toutes négociations, la grève est aujourd’hui une arme de destruction sociale.
Il est temps d’en finir avec le triste record détenu par certains syndicats irresponsables, privilégiant le terrain de jeu de la nuisance maximale à l’esprit de service au public et à la fierté de travailler pendant les jeux Olympiques, pour son pays. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Cette paix sociale, déjà achetée pourtant à prix d’or par le Gouvernement, se fait encore aux dépens des usagers des transports.
Depuis 1947, il n’y a pas eu une année sans un jour de grève à la SNCF.
M. Ian Brossat. Eh oui !
M. Philippe Tabarot. Chaque grève coûte plusieurs millions d’euros aux contribuables. Cette nouvelle grève arrive après un accord prétendument historique sur les retraites, qui devait apaiser le climat social : cela a tenu moins de quinze jours ! (M. Fabien Gay ironise.)
Monsieur le ministre, la vérité, c’est que cette machine infernale ne s’arrêtera plus. Les Français ne vous ont pas élu pour subir face à ceux qui ont le chantage pour ADN.
Au Sénat, avec les présidents Retailleau et Marseille, nous avons voté pour que le droit de grève n’anéantisse plus tous nos droits fondamentaux, comme ceux de se déplacer ou d’entreprendre. Mais vous restez sourd à nos propositions.
Monsieur le ministre, qu’est-ce que cela vous fait d’être passé en quelques semaines de ministre des transports à ministre de la grève ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le sénateur Tabarot, comme je l’ai souligné hier devant l’Assemblée nationale, j’ai toujours défendu le dialogue social et le droit légitime de faire grève.
Dans le secteur des transports, j’ai toujours appelé à la responsabilité de chacun, qu’il s’agisse de la responsabilité de la direction d’entendre les revendications légitimes ou de la responsabilité des syndicats de n’appeler à faire grève que quand toutes les possibilités de discussion dans le cadre du dialogue social ont été épuisées.
La grève d’hier ciblait les modalités de compensation de la mobilisation des agents de la SNCF durant les jeux Olympiques. Des négociations ont lieu aujourd’hui. Cette négociation est-elle légitime ? La réponse est oui !
M. Fabien Gay. Vous voyez, même la droite vous le dit !
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. Les agents de la SNCF seront fortement mis à contribution durant les jeux Olympiques et il est légitime qu’il puisse y avoir une compensation.
Néanmoins, je le redis ici, devant vous, la grève d’hier était une grève préventive : ce n’est pas acceptable, car il ne s’agit pas d’une conception responsable du dialogue social.
La première conclusion que j’en tire est que notre pays est décidément bien immature en matière de démocratie sociale. D’un côté, on fustige un accord d’entreprise financé avec la valeur créée à l’intérieur de l’entreprise, conformément à ce qui se pratique dans la plupart des grands groupes. De l’autre, on négocie par la menace.
En tout état de cause, monsieur le sénateur, les propositions de loi que vous avez défendues n’auraient fondamentalement rien changé à la situation qu’a connue hier la région Île-de-France, la grève ayant eu lieu en dehors des vacances scolaires et des week-ends prolongés. J’invite donc tous les acteurs à retrouver le sens de la démocratie sociale dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour la réplique.
M. Philippe Tabarot. Monsieur le ministre, vous appelez à la responsabilité, mais vous n’êtes guère écouté. Nous avons l’impression d’un jeu de rôle avec les syndicats. Cette complicité (M. Fabien Gay sourit.) est scandaleuse. Beaucoup d’usagers n’en peuvent plus de cette situation, qui les plonge dans de nombreuses difficultés au quotidien. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.) Reprenez les choses en main, les Français doivent pouvoir se déplacer en toute sérénité, grâce à des moyens de transport à la hauteur d’une démocratie comme France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
stratégie industrielle et commerciale de stellantis
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.
Monsieur le ministre, la situation du secteur automobile, face au défi majeur de la fin annoncée du moteur thermique, qui doit intervenir au plus tard dans près de dix ans, nous met dans une situation particulière.
La Chine dispose d’une avance majeure dans ce domaine et la production nationale de petites voitures a largement été délocalisée hors de nos frontières.
La semaine dernière, Carlos Tavares, le président de Stellantis, a annoncé que son groupe allait commercialiser dans son réseau de concessionnaires deux nouveaux modèles de marque chinoise de véhicules électriques.
Monsieur le ministre, où en êtes-vous avec le réarmement industriel de la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur Bonhomme, la transition vers la fin du moteur thermique, qui va dans le sens de l’histoire et a été décidée entre pays européens, doit être l’occasion de réindustrialiser la France et l’Europe. Il faut produire des véhicules électriques chez nous, avec toute la valeur ajoutée que cela comporte.
Nous avons lancé la construction de 5 gigafactories, qui permettront à terme de fabriquer en France plus de 2 millions de batteries électriques. (M. Fabien Gay proteste.) C’est une valeur ajoutée pour les véhicules fabriqués et assemblés en France. Notre ambition est de produire en France 1 million de véhicules électriques, 2 millions à terme.
Ce million de véhicules sera issu à la fois de la marque Stellantis, qui a annoncé l’assemblage en France d’un certain nombre de produits, et de la marque Renault, qui dès l’année prochaine produira en France un modèle de catégorie B, à savoir une Renault 5 électrique. Je salue d’ailleurs la décision de Renault de produire la Renault 5 en France.
Le fait que Stellantis décide de nouer un partenariat en Chine pourra peut-être l’aider à pénétrer le marché chinois, voire lui permettre d’exporter en Europe des véhicules fabriqués en Chine. C’est son choix.
Mais je veux être très clair : la naïveté, c’est terminé ! Le monde plat, c’est terminé ! Le discours sur le commerce international juste, qui fait que nous sommes les derniers ravis de la crèche, c’est également terminé !
Les aides de type leasing social sont un grand succès : 50 000 véhicules ont été commandés par nos compatriotes. Cette offre sera maintenue l’année prochaine. Le bonus automobile sera réservé aux véhicules fabriqués en France et en Europe, comme nous le faisons depuis le début du mois de janvier. Cette décision a eu un impact clair, puisque la part de marché des véhicules non européens est passée de 55 % à 25 %.
Nous devons réserver les aides publiques aux constructeurs qui choisissent la France et l’Europe. C’est déjà le cas aujourd’hui et ce sera encore le cas dans les années qui viennent ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, sans surprise, votre réponse traduit vos atermoiements.
C’est votre majorité au Parlement européen, aidée par les groupes sous l’influence du dogmatisme écologique, qui a décidé d’imposer la fin du moteur thermique en 2035, au motif de lutter contre le réchauffement climatique.
Je rappelle aussi que cette grande bascule est imposée en dix ans alors qu’aucune étude d’impact n’est venue éclairer ce choix.
Alors que l’industrie chinoise dispose d’avantages compétitifs majeurs et déterminants dans la voiture électrique, cette situation risque de fragiliser de notre secteur industriel de manière terrible et historique.
Pendant ce temps, les constructeurs automobiles vont vers la fin du moteur thermique à marche forcée, sans y croire, et demandent eux-mêmes le report de cette décision. Nous sommes le seul continent à en avoir décidé ainsi. Les autres s’en sont bien gardés.
Votre réponse masque surtout notre déclassement industriel. Le déficit de notre balance commerciale a atteint 5 milliards d’euros en 2023.
Vous affirmez vouloir réarmer notre industrie, mais vous ne disposez pour cela que d’un pistolet à bouchon, monsieur le ministre !
Nous risquons, en l’absence de véritables stratégies industrielles claires et protectrices, d’assister impuissants au démantèlement de nos industries. Voilà ce que nous risquons, face au dumping social de la Chine dont l’économie, elle, est dopée par les aides massives du gouvernement chinois.
Nous avons toujours droit à des propos rassurants sur le fait de « produire » français. On nous a même présenté le véhicule électrique fabriqué en France comme l’Eldorado de la mobilité future. Il n’y aura malheureusement pas de miracle. Le réveil risque d’être brutal si nous continuons à croire en ce mirage ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
évolution des zones de revitalisation rurale
M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Sophie Romagny. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Elle porte sur la réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR), qui concrétise des avancées que nous saluons, notamment pour celles qui évoluent en FRR (France Ruralités Revitalisation).
Mais, à partir du 1er juillet, elle pénalisera aussi un certain nombre de communes amenées à sortir du dispositif. Elles seraient 2 000 en France et 180 dans mon seul département de la Marne. Cette sortie « sèche » sera très problématique pour un certain nombre d’entre elles. Il s’agit certes de fiscalité, mais aussi de l’installation des professionnels de santé, du soutien aux agences postales communales, aux commerces, aux entreprises, etc.
Madame la ministre, nous échangeons avec le Gouvernement sur le sujet depuis des mois. Vous m’avez toujours assuré, comme au président Longeot, qu’aucune commune ne serait laissée sur le carreau. Or le 1er juillet approche à grands pas et nous ne voyons rien venir.
Certaines communes sont sorties du dispositif parce qu’elles se portent mieux financièrement : c’est parfait ! Mais quid de celles qui sortent du dispositif cette année ou de celles qui en sont sorties en 2017 et y sont maintenues artificiellement alors que les maires n’en ont pas été avertis – je rappelle qu’il y a eu des élections municipales en 2020 ?
Sans parler de celles qui sont mariées de force dans un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ce qui les fait sortir du dispositif ZRR : pour elles, c’est un peu plus compliqué, surtout lorsqu’elles ont des projets dans les tuyaux !
La deuxième épine est la notion de bassin de vie selon les critères de l’Insee pour rattraper les communes. Le critère est trop large et ne correspond absolument pas aux réalités rurales.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Anne-Sophie Romagny. Si la ruralité ne représente que 20 % de la population, elle représente aussi 80 % du territoire. Concrètement, que proposez-vous à ces communes ? De les maintenir temporairement dans le dispositif, le temps que leurs projets aboutissent, ou prévoyez-vous des mesures spécifiques d’accompagnement ? Et ne me répondez pas « Petites Villes de demain » ou « Villages d’avenir » : vous seriez complètement hors sujet !
Madame la ministre, des centaines de communes rurales et leurs élus attendent impatiemment une réponse adaptée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice, Romagny, vous connaissez bien au Sénat cette réforme que nous avons voulue collectivement et qui a abouti à « zoner » 17 700 communes.
La loi de finances pour 2024 a fixé pour échéance la date du 1er juillet afin, entre autres, de nous laisser le temps de travailler au cas par cas. En effet, en raison des critères choisis, qui sont ceux de l’Insee, comme vous l’avez rappelé, un certain nombre d’ajustements peuvent être nécessaires.
C’est le travail auquel je me suis attelée avec mon cabinet dans de très nombreux départements. Je vous redirai ce que vous savez déjà, même si je ne parle pas des Petites Villes de demain ni des Villages d’avenir. Nous travaillons sur un certain nombre de sujets avec de nombreux sénateurs et nous avons trouvé beaucoup de solutions.
Sur les 611 communes que compte la Marne, 180 sortent du dispositif. Je vous propose donc, comme au sénateur Pointereau avec qui mon directeur de cabinet a eu des échanges encore la semaine dernière, et comme je le propose également à Alexandra Borchio Fontimp, qui m’a écrit (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.), d’organiser une visioconférence au cours de laquelle je serai personnellement présente. J’inviterai également le préfet ainsi que tous les maires afin de travailler ensemble pour rendre cette réforme la plus fine, concrète et efficace possible pour la Marne. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, en s’envolant vers la Nouvelle-Calédonie, le Président de la République sait qu’il va faire face, dans l’urgence, à un double défi : conforter l’indispensable retour à l’ordre qui n’est pas assuré à ce jour, mais aussi sauvegarder la possibilité d’un accord global, institutionnel, politique et économique avec tous les acteurs de l’archipel. C’est la très délicate équation des jours à venir.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous tout d’abord faire le point devant le Sénat sur les conditions de sécurité au sujet desquelles nous parviennent, selon les interlocuteurs auxquels on s’adresse, à Paris ou à Nouméa, des informations contradictoires, ainsi que sur les problèmes préoccupants de santé, d’approvisionnement, de liaisons aériennes, entre autres ?
Ma deuxième question porte sur « l’installation d’une mission », évoquée par le Président de la République. J’ai bien conscience du fait que, avant même l’arrivée du Président de la République à Nouméa, il vous est difficile de faire des annonces qui bien évidemment lui reviennent. Mais peut-être pouvez-vous déjà nous donner quelques précisions sur les conditions et les objectifs de cette mission ?
Enfin, les ingérences étrangères, une fois de plus, n’ont pas été pour rien dans le déclenchement et l’aggravation des violences. Contrairement aux défenseurs autoproclamés de la liberté d’expression, qui portent plainte contre l’État, car ils estiment que des messages sur TikTok tels que « on va brûler les maisons des blancs » font partie du débat démocratique normal, j’approuve votre décision de suspendre cette plate-forme en Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des groupes UC et RDPI.)
Cette décision m’amène à ma dernière question : quelle est l’analyse et quelle sera la réponse du Gouvernement face à l’immixtion de ce réseau chinois et à celle de l’Azerbaïdjan dans les affaires intérieures de notre pays, auxquelles il faut ajouter depuis cette nuit, juste avant l’arrivée du Président de la République en Nouvelle-Calédonie, l’intolérable provocation russe d’une attaque informatique massive destinée à mettre à bas l’ensemble du réseau internet de l’île ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre, que je remercie de sa présence.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, les violences qui secouent la Nouvelle-Calédonie depuis plus d’une semaine désormais sont d’une très grande gravité. Si la situation s’améliore peu à peu, elle reste tendue et fragile.
En quelques jours, des quartiers entiers ont été ravagés, des bâtiments détruits, des magasins pillés. En quelques jours, des dizaines de personnes ont été blessées. Deux gendarmes qui accomplissaient leur mission ont perdu la vie. Ils portaient l’uniforme de la République et étaient engagés pour une mission claire, la plus noble de toutes : faire respecter les lois de la République. Je veux leur rendre ici hommage, saluer leur courage et leur bravoure et dire toute la solidarité de la Nation à leurs proches.
Quatre personnes ont perdu la vie à l’occasion des émeutes. Je veux avoir aussi un mot pour leurs familles. Je ne me résoudrai jamais à ce que des jeunes perdent la vie dans une spirale de violence comme celle que nous avons connue.
Monsieur Malhuret, face à cette situation, notre première priorité est évidemment de rétablir l’ordre et de garantir le retour au calme. Nous avons immédiatement réagi. Le Président de la République a présidé trois conseils de défense et de sécurité nationale. À sa demande, l’état d’urgence a été déclaré. Un couvre-feu a été instauré. Les rassemblements ont été interdits. Comme vous l’avez rappelé, nous avons également suspendu l’accès à un réseau social en Nouvelle-Calédonie.
J’ai présidé cinq cellules interministérielles de crise pour suivre la situation au plus près et prendre les décisions qui s’imposent. Un pont aérien a notamment été mis en place, qui a permis de déployer sur place, en quelques jours seulement, un millier de membres des forces de sécurité intérieure supplémentaires, ce qui porte, à l’heure où nous parlons, à 2 700 personnes les forces présentes sur place. Les renforts continuent à arriver. Il y aura plus de 3 000 policiers et gendarmes en Nouvelle-Calédonie dans les prochaines heures, soit le double d’avant le déclenchement de cette crise.
Le ministre de l’intérieur et des outre-mer et moi-même sommes pleinement mobilisés. Vous m’interrogez sur les conditions de sécurité sur place actuellement. Des opérations d’ampleur ont été menées : 90 barrages ont été dégagés et 306 émeutiers ont été interpellés. Le garde des sceaux a pris une circulaire pour demander une réponse pénale de la plus grande fermeté. Des mandats de dépôt sont prononcés. Nous souhaitons que des condamnations interviennent, car nous ne pouvons pas tolérer et accepter un tel déchaînement de violence, qui ne peut rester impuni.
La situation sur place reste évidemment encore difficile pour beaucoup d’habitants de la Nouvelle-Calédonie. Il faut continuer à agir pour lever les barrages restants, pour prendre le contrôle de l’ensemble des quartiers de Nouméa et, plus largement, des villes de l’agglomération de Nouméa.
Un enjeu est extrêmement central pour les habitants de la Nouvelle-Calédonie : celui de la vie quotidienne, notamment l’approvisionnement en denrées alimentaires et l’accès aux soins. Sur ce sujet, beaucoup a été fait ces derniers jours pour garantir un circuit de distribution alimentaire.
Nous avons très régulièrement fait le point avec le haut-commissaire. La Nouvelle-Calédonie dispose de stocks de denrées pour plusieurs semaines, mais le réseau de distribution a été considérablement fragilisé : des routes ont été bloquées ; des magasins ont été pillés et détruits. Le haut-commissariat, avec le soutien des forces de sécurité intérieure, a pris de nombreuses mesures pour garantir un circuit de distribution et d’approvisionnement qui se déploie progressivement.
Il y a ensuite l’enjeu de la reconstruction pour aller de l’avant. Le ministre de l’économie et des finances a rencontré ce matin en visioconférence – pour avancer rapidement – l’ensemble des forces économiques, notamment les assureurs et les banquiers.
Nous restons sur le qui-vive et nous le resterons, tant que le calme ne sera pas parfaitement rétabli, tant que la vie normale n’aura pas repris.
Ces émeutes sont une remise en cause directe de ce qui est le plus nécessaire à l’archipel : la capacité à vivre ensemble, la capacité pour toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie d’écrire un destin commun, dans le respect des uns et des autres. Ce vivre ensemble, c’est ce qui a guidé les accords de Matignon et de Nouméa. C’est ce qui guide encore aujourd’hui notre action.
Je veux saluer ici la responsabilité de l’ensemble des élus et des forces politiques de Nouvelle-Calédonie qui, conjointement, ont appelé au calme parce qu’il n’y a pas de dialogue possible quand il y a violence.
Or, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie nous l’a appris, des avancées immenses sont possibles dès lors que le dialogue se noue. C’est dans cet esprit que le Président de la République se rend sur place et arrivera en Nouvelle-Calédonie dans quelques heures.
Vous m’interrogez sur le sens de son déplacement. Le Président de la République se déplace pour engager une discussion qui devra permettre à un accord politique global d’émerger. Il est accompagné d’un groupe de contact. Il sera ainsi au contact de l’ensemble des forces vives de la Nouvelle-Calédonie, politiques, économiques, coutumières, mais aussi celles de la jeunesse et de la société civile. Grâce aux personnalités qui l’accompagnent et qui resteront sur place le temps qu’il faudra, nous parviendrons à faire émerger un accord politique global.
C’est la seule voie possible pour atteindre ce que le Président de la République avait appelé lui-même de ses vœux il y a un an en Nouvelle-Calédonie, dans le cadre d’un discours important : le chemin du pardon et le chemin de l’avenir, en faveur duquel nous nous sommes engagés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
situation en nouvelle-calédonie (ii)
M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Annick Girardin. Monsieur le Premier ministre, la Nouvelle-Calédonie est à genoux. Sa population est choquée et meurtrie par des émeutes violentes qui ont fait six morts et des blessés. Nous avons tous condamné ces actes, qui sont impossibles à justifier.
L’économie est en berne et la société est une nouvelle fois déchirée. Comme tous, ici, je salue les forces de l’ordre et les acteurs locaux pour leurs actions et leur engagement sans faille.
Le marasme économique, accru par la pandémie et l’instabilité institutionnelle, mène une jeunesse calédonienne dans la rue. Les craintes de ces jeunes, avides d’espoir quant à un avenir collectif, sont attisées par des souffleurs de braises, et ce malgré un processus d’autodétermination unique : quatre référendums en trente-six ans, dont trois permis par un dialogue apaisé, prônant la démocratie et le respect coutumier, mais reposant sur un équilibre toujours fragile.
Nous voilà de retour au même questionnement qu’en 1988, oubliant les acquis et balayant les avancées de celles et de ceux qui ont œuvré depuis les accords de Matignon et d’Oudinot.
Le groupe RDSE soutiendra l’ensemble des démarches ayant vocation à renouer le dialogue. Dans ce contexte, nous nous félicitons de la décision du Président de la République de se rendre sur place, mais celle-ci suscite des questions légitimes.
Au-delà d’une marque forte de solidarité envers tous ceux qui souffrent sur le territoire, quel sens donner à ce déplacement et à ces annonces ? Est-ce là une réaffirmation en direction de nos voisins de la zone et des pays observateurs – aux bonnes et mauvaises intentions –, que nous poursuivons collectivement l’écriture d’un destin commun en Nouvelle-Calédonie ? Assistons-nous à la naissance des accords de l’Élysée ? Quelles sont les prérogatives de la mission qui sera installée par le Président de la République ?
Je finirai en citant le Premier ministre Michel Rocard : « La paix, c’est la négociation, c’est le courage de céder sur certains points au nom d’un objectif plus essentiel, le courage de transformer l’ennemi en interlocuteur. »
Face à cette situation tragique, la solution ne pourra pas être uniquement martiale et institutionnelle, monsieur le Premier ministre, et le pays ne se reconstruira qu’avec toutes les forces vives de ce territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Grégory Blanc et Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Madame Annick Girardin, vous connaissez bien l’histoire et les enjeux de la situation en Nouvelle-Calédonie. Vous mesurez la gravité du moment et le risque que ces violences nous fassent revenir quarante ans en arrière. Nous ne laisserons pas faire.
C’est pourquoi nous agissons afin de rétablir l’ordre. Nous agissons aussi face aux conséquences économiques et sociales de ces émeutes. Le ministre de l’économie et des finances s’est déjà entretenu avec les acteurs économiques locaux et, ce matin, avec les banques et les assurances.
Nous serons aux côtés de la Nouvelle-Calédonie pour engager la reconstruction, comme nous sommes à ses côtés pour aider à son développement économique et social, ainsi qu’à la diversification de son économie dans le respect des compétences des institutions locales.
Nous engageons aussi toutes nos forces pour créer les conditions du dialogue et d’un accord politique global.
Le Président de la République se rend en Nouvelle-Calédonie d’abord pour témoigner aux Calédoniens, premières victimes des émeutes, la solidarité de la Nation. Son déplacement a aussi évidemment pour objectif de renouer le fil du dialogue entre indépendantistes et non-indépendantistes avec l’État. C’est la raison pour laquelle il installera une mission composée de hauts fonctionnaires, qui resteront en Nouvelle-Calédonie le temps nécessaire.
Je veux insister sur le fait que, depuis 2017, le Président de la République s’est déjà rendu à deux reprises en Nouvelle-Calédonie. Il s’y rend de nouveau en ce moment même.
Vous me demandez, madame la sénatrice, quelles seront les prérogatives de la mission qui sera installée. Cette mission a pour objectif de faire émerger un dialogue politique local afin de parvenir à un accord politique global. Le Président de la République et le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger prendront toute leur part à ces discussions.
Je le rappelle, j’ai présidé cinq cellules interministérielles de crise ; mais, plus largement, j’ai réuni à Matignon vendredi soir les présidents des deux chambres, M. le président Larcher et Mme la présidente de l’Assemblée nationale, ainsi que des représentants parlementaires de tous les groupes politiques. Dans les semaines et les mois à venir, avec le ministre de l’intérieur et des outre-mer, et avec la ministre déléguée chargée des outre-mer, je suivrai au plus près, en lien avec les acteurs politiques calédoniens, l’évolution des discussions pour parvenir, je l’espère – c’est notre souhait à tous –, à un accord politique global en faveur de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDSE.)
situation en nouvelle-calédonie (iii)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le Premier ministre, pour beaucoup de nos compatriotes, l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie, les violences, les morts, ont été un grand choc. Mais pour beaucoup d’entre nous, ici, ils ont le goût amer de la catastrophe annoncée.
Je n’entrerai pas dans la longue liste des fautes commises par la France depuis 2020, du refus du report du troisième référendum à l’entêtement dans ce chemin qui ne pouvait assurément que conduire au drame et au sang. L’histoire les jugera.
Aujourd’hui, l’urgence n’est pas de comptabiliser les torts ; elle est de savoir comment les réparer.
On ne peut pas réussir un processus de décolonisation en jouant aux cowboys, en tapant du poing sur la table et en bombant le torse. Ce n’est pas possible !
Vous êtes là face à une équation qui vous défie. Vous ne pouvez réussir qu’en étant humbles, impartiaux et dignes.
Pour mettre un terme durable aux violences, pour renouer avec l’héritage si précieux de l’accord de Nouméa, il y a aujourd’hui des choses qu’il faut dire. Il faut dire : « Pardon, nous nous sommes trompés. » Et, en vous demandant de dire cela, je ne vous demande pas de vous rabaisser, au contraire ! Reconnaître ses erreurs, c’est grandir. Reconnaître ses erreurs sur une question coloniale, c’est, comme responsable politique, permettre à toute une nation de s’élever et d’être à la hauteur de son histoire.
Il y a des choses qu’il faut faire en conséquence de cette reconnaissance.
Il faut retirer ce texte maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.) Aucune solution pacifique, juste, digne, donc aucune solution n’est envisageable sans le retrait de ce texte.
Il faut aussi, monsieur le Premier ministre, que vous preniez formellement la responsabilité de ce dossier, car personne ne comprend qui est responsable.
Il faut, enfin, clarifier les contours de la mission de dialogue et son objectif – trouver un accord global préalable à toute autre décision.
Si nous faisons cela, alors peut-être avons-nous une chance que la France ne rate pas la totalité des processus de décolonisation. Est-ce ce que le Président de la République va faire aujourd’hui ? (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Madame la sénatrice Vogel, la situation en Nouvelle-Calédonie est grave ; vous le savez. Elle appelle, je crois, de la hauteur et de la discussion – jamais d’anathèmes ni de remises en cause.
Oui, il y a des violences. Je pense qu’il est important, d’abord, que nous dénoncions tous très clairement, très explicitement ces violences, comme l’ont fait l’ensemble des acteurs politiques calédoniens. La violence n’est jamais tolérable ni justifiable, et je crois qu’il nous appartient à tous, représentants de la Nation, de le rappeler, chaque fois que nous avons l’occasion de le faire, lorsque nous intervenons sur ce sujet.
Par ailleurs, vous avez parlé de bomber le torse ou de jouer aux cowboys. Pour ma part, je vous parle tout simplement de permettre à des Calédoniens de vivre en sécurité, ce qui a été hautement compromis, voire assez largement entamé ces derniers jours par les violences qui ont eu lieu. (M. Thomas Dossus proteste. – MM. Jean-Michel Arnaud et Olivier Cadic applaudissent.)
Madame la sénatrice, ce n’est pas bomber le torse ni jouer aux cowboys que de permettre à des habitants de la Nouvelle-Calédonie de dormir en sécurité, d’aller acheter de quoi s’alimenter et se soigner quand ils sont dialysés ou pour tout autre besoin !
Le retour à l’ordre est un préalable à tout, un préalable au dialogue, un préalable au vivre ensemble que vous semblez appeler de vos vœux. (M. Yannick Jadot proteste.)
Ce vivre ensemble, c’est le fil rouge de quarante ans de dialogue et d’échanges. Ni les responsables indépendantistes ni les responsables non indépendantistes ne le remettent en cause. Tous ont appelé à la violence… (À la fin de la violence ! sur les travées des groupes SER et GEST.) … à la fin de la violence, évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs.
Trois référendums se sont tenus, au cours desquels les Calédoniens ont souverainement exprimé leurs choix.
Maintenant, il faut avancer. Il faut avancer dans le dialogue. C’est précisément l’objet de la visite du Président de la République et de la mission qu’il installe : remettre tout le monde autour de la table, faire émerger un accord politique global à la faveur de cette mission, qui mobilisera évidemment ensuite le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger, pour parvenir à un accord au bénéfice de la Nouvelle-Calédonie et de son avenir.
De ce point de vue, le Président de la République a toujours été clair. L’an dernier, il a lui-même parlé, dans son discours, du « chemin du pardon », mais aussi du « chemin de l’avenir ».
J’ai présidé, voilà quelques semaines, la cérémonie nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage, qui, pour la première fois, se tenait – c’était une demande de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et des associations, et je remercie le président Larcher d’y avoir accédé – non pas dans le jardin du Luxembourg, mais ailleurs en France – à La Rochelle, en l’occurrence.
La France regarde son histoire en face. Et je pense que, par la voix du Président de la République, les choses ont toujours été dites clairement.
Mais, à côté du chemin du pardon, il y a le chemin de l’avenir. Et c’est précisément en trouvant tous ensemble ce chemin de l’avenir que nous parviendrons à vivre ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
situation dans les territoires ultramarins
M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Bélim. Monsieur le Premier ministre, qui aurait imaginé, en 2024, une épidémie de choléra en France ? Qui aurait imaginé un haut-commissaire parlant de « guerre civile » dans notre pays ?
Nous l’observons, la situation est critique dans les outre-mer. C’est le résultat d’une absence de politique, mais également d’une absence d’écoute, de compréhension et d’ambition pour nos territoires.
Qu’avez-vous fait depuis 2017 ? Sept ans d’assises des outre-mer, de livres bleus, de comités interministériels des outre-mer… Pour quel résultat ?
La politique de vos gouvernements, qui se résume à réagir face à l’urgence, m’oblige à vous faire part, avec gravité, de notre inquiétude.
L’arrivée du choléra à Mayotte comme la résurgence de violences en Nouvelle-Calédonie – des situations pourtant prévisibles, sur lesquelles nous vous avions alerté – nous amènent à évoquer la situation de nos autres territoires avec humilité.
À La Réunion, 36 % de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. C’est 77 % à Mayotte ! L’inquiétude est également nourrie par les violences urbaines que nous observons au sein de la plupart de nos territoires.
Je suis Réunionnaise, Ultramarine, Française. Je suis libre, fraternelle, solidaire et, parce que nos territoires sont liés, je demande que tous les moyens de l’État soient déployés pour régler au plus vite l’épidémie de choléra à Mayotte, comme il le ferait dans n’importe quel territoire de l’Hexagone.
Ne nous donnez pas le sentiment que la vie d’un enfant de 3 ans à Mayotte, et plus largement dans les outre-mer, vaut moins que celle d’un enfant dans l’Hexagone !
Dans l’esprit de la loi unanimement votée par le Parlement français, nos concitoyens attendent toujours que soit réalisée l’égalité réelle. Allez-vous enfin croire en nous et construire avec nous ? Allez-vous enfin consacrer des moyens à la hauteur des enjeux sur vos trois derniers budgets d’ici à 2027 ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Gabriel Attal, Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Madame la sénatrice Bélim, votre question aborde la situation de nos outre-mer et, surtout, l’avenir de nos territoires ultramarins. Je redis ici ce que j’ai eu l’occasion de dire dans les différentes fonctions gouvernementales que j’ai eu la chance d’exercer ces dernières années : nos outre-mer sont une chance inouïe et une richesse extraordinaire pour notre pays.
Cependant, il faut avoir la lucidité de reconnaître qu’ils traversent de très grandes difficultés, de manière beaucoup plus importante qu’en métropole. Je pense à la précarité, à la problématique sociale, à l’impact du dérèglement climatique ou encore à la sécurité.
Notre responsabilité, celle de l’État et des gouvernements, est précisément d’investir pour permettre à nos territoires ultramarins d’affronter ces très grandes difficultés.
M. Hervé Gillé. Qu’avez-vous fait pour cela ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Depuis 2017, avons-nous réglé tous les problèmes ? Non, évidemment ! Je suis lucide. De grandes difficultés se posent encore.
En revanche, je crois très profondément que nous avons, depuis lors, investi massivement pour nos territoires ultramarins : dans la politique de la ville, notamment en faveur du renouvellement urbain ; dans l’éducation, alors même que les territoires ultramarins sont quasiment tous classés intégralement en éducation prioritaire, voire en éducation prioritaire renforcée.
Lorsque j’étais encore ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, je me suis rendu à La Réunion au mois d’août dernier, à l’occasion de la rentrée scolaire. J’ai alors pu observer l’effet des décisions que nous avons prises pour les réseaux d’éducation prioritaires et réseaux d’éducation prioritaire renforcée dans un territoire comme La Réunion, qui bénéficie pleinement de ces mesures.
Nous avons également agi en matière de pouvoir d’achat. Cependant, des difficultés demeurent face aux crises et face à l’envolée des prix de l’énergie, de l’électricité comme de l’essence.
Nous avons aussi investi pour l’avenir. Voilà quelques mois seulement, nous avons obtenu une avancée majeure, en lien, d’ailleurs, avec l’Union européenne, pour le renouvellement des flottes de pêche outre-mer, attendu par les acteurs locaux depuis des années, si ce n’est des décennies. Nous devons continuer à agir.
Je le dis ici, mon gouvernement sera pleinement mobilisé de ce point de vue. Ainsi que j’ai eu l’occasion de l’annoncer, un nouveau comité interministériel des outre-mer (Ciom) se tiendra au cours des prochains mois, précisément pour faire le point sur les avancées que nous avons obtenues et sur ce qu’il reste à accomplir pour assurer aux habitants des territoires ultramarins, qui le méritent comme tous les Français, le droit de vivre dignement et en sécurité, et garantir à leurs enfants une éducation de qualité qui leur permettra de vivre mieux qu’ils n’ont pu le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
réforme de la fonction publique
M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Gérard Paumier. Monsieur le ministre, notre service public est au cœur du contrat social et du pacte républicain.
Notre fonction publique hospitalière, territoriale et de l’État est un bien national. Nos compatriotes y sont très attachés.
Cinq ans après la loi d’août 2019, vous lancez un débat en vue d’une nouvelle réforme de la fonction publique qui m’interpelle quant au calendrier, à la méthode et au contenu.
Le calendrier intervient après une crise covid ayant fragilisé la fonction publique, notamment hospitalière, et après une période de forte hausse des prix, laquelle, malgré les aides de l’État, a rogné le pouvoir d’achat des 5,7 millions de fonctionnaires, au même titre que celui de la plupart des Français.
La méthode du discours ministériel unilatéral lors des rencontres de terrain, utilisée notamment vendredi dernier à Amboise, ne saurait faire oublier l’insuffisance d’une concertation préalable approfondie avec les employeurs publics, les centres de gestion et les syndicats de fonctionnaires.
Quant au contenu, il me paraît réducteur de se focaliser sur les seuls aspects statutaires, dont le licenciement pour insuffisance professionnelle et la rémunération au mérite, sans fixer d’ailleurs de critères précis, ainsi que la suppression emblématique des catégories A, B et C, au moment où les secrétaires de mairie attendent leur décret à ce sujet. Cela risque d’être perçu moins comme une avancée que comme une remise en cause de fondamentaux.
Monsieur le ministre, ma question est simple : envisagez-vous d’infléchir le calendrier, la méthode et le contenu de votre réforme de la fonction publique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.
M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Monsieur le sénateur Paumier, il y a quelques heures, le Premier ministre rendait hommage aux agents de l’administration pénitentiaire décédés et à leurs frères d’armes blessés. Le garde des sceaux, ministre de la justice, et moi-même étions à ses côtés.
Nous avons vu des agents de l’administration pénitentiaire, des soignants, des sapeurs-pompiers, des agents administratifs, tous engagés, volontaires, investis dans leurs missions. Ce sont les agents publics de notre pays. Nous savons ce que nous leur devons, et je suis fier d’être leur ministre.
Mais il faut regarder la réalité en face. La fonction publique n’est plus aussi attractive. Le nombre de candidats aux concours a été divisé par deux ces dix dernières années.
Bien sûr, il y a les enjeux salariaux que vous avez mentionnés, monsieur le sénateur. Je suis un ministre engagé sur ces questions depuis maintenant deux ans. Nous avons consacré 14 milliards d’euros à l’augmentation des agents publics de ce pays. Ce sont les plus fortes augmentations depuis trente-sept ans.
Se posent aussi les questions des conditions de travail, de la protection des agents, de leur accès au logement, les questions de santé et d’égalité salariale. Je suis également engagé sur ces questions, sur lesquelles j’ai ouvert une négociation avec les organisations syndicales pour pouvoir aller plus loin.
Demeurent aussi tous ces blocages, toutes ces rigidités.
Vous l’avez dit, j’étais, vendredi, dans votre beau département. J’ai échangé avec des agents publics. Pour de bonnes raisons, vous ne pouviez être présent, mais, pour avoir été président de centre de gestion, vous connaissez les questions que nous avons évoquées.
J’ai entendu des employeurs territoriaux qui ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas titulariser les apprentis qu’ils avaient depuis parfois deux ans.
J’ai vu des secrétaires de mairie qui se demandaient pourquoi il était si compliqué de passer à une catégorie supérieure du fait de quotas de promotion les empêchant d’évoluer.
J’ai vu des professeurs qui me demandaient pourquoi il fallait attendre vingt ans pour accéder au deuxième grade dans l’éducation nationale.
J’ai vu des agents de préfecture formidablement engagés, qui ne comprenaient pas pourquoi on ne pouvait pas mieux valoriser leur engagement par une rémunération au mérite.
Ce sont tous ces sujets que nous devrons aborder avec les agents et les organisations syndicales. Je les recevais hier encore pour préparer un projet de réforme qui, je crois, est nécessaire pour la fonction publique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour la réplique.
M. Jean-Gérard Paumier. Monsieur le ministre, dans un climat social tendu, mon propos est de vous alerter, à défaut de vous convaincre.
Si vous dédaignez les mises en garde, je crains d’être amené à appliquer à votre réforme, dans quelque temps – à l’automne –, ces mots de Chateaubriand, qu’il prononça en son temps dans ce palais : « Inutile Cassandre, […] il ne me reste plus qu’à m’asseoir sur les débris d’un naufrage que j’ai tant de fois prédit. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
choc des savoirs
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Colombe Brossel. Madame la ministre de l’éducation nationale, depuis le mois de février, pas un jour ne passe sans qu’il y ait un rassemblement, une manifestation, une journée de grève, une opération « collège désert » pour protester contre le prétendu « choc des savoirs ».
Partout en France, enseignants, personnels de direction, inspecteurs, parents d’élèves refusent la mise en œuvre de groupes de niveaux en français et en mathématiques à la rentrée pour les élèves de sixième et de cinquième. Ils n’en veulent pas, car ils refusent le tri social que, de fait, vous leur imposez d’opérer parmi leurs élèves.
Ils n’en veulent pas, car ils n’en peuvent plus d’être maltraités, avec des annonces perlées alors que les dotations horaires globales ont déjà été notifiées aux établissements. Pour un groupe de niveau en maths, c’est la fin d’une option, c’est la fin du latin ! Pour un groupe de niveau en français, c’est la fin de demi-groupes en langues ou en SVT.
Ils n’en veulent pas, car, à l’heure où mathématiques et français peinent à recruter aux concours, vous en êtes réduite à supplier les professeurs retraités de bien vouloir revenir pour animer ces groupes de niveau.
Ils n’en veulent pas, car votre baguette magique pour mettre en place les groupes de niveaux, c’est l’augmentation des recrutements de contractuels. Confier les plus fragiles aux plus fragiles, il fallait l’inventer…
Madame la ministre, ma question est simple : à l’heure où l’école publique a besoin d’un choc de moyens et de confiance, quand comptez-vous mettre fin aux groupes de niveau ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Brossel, non, non et non !
Non, je ne peux partager votre première analyse sur le choc des savoirs, qui vous conduit à dire qu’il revient à opérer un tri social. J’ai eu l’occasion de le répéter que ce n’était pas le cas.
L’ensemble des dispositifs qui ont été annoncés par Gabriel Attal, dont je prends la suite, visent à faire progresser tous nos élèves. Il s’agit là de notre ambition partagée. Cela se traduit notamment par une méthode particulière, à savoir la mise en place de groupes de besoins en sixième et en cinquième en français et en maths, réellement adaptés aux besoins de nos élèves, suivant une pédagogie différenciée.
Nous avons, pour ce faire, un levier fort : un brassage de ces groupes en cours d’année. C’est important. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer devant vous à ce sujet.
Non, encore, quant à l’insuffisance des moyens que vous évoquez. Nous avons mis en place des emplois supplémentaires. Un peu plus de 2 200 ETP sont consacrés à la mise en place de ces groupes en sixième et en cinquième, et nous faisons évidemment de notre mieux pour avoir, l’année prochaine, l’ensemble des professeurs présents devant nos élèves. C’est un autre de nos objectifs.
Enfin, non, nous ne supplions pas les gens de venir enseigner dans notre système éducatif. Nous prenons acte d’une tendance qui existe dans tous les pays de l’Union européenne. Je le dis devant vous, la fonction publique dans l’éducation nationale a aujourd’hui du mal à recruter. C’est vrai en France, mais pas seulement.
Autrement dit, ce n’est pas seulement une question de rémunération ! D’ailleurs, vous savez que notre pays a fait un effort extrêmement important depuis 2017 pour améliorer la rémunération de nos enseignants, qui est passée, en début de carrière, de 1 800 à 2 100 euros.
Au reste, la rémunération n’est pas la seule raison pour laquelle nous devons rénover la formation de nos enseignants. Nous mettons en place un effort considérable de formation initiale pour assurer une attractivité du parcours. Le concours se fera à la fin de la troisième année, puis la formation se poursuivra.
Je suis persuadée que cet ensemble de mesures vise à renforcer notre système éducatif. C’est notre seul objectif. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour la réplique.
Mme Colombe Brossel. Madame la ministre, j’entends votre réponse, qui, pour tout vous dire, m’inquiète.
J’ai l’impression qu’il existe un monde parallèle à celui qui sollicite, tous les jours, les parlementaires que nous sommes, en nous alertant sur les structures éducatives et pédagogiques qui doivent être mises à bas pour permettre la mise en place de groupes de niveau dont personne ne voit bien à quoi ils servent, à part à faire du tri social.
Madame la ministre, sur les politiques publiques, quand on a raison seul contre tous, c’est généralement que l’on a tort !
Pas un chercheur en sciences de l’éducation ne soutient vos projets. Cinq anciens directeurs généraux de l’enseignement scolaire (Dgesco), ayant servi des ministres fort différents, sont venus exprimer leur opposition unanime.
M. Mickaël Vallet. Que vous dit le Conseil scientifique de l’éducation nationale ?
Mme Colombe Brossel. Samedi, parents et enseignants seront nombreux dans la rue pour refuser le tri social des élèves. Nous serons nombreux à leurs côtés ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
avenir de la centrale émile-huchet de saint-avold
M. le président. La parole est à M. Khalifé Khalifé, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Khalifé Khalifé. Monsieur le Premier ministre, je me permets d’attirer votre attention sur la situation particulièrement préoccupante des salariés de la centrale de Saint-Avold, en Moselle, salariés dont je salue ici le sens des responsabilités et le dévouement. Rappelons que, au plus fort de la crise énergétique, ils avaient accepté, trois mois seulement après avoir été licenciés pour fermeture du site sur décision de l’État, d’y revenir pour sécuriser le système électrique national.
Alors que le Président de la République s’est engagé à soutenir la reconversion du site, aucune perspective gouvernementale ne semble en vue à ce jour.
Depuis, les salariés attendent du Gouvernement une feuille de route claire sur la conversion du charbon à la biomasse et sur la réindustrialisation par l’hydrogène, investissements dans les énergies vertes que l’exploitant actuel est prêt à réaliser.
Désormais, le temps presse, l’échéance de 2025 approche et c’est tout un territoire, ses élus et les entreprises partenaires qui sont mobilisés pour ce projet, afin de tourner définitivement la page du charbon.
Monsieur le Premier ministre, allez-vous nous confirmer l’engagement total du Gouvernement dans ce projet ? Quel avenir pouvez-vous annoncer concrètement aux salariés de la centrale pour rassurer l’ensemble de ce territoire mosellan ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Khalifé, je vous remercie, d’abord, de votre engagement dans votre territoire sur ce sujet extrêmement important.
Depuis quinze jours, les candidats aux élections européennes défilent comme à Gravelotte…
M. Mickaël Vallet. Comme à Gravelines ! (Sourires.)
M. Roland Lescure, ministre délégué. … dans votre territoire pour faire part de leur solution miracle pour l’avenir de cette centrale à charbon.
Pour votre part, vous étiez auprès des salariés du territoire avant les élections européennes, et je ne doute pas que vous y serez encore après. J’espère que je le serai aussi !
Vous le savez, le Président de la République a annoncé la fermeture et la sortie du charbon d’ici à 2027. C’est un impératif écologique. Comme je l’ai dit tout à l’heure, impératif écologique peut rimer avec stratégie industrielle de développement dans les territoires. C’est ce que nous ferons.
C’est ce qui a été fait au Havre, où la fermeture de la centrale à charbon s’est accompagnée de perspectives industrielles et d’emplois pour chacun des salariés concernés. C’est ce que nous ferons à Cordemais, c’est ce que nous ferons à Gardanne et ce que nous ferons à Saint-Avold également. Je m’y engage.
Nous sommes en contact étroit avec les salariés, avec l’entreprise, avec les élus. Je serais d’ailleurs très heureux d’en parler directement avec vous durant un peu plus de temps que les deux minutes qui me sont imparties aujourd’hui, de manière à pouvoir évoquer l’avenir.
Je souhaite que nous envisagions cet avenir sérieusement, et que nous le fassions avec, pour seule boussole, des projets économiques rentables, viables, disponibles rapidement, puisque nous souhaitons fermer les centrales à charbon d’ici à 2027, et ayant un effet important sur l’emploi et un impact positif sur le territoire.
Vous avez mentionné certains de ces projets ; nous les étudierons. Comme vous le savez, d’autres existent : dans la transition écologique, dans le recyclage du plastique… Nous allons tout examiner, avec, pour seule boussole, je le répète, l’avenir durable de ce territoire.
Oui, nous pouvons redonner un avenir à certains territoires grâce à la transition écologique. Contrairement à ce que certains affirment, la transition écologique doit être une opportunité industrielle. Elle doit l’être partout en France, et elle le sera à Saint-Avold. Je m’y engage.
M. le président. La parole est à M. Khalifé Khalifé, pour la réplique.
M. Khalifé Khalifé. Monsieur le ministre, j’ai envie de vous croire. Je pense que vos propos sont sincères ; nous verrons bien !
Je suis prêt à en discuter vraiment avec vous, parce que ce territoire frontalier a assez souffert. Il ne peut plus encore souffrir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
gel des vignes
M. le président. La parole est à M. Clément Pernot, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Clément Pernot. Madame la ministre, le Jura a gelé dans la nuit du 23 avril dernier. Les basses températures n’ont laissé aucune chance de survie aux bourgeons des ceps jurassiens. Les comptages des experts de la société de viticulture du Jura et de la chambre d’agriculture sont sans appel : ils confirment, pour la récolte, des prévisions proches du zéro raisin.
Pour soulager la peine immédiate de nos vignerons, il faut, bien sûr, prévoir des mesures à court terme – mesures d’exonération fiscale, sociale et autres.
Toutefois, madame la ministre, ces phénomènes de gel sur les productions sont trop consécutifs pour que nous parlions d’« aléas météorologiques ». Nous vivons une évolution climatique entraînant des floraisons trop précoces qui viennent mourir sous l’effet des gels toujours présents.
La profession viticole jurassienne est touchée dans sa chair et dans son mental. Les anciens s’interrogent sur la succession, quand les jeunes, endettés, le font sur leur avenir, chacun envisageant le futur avec un pessimisme alarmant.
Dans le même temps, nous apprenons les prévisions apocalyptiques concernant la ressource en eau sur la montagne jurassienne, ce qui annonce des difficultés pour sa filière d’excellence, le comté.
Les malheurs s’accumulent. Nous savons déjà, en particulier grâce aux maires des communes forestières, que la forêt du massif est profondément malade. C’est donc, pour mon département, toute l’agriculture qui est en péril à très moyen terme.
Au nom de tous les agriculteurs, ceux de la vigne, ceux des champs et ceux de la forêt, je vous implore, madame la ministre : cessons de subir pour, enfin, agir !
Ma plainte n’est pas seulement locale. D’autres territoires-terroirs connaissent les mêmes déboires. C’est donc au niveau national qu’il convient de penser à un plan Marshall agricole. Celui-ci devra, me semble-t-il, se décliner au niveau départemental, qui, en la matière, est l’échelle la plus pertinente.
M. le président. Il faut conclure.
M. Clément Pernot. Ce plan devra être non pas un réceptacle de délires écologistes militants, mais le lieu de la mise en place de solutions adaptées, issues du croisement des regards des scientifiques et des professionnels.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Clément Pernot. Je conclus, monsieur le président, en disant à Mme la ministre (Exclamations amusées.) que le président du département du Jura se dit prêt à nous accompagner dans une démarche consistant à faire de ce territoire le lieu de mise en place d’une première expérience. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Clément Pernot, je veux d’abord vous remercier d’évoquer la situation des viticulteurs du Jura. Je veux profiter de votre question pour leur adresser tout mon soutien, au nom du ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, qui ne peut vous répondre directement, puisqu’il est retenu par l’examen du projet de loi d’orientation agricole. Je veux leur dire que le Gouvernement se tiendra à leurs côtés.
Comme vous l’avez dit très justement et avec beaucoup d’authenticité, notre agriculture et notre viticulture sont frappées de plein fouet par le dérèglement climatique. Ce dernier est probablement l’élément transformant de ces dernières années. Il faut le prendre en compte dans toute la politique agricole que nous voulons mener.
Le Gouvernement répond présent en débloquant 1,3 milliard d’euros en soutien de la transition agroécologique, car nous devons proposer des solutions à nos agriculteurs. Par la magie des chiffres, nous avons débloqué une enveloppe de même montant – 1,3 milliard d’euros – pour les viticulteurs.
Nous devons conjuguer ces interventions d’urgence avec la construction de solutions de long terme – cela a été dit par le Président de la République et relayé par le Premier ministre –, territoire par territoire, en anticipant l’impact du dérèglement climatique sur la ressource en eau et sur l’évolution des conditions pédoclimatiques, afin de proposer des solutions aux agriculteurs, en particulier aux plus jeunes d’entre eux.
Nous nous y employons notamment avec le travail que nous menons sur un département aujourd’hui frappé par la sécheresse, les Pyrénées-Orientales, et les trois départements qui l’entourent, dans le cadre d’un plan Méditerranée, pour lequel nous avons dégagé 50 millions d’euros. C’est notre laboratoire.
Vous avez raison, nous devons mener cette approche territoire par territoire, culture par culture. Comme l’ont déclaré le Président de la République et le Premier ministre, c’est notre objectif. Nous avons tendu la main aux organisations professionnelles agricoles en ce sens.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 29 mai 2024, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante, sous la présidence de M. Loïc Hervé.)
PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Transformation des bureaux en logements
Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la transformation des bureaux en logements (proposition n° 406, texte de la commission n° 598, rapport n° 597, avis n° 594).
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à faciliter la transformation des bâtiments de destination autre qu’habitation en habitations
Article 1er
La section 2 du chapitre II du titre V du livre Ier du code de l’urbanisme est complétée par des articles L. 152-6-5 et L. 152-6-6 ainsi rédigés :
« Art. L. 152-6-5. – En tenant compte de la nature du projet et de la zone d’implantation, l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire, d’aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l’objet d’une déclaration préalable peut, à l’occasion de la délivrance d’un tel permis ou d’une décision de non-opposition à déclaration préalable, autoriser le changement de destination d’un bâtiment ayant une destination autre que l’habitation en bâtiment à destination principale d’habitation, même si le plan local d’urbanisme ou le document en tenant lieu ne l’autorise pas. La dérogation aux règles relatives aux destinations du plan local d’urbanisme ou du document en tenant lieu s’applique également, le cas échéant, aux extensions ou surélévations effectuées dans le cadre des travaux ou opérations visés par l’autorisation d’urbanisme concernée. Le refus par l’autorité compétente mentionnée à la première phrase du présent alinéa d’accorder la dérogation est motivé au regard des risques de nuisances auxquels le projet peut être exposé, de son accessibilité par des transports alternatifs à l’usage individuel de l’automobile, de son effet sur la démographie scolaire au regard des écoles existantes ou en construction, ainsi que de ses objectifs de mixité sociale et fonctionnelle.
« La dérogation mentionnée au premier alinéa ne peut être accordée qu’avec l’accord de l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme ou de document en tenant lieu.
« Afin de recueillir cet accord, lorsque l’autorité compétente mentionnée au même premier alinéa souhaite autoriser le changement de destination ou ne pas s’y opposer, elle transmet la demande de dérogation à l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme ou de document en tenant lieu, dans un délai d’un mois à compter du dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme ou de la déclaration préalable. En l’absence d’une délibération motivée du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme ou de document en tenant lieu s’opposant à la dérogation dans un délai de trois mois à compter de la transmission de la demande, la dérogation est accordée. Le refus par l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme ou de document en tenant lieu d’accorder la dérogation est motivée au regard des critères mentionnés audit premier alinéa.
« Lorsque la compétence pour délivrer le permis de construire, d’aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l’objet d’une déclaration préalable a été déléguée au président de l’établissement public de coopération intercommunale en application de l’article L. 422-3, ou appartient à l’autorité administrative compétente de l’État en application de l’article L. 422-2, la demande de dérogation est transmise par l’autorité compétente mentionnée au premier alinéa, dans un délai d’un mois à compter du dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme ou de la déclaration préalable, au maire de la commune où sont implantés les bâtiments mentionnés au même premier alinéa, qui transmet son avis dans un délai d’un mois.
« Dans les zones agricoles, naturelles ou forestières du plan local d’urbanisme, en dehors des secteurs mentionnés à l’article L. 151-13, les changements de destination autorisés dans le cadre de la procédure prévue par le présent article sont soumis, en zone agricole, à l’avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers prévue à l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, et, en zone naturelle, à l’avis conforme de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. »
« Art. L. 152-6-6 (nouveau). – L’autorité compétente pour délivrer le permis de construire, d’aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l’objet d’une déclaration préalable peut autoriser les bâtiments à destination principale d’habitation issus d’opérations de transformation de bâtiments de destination autre qu’habitation à déroger aux règles des plans locaux d’urbanisme relatives aux proportions de logements d’une taille minimale qu’ils fixent, dans certains secteurs, mentionnées à l’article L. 151-14. »
M. le président. L’amendement n° 29 rectifié, présenté par MM. Gremillet, J.P. Vogel, Paccaud et de Legge, Mme Jacques, M. Panunzi, Mme Puissat, M. Burgoa, Mme M. Mercier, MM. Somon et Genet, Mme Gruny, MM. Reynaud et Brisson, Mme Gosselin, M. D. Laurent, Mmes Evren et Garnier, MM. Duplomb, J.M. Boyer, Lefèvre, Menonville et Saury, Mmes Muller-Bronn, Ventalon et Lassarade, M. Bruyen, Mmes Primas et Belrhiti, M. Sido, Mme F. Gerbaud, M. Anglars, Mme Pluchet, M. Houpert, Mme Micouleau et MM. Meignen et Bouchet, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après la seconde occurrence du mot :
habitation,
insérer les mots :
y compris pour les bâtiments ruraux qui n’ont plus de vocation agricole
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Cet amendement a pour objet de donner à cet article une ambition plus vaste que la seule – et nécessaire – transformation en logements de bureaux qui, étant vacants, n’ont plus de perspectives d’occupation autres que d’habitation.
Je souhaite, au travers de cet amendement, adresser un signal : il y a dans la ruralité, en plein cœur de nos villages, un nombre considérable d’anciennes bâtisses agricoles, en partie habitables et souvent en ruine, surtout des corps de ferme sans plus aucune vocation agricole, qui représentent fréquemment pour les collectivités des verrues autant que des problèmes.
Il est donc nécessaire de donner des perspectives au monde rural en redonnant une nouvelle vie à l’habitat dégradé qui s’y trouve, donc en permettant la transformation des anciennes bâtisses agricoles en logements.
L’intérêt de ma proposition n’est pas contestable : il s’agit de la reconquête du foncier et de la recherche de sobriété au cœur des villages. Au-delà du seul milieu urbain et de la seule transformation de bureaux en logements, je souhaite que nous envoyions un message à la ruralité, qui a besoin d’espoir, en lui octroyant des capacités d’accueil supplémentaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure de la commission des affaires économiques. La dérogation prévue à l’article 1er pourra s’appliquer sans restriction dans les communes disposant d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un document en tenant lieu.
Actuellement, il est possible d’établir dans le PLU une liste limitative des bâtiments qui, en zone agricole, peuvent faire l’objet d’un changement de destination. La dérogation permettra, au cas par cas, de sortir de cette liste, sans restriction spécifique pour les bâtiments agricoles. Du point de vue de la réglementation de l’urbanisme, mon cher collègue, votre amendement est donc pleinement satisfait ; je m’en réjouis, car nous sommes tous conscients des rigidités qui pèsent sur les biens ruraux et empêchent leur valorisation.
Demeure néanmoins un verrou fiscal à la transformation de bâtiments agricoles désaffectés en habitations, et je sais, mon cher collègue, que vous avez déposé à l’article 2 de cette proposition de loi plusieurs amendements visant à le lever.
Dans l’attente d’une véritable réforme fiscale, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le sénateur Gremillet, vous proposez de préciser le champ d’application de la dérogation aux règles d’urbanisme prévue à l’article 1er en y rendant expressément éligibles les changements de destination des bâtiments ruraux qui n’ont plus de vocation agricole.
Je partage totalement votre objectif. Le Gouvernement considère néanmoins que votre amendement est satisfait : l’article 1er inclut bien, en effet, le cas de ces bâtiments, puisqu’il y est fait mention du « changement de destination d’un bâtiment ayant une destination autre que l’habitation en bâtiment à destination principale d’habitation ».
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable,…
M. Laurent Burgoa. Oh !
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. … mais il n’y va d’aucune opposition de principe entre nous, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. En effet, madame la rapporteure, j’ai déposé à l’article 2 et après l’article 2 d’autres amendements relatifs à la transformation de bâtiments agricoles désaffectés en habitations, afin de traiter le problème dans toutes ses dimensions. J’ai échangé à ce sujet avec Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis de la commission des finances ; nous aurons l’occasion d’en débattre tout à l’heure.
Monsieur le ministre, mon but est d’envoyer un signal à l’ensemble des territoires, et de donner du corps et du sens aux dispositions que nous examinons. Puisqu’il semble que notre amendement soit satisfait et qu’il ne pose aucun problème, pourquoi ne pas le retenir ? J’y insiste, cela donnera au texte davantage de sens.
Je remercie les membres de la commission des affaires économiques et, pour ce qui est du vote de mon amendement, je fais confiance à la sagesse de notre assemblée.
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 31, présenté par Mme Berthet, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
1° À la fin de la première phrase
Remplacer les mots :
, même si le plan local d’urbanisme ou le document en tenant lieu ne l’autorise pas
par les mots :
en dérogeant aux règles relatives aux destinations du plan local d’urbanisme ou du document en tenant lieu
2° Au début de la deuxième phrase
Remplacer les mots :
La dérogation aux règles relatives aux destinations du plan local d’urbanisme ou du document en tenant lieu
par les mots :
L’autorisation de changement de destination
3° À la dernière phrase
Remplacer les mots :
la dérogation
par les mots :
l’autorisation de changement de destination
II. – Alinéa 3, au début
Remplacer les mots :
La dérogation
par les mots :
L’autorisation de changement de destination
III. – Alinéa 4
Remplacer la première occurrence du mot :
la
par le mot :
une
IV. – Alinéa 5
Remplacer les mots :
la demande de dérogation est transmise par l’autorité compétente mentionnée au premier alinéa
par les mots :
l’autorité compétente mentionnée au premier alinéa du présent article transmet également une demande de dérogation
La parole est à Mme la rapporteure.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 5
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions dans lesquelles l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme ou de document en tenant lieu est associée à l’octroi de la dérogation mentionnée au premier alinéa.
La parole est à M. le ministre délégué, pour le présenter et pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 31.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. L’amendement n° 9 vise à ce que les modalités d’application initialement prévues aux alinéas 3 et 5 soient précisées par voie réglementaire.
Je demande le retrait de l’amendement n° 31 de la commission au profit de celui du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 9 ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Certains éléments figurant à l’article 1er pourraient en effet trouver leur place dans la partie réglementaire du code de l’urbanisme. Je pense notamment à la fixation des délais, sachant que les articles réglementaires qui fixent les délais d’instruction des demandes de permis de construire, par exemple, devront de toute façon être adaptés pour tenir compte de cette nouvelle procédure, qui requiert des avis et autorisations complémentaires.
Mais votre amendement, monsieur le ministre, ne fait rien de moins que supprimer les trois quarts de l’article ! Son adoption reviendrait à supprimer l’avis conforme de l’autorité compétente en matière de PLU, ainsi que l’avis simple du maire dans les cas où ce dernier n’est plus l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme. Je doute fortement que vous puissiez réintroduire ces mentions par voie réglementaire.
En conséquence, l’avis de la commission est défavorable sur l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Madame la présidente, permettez-moi de préciser la position du Gouvernement.
L’amendement n° 31 vise à remplacer, à l’article 1er, la référence à « la dérogation aux règles relatives aux destinations [des documents d’urbanisme] » par la référence à « l’autorisation de changement de destination ». Mme la rapporteure l’a présenté comme un amendement rédactionnel. Nous estimons, pour notre part, qu’il tend à introduire un changement sémantique qui va au-delà de la simple modification rédactionnelle.
La rédaction proposée à l’article 1er reprend les formulations figurant à la section 2, intitulée « Dérogations au plan local d’urbanisme », du chapitre II du titre V du livre Ier du code de l’urbanisme, qu’il convient de ne pas remettre en cause. Il nous apparaît préférable d’éviter toute confusion avec la notion d’autorisation, laquelle fait davantage référence à l’autorisation de construire.
Ce débat n’étant pas seulement d’ordre sémantique, je maintiens ma demande de retrait de l’amendement de la commission, sur lequel j’émettrais, à défaut d’un tel retrait, un avis défavorable.
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 9 n’a plus d’objet.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 6 rectifié est présenté par M. Redon-Sarrazy, Mme Blatrix Contat, MM. Montaugé, Cozic et Kanner, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Stanzione, Tissot et Raynal, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, Lurel et Fagnen, Mmes Linkenheld, Lubin et Monier, MM. Roiron, Ros, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 14 est présenté par Mme Guhl, MM. Jadot, Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les communes qui font l’objet d’un arrêté de carence pris en application de l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation, la dérogation mentionnée au premier alinéa du présent article est conditionnée à la réalisation de logements locatifs sociaux selon les modalités prévues à l’article L. 302-9-1-2 du même code.
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié.
M. Christian Redon-Sarrazy. Dans les communes carencées en application de la loi SRU (loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains), dans tout programme de construction d’immeubles collectifs, au moins 30 % des logements familiaux doivent être des logements sociaux.
Par cet amendement, nous proposons simplement de préciser que, dans les communes carencées, la dérogation au PLU créée à l’article 1er peut être accordée uniquement si l’opération de transformation de bâtiments en habitations prévoit la réalisation de 30 % de logements sociaux, selon les modalités déjà prévues dans lesdites communes pour les opérations de construction.
On ne voit pas pourquoi les règles qui s’appliquent aux opérations de construction ne concerneraient pas les opérations de transformation de locaux en logements visées par la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour présenter l’amendement n° 14.
Mme Antoinette Guhl. Nous savons tous que la loi SRU est un pilier essentiel de la construction de logements sociaux en France.
L’adoption de cet amendement, qui est identique au précédent, aurait plusieurs effets bénéfiques : elle permettrait de renforcer le parc de logements sociaux, auquel nous sommes attachés, et d’assurer l’équité territoriale, puisque ne sont ciblées que les communes carencées, celles qui ne respectent pas la loi SRU.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mmes Margaté et Corbière Naminzo, M. Gay et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 152-6-…. – Sur le territoire des communes qui ne respectent pas les taux mentionnés aux I et II de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation, l’autorisation mentionnée à l’article L. 152-6-5 du présent code ne peut être délivrée qu’en vue de la réalisation de logements locatifs sociaux au sens du IV de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation. »
La parole est à Mme Marianne Margaté.
Mme Marianne Margaté. Nous nous accordons tous sur la nécessité de faire correspondre l’usage des bâtiments aux besoins les plus importants. Avec ce texte, nous pouvons agir en ce sens en facilitant la transformation de bureaux vides en logements, dont nous manquons cruellement.
Le risque est néanmoins que le coût des logements ainsi créés intègre celui des bureaux restés vacants plusieurs mois, voire plusieurs années. Il faut donc pouvoir garantir que ces logements seront accessibles, abordables, et qu’il ne s’agira pas de logements de luxe qui, réservés aux plus riches, ne trouveront pas preneur.
Nous souhaitons cibler plus précisément les villes dans lesquelles les logements accessibles sont en nombre insuffisant, c’est-à-dire celles qui ne respectent pas la loi SRU et le seuil minimum de 25 % de logements sociaux. Les dispositions de la présente proposition de loi ne suffisent pas : il faut aller plus loin pour être à la hauteur de l’urgence et répondre au besoin de rattrapage.
Par cet amendement, nous proposons donc que, dans les villes répondant au critère que j’ai exposé, les bureaux vides puissent être transformés en logements sociaux. Il s’agit à la fois d’assurer des niveaux de loyer acceptables et d’empêcher que les collectivités concernées ne creusent davantage leur déficit de logements sociaux.
L’adoption de cet amendement serait un signal fort adressé aux demandeurs, en vue de l’examen par notre assemblée du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Je comprends la logique des amendements identiques nos 6 rectifié et 14, mais imposer un pourcentage de logements sociaux pour ces opérations de transformation risque de fragiliser leur équilibre économique, et donc tout bonnement d’empêcher leur concrétisation. Or nous essayons d’accélérer la production de logements ; il nous faut donc être pragmatiques.
Je ne crois pas, d’ailleurs, que la présente proposition de loi soit le bon vecteur législatif pour étendre les obligations de production de logement social, alors que nous allons examiner dans les toutes prochaines semaines le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables, qui comprend justement un important volet sur les obligations de rattrapage des communes carencées.
Quant à la disposition proposée par les auteurs de l’amendement n° 1, elle va encore beaucoup plus loin que les obligations qui pèsent sur les constructions nouvelles dans les communes carencées, car le taux de 30 % de logements sociaux ne s’y applique pas aux petites opérations ! L’adoption de cet amendement reviendrait à décourager ceux qui veulent, dans ces communes, lancer des opérations de transformation des bâtiments en logements, lesquelles sont d’ores et déjà extrêmement coûteuses.
La commission demande le retrait de ces trois amendements ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je partage totalement l’avis de Mme la rapporteure.
L’adoption de ces amendements restrictifs aurait pour conséquences d’amoindrir la possibilité de convertir des bureaux en logements et de réduire le champ d’application de la facilité qui est ainsi accordée aux autorités compétentes en matière d’urbanisme. J’ajoute que, lors des prochaines semaines, nous aurons l’occasion d’échanger longuement sur cette thématique en débattant des dispositions de la loi SRU.
L’adoption de ces amendements freinerait considérablement les opérations de conversion de bureaux en logements : avis défavorable.
Mme Audrey Linkenheld. Quelle surprise !…
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote.
M. Christian Redon-Sarrazy. On peut toujours avancer l’argument selon lequel les projets de transformation de bureaux en logements se trouveraient freinés par la disposition que nous proposons, mais il faut surtout savoir ce que l’on veut !
Nous sommes tous d’accord pour constater qu’en matière de logement social les mises en chantier sont rares et insuffisantes. Or l’occasion nous est ici donnée non pas de modifier complètement les équilibres existants – ce n’est pas ce que nous proposons –, mais de maintenir une trajectoire.
Monsieur le ministre, vous nous renvoyez au prochain projet de loi sur le sujet. Nous vous prenons au mot : nous verrons bien si les échanges que nous aurons à partir de la mi-juin iront dans le sens que nous souhaitons.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Madame la rapporteure, monsieur le ministre, je ne peux pas concevoir que, sur ces trois amendements, on nous oppose une fin de non-recevoir ! En ce domaine, l’expérience vaut preuve. Pour ma part, en tant qu’élu d’Île-de-France, j’ai la certitude que les dispositions que nous proposons sont de nature à corriger des inégalités et des injustices, car je connais bien cette région.
Nous savons tous ici que la plupart des emplois de bureau sont situés à l’ouest de l’Île-de-France ; c’est factuel. Et je constate que la région connaît des dysfonctionnements en matière de transports en commun et de trafic routier, pour une raison simple : la ségrégation sociale.
Neuf communes des Hauts-de-Seine ont fait l’objet d’un arrêté préfectoral de carence en décembre 2023 ; or elles comptent parmi celles dans lesquelles les agréments de construction de bureaux ont été les plus nombreux. Je vous le dis chiffres à l’appui ; les auteurs de ces trois amendements s’appuient sur le constat d’inégalités et d’injustices bien réelles.
Au premier trimestre 2024, ce sont 451 000 mètres carrés de bureaux qui ont été nouvellement loués ou vendus, dont presque 60 % sont situés dans le croissant ouest composé du quartier de La Défense et des trois arrondissements de l’Ouest parisien, territoires tous carencés en logement social.
Vous le voyez, madame la rapporteure, monsieur le ministre, il ne suffit pas de communiquer tant et plus sur la mixité sociale ! Une occasion se présente à nous : il s’agit non pas de décourager ces opérations, mais d’aider les villes qui sont carencées à ne plus l’être, de faire respecter la loi et de corriger une injustice.
Je prie mes collègues qui ne sont pas d’Île-de-France de bien vouloir m’excuser, mais je parle de ce que je connais… En 2023, 18 000 logements sociaux seulement ont été agréés dans cette région, pour 800 000 demandeurs ! Vous comprendrez qu’en tant qu’élus, dans notre diversité, nous soyons favorables à ce que les familles n’attendent pas quarante-cinq ans pour obtenir un logement… Votons au moins l’un de ces amendements ! Si les uns font tomber l’autre, tant pis…
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. J’irai dans le sens de mes collègues. Bien que n’étant pas élue francilienne, je comprends parfaitement la démonstration qui vient d’être faite.
En tant qu’élue du Nord, de la ville de Lille, je ne peux pas me résoudre, monsieur le ministre, à ce que nous opposions mixité sociale et mixité fonctionnelle : ces deux mixités peuvent aller de pair.
Ce n’est pas parce que l’on transforme des bureaux en logements que l’on peut s’exonérer de ses obligations en matière de logement social, et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit de communes carencées, c’est-à-dire précisément de celles qui n’en comptent pas suffisamment.
Je prendrai pour exemple la très belle opération de transformation de bureaux en logements qui a été conduite, dans ma ville, par l’office métropolitain de logement social et qui a été labellisée « Engagés pour la qualité du logement de demain ». C’est possible !
Si une telle opération a pu être réalisée à Lille, et si des projets analogues sont attendus en Île-de-France, pourquoi refuser un amendement dont l’adoption rendrait possibles des initiatives du même type dans les communes carencées en logement social ? Encore une fois, pourquoi opposer mixité sociale et mixité fonctionnelle ? Pourquoi opposer les différentes formes de logement abordable ? La discussion que nous avons sur ces amendements augure mal, hélas ! du débat que nous aurons bientôt à l’occasion de l’examen de votre projet de loi, monsieur le ministre…
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Martine Berthet, rapporteure. Il n’est pas question d’opposer mixité sociale et mixité fonctionnelle. Il s’agit avant tout, par cette proposition de loi, de permettre le plus possible de transformations de bureaux – ou d’autres locaux – en logements. L’objectif est, j’y insiste, de produire des logements. Bien sûr, si les opérations visées peuvent trouver leur équilibre en intégrant du logement social, il y aura du logement social !
Notre rejet de ces amendements ne signifie aucunement une volonté d’empêcher que les projets incluent une part de logement social ; simplement, nous ne souhaitons pas rendre une telle part obligatoire. Ce qui importe, avec cette proposition de loi, c’est de favoriser la production de logements !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Là encore, je suis d’accord à 100 % avec ce que vient de dire Mme la rapporteure : l’objectif de la proposition de loi, c’est d’accélérer la conversion de bureaux en logements, quels que soient les types de logement : logement social, logement intermédiaire, logement libre. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Lucien Stanzione. C’est bien le problème !
Mme Audrey Linkenheld. Vous voulez même produire des logements qui ne correspondent pas à la demande !
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Bref, du logement pour tous les Français.
Vos amendements visent en réalité à conditionner la transformation de bureaux en logements à la présence de logements sociaux. Vous auriez pu avoir d’autres objectifs sociétaux et demander que les bureaux soient convertis en logements étudiants, en résidences seniors, en locaux pour les travailleurs saisonniers…
Mme Audrey Linkenheld. Oui, tous ces publics sont sociaux !
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Vous auriez pu conditionner cette transformation à des dizaines de thématiques sociétales qui sont tout à fait légitimes, mais tel n’est pas notre but ici. Nous voulons simplifier administrativement pour construire plus de logements et pour transformer les bureaux en logements. Il n’est donc pas nécessaire de polémiquer sur ce sujet !
Par ailleurs, la loi SRU continuera de s’appliquer : cela signifie que les objectifs triennaux de construction s’appliquent aux communes carencées. Si une commune construit des logements sans réaliser aucun logement social, elle restera carencée au titre de la loi SRU, et les obligations qui en découlent pèseront toujours sur elle. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Pascal Savoldelli. Alors là, bravo !
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Ainsi, il n’est nul besoin de prévoir une condition à la conversion de bureaux en logements : la loi SRU s’applique déjà ! Ne créons pas des complexités inutiles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à suivre l’avis défavorable de Mme la rapporteure.
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour explication de vote.
Mme Antoinette Guhl. Monsieur le ministre, il s’agit non pas d’ajouter une complexité supplémentaire, puisque le mot d’ordre d’aujourd’hui semble être la simplification, mais d’aider à mettre en œuvre la loi SRU : nous voulons la faire appliquer lorsque tel n’est pas le cas, en particulier quand des logements supplémentaires sont créés dans une commune carencée.
Dans ce cas, il serait normal d’obliger la commune à construire a minima 30 % de logements sociaux. Cela me semble du bon sens !
Refuser ce type d’amendement relève d’une posture politique, alors même que vous avez déposé un projet de loi qui va détricoter la loi SRU. La question n’est pas technique, elle n’est pas liée à cette proposition de loi. Il faut assumer ce que vous êtes en train de faire, monsieur le ministre.
Mme Antoinette Guhl. De notre côté, nous assumons tout ce que nous faisons : nous déposons des amendements pour que la loi SRU soit respectée et pour que soient créés de nouveaux logements sociaux, afin de répondre aux besoins des 2,4 millions de personnes qui attendent aujourd’hui un logement social. (Mme Anne Souyris applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 rectifié et 14.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 195 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 131 |
Contre | 210 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 1.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 196 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 115 |
Contre | 210 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 13, présenté par Mme Guhl, MM. Jadot, Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre d’un changement de destination d’un bâtiment ayant une destination autre que l’habitation en bâtiment à destination principale d’habitation, les locaux concernés par la procédure prévue au présent article doivent répondre aux critères de décence définis par le décret n° 87-149 du 6 mars 1987 fixant les conditions minimales de confort et d’habitabilité auxquelles doivent répondre les locaux mis en location.
La parole est à Mme Antoinette Guhl.
Mme Antoinette Guhl. Cet amendement vise à préciser que les habitations issues de la transformation de bâtiments initialement destinés à un autre usage que le logement doivent impérativement répondre à des critères de décence et de qualité, tels qu’ils sont définis par le décret du 6 mars 1987 fixant les conditions minimales de confort et d’habitabilité auxquelles doivent répondre des locaux mis en location.
Il s’agit de la surface habitable, de la hauteur sous plafond, de l’éclairage naturel, de l’aération et de la protection contre les nuisances sonores. Sans ces garanties, en effet, nous risquons de voir proliférer des situations d’abus, tandis que des logements de piètre qualité seraient construits.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Les logements issus de ces opérations de transformation n’ont pas tous vocation à être loués. Aussi, il serait curieux de les soumettre à des normes qui ne valent que pour les mises en location.
En revanche, ces logements devront bien sûr respecter toutes les prescriptions légales et réglementaires relatives aux bâtiments et locaux d’habitation, y compris en matière de performances énergétiques et environnementales, mais aussi de gestion des risques. Dans les faits, les normes sont toujours respectées : il n’y a pas de problème particulier en la matière.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 197 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 261 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 227 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 15, présenté par Mme Guhl, MM. Jadot, Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre d’un changement de destination d’un bâtiment ayant une destination autre que l’habitation en bâtiment à destination principale d’habitation, les locaux concernés par la procédure prévue au présent article sont attribués prioritairement aux personnes mal logées et aux personnes mentionnées à l’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation.
La parole est à Mme Antoinette Guhl.
Mme Antoinette Guhl. Au travers de cet amendement, nous proposons une solution simple : orienter les logements issus de la transformation d’usage de bâtiments prioritaires vers les personnes mal logées et les demandeurs au titre du droit au logement opposable (Dalo).
Cet amendement est issu d’une recommandation de la Fondation Abbé Pierre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Cet amendement et le suivant, l’amendement n° 16, visent à désigner des publics prioritaires pour les logements et hébergements créés à l’occasion des transformations de bâtiment visées par l’article 1er.
Or compte tenu des coûts de transformation des bâtiments en logements, adopter ces amendements reviendrait en réalité à empêcher ces opérations, car elles ne seraient pas rentables s’il fallait adapter les loyers ou les prix de vente des logements créés aux capacités financières de ces publics. Créer des logements plus coûteux et plus haut de gamme, s’ils trouvent leur public, c’est toujours augmenter l’offre globale de logement.
Je précise d’ailleurs que les opérations de transformation de bâtiments divers et variés en logements sociaux, telles qu’elles existent déjà, notamment grâce à la décote sur les ventes des biens publics ou à diverses subventions, pourront tout à fait bénéficier de la dérogation prévue à l’article 1er.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 15.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 198 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 261 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 227 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 16, présenté par Mme Guhl, MM. Jadot, Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre d’un changement de destination d’un bâtiment ayant une destination autre que l’habitation en bâtiment à destination principale d’habitation, les locaux concernés par la procédure prévue au présent article sont attribués prioritairement aux étudiants bénéficiant d’une bourse sur critères sociaux et aux étudiants dont le lieu des études supérieures ne dépend pas du rectorat d’origine.
La parole est à Mme Antoinette Guhl.
Mme Antoinette Guhl. Monsieur le ministre, en déposant cet amendement, j’ai devancé la proposition que vous m’avez faite il y a quelques instants. En effet, je propose de prioriser les étudiants, en particulier les boursiers, parmi les attributaires, lorsqu’un changement de destination aboutit à la création de nouveaux logements.
Je rappelle simplement que, en matière de logement, la situation des étudiants est aujourd’hui très critique dans notre pays : pour une population de 3 millions d’étudiants, nous disposons exactement de 233 000 logements Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires), soit un logement pour 16 étudiants. Les étudiants sont donc confrontés à une grave pénurie de logements, certains d’entre eux étant obligés d’arrêter leurs études pour cette raison.
Cette réalité plonge les étudiants dans une lutte acharnée pour le logement. Nous pouvons remédier à ce problème en adoptant cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Les étudiants boursiers sont déjà prioritaires pour les résidences universitaires gérées par les Crous, dont c’est même la mission. Mais, dans certains cas, la transformation de bureaux ou autres bâtiments en logements pourrait aboutir à la création de résidences universitaires plus haut de gamme et plus coûteuses. Il faut pouvoir loger tous les étudiants, quels que soient leurs moyens.
En outre, ma chère collègue, la rédaction de votre amendement priorise les étudiants boursiers par rapport non pas seulement aux autres étudiants, mais à tous les autres publics, ce que vous me permettrez de trouver un peu curieux.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Les bureaux peuvent être convertis en logements étudiants. J’ai en tête un beau projet qui a été mené à Suresnes avec Action Logement et qui a permis de transformer des bureaux en 140 ou 145 logements étudiants. Rappelons-le, cet article permettra de faciliter des conversions qui serviront à tous les Français, notamment aux étudiants, ce dont nous pouvons nous réjouir.
Madame la sénatrice, puisque vous évoquez la question du logement étudiant, je vous rappelle que, dans le projet de loi que j’ai présenté en conseil des ministres et que nous étudierons bientôt, nous ouvrons le bail mobilité au logement social : par cette mesure, nous permettrons aux étudiants, notamment aux plus précaires d’entre eux, d’accéder au parc social. Le logement des étudiants reste pour nous une préoccupation constante.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 199 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 261 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 227 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Redon-Sarrazy, Mmes Blatrix Contat et Espagnac, MM. Fagnen, Montaugé, Cozic et Kanner, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Stanzione, Tissot et Raynal, Mme Briquet, MM. Éblé, Féraud, Jeansannetas et Lurel, Mmes Linkenheld, Lubin et Monier, MM. Roiron, Ros, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du premier alinéa du I de l’article L. 1231-2 du code général des collectivités territoriales, après les mots : « habitat dégradé », sont insérés les mots : « et la transformation des bâtiments à destination autres qu’habitation en habitations ».
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. La possibilité de déroger au PLU prévue par la proposition de loi a vocation à s’appliquer sur tout le territoire, y compris dans les zones peu denses. Elle peut donc concerner, par exemple, des bâtiments publics vacants, qu’il s’agisse d’anciennes trésoreries, d’anciens bureaux de poste ou d’anciens bâtiments d’écoles, qui peuvent être utilement transformés en logements, notamment dans les territoires ruraux.
On le sait, ces opérations sont complexes en termes d’ingénierie. Notre amendement a pour objet que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) puisse accompagner les collectivités territoriales, particulièrement dans l’identification des locaux qui pourraient être transformés en habitations, ainsi que dans la phase d’étude du potentiel de transformation de ces locaux en logements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Nous avons récemment précisé, lors de l’examen de la loi visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement, que la mission de l’ANCT relative au logement visait « notamment » la gestion des copropriétés dégradées. Comme ces dernières, les opérations de requalification des bâtiments existants en habitations peuvent impliquer des recompositions assez profondes du tissu urbain, avec de nouveaux besoins en équipements publics.
Les communes les plus importantes, celles où le prix de l’immobilier est élevé, n’auront aucun mal à trouver des promoteurs pour réaliser ces opérations de transformation. Mais pour les plus petites communes, où il faudra monter des projets à l’ingénierie plus complexe, avec sans doute des demandes de subventions, le concours de l’ANCT pourrait être précieux.
L’avis de la commission est donc favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de votre amendement, dont les dispositions s’inscrivent dans le droit fil de la question que vous m’aviez posée lors de mon audition devant la commission des affaires économiques.
Je veux vous confirmer que les missions de l’ANCT permettent d’ores et déjà à cette agence d’intervenir en soutien des collectivités dans le cadre de leurs projets de transformation de bureaux en logements ; elle le fait d’ailleurs régulièrement à la demande des élus, lorsque des programmes Action Cœur de ville ou Petites Villes de demain en font un axe stratégique.
Le soutien apporté par l’agence aux collectivités territoriales pour la conception, la définition et la mise en œuvre de leurs projets en faveur du logement peut d’ores et déjà porter sur « la transformation des bâtiments à destination autre qu’habitation en habitations ». Elle met à disposition des collectivités une offre d’ingénierie sur-mesure, mobilisable selon le principe de subsidiarité dès lors que l’ingénierie locale fait défaut, et qui peut tout à fait être sollicitée pour de tels projets.
C’est pourquoi il apparaît au Gouvernement que, en réalité, la problématique que vous soulevez est satisfaite par le droit existant. Toutefois, puisque vous souhaitez adresser un signal politique, et compte tenu de la qualité de l’argumentation de la commission, le Gouvernement émettra un avis de sagesse sur cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
Article 1er bis
(Non modifié)
Au dernier alinéa de l’article L. 135 B du livre des procédures fiscales, après le mot : « propre », sont insérés les mots : « ainsi que, à leur demande, aux services de l’État compétents en matière d’aménagement et d’environnement » – (Adopté.)
Article 2
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° L’article 1635 quater B est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Donnent également lieu au paiement de la part de la taxe d’aménagement instituée dans la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale les opérations soumises à déclaration préalable ou à permis de construire qui ont pour effet de changer la destination de locaux non destinés à l’habitation en locaux d’habitation. » ;
2° (nouveau) Le I de l’article 1635 quater E est complété par un 9° ainsi rédigé :
« 9° Les locaux d’habitation issus des opérations mentionnées au dernier alinéa de l’article 1635 quater B. » ;
3° (nouveau) L’article 1635 quater H est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, après le mot : « construction », sont insérés les mots : « ou de la surface transformée dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 1635 quater B » ;
b) Au troisième alinéa, après le mot : « construction », sont insérés les mots : « ou la surface transformée dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 1635 quater B » ;
4° (nouveau) Le I de l’article 1635 quater I est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Les locaux d’habitation issus des opérations mentionnées au dernier alinéa de l’article 1635 quater B, cet abattement ne pouvant être cumulé avec ceux prévus aux 1° ou 2°. »
II (nouveau). – Le I entre en vigueur au 1er janvier 2025.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Blatrix Contat, MM. Redon-Sarrazy, Cozic, Montaugé, Kanner et Raynal, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas et Lurel, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Stanzione, Tissot et Fagnen, Mmes Linkenheld, Lubin et Monier, MM. Roiron, Ros et Uzenat, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
instituée dans la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement vise à maintenir la part départementale de la taxe d’aménagement. En effet, le texte qui nous est présenté prévoit de soumettre à la taxe d’aménagement les opérations de transformation de locaux en logements. Cependant, en commission, le rapporteur a voulu resserrer la taxe d’aménagement sur la seule part communale.
Nous ne sommes pas d’accord avec cette limitation, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, une telle mesure réduirait les ressources des départements sans modifier significativement les conditions économiques des projets, puisque la part départementale correspond à des montants relativement modestes.
Ensuite, la part départementale de la taxe d’aménagement joue un rôle crucial dans le financement d’opérations d’aménagement menées par les départements, mais aussi par les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE). Ces derniers verront leur engagement augmenter du fait de ces transformations. Les priver de ressources est incohérent, voire contre-productif.
Enfin, d’une manière plus générale, mener une action publique fondée sur des baisses de recettes fiscales, surtout dans le contexte de raréfaction des recettes et de difficultés des départements que nous connaissons, n’est pas de bon aloi.
Les départements et les CAUE ont besoin de ces ressources pour accompagner et réussir les transformations de locaux en logements, en garantissant des aménagements de qualité qui répondent aux besoins des habitants. Réduire leurs moyens financiers ne ferait que fragiliser ces initiatives. Ce serait, pour nous, une bien mauvaise manière faite aux départements !
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. Avant d’évoquer le fond de votre amendement, ma chère collègue, j’apporterai une précision.
Contrairement à ce que vous avez affirmé, les modifications que nous avons introduites en commission ne conduisent pas à diminuer les ressources des départements ; simplement, nous ne les avons pas augmentées. Les finances des départements méritent, certes, une attention particulière, mais cette problématique ne peut être réglée par la seule question de la taxe d’aménagement dans le texte qui nous occupe.
Surtout, si la commission a fait le choix de limiter à la part communale l’application de la taxe d’aménagement aux opérations de transformation des locaux, c’est parce que son objectif est non pas d’instituer une taxe de rendement en la matière, mais d’inciter les autorités chargées des autorisations d’urbanisme, c’est-à-dire essentiellement le bloc communal, à autoriser les opérations.
L’enjeu est celui de l’acceptabilité locale de tous les projets qui tendent à une densification de la ville, voire qui conduisent à sa transformation. Or c’est bien le maire ou l’EPCI qui interviennent à ce niveau. C’est donc en limitant l’imposition à ce qui est réellement nécessaire que l’on peut faire en sorte que l’application de la taxe d’aménagement favorise réellement la réalisation de ces projets. En allant au-delà, on sortirait de cette logique et on alourdirait le coût de la reconversion.
C’est pourquoi je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission des finances serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Blatrix Contat, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?
Mme Florence Blatrix Contat. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 28 rectifié, présenté par MM. Gremillet, J.-P. Vogel, Paccaud et de Legge, Mme Jacques, M. Panunzi, Mme Puissat, M. Burgoa, Mme M. Mercier, MM. Somon et Genet, Mme Gruny, MM. Reynaud et Brisson, Mme Gosselin, M. D. Laurent, Mmes Evren et Garnier, MM. Duplomb, J.-M. Boyer, Lefèvre, Menonville et Saury, Mmes Muller-Bronn, Ventalon et Lassarade, M. Bruyen, Mmes Primas et Belrhiti, M. Sido, Mme F. Gerbaud, M. Anglars, Mme Pluchet, M. Houpert, Mme Micouleau et MM. Meignen et Bouchet, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
y compris lorsqu’il s’agit de bâtiments ruraux qui n’ont plus de vocation agricole
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Il s’agit ici de traduire dans le domaine de la fiscalité notre vote sur mon amendement précédent, avec le double objectif de traiter les verrues rurales dans nos villages et d’augmenter le nombre de logements locatifs, comme nous y incite l’intitulé de cette proposition de loi.
J’ai déposé deux amendements – nous examinerons l’autre dans quelques instants –, afin d’élargir le champ des possibles, pour que ces transformations puissent avoir lieu, tout en réglant le problème que pose la distinction entre le corps de ferme et la partie habitable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. Mon cher collègue, vous le savez, je suis sensible à votre souci de trouver un juste équilibre fiscal entre les agriculteurs et les communes. Toutefois, la clarification que vous proposez n’en est pas vraiment une, dans la mesure où le code général des impôts prévoit déjà l’assujettissement à la taxe d’aménagement de la transformation de locaux destinés à l’agriculture.
Je comprends que votre amendement vise les bâtiments qui ont perdu leur usage agricole, comme vous l’avez précisé. Toutefois, cette distinction n’est pas opérante dans notre cas, car la rédaction actuelle du code général des impôts, qui fait référence à la destination de ces bâtiments et non à leur usage, semble déjà les couvrir. Peut-être le ministre pourra-t-il nous le confirmer ?
Je tiens également à vous assurer que l’article 1382 du code général des impôts prévoit le maintien de l’exonération de taxe foncière sur les bâtiments agricoles « lorsque ces bâtiments ne servent plus à une exploitation rurale et ne sont pas affectés à un autre usage », ce qui est le cas pour les bâtiments visés par votre amendement.
Je considère que votre amendement est satisfait. Aussi, je vous propose de le retirer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je confirme l’analyse de M. le rapporteur pour avis, qui en a appelé à mon expertise : les opérations de transformation en logements de bâtiments ruraux pourront être assujetties au paiement de la taxe d’aménagement si l’article 2 est adopté dans sa rédaction issue des travaux des commissions du Sénat. Je le rappelle, cet article vise précisément à accompagner financièrement les élus locaux dans ces opérations.
Dans ces conditions, le Gouvernement considère que votre demande est satisfaite, monsieur le sénateur. C’est pourquoi je vous demande, tout comme M. le rapporteur pour avis, de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Gremillet, l’amendement n° 28 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet. Puisque M. le rapporteur pour avis et M. le ministre confirment tous deux que ma demande relative à cet aspect de la fiscalité est satisfaite, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 28 rectifié est retiré.
L’amendement n° 2, présenté par Mme Blatrix Contat, MM. Redon-Sarrazy, Cozic, Montaugé, Kanner et Raynal, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas et Lurel, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Stanzione, Tissot et Fagnen, Mmes Linkenheld, Lubin et Monier, MM. Roiron, Ros, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 9 et 10
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement tend à supprimer l’abattement de 50 % sur l’assiette de la taxe d’aménagement pour les transformations de locaux en logements.
Cette mesure proposée par M. le rapporteur pour avis s’appuie sur l’idée, qui est exacte, que la taxe a déjà été acquittée lors d’une première vie du bâtiment et que, dans cette logique, il ne serait pas pertinent de la prélever de nouveau.
Toutefois, on peut analyser cette proposition sous un autre angle : les collectivités devront bien faire face à de nouveaux coûts réels et indirects liés aux transformations de bureaux en logements. Cela entraînera des dépenses importantes pour les collectivités, qu’il s’agisse d’adaptations d’infrastructures, d’aménagements d’espaces publics ou de mise en place de nouveaux services publics, dans un contexte où les deniers publics se raréfient et où l’autonomie fiscale et financière des collectivités recule. Il est impératif de garantir des ressources suffisantes à nos collectivités territoriales.
Nous estimons que cet abattement n’apporterait pas de bénéfices économiques significatifs et que, au contraire, il réduirait la possibilité pour les collectivités d’obtenir des capacités financières supplémentaires. C’est la raison pour laquelle nous proposons sa suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. Notre collègue propose de supprimer l’abattement de 50 % sur la taxe d’aménagement pour les opérations de transformation de locaux en logements.
Cette disposition s’inscrit dans le même esprit que l’amendement n° 3 rectifié des mêmes auteurs, que nous avons examiné tout à l’heure. Je répondrai donc de la même manière : l’objet de la taxe d’aménagement est de financer les équipements publics rendus nécessaires par l’arrivée de populations ou d’activités nouvelles.
Le remplacement de bureaux par des logements peut conduire à créer de nouveaux besoins nécessitant des équipements, par exemple pour la petite enfance, ou des écoles à créer ou à agrandir. Néanmoins, dans le même temps, de nombreux réseaux et d’équipements déjà existants pourront être utilisés sans adaptation majeure.
C’est pourquoi la commission avait introduit cet abattement, dans l’esprit de proportionnalité qui nous a guidés lors de l’examen de ce texte. Il s’agit d’une mesure équilibrée, que je propose de conserver.
En outre, hier, lors de la discussion générale, notre collègue Christian Redon-Sarrazy a rappelé la nécessité de préserver la rentabilité des opérations de transformation. Aussi, afin de conserver un équilibre, il convient de ne pas renchérir fiscalement ces opérations.
Pour toutes ces raisons, la commission des finances a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par M. J.B. Blanc, Mme M. Mercier, M. Belin, Mmes Joseph, Ventalon et Gruny, MM. Reynaud et Chaize, Mmes Micouleau et Demas, MM. Pellevat, Rapin, Anglars et Somon, Mme Evren, MM. D. Laurent, Burgoa et Daubresse, Mmes Canayer, Bellurot, Lassarade et Belrhiti et M. Bouchet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Pour les opérations de transformation de bureaux en logements, l’abattement appliqué sur les 100 premiers mètres carrés des locaux d’habitation à usage d’habitation principale est de 75 %.
« … – Un abattement de 75 % est appliqué sur les valeurs mentionnées au 1° de l’article 1635 quater H pour les locaux d’habitation à usage d’habitation principale issus d’opérations de transformation de bâtiments tertiaires. »
La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.
M. Jean-Baptiste Blanc. Cet amendement, que j’ai annoncé hier lors de la discussion générale, vise à augmenter l’abattement de la taxe d’aménagement sur les cent premiers mètres carrés des locaux d’habitation principale, en faisant passer son taux de 50 % à 75 %. En allégeant la charge fiscale pesant sur les nouveaux logements, cette mesure permettra d’accélérer la conversion de bureaux en logements, une pratique encore trop rare, chacun le sait.
Cette mesure soutient l’équilibre économique de ce modèle, souvent freiné par des coûts plus élevés. En effet, les coûts associés à cette transformation sont généralement supérieurs de 10 % à 15 % par rapport à ceux d’une opération de construction traditionnelle.
Mon but, avec cet amendement, est que soit enfin constitué un outil contribuant à l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), qu’il faut atteindre. Et il est temps de s’y mettre…
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. Je suis bien évidemment sensible aux arguments développés à l’appui du présent amendement, en particulier pour ce qui concerne la référence au zéro artificialisation nette.
Toutefois, je vais vous demander de bien vouloir le retirer, mon cher collègue, dans la perspective d’équilibre que je décrivais dans mon avis sur l’amendement précédent. En effet, vous proposez d’aller plus loin sur les cent premiers mètres carrés, en portant l’abattement en question de 50 % à 75 %.
Aujourd’hui, l’article 1635 quater H du code général des impôts prévoit que les « cent premiers mètres carrés des locaux d’habitation et leurs annexes à usage d’habitation principale » font l’objet d’un abattement de 50 %. Or le texte adopté par la commission prévoit déjà d’étendre cet abattement de 50 % à la totalité de la surface.
Je puis comprendre, mon cher collègue, votre volonté de réduire le poids de la taxe d’aménagement pour les porteurs de projet et d’inciter ces derniers à se tourner vers la reconversion, mais, afin de maintenir l’équilibre trouvé en commission, je vous propose d’en rester là.
Je vous prie donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission des finances serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je comprends, monsieur le sénateur, votre volonté d’améliorer la rentabilité économique des projets visés.
Toutefois, j’entends également la volonté du rapporteur pour avis de ménager l’équilibre entre la préservation des recettes des collectivités locales, qui font face à l’augmentation du nombre d’habitants et doivent donc construire plus d’équipements pour les accueillir, et son souhait d’accélérer la conversion de bureaux en logements, ce qui exige des modèles économiques équilibrés. J’aurai donc le même avis que lui.
Néanmoins, je précise que cette question fiscale n’est pas épuisée et qu’un prochain projet de loi de finances aura vocation à la traiter, afin d’appréhender notamment la question des ressources des collectivités quand le nombre d’habitants augmente, y compris via la conversion de bureaux en logements. Nous ne sommes qu’au début d’une discussion qui se poursuivra à l’automne prochain, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, et qui suscitera, je l’imagine, de longs échanges.
Cela dit, à ce stade, je m’inscris dans la position de sagesse du rapporteur pour avis, en sollicitant le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Blanc, l’amendement n° 8 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Baptiste Blanc. Dont acte, monsieur le ministre ! Je profite de l’occasion pour répéter ce que j’ai déjà indiqué hier soir : les travaux, transpartisans, du groupe de suivi et de la mission d’information sur le ZAN déboucheront rapidement sur de très nombreuses propositions d’outils juridiques et fiscaux, qu’il faudra examiner et éventuellement faire prospérer au travers de prochains véhicules législatifs, tels que le projet de loi de finances.
Je retire donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié bis, présenté par MM. Gremillet, J.-P. Vogel, Paccaud et de Legge, Mme Jacques, MM. Panunzi et Burgoa, Mme M. Mercier, MM. Somon et Genet, Mme Gruny, M. Reynaud, Mme Evren, M. D. Laurent, Mme Gosselin, MM. Brisson, Duplomb, J.-M. Boyer, Lefèvre, Menonville et Saury, Mmes Muller-Bronn et Ventalon, M. Bruyen, Mmes Primas et Belrhiti, M. Sido, Mme F. Gerbaud, M. Anglars, Mme Pluchet, M. Houpert, Mme Micouleau et M. Meignen, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le III de l’article 1383 du code général des impôts est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Dans le cas d’une conversion d’un bâtiment à usage agricole en maison, les I et II s’appliquent pour une durée de cinq années supplémentaires. Cette exonération exceptionnelle est applicable jusqu’en 2031. »
II. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Je prolonge, au travers de cet amendement, le débat que nous avons mené précédemment sur la transformation en habitations d’anciens corps de ferme n’ayant plus de vocation agricole.
Il s’agit tout simplement ici, afin de faciliter de telles opérations au regard du coût qu’elles représentent, d’exonérer de la taxe foncière sur les propriétés bâties ces logements pendant cinq années supplémentaires. J’ai fixé une date limite à 2031, en cohérence avec mon amendement précédent sur le ZAN.
Bref, il s’agit d’encourager les propriétaires dans cette conversion et d’alléger la charge, souvent très lourde, que celle-ci représente.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis. Au travers du présent amendement, notre collègue propose de porter de deux à cinq ans, jusqu’en 2031, la durée de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les maisons issues de la conversion d’un bâtiment agricole.
En tant qu’élu rural, je partage votre volonté, mon cher collègue, de faciliter la conversion de bâtiments agricoles en logements ; du reste, le texte que nous étudions aujourd’hui va accroître grandement cette possibilité.
J’ai toutefois quelques réserves sur votre amendement, notamment du point de vue fiscal. En effet, s’il est vrai que nous modifions, au travers de l’article 2, la taxe d’aménagement, on ne change la fiscalité, en principe, que dans le cadre d’un projet de loi de finances. Viser, de surcroît par amendement, un article supplémentaire du code nous semble donc poser problème.
Surtout, une telle mesure est de nature à poser un problème d’égalité devant l’impôt par rapport aux habitations issues d’une conversion d’un bâtiment non agricole, car celles-ci ne seraient exonérées que pendant deux ans.
Par ailleurs, l’allongement de la durée de cette exonération priverait les collectivités de ressources.
Aussi, dans le même esprit de juste équilibre entre les intérêts des constructeurs et ceux des collectivités, je vous propose de retirer cet amendement, en reportant cette discussion à l’examen du projet de loi de finances pour 2025.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je souscris à l’ensemble des arguments de M. le rapporteur pour avis : la position de principe selon laquelle les dispositions fiscales doivent principalement figurer dans le projet de loi de finances, la question de l’égalité devant l’impôt et l’argument relatif aux ressources des collectivités.
Je veux ajouter, monsieur le sénateur, un argument qui n’a pas été évoqué par M. le rapporteur, mais qui abonde dans son sens : les dispositions de votre amendement, qui tend à exonérer certains logements de TFPB pendant cinq ans, s’appliqueraient non seulement aux bâtiments agricoles transformés en maisons, mais aussi à ceux qui seraient convertis en usines, ainsi qu’aux affectations de terrains à des usages commerciaux ou industriels.
Le champ d’application de votre amendement est donc plus large que la seule conversion d’un bâtiment rural agricole en logement. Par conséquent, cela encouragerait potentiellement la transformation de bâtiments agricoles en biens ayant d’autres destinations, comme des entrepôts logistiques, qui sont sans doute utiles au territoire, mais qui ne s’inscrivent pas dans la logique de la conversion accélérée de bureaux en logements qui est le cœur même de la présente proposition de loi.
Je souhaitais ajouter cet argument dans la balance, à côté des excellents arguments développés par M. le rapporteur pour avis.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Gremillet, l’amendement n° 30 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet. J’ai bien entendu M. le rapporteur pour avis et M. le ministre : je prends donc rendez-vous.
Je vous le dis très sincèrement, messieurs : interrogez les maires ; ils n’en peuvent plus ! On ne trouve pas de solution à ces innombrables verrues, à ces bâtiments agricoles posant problème en milieu rural.
Je comprends vos arguments, le principe d’égalité devant l’impôt et le reste, mais il faudra bien traiter cette question, d’autant qu’elle prend une dimension supplémentaire avec le ZAN.
En effet, bien souvent, ces bâtisses sont situées en plein cœur d’un village et appartiennent à des personnes qui n’ont pas des moyens suffisants pour assumer les travaux de transformation de vastes bâtiments agricoles ; tous les sénateurs qui se rendent dans les villages les connaissent comme moi, ce sont de vastes bâtisses et la partie habitable est réduite par rapport à l’ensemble du corps de ferme. Il y a donc une question financière à traiter.
Je comprends que ce texte ne soit pas forcément le bon véhicule, mais je souhaitais apporter cet élément au débat, car, si l’on ne traite pas ce sujet par la voie de la fiscalité, on n’en finira pas avec ce problème. On doit reconquérir la ruralité et redonner aux maires et aux propriétaires la capacité d’être acteurs et de créer du logement dans ces zones.
Ainsi, je retire mon amendement, mais j’accepte le rendez-vous fixé lors de l’examen du projet de loi pour 2025, car j’ai bien entendu les messages positifs de M. le rapporteur et de M. le ministre.
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié bis est retiré.
Article 3
(Supprimé)
Article 3 bis A
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Après le V de l’article 231 ter et le V de l’article 231 quater, il est inséré un V bis ainsi rédigé :
« V bis. – 1° Sont également exonérés de la taxe, lorsqu’ils sont vacants au 1er janvier de l’année d’imposition, les locaux mentionnés au III faisant l’objet d’un engagement de transformation en logements dans les conditions prévues au 2° du présent V bis et pour lesquels une déclaration préalable a été déposée ou un permis de construire délivré au cours de l’année précédant la déclaration de la taxe ;
« 2° L’application de l’exonération prévue au 1° est subordonnée à la condition que le redevable s’engage à transformer les locaux concernés en locaux à usage d’habitation dans les quatre ans qui suivent la date de clôture de l’exercice au cours duquel l’acquisition est intervenue. L’engagement de transformation est réputé respecté lorsque l’achèvement des travaux de transformation ou de construction intervient avant le terme du délai de quatre ans.
« La date d’achèvement correspond à celle mentionnée sur la déclaration prévue à l’article L. 462-1 du code de l’urbanisme ;
« 3° Le non-respect de l’engagement de transformation par le redevable entraîne l’application de l’amende prévue au V de l’article 1764 du présent code. Par dérogation, cette amende n’est pas due lorsque le redevable ne respecte pas l’engagement de transformation en raison de circonstances exceptionnelles indépendantes de sa volonté. » ;
2° L’article 1764 est complété par un V ainsi rédigé :
« V. – Le redevable qui ne respecte pas l’engagement de transformation mentionné au V bis de l’article 231 ter ou au V bis de l’article 231 quater est redevable d’un montant égal au montant de la taxe qui aurait été dû en l’absence d’exonération, affecté d’un coefficient de 1,25. »
II (nouveau). – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
III (nouveau). – La perte de recettes résultant pour l’État des I et II est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)
Article 3 bis B
(Supprimé)
Article 3 bis
L’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa du I est ainsi modifié :
a) Les mots : « ou de construction » sont remplacés par les mots : « , de construction ou de transformation de bâtiments de destination autre qu’habitation en bâtiments à destination principale d’habitation » ;
b) Les mots : « des terrains » sont supprimés ;
c) Après le mot : « constructeurs », sont insérés les mots : « , les maîtres d’ouvrage » ;
2° Le premier alinéa du II est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « fonciers, les aménageurs ou les constructeurs qui s’y livrent à des opérations d’aménagement ou de construction » sont remplacés par les mots : « , les aménageurs, les constructeurs ou les maîtres d’ouvrage qui se livrent à des opérations mentionnées au premier alinéa du I du présent article » ;
b) À la seconde phrase, les mots : « de construction » sont supprimés ;
3° Le III est ainsi modifié :
a) La première phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :
– après le mot : « déposer », sont insérés les mots : « une déclaration préalable ou » ;
– les mots : « ou de construction » sont remplacés par les mots : « , de construction ou de transformation » ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
– les mots : « d’aménagement ou de construction, la définition du projet » sont remplacés par les mots : « , sa définition » ;
– les mots : « à édifier » sont remplacés par les mots : « ou aménagements résultant de la ou des opérations conduites » ;
c) Le troisième alinéa est ainsi modifié :
– le mot : « fonciers » est supprimé ;
– les mots : « ou des constructeurs » sont remplacés par les mots : « , des constructeurs ou des maîtres d’ouvrage » ;
– les mots : « des constructions à édifier » sont supprimés – (Adopté.)
Article 4
Le chapitre Ier du titre III du livre IV du code de l’urbanisme est complété par un article L. 431-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 431-5. – L’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme ou de document en tenant lieu peut, après avis conforme du conseil municipal de la ou des communes concernées si celles-ci ne sont pas compétentes en matière de plan local d’urbanisme ou de document en tenant lieu, délimiter des secteurs dans lesquels le permis de construire peut porter sur plusieurs destinations possibles. En l’absence d’une délibération motivée du conseil municipal s’opposant à la mise en place de tels secteurs, dans un délai de deux mois à compter de la saisine par l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme, l’avis est réputé favorable. Les secteurs ainsi délimités sont annexés au plan local d’urbanisme ou au document en tenant lieu.
« Sous réserve des dispositions du présent article, le permis de construire mentionné au premier alinéa est délivré dans les conditions de droit commun prévues par le présent code, notamment ses articles L. 421-1 à L. 422-1.
« Lorsqu’un permis de construire porte sur plusieurs destinations possibles :
« 1° (Supprimé)
« 1° bis (nouveau) À la demande de l’autorité compétente en matière de délivrance des autorisations d’urbanisme, le permis mentionne la première destination de la construction ;
« 1° ter (nouveau) L’article L. 152-6-5 est applicable ;
« 2° Le projet autorisé ne peut, une fois les travaux engagés, faire l’objet d’un permis de construire modificatif portant sur les destinations de la construction ;
« 3° Les règles d’urbanisme sur le fondement desquelles le permis est délivré sont celles applicables à la date de sa délivrance. Ces règles demeurent applicables au projet ayant fait l’objet du permis pendant toute la durée de validité de ce dernier, à l’exception de celles ayant pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique, pour lesquelles sont applicables aux travaux et changements de destination ultérieurs les règles applicables à la date desdits travaux ou changements de destination.
« Les règles de caducité de droit commun s’appliquent pour les premiers travaux autorisés. Les travaux et changements de destination ultérieurs autorisés par le permis peuvent être engagés dans un délai de dix ans à compter de sa délivrance. Le permis peut, sur demande de son bénéficiaire, être prorogé deux fois pour une durée de cinq ans, si les prescriptions d’urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n’ont pas évolué de façon défavorable à son égard.
« Lorsque la destination d’une construction ayant fait l’objet d’un permis portant sur plusieurs destinations possibles est modifiée, conformément au dit permis, sans que ce changement de destination ne nécessite un nouveau permis de construire ou une déclaration préalable, le propriétaire en informe le maire de la commune et, si le maire ne dispose pas de la compétence en matière d’autorisations d’urbanisme, l’autorité compétente en la matière, au moins trois mois avant le changement effectif de destination.
« Un décret en Conseil d’État définit les conditions d’application du présent article, notamment les modalités d’information du titulaire du permis, en cas de modification des règles d’urbanisme mentionnées au 3° opposables au projet ayant fait l’objet du permis. »
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mme Guhl, MM. Jadot, Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L’ordre de succession ne peut aboutir à la disparition d’une destination habitation.
La parole est à Mme Antoinette Guhl.
Mme Antoinette Guhl. Cet amendement vise à apporter une précision sur l’ordre de succession des destinations dans le cadre du permis de construire réversible.
En effet, la réversibilité proposée ne doit pas compromettre la préservation de logements : il est primordial, selon nous, que les autorisations accordées respectent l’idée du texte et empêchent que les bâtiments initialement destinés à l’habitation ne soient transformés en structures à usage non résidentiel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Dans un contexte de crise du logement, je comprends votre préoccupation et votre volonté de « verrouiller » l’usage d’habitation pour les bâtiments qui feraient l’objet d’un permis à destinations multiples.
Cela reviendrait néanmoins peu ou prou à réintégrer un ordre obligatoire des destinations : on pourrait aller vers l’habitation, mais on ne pourrait plus en sortir. Il me semble important de conserver la souplesse de la rédaction actuelle, car on ne sait pas de quoi demain sera fait : peut-être – c’est un vœu pieux… – souffrirons-nous d’une surabondance de l’offre de logements ? Sait-on jamais ? (Sourires.)
Plaisanterie mise à part, cette souplesse du permis multidestination, cette « valeur d’option », comme disent les promoteurs, est aussi ce qui permettra à certaines opérations de se faire et évitera la constitution de friches et la stérilisation du foncier, qui se fait rare.
En revanche, je vous rappelle que la commission a donné au maire la possibilité d’exiger la mention de la première destination ; à ce titre, il pourra bien entendu exiger que cette première destination soit de l’habitation.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 11 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 26 est présenté par MM. Buis, Buval, Fouassin, Patriat, Iacovelli et Lemoyne, Mme Schillinger, M. Théophile, Mme Havet, M. Omar Oili, Mme Phinera-Horth, M. Bitz, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Haye, Kulimoetoke, Lévrier et Mohamed Soilihi, Mme Nadille et MM. Patient, Rambaud et Rohfritsch.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre délégué, pour présenter l’amendement n° 11.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Le présent amendement tend à supprimer la possibilité de bénéficier, dans le cadre d’un permis à destinations multiples, de la dérogation prévue à l’article 1er du texte.
Cette précision nous semble utile pour éviter de laisser croire que les permis multidestination ne pourraient bénéficier des autres dérogations prévues à la section 2 du chapitre II du titre V du livre Ier du code de l’urbanisme. Or, comme tout permis de construire, le permis multidestination peut bien bénéficier des différentes dérogations prévues par la réglementation relative au PLU.
En d’autres termes, nous voulons éviter, au travers de cet amendement de clarification, que la rédaction du texte ne prive les titulaires d’un permis multidestination des autres dérogations prévues par la réglementation relative au PLU.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour présenter l’amendement n° 26.
M. Bernard Buis. Il a été très bien défendu par M. le ministre, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Ces amendements ont pour objet de supprimer la précision selon laquelle la dérogation introduite à l’article 1er de la proposition de loi, permettant l’octroi de dérogations aux règles de destinations du PLU, s’applique aussi au permis multidestination, au motif que cette mention serait superfétatoire.
S’agissant de deux dispositifs nouveaux, ce point n’était manifestement pas évident pour les différents acteurs que j’ai interrogés. Il m’a donc semblé utile qu’il soit explicitement abordé au cours de la discussion parlementaire, afin que chacun puisse se positionner en connaissance de cause et que les maires connaissent leur marge de manœuvre.
Le risque d’argument a contrario, que le Gouvernement affectionne tant, est assez faible : sans exclusion explicite des autres dérogations, celles-ci restent bien évidemment applicables ; en revanche, on ne sait jamais quelles restrictions supplémentaires pourraient émaner des décrets d’application…
Cela dit, maintenant que la clarification a été faite par M. le ministre en séance publique, et dans un souci de clarté du droit, je ne vois pas de raison de m’opposer à la suppression de cette mention.
La commission a donc émis un avis favorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 et 26.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 10 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 25 est présenté par MM. Buis, Buval, Fouassin, Patriat, Iacovelli et Lemoyne, Mme Schillinger, M. Théophile, Mme Havet, M. Omar Oili, Mme Phinera-Horth, M. Bitz, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Haye, Kulimoetoke, Lévrier et Mohamed Soilihi, Mme Nadille et MM. Patient, Rambaud et Rohfritsch.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 10
1° Deuxième phrase
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
vingt
2° Dernière phrase
Remplacer le mot :
deux
par le mot :
trois
et le mot :
cinq
par le mot :
dix
II. – Alinéa 12
Supprimer les mots :
, notamment les modalités d’information du titulaire du permis, en cas de modification des règles d’urbanisme mentionnées au 3° opposables au projet ayant fait l’objet du permis
La parole est à M. le ministre délégué, pour défendre l’amendement n° 10.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je vais laisser M. Buis le défendre, monsieur le président ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour présenter l’amendement n° 25.
M. Bernard Buis. Le présent amendement vise à augmenter le délai de validité du permis multidestination introduit par la commission des affaires économiques. En effet, l’esprit initial de la disposition consistait à maximiser la souplesse dont bénéficieront les porteurs de projet sollicitant un permis multidestination.
Cette souplesse est indispensable pour compenser les probables surcoûts liés à la conception d’un bâtiment qui sera par définition largement réversible. Il importe donc qu’elle s’applique sur une période suffisamment longue, sans qu’il y ait à en demander la prolongation.
Le texte initial ne prévoyait pas de durée limite, laissant la liberté aux porteurs de projet, mais les débats ont fait apparaître une logique de limitation dans le temps, notamment parce que les secteurs dans lesquels sont autorisés les permis multidestination sont susceptibles d’évoluer en profondeur sur longue période.
Le texte issu de la commission propose un délai de validité de dix ans, prolongeable de cinq ans à deux reprises, sur demande du bénéficiaire, soit vingt ans au maximum, c’est-à-dire l’échéance à laquelle des travaux lourds doivent avoir lieu et, le plus souvent, de nouvelles autorisations d’urbanisme doivent être sollicitées.
Toutefois, ces nouvelles autorisations ne rechargeront pas a priori le droit au changement de destination. Or, de nos jours, un projet immobilier s’amortit sur une cinquantaine d’années ; il importe donc que les projets d’investissements assumés initialement pour assurer la réversibilité du bâtiment soient bien amortis sur cette durée.
Aussi, il est proposé que la durée de validité soit, dès l’origine, de vingt ans et soit prolongeable ensuite, sur la demande des bénéficiaires, de dix ans, jusqu’à trois reprises.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Actuellement, la durée de validité d’un permis de construire est de trois ans, renouvelable deux fois pour une durée d’un an. Elle est fixée par voie réglementaire.
En commission, nous l’avons étendue à dix ans, avec deux prorogations possibles de cinq ans chacune.
Passer à vingt ans pour le permis initial et à cinquante ans au total, avec les prorogations, reviendrait à déposséder durablement les collectivités compétentes d’une partie de leurs prérogatives en matière d’urbanisme, puisque, pendant vingt ans, les nouvelles règles du PLU seraient inapplicables aux projets ayant bénéficié d’un permis multidestination.
Autant il me semble possible d’évoluer quant au nombre de prorogations et éventuellement quant à leur durée, autant figer les règles d’urbanisme qui s’appliquent à un bâtiment pendant vingt ans me semblerait tout à fait excessif, surtout aujourd’hui, alors que les contraintes du ZAN, du développement des énergies renouvelables et de l’adaptation au changement climatique exigent des adaptations rapides des documents d’urbanisme.
En outre, rien n’empêchera, au bout de vingt ans, de demander un nouveau permis à destinations multiples.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je souhaite soutenir ces amendements identiques.
Au préalable, je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteure, qui a déjà permis d’étendre la durée de validité du permis, celle-ci passant de trois ans plus un plus un à dix ans plus cinq plus cinq, si je puis dire.
Ainsi, il y a déjà eu, de la part de la commission, une prise en compte notable et salutaire de la notion de durée de validité. En effet, quand il s’engage dans une opération avec un permis multidestination, le promoteur doit disposer de visibilité dans le temps, parce qu’il ne sait pas encore très bien comment va évoluer son opération ; c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il demande un permis multidestination. Nous avons donc bien la même volonté de donner de la visibilité aux promoteurs conduisant de tels projets.
Ce que le Gouvernement et M. Buis proposent au travers de ces deux amendements identiques est d’aller un cran plus loin dans la visibilité offerte, considérant que dix ans, même avec deux prolongations de cinq ans chacune, représentent parfois une durée un peu courte au regard de la durée d’amortissement de ce type de projet. Si l’on veut améliorer la prise en main de cet outil – le permis multidestination –, nous avons intérêt à donner plus de visibilité aux promoteurs.
Je comprends bien les réserves et les arguments de Mme la rapporteure, mais je maintiens mon amendement.
J’espère surtout que la discussion entre l’Assemblée nationale et le Sénat permettra de trouver les moyens pour donner le plus de visibilité possible aux promoteurs, afin que ce permis soit réellement usité par les usagers et que les enjeux de délai ne freinent pas la conversion de bureaux en logements.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 et 25.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Redon-Sarrazy, Mme Blatrix Contat, MM. Montaugé, Cozic et Kanner, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Stanzione, Tissot et Raynal, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, Lurel et Fagnen, Mmes Linkenheld, Lubin et Monier, MM. Roiron, Ros, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En vue de favoriser la transformation des bâtiments de destination autres que d’habitation en bâtiment d’habitations, le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an après l’entrée en vigueur de la présente loi, un rapport présentant les solutions et propositions permettant de faire converger les règles de construction et de réhabilitation applicables aux immeubles destinés aux bureaux d’une part, et aux logements d’autre part.
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Les ambitions de transformation de locaux de bureaux en logements sont très souvent freinées par des contraintes techniques, qui nécessitent d’importants travaux de réaménagement et entravent parfois la rentabilité de l’opération.
La mutabilité des bâtiments visée au travers de cette proposition de loi doit donc s’accompagner d’une réflexion approfondie sur l’harmonisation des réglementations existantes entre les bureaux et les logements, afin de faciliter la mixité fonctionnelle et l’évolution d’usage.
Dans ce contexte, cet amendement d’appel a pour objet d’inciter le Gouvernement à s’engager plus avant dans cette démarche, sans laquelle les ambitions de transformer des locaux de bureaux en habitations risquent de rester vaines.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Plutôt que de remettre un rapport au Parlement, je préférerais que les administrations centrales travaillent à la simplification effective de ces normes, car le diagnostic est en réalité déjà connu. Ce chantier, largement réglementaire, doit être mené à bien de toute urgence ; c’est une condition sine qua non pour accélérer les choses en matière de recyclage urbain.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. J’aurai le même avis que Mme la rapporteure.
Je tiens néanmoins à vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs, quant à notre volonté de simplifier au maximum les règles de construction, afin d’accélérer la construction de logements et d’accroître l’offre de logements.
Lors de la dernière édition du Marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim), à Cannes, j’ai annoncé le lancement de cinq chantiers et de dix mesures de simplification, largement réglementaires.
J’ai signé cette semaine même des décrets d’application, et le conseil des ministres a validé un décret en Conseil d’État permettant de créer des certificats de projet qui donneront, par exemple, de la visibilité aux projets de construction de logements ; c’était très attendu par la profession, notamment par la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI), qui la réclamait de longue date.
Ainsi, nous sommes engagés, je le dis avec conviction, dans le chantier de la simplification administrative sur le sujet.
Le projet de loi dont nous discuterons dans quelques semaines permettra de traiter les questions de simplification législative, mais, pour ce qui concerne le champ réglementaire, je puis vous assurer que l’administration centrale est déjà sur le pont. Au reste, Christophe Béchu et moi-même allons annoncer en juin prochain d’autres mesures de simplification visant à aller le plus loin possible et à faciliter les offres de logement dans le pays. Je tenais à vous livrer ces informations, afin de vous rassurer.
Je vous indique par ailleurs que le dialogue entre nous est en effet plus simple que la remise d’un rapport. L’important est d’agir concrètement sur la loi et sur le règlement pour aller vite, plutôt que de rédiger des rapports.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Redon-Sarrazy, l’amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Christian Redon-Sarrazy. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 4 est retiré.
Article 5
(Non modifié)
Le dernier alinéa de l’article L. 2171-2 du code de la commande publique est ainsi modifié :
1° La deuxième occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;
2° Sont ajoutés les mots : « et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires » – (Adopté.)
Article 5 bis
À la première phrase du 2° de l’article L. 151-28 du code de l’urbanisme, après le mot : « habitation », sont insérés les mots : « ou la réalisation de résidences universitaires, définies à l’article L. 631-12 du même code ».
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 19, présenté par Mme Guhl, MM. Jadot, Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
, gérées par le réseau des œuvres universitaires et scolaires mentionné à l’article L. 822-1 du code de l’éducation ou régies par des établissements publics d’aménagement
La parole est à Mme Antoinette Guhl.
Mme Antoinette Guhl. Cet amendement vise à rétablir la rédaction issue de l’Assemblée nationale, qui réservait le bonus de constructibilité aux résidences universitaires gérées par le Crous.
La commission a élargi le bénéfice de ce bonus à l’ensemble des résidences universitaires, y compris à celles qui sont régies par des acteurs privés.
J’exposais précédemment les problématiques relatives au logement étudiant et la pénurie qui en découle, mais cette dernière concerne surtout le logement social étudiant. En conjuguant les niches fiscales existantes, notamment le dispositif dit Censi-Bouvard, avec ce bonus de constructibilité, on risque de se retrouver face à une abondance de logements étudiants, mais à des prix – 1 000 ou 1 200 euros par mois pour un studio – qui ne règlent en rien le problème de la précarité de cette population ! Bref, c’est une fausse bonne idée…
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 24 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 27 est présenté par MM. Buis, Buval, Fouassin, Patriat, Iacovelli et Lemoyne, Mme Schillinger, M. Théophile, Mme Havet, M. Omar Oili, Mme Phinera-Horth, M. Bitz, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Haye, Kulimoetoke, Lévrier et Mohamed Soilihi, Mme Nadille et MM. Patient, Rambaud et Rohfritsch.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par les mots :
, gérées par le réseau des œuvres universitaires et scolaires mentionné à l’article L. 822-1 du code de l’éducation
La parole est à M. le ministre délégué, pour défendre l’amendement n° 24.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Au travers de cet amendement, le Gouvernement propose de reprendre le texte issu de l’Assemblée nationale. Celui-ci permet d’accorder aux résidences universitaires des Crous qui ne sont pas conventionnées en logement social le même bonus de constructibilité que celui qui est accordé aux logements sociaux, notamment aux résidences universitaires sociales, y compris celles qui sont détenues ou gérées par des Crous.
Il s’agit ainsi de revenir à l’idée initiale et de ne pas élargir le bonus de constructibilité afférent aux opérations sociales à n’importe quelle opération de résidence universitaire, y compris des opérations de résidences universitaires privées, dont l’équilibre économique ne suppose pas les mêmes besoins en matière de constructibilité.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour présenter l’amendement n° 27.
M. Bernard Buis. M. le ministre l’a dit, il s’agit de revenir au texte issu de l’Assemblée nationale sur ce sujet.
Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Il faut partir de la réalité pour changer ce qui peut l’être.
Le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous), que nous avons interrogé lors de l’instruction de cette proposition de loi, fait état des « difficultés croissantes des étudiants d’accès au logement » – ce n’est d’ailleurs une surprise pour personne –, avec un nombre de plus en plus élevé de demandes de logements du Crous, une moindre rotation des locataires et une occupation du parc atteignant près de 95 %. Nos étudiants ont besoin de logements !
Dans ce contexte, on peut soit suivre une logique d’acteurs et considérer que les possibilités de surélever et de densifier doivent rester l’apanage des bailleurs sociaux et des Crous, en y ajoutant éventuellement, comme le proposent les auteurs de l’amendement n° 19, les établissements publics d’aménagement, soit être pragmatiques et partir des besoins, à savoir les logements étudiants, y compris ceux qui sont produits par des acteurs associatifs ou privés, lesquels participent aussi à l’effort de construction et de production de logements étudiants. Il n’y a pas que des étudiants pauvres ; les autres ont aussi besoin de se loger !
Vous indiquez qu’un élargissement trop important du bénéfice de ce bonus pourrait freiner la volonté politique des élus locaux de définir les secteurs où de telles majorations seraient possibles, en ne parvenant plus à contrôler les objets immobiliers bénéficiant de ces dérogations.
Or les résidences universitaires sont des objets bien identifiés, dont le statut et le régime sont précisément définis à l’article L. 631-12 du code de la construction et de l’habitation. Les risques de dérive sont donc, pour ainsi dire, inexistants.
D’ailleurs, dans tous les cas, ce bonus de constructibilité ne pourra s’appliquer que s’il est prévu dans le PLU. L’initiative en reviendra donc aux communes et aux intercommunalités.
Enfin, vous renvoyez la discussion à l’examen du projet de loi sur le logement abordable, mais, nous l’avons dit, celui-ci n’est pas un texte d’accélération de la production de logements dans notre pays.
J’émets donc un avis défavorable sur les trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 19 ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 24 et 27.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 5 bis.
(L’article 5 bis est adopté.)
Article 6
Après le premier alinéa du I de l’article 9 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Un copropriétaire peut modifier la destination de ses parties privatives à usage de bureau ou de commerce en habitation. Lorsque cette modification contrevient à la destination de l’immeuble, elle est soumise à l’approbation de l’assemblée générale statuant à la majorité prévue à l’article 24. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 7 est présenté par M. Redon-Sarrazy, Mme Blatrix Contat, MM. Montaugé, Cozic et Kanner, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Stanzione, Tissot et Raynal, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, Lurel et Fagnen, Mmes Linkenheld, Lubin et Monier, MM. Roiron, Ros, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 20 rectifié est présenté par Mme Guhl, MM. Jadot, Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le bénéfice de cette dérogation est conditionné à l’occupation des logements ainsi créés à titre de résidence principale pour une durée d’au moins trois ans à compter de la livraison des travaux permettant le changement de destination des locaux concernés. »
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour présenter l’amendement n° 7.
M. Christian Redon-Sarrazy. La rédaction de la présente proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale prévoyait, à peine de nullité de l’approbation de la décision de l’assemblée générale, d’imposer l’usage à titre de résidence principale des locaux transformés en habitations pendant trois ans.
Cette disposition a été supprimée en commission, au motif que sa rédaction était inopérante. Il est proposé de réintégrer cette obligation d’usage en tant que résidence principale à la suite d’un changement de destination, avec une nouvelle rédaction qui tient compte des observations émises en commission.
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour présenter l’amendement n° 20 rectifié.
Mme Antoinette Guhl. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Martine Berthet, rapporteure. Ces amendements visent à subordonner la transformation de bureaux en logements dans les copropriétés à une servitude de résidence principale de trois ans.
La servitude de résidence principale sous peine de nullité a été supprimée par la commission, qui l’a jugée très difficilement applicable : elle impliquerait en effet, si la nouvelle destination n’était pas respectée, de revenir à l’état initial, ce qui serait coûteux, alors même que la transformation aurait elle-même déjà été onéreuse et complexe.
Plus généralement, je crois qu’il n’y a pas de raison d’imposer cette servitude de résidence principale pendant trois ans dans les seules copropriétés. La régulation des meublés de tourisme relève d’autres outils, comme l’autorisation de changement d’usage dans toutes les zones où les mairies l’auront mise en œuvre, en l’accompagnant éventuellement d’obligations de compensation ou de quotas.
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 et 20 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 22, présenté par M. Buis, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa du I de l’article 9 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Un copropriétaire peut modifier la destination de ses parties privatives à usage d’habitation en bureau ou en commerce. Par dérogation au premier alinéa du présent I, lorsque cette modification contrevient à la destination de l’immeuble, elle est soumise à l’approbation de l’assemblée générale statuant à la majorité prévue à l’article 24.
« À peine de nullité de l’approbation de l’assemblée générale, le bénéfice de cette dérogation est conditionné à l’occupation des bureaux ou des commerces ainsi créés pour une durée d’au moins trois ans à compter de la livraison des travaux permettant le changement de destination des locaux concernés. »
La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Il s’agit ici de respecter une sorte de parallélisme des formes, en facilitant la transformation des logements en bureaux. Cela peut paraître paradoxal au vu de l’objet de ce texte, mais c’est parfois un besoin, certaines communes rurales manquant de bureaux.
M. le président. L’amendement n° 23, présenté par M. Buis, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa du I de l’article 9 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Un copropriétaire peut modifier la destination de ses parties privatives à usage d’habitation en bureau ou en commerce. Par dérogation au premier alinéa du présent I, lorsque cette modification contrevient à la destination de l’immeuble, elle est soumise à l’approbation de l’assemblée générale statuant à la majorité prévue à l’article 24. »
La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Il s’agit d’un amendement de repli par rapport au précédent.
Cependant, ces deux amendements en discussion commune ne visent pas vraiment la même cible que le reste de la proposition de loi… Aussi, je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 22 et 23 sont retirés.
L’amendement n° 21, présenté par M. Buis, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa du I de l’article 9 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Un copropriétaire peut modifier la destination de ses parties privatives à usage d’habitation en bureau ou local professionnel. Par dérogation au premier alinéa du présent I, lorsque cette modification contrevient à la destination de l’immeuble, elle est soumise à l’approbation de l’assemblée générale statuant à la majorité prévue à l’article 24.
« À peine de nullité de l’approbation de l’assemblée générale, le bénéfice de cette dérogation est conditionné à l’occupation des bureaux ou des locaux professionnels ainsi créés pour une durée d’au moins trois ans à compter de la livraison des travaux permettant le changement de destination des locaux concernés. »
La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Je le retire également, pour les mêmes raisons, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 21 est retiré.
Article 7
(Non modifié)
La loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 précitée est ainsi modifiée :
1° Le II de l’article 24 est complété par un l ainsi rédigé :
« l) La modification de la répartition des charges mentionnées au premier alinéa de l’article 10 rendue nécessaire par un changement de la destination d’une ou de plusieurs parties privatives dans les cas prévus au deuxième alinéa du I de l’article 9. » ;
2° Le e de l’article 25 est complété par les mots : « , à l’exception du changement de la destination d’une ou de plusieurs parties privatives mentionné au l du II de l’article 24 » – (Adopté.)
6
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault.
M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, lors des scrutins nos 195 et 196, les membres du groupe Les Indépendants ont été considérés comme ayant voté pour, alors qu’ils souhaitaient voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue.
Elle figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.
7
Transformation des bureaux en logements
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements.
Nous en avons terminé avec l’examen des articles.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote.
M. Christian Redon-Sarrazy. Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale hier soir, nous allons voter pour cette proposition de loi, mais nous le ferons avec le sentiment que nous ne sommes pas à la hauteur des réponses que le sujet du logement mérite.
Certes, vous avez rappelé, monsieur le ministre, les mesures prises depuis 2017 en ce domaine. Mais que pèsent-elles face à la chute des mises en chantier et aux saignées subies par le logement social ? Vous affirmez être mobilisé pour le logement social, mais, en même temps, vous nous avez demandé de rejeter un amendement qui ne visait qu’à rappeler ce qui figure déjà dans la loi, à savoir les fameux 30 %, ce qui aurait pu contribuer à améliorer la situation dans les communes carencées.
Le texte que nous allons voter ouvre bien quelques perspectives, mais, nous le savons, elles seront insuffisantes. Au demeurant, nous demandons à voir si elles se concrétiseront.
L’éligibilité élargie aux bâtiments qui ne sont pas uniquement au départ des habitations est à saluer, mais, nous l’avons rappelé, il faudra davantage que des mesures d’accompagnement, en particulier pour les collectivités qui auront la maîtrise d’ouvrage de ces chantiers.
En ce qui concerne l’ingénierie, nous espérons, comme nous l’avons voté, que l’ANCT sera à leur côté, mais vous connaissez comme nous la situation budgétaire de nos collectivités en 2024 et ce qu’elles entrevoient pour 2025.
Quoi que l’on puisse dire, les aménagements attendus ou nécessaires pour des logements ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qui sont exigés pour des bureaux ou des locaux commerciaux. Réseaux, transports, écoles, petite enfance, services : dans bien des cas, il y aura de nombreux besoins nouveaux. Et ce n’est pas la taxe d’habitation, supprimée par votre majorité, qui viendra couvrir ces besoins, non plus que la taxe d’aménagement, puisque vous venez de confirmer son exonération partielle, alors que ses recettes auraient été les bienvenues pour les départements.
Nous poursuivrons au mois de juin prochain nos travaux sur le logement avec l’examen du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables. Sachez d’ores et déjà que nous resterons vigilants et fidèles à nos engagements.
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour explication de vote.
Mme Antoinette Guhl. Le groupe écologiste votera ce texte, même si nous considérons qu’il est insuffisant. Vous l’avez compris, nous voulions subordonner l’autorisation de transformation des bureaux à la réalisation d’une partie de logements sociaux, ou en tout cas à l’accueil de publics prioritaires. Tel ne sera pas le cas.
Ce texte ne répond pas non plus, comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, aux besoins du monde étudiant.
Pour ces raisons, nous sommes effectivement déçus du résultat, même si nous considérons que cette faculté de transformation de bureaux en logements est positive, en particulier bien sûr pour les grandes villes, qui pourront utilement recourir à ce dispositif. Nous allons dans la bonne direction, mais à petits pas.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Pour le groupe Les Républicains, il n’y a pas d’hésitation : nous allons évidemment voter cette proposition de loi. Tout ce qui va dans le sens de la relance du logement est bon à prendre en ce moment.
Monsieur le ministre, nous vous donnons rendez-vous pour les prochaines étapes.
Je veux saluer le travail des deux rapporteurs et les remercier de leur investissement, et cela dans des délais très courts. Je ne parlerai ni de puzzle ni de marguerite (Sourires.), monsieur le ministre, mais, j’y insiste, nous avons besoin de travailler avec vous sur une vision plus globale pour le logement. Il faut notamment nous pencher sur les entrées de ville, sur ce que vous appelez « la France moche ». Je pense qu’il y a là un potentiel au moins équivalent à celui de la transformation des bureaux. C’est pour nous un enjeu prioritaire.
Nous voterons donc cette proposition de loi des deux mains.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Après avoir voté hier soir, tard, la proposition de loi sur la régulation des meublés de tourisme, nous nous apprêtons à voter cette proposition de loi sur la transformation des bureaux en logements. Mais les bureaux ne sont pas les seuls concernés ; à cet égard, je salue l’initiative prise par Mme la rapporteure pour élargir le champ d’application de cette proposition de loi aux bâtiments d’enseignement, aux garages et aux hôtels, car c’était absolument nécessaire.
Ce texte permettra la création de quelques dizaines de milliers de logements. On peut s’interroger sur les délais, dans la mesure où ces transformations seront relativement longues, même si des amendements adoptés sur l’initiative de Mme la rapporteure ont pour objet d’accélérer les procédures, tout en faisant en sorte que les maires ne soient pas dépossédés de leurs prérogatives. Nous avons été extrêmement vigilants sur ce dernier point.
À mon tour, je remercie Mme la rapporteure de la commission des affaires économiques du travail qu’elle a réalisé avec les équipes du Sénat, en complémentarité et en lien très étroit avec le rapporteur de la commission des finances, Stéphane Sautarel, qui a lui aussi apporté sa contribution et sa touche personnelle.
En effet, comme hier, nous avons eu besoin d’aborder des questions de fiscalité. Même si ce n’est pas habituel en dehors des textes budgétaires, c’était nécessaire, car, nous le savons, la fiscalité risquait de freiner ces opérations de transformation de bureaux en logements. Aussi, je remercie Stéphane Sautarel d’avoir travaillé sur une fiscalité plus incitative, afin de mieux prendre en compte l’équilibre financier de ces opérations, qui sont encore assez onéreuses, afin d’arriver à un prix de vente compris entre 5 000 et 6 000 euros du mètre carré.
Comme l’a rappelé Sophie Primas, nous nous retrouverons dans quelques semaines, monsieur le ministre, pour débattre non pas d’une grande loi sur le logement, mais d’une loi sur le logement abordable.
Soyez assuré que le Sénat, en particulier sa commission des affaires économiques, par l’intermédiaire des deux rapporteurs qu’elle a désignés, Sophie Primas et Amel Gacquerre, prendra toute sa part pour enrichir le texte initial ; nous serons en mesure d’apporter davantage de réponses aux attentes qui sont exprimées par nos concitoyens en matière de logement abordable, mais également de logement tout court. En effet, je le rappelle, nous avons besoin non seulement d’un choc de l’offre, mais également d’une relance de la demande.
En tout cas, monsieur le ministre, nous serons au rendez-vous !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : proposition de loi visant à faciliter la transformation des bâtiments de destination autre qu’habitation en habitations.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce vote large sur ce bel outil, qui va permettre d’accélérer la conversion de bâtiments en logements.
Je veux surtout saluer le travail des rapporteurs, qui ont véritablement enrichi le texte : d’une part, en élargissant le dispositif à d’autres bâtiments que les bureaux, ce qui va nous permettre de disposer d’encore plus de bâtiments et de surfaces déjà artificialisées pour créer des logements, tout en respectant nos objectifs de sobriété foncière ; d’autre part, en faisant preuve de modération sur la question fiscale. Vous avez ainsi été sensibles aux enjeux économiques pour les promoteurs qui s’engagent dans des opérations de transformation de bureaux en logements.
Je me réjouis de tous les apports du Sénat et je ne doute pas que nous réussirons à convoquer rapidement une commission mixte paritaire sur ce texte.
J’ai par ailleurs la certitude que le même esprit de coconstruction prévaudra lors de l’examen, dans quelques semaines, du projet de loi sur le développement de l’offre de logements abordables.
En tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore de ce vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Accord avec l’Allemagne sur l’apprentissage transfrontalier
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier (projet n° 426, texte de la commission n° 600, rapport n° 599).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’être aujourd’hui devant vous pour présenter le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif à l’apprentissage transfrontalier, signé le 21 juillet 2023 en Alsace, à Lauterbourg, par les ministres française et allemande des affaires étrangères.
La coopération transfrontalière nous est, à toutes et tous ici, particulièrement chère. Nombreux sont nos concitoyens à vivre à proximité d’une frontière, voire à travailler de l’autre côté de celle-ci. Ils éprouvent au quotidien tant les avantages que les complexités administratives induites par cette proximité.
Notre rôle est de continuer à faire de la frontière franco-allemande un espace dynamique d’échanges mutuels, qui soit non pas un obstacle, mais toujours une passerelle entre nos deux pays.
Cette ambition est tout d’abord la marque d’une relation bilatérale forte, celle que nous entretenons avec l’Allemagne et que mettra encore à l’honneur la visite d’État du Président de la République outre-Rhin à la fin de cette semaine. Elle est ensuite la preuve d’une Europe au service de ses habitants, qui continue, près de vingt ans après la création de l’espace Schengen, à faciliter la mobilité des Européens. Elle est, enfin, le signe tangible que l’engagement du Parlement en faveur de nos territoires portera ses fruits.
Tout d’abord, cette ambition est la marque d’une relation bilatérale forte : en concluant le traité d’Aix-la-Chapelle, en 2019, nous avons acté la volonté d’avancer conjointement avec l’Allemagne face aux défis qui sont les nôtres, sur le continent et dans le monde.
Dans ce traité, nous avions affirmé notre souhait de soutenir la formation et l’enseignement professionnels. Nous avions également instauré, pour endosser des missions de cette nature, le Comité de coopération transfrontalière, le CCT. En réunissant l’ensemble des acteurs du transfrontalier en une même organisation, ce comité a relayé remarquablement le souhait des acteurs, notamment locaux, de conclure cet accord sur l’apprentissage.
Ensuite, cette ambition est la preuve d’une Europe au service de ses habitants : dans son discours de la Sorbonne du 25 avril dernier, le Président de la République a appelé de ses vœux la mise en œuvre d’un Erasmus de l’apprentissage et de la formation professionnelle.
Au moins 15 % des apprentis doivent, d’ici à 2030, bénéficier d’une mobilité européenne. L’accord qui vous est soumis aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, s’inscrit pleinement dans cet objectif. Je vous demande donc, au nom du Gouvernement, de l’approuver pour envoyer un message clair : c’est dans l’Europe que notre jeunesse se renforce et se perfectionne. C’est l’un des jalons qui nous permettra de construire la souveraineté pour l’avenir de notre Europe.
Enfin, cette ambition est le signe d’un engagement du Parlement en faveur de nos territoires : le Sénat a eu l’occasion de se prononcer pour la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification, voilà deux ans, dite loi 3DS. C’est précisément cette loi qui a prévu qu’une convention internationale puisse préciser les modalités de mise en œuvre de l’apprentissage transfrontalier, afin de donner les moyens aux collectivités, notamment aux régions, de poursuivre et développer les dispositifs d’apprentissage transfrontalier.
Avec ce nouvel accord, nous permettrons aux apprentis issus de l’ensemble du territoire métropolitain de réaliser une partie de leur formation, pratique ou théorique, dans l’un des trois Länder frontaliers, à savoir le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat ou la Sarre. Il en ira de même, réciproquement, pour les apprentis issus de ces Länder. Toutes les certifications qui sont éligibles à l’apprentissage en France le seront également à l’apprentissage transfrontalier ; tous les diplômes professionnels allemands pouvant être obtenus par apprentissage seront concernés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cet accord est une démonstration de l’Europe en action. Il montre que les engagements pris au plus haut niveau de l’État peuvent se traduire par des actions concrètes, qui touchent directement la vie des citoyens. En approuvant ce projet de loi, vous ne soutenez pas seulement un accord bilatéral ; vous affirmez votre confiance dans une Europe qui éduque, qui intègre et qui construit l’avenir de sa jeunesse.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous pouvons nous féliciter d’être parvenus à signer l’accord de Lauterbourg, qui répond à un besoin sincère exprimé par les acteurs locaux de part et d’autre de la frontière. Alors que l’Allemagne s’apprête également à le ratifier, je vous invite à le soutenir et, ainsi, à ajouter une pierre supplémentaire au bel édifice qu’est l’amitié franco-allemande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Akli Mellouli, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier.
Cet accord est le premier à s’inscrire dans le cadre légal posé par la loi 3DS, qui a introduit de nouvelles dispositions dans le code du travail relatives au développement de l’apprentissage transfrontalier.
Que cet accord ait été conclu avec l’Allemagne n’est pas dû au hasard : la politique de coopération entre la France et ce pays est l’une des plus abouties au sein de l’Union européenne. Elle s’est construite progressivement, du traité de l’Élysée de 1963 au traité d’Aix-la-Chapelle de janvier 2019.
La région Grand Est a mis en place un dispositif d’apprentissage transfrontalier avec certains territoires frontaliers allemands dès 2010. Tout d’abord mis en œuvre sur la base d’une expérimentation, le dispositif a été formalisé par deux accords-cadres : l’accord-cadre relatif à l’apprentissage transfrontalier dans le Rhin supérieur du 12 septembre 2013, puis celui pour la coopération transfrontalière en formation professionnelle et continue Sarre-Lorraine du 20 juin 2014.
Cependant, la loi du 5 septembre 2018 sur la réforme de la formation professionnelle a retiré aux régions françaises la compétence d’organisation et de financement principal des formations par apprentissage à compter du 1er janvier 2020. Les accords-cadres ont donc pris fin, même si une solution transitoire a été trouvée pour ne pas rompre cette expérience, qui a bénéficié à près de 500 jeunes, essentiellement français.
Les élus locaux se sont mobilisés pour qu’une solution pérenne soit trouvée et pour que les apprentissages transfrontaliers puissent continuer à se développer.
Le Comité franco-allemand de coopération transfrontalière, institué par le traité d’Aix-la-Chapelle de 2019, a relayé dans un avis du 31 mai 2021 cette volonté politique des deux bords du Rhin.
C’est par le vecteur de la loi 3DS que de nouvelles dispositions relatives au développement de l’apprentissage transfrontalier ont été introduites dans le code du travail.
Il faut saluer le rôle de Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l’insertion lors de l’examen du projet de loi et ancienne présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, et celui de M. Sylvain Waserman, député. Tous deux sont à l’origine de l’introduction de ces dispositions dans cette loi, qui prévoit la conclusion d’une convention entre la France et le pays frontalier dans lequel est réalisée la partie pratique ou la partie théorique de la formation par apprentissage.
Tel est l’objet du présent accord, qui s’inspire largement des précédents accords-cadres de 2013 et 2014, lesquels donnaient satisfaction aux deux parties.
Les principales différences concernent l’aire géographique, puisque, dorénavant, en application du principe d’égalité, tout le territoire métropolitain est concerné par le dispositif. En revanche, côté allemand, seuls les Länder frontaliers – Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Sarre –, sont concernés, même si une clause d’extension à d’autres Länder est prévue.
Le financement sera assuré conformément aux dispositions en vigueur dans chaque pays.
L’accord ne prévoit pas de mécanisme de compensation, car il ne modifie pas les équilibres relatifs au financement de l’apprentissage, notamment en raison des volumes estimés. Toutefois, trois ans après l’entrée en vigueur de l’accord, une nouvelle négociation des règles de financement pourra être engagée.
En France, c’est l’opérateur de compétences des entreprises de proximité, Opco EP, désigné pour gérer l’ensemble des contrats d’apprentissage transfrontalier, qui sera l’organisme de financement. Un comité de suivi associant les représentants des Länder concernés et les organismes régionaux et consultatifs se réunira annuellement et pourra émettre de propositions d’amélioration, si nécessaire.
Globalement, le présent accord est plus favorable à l’apprentissage transfrontalier. Plusieurs facteurs devraient conduire à un nombre de bénéficiaires plus élevé que par le passé.
Tout d’abord, il sécurise juridiquement le dispositif. Ensuite, la réforme de 2018 a permis la progression du nombre d’apprentis et a porté l’âge d’entrée limite à 29 ans révolus. Enfin, la loi 3DS a étendu à toute la métropole le champ d’application de l’apprentissage transfrontalier avec les localités allemandes concernées.
Selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas), près de 300 contrats d’apprentissage transfrontalier pourraient, à terme, être conclus chaque année sur les deux rives du Rhin. Et si cet accord est le premier dans ce domaine, d’autres devraient suivre, en particulier avec la Belgique, le Luxembourg, la Suisse ou encore l’Italie.
Lors de la présentation de mon rapport en commission, la semaine dernière, certains de mes collègues élus de territoires transfrontaliers se sont exprimés sur l’utilité de développer de telles coopérations pour le bien de notre jeunesse et de leur employabilité.
Le Sénat de la République française est la première chambre saisie de cet accord. L’Assemblée nationale et le Bundestag devraient se prononcer avant l’automne prochain. Le dispositif entrera donc rapidement en vigueur. Il est conclu pour une période de trois ans, renouvelable par tacite reconduction pour trois ans supplémentaires.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées préconise l’approbation de cet accord, dont l’objet est de donner une base juridique légale à l’apprentissage transfrontalier franco-allemand. Celui-ci a déjà fait ses preuves et il s’en trouvera conforté.
De plus, cet accord répond aux enjeux de la formation professionnelle, ainsi que de l’insertion des jeunes, et participe à la construction de l’espace européen de l’éducation. Je vous invite donc à voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Laure Darcos applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France et l’Allemagne sont unies par une histoire riche et complexe. Aujourd’hui, nos deux pays partagent une relation d’amitié privilégiée, qui s’incarne au quotidien dans les territoires transfrontaliers.
La proximité géographique invite à la coopération. Les partenariats noués au fil du temps, dans les domaines économique, culturel ou encore social, renforcent aussi, jour après jour, les liens qui nous unissent.
Les zones de frontière sont des espaces très spécifiques où se mêlent les cultures et les approches de pays différents. Ce sont des territoires d’échanges très riches de biens, de services et de main-d’œuvre. Cela pose évidemment des questions d’ordre juridique et administratif : c’est le défi de l’harmonisation des réglementations. Nous devons y apporter des réponses concrètes pour fluidifier et faciliter ces coopérations.
Nous examinons à ce titre le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier.
L’apprentissage est un formidable outil de formation pour favoriser l’employabilité des jeunes. L’immersion leur permet d’intégrer les savoirs, mais aussi les savoir-être et les savoir-faire qui sont nécessaires à l’épanouissement en milieu professionnel. C’est un moyen de faciliter l’insertion dans le marché de l’emploi de nos apprentis franco-allemands, qui bénéficient ainsi d’une première expérience de travail très riche.
En encourageant le développement des apprentissages entre nos deux pays, nous soutenons une passerelle supplémentaire vers la mobilité internationale au cours du parcours étudiant.
Le cadre juridique de cette coopération permettra aux Français et aux Allemands vivant de part et d’autre de la frontière de continuer à bâtir des relations durables. Je pense notamment aux établissements de formation, ainsi qu’aux entreprises, allemandes ou françaises, qui innovent ensemble, dégagent de la valeur ajoutée et créent des emplois ; elles sont les instruments de notre souveraineté industrielle européenne.
En facilitant l’apprentissage transfrontalier, toutes les parties prenantes sont dans une perspective « gagnant-gagnant ». La conclusion de cet accord, cela a été rappelé, s’inscrit au cœur des objectifs de la politique européenne en matière de formation. Nous pouvons nous féliciter de le soutenir, tant il représente une étape attendue par nos deux pays, tout particulièrement par notre jeunesse.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en faveur de ce texte, tout en saluant le travail de son rapporteur.
Les relations transfrontalières contribuent à l’édification d’un modèle de partenariat fructueux, mais elles participent aussi de la puissance de notre espace économique européen. Elles accroissent aussi le sentiment d’appartenance à une communauté européenne unie, un sentiment particulièrement important dans le contexte actuel.
Nous espérons que cet accord aidera à renforcer, dans les années à venir, nos liens d’amitié avec l’Allemagne, si nécessaires dans le contexte géopolitique que nous connaissons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de son discours de la Sorbonne, le 25 avril dernier, le président Emmanuel Macron a rappelé que l’excellence européenne résidait dans ses savoir-faire. À cette occasion, il a également précisé qu’il fallait décupler l’Erasmus de l’apprentissage et de la formation professionnelle, en fixant comme objectif l’engagement d’au moins 15 % des apprentis dans une mobilité européenne d’ici à 2030.
La conclusion de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier s’inscrit dans le cadre de la politique de développement de l’apprentissage en France, mais également dans celui de la politique de coopération avec l’Allemagne ; enfin, elle s’insère dans les objectifs de la politique européenne en matière d’éducation et de formation.
Il s’agit du premier accord conclu dans le nouveau cadre légal posé par l’article 186 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.
Cet article offre aux apprentis la possibilité d’effectuer une partie de leur formation, pratique ou théorique, dans un pays frontalier de la France. Il dispose également que, pour chaque pays frontalier, la mise en place effective de l’apprentissage transfrontalier est conditionnée à la conclusion d’un accord bilatéral qui en définit les modalités de mise en œuvre.
L’accord que nous examinons aujourd’hui est donc la traduction concrète des dispositions relatives à l’apprentissage de cette loi.
Les anciennes régions réunies aujourd’hui dans le Grand Est, en particulier l’Alsace, avaient développé un dispositif d’apprentissage transfrontalier en lien avec certains territoires frontaliers allemands, sur la base de conventions régionales : l’accord-cadre relatif à l’apprentissage transfrontalier dans le Rhin supérieur du 12 septembre 2013 et l’accord-cadre entre la Sarre et la Lorraine pour la coopération transfrontalière en formation professionnelle initiale et continue du 20 juin 2014.
Toutefois, ce dispositif a été fragilisé par l’évolution des compétences régionales en matière d’apprentissage découlant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. En effet, cette réforme a provoqué la perte de la compétence de financement des formations par apprentissage par les régions françaises.
Cet accord est donc une étape attendue pour la relance de l’apprentissage transfrontalier dans la région frontalière franco-allemande. Il concrétise une volonté politique exprimée conjointement par les régions concernées de l’Allemagne et de la France.
Il a pour objectif d’ouvrir aux apprentis une possibilité de formation professionnelle transfrontalière par apprentissage entre la France et l’Allemagne, afin de leur permettre de développer leurs compétences, notamment linguistiques, et leur employabilité sur un marché du travail élargi.
L’entrée en vigueur de l’accord ouvrira une voie de formation professionnelle à forte valeur ajoutée, au bénéfice de la jeunesse.
Dans une enquête réalisée par la région Grand Est auprès d’apprentis ayant bénéficié du dispositif avant 2018, il est constaté que les apprentis transfrontaliers accèdent rapidement à un premier emploi : un sur deux était employé dès la fin du contrat d’apprentissage ; deux sur trois l’étaient dans le mois qui suivait et près de 80 % dans les trois mois. Quelque 80 % de ces apprentis ont obtenu un CDI.
Pourtant, le nombre d’apprentis en mobilité est extrêmement faible, comme le notait l’Igas dans un rapport de décembre 2022. Sur la période 2018-2019, elle estime le taux de mobilité de ces jeunes à seulement 2 %, alors que le nombre total d’apprentis a connu une hausse spectaculaire à la suite de la réforme de l’apprentissage.
À cette occasion, l’Igas avait identifié plusieurs freins à cette mobilité : une trop grande diversité des modèles éducatifs européens, un statut juridique inadapté aux mobilités longues, ou encore la difficulté de reconnaître les compétences acquises à l’occasion de ces périodes de mobilité.
L’accord franco-allemand relatif à l’apprentissage transfrontalier constitue donc une très grande avancée dans ce domaine.
Le groupe Union Centriste, vous l’aurez compris, soutiendra cette démarche, en formulant le vœu que de nouveaux accords bilatéraux viennent compléter ce premier pas, afin d’atteindre l’objectif de 15 % d’apprentis en mobilité européenne d’ici à 2030. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – Mme Sabine Drexler et M. Ludovic Haye applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la coopération franco-allemande, scellée notamment dans le cadre du traité de l’Élysée en 1963, et, plus récemment, de celui d’Aix-la-Chapelle, est au cœur de la construction européenne.
Après la Seconde Guerre mondiale, la France et la République fédérale d’Allemagne ont signé divers accords pour renforcer les liens qui unissent nos deux États, en particulier chez les plus jeunes, afin de leur inculquer des valeurs de fraternité et d’enrichir nos cultures mutuelles.
Coopération transfrontalière, partenariats scientifiques, travail en commun sur le climat et la politique étrangère : nos domaines de coopération avec nos voisins d’outre-Rhin sont nombreux.
Pourtant, trente-sept ans après la création du programme Erasmus, un domaine d’échange demeure peu développé : celui de l’apprentissage. Développée de longue date en Allemagne, cette pratique associant enseignement théorique et expérience concrète en entreprise est longtemps restée embryonnaire en France. Ce retard est regrettable, car cette forme d’études supérieures permet souvent une très bonne insertion professionnelle et correspond aux souhaits de nombreux jeunes.
En 2018, une réforme de l’apprentissage a permis de démocratiser, enfin, cette pratique en France. Malheureusement, elle a eu pour effet pervers de fragiliser juridiquement la coopération qui existait dans ce domaine entre la région Grand Est et l’Allemagne.
Avec ce projet de loi, le gouvernement vient remédier utilement à cette difficulté. Mieux, l’accord ainsi ratifié permettra à tous les apprentis en centre de formation d’apprentis (CFA) de travailler dans une entreprise allemande implantée dans une région frontalière de la France, et vice-versa. Ce texte offrira donc à ces jeunes des opportunités professionnelles et des occasions décuplées de découvrir la culture et la langue allemandes. Il s’agit donc d’une avancée positive, que nous saluons et pour laquelle nous voterons.
Au-delà de l’Allemagne, la coopération en matière d’apprentissage a également vocation à se développer avec nos autres voisins. La Suisse, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie et l’Espagne se sont déjà montrés intéressés.
Néanmoins, ce futur élargissement des échanges d’apprentis implique une vraie évaluation de ce mécanisme, qui est malheureusement absente de ce texte. Il aurait été souhaitable de pouvoir identifier les points faibles et les points forts de ce dispositif, qu’il s’agisse du type de formations concernées, des aspects financiers et logistiques d’une formation reçue dans deux pays à la fois, ou encore des questions de logement pour les étudiants. Ce travail d’évaluation est impératif pour bâtir un espace européen de l’apprentissage.
Par ailleurs, si nous sommes nombreux dans cet hémicycle à vouloir renforcer les liens universitaires avec les autres pays européens, je regrette qu’il n’en soit pas de même pour la coopération avec les pays hors de l’Union européenne. Je pense ici à l’explosion des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires depuis quelques années, ou encore aux multiples obstacles créés pour ces jeunes par la récente loi Immigration.
Enfin, ce développement de l’apprentissage pose une question fondamentale, qui n’est pourtant pas abordée dans ce texte : celle de la langue.
L’apprentissage de l’allemand est en chute libre en France depuis une vingtaine d’années. En 2022, seuls 14 % des élèves choisissaient l’allemand en première ou seconde langue, contre 23 % à la fin des années 1990. Près de la moitié des postes de professeurs d’allemand sont vacants et leur nombre a pratiquement été divisé par deux en quinze ans.
Nous sommes entrés dans un cercle vicieux : de moins en moins d’élèves choisissent cette langue étrangère et les enseignants doivent donner des cours dans des établissements toujours plus éloignés. Si nous voulons faire vivre le couple franco-allemand, il est urgent de nous pencher sur ce sujet.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Guillaume Gontard. En conclusion, les écologistes soutiendront ce renforcement de la coopération avec l’Allemagne et, bientôt, nos autres voisins. Cependant, sa réussite passera nécessairement par un sursaut des moyens accordés à notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet accord fait suite à la loi visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l’apprentissage » ; notre assemblée avait adopté la proposition de loi qui en a été à l’origine, mais le groupe CRCE-K s’était alors abstenu.
Nous nous étions montrés assez circonspects, parce que ce texte s’apparentait, selon nous, plutôt à un mécanisme complexe ayant pour seul but d’assouplir, une fois de plus, les règles appliquées aux entreprises qu’à une réelle levée de freins à la mobilité des apprentis.
En outre, ne prévoir aucune solution pour améliorer les conditions d’études et de rémunération des apprentis, alors même que l’on sait la forte prévalence de personnes d’origine sociale populaire parmi ces derniers, nous avait paru constituer une erreur.
Aujourd’hui, nous sommes amenés à débattre d’un accord liant notre pays à la République fédérale d’Allemagne et visant à ouvrir aux apprentis une possibilité de formation professionnelle transfrontalière par apprentissage.
Selon l’étude d’impact de ce texte, le nombre d’entrées en contrat d’apprentissage transfrontalier franco-allemand s’élèverait à environ 300. Il me semble cependant important de souligner ici la politique globale dans laquelle cet accord s’inscrit : celle du démantèlement de l’enseignement professionnel public.
Ce démantèlement est impulsé par des réformes qui subordonnent les enseignements généraux aux stricts besoins professionnels et soumettent de ce fait le lycée professionnel aux besoins immédiats du patronat. J’en citerai pour preuve la réforme Attal, qui n’a fait que calquer la filière professionnelle sur le modèle des CFA, organismes qui sont bien, rappelons-le, au service des entreprises.
Cette réforme a également permis d’instrumentaliser l’orientation de jeunes de 15 ans vers les métiers les plus pénibles et les moins valorisés de ce pays, en les rémunérant 2,80 euros de l’heure.
Cette politique n’a pas seulement un coût pour l’avenir de nos jeunes ; elle implique également une dépense considérable pour les finances publiques. Dans un contexte où le Gouvernement ne cesse d’évoquer la fin de l’argent magique et la nécessité de réduire les dépenses publiques, je souhaite souligner que l’Observatoire français des conjonctures économiques évalue la dépense publique pour l’apprentissage à 15,7 milliards d’euros en 2021. Mais à qui profite cette dépense publique ?
L’engouement pour l’apprentissage est manifeste, mais cette politique du tout-apprentissage n’est pas gage de réussite. En effet, du côté des apprentis, près de 25 % d’entre eux ne terminent pas leur formation. En février 2021, le système d’information du Gouvernement InserJeunes faisait état de 30 % de contrats interrompus avant terme pour les CAP (certificat d’aptitude professionnelle) et de 27 % pour les bacs professionnels. De plus, après une telle rupture de contrat, les trois quarts de ces jeunes abandonnent leur formation.
Néanmoins, le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres. Selon un rapport de France Compétences, les centres de formation d’apprentis ont dégagé un bénéfice net de 702 millions d’euros en 2021, contre 426 millions d’euros en 2020, soit une hausse de 64 % sur un an. L’apprentissage est donc une véritable aubaine pour les CFA et une activité rentable.
Naturellement, nous sommes plus que favorables à la mobilité de nos jeunes, en Europe, mais aussi ailleurs. Seulement, le plus urgent à nos yeux aujourd’hui, c’est le renforcement des enseignements dans la voie professionnelle et la fin du démantèlement de cette filière.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de plaisir que je monte aujourd’hui à cette tribune pour soutenir cet accord, qui ranime une coopération instaurée voilà quelques années entre la région Grand Est et les Länder frontaliers, lorsque l’apprentissage était encore géré par les régions.
M. André Reichardt. Le Grand Est n’existait pas !
Mme Véronique Guillotin. Cet accord est aussi la conséquence du traité signé le 22 janvier 2019 sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, ainsi que de la loi 3DS, qui a ouvert la voie, en 2022, à la formation par apprentissage dans les pays frontaliers de la France.
Il s’agit d’une véritable plus-value pour le secteur éducatif français, pour nos jeunes frontaliers et pour leur accès à l’emploi, comme Claude Kern l’a souligné il y a quelques instants. Nous espérons qu’il sera rapidement suivi d’accords similaires avec nos autres voisins.
Je pense notamment aux territoires proches de la Belgique et du Luxembourg, que je connais plus particulièrement, où l’apprentissage transfrontalier demeure malheureusement anecdotique : il n’en existe pas, ou très peu, en Belgique, et il est limité à certains métiers au Luxembourg, où l’apprentissage post-bac pose particulièrement problème, alors que c’est là que se situe la demande.
Par ailleurs, comme pour les flux de travailleurs frontaliers, les déplacements se font aujourd’hui essentiellement de la France vers les pays limitrophes, alors que nous avons, nous aussi, de grands atouts pour nos voisins. Je pense notamment, dans mon département de Meurthe-et-Moselle, au site Renault de Batilly, où se fait l’assemblage du Master E-Tech, ou encore à Le Bras Frères, entreprise d’exception connue de tous, ici, qui travaille à la reconstruction de Notre-Dame.
Nous avons beaucoup à offrir aux apprentis des autres pays et nous avons tout à y gagner, tant pour la valorisation de nos entreprises et de nos savoir-faire que pour la mise en place d’une situation plus équilibrée dans les flux frontaliers.
L’apprentissage transfrontalier donne une garantie d’équivalence indispensable pour reconnaître les diplômes et expériences reçus dans d’autres pays.
Aujourd’hui, outre le manque de reconnaissance de ces périodes de formation effectuées à l’étranger, il existe de nombreux obstacles à la mobilité des apprentis que cet accord pourrait lever : l’absence de statut reconnu, qui pose des problèmes de nature légale et administrative, notamment pour la sécurité sociale et l’assurance ; le manque d’information et de réseaux professionnels ; enfin, le manque de coopération globale, notamment sur l’apprentissage des langues étrangères en formation professionnelle initiale.
J’en viens à un point important, mais absent de ce texte, que M. Gontard a également évoqué : cet accord ne produira pas les effets attendus sans une politique volontariste pour développer l’apprentissage de la langue allemande. De moins en moins de jeunes apprennent l’allemand, de moins en moins de jeunes partent en Allemagne, et nous avons de plus en plus de mal à recruter des professeurs d’allemand.
Le problème affecte aussi le Luxembourg, car la langue des lycées techniques luxembourgeois est l’allemand, ce qui constitue bien évidemment un frein pour les Français. Certes, de plus en plus de formations sont dispensées en français au Luxembourg, mais elles s’adressent plutôt aux adultes déjà frontaliers, qui privilégient un apprentissage complet au Luxembourg, plutôt qu’un apprentissage transfrontalier.
Si l’on veut donner à cet accord toutes ses chances, ce qui me paraît tout à fait nécessaire, et offrir de vraies chances supplémentaires à nos jeunes, il va donc falloir développer l’apprentissage de l’allemand dans les territoires frontaliers.
L’accord que nous sommes appelés à ratifier aujourd’hui permettra, je le souhaite, d’amplifier le phénomène de l’apprentissage transfrontalier. Les parties prenantes attendent ce vote et les clarifications qui l’accompagnent concernant les modalités d’exécution de l’accord.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe du RDSE apportera sa voix à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier notre rapporteur, Akli Mellouli, de son travail minutieux sur ce texte, mais également M. le ministre et ses équipes de tout le travail sous-jacent qu’ils ont accompli, en particulier avec nos voisins allemands.
Pour l’Alsacien d’adoption que je suis, pour l’élu de ce territoire à l’histoire si singulière, ce texte représente beaucoup. Sans remonter jusqu’à la création des universités d’Heidelberg et de la Sorbonne, il est important de rappeler le rôle majeur joué par les échanges universitaires et scolaires dans les relations entre les pays européens.
« On se lasse de tout, excepté d’apprendre », remarquait Virgile en son temps. C’est bien là toute la raison d’être de programmes comme Erasmus ou les sections AbiBac, pour ne citer qu’eux, que de permettre le rapprochement des peuples par la construction d’un espace européen de l’éducation et du savoir.
Toutefois, les nombreux programmes déjà existants ne concernent pas l’apprentissage. En France, nous avons la chance de bénéficier d’une filière de l’apprentissage développée et performante, dont le développement s’est fortement accéléré depuis 2017.
Les chiffres sont particulièrement significatifs : près de 852 000 contrats d’apprentissage ont commencé en 2023, secteurs privé et public confondus ; un peu plus d’un million de contrats d’apprentissage étaient en cours au 31 décembre 2023.
Les élèves issus de l’apprentissage s’intègrent normalement mieux sur le marché de l’emploi, car ils jouissent d’une expérience déterminante, mais aussi d’un réseau élargi.
Avec ce projet de loi, pour ainsi dire, nous rétablissons une situation normale. Avant 2018, les élèves de la région Grand Est pouvaient aisément aller faire leur apprentissage de l’autre côté de la frontière avec l’Allemagne. La nécessaire évolution de notre droit et des compétences des régions a malheureusement fragilisé ce dispositif par la suite.
C’est la raison pour laquelle nous avons fait figurer dans la loi 3DS un article 186, qui autorise la signature de conventions bilatérales entre la France et ses pays frontaliers, afin notamment de permettre aux élèves de réaliser une partie de leur formation en apprentissage dans un autre pays.
Nous avons face à nous, mes chers collègues, un texte juste, équilibré et attendu à la fois par nos amis allemands, nos élèves français et les différentes collectivités territoriales impliquées dans le projet.
En effet, cet accord rend éligibles à l’apprentissage transfrontalier toutes les certifications qui le sont en France et en Allemagne, mais également tous les diplômes professionnels qui peuvent être obtenus par une formation professionnelle ayant fait l’objet d’un contrat d’apprentissage entre l’entreprise et les apprentis.
Ce texte est le fruit d’une négociation menée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères français et les ministères fédéraux allemands, en lien avec les Länder frontaliers concernés.
Certains points ont fait l’objet de discussions plus approfondies, comme le mécanisme simplifié d’extension de l’accord à d’autres Länder, ou encore les différents aspects financiers. À ce sujet, les parties sont convenues que le financement de l’apprentissage transfrontalier serait assuré conformément aux dispositions en vigueur dans chaque pays.
Il est juste, à mes yeux, d’offrir à tous les élèves français la possibilité de franchir les frontières à des fins d’apprentissage, d’autant que ces frontières, dans de nombreux domaines, n’en sont déjà plus. Je sais toutefois, à la lumière des destinations prévues en Allemagne – le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat et la Sarre –, que la région Grand Est sera la première concernée, à la fois par l’envoi d’élèves français et par l’accueil d’élèves allemands ; je ne puis que m’en réjouir.
Je précise que, en Alsace et en Lorraine, mais également dans les Vosges et dans le Territoire de Belfort, cher au président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, nous vivons le transfrontalier et l’Europe au quotidien. Nous traversons les frontières aisément et régulièrement. Nos collectivités territoriales, la Collectivité européenne d’Alsace en particulier, ou encore notre eurorégion, jouent un rôle majeur d’échange avec les communes et les Länder allemands.
Nous voyageons, nous travaillons, nous faisons des études supérieures des deux côtés de la frontière, cette frontière qui s’efface chaque jour grâce à l’Europe. Il est logique que nous puissions, dans le même esprit de coopération, effectuer notre apprentissage dans le pays européen de notre choix.
Pour la région Grand Est comme pour les autres collectivités concernées, l’apprentissage outre-Rhin est l’occasion d’un véritable rééquilibrage de nos flux transfrontaliers.
De la même manière, et dans un souci d’équilibre entre les jeunes qui sortent du territoire français et ceux qui y entrent, nous avons bien fait d’ouvrir l’entièreté du territoire métropolitain aux apprentis allemands. Cela va réellement permettre de multiplier les opportunités, de réarmer des filières en tension et de stimuler, chez les jeunes Allemands, l’attrait pour notre langue et notre pays.
La solution réside, évidemment, dans l’apprentissage scolaire et dans les efforts déployés par nos élus et nos enseignants, afin de donner envie d’apprendre ces langues germaniques à nos étudiants. Ainsi, comme l’a relevé notre collègue Véronique Guillotin, la perspective d’un apprentissage et d’un marché de l’emploi transfrontaliers dynamiques sera un puissant vecteur d’intérêt et de motivation.
C’est pour toutes ces raisons, mes chers collègues, que le groupe RDPI soutient ce texte et votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michaël Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l’apprentissage transfrontalier entre la France et l’Allemagne s’inscrit dans une ambition plus large, celle d’une meilleure mobilité européenne des apprentis et d’un espace européen d’éducation.
L’importance de ce sujet justifie que l’on questionne la pertinence du recours à un accord bilatéral pour traiter ce sujet d’envergure européenne, que l’on se demande si les moyens financiers accordés sont à la hauteur d’une telle ambition et que l’on s’interroge sur le périmètre géographique, encore modeste, d’application d’une telle mesure.
Une série d’accords similaires est, semble-t-il, en négociation avec la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, l’Italie ou encore l’Espagne. J’attends de vous, monsieur le ministre, que vous nous renseigniez sur le calendrier établi par votre gouvernement pour ces conventions, sans quoi l’objectif affiché d’un espace européen de l’apprentissage restera lettre morte.
Le développement de l’apprentissage transfrontalier est évidemment une bonne nouvelle. Je me réjouis que cet accord vienne pérenniser un dispositif créé et voulu par la région Grand Est, en particulier entre la Lorraine et la Sarre.
L’accord répond ainsi au souhait des acteurs locaux et inaugure une politique d’envergure nationale et européenne pour l’apprentissage.
Je voudrais néanmoins attirer votre attention sur quelques points qui nous appellent à la plus grande vigilance, car ils peuvent bloquer les avancées figurant dans ce texte.
Le présent accord fournit certes un cadre juridique sécurisé pour l’apprentissage transfrontalier, mais, à lui seul, il ne suffira pas à insuffler une dynamique pour la mobilité encore modeste des apprentis, et cela pour une raison simple : le frein principal en la matière n’est pas tant d’ordre juridique que d’ordre financier. Sans renforcement des aides pour le fonctionnement des centres de formations d’apprentis et pour les référents, la mobilité des apprentis restera faible.
En France, le Gouvernement a récemment annoncé une baisse des prises en charge des CFA, ainsi que de l’enveloppe versée aux régions pour financer le fonctionnement desdits centres, ceux-là mêmes sur lesquels le Gouvernement se fonde pour encourager la mobilité internationale des apprentis.
Dès l’origine, le montant alloué aux régions avait été jugé insuffisant pour leur permettre d’assurer ce rôle d’équilibre. Sans ce complément, certains CFA, notamment ceux des premiers niveaux de qualification, seront contraints de fermer des sections de formation, voire des sites entiers de formation.
L’apprentissage transfrontalier est néanmoins un cas particulier, puisqu’une ordonnance prévoit la prise en charge de ces contrats par un opérateur de compétence unique, pour un montant fixé par arrêté des ministres chargés de la formation professionnelle et du budget.
Je profite donc de votre présence devant nous, monsieur le ministre, pour vous demander de préciser la procédure, le périmètre et le niveau de prise en charge par l’opérateur de compétences.
Dans le cas précis de la convention avec l’Allemagne, deux points retiennent particulièrement mon attention.
Le premier est la question du champ d’application géographique du dispositif. Du côté de l’Allemagne, seuls trois Länder sont concernés par l’accord à l’heure actuelle. Je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement quant à la possible extension de l’accord à d’autres Länder, voire à l’ensemble de l’Allemagne, suivant les termes de l’article 10 du présent accord, pour que l’ambition de promouvoir l’apprentissage dépasse l’échelon régional et devienne bien une politique d’envergure nationale.
Mon second point de vigilance porte sur les conditions financières de l’apprentissage. Les deux parties n’ont pas mis en place un système de compensation dans le cadre de l’accord, ce qui se justifie peut-être en raison du nombre encore modeste d’apprentis en mobilité transfrontalière.
La hausse progressive prévue du nombre de bénéficiaires doit amener les parties à considérer un système de financement plus pérenne. L’absence d’un tel système de compensation risque, à court terme, de freiner la mobilité des apprentis. L’accord prévoit qu’une nouvelle négociation financière pourra être engagée à la demande de l’une des parties.
Le Gouvernement devrait dès à présent engager un travail de réflexion avec les partenaires allemands en vue d’ouvrir des négociations dans ce sens.
Enfin, j’aurai aujourd’hui une pensée pour ma collègue du conseil régional de Lorraine trop tôt disparue, Angèle Dufflo. Elle s’est battue pendant de nombreuses années pour le bilinguisme et la mobilité des jeunes. Élus tous deux en Moselle, nous avons vécu concrètement ces obstructions sur les contrats d’apprentissage, alors que l’on refusait catégoriquement qu’un jeune fasse son école en France et son apprentissage en Allemagne. Ce fut un combat commun de chaque instant que nous avons mené de concert.
Aussi, en dépit des possibles écueils que je viens d’évoquer sur le projet d’apprentissage transfrontalier, permettez-moi, pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, de saluer cet accord comme une véritable avancée pour nos territoires transfrontaliers. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis le troisième parlementaire alsacien à m’exprimer ce soir sur cet accord bilatéral relatif à l’apprentissage transfrontalier signé entre nos deux pays, la France et l’Allemagne. C’est dire l’intérêt de ce texte pour l’Alsace.
De fait, la situation géographique de cette région, séparée de l’Allemagne par le Rhin, représente une formidable opportunité pour notre jeunesse en termes de liens, de projets de coopération dans différents secteurs, qu’ils soient associatifs, économiques, culturels, mais aussi et surtout en termes d’emploi et d’insertion avec le sujet qui nous mobilise aujourd’hui, l’apprentissage transfrontalier. Ce n’est peut-être pas un hasard de calendrier si nous entérinons aujourd’hui, à l’aube des élections européennes, cet important accord. En effet, avec les élections qui se tiendront au début du mois de juin prochain, ce texte prend encore plus de sens pour montrer à notre jeunesse l’intérêt qu’elle peut trouver à la construction de l’Union européenne.
À noter également que cet accord inaugure une série d’autres accords actuellement en préparation avec nos voisins pour construire demain, autour de la France, un véritable « espace européen de l’apprentissage ».
Ayant dirigé pendant de longues années la chambre de métiers d’Alsace, ayant été vice-président de feu le conseil régional d’Alsace chargé de l’économie au moment où il a engagé ces réflexions et signé le premier accord de cette nature, puis un temps président de ce conseil régional, l’apprentissage, plus particulièrement l’apprentissage transfrontalier, est un sujet que j’ai suivi avec attention. En tant que sénateur, il m’a ensuite été donné de poursuivre ce travail, notamment sur les questions de financement, qui posent problème.
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a modifié un certain nombre de règles. Ainsi, depuis le 1er janvier 2020, les conseils régionaux ne contribuent plus au financement et à l’élaboration de l’offre de formation par apprentissage ; ce sont désormais les branches professionnelles qui sont chargées de ces formations.
En Alsace, il faut le dire, monsieur le ministre, cela a été un véritable tsunami. En effet, l’ensemble du cadre réglementaire de l’apprentissage transfrontalier a été complètement remis en question et a disparu du jour au lendemain ! Il a fallu tout reconstruire, et c’est après plusieurs années de travail qu’intervient l’accord que nous entérinons aujourd’hui. Quelle inconséquence et quels dégâts !
Quand on stoppe une pratique, une inertie se crée avant un nouveau départ : le nombre des jeunes d’Alsace se lançant dans la voie de l’apprentissage transfrontalier n’a pas encore atteint le niveau d’avant réforme – tant s’en faut. Il stagne.
Je me souviens encore du président du conseil régional Adrien Zeller, qui voulait atteindre 1 000 apprentis transfrontaliers ; aujourd’hui, nous évoquons le chiffre de 300 apprentis – nous sommes loin du compte.
Pour s’assurer une mobilité internationale, ces jeunes se sont tournés vers d’autres dispositifs tels que Erasmus + ou Mona (Mon apprentissage en Europe) ; reste que, d’un point de vue économique et en matière d’emploi, les résultats ne sont assurément pas les mêmes. Je rappelle ici que les entreprises allemandes ont une forte demande de main-d’œuvre et que l’apprentissage transfrontalier permet naturellement des débouchés ultérieurs d’emplois accrus par rapport à une formation domestique.
La leçon que nous avons à en tirer est claire : avant de tout réformer et de tout mettre à plat, mesurons bien les impacts directs et indirects ! C’est ce que nous appelons ici l’étude d’impact.
Je conclurai mon propos par deux points.
En premier lieu, quels que soient les accords que l’on signe, on ne peut évidemment pas faire abstraction des aléas. Je fais bien sûr allusion à la période du covid, qui a elle aussi tout cassé. J’étais alors intervenu pour que, même durant cet épisode, on ne ferme pas les frontières, afin de permettre à l’apprentissage transfrontalier de continuer à fonctionner. Cela avait été dramatique, il me faut le dire. De même, l’épineuse question du financement avait nécessité d’intervenir auprès du Gouvernement, ce que j’avais fait. Mme Borne, alors ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, avait donné des instructions pour qu’à la rentrée 2020, à titre dérogatoire, les apprentis puissent être pris en charge sur les fonds de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Malheureusement, les suites n’ont pas été à la hauteur des attentes.
En second lieu, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains d’entre vous connaissent peut-être mon attachement au droit local alsacien-mosellan. Sur les questions d’apprentissage, celui-ci est très vertueux, en ce sens qu’il est plus exigeant qu’ailleurs sur le niveau d’expérience et de qualification des maîtres d’apprentissage, ce qui est souvent une incontestable garantie pour le jeune s’engageant dans cette voie, avec un bon niveau d’intégration et de formation au sein de l’entreprise. Grâce à cela, en Alsace, les taux de rupture sont moitié plus faibles que ceux des statistiques nationales.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, je me réjouis de ce projet de loi visant à autoriser l’approbation de cet accord franco-allemand relatif à l’apprentissage transfrontalier et le voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans le droit fil de l’histoire de la coopération franco-allemande depuis le traité de l’Élysée en 1963. En effet, il prolonge toujours plus loin cette volonté commune de perpétuellement renforcer cette amitié entre nos deux pays, au passé si tourmenté.
Le sujet de l’apprentissage me tient particulièrement à cœur, car il mêle éducation et insertion professionnelle, en particulier chez nos jeunes. Dans un territoire comme la Moselle, où ces questions tendent à devenir cruciales, mais également pour tous les départements limitrophes de l’Allemagne au sein de notre belle région Grand Est, l’apprentissage transfrontalier est une chance pour nos concitoyens.
Grâce à lui, les apprentis français ou allemands pourront réaliser, dans un cadre juridique sécurisé, la partie pratique ou théorique de leur apprentissage de part et d’autre de la frontière. Un contrat d’apprentissage sera ainsi conclu avec l’apprenti, selon un modèle standardisé bilingue mis à disposition par les autorités compétentes, françaises ou allemandes.
Ce texte constitue une étape indispensable dans la construction de cet espace européen de l’éducation que nous appelons de nos vœux.
En tant que frontaliers, nous connaissons l’importance de la mobilité de nos travailleurs et des échanges économiques qui en découlent.
Les résultats du dispositif d’apprentissage développé précédemment par la région Grand Est le démontrent : la politique visant à faciliter l’apprentissage transfrontalier est une véritable réussite.
Tout d’abord, cela permet aux jeunes de rapidement trouver un emploi à l’issue de cet apprentissage. En effet, plus de 80 % d’entre eux occupent un emploi dans les trois mois qui suivent, la grande majorité en CDI.
De plus, en comparant ces chiffres à la moyenne nationale des formations équivalentes, on constate que ce même taux n’est que de 65 % six mois après un CAP ou un BTS.
Il semblerait ainsi que nous ayons encore beaucoup à apprendre de nos voisins.
Au-delà de l’employabilité, ce sont véritablement les compétences techniques et linguistiques, ramenées dans leurs bagages par les apprentis, qui font leur force.
Leur conférant une adaptabilité particulièrement prisée par les entreprises des deux côtés du Rhin, ces compétences leur permettent, de fait, une plus grande mobilité, que ce soit en France, en Allemagne, dans l’Union européenne ou à l’étranger.
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a retiré aux régions la compétence de financement principal des formations par apprentissage. Les conséquences immédiates de cette réforme catastrophique ont conduit à réassocier progressivement les représentants régionaux à la gouvernance des politiques d’apprentissage.
Puis, la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale a permis d’accomplir une partie de son apprentissage dans un pays frontalier, sous réserve de la conclusion d’un accord bilatéral sur le sujet.
Le présent accord doit nous permettre de corriger définitivement cette erreur. Il introduit par ailleurs une longue série de conventions bilatérales avec nos voisins européens sur la question.
En tant que sénatrice de la Moselle, je ne peux que me réjouir de nous voir conclure de tels partenariats avec les Länder allemands du Bade-Wurtemberg, de la Rhénanie-Palatinat et de la Sarre, partenaires historiques de nos départements et moteurs de l’économie transfrontalière.
Les précédentes expérimentations sur la question sont sans appel : ce sont nos ressortissants français qui bénéficiaient le plus des contrats d’apprentissage transfrontaliers.
À l’heure où notre pays doit se poser de manière bien plus globale la question de la formation de notre jeunesse, de son orientation et de son insertion professionnelle, offrir à des apprentis motivés une telle possibilité permettra de poursuivre la redynamisation de l’apprentissage en France, tout en dotant nos entreprises de salariés aux compétences reconnues par tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin et M. Ludovic Haye applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ces interventions sur ce sujet, qui touche très directement au quotidien de nos concitoyens transfrontaliers.
Je tiens à répondre aux remarques et aux interrogations du sénateur Michaël Weber.
En matière de calendrier, on peut s’attendre à un accord avec la Belgique et le Luxembourg dans les douze mois, c’est-à-dire en 2025, mais nous sommes évidemment tributaires de nos partenaires pour conclure une convention.
J’en viens à nos relations transfrontalières avec l’Espagne. La collaboration est très dynamique, notamment au Pays basque et entre les Pyrénées-Orientales et la Catalogne, où les flux sont les plus denses. Cette coopération touche pratiquement tous les aspects de la vie quotidienne : éducation, transport, santé, etc. Elle s’approfondira grâce aux traités de Barcelone, notamment dans les zones montagneuses via une approche globale.
À ce moment de nos débats, permettez-moi de saluer le travail de notre ambassadeur pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les relations transfrontalières, Philippe Voiry, qu’un certain nombre d’entre vous connaissent bien et avec lequel vous avez eu l’habitude de travailler. Il a permis au Gouvernement de prendre conscience que nombre de nos frontières avaient des problèmes communs, si bien que la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité et moi-même envisageons de proposer au Premier ministre de réunir un comité interministériel transfrontalier de manière à aborder certains de ces sujets de manière globale.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république fédérale d’allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier, signé à Lauterbourg le 21 juillet 2023, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’apprentissage transfrontalier.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
9
Justice patrimoniale au sein de la famille
Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (texte de la commission n° 592, rapport n° 591).
La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Isabelle Florennes, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous soyons réunis aujourd’hui pour examiner le texte établi par la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi.
Force est de constater que le parcours législatif de ce texte aura été particulièrement rapide : adopté par l’Assemblée nationale le 18 janvier 2024, il l’a également été par notre assemblée quelques semaines plus tard, le 20 mars dernier. Nous voilà réunis pour achever ce cheminement législatif. Je ne peux que me féliciter de cette célérité au regard des importantes lacunes que ce texte entend combler dans notre droit.
Mes chers collègues, vous ne serez guère étonnés que, sur une proposition de loi aux objectifs si largement partagés, la commission mixte paritaire soit arrivée à un compromis.
Sur le volet civil du texte, l’article 1er apporte une réponse juridiquement solide à un oubli coupable – si j’ose dire – du législateur, en reprenant la rédaction adoptée par notre assemblée.
Je tiens ainsi à souligner que nous avons maintenu l’impossibilité, pour l’époux « victime », de faire bénéficier l’époux « bourreau » d’une forme de pardon lui permettant de bénéficier des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du mariage, malgré sa déchéance matrimoniale.
Nous avons néanmoins complété ce dispositif, sur l’initiative de notre collègue députée Perrine Goulet, en ce qui concerne la prise en compte des biens propres apportés à la communauté, ce dont je me félicite.
L’article 1er bis A permet la constitution d’un inventaire matrimonial au décès de l’un des époux. Cette disposition aura le mérite de clarifier l’existence d’une telle faculté, au-delà du seul cas de l’inventaire en matière de succession.
L’article 1er bis n’a pas été substantiellement modifié par la commission mixte paritaire, qui en a conservé la rédaction déjà adoptée par le Sénat.
Nous avons depuis été saisis de craintes quant à l’interprétation de cette disposition ; je tiens ici à réaffirmer et à clarifier l’intention du législateur.
Une fois la volonté exprimée par un époux, dans la convention matrimoniale, de renoncer à la révocation de plein droit, au moment du divorce, de certains avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial, il serait toujours possible de modifier la convention matrimoniale pour revenir sur l’expression de cette volonté. En d’autres termes, l’irrévocabilité s’appliquerait non pas à la stipulation de la convention matrimoniale exprimant une telle volonté, mais bien à l’avantage matrimonial en cause.
Cette précision étant faite, j’en viens au volet fiscal de ce texte, qui a fait l’objet de débats au sein de notre assemblée.
Sur ce point, je rappelle notre communauté de vues : il est difficilement tolérable que certaines femmes, notamment lorsqu’elles se séparent d’un mari s’étant soustrait aux obligations déclaratives du ménage à leur insu, soient tenues solidairement responsables d’une dette fiscale qu’elles n’ont pas contractée.
La commission mixte paritaire a repris certaines des dispositions que nous avons adoptées, notamment l’article 2 ter ajouté sur l’initiative de Pascal Savoldelli, et a prévu que ces dispositions s’appliqueraient aux dossiers en cours d’instruction au moment de la promulgation de la loi.
D’autres dispositions n’ont pu être retenues.
Je pense en particulier aux articles 2 bis A et 2 bis B, qui présentaient des risques juridiques et pratiques, notamment en matière de contournement de l’impôt.
Je tiens néanmoins à vous rassurer, mes chers collègues : l’administration fiscale et le ministre Thomas Cazenave ont pris des engagements fermes, reconnus par l’association représentant les intérêts des femmes victimes d’une mauvaise application du mécanisme de décharge de responsabilité solidaire.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici : la confiance n’exclut pas le contrôle. Dans le cas où nous constaterions que les résultats de ces premières évolutions ne seraient pas au rendez-vous, le projet de loi de finances pour 2025 permettrait d’aborder de nouveau ce sujet. Je pense que le ministre vous exposera plus précisément cet engagement.
Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, je vous propose d’adopter ce texte. Je saisis cette occasion pour adresser mes plus chaleureux remerciements à Hubert Ott et Perrine Goulet, qui ont appelé notre attention sur ce sujet et proposé de véritables solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Nicole Duranton applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la justice patrimoniale au sein de la famille.
Lors du projet de loi de finances pour 2024, nous avons examiné des amendements signés par nombre d’entre vous visant à revoir les conditions d’examen des demandes de décharge de responsabilité solidaire. Je m’étais engagé à travailler rapidement sur le sujet. C’est chose faite.
Ce travail, mené notamment par le groupe Démocrate à l’Assemblée nationale, avec lequel nous avons collaboré dès le mois de décembre dernier, a été enrichi par les deux chambres, ce qui nous permet aujourd’hui d’examiner les conclusions de la commission mixte paritaire et ainsi d’enregistrer des avancées notables, en particulier pour les femmes victimes de violences conjugales.
Le texte qui nous est présenté aujourd’hui est l’aboutissement d’un riche travail transpartisan à l’Assemblée nationale comme au Sénat, puis en commission mixte paritaire.
Je veux tout particulièrement saluer le travail des députés Perrine Goulet et Hubert Ott, mais aussi de la rapporteure Isabelle Florennes, qui a beaucoup œuvré pour que nous puissions aboutir à une commission mixte paritaire conclusive.
Ce texte offre d’abord des avancées en matière de droit civil – cet égard, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du garde des sceaux, retenu par une contrainte d’agenda. Il s’agit en effet de combler une grave carence de notre droit des régimes matrimoniaux.
C’est l’ambition de l’article 1er, qui s’attaque directement aux violences conjugales. En l’état actuel de la législation, il n’existe pas de disposition spéciale dans le droit matrimonial pour la situation d’un époux qui a provoqué ou tenté de provoquer la mort de son conjoint.
Pour ne citer qu’un funeste exemple, un époux meurtrier peut bénéficier de la clause d’attribution intégrale de la communauté, qui lui permet de jouir de la pleine propriété, au décès de son conjoint, de l’ensemble des biens communs. Cette lacune est aussi injuste qu’insupportable !
En créant le régime de la déchéance matrimoniale, cette proposition de loi transpose très concrètement aux régimes matrimoniaux cet adage dont nous avons fait une devise : le crime ne paie pas.
Désormais, l’époux qui a provoqué ou tenté de provoquer la mort de son conjoint ne pourra plus tirer profit des avantages matrimoniaux qui n’auraient pas eu d’effet si la victime n’était pas décédée avant lui.
Cette déchéance s’appliquera automatiquement en cas de condamnation pénale pour homicide conjugal. Elle s’appliquera également, sur décision du juge, pour d’autres actes particulièrement graves, notamment la torture, le viol ou les violences sur conjoint.
Le Sénat a renforcé ce mécanisme nouveau et le travail en commission mixte paritaire a permis de parfaire le dispositif, en prévoyant notamment que, en cas d’apport à la communauté de biens propres par l’époux décédé, la communauté lui devra récompense. Cela permettra concrètement aux héritiers de récupérer lesdits biens, en valeur ou en nature.
La proposition de loi répond également à d’autres formes d’injustice patrimoniale au sein de la famille. Elle vient en particulier modifier l’article 265 du code civil, qui prévoit que les avantages matrimoniaux sont révoqués en cas de divorce. Cela concerne, par exemple, la clause par laquelle les biens professionnels de l’un des époux sont exclus du calcul de la créance due à l’autre époux au moment de la liquidation du régime matrimonial.
Aujourd’hui, les époux peuvent contrer cette révocation de plein droit en prévoyant, dans la convention de divorce, que l’avantage matrimonial produira ses effets même après le divorce. Demain, grâce à cette proposition de loi, ils pourront aussi le prévoir dans le contrat de mariage.
Cette modification, que nous saluons, permettra de sécuriser les conventions matrimoniales et d’améliorer la prévisibilité et la sécurité juridique de ces mécanismes.
Je tiens à rassurer certains praticiens qui ont pu s’inquiéter de la portée de ce texte : l’article 1397 du code civil, qui permet aux époux de modifier leur régime matrimonial tout au long du mariage, trouvera à s’appliquer. En d’autres termes, les époux qui seront convenus de l’irrévocabilité des avantages matrimoniaux dans leur contrat de mariage pourront toujours revenir sur leur décision durant le mariage.
En ce qui concerne le ministère dont j’ai la charge et sur les sujets fiscaux, ce texte constitue une avancée majeure pour les personnes victimes de la solidarité fiscale. Je suis fier de la voir aboutir aujourd’hui.
Former un couple, vivre ensemble et payer ses impôts peut virer au cauchemar pour certaines personnes lorsque leur conjoint commet une fraude fiscale. Au drame personnel vient alors s’ajouter la détresse financière. Nous le savons, ce sont avant tout des femmes qui sont concernées.
Malgré le dispositif actuel de décharge de responsabilité solidaire, aujourd’hui encore, l’administration peut réclamer les dettes contractées par un conjoint fraudeur. Une maison, un véhicule, les économies d’une vie peuvent être saisis. C’est injuste et inhumain ; nous allons y mettre fin.
Pour protéger les personnes victimes de cette solidarité fiscale, une évolution du droit était indispensable ; c’est ce que permet ce texte en prévoyant d’annuler la dette fiscale. C’est bien le sens de ce que je demande à l’administration fiscale : ne pas ajouter de l’inhumanité à la détresse.
En la matière, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite du compromis auquel la commission mixte paritaire est parvenue. Il reprend plusieurs des apports du Sénat, notamment la portée étendue du dispositif aux dossiers non définitivement jugés, le remboursement des sommes saisies en cas d’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire, adopté sur l’initiative de Pascal Savoldelli, et bien sûr la précision sur le traitement des pénalités apportée par la rapporteure Isabelle Florennes.
C’est donc le fruit d’un travail collectif qui vous est présenté aujourd’hui, mené de concert entre le Parlement, les acteurs associatifs engagés dans la défense des victimes de la solidarité fiscale et le Gouvernement. Il permet d’apporter une solution concrète et opérationnelle supplémentaire en sus de la décharge de responsabilité solidaire.
Comme vous le savez, cette solution permet à l’administration fiscale de déclarer tiers à la dette les personnes victimes de la solidarité fiscale. En l’adoptant, j’ai conscience que la commission mixte paritaire a témoigné de sa confiance à l’égard de cette faculté et de la présentation que j’ai pu vous en faire. Nous saurons être à la hauteur de cette confiance pour faire la preuve, dès les prochaines semaines, de la portée du dispositif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, laissez-moi vous détailler les conditions dans lesquelles cette mesure sera mise en œuvre par l’administration fiscale.
Premièrement, la portée large que vous avez accepté de lui donner, en permettant le dépôt de demandes de remise gracieuse aux personnes s’étant vu refuser l’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire non définitivement jugée, devrait nous permettre de disposer rapidement de plusieurs demandes. Celles-ci seront désormais traitées en lien étroit avec l’administration centrale de la direction générale des finances publiques, pour s’assurer de l’harmonisation des réponses apportées et de la bonne prise en compte de la façon dont nous souhaitons que le nouveau dispositif soit appliqué.
Deuxièmement, en parallèle du traitement des premiers dossiers, nous allons rapidement finaliser la doctrine, à savoir l’interprétation retenue par l’administration fiscale pour l’application de cette faculté, qui lui est opposable. J’en prends l’engagement : la doctrine sera publiée d’ici au mois d’octobre et nous consulterons les acteurs impliqués sur le sujet en amont, pour qu’ils puissent nous faire part de leurs éventuelles observations.
Troisièmement, enfin, au-delà des avancées sur la remise gracieuse, je n’en oublie pas la volonté qui s’est exprimée sur ces travées pour mieux protéger les personnes qui demandent une décharge de responsabilité solidaire. Je ne reviens pas sur les discussions que nous avons eues sur le sujet, mais je vous confirme une évolution sur laquelle je m’engage : désormais, les biens issus d’un héritage ne seront plus recherchés par l’administration fiscale dans la phase de recouvrement de la dette fiscale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les violences faites aux femmes et pour l’égalité entre les femmes et les hommes est, depuis bientôt sept ans, une priorité du Président de la République et des gouvernements successifs.
Notre enjeu est désormais que la solidarité fiscale ne soit plus un fardeau pour les femmes. Avec ce texte, nous conjuguons encore un peu plus la fiscalité et l’égalité.
Grâce à l’action du garde des sceaux et à celle de tous les parlementaires, nous mettons fin à un monde dans lequel un homme qui tue sa femme peut récupérer l’ensemble des biens qui leur appartenaient.
Ce texte est donc une avancée majeure au service des droits des femmes. Nous pouvons en être fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille
Article 1er
I. – Le chapitre Ier du titre V du livre III du code civil est complété par des articles 1399-1 à 1399-6 ainsi rédigés :
« Art. 1399-1. – L’époux condamné, comme auteur ou complice, pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort à son époux ou pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort de son époux sans intention de la donner est, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, déchu de plein droit du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage.
« La déchéance mentionnée au premier alinéa s’applique y compris lorsque, en raison du décès de l’époux condamné, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte.
« Art. 1399-2. – Dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, peut être déchu du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage l’époux condamné :
« 1° Comme auteur ou complice de tortures, d’actes de barbarie, de violences volontaires, de viol ou d’agression sexuelle envers son époux ;
« 2° Pour témoignage mensonger porté contre son époux dans une procédure criminelle ;
« 3° Pour s’être volontairement abstenu d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle de son époux d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
« 4° Pour dénonciation calomnieuse contre son époux lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
« Art. 1399-3. – La déchéance prévue à l’article 1399-2 est prononcée par le tribunal judiciaire à la demande d’un héritier, de l’époux de la personne condamnée ou du ministère public. La demande doit être formée dans un délai de six mois à compter de la dissolution du régime matrimonial ou du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité lui est antérieure, ou dans un délai de six mois à compter de cette décision si elle lui est postérieure.
« Art. 1399-4. – (Supprimé)
« Art. 1399-5. – L’époux déchu du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale est tenu de rendre tous les fruits et revenus résultant de l’application des clauses de la convention matrimoniale qui lui confèrent un avantage et dont il a eu la jouissance depuis la dissolution du régime matrimonial.
« Art. 1399-6. – Dans les cas prévus aux articles 1399-1 et 1399-2, lorsqu’une clause de la convention matrimoniale prévoit l’apport à la communauté de biens propres de l’époux de la personne condamnée, la communauté doit récompense à l’époux apporteur. »
I bis. – Le I s’applique aux conventions matrimoniales conclues avant l’entrée en vigueur de la présente loi.
II. – (Supprimé)
Article 1er bis A
Le code civil est ainsi modifié :
1° (nouveau) Le chapitre Ier du titre V du livre III est complété par un article 1399-7 ainsi rédigé :
« Art. 1399-7. – Un inventaire peut être établi au décès de l’un des époux dans les conditions prévues par le code de procédure civile. »
2° (Supprimé)
Article 1er bis
L’article 265 du code civil est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du deuxième alinéa, après le mot : « est », sont insérés les mots : « exprimée dans la convention matrimoniale ou » ;
2° (Supprimé)
Article 2
I. – Le septième alinéa de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Peut être considérée comme une personne tenue au paiement d’impositions dues par un tiers la personne remplissant les conditions fixées aux 1 et 3 du II de l’article 1691 bis du code général des impôts. »
II. – (Supprimé)
III. – Le I s’applique aux personnes pour lesquelles la demande de décharge de l’obligation de paiement mentionnée au II de l’article 1691 bis du code général des impôts n’a donné lieu, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ni à une décision définitive de la part de l’administration fiscale, ni à une décision de justice passée en force de chose jugée.
Articles 2 bis A et 2 bis B
(Supprimés)
Article 2 bis
I. – La seconde phrase du d du 2 du II de l’article 1691 bis du code général des impôts est ainsi rédigée : « La décharge de l’obligation de paiement des intérêts de retard et des pénalités mentionnées aux articles 1727, 1728, 1729, 1732 et 1758 A est prononcée, dans les autres situations, dans les proportions définies au a, au b ou au c. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Article 2 ter
I. – Le IV de l’article 1691 bis du code général des impôts est ainsi modifié :
a) (nouveau) Le mot : « ne » est supprimé ;
b) (nouveau) Il est complété par les mots : « des sommes recouvrées à compter de l’un des événements visés aux a à d du 1 du II ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III (nouveau). – Le I s’applique aux personnes pour lesquelles la demande de décharge de l’obligation de paiement mentionnée au II de l’article 1691 bis du code général des impôts n’a donné lieu, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ni à une décision définitive de la part de l’administration fiscale, ni à une décision de justice passée en force de chose jugée.
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M. le président. Nous allons maintenant examiner l’amendement déposé par le Gouvernement.
Article 1er
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
condamné
par les mots :
qui a commis les actes mentionnés au même premier alinéa
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Cet amendement rédactionnel a pour objet de corriger une erreur matérielle, puisqu’il ne peut être fait référence à « l’époux condamné » dans le cas où l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte en raison de son décès.
La référence à l’époux « qui a commis les actes mentionnés » au premier alinéa correspond à la rédaction du dernier alinéa de l’article 727 du code civil en matière d’indignité successorale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. Avis favorable.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement précédemment adopté par le Sénat, je vais donner la parole, pour explications de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Nicole Duranton applaudit également.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a toujours quelque chose de plaisant à voir un texte arriver au bout de son chemin législatif : une satisfaction de parlementaire à voir l’aboutissement de notre travail collectif bien sûr, mais aussi, dans le cas présent, une vraie satisfaction de corriger des aberrations de notre droit.
Je vous le rappelle à mon tour, on peut encore aujourd’hui tuer son conjoint et hériter de son patrimoine, pour peu que l’on soit marié sous le régime de la communauté universelle : une situation absurde, que l’article 1er vient enfin corriger en créant une forme de déchéance matrimoniale. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, le crime ne doit pas payer ; en l’espèce, il ne paiera plus.
Le mécanisme a été enrichi par le travail de nos deux chambres. Nous examinons aujourd’hui un dispositif autonome plus proche de ce qui existe pour l’indignité successorale, et les biens propres apportés à la communauté par l’époux victime de violences sont également préservés.
Le Sénat, grâce à notre rapporteure, Isabelle Florennes, dont je souhaite saluer chaleureusement l’implication, a renforcé le dispositif de déchéance des avantages matrimoniaux tout en supprimant la faculté du pardon laissée à la victime pour mieux prendre en compte les cas d’emprise.
Je ne puis que saluer cet ajout bienvenu. Il montre que nous sommes sur la bonne voie, en intégrant petit à petit dans notre droit les notions d’emprise et de contrôle coercitif.
L’article 1er bis vient sécuriser juridiquement les clauses d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, c’est-à-dire ce que l’on doit à son conjoint à la dissolution du mariage. Pendant longtemps, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, ces dispositions censées être plus protectrices étaient finalement rendues caduques au moment du divorce. Le Sénat en a amélioré la rédaction pour donner à l’article une portée plus générale, ce qui est à souligner.
L’article 2 vient améliorer le dispositif existant de la décharge de responsabilité solidaire, qui permet d’exonérer un ex-conjoint d’une partie des dettes fiscales dues par le couple. Si ce dispositif a le mérite d’exister, son application actuelle n’est pas satisfaisante, la faute peut-être à un manque – jusqu’à aujourd’hui – de flexibilité de l’administration fiscale.
En conséquence, dans bien des cas, c’était à l’épouse de régler des dettes dont elle n’avait absolument pas connaissance, dont elle n’avait pas profité, voire dont l’origine était frauduleuse.
Je connais les attentes légitimes des associations sur ce sujet et je pense que nous sommes arrivés à un compromis que j’espère efficace.
Nous avons d’abord amélioré le dispositif existant, afin de permettre la restitution de sommes recouvrées par l’administration fiscale entre la séparation des époux et la déclaration de décharge. C’est une mesure de bon sens et d’efficacité.
Je souligne également les engagements du ministre Thomas Cazenave pour que ce dispositif de décharge gracieuse permette d’aboutir à une issue plus favorable dans certains dossiers dont le traitement actuel pourrait paraître injuste.
Attention toutefois : qui dit « décharge gracieuse » dit « décision à la main de l’administration »… Comme nombre de mes collègues, je serai sensible, non seulement en tant que sénatrice, mais aussi en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, aux évolutions que vous donnerez à ce dossier.
Monsieur le ministre, vous nous avez promis une nouvelle doctrine ; nous l’attendons impatiemment. Si les résultats n’étaient pas au rendez-vous, nous saurions vous le rappeler à l’occasion de l’examen du prochain projet de loi de finances, voire d’une mission flash de la délégation aux droits des femmes. Mais, compte tenu de ce que j’ai entendu lors de votre intervention, je suis certaine que nous n’aurons pas besoin d’en arriver là, tant vous semblez avoir pris le sujet à bras-le-corps. La balle est donc dans votre camp, mais j’ai confiance.
En attendant, le groupe Union Centriste est très heureux d’avoir pu soutenir cette proposition de loi, dont je remercie une nouvelle fois la rapporteure. Nous voterons bien évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en aucun cas nous ne pouvons discuter de cette proposition de loi sur la justice patrimoniale sans tenir compte du contexte plus large dans lequel elle s’inscrit, à savoir les inégalités entre les genres.
En effet, ces inégalités demeurent profondes dans un pays où le gouvernement, sans vouloir vous contredire, monsieur le ministre, ne fait clairement pas assez pour les combattre, où l’index d’égalité professionnelle est largement incomplet et où le budget consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a certes été doublé en six ans, ne représente toujours que 0,7 % du budget de l’État.
Face à l’absence d’efforts, il ne devrait plus être surprenant que les grandes promesses sur l’égalité entre les genres soient à mille lieues des réalités auxquelles les femmes sont confrontées tous les jours. En ce domaine, je crois et je crains que nous pourrions toutes parler d’expérience.
Je me bornerai ici à citer un sondage de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du début de l’année aux termes duquel pas moins de 20 % des personnes interrogées trouvent normal que les femmes restent à la maison pour élever des enfants.
En outre, ces réalités vécues, ce sont aussi des politiques publiques souvent inadaptées. Par exemple, une mère monoparentale rencontre systématiquement d’énormes difficultés à trouver une place de crèche pour son enfant et doit renoncer à des offres d’emploi, faute de solution de garde. Résultat, trois mères monoparentales sur cinq ne travaillent pas.
À ces inégalités, choquantes, s’ajoutent le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles. Je ne veux pas m’étaler sur le sujet, sur lequel il y a malheureusement tant de choses à dire. Mais je veux juste soulever une question qui, à mon avis, est essentielle pour discuter de cette proposition de loi : comment pourrons-nous lutter contre ces inégalités et ces violences, que nous ne saurions tolérer un instant de plus ? Au lieu de se barricader derrière des indicateurs, il faut partir des réalités subies par les femmes. Pour ce faire, nous devons examiner toutes les injustices pour évaluer quels changements législatifs pourraient y remédier.
Les dispositions de la proposition de loi sur la justice patrimoniale du député Hubert Ott, que je tiens à remercier de son initiative, apportent des briques à cet édifice.
La première d’entre elles, c’est une amélioration de la prise en compte des violences intrafamiliales lors de l’évaluation des avantages matrimoniaux. Puisque les avantages matrimoniaux d’un conjoint ayant commis des violences graves seraient révoqués de plein droit, l’époux qui a tenté d’assassiner sa conjointe ne pourrait plus jouir des avantages matrimoniaux, ce qui est possible actuellement, aussi révoltant que cela puisse paraître. J’espère et je crois que personne ici ne s’oppose à cette évolution du code civil.
L’autre brique importante concerne le sort d’une dette fiscale d’un couple après sa séparation. Imaginons un homme marié, qui omet de déclarer des revenus imposables. Si l’union est dissoute et si la fraude est détectée lors d’un contrôle, il doit bien évidemment régler sa dette fiscale ; mais son ex-conjointe y est aussi contrainte, car elle était tenue solidairement au paiement de l’impôt. Régler cette dette fiscale peut être extrêmement difficile, a fortiori pour les femmes, qui perdent en moyenne 27 % de leur niveau de vie après une séparation, contre 2 % pour les hommes.
Il est donc important que les demandes de décharge en solidarité fiscale deviennent plus faciles à obtenir, comme le prévoit ce texte.
Je me réjouis que la procédure ait pu être complétée en commission. Grâce à votre amendement, madame la rapporteure, la décharge s’appliquerait aussi aux pénalités et retards de paiement dus par le conjoint fraudeur. Nous nous réjouissons du maintien de cette disposition par la commission mixte paritaire.
Cela étant dit, la solution retenue ne répond pas vraiment aux besoins, car elle ne prévoit qu’une décharge facilitée pouvant être accordée à titre gracieux. Ma collègue Mélanie Vogel et moi-même aurions largement préféré la solution que nous avions proposée, tout comme d’autres groupes.
Nous déplorons également que la commission mixte paritaire ait retenu la rédaction du Sénat à l’article 1er bis, qui prévoit qu’une convention matrimoniale peut rendre les avantages matrimoniaux irrévocables. Un conjoint plus riche pourrait abuser de cette nouvelle possibilité pour éviter un partage qu’il juge trop généreux. Dans les couples hétérosexuels, la femme pourrait ainsi se retrouver dans une situation économiquement très désavantageuse pendant que l’homme pourrait exploiter sa situation dominante.
Malgré ces regrets et alertes, la présente proposition de loi constitue une avancée. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 14 mai dernier, un constat flagrant s’est imposé : sur sept députés prévus, seuls cinq étaient présents. Il est à souligner que, parmi ces cinq députés, trois appartenaient à la majorité présidentielle. Cette représentation minimaliste équivaut à réduire la voix de 577 députés à seulement cinq en commission mixte paritaire, ce qui affaiblit la légitimité du texte adopté et mine la démocratie parlementaire.
Le Sénat a vivement soutenu son texte, avec une attention particulière portée à une disposition spécifique, l’article 2 bis A, visant à corriger une injustice largement reconnue sur les travées de notre assemblée. Je suis désolé, madame la rapporteure, mais vous êtes la seule à avoir choisi de vous y opposer, allant à l’encontre d’un consensus transpartisan.
Cet article, rejeté d’une courte tête – c’est le moins que l’on puisse dire –, visait simplement à prévoir l’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire, c’est-à-dire le renoncement à toute poursuite de l’administration fiscale à l’encontre de l’ex-conjointe innocente pour recouvrer les dettes fiscales contractées par son ex-conjoint : soit elle est responsable, et elle doit assumer les conséquences ; soit elle est innocente, et elle mérite d’être déchargée.
Bien qu’il convienne de souligner que la situation affecte également les hommes, ces derniers restent minoritaires : les personnes qui se trouvent prises au piège sont à 92 % des femmes.
Dans cette perspective, je trouve regrettable que Mme la rapporteure de l’Assemblée nationale, Perrine Goulet, ait cherché à minimiser cette dimension pour discréditer une association de femmes engagées dans la défense de leurs droits. Quand un système injuste est en place, il ne suffit pas de le contourner : il faut le démanteler, afin de réaffirmer l’engagement pour l’égalité. La quête de justice, qu’elle soit fiscale ou dans les procédures administratives, exige une cohésion sans faille et nulle tentative de division ne peut être tolérée.
Le sujet est de savoir si le Parlement préfère maintenir un dispositif gracieux à la main de l’administration ou d’un ministre ou s’il souhaite créer un dispositif légal de plein contentieux, qui ne revête pas un caractère gracieux, mais qui institue un droit.
La raison est simple : les ministres successifs n’ont pas – nous pouvons peut-être le regretter – créé les conditions d’une justice fiscale dans le sens de la décharge des dettes frauduleuses. Ainsi, 81 % des dettes sont issues de redressements fiscaux liés aux activités professionnelles de l’ex-conjoint. Et sur les quelque 350 demandes de désolidarisation annuelles, 60 % se soldent par un refus de Bercy.
Dire que l’association Femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale soutient un tel recul, comme nous l’avons entendu en commission mixte paritaire, est une aberration. Je souhaiterais partager les paroles de Marie-Cécile Sergent, que je salue : « J’appelle les membres de cette commission à impérativement conserver à l’identique le texte de loi issu du Sénat. Il est absolument nécessaire qu’une législation encadre cette solidarité fiscale sans laisser à l’administration fiscale la maîtrise de la décision par un recours gracieux, afin que de tels abus ne puissent plus se produire. Il est temps d’en finir avec cette violence administrative et économique faite aux femmes. »
Vous faites de l’article 2 l’alpha et l’oméga de la nouvelle doctrine de l’administration sur la solidarité fiscale. Or, tel qu’il est rédigé, cet article ne définit même pas la notion de « tiers », qui fonde la possibilité d’octroi du recours gracieux et, de ce fait, n’oriente aucunement l’appréciation portée par les services fiscaux.
M. le ministre vient d’évoquer une instruction fiscale de Bercy publiée au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) d’ici à l’été… Et notre rapporteure, si la doctrine ne change pas, promet de revenir sur cette question lors du prochain budget avec un amendement déjà adopté deux fois dans cet hémicycle !
Malgré tout, il convient d’apprécier la correction d’une injustice majeure et d’un non-sens juridique, grâce à l’adoption de l’amendement de mon groupe visant à restituer les sommes injustement prélevées aux victimes exonérées, malgré l’opposition du Gouvernement.
À la lumière de ces considérations, les membres de mon groupe choisiront de s’abstenir sur le texte issu de la commission mixte paritaire, privilégiant le principe de la grâce, car ils rejettent l’idée d’accorder, pour solde de tout compte, un simple droit de grâce en matière fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je l’avais dit à cette tribune le 20 mars dernier, et je peux le redire aujourd’hui dans les mêmes termes : la proposition de loi que nous examinons contient des mesures justes, nécessaires et attendues.
À titre liminaire, sur la forme, l’élaboration de ce texte nous prouve une nouvelle fois, s’il le fallait, la capacité de notre bicamérisme à apporter des réponses rapides et efficaces à des problématiques qui touchent malheureusement de nombreux concitoyens.
Les débats qui ont animé nos hémicycles ont été denses, et nos délibérations ont infusé les consensus qui se sont formés en commission mixte paritaire. Le travail de coconstruction de Mmes les rapporteures a été fondamental dans ce processus ; je tiens à les en remercier vivement.
Ce texte répond clairement à un objectif de justice, d’abord en mettant fin à ce que l’on a appelé la « prime au crime ». Il s’agit bien évidemment de priver le conjoint condamné des avantages matrimoniaux nés du contrat de mariage conclu avec la victime.
La jurisprudence civile avait déjà pris cette direction. La sanctuarisation de cette mesure prétorienne dans la loi est d’une évidente nécessité.
Ensuite, l’objectif de justice est également visé dans la solidarité fiscale entre les époux ou partenaires d’un pacte civil de solidarité (Pacs), qui peut donner lieu à des situations dont les femmes sont les principales victimes.
En effet, 80 % des dettes fiscales concernent les femmes, alors que la séparation entraîne déjà une perte sensible de revenus pour une grande majorité d’entre elles.
Si les dispositions civiles de ce texte ont fait l’objet d’un consensus assez clair, la partie fiscale a, quant à elle, été l’occasion de compromis plus subtils, qui nous semblent tout de même aller dans le bon sens.
En premier lieu, je pense que nous pouvons nous réjouir de l’apport maximaliste de la nouvelle rédaction de l’article 1er issu de la commission mixte paritaire. Les amendements du Sénat ont été largement conservés ; je pense en particulier à la meilleure intégration des situations d’emprise entre époux.
Ces situations sont malheureusement bien connues des associations qui soutiennent les victimes. Mme la rapporteure Florennes a su convaincre les membres de la commission mixte paritaire du bien-fondé de la solution proposée par le Sénat.
La faculté de pardon de la victime, qui a été supprimée, nous rappelle le débat toujours vif sur la prise en compte du consentement par le droit, qu’il soit civil ou pénal. Il me semble, en l’espèce, qu’un consensus a été trouvé en faveur de la protection des victimes.
Je salue également le rétablissement de la disposition relative aux biens propres apportés à la communauté par l’époux victime, qui renforce encore l’objectif visé dans le texte.
À l’article 1er bis A, le rétablissement de l’inventaire dans une communauté de biens, à la demande des héritiers ou du ministère public en cas de décès de l’un des époux, constitue également une mesure bienvenue pour trouver une solution juste.
En second lieu, sur la partie fiscale, les débats au sein de cet hémicycle avaient abouti à des dispositions ambitieuses en matière de protection des victimes par l’adoption des articles 2 bis A et 2 bis B.
Leur suppression en commission mixte paritaire s’appuie sur des engagements pris par Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics, en concertation avec le collectif Femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale. Ces engagements devront être tenus, c’est un impératif moral et politique.
Il est indispensable d’apporter une réponse lisible et facilitatrice pour les victimes, qui peuvent être emportées dans la machine administrative de Bercy.
Enfin, la nouvelle rédaction de l’article 2 est plus protectrice et nous semble correspondre aux attentes du Sénat.
En conséquence, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera à l’unanimité en faveur de ce texte, qui constitue une réponse importante. Nous veillerons à son application convenable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille répond à un impératif majeur, celui de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.
Certes, les droits des femmes ne cessent de progresser. Mais croire que le combat est terminé irait à l’encontre de nos principes républicains. Ce serait nier leur universalité : il est ici question de justice !
Justice pour toutes ces femmes, longtemps ignorées, stigmatisées et emmurées dans un sentiment de culpabilité et de honte que leur inspirent les violences qu’elles ont subies.
Justice pour toutes ces femmes séparées, victimes des dettes contractées par leur ex-mari.
Il est intolérable que de telles situations soient encore permises par notre droit, au détriment de celui des femmes. Cela n’a que trop duré ; il est de notre devoir d’y mettre un terme.
Alors que les femmes constituent 86 % des victimes de violences au sein du couple et font l’objet de 82 % des homicides conjugaux, il est inacceptable que le conjoint ayant volontairement provoqué la mort de son épouse puisse profiter des avantages tirés de son régime matrimonial.
Aussi, je me réjouis qu’à l’issue de la commission mixte paritaire sénateurs et députés soient parvenus à un texte commun.
Plus particulièrement, je tiens à saluer le consensus qu’ont suscité la mise en place du régime de déchéance de plein droit, à l’article 1er, et l’ouverture de la possibilité d’une décharge de responsabilité à titre gracieux, à l’article 2.
La rédaction à laquelle est parvenue la commission retient ainsi plusieurs améliorations apportées par notre assemblée. À cet égard, je tiens à saluer le travail de notre rapporteure, Mme Isabelle Florennes.
Le dispositif de déchéance des avantages matrimoniaux a été renforcé et la suppression de la faculté du pardon laissée à la victime a été maintenue, intégrant les réserves légitimes émises par Mme la rapporteure au sujet des cas d’emprise.
Concernant le volet fiscal, si tous ont condamné la situation injuste des femmes tenues solidairement responsables des dettes fiscales contractées à leur insu par leur ex-conjoint et affirmé leur volonté de mettre fin à ces situations, c’est la manière d’y parvenir qui a fait débat, certains regrettant que le dispositif de décharge à titre gracieux n’aille pas assez loin.
Toutefois, face aux difficultés rédactionnelles soulevées par l’article 2 bis A, qui visait à modifier l’article 1691 bis du code général des impôts, la commission mixte paritaire a jugé préférable de le supprimer.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est montré particulièrement à l’écoute des associations en s’engageant, d’une part, à publier une instruction fiscale avant l’été et, d’autre part, à faire en sorte que les dossiers dont le traitement pouvait paraître injuste puissent bénéficier, au titre du dispositif de décharge gracieuse, d’une meilleure prise en compte.
Enfin, les dispositions introduites par notre collègue Pascal Savoldelli sur la rétrocession des sommes versées par les victimes confèrent un caractère satisfaisant à la rédaction proposée. Nous considérons que ce texte est porteur d’une véritable avancée en matière d’égalité au sein du couple, de justice fiscale et de liberté pour les femmes.
Je tiens ici à saluer l’initiative et l’engagement de l’auteur de cette proposition de loi, le député Hubert Ott, en faveur de la lutte contre les violences intrafamiliales.
Aussi, chers collègues, en votant cette proposition de loi, nous réaffirmons notre engagement en faveur du droit des femmes, nous exprimons avec force notre conviction selon laquelle la violence ne doit faire l’objet d’aucune indulgence et nous rappelons enfin que nul ne doit payer pour un crime qu’il n’a pas commis.
Alors que l’égalité et la liberté sont des piliers fondamentaux de notre République, il est essentiel que ces principes soient vécus comme des réalités par les femmes.
Ainsi, au regard des progrès significatifs qui sont proposés, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte, dont les mesures sont très attendues. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à adopter définitivement la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale dans la famille.
Ce texte bienvenu permettra de mieux encadrer les conséquences d’une séparation au sein d’un couple en cas de violences conjugales.
Cette proposition de loi du député Hubert Ott a fait assez rapidement l’objet d’un consensus et d’un travail transpartisan, qui a permis d’enrichir le texte tout au long de la navette parlementaire.
Je tiens à saluer et à remercier mon collègue Hussein Bourgi, qui s’est chargé de porter la parole du groupe socialiste sur ce texte.
C’est une évidence : mieux lutter contre les violences conjugales, c’est avant tout modifier notre droit pénal, mais c’est aussi adapter d’autres domaines du droit civil, comme le droit patrimonial et le droit fiscal, afin de lutter contre toute forme d’injustice.
Aussi, en vue de remédier aux nombreux écueils auxquels sont confrontés nos concitoyens en matière de droit patrimonial au sein de la famille, le texte issu de la commission mixte paritaire du 14 mai dernier est plus que salutaire.
Première incohérence législative, et pas des moindres : il est possible aujourd’hui de tuer son conjoint et d’en hériter. C’est une aberration de notre droit civil qu’il était urgent de corriger. Ce sera chose faite avec l’article 1er, qui crée le régime juridique de la déchéance matrimoniale, notamment lorsqu’un époux attente à la vie de son conjoint ou de sa conjointe ou lorsqu’il lui inflige des sévices.
Il était indigne que les époux meurtriers ou violents puissent tirer avantage de la convention matrimoniale. Cette grave lacune sera réparée et le dispositif s’appliquera aux conventions matrimoniales en cours.
La solidarité fiscale entre conjoints est un principe fondamental de notre droit, mais elle peut aussi entraîner de profondes injustices.
Pour les contrer, notre droit a lentement évolué au cours de ces dernières décennies, notamment par l’adoption de la décharge de solidarité fiscale, en 2008, et par l’assouplissement des conditions d’appréciation de l’état financier des conjoints lors d’une séparation, en 2022.
Ces dispositions sont toutefois bien loin d’être suffisantes et nombre de requérants se heurtent aux interprétations du droit particulièrement restrictives de l’administration fiscale.
En cas de séparation, la dette fiscale peut peser injustement sur l’un des conjoints. Dans 80 % des cas, ce sont les femmes qui en sont les premières victimes. Ce risque peut créer des situations dramatiques, plaçant nombre d’entre elles dans une précarité financière intenable. Nous étions quelques-uns ici à avoir déposé des amendements contre ces injustices fiscales dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024.
Le groupe socialiste salue donc l’article 2, qui restreint l’assiette du patrimoine prise en compte pour apprécier l’existence ou non d’une disproportion marquée entre la dette fiscale due par le demandeur et sa situation financière et patrimoniale. Cette disposition devrait être de nature à ne pas faire peser sur le conjoint de bonne foi une charge fiscale trop lourde.
En revanche, nous regrettons la suppression en commission mixte paritaire des articles 2 bis A et 2 bis B, prévoyant respectivement la création d’une nouvelle condition d’octroi de décharge de responsabilité solidaire et l’appréciation de la situation patrimoniale et financière du demandeur d’une décharge de responsabilité solidaire.
Ces articles, issus des travaux du Sénat, avaient été adoptés contre l’avis de Mme la rapporteure. Ils faisaient cependant l’objet d’un large consensus, ayant été déposés non seulement par les groupes de gauche, mais également par des collègues issus des travées du centre et de la droite.
Malgré ces regrets, il est indéniable que cette proposition de loi vient mettre un terme à des situations invraisemblables dans lesquelles des époux fautifs étaient susceptibles de tirer avantage de règles matrimoniales défectueuses et imparfaites.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera donc en faveur de ce texte, qui constitue une avancée bienvenue dans la lutte contre les violences conjugales et qui tend, au travers de réponses concrètes, à réparer des injustices touchant très majoritairement les femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient d’exposer la position du groupe Les Républicains sur les conclusions de cette commission mixte paritaire.
La situation actuelle démontre, me semble-t-il, que si le droit, dont la fonction première est d’assurer la sécurité dans les relations sociales, ne se confond pas avec la morale et l’équité, il ne peut néanmoins trop s’en éloigner, sauf à devenir inapplicable.
Tel est le cas, premièrement, lorsque les situations légales ou contractuelles dictées par une vie de couple normale perdurent, alors même que tous les principes qui régissent la vie de couple, tels que le respect ou la confiance, ont eux-mêmes disparu.
Je ne m’attarderai pas sur ce point, qui a été déjà souligné à de multiples reprises : les avantages matrimoniaux liés au contrat de mariage et qui ont donc été consentis par les deux époux ne peuvent perdurer en cas de violence, a fortiori lorsque cette violence conduit à la mort du conjoint.
De ce point de vue, la décision de la commission mixte paritaire – j’espère que nous la validerons à notre tour – est bienvenue.
Tel est le cas, deuxièmement, lorsque la créance fiscale est uniquement liée à une acquisition frauduleuse de revenus ignorée du conjoint, lequel doit pourtant bien s’acquitter de cette dette fiscale dont il est tenu solidairement.
Là encore, la décharge de responsabilité solidaire est bienvenue, même si je ne peux que m’associer aux propos de plusieurs des orateurs précédents qui ont regretté que nous n’ayons pu conserver – je vois que Mme Darcos acquiesce – le bénéfice de certaines dispositions votées au Sénat.
C’est avec ce léger bémol, et en prenant acte des engagements de M. le ministre, que le groupe Les Républicains approuvera et votera les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mmes Nicole Duranton et Dominique Vérien applaudissent également.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille s’inscrit dans la continuité de notre engagement commun pour faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une réalité et de la lutte contre les violences conjugales une préoccupation de chaque instant.
Ce texte est primordial, car il apporte des réponses concrètes à des situations inacceptables. En effet, de graves lacunes, lourdement préjudiciables aux victimes de violences conjugales, perdurent dans notre droit des régimes matrimoniaux.
Aujourd’hui encore, en l’état du droit, un mari peut tuer son épouse et, malgré tout, jouir de la pleine propriété de l’ensemble des biens communs ! Comment une situation aussi injuste a-t-elle pu perdurer jusqu’en 2024 ?
Aussi, je me réjouis que, sur ce point, la commission mixte paritaire ait été conclusive. Un vide juridique tout à fait insupportable sera comblé dans quelques instants.
Si ce texte contient des avancées réelles, je regrette, comme d’autres de mes collègues, la suppression pure et simple des articles 2 bis A et 2 bis B portant sur les conditions d’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire.
Le Sénat avait adopté deux mesures favorables à la justice patrimoniale au sein de la famille, qui est l’objet même de la présente proposition de loi. Elles ont été supprimées par la commission mixte paritaire malgré la mobilisation des sénatrices et des sénateurs et de celle des associations de femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale.
Sur ce point, monsieur le ministre, permettez-moi de rappeler que vous aviez jugé inapproprié de les faire figurer dans le dernier projet de loi de finances. Vous nous aviez alors incités à les faire adopter dans le cadre d’un véhicule législatif plus adapté. Ces dispositions consistaient, je le rappelle, en la création d’une nouvelle condition d’octroi de décharge de responsabilité solidaire tenant compte de l’origine frauduleuse de la dette contractée par le conjoint. Nous y sommes.
Par ailleurs, nous avions souhaité que les biens et droits immobiliers détenus antérieurement à la date du mariage ou de conclusion du pacte civil de solidarité soient écartés lors de l’examen de la situation patrimoniale du demandeur – j’ai entendu vos propos sur l’héritage, monsieur le ministre, mais il ne s’agit pas de la seule situation d’octroi de biens et de droits immobiliers…
La dette fiscale, souvent contractée à l’insu du conjoint, peut constituer un terrible fardeau pour certaines femmes. Le rejet de leur demande par l’administration fiscale représente pour elles une double peine très injuste. Comme d’autres, j’ai été très touchée par le témoignage de Marie-Cécile, publié dernièrement dans le quotidien Libération. Je vous invite à le lire attentivement, monsieur le ministre : ce témoignage, qui n’est malheureusement pas unique, en dit long sur la logique administrative qui est à l’œuvre.
Des familles déchirées, des vies brisées à jamais, la saisie de biens personnels qui constituaient une garantie contre les aléas de la vie des couples, une précarité indicible, une dette impossible à rembourser… voilà le triste résultat d’une politique fiscale qui, à défaut de faire payer le seul responsable des dettes, s’acharne sur celles qui se tiennent encore debout.
Certes, il reste le dispositif de remise gracieuse pour l’ex-conjoint en mesure de prouver qu’il est extérieur à la fraude à l’origine de la dette fiscale. Il pourra être considéré comme tiers à cette dette et, de ce fait, être exonéré de son paiement.
En outre, ce dispositif de remise gracieuse bénéficiera, sur proposition du Sénat, aux dossiers en cours n’ayant pas fait l’objet d’une décision définitive.
La suppression des autres dispositions par la commission mixte paritaire me semble être une erreur. Il s’agit d’un recul par rapport au texte plus protecteur issu des travaux du Sénat. Toutes, de mon point de vue, étaient parfaitement conciliables.
Monsieur le ministre, j’ai pris bonne note de vos engagements et je ne doute pas de votre bonne foi. Je vous sais sensible à la cause de ces femmes qui ont tout perdu du fait des agissements de leur ex-conjoint.
Bien sûr, j’aurais préféré que soient inscrites dans la loi les mesures que nous proposions, car je crois infiniment plus en la force protectrice de la loi qu’en la mansuétude suggérée par une circulaire ou par une instruction ministérielle. Dont acte.
Croyez bien que je demeurerai extrêmement attentive à l’évolution de la situation de ces femmes, comme beaucoup de mes collègues ici présents. Je saisis au vol la proposition de la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de participer à une mission flash en cas de manquements.
En tout état de cause, le projet de loi de finances pour 2025 pourrait nous donner l’occasion de revenir sur ce sujet douloureux si les avancées proposées tardaient à être mises en œuvre.
Avant de conclure, je tiens à saluer l’engagement des associations, qui militent activement pour mettre un terme définitif à ces injustices insupportables faites aux femmes divorcées. Elles sont admirables de dignité et sont un vrai creuset de solidarité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi comporte tout de même des avancées indéniables en faveur des droits des femmes. Parce qu’elle contribue significativement à défendre la justice patrimoniale, le groupe Les Indépendants – République et Territoires lui apportera son soutien unanime. (Mmes Nicole Duranton et Dominique Vérien, ainsi que M. Michel Masset, applaudissent.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
10
Ingérences étrangères en France
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, visant à prévenir les ingérences étrangères en France (proposition n° 479, texte de la commission n° 596, rapport n° 595, avis n° 593).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire sur ce texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, la démocratie ne fonctionne que lorsque nos concitoyens sont éclairés et leurs consciences informées.
Les ennemis de la démocratie ont bien compris que la bonne information des citoyens était en réalité la clé de voûte de notre système. C’est pourquoi ils s’en prennent de manière régulière et relativement intense – nous le constatons ces derniers mois – à cette clé de voûte, en instillant dans le débat public le virus de la désinformation afin de le polariser, de le radicaliser et, in fine, de dévitaliser notre démocratie.
Aussi, je veux saluer le travail des rapporteurs Agnès Canayer et Claude Malhuret et celui des commissions des lois et des affaires étrangères sur cette question fondamentale de l’influence et des ingérences étrangères.
La proposition de loi traite d’abord de l’influence étrangère en créant un « bouclier de transparence », afin que les Français soient dûment informés des activités ordonnées ou dirigées par des puissances étrangères au travers de mandataires pour influencer débat public et politiques publiques.
Dans cet objectif, l’article 1er prévoit la constitution d’un registre placé sous la responsabilité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Je veux remercier Mme la rapporteure de son apport décisif en commission, qui a permis de matérialiser précisément ce qui relève d’une activité d’influence, en particulier d’identifier les personnes physiques ou morales qui, en raison des contacts qu’ils auraient établis avec des mandants étrangers, présenteraient toutes les caractéristiques de personnes agissant pour le compte d’intérêts étrangers. Il était important de définir cette matérialité.
Le deuxième volet majeur de cette proposition de loi est la lutte contre les ingérences étrangères, lesquelles se distinguent de l’influence étrangère en ce qu’elles sont malveillantes et illégales.
Encore faut-il, face à ces ingérences étrangères, que nous disposions d’un véritable bouclier démocratique permettant de leur faire échec, de la même manière que l’on fait échec à la propagation d’un virus.
Cela passe d’abord par le développement de moyens de détection permettant d’identifier les manœuvres informationnelles ; ensuite, par des dispositifs de traitement visant à dissuader leurs protagonistes et notamment à supprimer leurs comptes sur les réseaux sociaux ; enfin, nous devons aussi atteindre une forme d’immunité collective si nous voulons éviter nous-mêmes, en tant que citoyens, d’être contaminés et de contaminer les autres.
Depuis quelques années, nous avons commencé à construire ce bouclier démocratique. En atteste la création, en 2021, de Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, sous l’impulsion du Président de la République, ou encore les lois européennes telles que le règlement sur les services numériques, qui impose aux grandes plateformes de réseaux sociaux de lutter activement contre la désinformation.
À ce bouclier en construction, la proposition de loi vient apporter au moins deux nouveaux chapitres bienvenus.
Le premier figurait déjà dans la proposition de loi transmise au Sénat. Je veux parler de l’article 4, qui permet de mobiliser les algorithmes et, en sollicitant les données sources ouvertes, de donner aux services de renseignement les moyens d’anticiper, de détecter, de caractériser et d’attribuer des opérations de manipulation de l’information.
Je veux aussi saluer la nouveauté introduite par le Sénat en commission, à savoir le dispositif extrêmement dissuasif de renforcement des sanctions et des peines applicables à l’encontre des personnes se rendant coupables d’atteinte aux biens et aux personnes lorsqu’elles le font pour le compte d’une puissance étrangère. Dans ce cas précis, le parquet de Paris pourra être saisi et les peines encourues pourront être doublées.
Il s’agit clairement de renforcer le caractère dissuasif de notre arsenal répressif à l’encontre des auteurs et des protagonistes de manœuvres informationnelles et d’opérations de manipulation de l’information.
Dans une période où la démocratie est attaquée par des ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, qui ont bien compris que celle-ci vacillait lorsque les citoyens n’étaient pas pleinement informés et lorsque les consciences n’étaient pas éclairées, il était indispensable, face à l’influence comme aux ingérences étrangères, de renforcer notre arsenal répressif et de nous doter des outils adéquats.
Avec cette proposition loi, nous faisons la transparence sur les activités d’influence étrangère et nous nous donnons les moyens de détecter et de sanctionner les auteurs d’opérations de manipulation de l’information, comme nous en avons connu de très nombreuses ces dernières semaines, ces derniers mois, voire ces deux dernières années depuis le lancement de la guerre d’agression russe en Ukraine par Vladimir Poutine.
En conclusion, je voudrais remercier une nouvelle fois les rapporteurs et les commissaires pour leur travail, en espérant que nos débats nous permettent d’affiner encore ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Annick Girardin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les comportements hostiles de pays étrangers destinés à déstabiliser la France ne sont malheureusement pas de simples scénarios de politique-fiction. Les ingérences étrangères ont toujours existé.
De forme classique comme l’espionnage, elles permettent de capter des renseignements stratégiques ou sensibles.
Plus modernes, les cyberattaques sont aussi des outils d’ingérence étrangère, tout comme les opérations d’influence ou de sharp power, qui permettent de manipuler l’information à l’aide d’un narratif tronqué, en vue d’affaiblir nos institutions démocratiques.
Mises en lumière par l’affaire des « Macron Leaks », en 2017, ou par les opérations « Story Killers », en 2023, les ingérences étrangères se développent souvent sur des terreaux déjà fragilisés.
De Mayotte à la Nouvelle-Calédonie, les outre-mer sont ces derniers temps les cibles de telles opérations, notamment celle qui met en cause l’Azerbaïdjan et le groupe de Bakou, récemment dénoncée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.
Comme le constatait la délégation parlementaire au renseignement (DPR) dans son rapport sur les ingérences étrangères en 2022, la menace est aujourd’hui « protéiforme, omniprésente et durable ».
Pour tenter de contrecarrer ces actions hostiles soutenues par des pays tiers, la DPR a fait vingt-deux propositions, dont quatre d’ordre législatif. Ces dernières ont été reprises dans la proposition de loi du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Sacha Houlié, aujourd’hui soumise à notre examen.
Ces nouveaux outils doivent compléter l’arsenal juridique français, qui est insuffisamment adapté à l’évolution de la menace.
Le premier outil, prévu à l’article 1er, consiste à créer un répertoire des acteurs de l’influence réalisée pour le compte d’un mandant étranger.
Ce dispositif est inspiré du modèle américain Foreign Agents Registration Act (Fara). Il sera tenu et rendu public par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Le fait, pour un représentant d’intérêts étrangers, de ne pas se plier à cette obligation de transparence serait puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
L’article 2 prévoit la remise bisannuelle au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur l’état de la menace résultant d’ingérences étrangères.
L’article 3 vise les moyens dévolus par le code de sécurité intérieure aux services de renseignement français. Il tend à étendre aux cas d’ingérences étrangères la technique dite de l’algorithme, autorisée initialement dans le seul cadre de la lutte contre le terrorisme.
Enfin, l’article 4 permet à l’administration de geler les avoirs des personnes physiques ou morales pratiquant des actes d’ingérence étrangère.
Lors de ses débats, le 27 mars dernier, l’Assemblée nationale a enrichi le texte initial : d’une part, en obligeant les think tanks à déclarer auprès de la HATVP la liste des dons ou versements provenant d’une puissance ou d’une personne morale étrangère ; d’autre part, en étendant explicitement l’application de ces dispositions aux territoires de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna.
La commission des lois du Sénat estime que cette proposition de loi apporte une réponse bienvenue et équilibrée aux insuffisances de notre cadre juridique.
Le texte concilie renforcement des exigences de transparence et affermissement des capacités concrètes pour une meilleure prévention des ingérences étrangères.
Cependant, lors des auditions menées conjointement avec le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères et de la défense, Claude Malhuret, que je remercie pour sa collaboration constructive, il nous est apparu nécessaire de consolider les dispositifs proposés.
Plusieurs amendements de fond adoptés en commission visent ainsi à mieux garantir l’opérationnalité du nouveau répertoire des acteurs de l’influence étrangère.
À cette fin, nous avons proposé une plus grande autonomisation de ce répertoire par rapport à celui des représentants d’intérêts, prévu par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2.
Si certains lobbyistes sont aussi des acteurs de l’influence étrangère, tous les représentants d’intérêts ne travaillent pas pour des mandants étrangers. La création d’un registre autonome spécialement consacré aux acteurs de l’influence étrangère assurera au dispositif une plus grande transparence et une plus grande efficacité.
La clarification de la notion d’« influence étrangère » était également nécessaire afin de mieux définir le champ d’application de l’obligation de déclaration.
La commission des lois a ainsi considéré que l’élément intentionnel devait s’additionner au critère matériel. L’intention consiste à agir sur l’ordre, à la demande ou sous la direction ou la contrainte d’un mandant étranger, aux fins de promouvoir les intérêts de ce dernier et d’influer sur une décision publique ou sur la conduite d’une politique publique.
L’action d’influence peut prendre trois formes : entrer en communication avec une personne cible, réaliser une action de communication à destination du public ou encore collecter des fonds ou procéder à des versements sans contrepartie.
Le Sénat a par ailleurs étendu la liste des personnes cibles, c’est-à-dire celles qui peuvent être visées par l’action d’influence au profit d’une puissance étrangère : aux cibles déterminées par la loi Sapin 2 ont été ajoutés les anciens présidents de la République, les membres du Gouvernement, les députés et sénateurs pendant une durée de cinq ans à partir de la fin de leur mandat, les candidats à une élection nationale à partir du dépôt officiel de candidature ainsi que les élus locaux des communes de plus de 20 000 habitants et non 100 000, comme initialement prévu.
Le Sénat a aussi renforcé le pouvoir de contrôle de la HATVP. Sans disposer d’un pouvoir de sanction administrative, la Haute Autorité pourra mettre en demeure les récalcitrants, procéder à des vérifications sur place et sur pièces, sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) et en présence d’un officier de police judiciaire (OPJ), et prononcer des astreintes à hauteur de 1 000 euros par jour.
Enfin, nous avons souhaité reporter l’entrée en vigueur de cette nouvelle obligation de déclaration au 31 décembre 2025. La HATVP nous a en effet indiqué qu’elle ne pourrait être prête à la fin de l’année 2024, comme le texte le prévoyait initialement, en raison des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.
Afin de mieux assurer le contrôle du recours aux algorithmes, l’article 3 a par ailleurs fait l’objet de deux modifications.
La proposition de loi vise en effet à étendre cette technique, réservée aux services de renseignement du premier cercle, à la lutte contre les ingérences étrangères à titre expérimental pour quatre ans.
La commission des lois du Sénat a renforcé les contrôles assurés tant par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) que par la délégation parlementaire au renseignement. Elle a aussi fixé la fin de l’expérimentation au 1er juillet 2028.
Enfin, pour compléter les outils mis à disposition des autorités administratives et judiciaires, deux nouveaux dispositifs ont été ajoutés.
D’une part, possibilité est donnée à la HATVP de contrôler, au titre des mobilités public-privé et de la reconversion professionnelle des anciens ministres, présidents d’exécutifs locaux et membres d’une autorité administrative ou publique indépendante, les risques d’ingérence étrangère, et ce pendant cinq ans.
Selon le rapport de l’OCDE du 19 avril dernier, de nombreuses actions d’influence étrangère sont menées auprès de décideurs publics nationaux ou locaux plusieurs années après la fin de leurs fonctions, en raison de leur important réseau et de l’influence qu’ils continuent d’exercer sur la vie publique.
D’autre part, un dispositif pénal prévoyant une circonstance aggravante lorsqu’une atteinte aux biens ou aux personnes est commise pour le compte d’une puissance étrangère a été introduit.
Les services d’enquête pourront par ailleurs avoir recours aux techniques spéciales d’enquête. Ces outils d’ordre judiciaire complètent la possibilité de gel des avoirs, recentrée sur une fonction préventive.
Cette proposition de loi opportune permet d’étendre la palette des moyens légaux de prévenir les ingérences étrangères et de combler les failles de notre cadre juridique très libéral.
Si nous pouvons compter sur l’efficacité de nos services de renseignement, ces derniers doivent pouvoir disposer de moyens adaptés à l’évolution de la menace. Il y va de la préservation de notre démocratie.
Malheureusement, cette loi arrivera trop tard pour les élections européennes et pour les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, qui risquent, en 2024, de concentrer les tentatives d’ingérence étrangère de pays hostiles souhaitant déstabiliser nos institutions.
« Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble » : la devise olympique est particulièrement adaptée aux enjeux de la lutte contre les ingérences étrangères.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous demandons d’adopter cette proposition de loi issue des travaux de la délégation parlementaire au renseignement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Vanina Paoli-Gagin et M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle guerre a commencé et nous tardons à le comprendre.
Au XXe siècle, au terme d’un combat de cent ans contre les totalitarismes, les démocraties l’ont emporté. Comme Kant, nous avons cru à tort à la paix perpétuelle. Les dictatures sont revenues, bien décidées à prendre leur revanche, unies contre nous.
Le plus étonnant dans notre déni, c’est que nos ennemis ne se cachent pas. Poutine, Xi, Khamenei et quelques autres déclarent ouvertement qu’ils veulent notre perte et le changement de l’ordre du monde.
Plus surprenant encore, à l’est de l’Europe, en mer de Chine, au Moyen-Orient ou en Afrique, la vraie guerre, la guerre traditionnelle, la guerre des armées et des canons, se déroule devant nous, sur nos écrans. Mais au lieu de nous alerter, nombre de dirigeants de nos démocraties font tout, comme dans les années 1930, pour rassurer. Combien de fois avons-nous entendu, ces derniers mois : « Nous ne sommes en guerre avec personne, nous ne voulons la guerre avec personne. » Quelle étrange idée, quand vos ennemis annoncent qu’ils veulent vous détruire, que de prétendre ne pas être en guerre.
La guerre qu’on ne voit pas venir, titre d’un livre de Nathalie Loiseau que chacun devrait lire, est nouvelle et différente des précédentes. Le monde a changé, la guerre aussi.
Campagnes de désinformation, manipulation des opinions publiques, noyautage des réseaux sociaux, fake news, fermes à trolls, cyberattaques, infiltration des milieux politiques et des affaires… C’est le fondement de nos démocraties qui est attaqué de l’intérieur, sans victime apparente, sans coupable identifié, mais avec des dégâts sur nos institutions qu’il faut être aveugle pour ne pas voir.
C’est la première branche de la tenaille, l’ingérence, que nous faisons semblant d’ignorer.
En 2018, ici même au Sénat, j’ai réclamé l’interdiction de la chaîne Russia Today et de l’agence Sputnik. Le ministre d’alors m’a répondu : vous n’y pensez pas, et la liberté d’expression ? La liberté d’expression pour des organes de propagande du FSB, le service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, pilotés depuis Moscou !
Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, leur interdiction a été décidée, dans la panique, dans toute l’Europe. Quel meilleur exemple de notre naïveté congénitale ?
Avons-nous compris aujourd’hui ? J’ai bien peur que non ! J’ai demandé à la Commission européenne de prendre des mesures contre TikTok si cette plateforme continuait de se moquer des règles du Digital Services Act (DSA). Elles tardent à venir…
À Nouméa, le Gouvernement a très bien compris le rôle majeur de TikTok dans la propagation des émeutes ; il a eu le courage de décider sa suspension. Le ministre est déjà assigné en justice par les ONG gauchistes pour atteinte à la liberté d’expression…
Je l’ai déjà dit, et je le redis ici avec solennité : tant que l’on considérera les plateformes, ces banques de la colère, comme des hébergeurs, et non comme des éditeurs, avec le régime de responsabilité et les sanctions qui s’y attachent, nous perdrons la bataille de la désinformation, c’est-à-dire la bataille de la démocratie.
Mmes Catherine Morin-Desailly et Nathalie Goulet. On l’a dit de nombreuses fois !
M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis. Après l’ingérence, la deuxième branche de la tenaille, c’est la cinquième colonne : l’extrême droite, qui finit toujours dans le camp de l’étranger par haine de son propre pays, et l’extrême gauche, dont la candeur l’empêche de voir que la paix suppose la puissance. Ce sont les courroies de transmission des tyrannies et c’est sur elles que se concentrent aujourd’hui les enquêtes pénales pour intelligence avec l’étranger, chez nous comme au Parlement européen.
Cette proposition de loi a deux vertus.
Tout d’abord, elle marque la fin du déni. L’ampleur des ingérences en Europe est incroyablement sous-estimée. Il faudra des années pour convaincre de son caractère massif – il est plus que temps de commencer.
Ensuite, elle prévoit des moyens pour faire face à la menace. Jean-Noël Barrot et Agnès Canayer, notre rapporteur au fond, que je remercie, viennent d’en faire l’analyse détaillée.
Ce texte est donc bienvenu et la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat le soutient. Mais le chemin à parcourir est gigantesque et ce premier pas est encore timide. La loi américaine Fara, l’équivalent aux États-Unis du texte que nous examinons, date de 1938 ; en Grande-Bretagne, une loi similaire a été adoptée voilà déjà plusieurs années. C’est dire le retard que nous devons rattraper.
Quant aux moyens, les chiffres sont carrément terrifiants : on compte plusieurs centaines de milliers d’agents au sein des organes de désinformation, de cyberguerre, de censure et des fermes à trolls en Russie, plusieurs millions en Chine.
Pour y faire face, la France a créé un commandement de la cyberdéfense, rattaché au chef d’état-major des armées. Il compte 3 500 membres. Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, comptait, en 2023, 42 agents. Enfin la gestion du registre prévu par la proposition de loi que nous allons voter sera confiée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui compte 71 agents – elle devra assumer cette charge supplémentaire à effectif constant. Ces chiffres, à eux seuls, résument l’incroyable disproportion des forces au début de ce XXIe siècle.
Chaque jour apporte son lot de nouvelles attaques. La dernière provocation de la Russie, qui n’a pas hésité hier à souiller le mémorial de la Shoah à Paris et à tenter de mettre à bas l’ensemble du réseau internet de Nouvelle-Calédonie, est un nouveau signal de l’urgence à identifier et à combattre les ingérences étrangères dans notre pays. C’est ce que nous allons faire ce soir ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, SER, UC et Les Républicains.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme G. Jourda, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 22.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France (n° 479, 2023-2024).
La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la motion.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé la création au Sénat, sur l’initiative de notre collègue Rachid Temal, d’une commission d’enquête sur les politiques publiques à mettre en place face aux opérations d’influences étrangères. Ses travaux ont commencé au début de l’année et doivent s’achever en juillet prochain.
En conséquence, nous déposons une motion de renvoi à la commission afin de suspendre l’examen de ce texte, pour laisser à la commission d’enquête le temps de terminer ses travaux.
Un tel report serait sans incidence sur l’agenda parlementaire puisque la présente proposition de loi n’entrera pas en vigueur avant le 31 décembre 2025, ainsi qu’en a décidé la commission des lois, sur l’initiative de sa rapporteure.
Au-delà de cette considération technique, un tel report serait une manifestation du respect porté aux travaux engagés par le Sénat. Il permettrait surtout de réaliser un travail plus approfondi, et donc plus efficace, au bénéfice d’un objectif largement partagé : celui d’améliorer notre législation pour mieux protéger la France des risques d’ingérence étrangère qu’ont décrits tous les orateurs précédents.
Cet objectif constitue le fil directeur de notre commission d’enquête.
Depuis quatre mois, nous auditionnons des chercheurs, des experts, des directeurs d’administration centrale et de services, des ministres, des journalistes, des ambassadeurs, des militaires. Nous nous déplaçons aussi afin de bien apprécier l’ampleur de la menace flagrante que représentent les ingérences étrangères.
Le constat est brutal : la France est devenue une cible privilégiée des ingérences étrangères, comme le montrent les campagnes de dénigrement de notre pays en Afrique, les tentatives de manipulation du débat public en période électorale, la remise en cause de la légitimité de la France dans les outre-mer, les opérations de désinformation sur notre action en Ukraine ou sur nos positions sur le conflit entre Israël et le Hamas et, plus récemment, l’action de l’Azerbaïdjan.
L’Europe est-elle à la hauteur ? Longtemps elle ne l’a pas été. Nous l’avons souligné, avec Pascal Allizard, dans notre rapport d’information La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ? Nous y formulions des pistes de réflexion, qui se révèlent aujourd’hui totalement pertinentes.
Reconnaissons toutefois qu’elle commence à prendre des mesures, comme en témoigne l’ouverture, voilà quelques semaines, d’un nouveau front contre le protectionnisme chinois. Mais ne nous y trompons pas : répéter indéfiniment comme un mantra que la Chine est un concurrent et un rival systémique ne suffit pas à définir une politique européenne à la hauteur des enjeux. Surtout, le risque est grand d’oublier que nous avons d’autres rivaux. La Chine n’est pas le seul pays à avoir la France dans le viseur !
Cette lucidité nouvelle traduit, espérons-le, la fin de notre aveuglement stratégique. Nous ne pouvons plus être naïfs, nous devons faire preuve de détermination et de courage pour maintenir un cap, celui de la prévention et de la lutte efficace contre les ingérences étrangères.
Tels sont les enjeux de notre commission d’enquête. Il s’agit de dresser un état des lieux actualisé de la situation ; d’élaborer une cartographie des menaces actuelles et futures qui pèsent sur notre pays ; d’analyser la capacité de nos outils à y répondre, en dressant un bilan des politiques publiques déjà mises en place ; de réaliser un travail prospectif pour mieux anticiper les évolutions du phénomène.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, cette commission d’enquête a un rôle important. Elle émettra des recommandations pour améliorer notre législation.
La proposition de loi que nous examinons ce soir va certes dans le bon sens. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage au travail de Sacha Houlié, mon collègue au sein de la délégation parlementaire au renseignement. Mais elle n’est qu’une pierre dans le grand édifice que nous devons construire. Nous aurions préféré que ce texte prenne la forme d’un projet de loi : il aurait ainsi comporté une étude d’impact, que nous aurions pu utilement mettre à profit.
Il nous appartient désormais d’étoffer notre arsenal, raison pour laquelle nous devons attendre les conclusions de notre commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission, car nous pensons que le débat est nécessaire.
Nous partageons le constat que la menace d’ingérence étrangère est prégnante, qu’elle évolue de manière protéiforme et qu’il est donc nécessaire que le Parlement se saisisse de la question. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait la commission d’enquête sénatoriale sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères et la délégation parlementaire au renseignement. Leurs travaux montrent que notre débat est justifié.
Par ailleurs, mes chers collègues, nous ne maîtrisons pas l’ordre du jour et nous ne pouvons repousser la date d’examen de ce texte.
La discussion est déjà bien documentée. Comme vous l’avez souligné, la délégation parlementaire au renseignement a émis un certain nombre de préconisations. La commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, qui était présidée par M. Tanguy, et dont la rapporteure était Mme Le Grip, a aussi fait des propositions.
Il me semble urgent et nécessaire de poser une première pierre aujourd’hui, en examinant ce texte. Je ne dis pas qu’il constitue l’alpha et l’oméga. Il méritera d’être complété par la suite et je suis convaincue que les travaux de notre commission d’enquête sénatoriale permettront d’apporter une autre pierre à l’édifice.
J’ajoute enfin que le report de l’entrée en vigueur au 31 décembre 2025 ne concerne que l’obligation de déclaration sur le répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger. Les autres dispositions, qu’il s’agisse du recours aux algorithmes, des mesures judiciaires ou du gel des avoirs, seront applicables dès l’adoption de la loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Comme l’a indiqué Mme le rapporteur, on ne peut plus attendre pour mettre en œuvre les mesures qui figurent dans cette proposition de loi.
Voyez ce qui se passe en Allemagne : le principal collaborateur de la tête de liste du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) pour les élections européennes a été inquiété par la justice pour des faits d’espionnage au profit de la Chine ; le deuxième sur la liste est, quant à lui, inquiété pour des faits de corruption – il est suspecté d’avoir reçu de l’argent de la part de la Russie pour propager de la désinformation et de la propagande russes dans un contexte préélectoral.
Nous faisons donc face à une menace considérable. À cet égard, les dispositions de l’article 4 bis, qui alourdit significativement les peines encourues en cas d’atteinte aux biens ou aux personnes lorsqu’elles sont réalisées sur le mandat d’une puissance étrangère, sont de nature à protéger le débat public en France et, plus généralement, à garantir la qualité de l’information à disposition des citoyens.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Madame la rapporteure, si je comprends bien, mais je me trompe peut-être, la loi entrera en vigueur le 31 décembre 2025 ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Non !
M. Pascal Savoldelli. Dans ce cas, il faut nous donner la bonne date !
Il faut respecter le travail de la commission d’enquête pluraliste du Sénat. Celle-ci poursuit ses travaux et formulera des recommandations qui nous seront certainement utiles, mais qui profiteront aussi à l’Assemblée nationale et au Gouvernement.
S’il est urgent d’adopter ce texte, c’est donc que les mesures votées seront effectives rapidement ; or il est question d’une mise en œuvre en 2025…
Notre rapporteur a raison de souligner que nous ne maîtrisons pas l’ordre du jour des semaines réservées par priorité au Gouvernement. Il est toutefois possible d’utiliser la procédure de renvoi du texte en commission. Le ministre le comprendrait très bien : cela signifierait simplement que le Parlement choisit de poursuivre son travail d’investigation.
Je ne comprends donc pas l’argument consistant à invoquer l’urgence, alors que le texte n’entrera pas en vigueur avant 2025.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Seul l’article 1er entrera en vigueur en décembre 2025, pour que la HATVP ait le temps de s’organiser, de construire le répertoire et de se donner les moyens d’en assurer le suivi.
Les autres dispositions de la loi – recours à des algorithmes, gel des avoirs, aggravation des sanctions, etc. – seront applicables dès la promulgation de la loi.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 22, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les ingérences étrangères constituent aujourd’hui l’une des plus grandes menaces qui pèsent sur nos démocraties.
La Russie et la Chine, pour ne citer que ces pays, ont intérêt à perturber nos processus démocratiques. Elles le font d’ailleurs déjà : des députés européens d’extrême droite ont accepté de l’argent russe pour promouvoir la propagande poutinienne ; la tête de liste de l’AfD, en Allemagne, a embauché comme collaborateur au Parlement européen un espion chinois, lequel a eu tranquillement accès, pendant des années, à des documents confidentiels sur la politique commerciale de l’Union européenne ; des députés européens socialistes ont accepté des sacs de billets pour relayer les intérêts du Qatar dans l’hémicycle.
Hier encore, nous apprenions que les mains rouges sur le mur des Justes, au mémorial de la Shoah à Paris, avaient été peintes sur une initiative poutinienne, dans le seul but d’appuyer sur nos divisions, de nourrir ce qui peut nous déchirer et, ce faisant, d’affaiblir nos liens sociaux, qui constituent le ciment de notre démocratie.
Les tentatives d’influence de l’opinion publique depuis l’étranger se multiplient, surtout par le biais de la diffusion de fausses informations et de rumeurs en ligne.
Les puissances étrangères, étatiques ou non, ont un objectif politique : affaiblir nos démocraties et la démocratie européenne, qui constituent un grand obstacle à leur plan. Et elles trouvent ici de nombreux alliés.
L’extrême droite européenne partage, au fond, le même projet : celui de la mise à mal des institutions démocratiques, du pluralisme, du consensus, du débat éclairé, de la citoyenneté active, des droits et libertés publiques – en somme, des valeurs européennes.
Orban, Meloni, Le Pen et Milei, réunis en Espagne autour d’Abascal, ont donné à voir cette alliance réactionnaire globale, qui constitue bien une même force politique que les démocrates doivent vaincre.
Par conséquent, tous les démocrates doivent s’équiper sérieusement pour lutter contre les influences étrangères.
Sommes-nous en mesure de répondre à ces menaces, souvent hybrides, et qui s’intensifient ? Aujourd’hui, non, car trop longtemps, au mieux la naïveté, au pire le déni ont prévalu.
Serons-nous en mesure d’y répondre enfin quand nous aurons voté ce texte ? Malheureusement non, là encore.
La proposition de loi de Sacha Houlié permet indiscutablement d’améliorer quelque peu la situation. Elle comporte des mesures utiles pour renforcer la transparence.
À ce titre, nous soutenons pleinement la création d’un registre des activités d’influence menées par un mandataire étranger d’un pays qui n’appartient pas à l’Union européenne.
C’est d’ailleurs la proposition que les écologistes ont défendue au Parlement européen pendant plus d’une décennie ; jusqu’à présent, tous les groupes, hormis ceux de gauche, s’y étaient opposés, aussi bien les conservateurs que les libéraux, les sociaux-démocrates ou, bien évidemment, l’extrême droite.
Nous saluons également les améliorations apportées au texte en commission, notamment la possibilité donnée à la HATVP d’infliger une sanction en cas de manquement aux obligations déclaratives prévues.
En revanche, nous sommes opposés à l’analyse algorithmique de toutes les données de connexion, l’autre mesure phare de ce texte.
Si vous votez cette mesure, vous renforcerez la surveillance de masse et porterez atteinte à nos libertés. La lutte contre les ingérences étrangères doit servir à protéger nos libertés individuelles et publiques ; elle ne peut donc pas être efficace si elle les abîme.
Ce texte est-il suffisant ? Très loin de là.
Il ne s’attaque pas à la question des stations de police chinoises illégales sur le territoire français, qu’il serait nécessaire de fermer, et ne permet pas non plus de combattre les rumeurs infondées, reposant sur des plagiats de sites de presse étrangers.
Ce texte ne résoudra rien sur un aspect pourtant majeur, celui du financement des campagnes électorales depuis l’étranger, alors qu’il s’agit là d’un risque grave. Tous nos amendements sur ce sujet ont été considérés comme des cavaliers législatifs. La lutte contre cette forme d’ingérence étrangère devrait être une priorité absolue.
Qui peut accepter que le Rassemblement national continue de contracter des prêts russes ? Qui peut accepter que l’extrême droite finance des campagnes électorales grâce à l’argent des autocrates ? Qui peut accepter que des oligarques prêtent de l’argent à des candidats pour concourir à des scrutins démocratiques en France ? Nul démocrate ne le peut.
C’est pourquoi la création d’une banque de la démocratie, capable d’octroyer des prêts aux partis, était une idée à étudier, y compris dans ce texte.
Même si cette proposition de loi est largement incomplète et qu’elle comporte des mesures dangereuses, elle renforce – un petit peu – la lutte contre les ingérences étrangères. C’est la raison pour laquelle le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires la votera.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, il est essentiel, comme d’autres l’ont déjà fait, de replacer ce texte dans son contexte géopolitique pour en saisir tout le sens.
En effet, dans les arcanes de cette proposition de loi émergent discrètement les choix stratégiques géopolitiques de l’Union européenne.
Alors que les tensions entre la Chine et les États-Unis se cristallisent autour de la course à la suprématie mondiale, l’atmosphère internationale se teinte d’incertitude et de désordre.
Lors du sommet de Tallinn de septembre 2021, Charles Michel plaidait pour une Europe qui affirme sa puissance et se libère de ses entraves géopolitiques.
Dans un contexte de rivalité commerciale et idéologique avec la Chine, faut-il vraiment se ranger derrière les États-Unis pour préserver notre indépendance ?
À demi-mot, ce texte prône un protectionnisme à l’égard de la Chine ou de la Russie. C’est oublier que les pressions politiques, économiques et financières ne proviennent pas uniquement d’États autoritaires, mais qu’elles sont aussi le fait de multinationales, principalement américaines, qui dictent leurs propres lois et s’invitent dans nos décisions publiques.
L’alerte sur les ingérences étrangères sonne de plus en plus fort, mais elle semble être instrumentalisée au service d’une idéologie « occidentalocentrée », plutôt qu’à celui de la préservation de la souveraineté nationale légitime.
Si la lutte contre les ingérences étrangères est un enjeu crucial, nous ne pouvons créer de dichotomie entre ingérences tolérées et ingérences inacceptables en fonction de leur seule origine géographique. La réalité des ingérences étrangères ne peut se réduire à cette vision binaire. Cette approche risque de légitimer des pratiques déjà bien ancrées, notamment au Parlement européen, comme les jeux d’influence et le lobbying.
Au quotidien, les consultants jouent à la fois le rôle d’experts, d’arbitres ou de pompiers de service. Je vous renvoie à notre proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil. Il n’est donc nul besoin d’être un État pour influencer nos affaires publiques.
Face à ces enjeux cruciaux et hautement politiques, nous estimons que la prévention des ingérences étrangères doit être intégrée dans le cadre juridique commun applicable à toutes les formes d’influence sur l’action publique, qu’elles émanent d’États autoritaires ou de multinationales assoiffées de profits, ne servant que leurs propres intérêts.
C’est pourquoi nous proposerons, par un amendement, d’étendre la notion d’acte d’ingérence aux agissements des « entités à but lucratif », dans la mesure où les intérêts financiers et les guerres économiques constituent aujourd’hui les principaux moteurs des ingérences étrangères.
Dans le même sens, la lutte contre les ingérences étrangères ne doit pas faire d’exception pour les États membres de l’Union européenne.
Bien qu’il soit regrettable que des entités dépourvues de légitimité démocratique tentent d’influer sur nos décisions publiques, il est préférable que ces activités d’influence se déroulent dans la transparence.
C’est pourquoi nous soutiendrons l’article 1er, qui instaure un répertoire public, tenu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, sur lequel les activités d’influence devront être déclarées. Il est toutefois impératif d’attribuer à la HATVP les ressources correspondant à l’élargissement de ses missions.
Par ailleurs, en ce qui concerne les personnes physiques ou morales visées par ce répertoire, nous vous proposerons d’adopter un amendement tendant à protéger la liberté de la presse et la confidentialité des avocats.
Enfin, nous nous opposons fermement à l’article 3, qui ouvre la porte à l’utilisation d’algorithmes par les services de renseignement en matière d’ingérence étrangère. Cette mesure soulève des questions cruciales sur l’équilibre entre exigences de sécurité nationale et respect des droits individuels.
Elle s’inscrit dans une tendance inquiétante, déjà amorcée par des décisions antérieures. Je pense notamment à l’article 3 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, adoptée l’année dernière, qui accorde aux juges le pouvoir d’activer les microphones et les caméras des smartphones, sans le consentement de leur propriétaire. La loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 à Paris, qui autorise la surveillance publique de masse, va dans la même direction.
La normalisation de la surveillance numérique constitue une menace pour nos libertés fondamentales.
Face à cette culture de la surveillance, il est essentiel de reconnaître que la technique de l’algorithme n’est pas neutre, qu’elle implique une certaine idéologie. Elle modifie nos comportements, restreint nos libertés individuelles et reproduit les discriminations préexistantes. Ainsi le champ de la mesure est-il bien trop large, a fortiori en l’absence de tout contre-pouvoir.
Cet article constitue une menace substantielle pour nos libertés. Je vous invite donc, mes chers collègues, à considérer ces dangers sérieusement. Si cet article demeure en l’état, nous n’aurons d’autre choix que de voter contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Annick Girardin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, adoption de la loi russe en Géorgie, fermeture de réseaux sociaux et cyberattaque la nuit dernière en Nouvelle-Calédonie, vague d’interpellations en Tunisie : l’actualité fait malheureusement la part belle aux questions relatives aux ingérences étrangères.
Les échéances internationales qui attendent notre pays et qui ont été évoquées justifient encore davantage que le Parlement se saisisse de cette question. Nous devons légiférer, créer des protections, des barrières et des contre-feux.
Le rapport de la délégation parlementaire au renseignement, publié en novembre 2023, et celui de la commission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères, publié en juin de la même année, ont tous deux mis en évidence les fragilités de la France hexagonale et de ses territoires ultramarins. Ils montrent notamment que les décideurs publics, les entreprises et les milieux académiques doivent être davantage sensibilisés aux questions de sécurité, en raison d’un niveau élevé de menaces d’ingérence étrangère.
J’insisterai sur l’extrême fragilité de nos territoires ultramarins. Les événements en Nouvelle-Calédonie mettent tristement en lumière cette réalité. Ces territoires sont insuffisamment sécurisés, alors qu’ils sont une porte d’entrée sur la totalité des réseaux publics français.
Ce contexte justifie cette proposition de loi déposée sur l’initiative de Sacha Houlié. Son examen permet à notre Parlement de s’engager dans un travail essentiel pour la lutte contre les influences étrangères et d’apporter une réponse à ce phénomène en déployant de nouveaux outils de vigilance, de protection et de transparence.
L’article 1er a fait l’objet de nombreux ajustements, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, en commission. Il prévoit la création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger.
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen se félicite que la liste des cibles d’opérations d’influence ait été étendue en commission des lois, sur l’initiative de sa rapporteure, pour ajouter les anciens présidents de la République, les anciens membres du Gouvernement, les anciens députés ou les anciens sénateurs, pour une durée de cinq ans après l’expiration de leur mandat.
Nous soutenons aussi le choix de reporter l’entrée en vigueur de cet article, afin de mieux vérifier le caractère opérationnel du dispositif. Notre groupe défendra des amendements sur la transparence des activités d’un représentant d’intérêts dans le temps.
Le texte prévoit à ce stade que le suivi et le contrôle du répertoire seront confiés à la HATVP. Je veux vous faire part de l’inquiétude de notre groupe quant aux moyens qui seront mis à sa disposition pour accomplir ces nouvelles tâches.
Nous soutiendrons également l’expérimentation du recours aux algorithmes pour détecter des connexions susceptibles de révéler toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère. Notre groupe a souvent émis des réserves sur le développement de ce type d’outils. Néanmoins, nous devons nous doter au plus vite de ces technologies efficaces. L’expérimentation est la solution idoine pour en mesurer les effets et en limiter les dérives, le cas échéant.
Le RDSE votera donc en faveur de ce texte.
Si la présente proposition de loi marque une nouvelle dynamique, elle est loin de répondre à l’ampleur du problème.
Lorsque la commission d’enquête sénatoriale sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères aura fini ses travaux, ses conclusions ne manqueront certainement pas de fournir des pistes pour enrichir notre arsenal de protection, ce qui est souhaitable, comme vous l’indiquiez voilà quelques instants, monsieur le ministre.
Notre souveraineté et celle de l’Europe sont en cause et, avec elles, le libre arbitre de nos concitoyens face à une menace protéiforme.
Vous le savez, monsieur le ministre, parler d’ingérence étrangère, c’est s’attaquer à une notion large qui recouvre de nombreux mécanismes, souvent difficiles à identifier et à contrer, tels que les atteintes au patrimoine scientifique et technique, l’utilisation du droit en vue d’imposer des normes, les cyberattaques ou les manipulations de l’information.
Les smartphones, les réseaux sociaux, la data, l’intelligence artificielle ou encore les câbles numériques sont autant de canaux pour lesquels la France, et plus largement l’Europe, doit se munir d’une stratégie claire et solide, afin de protéger sa souveraineté et garantir sa sécurité numérique.
Monsieur le ministre, je veux ici redire ici combien il est urgent que la France joue un rôle moteur en Europe. Nous sommes le seul pays à disposer, grâce à nos territoires ultramarins, d’une présence sur l’ensemble des bassins maritimes du monde.
Vous connaissez mon engagement. L’Europe interconnectée dans le cadre de la décennie du numérique ne peut pas et ne doit pas se faire sans la France, qui est capable d’assurer le déploiement exceptionnel de câbles numériques sous-marins sous souveraineté européenne. Notre pays doit rejoindre rapidement le peloton de tête européen en la matière.
Monsieur le ministre, je compte sur votre ministère et sur celui de l’économie et des finances pour avancer ensemble sur ce sujet. Sinon, nous risquons d’être pris en tenaille entre la Russie et la Chine d’un côté, et les États-Unis de l’autre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année sera un moment historique non seulement pour la France, qui va accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, mais aussi pour l’Europe, en raison des élections européennes, lors desquelles plus de 358 millions d’électeurs seront appelés aux urnes.
Ces événements vont inévitablement susciter une attention internationale accrue et faire peser des risques sur notre sécurité et notre souveraineté nationales. Des puissances étrangères malveillantes voudront affaiblir notre pays par le biais d’actions d’ingérence.
Ces risques constituent une menace « protéiforme, omniprésente et durable », comme le décrit avec justesse la délégation parlementaire au renseignement dans son dernier rapport du mois de juin 2023. Je salue par ailleurs le travail effectué par cette délégation.
Protéiforme par essence, cette menace revêt des formes multiples : elle transcende les traditionnelles tentatives d’approche discrète de nos autorités politiques et administratives. Il s’agit à présent de campagnes de désinformation et de manipulation de l’opinion publique, de cyberattaques, et même de tentatives d’espionnage dans des domaines aussi sensibles que le domaine spatial.
Les modes opératoires des actions d’ingérence étrangère se sont diversifiés et sont sophistiqués. Les acteurs qui sont impliqués dans de telles actions se sont multipliés, illustrant le caractère omniprésent de la menace.
Les puissances étrangères ne se contentent plus d’agir via leurs seuls services de renseignement pour déstabiliser notre société. Aujourd’hui, des acteurs comme des médias, des entreprises, voire certains partis politiques, peuvent devenir, parfois à leur insu, les vecteurs d’une ingérence étrangère.
Chaque composante de notre société est en jeu. Les cibles des tentatives d’ingérence étrangère sont elles aussi multiples. Dans le contexte géopolitique actuel, marqué par des conflits et des tensions croissantes, la menace peut être effectivement considérée comme durable. Certaines puissances autoritaires font preuve d’une hostilité grandissante à l’égard des démocraties occidentales, notamment envers la France.
Je fais ici explicitement référence à des pays tels que la Russie, dont les actions en matière d’ingérence ne sont plus à démontrer. À titre d’exemple, le réseau Portal Kombat, dont l’activité a été dévoilée au grand jour par le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), entendait, via ses 193 sites internet, abreuver la population française et les opinions occidentales de contenus prorusses afin de modifier leur regard sur la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine.
La Russie n’en était pas à son coup d’essai. Dans son rapport, le procureur américain Robert Mueller indiquait que l’État russe s’était immiscé dans l’élection présidentielle américaine de 2016 de façon systématique.
En 2017, c’est l’équipe de campagne du candidat Emmanuel Macron qui a été visée par un piratage de hackers russes. Cette opération avait abouti à la publication du contenu de plusieurs messageries électroniques, juste avant le second tour de l’élection présidentielle, dans le but de manipuler l’opinion française dans un moment démocratique important.
La Russie n’est bien évidemment pas un cas isolé. Elle est soupçonnée par l’exécutif, comme la Chine et l’Azerbaïdjan, de s’ingérer en Nouvelle-Calédonie, alors que ce territoire traverse une période troublée.
Pour faire face à ces ingérences régulières qui menacent notre intégrité, notre sécurité et notre souveraineté nationales, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à renforcer nos capacités d’action.
Elle prévoit de moderniser notre cadre législatif pour mieux armer nos institutions et nos services de renseignement, afin de faire face à la menace, dans la continuité du travail qui a déjà été mené en la matière depuis la création de Viginum en juillet 2021.
Ce texte prévoit de mettre à la disposition de nos services de renseignement la technologie de l’algorithme, sur le modèle des boîtes noires algorithmiques expérimentées puis pérennisées par la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
Très concrètement, ce dispositif permettra à nos services de renseignement d’utiliser un traitement automatisé des données numériques et d’identifier des individus ou des acteurs qui tentent d’échapper à nos radars.
Pour ceux qui pourraient s’inquiéter des implications pour les libertés publiques, je tiens à souligner que ces mesures seront strictement encadrées et limitées à la lutte contre les ingérences et qu’elles seront d’abord mises en œuvre à titre expérimental.
L’adaptation de notre arsenal de lutte contre les ingérences passera également par des volets plus traditionnels. Il s’agira notamment de s’en prendre aux portefeuilles des acteurs hostiles à la France.
Ce texte introduit ainsi des mesures financières sévères, telles que le gel des avoirs des acteurs identifiés comme menaçant notre sécurité nationale, en vertu des modifications proposées au code monétaire et financier.
À la suite du rapport de la délégation parlementaire qui a déjà été cité, j’évoquerai de nouveau la porosité entre l’influence et l’ingérence étrangères.
L’ingérence, dans son intention et sa finalité, est résolument hostile à l’égard du pays qu’elle cherche à déstabiliser. Ce n’est pas le cas de l’influence, même si celle-ci peut faire place, petit à petit et parfois insidieusement, à des actions d’ingérence.
C’est la raison pour laquelle le présent texte, enrichi par les travaux de la commission des lois, prévoit la création d’un répertoire ad hoc dans lequel seront recensés les représentants d’intérêts qui cherchent à influencer la décision publique française pour le compte d’un mandant étranger.
La création de cet outil a été préconisée par l’OCDE dans un rapport d’avril dernier consacré au renforcement de la transparence et de l’intégrité des activités d’influence étrangère en France. Il permettra d’apporter de la transparence et fera connaître, aussi bien au grand public qu’à la représentation nationale, ces acteurs qui cherchent à peser sur la prise de décision.
Cette connaissance des acteurs de l’influence sera renforcée par une esquisse de l’état des menaces d’ingérence étrangère sur notre sécurité nationale, laquelle sera réalisée tous les deux ans et fera l’objet d’un rapport prévu à l’article 2 de la présente proposition de loi.
Pour protéger les intérêts de la Nation et préserver notre sécurité et notre intégrité nationales, le groupe RDPI soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, texte rédigé par Sacha Houlié, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale.
Il y a quelques années encore, le terme « ingérence » ne revêtait pas la même signification. On évoquait plus couramment le fameux « devoir d’ingérence ». Le dictionnaire de l’Académie française relève ironiquement que « [c]’est abusivement qu’on use des termes Droit d’ingérence, Devoir d’ingérence […]. On ne peut parler correctement que du Droit d’assistance ou du Devoir d’assistance. »
Nos débats plus récents, où le terme d’ingérence renvoie clairement à une menace, disent beaucoup de l’évolution des relations internationales ces dernières aimées. La fin de l’histoire entrevue par Fukuyama n’est plus qu’un lointain souvenir et les démocraties occidentales, qui vivaient dans le confort illusoire d’un concert des nations dont elles resteraient le chef d’orchestre, font aujourd’hui face à une cacophonie anxiogène.
Soupçonnées, fantasmées, avérées, les ingérences sont aujourd’hui présentes dans l’esprit de tous : des ingérences contre l’appareil d’État à n’en pas douter, mais également contre ceux qui ne sont encore que candidats aux responsabilités.
Face à cette menace protéiforme, les réponses ne manquent pas, notamment grâce à l’initiative parlementaire. Le texte dont nous discutons aujourd’hui s’inspire d’ailleurs des travaux de la délégation parlementaire au renseignement, au sein de laquelle je sais pouvoir compter sur l’implication de notre collègue Gisèle Jourda, du président Cédric Perrin et de la rapporteure Agnès Canayer. Je tiens également à évoquer la commission d’enquête sénatoriale, présidée par notre collègue Rachid Temal, créée sur l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Pour l’essentiel, ces travaux convergent. Cependant, comme vous le détaillera notre collègue Gisèle Jourda, les membres de notre groupe considèrent que ce texte ne prend pas encore totalement la mesure de l’état de la menace.
Aussi, nous pensons qu’il subsiste quelques trous dans le dispositif qui nous est proposé, pour intéressant qu’il soit. J’en veux pour preuve la manière dont un sujet, qui a pourtant fait l’actualité récemment, reste totalement exclu du dispositif proposé à l’article 1er. Ainsi, il nous semblerait cohérent de s’assurer que les candidats aux élections européennes ne soient pas la cible d’opérations de déstabilisation. C’est l’objet de l’un de nos amendements, dont nous espérons qu’il recevra un accueil favorable puisque les candidats aux élections nationales sont eux-mêmes concernés par le dispositif.
Pourquoi nous arrêter en si bon chemin d’ailleurs ? Parmi les personnes cibles des activités d’influence sont déjà pris en compte les membres des autorités administratives indépendantes (AAI) ou des autorités publiques indépendantes (API), mais pas ceux du Conseil constitutionnel, au motif que l’organisation et le fonctionnement du Conseil relèvent de la seule Constitution et non de la loi ordinaire. Or intégrer les membres du Conseil constitutionnel dans la liste des personnes cibles des activités d’influence ne crée aucune obligation pour ses membres et ne modifierait en rien l’organisation ou le fonctionnement de cette noble institution.
Nous vous proposerons également d’aller encore plus loin en prenant en compte la protection du locataire de l’Élysée. Le texte actuel ne s’applique qu’aux anciens présidents de la République, au motif qu’un président en exercice ne relève que de la Constitution. Toutefois, l’amendement que nous proposerons ne vise à créer pour lui aucune obligation et ne tend nullement à modifier son statut, qui ne relève effectivement que de la Constitution. Ici aussi, les obligations ne s’imposeraient qu’à ceux qui entreprennent des actions d’influence à l’égard du Président.
J’évoquerai enfin un amendement que nous jugeons emblématique. On a beaucoup glosé sur les contrats liant d’anciens premiers ministres étrangers à la Russie. Toutefois, il semble que cette situation ne concerne pas que nos voisins. Nous vous proposerons donc de renforcer le contrôle de la reconversion professionnelle des anciens membres du Gouvernement. La commission des lois a déjà souhaité que le contrôle des risques d’ingérence étrangère s’exerce pour une durée de cinq ans après la cessation des fonctions, non de trois ans, comme pour les autres contrôles.
Nous avions proposé un dispositif similaire, mais pour une durée de dix années. Les entreprises d’ingérence étrangère s’exercent sur le temps long, sans doute davantage que les activités de lobbying domestiques. C’est pourquoi, tenant compte du premier pas effectué par la commission des lois, nous vous proposerons en séance un délai de contrôle de huit années après la cessation des fonctions.
Mes chers collègues, Gisèle Jourda complétera utilement mon propos, mais vous l’aurez d’ores et déjà compris, c’est dans un état d’esprit constructif et ambitieux que nous abordons l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rares sont les convergences de l’histoire et de la politique aussi évidentes sur le vieux continent que celles qui prêtent vie à la fois aux influences entre États, mais aussi aux ingérences étrangères.
Or si les influences peuvent être acceptées, voire choisies, les ingérences ne sauraient être tolérées, d’autant moins que ces dernières empruntent sans cesse de nouveaux moyens, de nouvelles formes, qui rendent toujours plus difficile leur identification.
La conscience de cette difficulté a d’ores et déjà conduit à la création, au Sénat, d’une commission d’enquête dont les travaux sont en cours et dont j’ai l’honneur d’être le vice-président. Comme l’a dit tout à l’heure Gisèle Jourda, nous pouvons légitimement regretter que cette proposition de loi précède les conclusions de notre commission d’enquête, même si ce texte tient sans doute compte des recommandations antérieures de la délégation parlementaire au renseignement.
Ainsi, n’aurait-on réellement pas pu attendre les conclusions de notre commission d’enquête pour légiférer ? J’ai entendu les débats sur ce point tout à l’heure ; ils ne m’ont que moyennement convaincu. Ce décalage donnera vraisemblablement naissance, me dit-on, à un second texte, qui devrait compléter le premier à l’issue des travaux de la commission d’enquête. Pourquoi, dès lors, ne pas rassembler toutes ces propositions en un texte unique ?
Sur le fond, la nécessité d’adapter nos outils de lutte contre les ingérences et les menaces étrangères est évidente, mais cette façon de segmenter notre intervention législative conduit nécessairement à des insuffisances, sur lesquelles je me dois de revenir.
Tout d’abord, ce texte semble résulter d’une actualité sélective, au lieu d’embrasser l’intégralité de son sujet : comment comprendre, sinon, que l’on y mentionne les risques d’ingérence venant de Russie, de Chine, ou même d’Azerbaïdjan, au lieu d’inclure dans notre champ d’enquête d’autres États, dont les stratégies d’influence sont au moins aussi patentes – je pense notamment aux pays du Golfe –, ou des mouvements faisant la promotion de la radicalité islamiste, bien présents à l’intérieur de notre pays ?
Ensuite, cette proposition de loi m’apparaît incomplète et me semble aller insuffisamment loin pour pouvoir atteindre ses objectifs. Je vous donnerai trois exemples.
En premier lieu, l’architecture de la transparence est arc-boutée sur une autorité, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui est investie d’un nombre croissant de missions, lesquelles vont du traitement des déclarations de patrimoine à la recherche de conflits d’intérêts, en passant par le contrôle des mobilités entre le public et le privé et la mise à disposition de ces informations au public, et que sais-je encore…
Il me paraît opportun d’insister ici sur le caractère essentiel des missions de la HATVP et sur l’accroissement considérable de ses compétences ces dernières années. Cette poussée de croissance pose cependant la question des moyens dont elle doit disposer, ainsi que celle des pouvoirs de sanction administrative dont elle reste encore aujourd’hui dépourvue. J’appelle donc votre attention, monsieur le ministre, sur ce sujet, car il me semble devoir être traité au plus vite.
En deuxième lieu, lorsque les flux de données et d’informations augmentent de manière exponentielle, comme c’est le cas actuellement, le recours aux nouvelles technologies croît pareillement.
Nous devons cependant y accorder autant d’importance que l’exige notre dépendance envers cette technologie, car celle-ci peut à son tour conduire à de nouvelles ingérences et à de nouvelles menaces. Consommation, surveillance, reconnaissance faciale, collecte d’informations, justice prédictive et domaine sanitaire : les algorithmes trouvent sans cesse de nouvelles applications. Nous tentons de faire preuve de la plus grande vigilance et de prévoir l’encadrement législatif le plus adapté à leur développement, leur utilisation et leur sécurisation, mais la tâche se révèle, elle aussi, sans fin !
Dans ce contexte, il me semble qu’une surveillance et une régulation d’ampleur des algorithmes, au moyen d’une expertise et d’une indépendance parfaites, sont devenues nécessaires et pourraient conduire à la désignation d’une nouvelle autorité publique, ainsi que l’ont déjà proposé avant moi le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil national des barreaux.
Cette solution est devenue non seulement indispensable, au vu du contexte contemporain et des dernières évolutions juridiques, mais aussi inéluctable si l’on souhaite préserver un équilibre salutaire entre État et démocratie.
En troisième et dernier lieu, les procédures de contrôle et de sanction appellent à la fois un cadre législatif rigoureux et une action administrative vigoureuse.
À cet égard, la multiplication des procédures de gels d’avoirs et des sanctions administratives, fondées sur l’action des services de renseignement, peut sembler à la fois insuffisante envers les puissances étrangères, mais aussi exorbitante à l’égard de personnes physiques ou morales nationales, qui sont exposées à la concurrence internationale et à la financiarisation mondiale.
Il serait donc particulièrement utile que l’exécutif rende compte de l’efficacité de la coordination entre les services de renseignement, civil et militaire, de l’intérieur et de l’extérieur, les services du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui assurent la vigilance numérique, et les institutions ou autorités associées.
Dans le cas contraire, de simples interventions sectorielles ou parcellaires ne constitueraient, tout au plus, que des trompe-l’œil dans un bilan qui pourrait prêter à discussion au regard de notre souveraineté et de notre indépendance nationale actuelles.
Pour finir, j’insisterai sur la nécessité d’une stratégie nationale ambitieuse, à la fois de lutte contre les ingérences étrangères, mais également d’influence, à l’international, au service de nos propres valeurs. Peut-être la commission d’enquête du Sénat, qui s’intéresse progressivement à ce dernier domaine, pourra-t-elle proposer cette stratégie nationale que j’appelle de mes vœux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est bienvenu et, pour tout dire, attendu. À l’heure où des formes d’ingérence toujours plus diverses et pernicieuses se déploient, prenant la forme de lobbies, de groupes de pression ou de médias étrangers, notre pays doit plus que jamais se doter de l’armature pour se protéger des actions de pouvoirs étrangers et plus encore des moyens pour sévir contre ceux qui trahissent la France.
Nous attendions beaucoup ce texte. Nos concitoyens regardent les effets de ces ingérences, trop présentes et trop nombreuses dans notre pays. La liste en est malheureusement trop longue, car ces ingérences affectent la quasi-totalité des domaines de l’action publique ou de la souveraineté économique.
La forme et l’origine de ces ingérences sont diverses. Il peut s’agir d’un média soi-disant progressiste financé par une théocratie, de députés européens recevant des valises de billets de la même provenance ou d’un ancien premier ministre décoré pour son zèle par le premier secrétaire du parti communiste chinois.
Plus grave encore, Arnaud Montebourg, dans cette assemblée, avait indiqué le prix, fort peu élevé d’ailleurs, de la trahison de la France et de la soumission à des intérêts étrangers de dirigeants politiques et de nos fleurons industriels.
Ainsi, l’obligation de déclaration des personnes mandatées par un pays étranger prévue à l’article 1er nous semble être une avancée certes minime, mais nécessaire. Il nous faut identifier, pour la rigueur du débat public et la nécessaire protection de l’État et de nos intérêts, les personnes qui travaillent ou non pour des pays étrangers.
Néanmoins, ce dispositif recèle encore des lacunes. Pourquoi limiter l’obligation de déclaration aux seules personnes majoritairement financées par l’étranger ? Pourquoi exclure les pays de l’Union européenne, quand nous savons que certains agissent, avec des complices français, pour détruire notre souveraineté industrielle et énergétique ? Pourquoi exclure également les organisations non gouvernementales, qui, sous un manteau d’altruisme, sont souvent le cheval de Troie d’intérêts extérieurs ?
Un État n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts, qu’il doit défendre contre tous ceux qui, prétendus partenaires ou adversaires résolus, cherchent à influencer ses décisions et son débat public. Ce texte devrait garantir plus efficacement le suivi des mandataires étrangers, au risque sinon de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau.
Nous nous félicitons également que cette proposition de loi favorise la prise de conscience par l’opinion publique de ce danger. Il aura sans doute fallu attendre trop longtemps pour qu’une commission d’enquête se penche enfin sur les ingérences étrangères et sur le risque qu’elles font peser sur notre démocratie et notre souveraineté. La publication d’un rapport et la tenue d’un débat au Parlement sur ce sujet constituent une avancée que nous saluons. Néanmoins, face à la diversité des pratiques d’ingérence, le délai de deux ans entre chaque débat nous semble trop espacé.
Si nous soutenons ce texte dans son principe, nous le critiquons dans ses modalités, peut-être trop légères. Il ne prévoit rien, ou si peu, pour sanctionner efficacement ceux qui ont trahi la patrie en livrant ses fleurons ou leur carnet d’adresses au regard d’un pouvoir extérieur.
Dans tous les cas, nous saluons l’effort que représente ce texte, malgré ses limites. En tout état de cause, nous voterons toutes les mesures permettant de l’améliorer et d’assainir efficacement notre débat public. (M. Joshua Hochart applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les démocraties sont des sociétés ouvertes. Chacun y jouit de la liberté d’expression, peut émettre des idées nouvelles et critiquer l’action du Gouvernement ou du Parlement.
Cette ouverture et cette liberté sont de grandes forces pour nos sociétés. Grâce à un débat d’idées plus nourri, plus respectueux du pluralisme, nous avons la possibilité d’améliorer nos politiques publiques. Cependant, cette ouverture et cette liberté constituent aussi notre talon d’Achille, même en temps de paix. Nos adversaires peuvent effectivement tenter de les instrumentaliser pour peser sur la vie démocratique de notre pays, l’influencer, voire mener des actions d’ingérence.
Lors du vote sur le Brexit ou de l’élection présidentielle américaine en 2016, de telles manipulations ont été détectées. En 2017, notre pays a lui-même été l’objet d’attaques informationnelles.
Les affaires de corruption et d’espionnage auxquelles le Parlement européen a été confronté soulignent la réalité de la menace. Elles nous incitent à la plus grande vigilance à l’approche du scrutin européen, particulièrement dans le cyberespace.
Les ingérences ne se limitent pas, hélas ! aux élections. Nos concitoyens doivent avoir conscience du fait que des acteurs étrangers cherchent à exercer un contrôle, parfois très étroit, sur l’information et surtout sur l’opinion, chaque fois qu’une décision publique est prise dans notre pays.
La création de Viginum en 2021, sous l’égide du SGDSN, a permis de détecter de nombreuses manipulations de l’information, de les caractériser, de les imputer, de les attribuer et de répondre aux ingérences numériques étrangères, que ce soit lors de la pandémie ou depuis le début de la guerre en Ukraine. L’Union européenne et l’Otan développent aussi des doctrines et des outils pour lutter contre cette menace.
Afin de mieux protéger notre société et, au-delà, notre modèle démocratique, nous devons assurer une meilleure transparence des actions d’influence des puissances étrangères.
Je dirai à présent un mot de la situation géorgienne. Bien que les intitulés du présent projet de loi et de la loi géorgienne soient similaires, leurs dispositions comportent des différences majeures.
Pour le régime de Tbilissi, le fait d’être financé à 20 % par des fonds étrangers suffit pour être qualifié d’organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne s’inscrit pas dans la même logique. Elle vise à surveiller les actions de lobbying déployées par les puissances étrangères. On n’y accuse pas l’ensemble des organisations recevant des fonds étrangers d’œuvrer pour des intérêts étrangers.
Le texte vise seulement les organisations qui ont pour objet d’influer sur les décisions publiques en les soumettant à des obligations déclaratives renforcées. Ces déclarations permettront de mettre au jour les manœuvres contre nos institutions. La HATVP aura ainsi les moyens de mieux surveiller la mise en œuvre de stratégies d’influence et de qualifier plus finement leur ampleur.
Dans un contexte d’affrontements particulièrement tendus entre puissances, nous considérons également qu’il est impératif de permettre à nos services de renseignement d’utiliser le traitement automatisé de données afin de détecter les ingérences étrangères, mais aussi toutes les menaces pesant sur la défense nationale.
Si des menaces sont détectées, nous devons avoir les moyens de nous défendre. Le texte prévoit donc un dispositif d’entrave des ingérences. Le Gouvernement pourra ainsi décider le gel des fonds utilisés pour ces manœuvres.
En commission des lois, ce volet préventif a été complété par un volet répressif. Commettre une infraction pour le compte d’une entité étrangère sera désormais constitutif d’une circonstance aggravante des atteintes aux biens et aux personnes. Les techniques spéciales d’enquête pourront être employées, le cas échéant.
Nous ne pouvons plus ignorer la réalité de cette menace et nous avons le devoir d’en protéger nos concitoyens. Les travaux de la délégation parlementaire au renseignement ont fortement inspiré ce texte. Les deux rapporteurs, dont je salue l’excellent travail, ont encore amélioré la proposition de loi. Il sera sans doute nécessaire de renforcer encore ce texte, notamment dans le domaine économique, qui méritera toute notre attention, et de légiférer très prochainement sur ce sujet.
Plus de transparence et plus de renseignement, c’est autant de moyens supplémentaires pour permettre à notre pays de mieux se défendre contre les atteintes portées à notre souveraineté dans cette drôle de néo-guerre informationnelle qui s’intensifie. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que je suis le neuvième orateur intervenant dans cette discussion générale, tout a déjà été dit.
La naïveté, c’est fini, à tel point que la direction générale de la sécurité intérieure est venue à la rencontre de l’ensemble des sénateurs voilà quelques semaines. Elle nous a adressé, outre ses recommandations, une note très précise de façon que nous soyons informés et que nous puissions nous prémunir contre un certain nombre d’attaques. Dans tous les cas, un homme averti en vaut deux, une femme au moins quatre ! (Sourires.) Nous voilà donc tous avertis des risques que nous encourons. Cette initiative fut une excellente idée.
Il est évident que la proposition de loi qui nous est soumise n’a pas vocation à s’attaquer à tous les modes d’ingérence, son périmètre étant assez restreint.
Pour ma part, je mettrai l’accent sur toutes les questions relatives à la souveraineté numérique et à la protection des données personnelles, sujets dont Catherine Morin-Desailly s’est emparée il y a déjà de très nombreuses années et sur lesquels notre groupe a été précurseur. En réalité, nous avons remis plusieurs fois l’ouvrage sur le métier, avant que ce sujet ne soit de nouveau inscrit à notre ordre du jour.
Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l’islam radical. Or rien n’est prévu dans le texte pour lutter contre l’influence de certains pays étrangers, qui se comportent comme des pompiers pyromanes. Il n’est pas non plus anodin que le conseil de défense ait décidé de mettre en place une mission sur la menace que représentent les Frères musulmans, confiée à l’ambassadeur François Gouyette et au préfet Pascal Courtade.
Tous ces sujets ne sont pas évoqués dans le texte qui nous est soumis, dont le périmètre est très réduit, comme je l’ai déjà souligné. Pour y remédier, Catherine Morin-Desailly et moi avons déposé plusieurs amendements.
Rien non plus n’est prévu pour lutter contre la diplomatie d’influence. Le texte que nous allons voter aujourd’hui ne nous permettra pas d’éviter un nouveau Qatargate, affaire qui a été l’aboutissement de nombreuses défaillances. De ce point de vue, beaucoup reste aussi à faire.
Nous nous sommes fortement inspirés du rapport de l’OCDE pour rédiger nos amendements, qui ont systématiquement été rejetés par la commission. Néanmoins, nous les soutiendrons.
Bien que nous ne soyons pas très nombreux en séance, le sujet mérite d’être abordé sur le fond. En tout état de cause, et comme chacun s’est accordé à le reconnaître, nous aurons besoin d’un texte plus ambitieux.
Monsieur le ministre, vous avez deux très bonnes occasions de nous montrer votre bonne foi, notamment sur les questions de pantouflage et de rétropantouflage.
Dans une semaine, le texte issu des travaux de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, conduite de main de maître par Éliane Assassi et Arnaud Bazin, que l’Assemblée nationale a complètement vidé de sa substance, sera soumis au Sénat en seconde lecture. Nous serons nombreux à veiller à revenir au texte initial de notre assemblée. J’espère, monsieur le ministre, que vous manifesterez alors la même bonne volonté que celle dont vous faites preuve aujourd’hui pour limiter les influences étrangères lors de l’examen de ce texte extrêmement important. Car les cabinets-conseils sont également des outils d’influence et d’ingérence, comme l’ont très bien montré les travaux de la commission d’enquête sénatoriale.
Se posera également la question des budgets et des moyens humains que le Gouvernement consacrera à la mise en place des dispositifs.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble du groupe Union Centriste votera cette proposition de loi à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. André Reichardt applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’actualité ne nous prive pas d’exemples d’ingérences étrangères, des plus triviaux au plus tragiques.
Les enjeux sont multiples, comme l’a très bien souligné Jérôme Durain. Ils sont militaires, économiques, industriels et financiers. Notre premier impératif est de les identifier, notre deuxième impératif est d’identifier nos rivaux, notre troisième impératif est d’identifier les menaces et notre quatrième impératif est d’identifier nos outils. Ces quatre piliers pourraient constituer la pièce angulaire de la lutte contre les ingérences étrangères.
La tâche n’est pas mince. Un enjeu en cache souvent un autre. Nos alliés peuvent parfois être nos pires ennemis, nos ennemis systémiques peuvent être bien mieux outillés que nous et la menace est souvent hybride.
Dans le viseur des puissances étrangères, la France est une cible, mais elle est surtout une victime. Elle est victime de son absence historique et continue de vision stratégique à long terme. J’en finis ici avec ce triste constat, la prise de conscience ayant lieu grâce à l’actualité quotidienne, qu’il s’agisse de la situation en France ou de nos intérêts à l’étranger.
Dans le rapport d’information que Pascal Allizard et moi-même avions rédigé en 2021, nous mettions en garde contre les moyens mis en œuvre par la Chine pour déployer sa puissance en Europe, notamment en matière de soft power. Il semblerait que l’Europe prenne enfin aujourd’hui conscience de cette difficulté.
Quant à nous, prenons-nous réellement la mesure de l’état de la menace ? C’est l’objet de l’article 2 de ce texte. La protection de notre souveraineté industrielle et la garantie de nos intérêts économiques sont des enjeux non négligeables.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
Mme Gisèle Jourda. Ils semblent ici oubliés.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la délégation parlementaire au renseignement puisse obtenir une vue d’ensemble des investissements relevant de stratégies étatiques étrangères dans des secteurs essentiels à la garantie des intérêts de notre pays.
J’en viens aux outils, déclinés aux articles 1er et 3. Ces dispositifs sont-ils suffisants au vu de la gravité du sujet ?
Les outils du renseignement, de la contre-influence et de la contre-ingérence existent en nombre. Je pense au service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) ou au service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse). Ils sont efficaces et je tiens ce soir à rendre hommage à leur travail. Disposent-ils de moyens suffisants ? Nous attendrons des engagements forts lors du vote du prochain budget.
Ce texte prévoit-il de mettre en place une stratégie coordonnée et efficace ? Non, la nécessité de créer des dispositifs visant à sensibiliser la population française dès le plus jeune âge n’y est pas évoquée, ce risque étant multiplié par l’utilisation des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle. Nous ferons des propositions en ce sens.
Préserver, mieux protéger notre patrimoine scientifique, nos libertés académiques et l’intégrité de la recherche, voilà un autre enjeu. Pourtant, le texte initial n’aborde pas non plus ces questions. Nous avons déposé des amendements pour y remédier.
Au regard de l’intensification de la menace et des responsabilités qui pèsent sur les élus locaux, qui ont la charge d’une grande partie de la commande publique, il est urgent de les sensibiliser aux risques d’ingérence. Nous avons fait une proposition en ce sens, mais il semblerait qu’une réunion de sensibilisation représenterait une lourde charge financière pour l’État…
Mes chers collègues, vous aurez compris mon propos : ce texte n’est pas à la hauteur des défis que notre pays doit relever. Il est une marche importante, mais il est loin d’être suffisant. Il est un tressaillement quand nous avons besoin d’un sursaut.
C’est pourquoi nous voterons pour son adoption, mais nous vous soumettrons des propositions pour l’enrichir et élargir son spectre d’intervention. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée doit se prononcer aujourd’hui sur la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, adoptée par l’Assemblée nationale le 27 mars 2024.
La commission des lois du Sénat a approuvé ces dispositifs en les complétant et en les précisant, sur l’initiative de notre rapporteure Agnès Canayer, que je félicite de son excellent travail.
Dès le 2 novembre 2023, la délégation parlementaire au renseignement affirmait dans son rapport annuel que « le niveau de menace d’ingérences étrangères se situe à un stade élevé dans un contexte international tendu et décomplexé ».
La délégation parlementaire au renseignement identifie trois formes d’ingérence – classique, moderne et hybride – en provenance de la Russie, de la Chine, de la Turquie et de l’Iran – alliés entre eux –, chacun de ces pays mettant en œuvre un mode opératoire qui lui est propre.
Alertant sur une « forme de naïveté et de déni » de la part d’élus, notamment locaux, de hauts fonctionnaires, ainsi que d’acteurs universitaires et économiques, la délégation appelle à la création d’un « dispositif législatif ad hoc de prévention des ingérences étrangères sur le modèle de la loi américaine » pour contenir ce qu’elle qualifie de « menace protéiforme, omniprésente et durable ».
La commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère conclut à l’existence de deux types de puissances d’ingérence au sein de nos démocraties.
Les pays appartenant à la première catégorie organisent la continuation de leurs opérations d’influence dans le but d’améliorer, de manière licite ou illicite, leur image. À cet égard, nous avons tous en tête le Qatargate et la diplomatie du caviar de l’Azerbaïdjan, qui visaient respectivement le Parlement européen et le Conseil de l’Europe.
L’autre type d’ingérence, plus récent, vise à déstabiliser nos démocraties.
Alors que la Nouvelle-Calédonie a plongé dans la violence, l’ombre de l’Azerbaïdjan plane, ainsi que celle de la Russie et de la Chine. Ces trois puissances alliées ont la même volonté : déstabiliser la France et exploiter les ressources de l’archipel – notamment le nickel –, voire faire main basse sur les eaux territoriales françaises.
La semaine dernière, dans des reportages télévisés, certains indépendantistes de l’archipel arboraient des t-shirts floqués de la bannière azerbaïdjanaise… En mars, des médias azerbaïdjanais montraient des manifestants néo-calédoniens avec des photos du président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, à Nouméa.
Cette situation explosive est aggravée par des ingérences étrangères qui ne se limitent pas à la Nouvelle-Calédonie. Dans ses territoires d’outre-mer, la France est la cible d’une guerre d’information d’envergure qui ne fait que commencer.
En tête de l’offensive se trouve l’Azerbaïdjan, cette dictature qui a vendu du gaz à l’Europe sous les applaudissements d’Ursula von der Leyen, cette dictature qui a opéré un nettoyage ethnique en Artsakh en y massacrant les Arméniens et en violant le territoire souverain d’un pays reconnu par la communauté internationale.
De plus, nous le savons, la France subit depuis plusieurs années en Afrique une offensive informationnelle. Lancée notamment par les Russes et les Turcs, cette guerre de l’information a toujours visé à dénigrer notre pays en parlant même d’anticolonialisme.
Aujourd’hui, c’est le territoire français qui est ciblé, spécifiquement ses territoires ultramarins – Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Antilles.
En première ligne de cette offensive, on trouve encore et toujours l’Azerbaïdjan, qui joue sur l’indépendantisme d’une partie des populations locales via une offensive lancée en 2023.
En effet, Ilham Aliev dénonçait lors d’un sommet du Mouvement des non-alignés (MNA) les « sanglants crimes coloniaux et actes de génocide de la France contre les pays membres du MNA en Afrique, en Asie du Sud-Est et ailleurs ». L’outre-mer était qualifiée de « reste abominable de l’empire colonial ». Il s’est prononcé, par ailleurs, pour la souveraineté des Comores sur l’île française de Mayotte dans l’océan Indien, faisant fi du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, alors que les Mahorais ont choisi de rester Français !
En novembre 2023, il réitérait ses attaques en accusant la France de « préparer le terrain pour de nouvelles guerres ». « Paris – affirme-t-il – déstabilise non seulement ses colonies présentes et passées, mais aussi notre région, le Caucase du Sud. »
Quelle incroyable hypocrisie de la part d’empires super-coloniaux comme la Russie, de ses pays satellites, comme la Turquie, qui poursuit ses dérives panturquistes en rêvant de reconstituer l’Empire ottoman, et des colonisateurs exterminateurs azerbaïdjanais, qui viennent de procéder à un nettoyage ethnique des Arméniens d’Artsakh et tentent chaque jour de grignoter le territoire de l’Arménie !
Ainsi Moscou, Ankara et Bakou promeuvent et diffusent l’image d’une France pillarde et brutale, en bref d’une puissance coloniale criminelle. N’est-ce pas ce qu’ils sont eux-mêmes ?
Leur but est d’affaiblir notre démocratie, de miner la cohésion nationale et de salir l’image à l’échelon international de notre pays.
Malgré les apports de notre rapporteur en un temps limité, de nombreuses autres mesures issues des travaux de la délégation parlementaire au renseignement auraient pu trouver utilement leur place dans cette proposition de loi et n’auraient pas dû être renvoyées à la voie réglementaire.
Compte tenu de la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie, je vous propose, mes chers collègues, que le gel des avoirs azéris voté par le Parlement et le Sénat en 2022 soit enfin effectif et que ces fonds soient utilisés pour réparer les dégâts en Nouvelle-Calédonie, dont le montant atteindrait près de 1 milliard d’euros. N’avons-nous pas procédé de cette façon en gelant les avoirs russes pour l’Ukraine ?
J’espère que ce texte sera le début d’un travail collectif et plus large, par exemple, sur l’influence étrangère dans nos universités.
Nous savons grâce au rapport de l’Assemblée nationale que la Chine est impliquée dans 70 % à 80 % des cas notables, voire graves, d’influences étatiques dans le monde académique et scientifique français. Il en va de même de la Turquie et de certains pays du Moyen-Orient, notamment de l’Iran.
Par ailleurs, même s’il ne s’agit pas d’un État, nous aurions pu évoquer l’entrisme des Frères musulmans. De la décapitation de Samuel Paty aux manifestations pro-burkini dans les piscines, en passant par les marches contre l’islamophobie, l’ombre des Frères musulmans plane sur notre pays.
Mes chers collègues, il importe d’agir rapidement pour agir contre les guerres faites aux démocraties. Nous refusons de voir ces guerres, alors que l’ingérence ne fait que prospérer. Pour paraphraser Jacques Chirac, nos démocraties brûlent et nous regardons ailleurs ! Ayons le courage de permettre à notre liberté de continuer à s’exercer, elle le mérite !
M. le président. La parole est à M. François Bonneau.
M. François Bonneau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors qu’il semble avéré que des ingérences de l’Azerbaïdjan, de la Chine et de la Russie exacerbent la crise en Nouvelle-Calédonie, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères.
Les ingérences d’un État dans les affaires intérieures d’un autre pays sont tentaculaires et durables. Elles visent à déstabiliser de l’intérieur, à fausser le débat démocratique, à affaiblir, à saper la cohésion nationale et la confiance dans les institutions. Toutes ces actions tendent à porter atteinte à la souveraineté et à l’indépendance d’un pays.
Comme l’indique l’OCDE dans son rapport d’avril 2024, au cours des dernières années, les risques d’ingérences étrangères en France se sont imposés comme une problématique d’actualité majeure. Si notre pays dispose d’ores et déjà d’un cadre juridique et institutionnel pour appréhender ces risques, il apparaît nécessaire de compléter notre dispositif avec des outils de gouvernance publique visant à renforcer la transparence et l’intégrité de la vie publique.
Dans son rapport rendu en novembre dernier, la délégation parlementaire au renseignement affirme que le niveau de menace d’ingérences étrangères se situe à un stade élevé dans un contexte international tendu. Fort de ce constat, elle a formulé vingt-deux propositions, dont dix-huit au titre de la lutte contre les ingérences étrangères. Le texte que nous examinons aujourd’hui est la traduction législative de plusieurs d’entre elles ; il s’agira de compléter le dispositif.
Ce texte, attendu de longue date par les acteurs de la lutte contre les ingérences étrangères, n’apporte qu’un début de réponse aux attaques auxquelles nous faisons face.
Il permettra une meilleure information du Parlement sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, étendra la technique dite « de l’algorithme » aux cas d’ingérences étrangères ou permettra de procéder au gel des fonds et des ressources économiques des personnes responsables de ces actes.
Grâce aux travaux de la commission des lois du Sénat, le texte permettra également de mieux coordonner les missions de la HATVP, évoquées par nombre d’entre nous, sur le risque d’ingérence et de prévoir la mise en place d’un dispositif pénal permettant de lutter contre les ingérences, assorti d’une circonstance aggravante lorsqu’une atteinte aux biens ou aux personnes est commise pour le compte d’une entité étrangère.
Si la France doit renforcer son arsenal juridique, cette problématique doit également trouver des réponses à l’échelon européen.
Dès 2020, le Parlement européen s’est doté d’une commission dont l’objectif est d’élaborer des pistes pour une approche européenne contre les ingérences. Le 25 avril dernier, il a adopté une résolution appelant à répondre avec plus de fermeté aux ingérences étrangères, après plusieurs scandales impliquant la Russie ou la Chine.
Cette résolution demande notamment l’ouverture immédiate d’une enquête interne approfondie afin d’évaluer tous les cas possibles d’ingérence étrangère de la part de la Russie et d’autres pays au sein du Parlement européen.
À trois semaines d’un scrutin essentiel, il est urgent d’agir et de promouvoir une action forte et coordonnée des États membres. La France œuvrera-t-elle à ce que de tels mécanismes soient mis en œuvre ? Espérons-le…
Enfin, en parallèle de l’examen de ce texte, le Sénat a mis en place une commission d’enquête sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères. Le groupe Union Centriste suivra avec attention les conclusions de ses travaux. Quoi qu’il en soit, comme l’a déjà indiqué ma collègue Nathalie Goulet, notre groupe votera ce texte.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en france
Article 1er
I. – La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est ainsi modifiée :
1° Après la section 3 bis du chapitre Ier, est insérée une section 3 ter ainsi rédigée :
« Section 3 ter
« Transparence des activités d’influence réalisées pour le compte d’un mandant étranger
« Art. 18-11 et 18-12. – (Supprimés)
« Art. 18-12-1. – I. – Sont tenues de déclarer leurs activités d’influence auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans les conditions fixées par la présente section, les personnes physiques ou morales exerçant, sur l’ordre, à la demande ou sous la direction ou le contrôle d’un mandant étranger mentionné au II et aux fins de promouvoir les intérêts de ce dernier, une ou plusieurs actions destinées à influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire, sur une décision publique individuelle ou sur la conduite des politiques publiques, en :
« 1° Entrant en communication avec une ou plusieurs des personnes suivantes, à l’initiative de ces personnes ou de sa propre initiative :
« a) Un membre du Gouvernement, ou un membre de cabinet ministériel ;
« b) Un député, un sénateur, un collaborateur d’un député, d’un sénateur ou d’un groupe parlementaire, ainsi qu’avec les agents des services des assemblées parlementaires ;
« c) Un ancien président de la République, un ancien membre du Gouvernement, un ancien député ou un ancien sénateur, pendant une période de cinq ans suivant la fin de leur mandat ou la cessation de leurs fonctions ;
« d) Un collaborateur du Président de la République ;
« e) Le directeur général, le secrétaire général, ou leur adjoint, ou un membre du collège ou d’une commission investie d’un pouvoir de sanction d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante mentionnée au 6° du I de l’article 11 ;
« f) Une personne titulaire d’un emploi ou d’une fonction mentionné au 7° du même I ;
« g) Une personne titulaire d’une fonction ou d’un mandat mentionné aux 2°, 3° ou 8° dudit I ;
« h) Un agent public occupant un emploi mentionné à l’article L. 122-10 du code de la fonction publique ;
« i) Un candidat déclaré aux élections présidentielles, législatives ou sénatoriales, à compter de la publication officielle des listes des candidats déclarés ;
« j) Les dirigeants d’un parti ou groupement politique bénéficiant de la première fraction de l’aide attribuée en application de l’article 8 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
« 2° Réalisant toute action de communication à destination du public ;
« 3° Collectant des fonds ou procédant au versement de fonds sans contrepartie.
« Sont également tenues de déclarer leurs activités dans les conditions prévues à la présente section les personnes mentionnées aux 2° et 3° du II du présent article qui exercent une ou plusieurs des activités mentionnées aux 1° à 3° du présent I aux fins de promouvoir leurs intérêts ou ceux d’une puissance étrangère mentionnée au 1° du II.
« II. – Sont des mandants étrangers, au sens de la présente section :
« 1° Les puissances étrangères, à l’exclusion des États membres de l’Union européenne ;
« 2° Les personnes morales qui sont directement ou indirectement dirigées ou contrôlées par une puissance étrangère mentionnée au 1° ou qui sont financées pour plus de la moitié par une telle puissance étrangère ;
« 3° Les partis et les groupements politiques étrangers, à l’exclusion de ceux issus des États membres de l’Union européenne.
« III. – Ne sont pas des personnes tenues de déclarer leurs activités au sens de la présente section les membres du personnel diplomatique et consulaire en poste en France dûment habilités ainsi que les membres et les agents d’un État étranger, lorsqu’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions.
« Art. 18-13. – I. – Toute personne agissant pour le compte d’un mandant étranger tenue de déclarer ses activités en application de la présente section communique à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, par l’intermédiaire d’un téléservice, les informations suivantes :
« 1° Son identité, lorsqu’il s’agit d’une personne physique, ou celle de ses dirigeants et des personnes physiques chargées des activités d’influence en son sein, lorsqu’il s’agit d’une personne morale ;
« 2° Le nom et l’adresse de chacun des mandants étrangers pour le compte desquels elle agit ;
« 3° Le contenu de l’accord ou la nature du lien entre la personne agissant pour le compte d’un mandant étranger et le mandant étranger ;
« 4° Le nombre de personnes employées dans l’accomplissement des activités mentionnées au I de l’article 18-12-1 et, le cas échéant, le chiffre d’affaires généré par ces activités sur l’année précédente ;
« 5° Les actions réalisées, notamment :
« a) S’agissant des activités mentionnées au 1° du même I, les actions d’influence menées auprès des personnes mentionnées au même 1°, en précisant notamment la fonction des personnes contactées, l’intitulé, l’objet ou la référence de la décision publique concernée et le type d’actions menées ainsi que le montant des dépenses liées à ces actions durant l’année précédente ;
« b) S’agissant des activités mentionnées au 2° dudit I, la liste des actions de communication réalisées et les informations communiquées ;
« c) S’agissant des activités mentionnées au 3° du même I, la liste des opérations de collecte de fonds et des personnes bénéficiaires des versements opérés, le cas échéant.
« I bis (nouveau). – Les informations mentionnées au I sont recensées au sein d’un répertoire numérique, rendu public par la Haute Autorité et placé sous son contrôle. Ce répertoire est commun à la Haute Autorité, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Sa publication s’effectue dans un format ouvert librement utilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, dans les conditions prévues au titre II du livre III du code des relations entre le public et l’administration.
« II. – Toute personne agissant pour le compte d’un mandant étranger tenue de déclarer ses activités en application de la présente section communique à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans un délai de quinze jours ouvrés à compter de la date à laquelle les conditions définies à l’article 18-12-1 sont remplies, les informations mentionnées aux 1° à 3° du I du présent article.
« La personne tenue de déclarer ses activités en application de la présente section communique ensuite l’ensemble des informations mentionnées au même I dans un délai de trois mois à compter de la fin de chaque activité mentionnée au I de l’article 18-12-1, à l’exception du chiffre d’affaires mentionné au 4° et du montant des dépenses mentionnées au 5° du I du présent article, qui sont communiqués dans un délai de trois mois à compter de la clôture de son exercice comptable.
« Art. 18-13-1. – Les règles applicables aux personnes menant des activités d’influence pour le compte d’un mandant étranger au sein de chaque assemblée parlementaire sont déterminées et mises en œuvre dans les conditions prévues à l’article 4 quinquies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
« Art. 18-13-2. – Dans leurs relations avec les personnes mentionnées aux a et c à j du 1° du I de l’article 18-12-1, les personnes tenues de déclarer leurs activités :
« 1° Déclarent leur identité, l’organisme pour lequel elles travaillent et les intérêts ou entités qu’elles représentent ;
« 2° S’abstiennent de proposer ou de remettre à ces personnes des présents, dons ou avantages quelconques d’une valeur significative ;
« 3° S’abstiennent de toute incitation à l’égard de ces personnes à enfreindre les règles déontologiques qui leur sont applicables.
« Art. 18-14. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’assure du respect des obligations prévues aux articles 18-13 et 18-13-2. À cette fin, elle peut, à son initiative ou à la suite d’un signalement, mettre en demeure toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle entre dans le champ des personnes soumises à déclaration en application du I de lui communiquer, dans un délai d’un mois, tout information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission, sans que le secret professionnel puisse lui être opposé. Elle peut, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, également procéder à des vérifications sur place dans les locaux professionnels de ces personnes, sur autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris et en présence d’un officier de police judiciaire, lors desquelles ses agents peuvent exiger la communication et obtenir ou prendre copie, par tout moyen et sur tout support, des documents professionnels de toute nature, entre quelques mains qu’ils se trouvent, propres à faciliter l’accomplissement de leur mission.
« Elle peut demander aux personnes mentionnées aux a et c à j du 1° du I de l’article 18-12-1, directement ou par l’intermédiaire de leur référent en matière de déontologie, de lui communiquer la liste des personnes tenues de déclarer les informations mentionnées à l’article 18-13 avec lesquels elles sont entrées en communication.
« La Haute autorité peut également être saisie par les personnes mentionnées au 1° du I de l’article 18-12-1 sur la qualification à donner, au regard du même I, à l’activité d’une personne physique ou morale. La Haute Autorité ou, par délégation, son président rend son avis dans un délai de deux mois à compter de la réception, par la Haute autorité, des informations dont elle a sollicité la communication auprès de la personne physique ou morale en cause. Ce délai peut être prolongé de deux mois par décision de son président, après qu’il a informé l’auteur de la saisine.
« Lorsqu’elle constate un manquement aux obligations prévues aux articles 18-13 et 18-13-2, elle :
« 1° Adresse à la personne tenue de déclarer ses activités, après l’avoir mis en état de présenter ses observations, une mise en demeure, qu’elle peut rendre publique, de respecter les obligations auxquelles elle est assujettie ;
« 2° Le cas échéant, avise du manquement constaté la personne mentionnée aux a et c à j du 1° du I de l’article 18-2-1 qui a été en communication avec une personne mentionnée au 1° du présent article et peut lui adresser des observations, sans les rendre publiques.
« Lorsque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate qu’une personne tenue de déclarer les informations mentionnées à l’article 18-13 ne s’est pas conformée à la mise en demeure prononcée en application du présent article au terme d’un délai de deux mois, elle peut prononcer une astreinte dont le montant maximal est fixé à 1 000 euros par jour, qu’elle peut rendre publique.
« Art. 18-15. – Le fait, pour une personne tenue de déclarer ses activités en application de la présente section, de ne pas communiquer, de sa propre initiative ou à la demande de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, les informations qu’elle est tenue de communiquer à cette dernière en application de l’article 18-13 est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, de l’infraction définie au premier alinéa du présent article encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal, les peines prévues aux 5°, 7° à 9° et 12° de l’article 131-39 du même code.
« Art. 18-16. – Lorsqu’une personne physique ou morale remplit simultanément les conditions pour être qualifiée de représentant d’intérêts, au sens de l’article 18-2, et pour être tenue de déclarer ses activités en application de la présente section, et qu’elle s’est régulièrement acquittée des obligations prévues à la présente section, les obligations prévues à la section 3 bis du présent chapitre sont réputées remplies au titre des seules actions qu’elle a régulièrement déclarées.
« Lorsqu’une personne physique ou morale qui remplit simultanément les conditions pour être qualifiée de représentant d’intérêts, au sens de l’article 18-2, et pour être tenue de déclarer les informations mentionnées à l’article 18-13, ne s’est pas régulièrement acquittée des obligations prévues à la présente section, les manquements constatés ne peuvent être réprimés que sur le fondement de l’article 18-15.
« Art. 18-17. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les modalités de mise en œuvre de la présente section.
« Ce décret précise notamment :
« 1° Les modalités des communications prévues à l’article 18-13 ainsi que les conditions de publication des informations correspondantes ;
« 2° Les modalités de présentation des activités du représentant d’intérêts. » ;
2° À la seconde phrase du 5° du I de l’article 20, après la référence : « 18-2, », sont insérés les mots : « les relations avec les personnes tenues de déclarer ses activités en application de la section 3 ter du présent chapitre, ».
II. – L’article 4 quinquies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article est également applicable aux personnes tenues de déclarer les informations mentionnées à l’article 18-13 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique qui entrent en communication avec les personnes mentionnées au b du 1° du I de l’article 18-12-1 de la même loi. ».
III. – Entrent en vigueur :
1° Le premier jour du sixième mois suivant la publication du décret prévu à l’article 18-17 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, et au plus tard le 31 décembre 2025, les articles 18-11 à 18-13 et 18-13-2 à 18-17 de la même loi ainsi que le 2° du I du présent article ;
2° Le 31 décembre 2025, l’article 18-13-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 précitée et le II du présent article.
M. le président. L’amendement n° 23 rectifié, présenté par Mmes N. Goulet et Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après la référence :
II
insérer les mots :
ou qui agissent de facto sous le contrôle d’un État étranger
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement vise à prendre en compte le cas des acteurs qui agissent de facto sous le contrôle d’un État étranger.
Je sais que la commission n’est pas emballée par cette proposition, qui s’inspire directement du chapitre 3 du rapport de l’OCDE, lequel précise que le mandat peut être verbal ou écrit, mais que les personnes peuvent aussi agir « de facto sous le contrôle d’un État étranger ». Il me paraît donc intéressant de le préciser dans le texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Si la source de notre collègue est le rapport de l’OCDE, il n’en reste pas moins que cet amendement tend à introduire une notion assez floue et très peu juridique, à savoir la locution de facto.
Au surplus, cet amendement est satisfait par la rédaction actuelle puisque l’élément intentionnel qui justifie l’inscription dans le registre vise toute personne « agissant sur l’ordre, la demande, ou sous la direction ou le contrôle d’un mandant étranger ».
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Goulet. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 23 rectifié est retiré.
L’amendement n° 5, présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer les mots :
et aux fins de promouvoir les intérêts de ce dernier
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Ce premier amendement du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à clarifier les critères permettant de déterminer qui est agent d’influence pour le compte d’une puissance étrangère et qui ne l’est pas.
Le texte retient aujourd’hui deux critères : un agent d’influence est soit une personne qui agit sur ordre, sur demande ou sous le contrôle d’un mandant étranger ; soit une personne qui agit dans le but de promouvoir les intérêts de ce mandant.
Au travers de cet amendement, il s’agit de supprimer ce second critère, qui nous paraît redondant avec le premier. Un individu qui exerce son activité d’influence sur ordre, sur demande ou sous le contrôle d’un mandant étranger le fait nécessairement dans le but de promouvoir les intérêts de ce mandant. On n’agit pas sous l’ordre d’une personne pour contrarier ses intérêts, cela semble assez évident.
Si nous proposons de supprimer la mention de « promotion des intérêts du mandant », c’est non pas simplement pour des raisons d’esthétique juridique, mais par souci de clarté et d’efficacité juridique. En conservant cette mention, on prendrait le risque qu’une personne agissant sur ordre d’un mandant étranger argue du fait qu’elle agit non pas pour les intérêts de son mandant, mais pour ceux d’un tiers. Le danger, on le comprend bien, est ici de contourner le dispositif dont nous sommes en train de discuter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nos collègues souhaitent assouplir les conditions déclenchant les obligations d’inscription dans le répertoire en supprimant la mention « aux fins de promouvoir ses intérêts ». Or l’ensemble des critères fixés sont cumulatifs et permettent d’éviter d’ouvrir trop largement cette obligation déclarative, ce qui risquerait de rendre le répertoire beaucoup moins opérationnel et utile.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Le Président de la République ;
La parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Cet amendement, comme les deux suivants, est important pour la portée du texte que nous sommes en train d’examiner.
Le dispositif en faveur de la transparence sur les activités d’influence est intéressant, mais il est incomplet puisque plusieurs personnes publiques de haut rang ou catégories de personnes publiques ne sont pas incluses dans la liste des cibles des agents d’influence. C’est le cas du Président de la République, qui est l’objet de ce premier amendement.
Le texte, tel qu’il a été modifié par Mme la rapporteure, ne prend en compte que les actes d’influence exercés à l’égard d’anciens Présidents de la République et non ceux exercés à l’égard du Président de la République en exercice.
On nous oppose – nous connaissons cet argument – qu’une telle disposition serait contraire à la Constitution. En effet, le statut du Président de la République relève de la seule Constitution. Or cet amendement ne tend nullement à modifier son statut. S’il était adopté, le Président de la République ne serait pas soumis à des obligations déclaratives nouvelles ou supplémentaires.
Notre amendement ne vise à créer des obligations que pour les agents d’influence agissant pour le compte d’un mandant étranger. Il tend à leur imposer de s’enregistrer auprès de la HATVP, de déclarer les actions qu’ils ont entreprises à l’égard du Président de la République et surtout d’indiquer au nom de qui ils agissent.
Nous parlons ici non pas de relations diplomatiques d’État à État ou de chef d’État à chef d’État, mais de tentatives par des organisations étrangères d’influencer la conduite des politiques publiques. Il s’agit non pas de trahir des secrets d’État, mais de prévenir les plus hauts responsables publics de notre pays et de les protéger contre les influences étrangères.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement vise à élargir la liste des cibles de l’influence étrangère au Président de la République alors même que son statut et son immunité sont constitutionnellement garantis. J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. En complément de ce que vient d’indiquer Mme la rapporteure, je précise que, dans son avis sur la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin 2), le Conseil d’État avait indiqué que le statut du Président de la République relevant de la seule Constitution, il n’était pas possible au législateur de l’inclure dans la liste des cibles des représentants d’intérêts.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Un membre du Conseil constitutionnel ;
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement s’inscrit dans le prolongement du précédent. Il vise à protéger les membres du Conseil constitutionnel contre les activités d’influence qui les cibleraient pour tenter d’influer sur la vie publique.
Les décisions du Conseil constitutionnel peuvent avoir un effet significatif sur la conduite des politiques publiques, comme en témoigne sa décision sur la funeste loi Immigration. Dès lors, comment peut-on croire que les membres du Conseil constitutionnel ne puissent pas être la cible d’agents d’influence agissant sur ordre de mandants étrangers ?
On nous répondra sans doute que cet amendement n’est pas conforme à la Constitution au motif que l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel relèvent de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
Mais, là encore, inscrire les membres du Conseil constitutionnel dans la liste des cibles d’activités d’influence ne modifierait en rien ni l’organisation ni le fonctionnement du Conseil constitutionnel en tant qu’institution. Quant à ses membres, ils ne seraient pas non plus soumis à de nouvelles obligations déclaratives.
S’il était adopté, cet amendement aurait pour seule conséquence juridique d’obliger les agents d’influence à déclarer leurs activités lorsqu’elles concernent un membre du Conseil constitutionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Le raisonnement est le même que pour le Président de la République. Nos collègues souhaitent étendre la liste des cibles de l’influence étrangère aux membres du Conseil constitutionnel. Cela touche donc bien à leur statut, constitutionnellement garanti dans une loi organique.
J’émets donc également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Remplacer les mots :
ou sénatoriales
par les mots :
,sénatoriales ou européennes
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Sur l’initiative de Mme la rapporteure, la commission des lois a souhaité étendre la liste des cibles de l’influence étrangère et aller plus loin que les règles fixées en matière de représentation d’intérêts dans la loi Sapin 2 en y ajoutant les candidats déclarés à une élection nationale – autrement dit législative ou présidentielle – à compter de la publication officielle des listes des candidats déclarés.
Nous avons approuvé cet élargissement, mais nous regrettons fortement qu’il ne concerne que les élections nationales et que les candidats aux élections européennes ne soient pas pris en compte.
Autant il est logique de ne pas prendre en compte les parlementaires européens, dont le régime relève du droit de l’Union européenne, autant rien ne fait obstacle à ce que les candidats soient pris en compte dans ce texte.
La qualité de candidat aux élections européennes relève de la loi du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, donc du droit national. Dans la période qui court de la publication officielle de la liste des candidats à l’élection elle-même, c’est bien le droit national qui prévaut puisque chaque pays organise le scrutin européen selon ses propres règles.
En conséquence, la prise en compte des candidats aux élections européennes est tout à fait possible d’un point de vue juridique. Elle est surtout politiquement indispensable.
Les actions d’influence étrangères à destination des élus européens ont été parfaitement documentées, notamment par la commission spéciale sur l’ingérence étrangère du Parlement européen, présidée par Raphaël Glucksmann.
Ces stratégies d’influence sont engagées avant même les scrutins, quand les intéressés ne sont encore que candidats. Ce serait donc une erreur de ne pas les prendre en compte, erreur ou oubli que nous proposons ici de corriger.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois et la commission des affaires étrangères ont débattu de l’élargissement des cibles de l’influence aux députés européens. Nous avons considéré qu’ils étaient protégés par les réglementations applicables au Parlement européen, mais la question des candidats aux élections européennes se pose effectivement.
Le Gouvernement pourra utilement nous préciser si l’Union européenne assure déjà un tel type de contrôle pour ces candidats, qui peuvent eux aussi être soumis à des opérations d’influence dans le cadre de leur campagne électorale. Je m’en remets donc à son avis !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Il est souhaitable que la liste des cibles des activités d’influence puisse être étendue aux candidats aux élections européennes. Cette liste couvre déjà les candidats déclarés aux élections présidentielles, législatives ou sénatoriales.
Les candidats aux élections européennes peuvent être directement exposés aux activités d’influence et aux tentatives d’ingérence étrangère, et ce alors même qu’ils participent à l’édiction de normes directement applicables au territoire national. Il est donc pertinent de les inclure dans le dispositif instauré par la proposition de loi.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Favorable.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes N. Goulet et Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 19
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Organisant des voyages à destination des élus ou des socioprofessionnels.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. En déposant cet amendement de précision, j’avais clairement en tête l’exemple d’un organisme qui organise des voyages à destination des parlementaires, des élus et des socioprofessionnels sans être inscrit sur la liste de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Il m’a semblé intéressant de mentionner cette activité dans la liste prévue à l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Votre amendement est déjà satisfait, ma chère collègue.
En effet, le fait d’organiser des voyages à destination des élus ou des socioprofessionnels équivaut à entrer en communication avec eux. Cette activité est donc déjà couverte par le dispositif voté en commission.
Par conséquent, je sollicite le retrait de l’amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 6 est présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 53 est présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Alinéa 22
Supprimer les mots :
, à l’exclusion des États membres de l’Union européenne
II. - Alinéa 24
Supprimer les mots :
, à l’exclusion de ceux issus des États membres de l’Union européenne
La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 6.
M. Jérôme Durain. Cet amendement porte sur un sujet complexe : les activités d’influence menées pour le compte d’États membres de l’Union européenne. Cette question comporte deux volets : un volet politique et un volet juridique.
Sur le plan politique, personne ne peut sérieusement défendre l’idée selon laquelle les États membres de l’Union européenne, par nature, n’exerceraient pas des activités d’influence à l’égard de leurs partenaires, y compris la France.
Les États membres de l’Union européenne sont des partenaires, mais il n’est pas illégitime entre partenaires d’exiger la plus grande transparence et de requérir de ceux qui exercent des activités d’influence auprès de nos responsables publics au nom de ces États membres qu’ils déclarent leurs activités !
L’assujettissement à ce répertoire, y compris pour ceux qui agissent pour le compte d’un État européen, n’est ni une sanction ni une mesure de défiance ; c’est une simple mesure de transparence. Ce n’est pas illégitime, je le répète, y compris entre partenaires. Sur cet aspect des choses, je pense que nous pouvons être globalement d’accord.
Le principal argument opposé à cet amendement est juridique, en ce qu’il serait contraire au droit européen. Nous sommes prêts à étudier cette question pour peu que l’on nous explique concrètement en quoi l’intégration des États européens au dispositif contreviendrait au droit de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour présenter l’amendement n° 53.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Notre amendement vise à supprimer l’exception pour les ingérences des États membres de l’Union européenne.
Lors des débats sur la loi de programmation militaire, nous avons à maintes reprises fait part de notre inquiétude face à la montée alarmante de l’extrême droite dans plusieurs pays de l’Union européenne, tels que le Danemark, la Suède, l’Italie ou encore la Hongrie. Cette montée en puissance constitue une menace tangible pour notre sécurité nationale et pour nos valeurs démocratiques.
L’argument en faveur de l’exclusion des États membres de l’Union européenne repose sur l’idée que nous partageons des valeurs communes, mais la réalité politique actuelle démontre une divergence inquiétante de valeurs et de principes.
L’essor de l’extrême droite, qui défend des positions nationalistes, xénophobes et autoritaires, va à l’encontre des idéaux de solidarité, de tolérance et de respect des droits humains fondamentaux qui forment le socle de notre démocratie.
La présence croissante de ces mouvements au sein de certains gouvernements européens crée un terrain fertile pour les ingérences étrangères. Ces gouvernements peuvent être tentés de nouer des alliances ou d’accepter des soutiens extérieurs.
Présumer que nous sommes immunisés contre les ingérences étrangères serait une grave erreur et témoignerait d’une grande naïveté. La montée de l’extrême droite exige une vigilance accrue.
Mes chers collègues, je vous invite à voter cet amendement afin d’envoyer un signal fort : la France est résolue à préserver l’intégrité de sa démocratie. Affirmons que la vigilance ne connaît pas de frontières et que la justice ne souffre aucune exception !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous comprenons l’objectif des auteurs de ces amendements.
Néanmoins, le risque d’inconventionnalité est élevé. En effet, dans une décision relative à la Hongrie, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que de telles restrictions se heurtaient aux obligations qui incombent aux États membres au titre de la liberté de circulation des capitaux énoncée à l’article 63 du traité fondateur de l’Union européenne et qu’elles étaient contraires aux articles 7, 8 et 12 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 et 53.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes N. Goulet et Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Alinéa 24
Après le mot :
étrangers
insérer les mots :
y compris les partis et mouvements en exil et/ou bénéficiant de l’asile politique
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Victoire de l’optimisme sur l’expérience : je vous propose de compléter l’alinéa 24 de l’article pour préciser que les partis et mouvements politiques en exil ou bénéficiant du statut de réfugié sont tenus de respecter les mêmes règles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cette mention apparaît superfétatoire, puisque, qu’ils soient à l’étranger ou en France, les partis et groupements politiques étrangers sont déjà couverts par les dispositions.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 51, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 25
Rédiger ainsi cet alinéa :
« III. – Ne sont pas des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, au sens de la présente section : les membres du personnel diplomatique et consulaire en poste en France dûment habilités, les membres et les agents d’un État étranger, les journalistes, au sens de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les organes de presse, au sens de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme juridique de la presse, ainsi que les services de communication audiovisuelle, au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les avocats, lorsqu’ils réalisent des prestations de conseil juridique ou d’assistance des parties devant les juridictions, les organismes juridictionnels, disciplinaires ou autorités administratives. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Notre amendement tend à ajouter dans le champ des personnes exclues de la catégorie des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandat étranger les journalistes et les organes de presse, notamment.
Croire que l’on peut lutter contre la propagande de guerre par la censure constitue une faute lourde. Le combat pour un journalisme libre passe nécessairement par celui contre toute forme d’ingérence des détenteurs de pouvoir, quels qu’ils soient. Ce n’est pas évident en temps de paix ; ce l’est encore moins en cas de conflit armé.
À cet égard, la censure gouvernementale des chaînes d’État russes Russia Today (RT) et Sputnik sur le territoire de l’Union européenne après l’invasion de l’Ukraine aurait dû choquer les démocrates que nous sommes.
Dans une démocratie, la liberté d’expression, fût-elle propagandiste, est protégée, et pas seulement pour ce qui fait consensus. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle souvent que cette liberté vaut aussi pour les propos et idées « qui heurtent, choquent ou inquiètent ».
Cela n’a pas empêché le Conseil européen d’adopter, en mars 2022, un règlement établissant la censure sur tout le territoire de l’Union européenne et sur tout support de six chaînes russes. Pour la première fois depuis des dizaines d’années, des gouvernements se sont attribué le pouvoir de fermer des médias, en contradiction totale avec les standards juridiques européens.
Par ailleurs, mes chers collègues, face à la désinformation, la censure est inefficace : RT et Sputnik sont toujours accessibles via des plateformes de vidéo en ligne ! Elle est contre-productive et nourrit le complotisme. Surtout, elle porte atteinte aux libertés fondamentales.
Le véritable antidote à la désinformation est non pas l’interdiction des médias, mais un audiovisuel public fort. Or la réforme envisagée en France risque de l’affaiblir davantage.
Si la vérité est la première victime de la guerre, c’est aussi parce que les belligérants, quel que soit leur camp, y trouvent leur intérêt, au mépris des citoyens et de l’information, même biaisée.
Cet amendement a pour objet de protéger le droit fondamental qu’est la liberté d’expression.
M. le président. Les amendements nos 2 rectifié et 27 sont identiques.
L’amendement n° 2 rectifié est présenté par M. Favreau, Mme Aeschlimann, M. Belin, Mme Belrhiti, M. Panunzi, Mme M. Mercier, M. Khalifé, Mme Micouleau, MM. Pellevat, Saury, D. Laurent, Naturel, Reynaud, Genet et Sido et Mme Berthet.
L’amendement n° 27 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 25
Compléter cet alinéa par les mots :
et les avocats, lorsqu’ils réalisent des prestations de conseil juridique ou d’assistance des parties devant les juridictions, les organismes juridictionnels, disciplinaires ou autorités administratives
L’amendement n° 2 rectifié n’est pas soutenu.
La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 27.
M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à dispenser les avocats de l’obligation d’inscription au répertoire afin de garantir le bon fonctionnement de la justice et de préserver les relations de confiance entre clients et avocats.
Les fonctions de conseil et de défense de l’avocat sont et doivent demeurer indissociables.
Rappelons que les avocats sont soumis à une déontologie stricte. Ces règles leur interdisent, par exemple, d’accepter un mandat lorsque leur indépendance ne peut être garantie.
Trois mécanismes de contrôle existent. D’abord, les bâtonniers du barreau veillent au respect des règles déontologiques dans leur ensemble. Ensuite, les avocats qui acceptent des activités de représentation d’intérêts doivent déclarer ces activités à l’ordre des avocats. Enfin, les avocats sont déjà soumis au registre créé par la loi Sapin 2.
C’est dans ce contexte qu’il faut analyser cette proposition de loi, qui crée un mécanisme de déclaration et de sanctions parallèle, à savoir, potentiellement, une quatrième obligation.
Cet amendement est issu d’une recommandation du Conseil national des barreaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’amendement n° 51 vise à étendre les exclusions de l’obligation de déclaration aux journalistes et avocats, l’amendement n° 27 aux seuls avocats.
Nous avons auditionné de nombreux services de renseignement, qui tous nous ont confirmé qu’ils avaient rencontré plusieurs cas d’ingérences ayant utilisé la voie soit du conseil juridique, soit du journalisme. Le projet Story Killers nous le prouve en matière d’ingérence étrangère.
Les exceptions que tendent à prévoir les amendements pourraient être utilisées pour contourner le dispositif et en saper toute l’utilité, raison pour laquelle elles nous paraissent totalement contraires aux objectifs visés.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements, d’autant que, concernant les avocats, les activités contentieuses ne relèvent pas des activités visées à l’article 1er, lequel crée, à l’article 18-12-1, une nouvelle obligation.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 28, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 29
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les montants des financements reçus de chacun des mandants étrangers pour le compte desquels il agit ;
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement tend à obliger les entités étrangères enregistrées au répertoire à publier le montant qu’elles perçoivent au titre de leur activité de lobbying en France.
Nous soutenons pleinement l’objectif de la transparence. Or, bien que les représentants d’intérêts doivent indiquer l’entité qu’ils représentent et la nature de leurs activités, ils ne sont pas obligés de déclarer le montant de la rémunération perçue de l’étranger. Il est tout de même surprenant que cette information clé ne soit pas incluse dans les obligations de déclaration !
Nous pensons que ce n’est pas la même chose, pour un lobbyiste, de percevoir 1 000 euros ou 5 millions d’euros pour une opération d’influence qui, potentiellement, constitue un acte d’ingérence. Il faut que les représentants d’intérêts étrangers déclarent les montants des financements reçus pour leurs activités.
Nous serions loin d’être les premiers à imposer une telle déclaration dans le nouveau répertoire : le registre de transparence européen impose en effet aux personnes qui y sont inscrites de publier les montants de leurs financements par mandataire, hormis les ONG. Ces personnes n’ont pas besoin d’indiquer le montant exact, elles doivent simplement renseigner une fourchette. Néanmoins, cette information est essentielle pour évaluer de manière plus précise l’influence étrangère et le risque d’ingérence qui l’accompagne.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cette obligation de déclarer l’ensemble des financements pour chacune des activités nous paraît extrêmement sévère.
Je rappelle que l’influence étrangère est une activité légale.
Une telle exigence emboliserait la HATVP, qui, depuis que nous avons adopté l’un de mes amendements en commission, dispose tout de même d’un pouvoir de contrôle sur place et sur pièce lui permettant, si nécessaire, de se faire communiquer de telles informations.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je soutiens cet amendement, qui est bienvenu.
M. le président. L’amendement n° 42 rectifié bis, présenté par MM. Daubet et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Guiol et Masset, Mme Pantel, M. Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéa 50
Après les mots :
article 18-13
insérer les mots :
, ou d’avoir communiqué de fausses informations,
La parole est à Mme Annick Girardin.
Mme Annick Girardin. L’article 1er n’évoque explicitement de sanction pour les représentants d’intérêts qu’en cas d’oubli de déclaration.
Le rapport du 22 avril 2024 de l’OCDE, intitulé Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France : un outil pour lutter contre les risques d’ingérences étrangères, appelle à prévoir un régime gradué de sanctions en cas de non-respect des obligations, incluant des sanctions administratives et pénales, le premier objectif étant de dissuader la non-déclaration d’activités d’influence.
Par conséquent, il apparaît essentiel que ce texte sanctionne également, outre l’omission, la volonté de fausser les informations déclarées. Cet amendement vise ainsi à préciser et à expliciter les sanctions encourues en cas de fausses déclarations d’informations à la HATVP.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous émettons un avis défavorable, car nous pensons que les sanctions prévues en cas de non-déclaration ou de mauvaise déclaration, qui sont de trois ans d’emprisonnement et de 40 000 euros d’amende, satisfont cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 43 rectifié bis, présenté par MM. Daubet et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Guiol et Masset, Mme Pantel, M. Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéa 54
Compléter cet alinéa par les mots :
notamment, la durée de publicité des informations du répertoire numérique
La parole est à Mme Annick Girardin.
Mme Annick Girardin. Un représentant d’intérêts peut se désinscrire de l’actuel répertoire des représentants d’intérêts tenu par la HATVP en cas de cession d’activité et d’abandon de sa qualité.
Lorsqu’une entité est désinscrite du répertoire, les éléments qu’elle a précédemment déclarés demeurent accessibles pendant une durée de cinq ans. Il serait souhaitable que cette information reste accessible beaucoup plus longtemps pour les représentants d’intérêts agissant pour un mandant étranger.
Nous demandons que cette durée soit inscrite dans le décret qui définira les modalités de mise en œuvre de l’article 1er, car nous estimons qu’il est possible que de telles personnes puissent avoir accès à des entreprises françaises ou à des directions politiques, au sens sensible du terme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement apparaît inutile, voire superfétatoire, les durées relevant du décret.
Par ailleurs, sur la forme, la commission n’est pas friande de l’adverbe « notamment ».
Elle émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 55, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 62
Remplacer la référence :
18-11
par la référence :
18-12-1
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement vise à corriger une erreur matérielle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est ainsi modifiée :
1° La première phrase de l’article 1er est complétée par les mots : « ou tout risque d’ingérence étrangère » ;
2° Après le 6° du I de l’article 20, il est inséré un 6° bis ainsi rédigé :
« 6° bis Elle répond aux demandes d’avis des personnes mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l’article 18-2 sur les questions relatives à leurs relations avec des personnes menant des activités d’influence étrangère et au répertoire prévu à l’article 18-12-1 ; »
3° Le premier alinéa du I de l’article 23 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque ce contrôle est exercé au regard d’un risque d’ingérence étrangère, ce délai est porté à cinq ans. »
M. le président. L’amendement n° 56 rectifié, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les références :
1° et 3° à 7° de l’article 18-2
par les références :
a et c à j du 1° du I de l’article 18-12-1
et
après le mot :
prévu
insérer les mots :
au même
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement a pour objet de corriger une erreur matérielle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
huit
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Dans un même élan que Mme la rapporteure, nous avions déposé, en commission des lois, un amendement visant à renforcer le contrôle qu’exerce la HATVP sur la reconversion professionnelle des anciens membres du Gouvernement au titre de la lutte contre les ingérences étrangères.
Il s’agit là d’une préconisation du récent rapport de l’OCDE sur la prévention des ingérences étrangères, que nous trouvions nécessaire de traduire dans la loi à l’occasion de ce texte.
De nombreuses actions d’influence étrangère à destination d’anciens responsables publics nationaux ou locaux sont menées plusieurs années après la fin de leurs fonctions, compte tenu de leurs réseaux et de leur influence dans la vie publique, laquelle est parfois encore importante. Il est donc bienvenu que le contrôle des risques d’ingérences étrangères s’exerce sur une durée de cinq ans après la cessation des fonctions, et non pas de trois ans, comme pour les autres contrôles.
Cependant, cette durée de cinq années nous paraît un peu courte, dans la mesure où les entreprises d’ingérence étrangère s’exercent sur un temps long – sans doute davantage que les activités de lobbying domestique. C’est la raison pour laquelle nous avions initialement proposé dix ans.
Nous proposons désormais un compromis, à savoir un contrôle de la reconversion des anciens membres de gouvernement jusqu’à huit ans après la cessation de leurs fonctions.
Nous avons entendu la réponse de Mme la rapporteure ce matin : elle affirmait ne pas comprendre ce délai de huit ans, au motif qu’il ne correspond à la durée d’aucun mandat. Je lui retourne la question : pourquoi faudrait-il s’aligner sur une durée de mandat, s’agissant précisément d’anciens responsables publics, qui n’ont donc plus de mandat ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La durée de cinq ans est surtout un compromis. Nous pensons que c’est une durée suffisante pour assurer le suivi et le contrôle des anciens présidents et ministres, sans entraver trop longtemps leur liberté de reconversion.
Au demeurant, c’est déjà deux ans de plus que les trois ans prévus dans le cadre de la prévention des conflits d’intérêts en cas de mobilité.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis A, modifié.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
I. – Les organismes mentionnés à l’article 222 bis du code général des impôts qui réalisent des analyses ou des expertises sur tout sujet en lien avec une politique publique nationale ou en matière de politique étrangère ainsi que les établissements éducatifs publics à but non lucratif œuvrant avec un partenaire étranger et ayant pour vocation la diffusion d’une langue étrangère et la promotion des échanges culturels sont tenus de transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la liste des dons et des versements reçus de la part de toute puissance étrangère ou de toute personne morale étrangère extérieures à l’Union européenne.
II. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, précise les conditions d’application du I du présent article.
Il précise notamment les conditions dans lesquelles ces informations peuvent être rendues publiques ainsi que le montant des avantages et ressources à partir duquel s’applique l’obligation de transmission prévue au premier alinéa.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, sur l’article.
Mme Gisèle Jourda. À ce stade de l’examen de la proposition de loi, je tiens à évoquer le grand absent de ce texte : je veux bien sûr parler de la sensibilisation des élus locaux au risque d’ingérences.
Au regard de l’intensification de la menace et des responsabilités qui pèsent sur les élus locaux – je pense notamment à la commande publique –, cette sensibilisation est indispensable.
Elle est d’ailleurs préconisée dans le rapport de la délégation parlementaire au renseignement, dont est issue la proposition de loi qui nous réunit ici ce soir.
Nous avions déposé un amendement tendant à ce que soit organisée, dans chaque département, sur l’initiative du préfet et en lien avec les services territoriaux de sécurité intérieure, une session de sensibilisation des élus locaux à ces risques, et ce après chaque renouvellement électoral, qu’il soit municipal, départemental ou régional.
Cet amendement a malheureusement été déclaré irrecevable. Je me demande bien pourquoi !
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mme G. Jourda, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après les mots :
politique étrangère
insérer les mots :
, les établissements publics mentionnés aux articles L. 711-1 du code de l’éducation et L. 313-1 du code de la recherche
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. L’article 1er bis impose aux laboratoires d’idées et think tanks de déclarer les dons et versements qu’ils perçoivent de l’étranger.
Ces organismes seront ainsi tenus de transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la liste des dons et des versements reçus de la part de toute puissance étrangère ou de toute personne morale étrangère. C’est très bien.
Comme nous avons proposé de soumettre à cette obligation les instituts ayant la forme juridique d’un établissement éducatif public à but non lucratif œuvrant avec un partenaire étranger, nous vous proposons d’étendre cette obligation aux centres de recherche, ainsi qu’aux centres universitaires, afin de connaître leurs sources de financement extraeuropéennes.
Cet amendement vise à apporter une garantie juridique. Nous voulons véritablement protéger l’ensemble du monde de la recherche et de l’enseignement supérieur français, qui est une cible des tentatives d’influence de la part d’États étrangers.
À cet égard, je ne peux que vous conseiller la lecture du rapport de notre ancien collègue André Gattolin, alors rapporteur de la mission d’information présidée par Étienne Blanc, qui visait à « mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous avons effectivement adopté l’extension de l’obligation aux instituts en commission des lois.
L’amendement vise à étendre cette obligation aux centres de recherche et aux centres universitaires. Nous comprenons tout à fait l’enjeu, nos chercheurs pouvant être la cible d’influences étrangères.
Néanmoins, les universités ont déjà des obligations de publication des dons et financements reçus. L’extension de l’obligation que tend à prévoir cet amendement pourrait donc être redondante. Par conséquent, nous sollicitons l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Madame la sénatrice, vous proposez que les unités de recherche, établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, soient tenues de transmettre à la HATVP la liste des dons et versements reçus de la part de toute puissance ou personne morale étrangère extérieure à l’Union européenne.
Je partage vos préoccupations sur le risque de dépendance à certaines sources de financement auquel pourraient être exposés l’enseignement supérieur et la recherche.
Votre volonté d’une plus grande transparence est partagée par le Gouvernement. Toutefois, celui-ci relève deux difficultés.
La première est une difficulté de fond, puisqu’il n’apparaît pas pertinent d’imposer cette obligation aux unités de recherche, entités sous tutelle qui ne disposent pas en propre de la personnalité juridique.
La seconde est une difficulté rédactionnelle, la double référence aux établissements mentionnés aux articles L. 711-1 du code de l’éducation et L. 313-1 du code de la recherche créant une redondance dans le texte. La liste des établissements publics exerçant une mission de recherche est fixée par décret au titre de l’article L. 112-6 du code de la recherche, que vous n’évoquez pas.
Le Gouvernement sollicite donc le retrait de l’amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est donc l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission demande elle aussi le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Si le groupe CRCE-K a voté les autres amendements, il ne votera pas celui-là.
En effet, je pense que les centres universitaires sont, à juste titre, protégés par deux libertés : l’une académique, l’autre constitutionnelle.
Pour cette raison, je le dis à mes collègues de gauche, nous ne voterons pas cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 54, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
extérieures à l’Union européenne
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement vise les think tanks et les laboratoires d’idées – il diffère donc du précédent.
En matière de lutte contre les ingérences étrangères, aucun privilège ou nulle exemption ne doit être accordé à un État au motif qu’il est membre de l’Union européenne. Tous les acteurs, qu’ils appartiennent à des États membres de l’Union européenne ou à des États étrangers situés en dehors de l’Union européenne, doivent être soumis à des régulations équitables et transparentes.
Il est donc impératif de reconnaître que les disparités entre les États membres de l’Union européenne ne sauraient justifier l’octroi de privilèges ou d’exemptions dans le cadre de la lutte contre les ingérences étrangères.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, pour une raison invoquée précédemment : le risque d’inconventionnalité soulevée par la CJUE.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Je veux dire à nos collègues communistes que, par cohérence avec notre amendement, nous nous sentons un peu obligés de voter pour le leur… (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Après l’article 1er bis
M. le président. L’amendement n° 34, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 5 du chapitre Ier du titre Ier du livre IV du code pénal est complété par un article 411-… ainsi rédigé :
« Art. 411-…. – Le fait de publier une imitation d’une publication de presse ou d’un service de presse en ligne pour le compte d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou organisation étrangère, contenant des informations fausses de nature à induire en erreur et à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende. »
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement a pour objet de pénaliser le fait d’imiter l’identité d’une agence de presse ou d’un média pour partager des informations.
Nous faisons face à des vagues de plagiat de médias en ligne par des acteurs étrangers malveillants, qui diffusent sur des copies des informations biaisées, voire fausses. L’objectif de ces attaques est d’induire en erreur les lecteurs, qui pensent lire l’article d’un média bien établi, alors qu’ils se trouvent, en réalité, sur un site internet plagié. De cette manière, les groupuscules étrangers qui sont derrière ces opérations tentent de diffuser des rumeurs infondées et d’influencer l’opinion publique.
Rappelons, dans ce contexte, que l’entreprise Meta a déjà retiré les références vers soixante sites sur les réseaux sociaux.
Une entreprise de cybersécurité a montré dans un rapport du 9 mai 2024 que des sites relaient des articles de presse réécrits ou des brèves d’InfoRos, une fausse agence de presse russe conçue pour diffuser la propagande du Kremlin à l’étranger. Selon ce rapport, les pays ciblés sont les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.
Parmi ces articles de presse plagiés, il en est un, par exemple, dont le titre est le suivant : « Les armes archaïques de l’Otan n’aident pas l’Ukraine dans son combat contre la Russie. »
Viginum et, plus globalement, les services de renseignement ont sûrement repéré d’innombrables autres exemples de telles tentatives d’ingérence.
En tout état de cause, ces plagiats sont extrêmement dangereux, car ils risquent non seulement d’influencer l’opinion publique, mais également d’éroder la confiance dans les médias. C’est pourquoi nous devons nous doter de systèmes de veille efficaces.
Tel est le sens de cet amendement, qui vise à ériger en infraction pénale le fait de publier l’imitation d’une publication de presse en ligne pour le compte d’une puissance étrangère.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Ce phénomène est bien connu. Il a été révélé par Viginum et fait l’objet d’un suivi pointilleux.
Cependant, la diffusion de fausses informations est d’ores et déjà sanctionnée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, spécialement en période électorale.
Nous avons augmenté, dans le texte, le quantum de peine applicable en cas d’infraction commise pour le compte d’une puissance étrangère. Une disposition spécifique aux faux sites ne paraît donc pas nécessaire. Elle serait même très difficile à mettre en application.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mme G. Jourda, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L. 411-5 du code de la recherche est complété par les mots : « ainsi qu’avec toute puissance étrangère ou toute personne morale étrangère ».
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Cet amendement tend à créer une obligation pour les chercheurs de signaler, dans leurs thèses, travaux postdoctoraux et publications scientifiques, les aides directes et indirectes dont ils ont pu bénéficier de la part de puissances étrangères ou de personnes morales étrangères.
Cet amendement sur la transparence de la coopération universitaire vise à mettre en œuvre une autre préconisation du rapport sénatorial d’André Gattolin et Étienne Blanc d’octobre 2021 sur les ingérences étrangères dans le monde universitaire et académique français.
L’objectif est clair : il s’agit d’ériger à l’échelon national la transparence en principe cardinal de toute coopération universelle internationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous comprenons bien l’enjeu de cet amendement, car nous avons déjà débattu des activités d’influence auprès des chercheurs.
Néanmoins, votre amendement ne fait pas le lien entre les puissances étrangères et la mission du chercheur. Ainsi, un chercheur qui effectuerait un déplacement pour d’autres activités serait aussi obligé de déclarer celles-ci.
Ce dispositif ne nous paraît pas très opérationnel. C’est la raison pour laquelle nous sollicitons le retrait de l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er juillet de l’année qui suit celle de la promulgation de la présente loi, puis tous les deux ans, un rapport sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale. Ce rapport, qui fait état des menaces résultant d’ingérences étrangères, peut faire l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, sur l’article.
Mme Gisèle Jourda. Je tiens à prendre la parole sur cet article pour exprimer mon incompréhension, voire ma stupéfaction : la commission des lois a jugé irrecevable notre amendement visant à demander la transmission d’un rapport à la délégation parlementaire au renseignement afin que celle-ci puisse connaître l’état réel de la présence de postes clandestins de police étrangère sur notre territoire. Or, plus qu’une simple ingérence, la présence de ces postes constitue une véritable atteinte à notre souveraineté, à laquelle nous voulons mettre fin.
En quoi cet amendement serait-il dépourvu de tout lien avec l’objet du texte qui nous rassemble ici ce soir ?
M. le président. L’amendement n° 52, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Première phrase
Supprimer le mot :
deux
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement vise à prévoir la remise du rapport sur l’état des menaces pesant sur la sécurité nationale par le Gouvernement au Parlement non pas tous les deux ans, comme le prévoit l’article, mais tous les ans.
Le Parlement doit être en mesure de connaître les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, et ce chaque année. Rien ne justifie d’attendre deux ans pour prendre connaissance d’un rapport d’une telle importance – nous avons souligné le caractère urgent de ce sujet au début de nos travaux.
Par ailleurs, il est primordial que les parlementaires puissent également exercer un contrôle annuel sur le pouvoir exécutif et sur ce qu’il définit comme une menace à la sécurité nationale. Il s’agit d’affirmer dans ce domaine le rôle du Parlement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Une fréquence de deux ans nous paraît préférable à une fréquence d’un an, car elle permet de disposer d’un véritable rapport. Je demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Il s’agit tout de même d’une question extrêmement importante. Vous devez nous expliquer pourquoi le Gouvernement serait incapable de remettre ce rapport une fois par an ! Pourquoi faudrait-il deux années pour écrire un document sur la sécurité nationale et les ingérences étrangères ? Franchement, je suis très étonné de la réponse qui nous est faite !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Ce sont les députés qui ont réduit, lors de l’examen du texte en première lecture, la fréquence de publication du rapport, celle de deux ans correspondant mieux au rythme auquel le Gouvernement peut communiquer des informations nouvelles et suffisamment consistantes au Parlement.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Je rappelle que de nombreux rapports ne sont jamais rendus. Par exemple, nous attendons toujours le rapport sur l’extension des algorithmes aux URL…
Si nous voulons disposer de rapports ayant un contenu consistant, il faut laisser du temps à ceux qui les rédigent, notamment pour tenir compte de l’évolution de la menace.
Je vous rappelle par ailleurs que le contrôle exercé par la délégation parlementaire au renseignement donne lieu à la publication d’un rapport annuel.
Je considère donc que le rythme de publication de deux ans constitue une fréquence satisfaisante, car il garantit un rapport de qualité.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. La fréquence de deux ans ne me satisfait pas : je préférerais une publication annuelle du rapport. Lorsque l’on reçoit des informations faisant état de menaces pesant sur des parlementaires et que l’on ne les transmet pas à ces derniers, cela pose question…
Nous recevons tous les ans le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et le directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), qui viennent nous présenter leur rapport annuel. Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères publie également un rapport chaque année. Il n’y a donc pas de raison, de mon point de vue, pour que le rapport sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale ne soit pas remis annuellement.
Ces ingérences évoluent et nous sommes confrontés à la rapidité avec laquelle ceux qui nous attaquent changent de modus operandi. Je soutiens donc totalement cet amendement, car la publication annuelle de ce rapport est réellement nécessaire.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 52.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l’amendement.)
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de poursuivre nos travaux jusqu’à l’achèvement de l’examen de cette proposition de loi.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
L’amendement n° 50, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
sur le fondement d’un rapport établi par la délégation parlementaire au renseignement
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. L’article 2 prévoit la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale. Il s’agit là d’une intention louable, tout le monde le reconnaît. Pour autant, ne soyons pas naïfs : un tel rapport revêt un caractère hautement politique.
Définir les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale n’est évidemment pas neutre. Nous proposons par cet amendement que le Parlement soit associé à la définition des menaces et s’appuie, pour la rédaction de son rapport, sur un rapport sur ce sujet établi au préalable par la délégation parlementaire au renseignement.
La délégation parlementaire au renseignement, composée de huit membres – quatre sénateurs et quatre députés – a pour mission de contrôler l’action du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique en ce domaine. L’établissement du rapport que nous proposons correspond donc parfaitement à ses compétences et à sa vocation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La délégation parlementaire au renseignement est chargée de contrôler l’activité des services de renseignement – vous l’avez dit –, mais non d’étudier l’état de la menace. Elle n’a les moyens ni de mettre en place une telle évaluation ni de rédiger l’étude que vous préconisez, et ce n’est d’ailleurs pas son rôle.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 25 rectifié quater, présenté par MM. Lemoyne, Montaugé, Buis et Bonneau, Mme Duranton, MM. Mellouli, Brault, Courtial et Haye, Mme G. Jourda et M. Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° L’article L. 151-6 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La publication annuelle de ces données peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. » ;
2° Le I de l’article L. 151-7 est ainsi modifié :
a) Au 1°, les mots : « de sécurité » sont remplacés par les mots : « d’intelligence » ;
b) Au 2°, après la première occurrence de la référence : « L. 151-3 », sont insérés les mots : « et aux mesures prises pour s’assurer du respect de ces conditions dans la durée ».
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Comme Mme la rapporteure l’indique dans son rapport, les ingérences étrangères peuvent prendre plusieurs formes.
L’une de ces formes, classique, est l’espionnage, y compris économique. Cet amendement, que je présente avec Franck Montaugé dans une logique transpartisane et qui a été cosigné par des collègues de plusieurs groupes, vise à inscrire la notion d’intelligence économique dans le texte et à protéger nos intérêts économiques.
Il s’agit de tirer les conclusions des travaux de la mission d’information sur l’intelligence économique que la commission des affaires économiques avait confiée à notre ancienne collègue Marie-Noëlle Lienemann et à moi-même. Parmi les recommandations que nous avions formulées, et qui avaient été adoptées à l’unanimité, figurait la possibilité, comme le prévoit, par parallélisme des formes, l’article 2 de la présente proposition de loi pour le rapport sur l’état de la menace – il s’agit presque d’homothétie –, pour l’Assemblée nationale et le Sénat de débattre du rapport public annuel relatif au contrôle des investissements étrangers en France.
Cet amendement vise des activités de prédation qui ont été détectées et sont combattues au travers de la politique de sécurité économique menée par le Gouvernement. Il serait bon que le Parlement puisse en être informé et en débattre pour participer à la prise de conscience sur ces événements, pour mieux les connaître et mieux les endiguer.
M. le président. Le sous-amendement n° 57 rectifié ter, présenté par Mme Primas et MM. Meignen, Gay et Darras, est ainsi libellé :
Amendement n° 25 rectifié quater
Compléter cet amendement par un alinéa ainsi rédigé :
…° La deuxième phrase du 2° du II du même article L. 151-7 est supprimée.
La parole est à M. Thierry Meignen.
M. Thierry Meignen. Ce sous-amendement, porté par les quatre rapporteurs de la mission d’information sénatoriale sur Atos, vise à compléter l’amendement n° 25 rectifié quater que vient de présenter Jean-Baptiste Lemoyne et qui est issu des travaux de la commission des affaires économiques sur la souveraineté et l’intelligence économiques.
En complément des mesures proposées, ce sous-amendement vise à faciliter l’exercice des pouvoirs d’investigation octroyés au Parlement pour contrôler l’action du Gouvernement pour ce qui concerne les investissements étrangers en France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 57 rectifié ter et sur l’amendement n° 25 rectifié quater ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Le sous-amendement ayant été déposé tardivement, la commission n’a pas d’avis arrêté puisqu’elle n’a pas pu en débattre et appréhender ses enjeux.
Cela étant, la commission des lois fait confiance à la commission des affaires économiques. J’émets donc, à titre personnel, un avis de sagesse.
J’en viens à l’amendement présenté par M. Lemoyne. Il est vrai que l’ingérence économique est une question importante. Un énorme travail sur ce sujet a été réalisé par la commission des affaires économiques et la mission d’information sur l’intelligence économique.
Néanmoins, votre proposition, mon cher collègue, aurait plutôt sa place dans le texte relatif à l’intelligence économique qui est en cours d’élaboration et sera bientôt débattu par les deux chambres. En effet, elle n’a pas de lien direct avec les travaux menés par la délégation parlementaire au renseignement, qui inspirent directement la proposition de loi dont nous débattons.
Sur cet amendement également, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. N’ayant pas eu, comme Mme la rapporteure, le temps d’examiner le sous-amendement n° 57 rectifié ter, j’en demande le retrait. Cette proposition est sans doute légitime, mais il convient d’en évaluer la portée.
L’amendement n° 25 rectifié quater présenté par M. Lemoyne vise à proposer plusieurs évolutions qui n’appellent pas toutes la même réponse de la part du Gouvernement.
Premièrement, cet amendement tend à ajouter, à l’article L. 151-6 du code monétaire et financier, la possibilité d’organiser un débat à l’Assemblée nationale ou au Sénat, sur le fondement de la publication du rapport public annuel relatif au contrôle des investissements étrangers en France.
Je rappelle que, depuis 2020, en application de l’article L. 151-6 dudit code, le Gouvernement publie chaque année sur le site de la direction générale du Trésor un rapport présentant les principales données statistiques relatives au contrôle par le Gouvernement des investissements étrangers en France.
Vous souhaitez, monsieur le sénateur, prévoir la possibilité que la publication de ces données donne lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Cette disposition n’est pas utile puisque les assemblées peuvent déjà se saisir de ce sujet pour en débattre si elles le souhaitent.
Deuxièmement, vous voulez remplacer, à l’article L. 151-7 du même code, les termes « sécurité économique » par les mots « intelligence économique ».
Le Gouvernement est défavorable à cette évolution, qui affecterait la cohérence du dispositif de sécurité économique mis en place par le décret du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique et la circulaire qui le met en œuvre.
Troisièmement, vous souhaitez compléter les données transmises au Parlement en application de l’article L. 151-7 du code monétaire et financier par des éléments sur les mesures prises pour s’assurer du suivi des conditions dans la durée.
Le Gouvernement ne s’oppose pas à cette proposition, qui vise à compléter le rapport transmis annuellement au Parlement sur la mise en œuvre du régime de contrôle des investissements étrangers par des éléments relatifs aux mesures prises pour assurer le respect de ces conditions dans la durée.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), qui a renforcé les pouvoirs de police et de sanction du ministre chargé de l’économie au titre du contrôle des investissements étrangers en France et du décret du 20 mars 2019, les services du ministère de l’économie accordent une attention particulière au suivi de la mise en œuvre par les investisseurs des conditions qui leur sont imposées.
En définitive, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement. Je tiens toutefois d’ores et déjà à indiquer aux membres de la future commission mixte paritaire qui se réunira sur ce texte que le troisième point de l’amendement ne soulève aucune objection et qu’il est, au contraire, tout à fait bienvenu.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. J’ajouterai quelques éléments supplémentaires en faveur de mon amendement, que j’invite mes collègues à adopter, et du sous-amendement qui, s’inscrivant dans la même logique, renforce l’amendement.
Premier point : il est vrai que le Parlement peut se saisir de ce sujet et l’inscrire à son ordre du jour. C’est ainsi que, la semaine prochaine, nous aurons un débat, à la demande du groupe RDPI, sur le contrôle des investissements étrangers en France.
Néanmoins, l’article 2 de la proposition de loi que nous examinons prévoit bien que le rapport sur l’état de la menace peut faire l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il est donc possible d’inscrire une telle disposition dans la loi. La commission des lois n’a d’ailleurs rien trouvé à y redire, comme elle l’a précisé dans son rapport.
Le deuxième point concerne la terminologie. Les termes « intelligence économique » vont plus loin que ceux de « sécurité économique ». Ils incluent un volet offensif. La commission mixte paritaire pourra tout à fait ajouter la conjonction de coordination « et », et ainsi retenir la formulation : « sécurité économique et intelligence économique ». On peut travailler sur ce point ; il n’y a rien d’insurmontable à cet égard.
Troisième point : vous avez indiqué, monsieur le ministre, que le rapport serait enrichi des mesures de suivi dès lors que le ministre chargé de l’économie autoriserait un investissement en y mettant des conditions. Il s’agirait d’un enrichissement du contrôle parlementaire, puisque des données nouvelles seraient introduites dans ce rapport. Vous avez dit que le Gouvernement était d’accord sur cette proposition, ce dont je vous remercie.
Ces trois points en débat ne sont en rien insurmontables, et l’un d’eux a été approuvé par le Gouvernement. Nous avons constaté un élan unanime au sein de la mission d’information sur l’intelligence économique. Je rappelle que les recommandations de cette mission ont été adoptées à l’unanimité des membres de la commission des affaires économiques en juillet 2023. Elles ont été inscrites dans la proposition de loi visant à faire de l’intelligence économique un outil de reconquête de notre souveraineté, que j’ai déposé avec Franck Montaugé et nos anciens collègues Marie-Noëlle Lienemann et Serge Babary, qui était alors président de la délégation aux entreprises.
Je propose que nous prolongions cet élan en adoptant ce sous-amendement et cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Il est important d’avoir des débats et d’obtenir des informations. On va chercher certaines d’entre elles, qui entrent tout à fait dans le cadre de cette discussion sur l’intelligence économique, et on les obtient finalement en lisant la presse…
La commission des affaires économiques a réfléchi aux voies et moyens de protéger et reconquérir notre souveraineté. Mais pour atteindre ces objectifs, mes chers collègues, il nous faut aussi une véritable politique industrielle offensive, laquelle nous fait défaut depuis des années dans ce secteur, notamment pour lutter contre les ingérences étrangères et pour garantir notre autonomie stratégique.
Je tenais à souligner cette simple affirmation de bon sens : s’il est bon d’avoir des débats et nécessaire de disposer d’informations, agir, c’est encore mieux !
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 57 rectifié ter.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 25 rectifié quater, modifié.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
L’amendement n° 14, présenté par Mme G. Jourda, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet à la délégation parlementaire au renseignement, avant le 1er juillet de l’année qui suit celle de la promulgation de la présente loi, puis tous les ans, un rapport exhaustif sur les investissements directs et investissements ultimes (qui prennent en compte la maison mère et non les filiales, et la nationalité de cette maison mère), ainsi que les prêts financiers des pays étrangers dans les secteurs touchant à la défense nationale ou susceptible de mettre en jeu l’ordre public et des activités essentielles à la garantie des intérêts de la France.
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Cet amendement relatif aux investissements étrangers a pour objet de permettre à la délégation parlementaire au renseignement d’obtenir une vue d’ensemble des investissements relevant des stratégies étatiques étrangères d’investissement dans des secteurs essentiels à la garantie des intérêts de notre pays, afin de mieux évaluer les risques qu’ils présentent.
Je vous rappelle quels sont ces risques : celui de porter atteinte à la sécurité et à l’ordre public par des investissements étrangers dans des actifs sensibles stratégiques en France ; le risque d’endettement excessif et de perte de garanties stratégiques ; le risque pesant sur la propriété intellectuelle et le transfert de technologies ; le risque de non-respect des normes environnementales de l’Union européenne par des entreprises étrangères extérieures à l’Union.
La France doit jouer un rôle moteur sur ces questions. Nous plaidons pour que l’Union européenne fasse cette analyse exhaustive, afin que les institutions communautaires puissent prendre la mesure réelle des risques que représentent les stratégies d’investissement étrangères. Je vous renvoie, à cet égard, au rapport d’information intitulé La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ?, que j’ai rédigé avec Pascal Allizard, entre autres, au nom de la commission des affaires étrangères.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Je ne suis pas favorable à cet amendement, non seulement parce qu’il vise à demander un rapport supplémentaire, alors qu’il en existe déjà de nombreux sur ce sujet, mais aussi parce que nous venons d’adopter l’amendement n° 25 rectifié quater présenté par M. Lemoyne, qui prévoit la remise d’un rapport annuel sur le contrôle des investissements étrangers en France, dont le champ est plus large que celui que vous préconisez.
L’amendement étant à moitié satisfait, l’avis est, je le répète, défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
I. – L’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa du I est ainsi modifié :
a) Les mots : « seuls besoins de la prévention du terrorisme » sont remplacés par les mots : « seules finalités prévues aux 1°, 2° et 4° de l’article L. 811-3 » ;
b) À la fin, les mots : « une menace terroriste » sont remplacés par les mots : « des ingérences étrangères, des menaces pour la défense nationale ou des menaces terroristes » ;
2° À la première phrase du premier alinéa et au second alinéa du IV, les mots : « à caractère terroriste » sont supprimés.
II. – À compter du 1er juillet 2028, l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa du I est ainsi modifié :
a) Les mots : « seules finalités prévues aux 1°, 2° et 4° de l’article L. 811-3 » sont remplacés par les mots : « seuls besoins de la prévention du terrorisme » ;
b) À la fin, les mots : « des ingérences étrangères, des menaces pour la défense nationale ou des menaces terroristes » sont remplacés par les mots : « une menace terroriste » ;
2° À la première phrase du premier alinéa et au second alinéa du IV, après le mot : « menace », sont insérés les mots : « à caractère terroriste ».
III. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’application du présent article au plus tard deux ans avant l’expiration du délai prévu au II. Une version de ce rapport comportant les exemples de mise en œuvre des algorithmes est transmis à la délégation parlementaire au renseignement.
Au plus tard six mois avant la date fixée au II, un rapport présentant le bilan de l’application du présent article est transmis au Parlement. Une version de ce rapport comportant les exemples de mise en œuvre des algorithmes est transmis à la délégation parlementaire au renseignement.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. L’article 3 ouvre la voie à l’utilisation d’algorithmes par les services de renseignement en matière d’ingérences étrangères. Comme je l’ai souligné lors de mon intervention liminaire, cette mesure soulève des questions cruciales sur l’équilibre entre sécurité nationale et droits individuels, d’autant qu’elle s’inscrit dans une tendance inquiétante : la banalisation de la surveillance algorithmique, déjà amorcée par plusieurs décisions antérieures.
Il faut le dire honnêtement, le président Macron prépare le pays depuis sept ans à cette banalisation des intelligences artificielles (IA) de surveillance. À son arrivée à l’Élysée, en 2017, il annonçait vouloir « faire de la France un leader en matière d’intelligence artificielle », et ce en dépit des plaintes de nombreuses ONG et contre les avis répétés de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), laquelle a jugé dès 2019 que ces outils étaient illégaux.
Ces pratiques, qui sont acceptées au nom de la lutte contre le terrorisme ou de la sécurité nationale, risquent d’être étendues progressivement à d’autres domaines sans que nous en mesurions réellement les conséquences. De plus, les erreurs algorithmiques, qui peuvent toucher jusqu’à 2 % de la population, sont inacceptables à l’échelle nationale.
Il faut appeler les choses par leur nom : il s’agit d’un capitalisme de surveillance. Il est essentiel de reconnaître qu’un algorithme n’est pas neutre. Comme j’ai tenté de le démontrer dans ma proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail, un algorithme est le fruit d’un donneur d’ordre et il traduit une certaine idéologie. Il modifie nos comportements et risque de restreindre nos libertés individuelles. Michel Foucault a décrit une telle société, qu’il appelait « la société panoptique », dans laquelle la sécurité est fondée sur une surveillance anonyme.
C’est pourquoi il est essentiel d’engager la responsabilité humaine dans le choix de l’algorithme.
Quel sera le biais de ces algorithmes ? Qui en aura l’usage ? De plus, l’application qui en sera faite pourra être étendue à la prévention de toute ingérence étrangère, ce qui constitue un cadre bien trop large.
Il est crucial de voter contre cet article, aussi dangereux qu’inquiétant pour nos libertés individuelles. Nous allons présenter plusieurs amendements à cet égard : si aucun n’est retenu, et du fait de la nature de l’article 3, nous voterons à la fin contre l’ensemble de la proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je peux comprendre, monsieur le sénateur, que vous soyez opposé à cet article : c’est votre droit. Mais il ne faut pas tout mélanger !
Vous dites que le Président de la République aurait placé la France sous surveillance. C’est faux, et vous devriez plutôt le remercier d’avoir dit qu’il voulait faire de la France un leader en matière d’IA ! Car ces algorithmes qui tournent toute la journée autour de nous, savez-vous où ils ont été conçus, monsieur Savoldelli ? En Chine ou aux États-Unis ! (M. Thomas Dossus s’exclame.)
Le projet du Président de la République vise à vous permettre d’utiliser des algorithmes ayant été conçus en France ou en Europe, afin que vous puissiez vous débarrasser de la dépendance excessive à l’égard des logiciels développés dans ces deux pays et qui sont présents dans votre téléphone, votre tablette, votre téléviseur et votre véhicule… Or la vision qu’ont nos amis américains et chinois de la dignité de la personne humaine, de la vie privée et des droits d’auteur est singulièrement différente de celle que nous avons en Europe !
M. Claude Malhuret. Eh oui !
M. Pascal Savoldelli. Nous avons nos valeurs !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 29 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L’amendement n° 44 est présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 29.
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas parce qu’un algorithme est français qu’il est vertueux ! L’argumentaire de M. le ministre est tout de même assez surprenant…
Je ne répéterai pas les arguments qu’a bien développés Pascal Savoldelli. Le présent amendement tend à supprimer l’article 3, qui vise à étendre la surveillance algorithmique.
Chaque fois que l’on étend la société de surveillance via de nouveaux outils, on nous explique que ces dispositions seront utilisées uniquement pour lutter contre le terrorisme ou dans des cas extrêmement graves. Puis, de proposition de loi en proposition de loi, on continue d’étendre le périmètre d’utilisation de ces algorithmes – il était pourtant circonscrit – et, ce faisant, la société de surveillance – s’agissant du présent texte sans aucune étude d’impact, sans aucun avis du Conseil d’État ou de la Cnil.
Pour lutter contre les autocrates qui, eux – vous l’avez dit, monsieur le ministre –, n’ont pas la même conception du respect des libertés individuelles, nous allons utiliser leurs propres outils de surveillance et consentir à étendre la société de contrôle au motif que les algorithmes utilisés sont français, ce qui, du reste, n’est pas garanti dans le texte.
Nous proposons donc la suppression de cet article au vu du peu de consistance de l’étude portant sur ses conséquences.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 44.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, je ne pense pas que l’on nous ait fait part au cours de l’examen de cette proposition de loi de la nationalité de l’algorithme…
Un algorithme n’a pas de nationalité, c’est le donneur d’ordre qui en a une. C’est d’ailleurs pour cette raison que vous avez évoqué d’autres pays.
Ce débat est important ! Il concerne des traitements automatisés visant à détecter des connexions ou des navigations sur internet susceptibles, par exemple, de révéler à un stade précoce l’existence d’une menace. La technique consiste non pas en une surveillance ciblée, mais en une analyse de l’ensemble des données de connexion de groupes de personnes, sans que les raisons de cette surveillance soient motivées.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ne cherche pas, tout seul dans son coin, à susciter la peur sur la question de l’intelligence artificielle et des algorithmes ! La Cnil, dans un avis de 2021, a considéré que cette méthode de renseignement était « particulièrement intrusive ». Cette autorité administrative indépendante recommandait, par conséquent, de compléter les dispositions relatives à ce dispositif en l’assortissant de garanties supplémentaires.
Or, à ma connaissance et à celle de la Cnil, monsieur le ministre, aucune garantie n’a été donnée à cet égard ! Rien ne permet d’assurer un juste équilibre entre les impératifs de sécurité, que nous partageons tous ici, et les atteintes à la vie privée des personnes concernées.
Cette technique de renseignement soulève des interrogations en termes de biais algorithmiques. Si tous les algorithmes connaissent des biais, aucun élément n’est communiqué sur ce point. Nous ne disposons d’aucune information, d’aucune garantie ! Ce débat n’est pas simplement d’ordre technique…
Enfin, aucune précision n’est apportée sur le stockage des données. Aura-t-il lieu en France ou bien – pardonnez-moi cette provocation – à l’étranger ? À ce stade, même si le logiciel est 100 % français, des ingérences étrangères sont possibles…
Voilà pourquoi nous souhaitons la suppression de cet article et le renvoi du texte en commission. Nous voulons que les travaux du Sénat se poursuivent, car ce texte est imparfait, notamment sur ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous sommes évidemment opposés à ces deux amendements identiques, qui visent à supprimer l’extension de la technique des algorithmes aux ingérences étrangères.
Nous considérons en effet que, face à la transformation de la menace, que nous ne cessons de rappeler, il faut faire évoluer les outils destinés à nos services de renseignement. Pour prévenir les ingérences étrangères, ceux-ci ont besoin d’avoir accès à des moyens efficaces et modernes leur permettant de mieux cibler, mieux cerner et mieux appréhender ces menaces.
La technique des algorithmes, qui se perfectionne et a fait ses preuves en matière de terrorisme, sera particulièrement utile dans ce domaine, notamment pour prévenir les cyberattaques. Celles-ci sont ainsi plus faciles à cibler, d’autant qu’elles passent de machine en machine. L’algorithme jouera donc un rôle prépondérant en la matière.
Pour ce qui concerne la mise en œuvre des algorithmes, je tiens à revenir sur un certain nombre de fausses idées qui ont été véhiculées ce soir.
Les données ne sont pas stockées n’importe où ! Elles le sont non pas à l’étranger ou dans un cloud quelconque, mais au sein du groupement interministériel de contrôle (GIC), qui est un espace sécurisé et contrôlé, comme nous l’a indiqué le président de la délégation parlementaire au renseignement.
L’utilisation des algorithmes fait l’objet d’un certain nombre de contrôles, qui ont été renforcés, notamment par la commission des lois. Ceux-ci sont assurés par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui peut intervenir à tout moment et mettre fin à l’utilisation de tout algorithme si elle considère qu’il ne respecte pas les obligations, les contraintes et le cadre légal définis pour son utilisation.
Dans le cadre de cette expérimentation, nous avons même prévu que la délégation parlementaire au renseignement (DPR) exerce un contrôle supplémentaire sur l’extension de cette technique.
Depuis tout à l’heure, certains d’entre vous, mes chers collègues, n’ont de cesse de demander la remise de rapports, ainsi que la tenue de débats, mais je vous rappelle que la DPR est la seule instance qui est en mesure de se doter d’une véritable connaissance de l’ensemble des actions et outils mis en place par les services de renseignement.
C’est par cet organe, composé de parlementaires habilités, que nous disposerons de toutes les informations, et c’est du reste pour cela qu’il a été mis en place : il est en effet autorisé à collecter un certain nombre de renseignements classés secret-défense, qui ne pourront jamais être divulgués dans le cadre des débats qui se déroulent dans cet hémicycle.
C’est la raison pour laquelle je considère que la technique de l’algorithme sera particulièrement efficace pour lutter contre les ingérences étrangères et que les modalités de contrôle et d’encadrement que nous définissons aujourd’hui permettront de garantir le respect du cadre légal que nous définissons.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je souhaiterais simplement poser une question à M. le ministre délégué.
Il me semble que les algorithmes relèvent de l’intelligence artificielle. Or l’Union européenne vient précisément de voter un règlement en la matière, qui repose sur une approche par le risque, avec notamment une attention particulière portée aux questions de surveillance, de catégorisation des populations et d’usages strictement interdits – la seule exception concerne la lutte contre les menaces terroristes.
Selon moi, la proposition de loi que nous examinons et ce règlement européen devraient s’articuler : vous qui connaissez bien la législation européenne, monsieur le ministre délégué, pourriez-vous me dire si tel est bien le cas ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Madame la sénatrice, la sécurité nationale a été exclue du périmètre des obligations qui s’imposent aux personnes distribuant des logiciels d’intelligence artificielle sur le territoire de l’Union européenne. Je pense donc qu’il n’y a aucune contradiction entre l’article 3 et le règlement européen sur l’intelligence artificielle.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Ma chère collègue, les algorithmes ne relèvent pas de l’intelligence artificielle. Il s’agit simplement d’outils informatiques qui, via des « hits » – c’est le terme qui est souvent employé –, permettent de détecter des comportements prédéterminés, correspondant en l’espèce à une ingérence étrangère ou une menace terroriste. En l’absence de création de matière, on ne peut pas parler – j’y insiste – d’intelligence artificielle.
J’ajoute que, dans le cadre de la vidéoprotection augmentée, on a également recours à des algorithmes pour repérer des images se rapportant à ces événements prédéterminés.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je tiens à vous rassurer, monsieur Savoldelli : toutes vos données, comme les nôtres d’ailleurs, sont d’ores et déjà captées et aspirées en Chine… J’ajoute que, quand ce pays disposera d’ordinateurs quantiques, il pourra de surcroît faire sauter tous les cryptages de données. Il faut savoir qu’en la matière les Chinois n’ont pas à respecter les règles que nous mettons en place.
Mme le rapporteur l’a bien expliqué : l’article 3 vise à mettre en œuvre un traitement automatisé des données, afin d’accélérer la détection des ingérences étrangères. Il ne faut pas fantasmer à ce sujet : il s’agit vraiment d’une mesure indispensable si l’on veut se garder de toute manipulation.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 29 et 44.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 200 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 33 |
Contre | 311 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 15, présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans, peuvent être autorisés, pour les besoins de la prévention de toute forme d’ingérence étrangère et dans les conditions prévues à l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, sur les données transitant par les réseaux des opérateurs et des personnes mentionnées à l’article L. 851-1, des traitements automatisés destinés, en fonction de paramètres précisés dans l’autorisation, à détecter des connexions susceptibles de révéler toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère.
II. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’étape sur l’application du présent article au plus tard dix-huit mois avant la fin de l’expérimentation. Une version de ce rapport comportant les exemples de mise en œuvre des algorithmes est transmise à la délégation parlementaire au renseignement.
Au plus tard six mois avant la fin de l’expérimentation, un rapport définitif présentant le bilan de l’application du présent article est transmis au Parlement. Dans le respect des règles intéressant la sécurité nationale, ce rapport présente les conséquences de l’élargissement des finalités prévu au I sur l’efficacité de la technique dite de l’algorithme en matière de lutte contre le terrorisme. Il précise l’évolution du nombre d’alertes recensées. Une version de ce rapport comportant les exemples de mise en œuvre des algorithmes est transmise à la délégation parlementaire au renseignement.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Nous l’avons dit, nous ne sommes pas défavorables par principe à l’utilisation des techniques algorithmiques appliquées à la lutte contre les ingérences étrangères, pour peu que le dispositif soit clairement circonscrit et que les garanties soient suffisantes pour protéger le droit à la vie privée, notamment les données personnelles.
Tel est le sens de cet amendement de réécriture de l’article 3. Nos collègues ont précédemment déposé des amendements tendant à supprimer cet article ; pour notre part, nous préférons en encadrer le dispositif.
Mes chers collègues, je vous propose de faire une présentation globale, avant de revenir plus en détail sur les points les plus saillants de cet article dans la suite de la discussion.
D’abord, nous souhaitons affirmer plus explicitement le caractère expérimental de l’article 3. Pour ce faire, comme le veut l’usage, nous proposons que la disposition afférente reste hors du code de la sécurité intérieure.
La durée de l’expérimentation serait limitée à trois ans, comme le prévoyait le texte dans sa rédaction initiale. On nous dit que ce délai est trop court, mais un délai de quatre ans le serait sans doute également. Dans les deux hypothèses, il faudra quoi qu’il en soit revenir devant le Parlement, et nous considérons que le plus tôt sera le mieux.
Ensuite, nous proposons de mieux circonscrire les cas dans lesquels il pourrait être recouru à la technique de l’algorithme pour viser la seule lutte contre les ingérences étrangères, puisque tel est l’objet de ce texte. Nous y reviendrons, car il s’agit d’un élément essentiel de cet article.
Enfin, nous souhaiterions que le rapport d’évaluation soit étoffé, dans le même esprit que ce qu’a voté l’Assemblée nationale sur l’initiative des députés socialistes. Nous souhaitons aussi que ledit rapport expose les conséquences de l’extension de la technique de l’algorithme sur son efficacité en matière de lutte contre le terrorisme, et qu’il précise l’évolution du nombre d’alertes recensées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement tend à réécrire le dispositif de l’algorithme et à le « décodifier », c’est-à-dire le sortir des dispositions du code de la sécurité intérieure.
Nous y sommes opposés, car nous estimons que les effets juridiques sont exactement les mêmes dans ou en dehors d’un code : dans chacun des cas, il s’agit d’une expérimentation prévue pour une durée limitée.
Par ailleurs, nous ne sommes pas d’accord sur la durée de l’expérimentation. Nous pensons que le délai de trois ans est trop court : il faut se donner suffisamment de temps pour que les algorithmes s’exercent utilement dans des « bacs à sable ».
S’agissant du contenu du rapport d’évaluation à proprement parler, nous sommes en revanche favorables à votre demande, mon cher collègue.
Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 16, présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) Après les mots : « prévention du terrorisme » sont insérés les mots : « et de toute forme d’ingérence étrangère » ;
II. – Alinéa 4
Supprimer les mots :
, des menaces pour la défense nationale
III. – Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) Les mots : « et de toute forme d’ingérence étrangère » sont supprimés ;
IV. – Alinéa 9
Supprimer les mots :
, des menaces pour la défense nationale
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement est à nos yeux particulièrement important, puisqu’il concerne le champ d’application de la technique de l’algorithme dans le cadre de cette proposition de loi.
L’intention affichée par les auteurs du texte était d’étendre cette technique, jusqu’ici réservée à la lutte contre le terrorisme, à la lutte contre les ingérences étrangères. Sauf que le texte qui nous est présenté, que ce soit celui de l’Assemblée nationale ou celui qui résulte des travaux de la commission des lois du Sénat, va bien au-delà.
La technique de l’algorithme aujourd’hui permise pour les seuls besoins de la lutte contre le terrorisme pourrait désormais être utilisée pour défendre et promouvoir « l’indépendance nationale », « l’intégrité du territoire », « les intérêts majeurs de la politique étrangère », « l’exécution des engagements européens et internationaux de la France » et, bien entendu, pour combattre les ingérences étrangères.
En somme, il est prévu d’étendre la technique de l’algorithme bien au-delà de la lutte contre les manipulations étrangères, et d’y recourir au nom de notions extrêmement larges. De façon plus ou moins insidieuse, on élargit considérablement le champ d’application de cette technique au détour d’un texte, dont l’objet est pourtant la lutte contre les ingérences extérieures. Nous proposons de circonscrire cet article à ce seul périmètre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Je le rappelle, mon cher collègue, les algorithmes sont un outil destiné aux services de renseignement, qui est prévu dans le code de la sécurité intérieure.
La commission des lois s’est efforcée de définir clairement les finalités de cette technique, en se référant aux objectifs traditionnellement visés dans ledit code, et non simplement à la notion d’ingérence étrangère, qui n’y figure pas.
En outre, l’adoption de votre amendement conduirait à limiter considérablement le périmètre de l’article 3 : les algorithmes ne pourraient ainsi plus être utilisés pour prévenir les cyberattaques. Or, on le sait, c’est dans ce cadre qu’ils seront particulièrement utiles.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 17 rectifié, présenté par M. Durain, Mmes G. Jourda et de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…° Le premier alinéa du II est ainsi modifié :
…) La première phrase est complétée par les mots : « ainsi que sur toute demande de modification apportée aux traitements et paramètres » ;
…) À la dernière phrase, les mots : « est informée de toute modification apportée aux traitements et paramètres et » sont supprimés.
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Par cet amendement, nous souhaitons renforcer le contrôle de l’autorisation de l’algorithme, lequel est, pour l’essentiel, exercé par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Lorsque les services de renseignement élaborent un algorithme de surveillance des données de connexion, le Premier ministre le soumet pour avis à la CNCTR, qui se compose notamment de parlementaires. Ce contrôle, qui équivaut à un avis conforme, puisque, en cas d’avis défavorable, la saisine du Conseil d’État est automatique, ne vaut que pour l’autorisation initiale.
En revanche, une fois l’autorisation accordée, en cas de modification apportée aux paramètres de l’algorithme, la CNCTR n’est qu’informée. Certes, elle dispose d’un accès permanent, complet et direct à ces traitements, ainsi qu’aux informations et données recueillies, et peut émettre des recommandations, mais la modification des paramètres de l’algorithme, quand bien même celle-ci serait substantielle, n’est soumise à aucun contrôle en tant que tel.
C’est ce que nous proposons d’instaurer par cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 45, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
…° Il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – Par dérogation au II du présent article, les modifications apportées au traitement et aux paramètres prévus par le présent article sont soumises à un avis conforme de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
…. – Le second alinéa de l’article L. 821-3 du code de la sécurité intérieure est complété par les mots : «, sauf en ce qui concerne les techniques de renseignement prévues à l’article L. 851-3. »
…. – Le deuxième alinéa de l’article L. 821-4 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « En cas d’avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement concernant les techniques de renseignement prévues à l’article L. 851-3, le Premier ministre ne peut pas délivrer l’autorisation. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Notre amendement prévoit, d’une part, et à l’inverse du droit actuel, qu’en l’absence d’avis de la CNCTR rendu au Premier ministre sur l’autorisation de mise en œuvre sur le territoire national des techniques de recueil de renseignement celui-ci ne puisse être réputé rendu, et que, d’autre part, en cas d’avis défavorable de la CNCTR rendu au Premier ministre aucune autorisation ne puisse être délivrée en matière de traitement algorithmique.
Je ne commenterai pas plus avant, mais les trois amendements en discussion commune ont un mérite : celui de renforcer le contrôle exercé par l’autorité administrative indépendante.
M. le président. L’amendement n° 30, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Par dérogation au II du présent article, les modifications apportées au traitement et aux paramètres prévues par le présent article sont soumises à un avis conforme de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Comme l’ont bien expliqué les précédents orateurs, il s’agit de mettre en place des garde-fous qui, en l’absence d’étude d’impact, d’avis de la Cnil ou du Conseil d’État, nous permettent à nous, législateurs, d’avoir un rôle à jouer pour encadrer l’utilisation, de plus en plus large, de ces techniques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Ces trois amendements visent à renforcer les contrôles exercés sur les algorithmes. Or la CNCTR intervient d’ores et déjà : elle est informée de la mise en œuvre d’un algorithme et peut le contrôler à tout moment. Comme je l’ai dit tout à l’heure, elle peut même mettre fin à son utilisation.
Prévoir une information systématique de cette autorité sans qu’elle puisse pour autant rendre un avis ne permettra pas de renforcer les contrôles. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 17 rectifié.
Je suis également défavorable à l’amendement n° 45 qui tend, lui, à renforcer le contrôle de la CNCTR en instituant un avis conforme. En effet, le contrôle de cette commission est d’ores et déjà très efficace, et ses avis sont toujours suivis par le Premier ministre. Notre collègue Savoldelli souhaite également l’intervention de la Cnil : celle-ci viendra alourdir le dispositif sans améliorer l’efficacité des contrôles. L’action de la CNCTR est beaucoup plus précise et technique : pour nous, elle est suffisante.
Enfin, j’émets, pour les mêmes raisons, un avis défavorable sur l’amendement n° 30.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Madame le rapporteur, je suis surpris que vous m’opposiez l’argument selon lequel l’intervention de la Cnil alourdirait le dispositif. Quand on touche aux libertés individuelles, un avis de cette autorité n’est pas de trop et ne constitue pas une surcharge. Certaines lois prévoient bien un tel avis ! Il faut que l’on tienne les deux bouts !
Ces amendements de repli permettraient, s’ils étaient votés, d’atteindre un juste équilibre entre la garantie de notre sécurité nationale et le respect de nos libertés individuelles. J’y insiste, l’avis de la Cnil n’est pas en trop ! Il ne s’agit ni d’une superposition ni d’un doublon. La Cnil porte un regard spécifique et traduit une singularité française.
M. le président. L’amendement n° 47, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Un décret en Conseil d’État pris après avis conforme de la Commission nationale de l’informatique et des libertés définit les modalités des modifications issues du I du présent article.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Notre État de droit repose sur la garantie des droits fondamentaux. Le Conseil d’État et la Cnil doivent pouvoir contrôler le cadre réglementaire de la technique de l’algorithme appliquée aux ingérences étrangères.
On ne peut pas étendre cette technique sans contrôle. C’est bien le rôle de l’autorité administrative indépendante de veiller à ce que l’informatique ne porte atteinte ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques.
Par cet amendement, nous demandons de nouveau que soient instaurées des garanties suffisantes pour que l’action des services de renseignement ne se fasse pas au détriment de l’État de droit. La prévention des ingérences doit s’exercer dans le cadre du droit commun applicable à tous les types d’influence sur l’action publique.
On nous dit que cette proposition de loi permettra de lutter contre l’influence de régimes dans lesquels les droits humains et les libertés fondamentales ne sont pas respectés. Nous sommes pourtant en train de sacrifier notre État de droit sur l’autel de la lutte contre les ingérences étrangères.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La CNCTR dispose d’équipes de techniciens spécialisés qui vérifient sur place le fonctionnement des algorithmes. La Cnil, elle, ne fera qu’une vérification sur dossier. Le contrôle de la CNCTR est donc bien plus performant et approfondi que ne le serait celui de la Cnil, qui – je le redis – complexifierait et alourdirait les procédures de contrôle.
À vouloir trop renforcer ce contrôle, on risque au contraire de l’affaiblir.
La manière dont la CNCTR exerce aujourd’hui ses missions, en étant elle-même sous le contrôle d’une formation spéciale du Conseil d’État, garantit un respect suffisant de l’État de droit. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous évoquez un affaiblissement de l’État de droit, mais ce qui est en jeu ici, c’est la manière de riposter à des événements comme celui que je vais relater.
Lors des élections nationales en Slovaquie, en septembre 2023, pendant la période de silence, c’est-à-dire les quarante-huit heures qui ont précédé le scrutin, a été diffusé sur les réseaux sociaux un faux enregistrement audio dans lequel on entend le candidat « progressiste », si l’on peut dire, échanger avec un journaliste sur la manière dont il entend manipuler le vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est exact !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Ce candidat a perdu, et même s’il est difficile de prouver que la propagation de ce faux enregistrement a eu un effet décisif sur le sens du vote, le simple fait qu’il ait pu avoir un effet jette un doute sur la sincérité du scrutin.
L’usage qui sera fait par les services de renseignement de ces algorithmes permettra d’identifier, de détecter et de faire échec à ce type de manipulations qui peuvent porter atteinte à ce qui est précisément le cœur de l’État de droit, c’est-à-dire l’expression du peuple souverain par le suffrage.
M. le président. L’amendement n° 48, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer l’année :
2028
par l’année :
2026
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Un délai de deux ans pour expérimenter les algorithmes serait trop court. Le texte prévoit que l’expérimentation durera quatre ans ; à mi-étape, un rapport sera par ailleurs remis au Parlement.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 46, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 11, seconde phrase
Remplacer les mots :
est transmis
par les mots :
et une analyse sur les biais de ces algorithmes et l’équilibre entre les impératifs de sécurité et les atteintes portées à la vie privée des personnes concernées sont transmises
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Le texte ne comporte aucune information ou garantie sur les biais algorithmiques, qui constituent pourtant un enjeu majeur.
Je vais prendre l’exemple, très explicite, du logiciel PredPol (Predictive Police), utilisé par la police dans plusieurs villes américaines. Son algorithme permet en principe d’orienter les interventions des forces de l’ordre. Or plus le logiciel se tourne vers un quartier, plus les forces de police s’y rendent, et plus l’algorithme l’y oriente. Si ces biais ont des conséquences très graves en matière de discriminations, ils en ont aussi en termes d’efficacité.
En l’espèce, le recours aux algorithmes comme technique de renseignement pourrait souffrir des mêmes biais, en se concentrant toujours sur les mêmes personnes et sur des sites internet ciblant de manière discriminée des individus, ce qui nous ferait passer à côté d’informations importantes pour notre sécurité nationale.
Nous vous proposons que le rapport remis au Parlement sur cette technique prenne en compte les biais algorithmiques. Il faut que nous puissions en prendre connaissance, car il n’y a rien de secret ou de confidentiel. Nous serions ainsi rassurés !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. On le sait, il existe des biais algorithmiques : c’est la raison pour laquelle les algorithmes sont entraînés et testés.
En ce qui concerne les algorithmes utilisés par les services de renseignement, c’est la CNCTR qui est chargée de les contrôler. Nous considérons que ce contrôle est suffisant et qu’il garantit un équilibre satisfaisant.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
Le chapitre II du titre VI du livre V du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après le 1° de l’article L. 562-1, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis “Acte d’ingérence” : agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet, par tout moyen, y compris la communication d’informations fausses ou inexactes, de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l’intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques ; »
2° (Supprimé)
3° (nouveau) Après l’article L. 562-2, il est inséré un article L. 562-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 562-2-1 . – Aux seules fins de prévenir la commission d’actes d’ingérence, le ministre chargé de l’économie et le ministre de l’intérieur peuvent décider, conjointement, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques :
« 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui tentent de commettre, de faciliter ou de financer ces actes ou y incitent ;
« 2° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par les personnes mentionnées au 1° ou agissant sciemment pour le compte ou sur instructions de celles-ci. »
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par M. Savoldelli, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
étrangère
insérer les mots :
ou d’une entité étrangère à but lucratif
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Dans votre amendement, mon cher collègue, vous faites référence aux entreprises étrangères sans que l’on sache vraiment si elles sont liées à un mandant étranger ou non.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 19, présenté par Mme G. Jourda, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le septième alinéa de l’article L. 312-15 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’enseignement moral et civique doit également avoir pour objectif de sensibiliser les élèves aux risques d’ingérences étrangères dans le traitement de l’information dans les médias et sur les plateformes numériques, afin de prévenir les manipulations de l’information dont ils peuvent faire l’objet. »
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Tous les experts s’accordent à le dire, il est indispensable de sensibiliser le jeune public au risque d’ingérences étrangères dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Par cet amendement, nous proposons de mettre en place une sensibilisation à ce risque dans le cadre des cours d’enseignement moral et civique. Un tel enseignement permettra de prévenir les manipulations de l’information rendues possibles par l’utilisation malveillante de l’intelligence artificielle dont les plus jeunes peuvent faire l’objet, de réduire leur vulnérabilité et de renforcer leur résilience face à la désinformation en ligne.
Nous nous sommes inspirés du modèle adopté en Finlande, qui arrive en tête des États où la confiance des citoyens envers les élus et les médias est la plus forte, selon le rapport de l’OCDE publié le 22 avril 2024 et intitulé Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous souscrivons à l’objectif visé, mais il ne nous semble pas opportun de faire figurer un tel dispositif dans la loi.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. L’enjeu spécifique de la guerre informationnelle figure déjà dans les contenus d’enseignement des programmes de quatrième et sera couvert par les nouveaux programmes d’enseignement moral et civique qui entreront en vigueur à compter de la rentrée 2024.
Votre amendement étant satisfait, madame la sénatrice, je vous demande de le retirer ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je voudrais rassurer Gisèle Jourda : j’ai souvent constaté, en visitant des écoles à l’étranger, qu’un effort important de formation était déjà entrepris dans ce domaine.
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par Mme G. Jourda, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 114-3 du code du service national, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Ils sont également sensibilisés aux risques d’ingérences étrangères dans le traitement de l’information, dans les médias et sur les plateformes numériques. »
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Mon précédent amendement tendait à instituer une sensibilisation des élèves au risque d’ingérence.
Par le présent amendement, j’entends cibler un public un peu moins jeune : les jeunes Français recensés et tenus de participer à la Journée défense et citoyenneté, la fameuse JDC. Nos jeunes passent le plus clair de leur temps sur les réseaux sociaux. Il est indispensable de les sensibiliser à cette question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. La loi n’a pas vocation à être redondante : je partage par conséquent l’avis de la rapporteure et du ministre délégué.
En effet, madame Jourda, en 2011, à la faveur de la transposition d’une directive européenne, a été inscrite dans le code de l’éducation la sensibilisation des jeunes aux risques et menaces de l’internet ; cet objectif a du reste été réaffirmé dans le cadre de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, à une époque où Jean-Michel Blanquer était encore ministre de l’éducation nationale. Le Sénat, sur l’initiative de sa commission de la culture, y avait introduit la nécessaire formation des formateurs et des élèves sur ces sujets.
À mon sens, il est inutile d’énumérer chaque type de risque auquel on doit sensibiliser les élèves. Cette idée figure déjà, de manière générale, dans le code de l’éducation. À nous ensuite de veiller à son application effective.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 4 bis (nouveau)
I. – Le chapitre Ier du titre Ier du livre IV du code pénal est complété par une section 7 ainsi rédigée :
« Section 7
« Des atteintes aux biens et aux personnes commises pour le compte d’une puissance étrangère
« Art. 411-12. – Lorsqu’un crime ou un délit prévu au titre II du livre II ou au titre Ier et aux chapitres II et III du titre II du livre III du présent code est commis dans le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou d’une organisation étrangère, ou sous contrôle étranger, le maximum de la peine privative de liberté est relevé ainsi qu’il suit :
« 1° Il est porté à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque l’infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle ;
« 2° Il est porté à trente ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de vingt ans de réclusion criminelle ;
« 3° Il est porté à vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de quinze ans de réclusion criminelle ;
« 4° Il est porté à quinze ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de dix ans d’emprisonnement ;
« 5° Il est porté à dix ans d’emprisonnement lorsque l’infraction est punie de sept ans d’emprisonnement ;
« 6° Il est porté à sept ans d’emprisonnement lorsque l’infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement ;
« 7° Il est porté au double lorsque l’infraction est punie de trois ans d’emprisonnement au plus. »
II. – Le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le 11° bis de l’article 706-73 est complété par les mots : « et crimes mentionnés à l’article 411-12 du même code, commis dans le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou d’une organisation étrangère, ou sous contrôle étranger » ;
2° Le 11° de l’article 706-73-1 est complété par les mots : « et délits mentionnés à l’article 411-12 du même code, commis dans le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou d’une organisation étrangère, ou sous contrôle étranger lorsque cette circonstance porte la durée de la peine d’emprisonnement à cinq ans au moins » – (Adopté.)
Article 5
(Non modifié)
I. – La seconde colonne de la deuxième ligne du tableau du I de l’article L. 775-37 du code monétaire et financier est ainsi rédigée : « la loi n° … du … visant à prévenir les ingérences étrangères en France ».
II. – Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le début du premier alinéa de l’article L. 895-1 est ainsi rédigé : « Sont applicables en Polynésie française, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … visant à prévenir les ingérences étrangères en France, les dispositions… (le reste sans changement). » ;
2° Le début du premier alinéa de l’article L. 896-1 est ainsi rédigé : « Sont applicables en Nouvelle-Calédonie, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … du visant à prévenir les ingérences étrangères en France, les dispositions… (le reste sans changement). » ;
3° Le début de l’article L. 897-1 est ainsi rédigé : « Sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … visant à prévenir les ingérences étrangères en France, les dispositions… (le reste sans changement). »
III. – À l’expiration d’un délai de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi, le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le début du premier alinéa de l’article L. 895-1 est ainsi rédigé : « Sont applicables en Polynésie française, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, les dispositions… (le reste sans changement). » ;
2° Le début du premier alinéa de l’article L. 896-1 est ainsi rédigé : « Sont applicables en Nouvelle-Calédonie, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, les dispositions… (le reste sans changement). » ;
3° Le début de l’article L. 897-1 est ainsi rédigé : « Sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, les dispositions… (le reste sans changement). »
IV. – Au premier alinéa du I de l’article 35 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, après la première occurrence du mot : « loi », sont insérés les mots : « , dans sa rédaction résultant de la loi n … du … visant à prévenir les ingérences étrangères en France, » – (Adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 21, présenté par Mme G. Jourda, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Temal et Bourgi, Mme Carlotti, M. Chaillou, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Harribey, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Marie, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Ros, M. Vallet, Vayssouze-Faure, Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi l’intitulé :
Proposition de loi relative au contrôle des activités d’influence étrangère et à la lutte contre les risques d’ingérence étrangère en France
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Par cet amendement, il est proposé de modifier l’intitulé de la proposition de loi qui, dans sa rédaction actuelle, ne couvre pas le sujet dans son intégralité. Cela permettrait de mieux distinguer ce qui relève des activités d’influence étrangère de ce qui relève des risques d’ingérence étrangère. Si l’influence peut être un préalable à l’ingérence, il ne convient pas de confondre ces deux notions, entre lesquelles existe une différence non de degré, mais de nature : l’influence est légale dès lors qu’elle est conforme au droit, tandis que les actes d’ingérence, par nature, ne le sont pas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La distinction que vient d’exposer notre collègue est fondée, mais l’objet de la proposition de loi est bien de lutter contre les ingérences, y compris quand elles découlent d’une influence. Son intitulé, qui fait référence à la prévention des ingérences étrangères, couvre donc bien tout le champ.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 21.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, « une nouvelle guerre a commencé, et nous tardons à le comprendre », nous a dit tout à l’heure Claude Malhuret.
Voilà neuf ans, au lendemain de l’affaire Snowden, qui révélait au monde que le réseau des réseaux était bien éloigné du mythe original de l’internet et avait débouché sur un monde d’hypersurveillance et de vulnérabilité, le groupe Union Centriste avait demandé la création d’une mission commune d’information. L’internet était déjà devenu le théâtre de cyberattaques, de plus en plus nombreuses. Les auteurs du rapport d’information qui a résulté de ces travaux demandaient la mise en œuvre très rapide d’une stratégie globale en la matière.
Nous recommandions, d’abord, une réforme de la gouvernance mondiale de l’internet. Cette réforme, sur laquelle je n’ai pas le temps de m’étendre, reste à faire, me semble-t-il.
Nous appelions ensuite à une réforme de la délégation parlementaire au renseignement et à un renforcement des missions de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) ; je crois pouvoir dire que c’est fait.
Nous préconisions également une réforme de la régulation européenne : nous y sommes enfin, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre délégué, avec les deux directives sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information, dites NIS 1 et NIS 2 (Network and Information System Security 1 et 2), le règlement relatif à un marché unique des services numériques, le Digital Services Act (DSA), le règlement relatif à la régulation de l’intelligence artificielle, l’Artificial Intelligence Act (AI Act), ou encore le règlement relatif aux données numériques, le Data Act. Nous avons donc gagné la course des tortues, comme l’a dit la lauréate du prix Nobel de la paix Maria Ressa.
Cela étant, pendant tout ce temps, les monopoles et les dépendances, les graves dysfonctionnements et les mésusages se sont malheureusement multipliés. Une politique industrielle offensive nous assurerait une autonomie stratégique, car le recours aux technologies chinoises ou américaines constitue, eu égard aux lois extraterritoriales, une vulnérabilité importante. Dans ce domaine, nous sommes loin du compte. La formation, la montée en compétences numériques de tous, c’est important et nous pouvons faire mieux.
J’ajouterais aujourd’hui à tout cela la nécessité d’une stratégie de lutte contre les ingérences étrangères dans le champ de l’information. Cela passe, monsieur le ministre délégué, par une évaluation rapide de la mise en œuvre du DSA et, à défaut, par une modération des plateformes, afin d’approfondir rapidement la législation européenne dans le sens proposé par Claude Malhuret : une véritable responsabilité des plateformes et une plus grande transparence.
Prêtons également une attention particulière aux risques liés au secteur de l’intelligence artificielle générative. Je crois que l’on n’a pas fini de découvrir un certain nombre de choses en ce domaine.
Enfin, il convient de prendre en compte les missions de l’audiovisuel public, dont on va examiner prochainement une réforme. Il nous faut un audiovisuel public – je pense notamment à France Médias Monde – qui mène une lutte contre la désinformation. Il faut donc garantir à ces médias les conditions de leur pérennité et de leur dynamisme.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma collègue Nathalie Goulet l’a dit, nous allons voter ce texte, mais beaucoup reste à faire !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, comme je l’ai indiqué précédemment, s’il y avait eu des concessions sur nos amendements ou sur certains amendements issus d’autres groupes, notamment à l’article 3, nous permettant d’avoir des garanties sur un meilleur équilibre entre sécurité nationale et liberté individuelle, nous aurions envisagé un vote favorable. Or aucun amendement n’a été retenu ! C’est un premier motif de notre vote contre ce texte.
Second motif : quand nous avons proposé d’étendre la notion d’ingérence aux actes des entités à but lucratif – pour parler clairement, les multinationales et notamment les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) –, pareil, rejet ! Je vais donc vous livrer quelques informations pour vous montrer à quel point ce que nous faisons depuis plusieurs heures est quelque peu incantatoire.
Microsoft est le principal fournisseur de l’État français depuis les années 1990, avec l’installation de Windows 95 sur tous les ordinateurs de l’administration. Parmi les administrations les plus dépendantes figurent le ministère de la défense et celui de l’éducation nationale, lequel a signé en 2020 un nouveau contrat visant à équiper 800 000 postes. Cette entreprise reste donc le premier fournisseur de logiciels de l’État, encouragé par l’Union des groupements d’achats publics, laquelle propose en priorité sur son catalogue les logiciels de Microsoft et d’Oracle.
Pourtant, la participation de Microsoft, à partir de 2007, au programme Prism de la National Security Agency (NSA), a été rendue publique dès 2013. La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) alertait dès 2018 sur l’acquisition par des entreprises américaines de plusieurs sociétés françaises expertes dans le traitement des données de santé et mettait en lumière une stratégie de captation d’informations dans des domaines aussi stratégiques que l’aéronautique, le monde de la recherche et la santé.
Je parle de Microsoft, mais ce n’est pas la seule entreprise américaine à profiter du marché des données françaises. Ainsi, en juin 2020, Bpifrance a choisi Amazon Web Services (AWS) pour gérer les données des prêts garantis par l’État, et la DGSI a renouvelé ses contrats avec Palantir, Microsoft Azure, AWS, Google Cloud, IBM Cloud et la solution Oracle Cloud…
Bref, vous le voyez, mes chers collègues, le périmètre retenu ce soir, qui exclut ceux qui accomplissent régulièrement des actes d’ingérence étrangère dans nos décisions publiques, rend ce texte – j’y insiste – quelque peu incantatoire…
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. L’objectif des auteurs de ce texte est louable : il faut effectivement combattre les ingérences étrangères, dont nous sommes tous, de plus en plus, les témoins : notre démocratie, comme toutes les autres, est attaquée.
Néanmoins, je rejoins M. Pascal Savoldelli : nous avons élaboré un texte, nous allons le voter, mais il y a aujourd’hui un organisme qui se livre ouvertement à des actes d’ingérence étrangère : le site de l’ambassade de la République populaire de Chine. Celui-ci a affirmé, par exemple, que nous laissions mourir nos retraités dans les Ehpad et a attaqué directement la liberté de la presse lorsque l’émission Envoyé spécial a fait part des menaces proférées contre une personne sur le point d’être emmenée en Chine. Je vous invite à lire cet article, mes chers collègues : c’est une attaque en règle, une leçon sur la liberté de la presse, émanant d’un État qui pointe à la quasi dernière place mondiale dans ce domaine…
Cette ingérence étrangère est là, elle existe, et on ne fait rien… C’est cela que je constate et c’est cela qui m’inquiète. Nous pouvons adopter des textes, mais, avant toute chose, il faudrait se préoccuper de mettre fin à certaines ingérences ouvertement orchestrées sur notre sol.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France.
(La proposition de loi est adoptée.)
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 mai 2024 :
À quatorze heures trente et le soir :
Débat sur le bilan de l’application des lois ;
Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques (texte de la commission n° 616, 2023-2024) ;
Proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 623, 2023-2024).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 23 mai 2024, à une heure cinq.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des finances pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Claude Raynal, Jean-François Husson, Albéric de Montgolfier, Laurent Somon, Michel Canévet, Rémi Féraud et Bernard Buis ;
Suppléants : Mmes Christine Lavarde, Muriel Jourda, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Éric Bocquet, Louis Vogel et Thomas Dossus.
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. François-Noël Buffet, Mme Agnès Canayer, MM. Stéphane Le Rudulier, Philippe Bonnecarrère, Mme Audrey Linkenheld, M. Rachid Temal et Mme Nicole Duranton ;
Suppléants : M. André Reichardt, Mme Catherine Di Folco, M. Hervé Marseille, Mmes Gisèle Jourda, Cécile Cukierman, Vanina Paoli-Gagin et Mélanie Vogel.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER