M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer revêt une importance cruciale. Il vise à améliorer l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, et contribue ainsi à donner encore plus corps à l’adage selon lequel nul ne doit tirer profit de son crime.
Ces dispositifs constituent des leviers puissants pour lutter contre la criminalité organisée, dont il est avéré que les acteurs craignent souvent plus pour leur portefeuille que pour leur liberté. C’est donc à leur portefeuille qu’il convient de les frapper, et de les frapper fort, en réaffirmant avec conviction que le crime ne paie pas. Le respect de ce principe est d’autant plus important qu’il conditionne l’efficacité et la crédibilité de la réponse pénale.
À cet égard, les mécanismes actuels de saisie et de confiscation, qui reposent largement sur les dispositions de la loi Warsmann du 9 juillet 2010, ont largement prouvé leur redoutable efficacité. Je rappelle que, depuis la création de l’Agrasc, le montant des saisies n’a cessé d’augmenter : de 109 millions d’euros en 2011, il est passé à 1,44 milliard d’euros en 2023, tandis que le montant des avoirs confisqués s’élevait à 175 millions d’euros.
Si ces chiffres sont encourageants, il faut reconnaître que subsistent d’importantes marges de progression. Ainsi, seuls 30 % des biens saisis finissent par être effectivement confisqués. Il faut donc aller plus loin.
C’est ce que ce texte a vocation à permettre en améliorant le fonctionnement de l’Agrasc, en élargissant les possibilités d’affectation des biens saisis et confisqués et en aménageant la procédure pénale qui leur est applicable.
Je tiens à saluer le travail de l’auteur de cette proposition de loi, le député Jean-Luc Warsmann, dont nous connaissons l’engagement sur ces sujets. Plus largement, je souligne l’esprit de coconstruction qui a présidé à l’examen de ce texte, tout au long de la navette parlementaire, et qui a permis d’aboutir, en commission mixte paritaire, à un texte consensuel auquel notre chambre a largement contribué. À cet égard, je salue le travail de notre rapporteure, Muriel Jourda, qui a été à l’origine de nombreux apports à cette proposition de loi.
À titre d’exemple, l’article 1er n’étend plus les possibilités d’affectation sociale qu’aux biens confisqués, tenant ainsi compte des observations de la rapporteure relatives aux difficultés opérationnelles qui se seraient posées autrement.
De même, la suppression du caractère suspensif des recours formés contre les décisions de saisie ou de non-restitution et l’extension de l’obligation imposée aux personnes morales de se dessaisir de tout ou partie des biens confisqués aux conventions judiciaires d’intérêt public dites environnementales constituent des apports notables de notre rapporteure.
En outre, j’observe que l’article 3 a fait l’objet d’une rédaction de compromis, qui intègre pleinement les inquiétudes légitimes qu’a exprimées notre rapporteure quant à l’impact potentiel des mesures d’expulsion accompagnant les mesures de confiscation sur les locataires de bonne foi.
Enfin, les membres du groupe RDPI se réjouissent que plusieurs dispositions issues de leurs amendements aient été intégrées dans la version finale du texte : je citerai la possibilité d’affecter des biens saisis à l’administration pénitentiaire ; l’extension des cas de non-restitution des biens saisis ; la faculté pour l’Agrasc d’accéder, dans l’exercice de ses missions, au fichier informatisé des données juridiques immobilières (Fidji) ; l’élargissement du champ de la peine complémentaire de confiscation générale du patrimoine ; l’extension de la possibilité de remise à l’Agrasc des biens meubles confisqués.
Le travail pragmatique mené par les deux chambres, en bonne intelligence avec le Gouvernement, nous a permis d’aboutir à un texte équilibré et efficace, dont je ne doute pas une seconde qu’il permettra aux mécanismes de saisie et de confiscation d’atteindre leur plein potentiel.
C’est en conséquence avec beaucoup d’enthousiasme que les élus du groupe RDPI voteront en faveur de cette proposition de loi, qui traduit la volonté de renforcer l’efficacité de la réponse pénale et, partant, de notre justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Pierre-Alain Roiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a rendu ses conclusions hier.
Son président, Jérôme Durain, a été marqué, comme, très certainement, tous nos autres collègues membres de cette instance, par les témoignages de celles et ceux qui se battent au quotidien contre cette menace. C’est précisément par l’un de ces témoignages que j’aborderai la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, dont l’examen nous réunit une nouvelle fois aujourd’hui.
Les travaux de la commission d’enquête le confirment une fois de plus : pour bon nombre de criminels liés au narcotrafic, la prison ne constitue plus une menace suffisante.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. C’est vrai.
M. Pierre-Alain Roiron. À propos de ces criminels, une des personnes auditionnées déclarait ainsi : « Le seul moment où on les voit pleurer, c’est quand on saisit leur appartement, leur compte en banque ou leur voiture. »
Il faut donc suivre l’argent, car le meilleur moyen de leur faire mal, c’est de les frapper directement au portefeuille. Certains d’entre eux peuvent considérer la détention comme une période de « formation », durant laquelle les affaires continuent d’ailleurs, malheureusement, de prospérer ; mais les saisies et confiscations permettent, elles, de renverser véritablement la pyramide des valeurs sur laquelle repose le monde des narcotrafiquants.
L’écrivain et journaliste italien Roberto Saviano, qui a souvent dénoncé les milieux mafieux, indique que 5 000 euros investis dans le trafic de cocaïne peuvent, au bout de quelque temps, rapporter 1 million d’euros. Là est un autre enjeu du présent texte : mettre fin au sentiment d’impunité et à la recherche de l’enrichissement à tout prix.
En 2023, l’Agrasc a revendiqué un montant de saisies réalisées de plus de 1,4 milliard d’euros, en hausse de 87 % par rapport à l’année précédente. Le produit des confiscations a également augmenté, pour atteindre 175,5 millions d’euros l’année dernière. Mais on a parfois l’impression qu’au jeu du chat et de la souris la seconde conserve, hélas ! une longueur d’avance. À titre de comparaison, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) estime à plus de 3 milliards d’euros le « chiffre d’affaires » annuel du trafic de drogues en France.
Ce texte, que nous voterons, contient quelques mesures techniques qui permettront sans aucun doute de lever certaines réticences ou craintes chez les magistrats. À cet égard, les travaux de la commission mixte paritaire vont dans le bon sens, même si nous regrettons que nos amendements inspirés par Transparency International et Crim’Halt n’aient pas été repris en première lecture.
Pour finir, je tiens à rappeler les principales recommandations de la commission d’enquête sur le narcotrafic. Toutes ces mesures n’appellent pas forcément une traduction législative, mais il me semble important de les évoquer aujourd’hui.
Premièrement, il faut livrer une véritable guerre financière au narcotrafic, ce qui suppose de mener des enquêtes patrimoniales systématiques sur les narcotrafiquants et sur leurs proches en mobilisant tous les services de l’État, qu’il s’agisse de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de l’Urssaf ou encore, pour les trafiquants de haut vol, dont le patrimoine est souvent dissimulé derrière des montages complexes, du service Tracfin.
Deuxièmement, il faut permettre la fermeture administrative des commerces de façade qui pullulent dans certains quartiers, au vu et au su de tous, et qui constituent de véritables lessiveuses.
Troisièmement, il faut créer une injonction pour richesse inexpliquée, à laquelle le fisc pourra recourir pour forcer la personne concernée à justifier de l’origine de ses biens. Si elle n’y parvient pas, celle-ci pourra faire l’objet de poursuites pénales, au terme desquelles ses biens pourront être saisis et confisqués.
Monsieur le ministre, nous comptons sur votre détermination pour avancer sur l’ensemble de ces sujets ; c’est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous réjouissons du caractère conclusif de la CMP réunie le 30 avril dernier. Le fruit de ce travail mené en commun nous semble aussi pertinent qu’indispensable dans la lutte contre le crime.
Ce texte de loi renforcera incontestablement notre arsenal législatif. Grâce à lui, nous pourrons mieux appréhender le patrimoine des délinquants et des criminels.
Sur l’initiative de nos collègues députés, la confiscation est érigée en peine complémentaire obligatoire : nous saluons cette disposition, qui, dans la plupart des cas, résoudra le problème de la conversion des saisies en confiscations.
L’autre apport majeur du texte, que nous devons à notre rapporteur, chère Muriel Jourda, consiste dans la possibilité de gérer les biens saisis à l’issue de l’enquête ou de l’instruction avant que le tribunal n’ait statué sur le sort de ces derniers.
Par ailleurs, nous approuvons le choix de notre rapporteur consistant à réserver la possibilité d’affectation sociale aux seuls biens confisqués et non saisis.
Selon nous, le renforcement des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels passera également par la désignation, dans la loi, d’un acteur judiciaire qui statuera sur les biens une fois la juridiction de jugement saisie. Ainsi, le président du tribunal judiciaire, ou un juge délégué par lui, aura compétence pour statuer sur les requêtes relatives à l’exécution de la saisie des biens.
En outre, le compromis trouvé en CMP au sujet de l’article 3 nous paraît très pertinent. Il facilitera – nous l’espérons – l’expulsion des personnes occupant de mauvaise foi un logement confisqué par la justice.
Je n’oublie pas non plus la place des victimes : nous nous félicitons de l’allongement du délai leur permettant de demander l’obtention des biens confisqués. Le délai de deux mois était bien trop court ; un délai de six mois facilitera la réponse à leurs requêtes.
Dans le contexte sécuritaire que nous connaissons, et à l’aune de divers travaux sénatoriaux, en particulier ceux de la commission d’enquête sur le narcotrafic, créée sur l’initiative de notre groupe, on ne peut que le constater : la saisie et la confiscation des avoirs criminels représentent un enjeu d’une acuité particulière. Notre collègue député Jean-Luc Warsmann n’est pas étranger aux nombreuses améliorations de notre législation en la matière, et nous le remercions de son travail.
Mes chers collègues, nous voulons, tout spécialement aujourd’hui, rendre hommage à l’action déterminante des policiers, des gendarmes, des douaniers, des magistrats et bien sûr des équipes de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Non, le crime ne doit plus enrichir impunément !
Nous saluons la rigueur et la précision du travail mené sur ce sujet à la fois technique et essentiel par notre rapporteur.
Pour l’ensemble de ces raisons, les élus de notre groupe voteront en faveur du texte issu des travaux de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels sont aujourd’hui des outils essentiels pour préserver l’ordre public, la sécurité et la justice.
Adoptée par l’Assemblée nationale le 5 décembre 2023, puis par le Sénat le 27 mars dernier, cette proposition de loi vise à priver les criminels de leur patrimoine mal acquis, c’est-à-dire issu des infractions qu’ils ont commises. Elle est aussi un moyen de dissuader ceux qui seraient prêts à s’engager dans des activités illégales et de réparer les dommages subis par les victimes.
Rappelons que ce changement d’approche – car c’en est un – n’avait rien d’évident (Mme le rapporteur le confirme.) : il s’agit de s’attaquer au patrimoine des criminels au lieu de se limiter à la seule sanction des comportements délictueux.
Le tournant a été amorcé par la loi du 9 juillet 2010, dite loi Warsmann, déjà citée par les orateurs précédents, laquelle a donné naissance à cette fameuse agence au nom imprononçable : l’Agrasc. (Sourires.)
Chargée de la gestion des biens saisis et confisqués, l’Agrasc est un véritable pilier de cette nouvelle politique. Lors de l’examen du présent texte à l’Assemblée nationale, le garde des sceaux a rappelé le montant des confiscations réalisées par cette agence en 2022 : 172 millions d’euros, soit le double des sommes confisquées en 2020. C’est considérable, mais ce n’est pas encore assez.
Il fallait aller plus loin. Nos collègues députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann soulignaient, dans un rapport publié en 2019, l’importance de la confiscation des biens, qui peut aller jusqu’à la dépossession définitive. Ce rapport, qui a largement inspiré cette proposition de loi, s’ouvrait par ces mots déjà cités par M. le ministre : « Le crime ne doit pas payer. »
Ce principe est consacré par le présent texte ; il en est même l’esprit.
Nous savons bien que les amendes et les peines d’emprisonnement ne suffisent plus. Dans un certain nombre de cas très précis, comme celui du narcotrafic, il faut à l’évidence aller beaucoup plus loin, et la seule sanction efficace est celle qui s’attaque au patrimoine.
Pour assainir notre société en l’expurgeant de ses réseaux criminels, il faut cibler le patrimoine des malfaiteurs. À cet égard, le présent texte comporte un certain nombre de mesures déterminantes ; nous ne pouvons que nous en féliciter. À l’origine, il ne comptait que trois articles, mais il a ensuite été enrichi par une série de nouvelles mesures. L’accord auquel est parvenue la commission mixte paritaire permet notamment de simplifier les procédures, donc de gagner en efficacité, ainsi que nous l’avions demandé lors de l’examen en commission des lois.
Nous sommes heureux par ailleurs d’enregistrer des améliorations concrètes de notre arsenal législatif dans ces domaines évidemment essentiels que sont la lutte contre le blanchiment et la lutte contre le financement du terrorisme.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Louis Vogel. L’adoption de cette proposition de loi permettra aussi de fluidifier la chaîne pénale qui va de la saisie à la confiscation.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : pour toutes ces raisons, les élus du groupe Les Indépendants sont entièrement favorables à l’adoption de ce texte.
Je salue à mon tour l’engagement de notre rapporteur, Muriel Jourda, dont le travail a vraiment fait progresser les choses. Le texte auquel nous aboutissons est bien différent de celui dont nous avons été initialement saisis : le Parlement, et tout spécialement le Sénat, a travaillé.
Le résultat de ces efforts est un texte équilibré, qui permettra d’envoyer un message de fermeté aux magistrats compétents.
Puisse ce texte novateur servir de modèle à l’échelle européenne : je renouvelle ce vœu formulé en première lecture. Monsieur le ministre, je compte sur vous. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi contient diverses mesures techniques tendant à améliorer le fonctionnement de l’Agrasc. Elle fait écho à diverses réflexions menées par le Sénat – je pense en particulier aux préconisations de la commission d’enquête sur le narcotrafic, qui viennent d’être rendues publiques. J’ajoute que la discussion de cet après-midi ne saurait faire abstraction de certains événements criminels que notre pays a connus tout récemment : se trouve ainsi dramatiquement soulignée la pertinence des confiscations d’avoirs criminels.
En la matière, Nathalie Goulet, puis Louis Vogel, ont insisté à raison sur le nécessaire renforcement de la réglementation européenne ; les besoins en matière de coopération judiciaire restent, de même, considérables. Au sujet de la confiscation des avoirs criminels ou illicites, je vous renvoie au papier très complet paru dans Le Monde daté d’hier, détaillant notamment ce qui se passe à Dubaï : cette enquête montre toute l’importance de la coopération judiciaire.
L’agence chargée de la gestion des avoirs criminels confisqués a beaucoup évolué depuis sa création en 2010 et il nous semble qu’elle fonctionne bien.
Madame Jourda, le travail que vous avez accompli en commission des lois, puis les évolutions que vous avez obtenues en CMP, vont dans le bon sens, comme l’ont indiqué tous ceux qui m’ont précédé à la tribune. L’évolution vers des confiscations dites de plein droit nous paraît pertinente. Au-delà, nous saluons l’ensemble des améliorations apportées au fonctionnement technique de l’agence, qu’il s’agisse des modalités d’affectation, de la simplification de la procédure d’appel ou encore des dispositions relatives aux conventions judiciaires d’intérêt public.
Les élus de notre groupe voteront bien entendu cette proposition de loi, qui prolonge un travail mené de longue date et dont je me réjouis – j’en remercie Mme le rapporteur – qu’elle ait pu faire l’objet d’un accord en CMP.
Je veux revenir par ailleurs sur le fait que, dans son esprit, cette proposition de loi recoupe les réflexions actuelles du Sénat. Dans le débat de cet après-midi, je retrouve ainsi plusieurs préconisations formulées par notre commission d’enquête sur le narcotrafic, dont les conclusions ont été remises hier.
Je relève en particulier une très grande convergence autour de l’idée que l’argent du crime doit être confisqué : par sa recommandation n° 31, ladite commission suggère précisément de « mieux suivre l’argent du narcotrafic ». Quant à la recommandation n° 32, elle est intitulée : « Intégrer pleinement les enjeux financiers aux investigations judiciaires. » Madame Jourda, cette préconisation renvoie aux enquêtes patrimoniales, qui ont bien sûr toute leur importance pour l’Agrasc (Mme le rapporteur le confirme.), et au traitement dit post-sentenciel.
Monsieur le ministre, j’ai été surpris de trouver, parmi les recommandations de nos collègues, des demandes particulières relatives à l’accès aux fichiers numériques. Il me semblait – je vous l’avoue – que cette question était traitée depuis longtemps, en particulier pour ce qui est des fichiers immobiliers et des états hypothécaires ; voilà qui, apparemment, n’est pas si évident.
Quant à la recommandation n° 33, intitulée « Frapper les narcotrafiquants au portefeuille », elle recouvre à la fois les fonds de commerce et les comptes de paiement en ligne. Dans ce cadre, nos collègues formulent une proposition assez audacieuse : « recourir davantage à la présomption de blanchiment ».
Tous ces éléments témoignent d’une véritable convergence des réflexions et des propositions.
Mes chers collègues, j’ai bien sûr une pensée, à cet instant – j’y ai fait allusion –, pour les victimes des crimes dramatiques commis hier dans l’Eure. Les questions techniques, comme la fixation de l’échelle des peines ou la définition des infractions, ont bien sûr toute leur importance ; mais de tels drames appellent notre attention sur un problème plus large : il y va d’une rupture du contrat social, d’une fracturation de notre société, ce que le Président de la République désigne sous le nom d’« ensauvagement ».
Au-delà du travail technique de cet après-midi, nous ne pouvons que nous interroger quant à l’évolution de notre société… (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Louis Vogel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous présentions hier le rapport de la commission d’enquête sur le narcotrafic, qui inclut un certain nombre de préconisations visant à améliorer l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation.
On constate que, plus que jamais, nous avons besoin d’une réflexion législative allant au-delà du tout-prison. Je regrette d’ailleurs que nous n’ayons pu attendre les conclusions de cette commission d’enquête pour légiférer en la matière. Je salue la qualité des travaux menés par son président, Jérôme Durain, et par son rapporteur, Étienne Blanc.
Leur rapport contient, entre autres, trois préconisations directement liées au sujet qui nous occupe cet après-midi : instaurer une procédure de gel administratif et de saisie conservatoire des biens des narcotrafiquants ; autoriser la confiscation sans condamnation pénale ; faciliter la saisie des fonds de commerce.
Quels que soient les méfaits commis – délinquance financière, narcotrafic, etc. –, les délinquants détestent être frappés au portefeuille.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Comme tout le monde…
M. Guy Benarroche. « Pour être véritablement dissuasive, toute sanction pénale doit pouvoir s’accompagner de la privation des délinquants des profits qu’ils ont pu tirer de l’infraction » : c’est par ces mots que notre collègue député Jean-Luc Warsmann ouvrait l’exposé des motifs de la proposition de loi ayant abouti à la création de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’Agrasc. Je note d’ailleurs que ce texte faisait suite à un rapport de 2004 relatif à la lutte contre les trafiquants de drogue.
Les enjeux traités et les pistes tracées par la proposition de loi que nous nous apprêtons aujourd’hui à voter nous semblent très intéressants.
Mme la rapporteure l’a rappelé : non seulement les avoirs criminels ne sont pas systématiquement identifiés, mais, en définitive, seuls 30 % des biens saisis finissent par être effectivement confisqués par une juridiction de jugement.
En France, la saisie d’avoirs criminels n’en est pas moins en forte progression. En 2011, 109 millions d’euros étaient saisis, contre 771 millions d’euros en 2022 – soit sept fois plus –, dont 27 millions d’euros à Marseille.
L’Agrasc est une réussite. Il faut s’en féliciter et remercier l’ensemble de ses agents pour leur travail, qui, au service des victimes, redonne du sens à la sanction.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Absolument.
M. Guy Benarroche. Néanmoins, il existe à l’évidence de réelles marges de progression : l’Office anti-stupéfiants estime en effet à plus de 3 milliards d’euros au minimum le « chiffre d’affaires » annuel du trafic de drogue en France.
La commission d’enquête sur le narcotrafic le rappelle dans son rapport, « les données dont dispose l’Agrasc confirment le constat d’un potentiel encore sous-exploité : parmi les biens saisis du 1er janvier 2023 au 30 septembre 2023, 57,6 % l’avaient été dans le cadre de dossiers comprenant au moins une infraction à la législation sur les stupéfiants ».
De même, ce travail met en lumière l’importance de la formation des agents à tous les niveaux : « [l]es juridictions qui bénéficient du soutien d’assistants spécialisés ou de juristes assistants assurant la formalisation et le suivi des décisions de saisies pénales sont plus dynamiques en matière de saisies et de confiscations. »
J’en reviens au présent texte, qui permet d’ajouter les collectivités territoriales à la liste des personnes morales pouvant se voir confier les biens confisqués ; nous saluons cette mesure. Plus encore, nous nous félicitons que, sur l’initiative du Sénat, les services d’enquête, les services judiciaires, l’Office français de la biodiversité (OFB) ou la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) figurent désormais parmi les possibles bénéficiaires de ces biens.
Mes chers collègues, au sein de notre assemblée, j’ai déjà eu l’occasion de m’opposer à des mesures qui, sous couvert de pragmatisme ou de rapidité, privaient de facto les justiciables de leur droit de contestation. J’adhère donc d’autant plus volontiers à la solution inscrite à l’article 1er, qui répond concrètement aux difficultés d’audiencement devant la chambre de l’instruction. La contestation des décisions de saisie représente actuellement 40 % du contentieux dans certaines chambres d’instruction. L’article 1er allège le contentieux en permettant de procéder aux contestations auprès du premier président de la cour d’appel.
Dans cette même veine, nous accueillons favorablement les précisions apportées à l’article 3 afin de simplifier les procédures, qui enrayent parfois la machine, sans pour autant obérer les droits du justiciable.
Mes chers collègues, nous regrettons bien sûr qu’aucune de nos propositions n’ait été retenue. Nous suggérions notamment d’étendre le champ d’application du dispositif de restitution des biens mal acquis à l’entourage familial des agents publics étrangers, afin que ledit dispositif soit mieux ciblé. Il faut faire en sorte que les pouvoirs publics soient aussi agiles que les délinquants de tous types – et ce n’est pas peu dire…
Fruit d’un travail législatif dont nous voudrions voir davantage d’exemples dans cet hémicycle, le présent texte représente une incontestable avancée. Il consolide divers modes de sanction, au-delà du tout-prison, et renforce ainsi l’efficacité de notre justice.
J’y insiste, nous déplorons néanmoins que ce travail n’ait pu se faire à la lumière du rapport sur le narcotrafic, vu la part considérable de cette délinquance dans les enjeux de saisie et de confiscation. Cela étant, les élus du groupe GEST voteront le texte de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’instrument juridique de la saisie et de la confiscation des biens mal acquis présente le double intérêt, d’une part, de dissuader les délinquants et criminels et, d’autre part, de mettre au service de la société les biens acquis contre ses intérêts.
« Il faut taper les délinquants au portefeuille. » Dès 1982, l’Italie créa un dispositif juridique de saisie et de confiscation des avoirs criminels, par la loi dite Pio La Torre, du nom du célèbre député communiste sicilien. Ce parlementaire, qui paya de sa vie sa lutte contre la mafia, laissa en héritage le premier dispositif de confiscation obligatoire des biens criminels.
En France, c’est en 2010, sous l’impulsion de notre collègue député Jean-Luc Warsmann, qu’un dispositif de saisie et de confiscation des avoirs criminels a vu le jour. Sa mise en œuvre progressive s’est accompagnée de la création de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, et il a été enrichi, depuis sa création, au fil de diverses évolutions législatives.
Ainsi, en 2018, la confiscation des biens des marchands de sommeil a été autorisée à la suite de l’adoption à l’Assemblée nationale d’un amendement du député communiste Stéphane Peu au projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Élan). Puis, en 2021, deux textes sont venus compléter cet arsenal, en facilitant la saisie et l’affectation sociale des biens immobiliers confisqués et en instituant un mécanisme de restitution des biens mal acquis via l’aide au développement.
Créé il y a maintenant quatorze ans, ce dispositif permet de saisir et de confisquer de plus en plus de biens d’origine criminelle. Le montant des biens saisis, qui, en 2011, s’élevait à 109 millions d’euros, est passé à 484 millions d’euros en 2021. Les confiscations d’actifs ont quant à elles explosé, passant de 700 000 euros en 2011 à 150 millions d’euros en 2021.
Il nous est demandé aujourd’hui d’améliorer encore ce mécanisme juridique. En effet, malgré la progression fulgurante des saisies et des confiscations, nous demeurons loin des résultats atteints par l’Italie, qui a confisqué plus de 11 milliards d’euros de biens à la mafia au cours des vingt dernières années et qui a généralisé l’usage social de ces confiscations.
Grâce à cette proposition de loi, le volet répressif et dissuasif du mécanisme de saisie et de confiscation des avoirs criminels est renforcé. Les saisies seront désormais plus rapides, plus efficaces, et nous ne pouvons que nous en réjouir : c’est bien la mise en œuvre de la saisie au cours de la procédure pénale, autrement dit en amont de la décision juridictionnelle, qui garantit l’efficacité du dispositif en ouvrant la voie à une confiscation définitive.
En outre, la confiscation obligatoire est étendue non seulement aux biens qui ont servi à commettre l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre, mais également aux biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction. De nouveau, ces dispositions traduisent une réelle volonté d’efficacité, conformément au principe déjà rappelé : on ne saurait s’enrichir par le crime.
Cette proposition de loi consolide la réaffectation sociale des biens confisqués. Si les crimes commis sont nuisibles à toute la société, il n’est que justice que leurs produits soient affectés au bien commun.
Dans ce domaine aussi, l’exemple de l’Italie est inspirant : pour la seule année 2019, 947 biens criminels ont été mis au service de l’économie sociale et solidaire. Ils ont été affectés à 505 associations ou organismes d’HLM, à 26 fondations, à 27 écoles, à 16 associations sportives et à 5 organismes de formation professionnelle.
Mes chers collègues, mettre les biens criminels au service de l’intérêt général, c’est rendre aux citoyens les fruits du crime organisé et démontrer que les systèmes mafieux ne l’emportent pas sur la défense du bien commun. C’est ainsi que nous réparerons les dommages commis par le crime dans nos territoires.
Nous saluons pleinement cette proposition de loi, car nous sommes bien de ceux qui pensent que ce qui fait l’efficacité de la peine, ce qui la rend dissuasive, ce n’est pas sa sévérité, mais sa certitude. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Annie Le Houerou applaudit également.)