PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, cher Alain Milon, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen d’une proposition de loi qui vise à conférer à l’Académie nationale de chirurgie la qualité de personne morale de droit public à statut particulier placée sous la protection du Président de la République.
Ce statut a notamment été reconnu par la loi aux académies nationales de médecine et de pharmacie, respectivement en 2013 et 2016.
En revanche, l’Académie nationale de chirurgie demeure constituée sous forme d’association régie par la loi de 1901 reconnue d’utilité publique.
Si l’intention des auteurs de cette proposition de loi, que je partage, est de mieux valoriser la chirurgie, les modalités soulèvent un certain nombre de risques et d’inconvénients qui pourraient en réduire considérablement l’intérêt.
Premièrement, en consacrant une Académie nationale de chirurgie distincte de l’Académie nationale de médecine, cette proposition de loi risquerait de fragmenter le paysage médical en séparant plus nettement les chirurgiens des autres disciplines. Cela entraînerait nécessairement une dissociation des expertises et des institutions.
Ce serait dommageable tant pour la connaissance scientifique que pour les projets de recherche médicale et, à terme, pour la prise en charge des patients.
En effet, le risque est d’entraîner une diminution des interactions entre l’Académie nationale de chirurgie et l’Académie nationale de médecine.
Surtout, la nouvelle académie de chirurgie serait de nature à créer de la confusion éventuelle avec les missions dévolues à la deuxième division de l’Académie nationale de médecine, qui traite, elle aussi, des spécialités chirurgicales.
Dès lors, cela pourrait encourager des développements parallèles et une individualisation accrue des deux institutions, ce qui est clairement en opposition avec les évolutions scientifiques en cours.
En effet, cette proposition de loi pose la question de l’opportunité d’isoler la chirurgie et les pratiques interventionnelles innovantes du reste de la médecine. Cette question est d’autant plus pertinente que les structures, les organisations et la réalité des pratiques médicales tendent, au contraire, à converger et à se rapprocher au bénéfice d’une approche plus coordonnée des soins.
La formation des chirurgiens et des médecins est aujourd’hui commune pour les six années de formation des deux premiers cycles. En outre, plusieurs spécialités enseignées en troisième cycle sont des spécialités médico-chirurgicales, comme l’ophtalmologie ou la gynécologie-obstétrique. Qui plus est, un certain nombre de spécialités médicales développent des exercices interventionnels, comme en cardiologie.
Nous identifions donc un risque de voir se dissocier les disciplines chirurgicales et les disciplines médicales, alors même que c’est le rapprochement des deux disciplines qui permet d’améliorer la prise en charge des patients.
L’intégration de la radiologie interventionnelle dans les procédures chirurgicales montre par exemple comment la médecine diagnostique et le traitement chirurgical se complètent.
De même, l’oncologie chirurgicale et la pharmacochirurgie révèlent comment la combinaison de la chimiothérapie, de la radiothérapie et des interventions chirurgicales peut offrir une prise en charge complète et personnalisée du cancer, adaptée aux besoins spécifiques de chaque patient.
Enfin, les progrès de la médecine régénérative et de la bio-ingénierie ouvrent des horizons nouveaux pour la chirurgie reconstructive, avec l’utilisation de thérapies cellulaires pour restaurer ou remplacer les tissus endommagés.
Ces exemples démontrent clairement que l’avenir des soins de santé réside dans une approche intégrée, où médecine et chirurgie s’entremêlent d’abord, pour offrir des solutions de traitement plus efficaces, plus innovantes et moins invasives ; ensuite, pour optimiser la qualité des soins ; enfin, pour encourager la recherche et continuer à repousser les frontières de la connaissance scientifique.
Cette proposition de loi pourrait susciter à terme des questions opérationnelles, notamment sur le fonctionnement et le financement.
Il est important de noter que l’Académie nationale de chirurgie, fondée – cela a été rappelé – en 1859 et reconnue d’utilité publique, dispose déjà d’un certain nombre de capacités juridiques et opérationnelles. En tant que personne morale, elle est déjà apte à produire des actes juridiques et à conclure des contrats. Elle peut aussi être titulaire d’un patrimoine ou recevoir des dons.
Modifier son statut comme cela est proposé pourrait étendre de manière redondante ces capacités sans apporter de bénéfices tangibles et provoquer une duplication des structures et des efforts, alors que les pouvoirs publics se sont au contraire résolument engagés dans une dynamique de simplification.
Par ailleurs, les modalités de financement de cette nouvelle académie devraient être, le cas échéant, redéfinies.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends votre souhait d’agir sur le sujet. Je partage pleinement votre volonté de consacrer la discipline chirurgicale en lui donnant une place et un rôle à la hauteur de ce qu’elle apporte chaque jour aux patients de notre pays.
Néanmoins, pour toutes les raisons que j’ai pu évoquer devant vous, le Gouvernement émettra un avis défavorable sur cette proposition de loi.
Cela ne vise évidemment en aucun cas à remettre en cause la valeur et l’importance de la chirurgie dans notre système de santé. Nous souhaitons plutôt encourager le développement des interactions entre l’Académie nationale de médecine et l’Académie nationale de chirurgie organisée dans sa forme actuelle.
Je le redis, le Gouvernement est convaincu de l’importance de renforcer les liens et les synergies entre toutes les disciplines médicales au bénéfice de l’innovation et de l’amélioration des soins, et ce pour tous les Français.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Académie nationale de chirurgie a le statut d’association de droit privé reconnue d’utilité publique depuis 1859.
Elle ne jouit donc pas du même statut que ses pendants de médecine et de pharmacie, qui bénéficient, respectivement depuis 2013 et 2016, du statut de personne morale de droit public à statut particulier.
Cette proposition de loi tend à y remédier en modifiant le statut actuel de l’Académie nationale de chirurgie pour passer à celui de personne morale de droit public à statut particulier.
Pourquoi vouloir donner à l’Académie nationale de chirurgie le même statut que celui des académies nationales de médecine et de pharmacie ? Cette question reste encore insuffisamment étayée.
Je commence par l’argument consistant à dire qu’il faudrait placer l’Académie nationale de chirurgie sur un pied d’égalité avec ses pendants de médecine et de pharmacie. L’égalité ne saurait être un argument en soi. Un tel changement de statut n’aurait d’intérêt que si les patients et les professionnels y gagnaient. Quelle est la plus-value ? Quel serait le bénéfice à voir bousculer la gouvernance d’une institution qui, selon les informations en notre possession, fonctionne actuellement très bien ?
Vous l’avez vous-même indiqué, monsieur le rapporteur : l’Académie nationale de chirurgie ne sollicitera aucun financement complémentaire si elle change de statut. Ce changement lui accorderait la possibilité de le faire.
La chirurgie fait pleinement partie de la médecine. Il y a d’ailleurs, à juste titre, une section de chirurgie au sein de l’Académie nationale de médecine, afin d’assurer la transversalité. Renforçons-la si besoin est ! Nous craignons que la discipline ne soit pas grandie à multiplier ses instances.
Donner ce statut à l’Académie nationale de chirurgie, c’est lui donner son indépendance en matière d’administration et dans toutes les décisions.
N’y a-t-il pas un risque de voir se dessiner une certaine forme de concurrence entre les deux académies ? (M. Alain Milon s’exclame.) Naturellement, une certaine compétition pourrait s’installer, avec, peut-être, l’émergence de contradictions.
Dans de nombreux domaines, la concurrence peut être saine, car elle entraîne l’émulation. En ce qui concerne les académies nationales de médecine et de chirurgie, nous n’en sommes toutefois pas convaincus.
Les progrès techniques en matière de chirurgie vont amener à revoir les frontières des disciplines, notamment l’avènement de l’intelligence artificielle et les avancées dans certains types d’interventions : tout ce que l’on pensait impossible voilà encore quelques années.
Alors, plus que jamais, il est nécessaire que la chirurgie et la médecine collaborent le plus étroitement possible.
Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué en commission que cette proposition de loi avait essentiellement une portée symbolique. Il existe bien des symboles qui mériteraient une étude approfondie menant à des propositions législatives. Je ne pense pas que celui-ci soit prioritaire.
Nous n’avons pas davantage d’arguments contre cette proposition de loi que ses auteurs n’en ont avancé en sa faveur.
La santé est un domaine dans lequel on ne doit pas prendre de risques. Il faut être certain de la direction, dans l’intérêt des professionnels et des patients.
Ne voyant pas les effets bénéfiques qu’aurait ce texte et redoutant même ses éventuels effets néfastes, le groupe Les Indépendants votera contre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Sophie Romagny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui l’évolution du statut juridique de l’Académie nationale de chirurgie, pour lui permettre d’accéder à la qualité de personne morale de droit public à statut particulier placée sous la protection du Président de la République.
Ce régime juridique ne concerne actuellement qu’une poignée d’institutions prestigieuses, comme l’Académie française ou l’Académie des beaux-arts, rassemblées au sein de l’Institut de France.
Si la création de l’Académie nationale de chirurgie remonte à l’Ancien Régime, cette institution n’a cessé d’évoluer au fil des siècles, à mesure que les progrès de la médecine moderne s’accéléraient et afin de répondre aux missions d’intérêt général et d’utilité publique dont elle est originellement investie.
Cet héritage historique, elle le partage notamment avec les académies nationales de médecine et de pharmacie, qui se sont vu attribuer, en 2015 et en 2016, un statut de personne morale de droit public, ce qui est finalement assez récent.
La nécessité d’assurer un statut équivalent à l’Académie nationale de chirurgie rétablirait l’égalité entre ces trois entités. L’actualisation du statut de cette entité se justifie aussi par la nature des relations que les trois académies entretiennent de longue date. Il s’agit de relations de coopération structurée qui permettent l’élaboration des travaux interacadémiques.
Faire évoluer la nature juridique de l’Académie nationale de chirurgie, qui dispose jusqu’à présent du statut d’association de droit privé régie par la loi de 1901, en personne morale de droit public emporte naturellement des conséquences.
Cette évolution doit permettre à l’institution de renforcer son implication dans les missions d’intérêt général qu’elle exerce au contact d’institutions publiques et privées, entre autres auprès du Gouvernement, de la Haute Autorité de santé ou encore de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou de France Biotech.
La transformation de l’Académie nationale de chirurgie en personne morale de droit public lui permettrait notamment de bénéficier d’attributs spécifiques attachés aux « prérogatives de puissance publique », comme l’insaisissabilité de ses biens ou la compétence du juge administratif pour les litiges la concernant.
La proposition de loi a pour effet de renforcer et de consacrer l’indépendance de cette académie, en prévoyant que celle-ci s’administre librement, que ses décisions entrent en vigueur sans autorisation préalable et qu’elle bénéficie de l’autonomie financière sous le seul contrôle de la Cour des comptes, comme c’est aujourd’hui le cas s’agissant des académies nationales de médecine et de pharmacie.
Ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, l’Académie est particulièrement impliquée dans les travaux participant à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de santé publique de notre pays. Cela vient également compléter son rôle structurant, dans les domaines de la recherche et de l’enseignement, qui participent au rayonnement de la communauté académique et universitaire chirurgicale française.
Ce texte a tout de même soulevé des discussions sur plusieurs points lors de son examen par la commission des affaires sociales.
Parmi ces points figurait notamment la question de la nécessité, ou non, de renommer l’Académie nationale de chirurgie en « Académie nationale de chirurgie et des pratiques interventionnelles innovantes ». Si elle a été pensée pour refléter les évolutions ayant marqué les pratiques opératoires des dernières décennies, cette nouvelle dénomination n’a pas été retenue, car elle introduirait une distinction entre l’Académie nationale de chirurgie et les académies nationales de médecine et de pharmacie, ce qui n’est pas justifié.
Un autre point de discussion porte sur l’intérêt même de porter modification du statut juridique de cette académie alors qu’une division Chirurgie et spécialités chirurgicales existe au sein de l’Académie nationale de médecine. Toutefois, exactement de la même façon que pour la pharmacie, l’existence d’une division ne saurait s’opposer à l’octroi du statut de personne morale de droit public pour cette académie, et ce d’autant qu’elle est, à l’heure actuelle, la seule institution en France assurant l’égale représentation des treize spécialités chirurgicales que sont, à titre d’exemple, la chirurgie orale, la chirurgie thoracique et cardio-vasculaire, la neurochirurgie ou encore l’oto-rhino-laryngologie.
En cas d’adoption définitive de ce texte, il reviendrait au Gouvernement d’apprécier les conditions permettant de garantir l’indépendance financière de l’Académie nationale de chirurgie, en d’autres termes d’établir la part ou non du soutien de l’État dans son financement. À titre d’exemple, l’Académie nationale de médecine ne sollicite aucune cotisation de la part de ses membres et dépend uniquement du soutien de l’État, tandis que les recettes de l’Académie nationale de pharmacie sont constituées à 44,5 % des cotisations de ses membres.
Il reviendrait également au pouvoir réglementaire de définir le mode de gouvernance de l’Académie en prévoyant de nouveaux statuts relatifs à la composition d’une assemblée générale, d’un conseil d’administration et d’un bureau. L’Académie a d’ailleurs exprimé le souhait que ses statuts actuels soient transposés dans le cadre de son passage au régime de droit public.
Mes chers collègues, alors que les travaux préparatoires et les auditions associées ne laissaient pas imaginer de difficultés du secteur à accepter cette modification, quelques heures avant la réunion de la commission des affaires sociales, plusieurs remarques se sont fait entendre.
C’est pourquoi le rapporteur proposera trois amendements, que je salue.
L’un tend à différer de deux ans l’entrée en vigueur de ce texte, ce qui nous laissera le temps de bien accompagner le changement.
Un autre a pour objet de circonscrire à la chirurgie les avis que l’Académie nationale de chirurgie pourrait rendre au Gouvernement, alors que le texte initial prévoyait des avis en matière de santé publique.
Le dernier vise à coordonner les travaux de l’Académie nationale de chirurgie avec ceux de l’Académie nationale de médecine dans le champ de la chirurgie.
Dans un esprit d’apaisement, le groupe Union Centriste votera ces trois amendements et votera également en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit vise à donner un statut renforcé à l’Académie nationale de chirurgie. Ses auteurs et le rapporteur, que je salue, justifient cette proposition par l’héritage historique de l’Académie. Si l’héritage qui nous est présenté invite en effet à renforcer le statut de l’Académie nationale de chirurgie, je souhaite proposer un autre éclairage sur le rôle des académies dans les politiques de santé. En particulier, je m’attacherai à revenir non pas sur la naissance et les travaux des académies, mais sur leurs disparitions et leurs raisons.
En effet, on retient aisément que l’Académie royale de chirurgie fut supprimée en 1793 par la Convention, en raison de l’esprit monarchique qu’elle incarnait. J’aimerais rappeler à notre assemblée que cette disparition était aussi motivée par l’inadéquation de l’existence de cette structure aux politiques de santé défendues par les révolutionnaires. En effet, ces derniers souhaitaient affirmer le droit de l’homme à la santé et faire du malade un citoyen.
L’historienne Dora B. Weiner définissait ainsi en 1993 l’idéal révolutionnaire du « citoyen-patient », une idée proche de ce que nous définirions aujourd’hui comme la démocratie sanitaire : le patient devient acteur de sa propre santé. En d’autres termes, les révolutionnaires entendaient consacrer l’égalité des citoyennes et des citoyens dans la santé.
L’un de nos prédécesseurs, François de La Rochefoucauld-Liancourt, alors président de l’Assemblée constituante, qui sera membre de la Chambre des Pairs trente ans plus tard, déclarait : « La bienfaisance publique doit à l’indigent malade des secours prompts, gratuits, certains et complets. » Au cours des travaux des assemblées révolutionnaires, il poursuivit ce combat pour que chaque citoyen devienne, en quelque sorte, son propre médecin.
Plutôt que le renforcement de l’académie et la spécialisation des savoirs dans des chambres d’experts, les révolutionnaires ont privilégié le partage des connaissances et une forme d’empouvoirement en santé. En tout cas, tel était leur projet.
Sans opposer nécessairement les académies à la démocratie sanitaire, cette proposition de loi nous permet de rappeler que la politique consiste souvent à faire des choix dans les priorités que nous nous donnons. Vous l’aurez compris, le renforcement des académies ne fait pas partie de mes priorités, au contraire de la démocratie sanitaire.
Pour revenir auxdites académies, rappelons les raisons de leur renaissance. En 1820, Louis XVIII créait l’Académie royale de médecine, chargée de poursuivre les travaux de la Société royale de médecine et de l’Académie royale de chirurgie. L’Académie nationale de médecine que nous connaissons tire donc ses origines d’une volonté royale. Qu’en est-il en ce qui concerne la chirurgie ? En 1842, en plein règne de Louis-Philippe, une nouvelle société de chirurgie fut créée ; elle deviendra l’Académie nationale de chirurgie.
Au fond, les académies nationales de médecine et de chirurgie, à destination de spécialistes et de corporations, n’ont pas été des outils de la démocratie sanitaire et semblent à peine l’envisager aujourd’hui. Si les corps médicaux et chirurgicaux peuvent concourir à la détermination des politiques de santé, le cadre académicien ne suffit pas à émettre un avis éclairé, sur le fondement d’une réflexion scientifique incontestable. Preuve en est la diffusion de fausses nouvelles concernant les risques sanitaires de l’amiante par l’Académie nationale de médecine dans les années 1990.
Renforcer les académies, pourquoi pas, mais uniquement lorsqu’elles auront pris le chemin d’une réforme nécessaire qui leur permettra d’intégrer les citoyennes et les citoyens à leurs travaux. Oui, quand elles prendront en compte le nouveau régime climatique et, par exemple, les risques posés par la mutation écologique en matière de maladies émergentes, de santé respiratoire ou encore d’accès aux ressources !
Pour finir, nous avons entendu ces dernières semaines l’opposition de l’Académie nationale de médecine au fait que nous accordions ce statut renforcé à l’Académie nationale de chirurgie. Il ne nous appartient pas, à nous, parlementaires, de trancher ces querelles de chapelle.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre cette proposition de loi, qu’il juge à ce stade anachronique.
Mme Pascale Gruny. Pourquoi ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons cet après-midi pour débattre de la proposition de loi, présentée par des membres du groupe Les Républicains, visant à accorder le statut de personne morale de droit public à statut particulier à l’Académie nationale de chirurgie.
L’objectif, qui peut sembler louable, est celui d’une égalité de traitement avec les académies nationales de médecine et de pharmacie, qui ont un tel statut, et de reconnaître pleinement l’importance des missions que l’Académie nationale de chirurgie exerce, autant que la qualité de ses travaux.
Nous abordions ce sujet, le pensant sans grand enjeu, et faisant l’objet d’un consensus entre l’ensemble des acteurs.
Il n’en est visiblement rien et sans doute faut-il prendre le temps d’examiner de manière plus approfondie les implications d’une telle décision. Je sais que vous avez déposé des amendements en ce sens, monsieur le rapporteur.
Lorsque l’Académie nationale de médecine alerte sur « l’affaiblissement majeur qu’entraînerait l’adoption de cette proposition de loi au regard des problématiques de santé publique et de l’expertise transversale et pluridisciplinaire qu’elles nécessitent plus que jamais aujourd’hui », un examen approfondi s’impose, et ce d’autant que, si sa pertinence était confirmée, l’objet de cette proposition pourrait tout à fait trouver sa place sous forme d’amendement dans un projet de loi sur la santé ou sur la recherche.
Évidemment, cela impliquerait que le Gouvernement nous saisisse de tels textes, alors que chacun sait ici qu’il a choisi de gouverner en contournant toujours plus le Parlement. Résultat, les travaux parlementaires sont parsemés de propositions de loi parcellaires, dépourvues de vision globale pour répondre aux enjeux, pourtant immenses – avec l’écueil que nous vivons aujourd’hui.
J’ajoute à l’adresse des différentes parties prenantes que, pour sérieux et indispensables que soient leurs travaux, nous devrions tous garder en tête les urgences et les priorités en matière de santé.
Hier encore, j’ai été interpellée par un patient en affection de longue durée dont le médecin traitant part à la retraite le 1er juillet prochain et qui peine à trouver un médecin pour le suivre après cette date, alors même que son état de santé nécessite des visites à domicile très régulières.
Je ne m’étendrai ni sur la situation de nos hôpitaux – tout le monde la connaît ici –, avec des services d’urgence qui ferment faute de personnels en nombre suffisant, ni sur la situation de nos Ehpad, 80 % des Ehpad publics faisant face à des déficits structurels.
Je pourrais évoquer la financiarisation de la santé, qui inquiète de plus en plus de professionnels et fait d’ailleurs en ce moment même l’objet d’une mission d’information ici, au Sénat.
Je pourrais évoquer les pénuries de médicaments, qui s’accroissent. D’ailleurs, nous vous invitons, monsieur le ministre, à vous saisir d’urgence des recommandations de la commission d’enquête sénatoriale sur ce sujet, tout particulièrement face aux annonces de mise en vente de Biogaran.
Certes – je ne suis pas naïve, ni même populiste, comme le diraient certains –, il existe des sujets importants qui ne font pas forcément partie des premières préoccupations de nos concitoyens. Attention tout de même à ne pas engager ou nourrir des batailles qui accentuent davantage encore les fractures dont certains font leur miel. Attention à ce que d’obscurs enjeux n’accentuent pas la déconnexion avec la réalité des difficultés de nos concitoyens.
Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’avez compris, mes chers collègues, les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky sont extrêmement réservés sur ce texte et ne le voteront pas.
Je crois même, pour conclure, qu’à l’issue de notre débat et de l’examen des amendements, qui seront certainement adoptés si j’en juge par la discussion que nous avons eue en commission, ce texte deviendra une espèce d’Opni, un objet parlementaire non identifié. Nous avons des choses plus utiles et plus urgentes à faire en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, fondée en 1731, l’Académie nationale de chirurgie est une institution prestigieuse, dont le principal objectif est de promouvoir l’avancement de la chirurgie en France et dans le monde.
Héritière d’illustres chirurgiens français, tel Ambroise Paré, elle joue un rôle important dans l’élaboration de normes et de protocoles chirurgicaux, ainsi que dans la promotion de l’éthique et de la déontologie professionnelle au sein de la communauté chirurgicale.
Elle est la seule institution française à regrouper les treize spécialités chirurgicales.
À l’époque d’Hippocrate, la chirurgie faisait partie intégrante de la médecine et ce n’est qu’à partir du XIIe siècle que son exercice s’individualisa progressivement par rapport à l’art médical.
Pour autant, l’Académie nationale de chirurgie et l’Académie nationale de médecine sont de plus en plus complémentaires. Cette proximité grandissante se traduit par l’organisation de séances annuelles biacadémiques, mais également par des commissions, des séminaires et des colloques communs.
Alain Milon, l’auteur de la proposition de loi, a d’ailleurs rappelé les propos de l’ancien président de l’Académie nationale de chirurgie, Philippe Marre, qui soulignait la richesse des coopérations avec l’Académie nationale de médecine.
Toutefois, ces deux académies ne bénéficient pas de la même reconnaissance. L’Académie nationale de chirurgie est une association à but non lucratif, d’intérêt public, alors que l’Académie nationale de médecine est, depuis 2013, une personne morale de droit public placée sous l’autorité du Président de la République. L’Académie nationale de pharmacie bénéficie de la même reconnaissance depuis 2016.
Le texte dont nous débattons cet après-midi viserait ainsi, selon le rapporteur, à rétablir une égalité de traitement avec les académies nationales de médecine et de pharmacie.
Cette proposition de loi nous semblait pour le moins anodine, mais nous avons tous été interpellés, voilà quelques jours, par le secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine : selon lui, le changement de statut souhaité par les membres de l’Académie nationale de chirurgie serait dangereux et inacceptable.
Alors que la chirurgie – spécialité médicale – est une composante de l’Académie nationale de médecine, il estime que cette modification conduirait « à une déstructuration de l’Académie nationale de médecine et de son efficacité en santé publique ».
J’avoue que, au sein du groupe RDSE, nous mesurons difficilement les enjeux de ce texte qui nous semblait essentiellement symbolique.
Aussi, nous nous interrogeons sur la pertinence d’ouvrir un débat qui risque de créer des tensions entre ces deux institutions.
Surtout, nous nous demandons s’il est opportun d’aborder cette question alors que notre système de santé connaît une crise sans précédent et qu’il est confronté à de multiples défis : vieillissement de la population, inégalités d’accès aux soins, saturation des services hospitaliers, manque de personnel médical, sans parler des problèmes de financement…
Afin de faire face à cette crise, des réformes sont nécessaires pour améliorer l’organisation des soins, renforcer la prévention, investir dans la formation et le recrutement de personnel médical, moderniser les infrastructures hospitalières et garantir un accès équitable aux soins pour tous les citoyens.
Comme le rappelle souvent ma collègue Véronique Guillotin, notre système de santé a besoin d’un véritable « choc d’attractivité ».
Le rapporteur, qui a réalisé, ces derniers jours, un travail d’équilibriste que je salue, a, semble-t-il, trouvé les moyens de rétablir la paix entre les deux institutions et de parvenir à un compromis. Pour autant, c’est aussi pour ces raisons qu’une partie des membres du groupe RDSE s’abstiendront, tandis que les autres voteront contre.