Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme Guylène Pantel, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a demandé l’examen, dans son espace réservé, de la proposition de loi que nous avons déposée avec la présidente Maryse Carrère pour préserver l’accès aux pharmacies d’officine dans les communes rurales.

Après m’être concertée avec Mme Carrère, le texte a été substantiellement modifié en commission, sur mon initiative. Nous vous proposerons de le compléter.

En premier lieu, il me semble utile de nous arrêter sur l’état de notre réseau officinal et sur les difficultés rencontrées dans certains territoires.

Celles-ci n’ont rien d’évident : la qualité du maillage officinal a longtemps été vantée. La France bénéficiait, ces dernières années encore, d’une densité d’officines supérieure à la moyenne des pays développés : trente-deux officines pour 100 000 habitants en 2019 contre vingt-huit, en moyenne, dans les pays de l’OCDE.

Du fait d’une régulation ancienne du secteur, les pharmaciens sont plus équitablement répartis sur le territoire que la plupart des autres professionnels de santé. En effet, l’ouverture d’une officine doit être autorisée par le directeur général de l’ARS et ne peut l’être, en l’absence de cessation d’activité récente, que dans une commune de plus de 2 500 habitants, puis une fois par tranche de 4 500 habitants supplémentaires.

Il résulte de l’application de ces règles un maillage territorial performant : en 2016, 97 % des Français vivaient à moins de dix minutes en voiture d’une officine. Les 35 % d’officines situées dans des communes de moins de 5 000 habitants y contribuent largement.

Pourtant, le réseau officinal s’est beaucoup affaibli ces dernières années. Depuis dix ans, le nombre de pharmacies d’officine diminue de manière constante : la France a perdu, entre 2012 et 2022, plus de 8 % de ses officines, alors qu’elle gagnait 3,7 % d’habitants.

Il faut ajouter à cela le vieillissement de la population et l’augmentation de ses besoins de santé : sur la même période, la prévalence des maladies chroniques s’est accrue de deux points.

Il convient également d’apporter une précision : si le réseau officinal est moins déséquilibré que d’autres, des inégalités territoriales n’en sont pas moins constatées dans l’implantation des officines.

Certains territoires sont particulièrement pénalisés. En 2022, près d’un tiers des départements dénombraient moins de trente officines pour 100 000 habitants ; les départements les mieux dotés en comptaient, eux, plus de trente-cinq pour 100 000 habitants.

Les fermetures d’officine ne font bien sûr qu’aggraver les difficultés constatées. Dans les territoires les moins bien pourvus, il arrive désormais que les habitants se trouvent sans solution de proximité : la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, comme le village de Cozzano, en Corse, en sont des exemples médiatisés.

Monsieur le ministre, face à ce constat, le législateur a entendu agir. Au cours des dernières années, deux initiatives ont visé à maintenir l’accès aux médicaments dans les territoires les plus sinistrés : l’expérimentation des antennes d’officine et la création du dispositif Territoires fragiles. Mais, pour l’heure, ces mesures n’ont connu aucune application effective.

Pour maintenir l’accès aux médicaments dans les communes isolées, la loi Asap a autorisé à titre expérimental la création d’une antenne d’officine par le pharmacien titulaire d’une commune limitrophe, lorsque la dernière officine de la commune d’accueil a cessé son activité et lorsque l’approvisionnement en médicaments y est compromis.

Quant à la récente loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels de santé, elle a cherché à résoudre les difficultés juridiques qui ont, jusqu’à présent, empêché le lancement effectif de l’expérimentation.

Par ailleurs, une ordonnance de janvier 2018 a permis l’identification de territoires dits fragiles, où l’accès aux médicaments n’est pas assuré de manière satisfaisante.

Les directeurs généraux des agences régionales de santé doivent dresser la liste de ces territoires. Mené dans des conditions définies par décret, ce travail doit notamment tenir compte des caractéristiques démographiques, sanitaires et sociales des populations, de l’offre pharmaceutique et des particularités géographiques de chaque zone.

Dans les territoires fragiles ainsi identifiés, l’assurance maladie ou l’ARS peuvent accorder des aides spécifiques aux officines, pour favoriser leur ouverture et leur maintien.

En outre, la création d’une pharmacie est facilitée dans les communes de moins de 2 500 habitants. L’ouverture peut être autorisée si la commune d’implantation est située dans un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine, lorsque l’une d’elles recense au moins 2 000 habitants et lorsque toutes totalisent au moins 2 500 habitants.

Nous sommes plus de trois ans après l’autorisation de l’expérimentation des antennes d’officine et plus de six ans après l’adoption du dispositif Territoires fragiles ; or – j’y insiste – ni l’un ni l’autre de ces outils n’est encore déployé.

D’après les parties prenantes auditionnées, les premières antennes d’officine devraient bientôt pouvoir être créées dans les territoires les plus sinistrés, notamment dans la vallée de la Roya et le village de Cozzano. En revanche, le dispositif Territoires fragiles demeure inapplicable, faute de décret.

Cette situation est particulièrement préjudiciable dans le contexte actuel, marqué par l’accélération du rythme de fermeture des officines.

Depuis 2018, la France perd chaque année environ 1 % de ses pharmacies. La tendance, désormais nette, pourrait se poursuivre et s’aggraver : d’après le Conseil national de l’ordre des pharmaciens (Cnop), la part des titulaires d’officine de plus de 60 ans a presque doublé depuis dix ans. Le manque d’attractivité des études de pharmacie, dont témoignent les places laissées vacantes, est de surcroît manifeste depuis quelques années.

Cette situation est d’autant plus dommageable que les pharmaciens se sont récemment vu confier de nouvelles missions destinées à améliorer l’accès aux soins. Leur rôle a été renforcé, qu’il s’agisse de la réalisation de tests rapides d’orientation diagnostique (Trod), de la prescription de vaccins ou encore de la délivrance de médicaments sans ordonnance.

Ces nouvelles compétences ont conforté les pharmaciens comme acteurs essentiels de proximité, particulièrement lorsque les médecins manquent. Toutefois, les difficultés constatées pour accéder à une officine risquent d’annuler localement les effets de cette politique.

Dans nos territoires ruraux, ces tensions ne font qu’aggraver les diverses difficultés d’accès aux soins, décrites depuis longtemps. D’après une étude conduite par l’Association des maires ruraux de France, dont j’ai auditionné les représentants, l’écart d’espérance de vie entre départements ruraux et urbains s’aggrave : il atteint désormais près de deux ans pour les hommes et un an pour les femmes.

Parce qu’il est urgent d’agir pour faciliter l’installation d’officines dans nos campagnes, le texte déposé par notre collègue Maryse Carrère visait à assouplir les conditions d’ouverture des pharmacies d’officine par voie de transfert, de regroupement ou de création.

Cette proposition de loi autorisait ainsi les ouvertures dans les communes de moins de 2 500 habitants, lorsqu’elles sont situées dans un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine qui totalisent, ensemble, une population dépassant ce seuil.

Mes chers collègues, les auditions que j’ai conduites ont toutefois révélé qu’une révision des critères de droit commun d’ouverture des officines, applicables à l’ensemble du territoire national, inquiète les pharmaciens. Ces derniers redoutent la déstabilisation du réseau officinal existant et la création d’officines non rentables.

Entendant ces inquiétudes, la commission a choisi de recentrer le présent texte sur sa cible prioritaire : les territoires les moins bien pourvus en officines et, en leur sein, les communes faiblement peuplées, qui, selon les critères actuels, ne peuvent accueillir une officine.

Elle a donc réécrit l’article unique de la proposition de loi pour contraindre le Gouvernement à prendre dans les prochains mois le décret attendu depuis six ans, permettant l’application du dispositif Territoires fragiles. En l’absence de décret, ce dispositif serait automatiquement applicable à l’issue du délai fixé : il appartiendrait alors aux directeurs généraux des ARS d’identifier les territoires fragiles de leur ressort sur la base des seuls critères légaux et d’y appliquer les conditions d’ouverture assouplies prévues par la loi.

Nous vous proposerons par ailleurs un amendement visant à compléter le dispositif, pour permettre aux directeurs généraux d’ARS de prolonger la durée maximale de remplacement des titulaires d’officine ou encore de renouveler une fois le délai de caducité des licences en cas de cessation d’activité.

Ces nouvelles prérogatives seront autant d’outils permettant de réguler, dans les territoires, les opérations de restructuration et de mieux tenir compte des tensions constatées dans l’accès à une officine.

Cette proposition de loi nous offre l’occasion d’agir enfin pour l’accès aux pharmacies d’officine dans nos territoires.

Il est incompréhensible que le dispositif Territoires fragiles reste inappliqué depuis plus de six ans. Il est urgent de donner aux acteurs de terrain les moyens d’agir pour préserver le maillage officinal : c’est l’objectif de ce texte, que la commission vous invite à adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Solanges Nadille, M. Marc Laménie et M. le président de la commission applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, madame la présidente Maryse Carrère, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à préserver l’accès aux pharmacies dans les communes rurales.

Historiquement performant, le maillage des officines pharmaceutiques reste un atout majeur de notre système de santé. Néanmoins, les signaux d’alerte se multiplient dans ce domaine, et la France est désormais passée sous la barre des 20 000 officines.

On le sait : l’officine de pharmacie est un lieu privilégié d’accès à la santé, dans tous les territoires. Forts de leurs compétences et de leur répartition homogène à travers le pays, les pharmaciens assurent au quotidien une prise en charge de premier recours. C’est d’autant plus vrai là où l’accès à une prise en charge médicale est plus difficile.

Ce maillage resserré a notamment été une force durant la pandémie de covid-19. Les pharmaciens ont alors joué un rôle clé : présents en première ligne, ils ont fourni des services essentiels à nos concitoyens, dans des conditions souvent difficiles et toujours exigeantes.

Les pharmaciens d’officine jouent ainsi un rôle essentiel, qu’il s’agisse d’orienter les patients dans le système de santé, de participer à la gestion des soins non programmés ou de concourir au suivi des patients chroniques. D’ailleurs, la profession évolue et la prévention occupe une place croissante dans les missions quotidiennes qui lui sont confiées.

Les Français ont pleinement confiance en leurs pharmaciens ; nous devons, résolument, continuer à nous appuyer sur ces professionnels pour mener la refondation de notre système de santé. C’est l’ambition du Gouvernement.

Néanmoins – je le disais –, les signaux d’alerte se multiplient.

Depuis plusieurs années, des tensions se font jour dans certaines zones, corrélées à la diminution constante du nombre d’officines. Un exemple frappant souligne ces difficultés : aujourd’hui, en France, près d’une dizaine de pharmacies sont mises en vente à 1 euro sans pour autant trouver de repreneur.

Les zones rurales sont particulièrement touchées, et pour cause : elles sont gravement pénalisées par la règle actuelle d’installation des officines, qui fixe un seuil de 2 500 habitants dans la commune d’implantation.

Il est donc de notre devoir de prendre des mesures adaptées pour préserver ce maillage essentiel de notre système de santé. C’est le sens de l’ordonnance de 2018 relative à l’adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie.

Ce texte assouplit les règles d’ouverture d’une officine dans certains territoires dits fragiles. Je sais que son décret d’application, précisant les critères de définition desdits territoires, est très attendu : c’est précisément sur ce décret que revient la proposition de loi dont nous débattons. J’ai moi-même été saisi de nombreux cas, notamment ceux des communes de Jossigny, en Seine-et-Marne, et de Sathonay-Village, dans le Rhône, lesquelles subissent les limites actuelles d’installation des officines.

Cette proposition de loi, telle qu’elle a été adoptée en commission des affaires sociales, fixe une échéance pour l’entrée en vigueur du décret d’application ; la date du 1er octobre 2024 a été retenue.

Je fais pleinement mienne cette volonté. Je proposerai d’ailleurs un texte à la concertation dans les prochains jours. Je crois en effet qu’il faut davantage laisser la main aux territoires et aller vers plus de simplification.

Les critères de définition des zones fragiles doivent prendre en compte les spécificités des territoires. Je le répète, il faut offrir une plus grande autonomie aux acteurs locaux.

La définition des territoires fragiles permettra deux actions : premièrement, l’ouverture de pharmacies par transfert ou regroupement dans des communes de moins de 2 500 habitants ; deuxièmement, l’attribution d’aides aux officines. En effet, dans les territoires où il y a peu de médecins et où la population est moins dense, l’équilibre économique peut être difficile à trouver.

Face à la disparité des situations géographiques et économiques dans lesquelles les officines sont placées, il faut rechercher un mécanisme à même de maintenir, à travers le pays, les pharmacies nécessaires pour préserver l’accès aux soins des patients.

Cette gestion au plus près du terrain doit permettre de trouver des solutions adaptées à la situation de chaque zone géographique et de chaque officine. L’assurance maladie et les syndicats de pharmaciens recherchent actuellement les modalités d’une telle aide, dans le cadre de la négociation d’un avenant à la convention des pharmaciens. Je souhaite bien sûr que ces travaux et discussions aboutissent rapidement.

Évidemment, il n’y a pas de solution unique. Nous devons donc actionner d’autres leviers, car il est de notre intérêt à tous que chaque Français, où qu’il se trouve, puisse accéder facilement à une officine. Je souhaite notamment accélérer le lancement de l’expérimentation des antennes pharmaceutiques d’ici à l’été prochain. Il s’agit d’innover pour maintenir l’accès à l’approvisionnement en produits de santé dans les zones isolées.

Enfin, je saisis cette occasion pour saluer les nouvelles missions confiées aux pharmaciens. Elles démontrent l’importance croissante de ces professionnels dans notre système de santé, qu’il s’agisse d’assurer des vaccinations ou de participer à l’effort de dépistage – je pense notamment au cancer colorectal. D’autres initiatives encore ont été prises récemment en ce sens.

Mesdames, messieurs, les sénateurs, je suis donc favorable à cette proposition de loi, dans la rédaction issue des travaux de votre commission des affaires sociales. Nous devons agir rapidement et de manière concertée pour assurer un accès équitable aux soins pharmaceutiques dans l’ensemble de notre territoire.

En parallèle, le Gouvernement continuera de soutenir et de valoriser le rôle essentiel des pharmaciens d’officine, partout en France, et en particulier en zone rurale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Loïc Hervé.)

PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de la proposition de loi tendant à préserver l’accès aux pharmacies dans les communes rurales.

Mes chers collègues, je vous rappelle que ce texte est inscrit dans le cadre de l’espace réservé au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et qu’il nous reste une heure et vingt minutes pour l’étudier.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent texte traite d’un enjeu essentiel : l’accès aux soins de proximité dans l’ensemble du territoire.

Nous débattons régulièrement des déserts médicaux, et pour cause : l’accès aux médecins est compliqué pour de nombreux Français. Mais nous ne sommes pas encore habitués à parler de déserts pharmaceutiques. Pourtant, depuis plusieurs années, on constate la disparition régulière des pharmacies dans les zones à faible densité géographique. La France est même passée sous le seuil des 20 000 pharmacies d’officine en 2023.

Ce phénomène, qui touche essentiellement la profession de pharmacien titulaire, s’explique notamment par la restructuration du maillage officinal, marqué par le regroupement croissant d’officines.

L’âge moyen du pharmacien d’officine est désormais de 46,7 ans, et il augmente petit à petit du fait de l’allongement des carrières. Quant à la baisse du nombre d’officines, elle s’inscrit dans une tendance générale. Chaque mois, vingt-cinq pharmacies ferment en France. Entre 2017 et 2023, le territoire national a perdu 4 000 officines.

Dans les grandes villes, dont beaucoup sont surdotées, la suppression de pharmacies par restructuration ne prête pas forcément à conséquence. En revanche, cette évolution est très préoccupante dans les petites communes, qui, bien souvent, ont déjà vu partir le médecin généraliste.

Faute de repreneur, des communes se retrouvent sans pharmacie, en particulier dans les campagnes. Parfois, les usagers doivent aller à des kilomètres de chez eux pour obtenir des médicaments.

Si nombre de pays européens continuent d’envier notre maillage pharmaceutique – les Français doivent parcourir en moyenne 3,8 kilomètres pour se rendre à la pharmacie la plus proche –, il nous faut agir pour contrecarrer cette dynamique inquiétante.

Les difficultés d’accès aux pharmacies sont d’autant plus problématiques que de nouvelles missions, destinées à améliorer l’accès aux soins des patients, ont été confiées aux pharmaciens d’officine au cours des dernières années. Je pense notamment à la réalisation de tests rapides d’orientation diagnostique, à la prescription de vaccins et aux missions d’accompagnement.

Les pharmaciens deviennent ainsi des acteurs essentiels de l’accès aux soins. C’est particulièrement vrai outre-mer, où les populations les plus vulnérables, en raison notamment d’une plus grande précarité, considèrent souvent le pharmacien comme un interlocuteur privilégié. Ce professionnel de santé remplit aussi une fonction sociale.

Force est de constater que les deux principaux dispositifs législatifs destinés à préserver l’approvisionnement en médicaments des territoires les moins bien dotés restent à ce jour inappliqués.

Il s’agit, premièrement, des antennes d’officine. À ce titre, la loi Asap de décembre 2020 n’a eu que peu d’effet. La profession a invoqué des difficultés juridiques, que la récente loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels devrait pouvoir résoudre.

Il s’agit, deuxièmement, du dispositif Territoires fragiles. Une ordonnance de janvier 2018 a prévu l’octroi d’aides et l’instauration de conditions d’ouverture assouplies dans lesdits territoires, où l’accès aux médicaments n’est pas assuré de manière satisfaisante. Mais, plus de six ans après sa publication, le décret nécessaire à son application n’a toujours pas été pris.

Pour nous, élus du groupe RDPI, la lutte contre l’apparition de déserts pharmaceutiques ne peut plus attendre. Néanmoins, nous ne sommes pas favorables à la modification des critères de droit commun d’ouverture des pharmacies d’officine : c’est le choix qu’opérait le texte initial, au risque de déstabiliser inutilement le réseau existant.

Nous saluons donc l’équilibre trouvé en commission des affaires sociales pour rendre les dispositions relatives aux territoires fragiles applicables, au plus tard, le 1er octobre 2024. D’ailleurs, je ne doute pas que le Gouvernement saura prendre ses responsabilités avant cette date.

Comme le dit l’adage, « en politique comme en pharmacie, il faut toujours agiter la solution avant de s’en servir ». (Sourires.)

Monsieur le ministre, le Gouvernement a longtemps agité la solution du dispositif Territoires fragiles : il est temps pour lui de s’en servir, en publiant enfin ce décret. Nous comptons sur vous ! (Mmes Corinne Bourcier et Corinne Imbert applaudissent, ainsi que M. Michel Masset et Mme la rapporteure.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les pharmacies de proximité sont des acteurs de santé essentiels. Elles assurent un maillage territorial de l’offre de soins. Chacun a pu le constater, si besoin était, au plus fort de la lutte contre la pandémie de covid-19 : les pharmaciens se sont alors mobilisés au service de la population.

Dans notre pays, le nombre de pharmacies d’officine diminue de manière constante et préoccupante depuis maintenant dix ans. En résulte une baisse significative de la densité des officines. Ces dernières sont, surtout, de moins en moins bien réparties. Les territoires les moins bien dotés – il s’agit des petites communes, notamment en zone rurale – voient leur accès à une pharmacie encore réduit par les fermetures constatées ; et ce mouvement, désormais bien installé, pourrait se poursuivre et s’aggraver. Il nous faut donc agir.

On peut déplorer que deux dispositifs législatifs destinés à préserver l’approvisionnement en médicaments des territoires les moins bien dotés demeurent à ce jour inappliqués.

Pour maintenir l’accès aux médicaments dans les communes à très faible population, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique de décembre 2020 a autorisé, à titre expérimental, la création d’une antenne d’officine par un ou plusieurs pharmaciens titulaires d’une commune limitrophe, lorsque la dernière officine de la commune d’accueil a cessé son activité et que l’approvisionnement en médicaments et produits pharmaceutiques de la population y est compromis.

Or, plus de trois ans après la promulgation de ladite loi, aucune antenne n’a été créée sur le fondement de cette expérimentation. La profession a mis en avant diverses difficultés juridiques : espérons que la loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, adoptée à la fin de l’année dernière, soit à même de les résoudre.

J’en viens à un problème plus grave. Une ordonnance de janvier 2018 a prévu l’octroi d’aides et l’application de conditions d’ouverture assouplies dans les territoires dits fragiles, où l’accès aux médicaments n’est pas assuré de manière satisfaisante.

Au sein de ces territoires, l’ouverture d’une officine dans une commune de moins de 2 500 habitants est possible lorsque celle-ci est située dans un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine, sous deux conditions démographiques : que l’une de ces communes recense au moins 2 000 habitants et qu’elles rassemblent au total au moins 2 500 habitants. Ce dispositif d’origine gouvernementale a été adopté il y a plus de six ans ; or le décret nécessaire à son application n’est toujours pas publié…

Partout en France, les habitants de petites communes pâtissent de cette situation. C’est notamment le cas dans mon département du Calvados.

Récemment encore, je m’entretenais avec le maire d’une commune nouvelle comptant près de 2 200 habitants. Cette collectivité territoriale dynamique souhaite se doter d’un nouveau centre-bourg, entre les deux communes originelles. Le projet élaboré doit permettre l’implantation de nouveaux commerces et de divers services de santé. Les besoins sont clairement constatés, les professionnels sont prêts à s’installer, mais absolument rien n’est possible en l’état. De telles situations ne devraient pas exister.

Plus globalement, on ne peut l’ignorer, les maisons de santé pluridisciplinaires et les Ehpad exigent une présence pharmaceutique de proximité, y compris quand ils se trouvent dans des communes de moins de 2 000 habitants. Les élus s’efforcent de soutenir ces structures, qui bénéficient chacune à tout un bassin de vie et assurent aux habitants un accès aux soins de qualité.

Les difficultés d’accès aux pharmacies sont d’autant plus problématiques que de nouvelles missions, précisément destinées à améliorer l’accès aux soins, ont été confiées aux pharmaciens d’officine depuis quelques années.

Les dernières annonces gouvernementales le confirment : la prescription de médicaments ne sera plus réservée aux médecins. Les pharmaciens pourront également assumer cette mission, dans des cas bien précis.

Parce qu’il est urgent d’agir pour faciliter l’installation d’officines dans nos campagnes, cette proposition de loi visait à assouplir leurs conditions d’ouverture, par voie de transfert, de regroupement ou de création. Toutefois, la révision des critères de droit commun d’ouverture des officines, applicables par définition à l’ensemble du territoire national, semble inquiéter la profession. Les pharmaciens redoutent une forte déstabilisation du réseau officinal existant et, localement, des effets d’éviction non souhaitables. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat.

Selon nous, il faut surtout contraindre le Gouvernement à prendre avant octobre prochain le décret attendu depuis six ans. On assurera ainsi l’application du dispositif Territoires fragiles.

En l’absence de décret au 1er octobre 2024, ce dispositif serait d’application directe : il appartiendrait dès lors aux directeurs généraux des agences régionales de santé d’identifier les territoires fragiles de leur ressort, sur la base des seuls critères d’ores et déjà prévus par la loi. L’ouverture de pharmacies d’officine dans les communes rurales sera ainsi facilitée et des aides pourront être octroyées pour favoriser leur maintien.

Mes chers collègues, afin de débloquer une situation préjudiciable à nombre de nos concitoyens, en particulier aux Français des campagnes, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE. – M. Daniel Chasseing et Mme Jocelyne Guidez applaudissent également.)