Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. L’amendement n° 11rectifié vise à ce que les procédures de signalement et de destruction des nids de frelons asiatiques soient déterminées à l’échelle de chaque plan départemental, plutôt que de manière homogène au plan national, comme le prévoyait initialement la proposition de loi.
Cette solution présente l’avantage de la souplesse, en laissant aux acteurs le soin de déterminer les procédures adéquates pour lutter contre les frelons asiatiques en fonction des réalités territoriales et des pressions de prédation qui ont été constatées.
Je tiens à préciser que les maires ne sont en aucune façon tenus à l’écart de la lutte contre le frelon asiatique, dans la mesure où l’alinéa 8 prévoit bien que les représentants des communes et de leurs groupements sont associés à l’élaboration du plan départemental de lutte. Les communes les plus volontaires auront donc bien la possibilité de s’associer de manière plus marquée à la lutte contre le frelon asiatique.
Ainsi, la commission émet un avis de sagesse sur l’amendement n° 11 rectifié, même si, à titre personnel, le dispositif me paraît très intéressant.
Le sous-amendement n° 17 tend à ce que l’évaluation de l’opportunité de détruire un nid de frelons asiatiques tienne compte des dégâts que celui-ci est susceptible de causer aux ruchers.
Ce sous-amendement n’a pas pu être examiné par la commission. À titre personnel, et par cohérence avec les positions qui ont été exprimées en commission, j’y suis favorable.
Le sous-amendement n° 16 vise à ce qu’un propriétaire qui constate la présence d’un nid de frelons asiatiques sur sa parcelle puisse le signaler au maire de la commune concernée et non au seul préfet.
Bien que la commission n’ait pas pu émettre d’avis sur ce sous-amendement, compte tenu de son dépôt tardif, cette disposition me paraît intéressante, car elle permet aux maires qui le souhaitent d’être acteurs de la lutte contre le frelon asiatique. Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat sur ce sous-amendement.
L’amendement n° 9 vise à ce que le signalement au préfet de nids de frelons asiatiques puisse se faire par l’intermédiaire du maire de la commune concernée.
Si l’esprit de cet amendement est intéressant, il convient de noter que l’on demande déjà beaucoup aux maires, véritables couteaux suisses territoriaux. Il aurait sans doute été plus judicieux de permettre aux maires de servir ou non d’intermédiaire plutôt que de leur attribuer une obligation nouvelle : avis défavorable.
L’amendement n° 1 rectifié ter me semble très intéressant, car les OVS sont très actifs en matière de lutte contre le frelon asiatique. La modalité qu’il vise à instaurer pourrait être mise en œuvre dans le cadre des plans départementaux, dans la mesure où les sections départementales des OVS sont associées à leur élaboration. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
En ce qui concerne l’amendement n° 4, il ne me paraît pas souhaitable d’inscrire dans la loi des dates aussi précises, le cycle biologique du frelon asiatique dépendant des conditions climatiques – il prolifère lorsque les températures sont printanières. À la fin de l’hiver, entre janvier et mars, les nids sont vides. Leur destruction à cette période ne présente donc pas d’intérêt : avis défavorable.
Quant à l’amendement n° 5, il sera complexe d’imputer de pareils dégâts à un nid spécifique, d’autant qu’il est impossible de cartographier de façon exhaustive la présence de cette espèce sur un territoire donné, dans la mesure où elle nidifie bien souvent dans les arbres à plus de dix mètres de hauteur : avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Hervé Berville, secrétaire d’État. Il est essentiel de ne pas faire peser sur nos concitoyens la charge de cette question de santé. Imaginez qu’un frelon asiatique dont le nid se trouve dans votre jardin, sans que vous l’ayez vu, pique un coureur ou un enfant dans une école : on ne peut pas vous en rendre responsable !
Cet amendement est très important et je vous en remercie. La responsabilité collective doit être la mère de notre bataille et de notre riposte. Ne faisons pas peser sur nos concitoyens une charge lourde et dangereuse.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 11 rectifié.
Nous voulons éviter toute surréglementation. Il importe de laisser les acteurs locaux s’organiser et agir le plus rapidement possible. Ce n’est pas la même chose selon que vous vivez dans une métropole ou dans un territoire rural comme le mien, où les intercommunalités ont un rôle plus important à jouer.
Aussi le Gouvernement émet-il un avis défavorable sur les amendements nos 4, 5 et 9 et sur le sous-amendement n° 16.
Le sous-amendement n° 17 vise à apporter une précision attendue par nos apicultures en permettant au préfet de se fonder sur les dégâts causés aux ruchers avoisinants : avis favorable.
Je veux, pour conclure, préciser à l’attention de M. Chevrollier que j’aurais été tenté d’émettre un avis de sagesse sur son amendement n° 1 rectifié ter s’il avait été rédigé de telle sorte qu’il ne crée pas une obligation pour les organismes à vocation sanitaire, ce qui serait une charge trop lourde pour eux, mais qu’il leur ouvre simplement une faculté.
Il faut être particulièrement prudent dans les responsabilités qu’on assigne aux OVS ou aux citoyens dans la lutte contre le frelon asiatique.
De toute manière, monsieur le sénateur, si l’amendement n° 11 rectifié est adopté, le vôtre deviendra sans objet.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 11 rectifié, modifié.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, les amendements nos 9, 1 rectifié ter, 4 et 5 n’ont plus d’objet.
Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 15, présenté par M. Roux, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 411-9-3. - Les pertes économiques causées par le frelon asiatique à pattes jaunes subies par un exploitant apicole sont indemnisées dans les conditions prévues à l’article L. 361–3 du code rural et de la pêche maritime. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. Avec son apparente simplicité, cet amendement ne paie pas mine, mais son adoption conduirait à une petite révolution pour la filière apicole.
Il tend en effet à créer un régime indemnitaire au bénéfice des exploitants apicoles ayant subi des pertes économiques causées par la prédation du frelon asiatique, et ce dans le cadre du Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE).
Grâce à un mécanisme de cotisation auprès des exploitants apicoles et à un financement par des crédits publics, ils pourront aussi bénéficier d’une indemnisation des pertes économiques dues au frelon asiatique.
Il s’agit d’une innovation majeure, puisqu’on passerait d’une absence d’indemnisation à un mécanisme simple, efficace et rapide, assurant une compensation des pertes d’exploitation.
Il s’agit d’un signal fort, porteur d’espoir pour les apiculteurs professionnels.
J’indique d’ores et déjà que l’avis de la commission sera défavorable sur les amendements nos 6 et 7 rectifié, d’une portée moindre que celui de la commission.
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Gillé et Kanner, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Ouizille, Uzenat, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 12, première phrase
Remplacer les mots :
chef d’exploitation apicole
par les mots :
rucher exploité à des fins commerciales
La parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Cet amendement important vise à rétablir le texte initial de la proposition de loi, selon lequel tout apiculteur impacté par la présence du frelon asiatique peut faire valoir ses droits à indemnisation dans le cadre du dispositif prévu à cet effet.
En commission, et à notre grande surprise, le rapporteur a restreint ce champ aux seuls chefs d’exploitation, soit à tout exploitant possédant au moins 200 ruches ou justifiant de plus de 1 200 heures de travail.
Notre groupe estime qu’une telle restriction enverrait un très mauvais message à la filière et priverait demain des milliers d’apiculteurs de la possibilité de recevoir un soutien qui pourrait, dans certains cas, particulièrement pour les plus petites structures, être essentiel à leur survie.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Gillé et Kanner, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Ouizille, Uzenat, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 12, première phrase
Remplacer les mots :
un chef d’exploitation apicole
par les mots :
tout propriétaire de plus de 49 ruches exploitées à des fins commerciales
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Cet amendement de repli vise à ouvrir le bénéfice d’une indemnisation à tout propriétaire de plus de 49 ruches. Les apiculteurs présents aujourd’hui en tribune savent ce qui est en jeu.
Il s’agit ainsi de viser les chefs d’exploitation, mais aussi une grande partie des cotisants de solidarité à la Mutualité sociale agricole (MSA), dont l’exclusion resterait incompréhensible.
Le champ d’application du dispositif reste, en définitive, d’une étendue tout à fait raisonnable. Monsieur le rapporteur, les apiculteurs qui nous écoutent ne comprendraient pas que vous le restreigniez aux structures les plus importantes.
Mme la présidente. M. le rapporteur a déjà indiqué quel était l’avis de la commission sur ces deux amendements.
Quel est l’avis du Gouvernement sur ceux-ci, ainsi que sur l’amendement de la commission ?
M. Hervé Berville, secrétaire d’État. L’amendement n° 15 tend à créer un mécanisme d’indemnisation des apiculteurs dans le cadre du plan national de lutte contre le frelon asiatique. Certes, ce faisant, nous ne réinventons pas la roue, le fonds sollicité existant, mais celui-ci a prouvé son utilité et son efficacité.
Par ailleurs, la solution retenue nous permettra d’agir rapidement et efficacement, puisqu’elle est immédiatement opérationnelle.
Pour ces raisons, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 15.
En revanche, il sera défavorable aux amendements nos 6 et 7 rectifié, pour une simple et bonne raison : les critères d’indemnisation des apiculteurs qui ont été retenus ont été fixés par ces professionnels eux-mêmes. Or les auteurs de ces deux amendements proposent d’étendre cette indemnisation aux non-professionnels.
D’ailleurs, des échanges qui ont eu lieu avec les organisations représentatives des professionnels de l’apiculture, il est bien ressorti qu’il fallait éviter que le fonds bénéficie à quiconque pratiquerait l’apiculture sans en vivre professionnellement.
Mme la présidente. En conséquence, les amendements nos 6 et 7 rectifié n’ont plus d’objet.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 18, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 13 et 14
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux, au nom du Gouvernement, de vous soumettre cet amendement tendant à lever le gage sur cette proposition de loi afin de financer les mesures ambitieuses qu’elle contient, en dépit du contexte, que vous connaissez, de maîtrise des dépenses publiques.
Il nous est apparu important, par cohérence et par souci de crédibilité, d’accompagner au mieux nos apiculteurs, de nous donner les moyens de mettre en œuvre ce plan ambitieux, de mener des actions concrètes et de soutenir nos maires. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Gillé et Kanner, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Ouizille, Uzenat, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Compléter cet alinéa par les mots :
et par un prélèvement fixé à 0,1 % du produit de la taxe prévue à l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime
La parole est à M. Michaël Weber.
M. Michaël Weber. Le financement des mesures prévues par ce texte est important, mais il faut aller au-delà.
De fait, la proposition de loi prévoit que « les éventuelles conséquences financières [en] résultant pour les collectivités territoriales […] sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement ».
Notre groupe considère, au vu de l’impact avéré et considérable de l’usage des pesticides sur les insectes pollinisateurs, plus particulièrement les abeilles – ce n’est pas sans lien avec le présent texte –, qu’il revient également à tout metteur sur le marché de tels produits de contribuer financièrement à préserver des espèces essentielles à notre biodiversité.
Aussi, nous proposons d’instaurer un prélèvement de 0,1 % sur le produit de cette taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Ce taux reste raisonnable, pour ne pas dire symbolique, mais c’est un geste par lequel nous entendons signifier que tout est lié dans le débat que nous avons ce matin.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. Je remercie M. le secrétaire d’État d’avoir levé le gage sur cette proposition de loi et de nous avoir entendus. La commission émet donc un avis très favorable sur l’amendement du Gouvernement, dont l’adoption rendra sans objet celui que M. Weber a défendu.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
La parole est à M. Michaël Weber, pour explication de vote.
M. Michaël Weber. Nous en avons bien pris conscience dans cet intéressant débat, l’intrusion d’une espèce allochtone comme le frelon asiatique déséquilibre totalement la biodiversité de nos territoires, ce qui a des conséquences importantes non seulement sur cette biodiversité, en particulier sur les abeilles, mais également, partant, sur l’activité économique apicole. On le voit donc bien, la circulation de telles espèces invasives a un impact sur l’environnement, sur la santé humaine et sur l’économie. Le travail intéressant que nous avons mené doit aussi nous inspirer pour la suite, car, à n’en pas douter, nous aurons d’autres débats de ce type au sein de notre hémicycle.
Nous voterons avec plaisir cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset, pour explication de vote.
M. Michel Masset. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en mon nom personnel, mais également au nom du groupe RDSE, je vous remercie et me félicite de la qualité des travaux que nous avons menés sur cette question dont nous mesurons tous les enjeux.
Nous envoyons aujourd’hui au monde apicole, et plus largement au monde agricole, un signal fort. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et SER.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
M. Hervé Berville, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie du travail que vous avez mené, un travail de longue haleine notamment pour Mme Bonnefoy, qui s’intéresse à ce sujet depuis fort longtemps.
Je remercie plus particulièrement M. Masset, l’auteur de cette proposition de loi, M. Roux, son rapporteur, ainsi que le président Longeot toujours à la manœuvre et à l’écoute.
Enfin, je me félicite que ce texte ait été adopté à l’unanimité des groupes de votre assemblée, sur un sujet qui concerne la biodiversité, la santé et la souveraineté.
Je retiens trois avancées majeures de cette proposition de loi.
Premièrement, elle institue un plan national de lutte contre le frelon asiatique, qui, allant plus loin que ce qui existe déjà, donnera le cap pour les acteurs concernés.
Deuxièmement, un fonds d’indemnisation des apiculteurs est mis en place – ils l’attendaient –, grâce auquel ils seront bien mieux protégés qu’ils ne l’étaient jusqu’à présent.
Troisièmement, le gage ayant été levé, le plan est financé, ce qui lui donne sa crédibilité. Nous le devons aux apiculteurs, nous le devons aux maires, aux élus locaux qui sont engagés depuis des années dans la lutte contre le frelon asiatique.
Nous continuerons dans cette voie pour préserver la biodiversité, pour notre souveraineté et pour la santé de nos concitoyens. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie personnellement de l’écoute que vous nous avez accordée, à Michel Masset et à moi-même, lorsque nous vous avons rencontré.
Je remercie également les services du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, grâce auxquels il a été possible d’intégrer au FMSE le régime indemnitaire que crée le présent texte au bénéfice des exploitants apicoles.
Enfin, mes chers collègues, je remercie chacun d’entre vous de sa participation et de ce vote unanime.
Je n’oublie pas, dans ces remerciements, le président Longeot et les services de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui m’ont bien soutenu. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je vous remercie, mes chers collègues, de ce vote unanime.
Je salue le travail précurseur qu’ont conduit sur ce sujet Mmes Bonnefoy et Pluchet, et remercie Michel Masset d’avoir déposé cette proposition de loi.
Je remercie le rapporteur du travail volontariste qu’il a effectué au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui lui a permis de dépasser les clivages, ce dont je me réjouis.
Tout comme le rapporteur, je remercie également M. le secrétaire d’État d’avoir levé le gage, geste qui n’était pas évident. J’ai entendu à plusieurs reprises que cela fait vingt ans que nous aurions dû faire quelque chose – en additionnant toutes les fois où j’ai entendu cela, on ne doit plus être très loin d’un siècle ! (Sourires.) En effet, faute de moyens financiers, une telle proposition de loi ne servirait pas à grand-chose.
Enfin, je remercie l’ensemble des membres de la commission de l’aménagement du territoire, ses services, pour l’assistance qu’ils ont accordée au rapporteur.
Encore une fois, je me réjouis de cette unanimité et je ne doute pas, monsieur le secrétaire d’État, compte tenu de l’engagement du Gouvernement, que cette proposition de loi sera transmise rapidement à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
3
Accès aux pharmacies dans les communes rurales
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi tendant à préserver l’accès aux pharmacies dans les communes rurales, présentée par Mmes Maryse Carrère, Guylène Pantel et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 355, texte de la commission n° 503, rapport n° 502).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, consacré comme un « art précieux à l’humanité » par la déclaration royale du 25 avril 1777, l’exercice de la pharmacie a évolué au fil des siècles et le rôle du pharmacien s’est progressivement renforcé.
Devenu un acteur incontournable du parcours de soins, il n’est plus seulement celui qui délivre des médicaments. Ses missions se sont en effet multipliées ces dernières années : renouvellement d’ordonnance en cas de maladie chronique, vaccinations, dépistages, mise à disposition de cabines de téléconsultation, etc.
La délivrance d’antibiotiques pour les infections urinaires simples et les angines viendront très prochainement élargir ces nouvelles compétences, comme l’a rappelé, le week-end dernier, le Premier ministre.
Les missions du pharmacien devraient de nouveau s’enrichir dans les années à venir, notamment sur la base des conclusions d’une expérimentation en cours depuis 2021.
Toutes ces mesures ont un seul et même objectif : simplifier l’accès aux soins des Français. Mais encore faut-il que nos concitoyens puissent avoir une pharmacie à proximité.
Or, depuis 2007, notre pays en a perdu plus de 4 000. L’année dernière, le caducée de 276 officines a cessé de s’illuminer. Jamais la France n’avait connu un tel rythme de fermetures.
Alors que le nombre de pharmacies est désormais passé sous la barre des 20 000, cette évolution nous inquiète.
Pour autant, ce phénomène n’affecte pas toutes les communes dans les mêmes proportions. Si, dans les grandes villes, la suppression de pharmacies a peu d’incidences, elle est en revanche préoccupante dans les petites communes, qui ont bien souvent déjà vu partir le médecin généraliste.
La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) considère en effet que de « 3 à 5 % de la population française vit aujourd’hui dans des territoires considérés comme fragiles au regard de leur offre pharmaceutique ».
Sans officine à proximité, les patients sont contraints d’effectuer des kilomètres pour se rendre dans la pharmacie la plus proche, ce qui devient très compliqué pour les personnes âgées, les personnes à mobilité réduite et celles qui n’ont pas de moyen de transport, notamment en milieu rural.
Cette situation n’est évidemment pas sans conséquence sur la qualité des soins et le suivi des patients. Une récente étude sur la santé en milieu rural le souligne : les écarts d’espérance de vie entre départements ruraux et départements urbains s’aggravent pour atteindre désormais près de deux ans d’espérance de vie pour les hommes et un an pour les femmes. Cette étude, menée par l’Association des maires ruraux de France (AMRF), doit nous interpeller.
Au-delà de l’enjeu sanitaire, c’est également le dynamisme des zones rurales qui est remis en cause. La pharmacie est l’un des tout premiers commerces de proximité, dans lequel entrent quotidiennement plus de 4,5 millions de nos concitoyens. Les fermetures d’officines contribuent à l’isolement des habitants et à la désertification de nos campagnes, en décourageant les jeunes familles et les professionnels de santé de s’y installer.
Dans ces conditions, comment voulez-vous revitaliser ces territoires ? C’est une mission quasi impossible !
L’implantation des pharmacies est réglementée depuis 1941 pour assurer une bonne répartition « démo-géographique » sur l’ensemble du territoire. Elle repose globalement sur l’application d’un quota par rapport au nombre d’habitants ou à une clientèle potentielle. Bien qu’ils soient régulièrement revus, les seuils démographiques ne correspondent plus, aujourd’hui, à la réalité du terrain.
Deux dispositifs ont été proposés ces dernières années pour maintenir l’accès aux médicaments dans les territoires les plus sinistrés.
Le premier, l’ordonnance du 3 janvier 2018, a ainsi prévu d’assouplir les règles d’ouverture dans les territoires où l’accès à une pharmacie n’est pas assuré de manière satisfaisante. L’ouverture, par voie de transfert ou de regroupement, d’une officine dans une commune de moins de 2 500 habitants est ainsi possible si celle-ci est située dans un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine.
Deux conditions sont toutefois nécessaires : il faut que l’une de ces communes recense au moins 2 000 habitants et que l’ensemble de ces communes rassemblent au moins 2 500 habitants.
La loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi Asap, a quant à elle autorisé, à titre expérimental, la création d’une antenne d’officine par un ou plusieurs pharmaciens titulaires d’une commune limitrophe lorsque la dernière officine de la commune d’accueil a cessé son activité et que l’approvisionnement en médicaments et produits pharmaceutiques de la population y est compromis.
Aucun de ces dispositifs n’est à ce jour appliqué.
Monsieur le ministre, permettez-moi plusieurs remarques.
L’ordonnance de 2018 prévoyait que le décret identifiant les territoires dits fragiles soit publié avant le 31 juillet 2018. Cela fait plus de cinq ans que nous attendons sa publication. Comment justifier un tel retard ?
Alors que la France compte un peu plus de 29 000 communes de moins de 2 000 habitants, je ne suis de toute façon pas certaine que cet assouplissement réponde réellement aux défis de nos territoires.
Si je prends l’exemple de mon département, moins de vingt communes seulement comptent plus de 2 000 habitants, alors que la plupart des autres en comptent entre 20 et 900.
Surtout, il est de plus en plus fréquent que de petites officines soient rachetées par des pharmacies de plus grande taille, qui les ferment quelques mois plus tard.
Dans un rapport publié en 2016, les inspections générales des finances et des affaires sociales relevaient ainsi que « près de la moitié des fermetures d’officines sont […] le résultat d’initiatives de pharmaciens désirant restructurer l’offre locale via des regroupements et rachats-fermetures ». Voilà qui est joliment dit…
De tels comportements conduisent à créer des inégalités d’accès aux soins, les communes rurales étant souvent les premières touchées par ce phénomène.
Dans mon département, en moins de six mois, trois pharmacies situées dans trois territoires différents ont été rachetées dans le seul objectif de les fermer pour éviter la concurrence avec les territoires voisins.
Cette tendance s’accompagne de l’impossibilité, pour les maires de commune de moins de 2 500 habitants, de rouvrir des pharmacies dans leurs territoires.
J’ai donc décidé de déposer cette proposition de loi pour nous pencher sur la question de la réorganisation territoriale du réseau d’officines, en particulier dans nos territoires ruraux et de montagne.
Nous souhaitions assouplir les conditions d’ouverture des officines pour faciliter leur installation dans des communes faiblement peuplées. Le dispositif initial autorisait une telle ouverture dans les communes de moins de 2 500 habitants à deux conditions : que la commune se situe dans une zone géographique constituée d’un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine ; que ces communes totalisent ensemble au moins 2 500 habitants. L’assouplissement n’était pas exceptionnel…
Lors des auditions, notre rapporteure Guylène Pantel, dont je tiens à saluer le travail et les négociations qu’elle a menées sur ce texte, s’est heurtée à l’opposition des syndicats de pharmaciens, qui nous accusaient de vouloir « désorganiser le réseau ».
Il nous fallait alors trouver une solution consensuelle qui nous permette d’avancer sur le sujet et qui soit acceptée par tous.
C’est pourquoi l’article unique a été réécrit pour demander au Gouvernement de publier le décret nécessaire à l’application du dispositif Territoires fragiles avant le 1er octobre, sans quoi il appartiendra aux directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) d’identifier lesdits territoires fragiles.
Adopter cette proposition de loi permettra de résoudre un certain nombre de situations difficiles. Au sein des territoires fragiles, l’ouverture de pharmacies d’officine dans les communes rurales sera facilitée et des aides pourront être octroyées pour favoriser leur maintien.
Pour autant, permettez-moi de partager notre frustration. Il est en effet à craindre que le dispositif proposé par notre rapporteure, et que nous avons accepté dans un souci de consensus, ne puisse apporter qu’une réponse partielle à la désertification pharmaceutique à laquelle nous souhaitions apporter une réponse globale au travers de notre proposition de loi.
C’est la raison pour laquelle nous apporterons notre soutien aux amendements de notre collègue Cédric Vial, qui, dans son territoire, est confronté aux mêmes problématiques de désertification pharmaceutique. Leur adoption permettrait, nous semble-t-il, d’aboutir à un texte plus affirmé.
Monsieur le ministre, quelle que soit l’issue de nos débats, ce texte doit nous amener à réfléchir à la suite, car – j’y insiste – le problème reste entier.
Si les membres du groupe RDSE ne sont pas indifférents aux questions démographiques qui touchent la profession non plus qu’aux considérations de viabilité économique des officines, notre devoir de sénatrice et de sénateur est aussi de veiller à l’aménagement de notre territoire et aux conditions d’accès aux soins de nos concitoyens. Cela, pour nous, est essentiel et primera toujours les considérations financières et corporatistes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)