Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la saisie et la confiscation ont longtemps joué un rôle secondaire au regard des peines principales que sont l’emprisonnement et l’amende.
Cette peine accessoire s’est cependant progressivement installée comme instrument répressif en Europe depuis le milieu des années 1980.
En Italie d’abord a été votée en 1982 la loi Pio La Torre, du nom du célèbre député communiste sicilien qui paiera de sa vie la lutte contre la mafia et laissera en héritage le premier dispositif de confiscation obligatoire des biens criminels.
En France, il faudra attendre 2010 et la loi défendue par le député Jean-Luc Warsmann pour que soient mis en place les outils permettant la confiscation des avoirs criminels par les juges, notamment l’Agrasc. Cette nouvelle politique publique de confiscation a été ensuite facilitée par plusieurs évolutions législatives.
En 2018, un amendement soutenu par Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis et adopté à l’Assemblée nationale lors de l’examen de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Élan), a permis la confiscation des biens des marchands de sommeil.
Puis, en 2021, deux textes sont venus compléter cet arsenal, en facilitant la saisie et l’affectation sociale des biens immobiliers confisqués et en instituant un mécanisme de restitution des biens mal-acquis via l’aide au développement.
Ainsi, depuis quatorze ans, la confiscation des avoirs criminels s’est développée en France et a permis de frapper les acteurs de la criminalité organisée beaucoup plus durement que par des peines d’emprisonnement.
On peut se satisfaire grandement de l’ensemble de ces dispositions et de la première décennie d’existence de l’Agrasc, mais plusieurs axes d’améliorations demeurent.
Certaines activités criminelles continuent à rapporter gros. Je pense, par exemple, au trafic d’armes, à la cybercriminalité, à la criminalité environnementale, mais aussi au trafic de drogue.
À cet égard, le directeur général de la police nationale indiquait lors de son audition par la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic que celui-ci générerait des gains d’environ 3 milliards d’euros annuels dans notre pays. L’essentiel de l’énergie des pouvoirs publics doit être utilisé pour s’attaquer à ce pactole. En effet, ces activités ont des effets désastreux. Les règlements de compte laissent de trop nombreuses familles endeuillées.
Des milliers de policiers et de magistrats mobilisés luttent quotidiennement contre ces trafics. Nous devons les accompagner.
C’est pourquoi, mon collègue Jérémy Bacchi et moi-même avons déposé un amendement transpartisan, cosigné par des sénateurs de quatre groupes de notre assemblée. Il vise à instaurer, pour les personnes condamnées à plus de cinq ans d’emprisonnement, l’automaticité des saisies et confiscations de biens pour le patrimoine dont l’origine ne peut être justifiée.
Actuellement, le membre condamné d’un réseau criminel a la possibilité de conserver ses biens dès lors que les juges n’ont pu prouver que ceux-ci sont le produit de l’infraction.
Autant dire que le crime paie encore et que les sanctions existantes ne sont pas assez dissuasives. Si les délinquants représentent parfois un modèle pour des jeunes, c’est aussi parce que leur enrichissement n’est pas assez remis en cause.
À cet égard, malgré une progression fulgurante des confiscations, nous demeurons loin des résultats atteints par l’Italie, ce pays ayant confisqué pour plus de 11 milliards d’euros de biens à la mafia au cours des vingt dernières années et généralisé leur usage social.
En 2019, 947 biens criminels y ont été mis au service de l’économie sociale et solidaire, par l’intermédiaire de 505 associations ou organismes d’HLM, de 26 fondations, de 27 écoles, de 16 associations sportives ou encore de 5 organismes de formation professionnelle.
Il faut nous inspirer de ce qui est au cœur du modèle italien : mettre les biens criminels au service de l’intérêt général, c’est rendre aux citoyens les fruits du crime organisé et démontrer que les systèmes mafieux ne l’emportent pas sur la défense du bien commun. C’est ainsi que nous réparerons nos territoires des dommages commis par le crime.
Enfin, le plein succès de ce nouvel arsenal ne sera atteint que lorsque l’ensemble des acteurs de la justice auront eux-mêmes pleinement intégré une peine de confiscation, devenue le pivot de la lutte contre les phénomènes criminels organisés, et qu’ils auront renouvelé leur approche de la sanction pénale en ce domaine.
Aujourd’hui, de nombreuses juridictions n’ont pas recours aux pratiques de confiscation, car celles-ci sont chronophages et requièrent une certaine technicité. Nous devons donc les accompagner.
Vous l’aurez compris : nous sommes de ceux qui croient que ce qui fait l’efficacité de la peine et la rend dissuasive est non pas sa sévérité, mais sa certitude.
C’est pourquoi nous voterons avec enthousiasme ce texte et nous proposerons une série d’amendements travaillés avec des magistrats et des associations afin de l’améliorer. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous abordons en cette heure tardive un texte relativement technique. Pourtant, sa visée est simple et de bon sens. Je pourrais la résumer ainsi : nemo ex delicto consequatur emolumentum. Pour ceux qui n’ont pas leur Gaffiot à portée de main, je me permets de traduire – mais ceux qui ont écouté le garde des sceaux ont déjà la « réf » : nul ne doit tirer profit de son délit, ou, plus simplement, le crime ne saurait payer.
Pour y parvenir, il revient notamment au législateur de rendre plus efficace l’application des mécanismes de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
En 2010, il y a presque quinze ans, la loi Warsmann avait marqué un tournant dans le domaine de la saisie criminelle. Notre pays s’était doté d’un dispositif normatif important en matière de saisie et de confiscation des avoirs criminels, offrant de larges possibilités opérationnelles et permettant de prononcer des sanctions patrimoniales significatives.
Comme souvent, lorsque le législateur introduit de nouvelles mesures, il est bon d’y revenir quelques années plus tard afin d’ajuster et de renforcer certaines d’entre elles ou, au contraire, d’abandonner celles qui ne fonctionnent pas.
En 2019, les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann ont rendu un rapport intitulé Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner, dans lequel ils faisaient un bilan éclairant de cette procédure.
Je salue leur travail, car le domaine abordé n’est pas à la portée de chacun et il est impératif que nos réflexions et nos prises de position s’élaborent en en ayant une connaissance suffisante. Je le souligne d’autant plus que nous regrettons souvent l’absence d’étude d’impact ou de bilan chiffré lorsque nous examinons une proposition de loi. Le président Gérard Larcher a d’ailleurs évoqué ce problème dans son allocution d’ouverture de la septième édition de la Journée des entreprises, qui a eu lieu jeudi dernier entre nos murs.
Nos collègues députés ont fait un constat qu’ils ont qualifié de « paradoxal » : si la politique actuelle d’identification, de saisie et de confiscation des avoirs criminels s’appuie sur un cadre législatif abouti, celui-ci demeure insuffisamment utilisé.
Ce qui a été institué en 2010 est performant, mais il n’est pas encore un réflexe pour les acteurs judiciaires, qui n’y recourent que dans des domaines trop spécifiques.
Les parquets constatent que les saisies sont largement circonscrites à la délinquance et à la criminalité organisées, qui se révèlent, plus que d’autres, génératrices de profits pour leurs auteurs. En revanche, dans la délinquance dite de moyenne intensité, il est à déplorer que le dispositif législatif, pourtant largement applicable, demeure trop rarement utilisé.
Si le cadre législatif est performant, il existe donc une marge de progrès pour que le recours à ces mécanismes de saisie et de confiscation cesse d’être perçu comme juridiquement complexe et chronophage.
Mme Nathalie Delattre. Le texte que nous examinons aujourd’hui reprend plusieurs de leurs propositions, que notre rapporteure, Muriel Jourda, a pris le temps de nous énumérer. Ses travaux, dans le cadre de la commission des lois, ont été très précieux pour nous aider à bien cerner l’intérêt et la portée de ces différentes dispositions.
Nous saluons naturellement l’ensemble des avancées de nature à faciliter l’action des enquêteurs, des magistrats et de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Qu’il s’agisse de rendre systématique la notification à l’Agrasc de toutes les saisies effectuées et de toutes les décisions de confiscation prises par les juridictions de jugement ou encore d’étendre la compétence de cette agence aux biens non restitués, ces mesures vont dans le bon sens et contribueront à renforcer l’efficacité générale du dispositif de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
Nous saluons également les dispositions de l’article 3, ainsi que les améliorations apportées par notre rapporteure. Je pense notamment à la confiscation systématique et de plein droit des biens lorsqu’ils « ont servi à commettre l’infraction, ou étaient destinés à la commettre ou sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction ».
Je me réjouis de l’adoption d’un amendement que j’avais déposé en commission et qui tend à prévoir l’affectation des biens immobiliers saisis et confisqués aux services d’enquête, aux services judiciaires, à l’Office français de la biodiversité ou à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.
Nous ferons de nouveau des propositions par le biais d’autres amendements afin de contribuer à l’amélioration de ce texte.
Il n’en demeure pas moins que ces dispositions participent à la réaffirmation du pacte républicain en renforçant la réponse pénale et l’action judiciaire. Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la semaine dernière, j’intervenais à cette même tribune dans le cadre de l’examen de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille.
L’objectif de ce texte était de faire en sorte que se vérifie, même en matière matrimoniale, le principe selon lequel le crime ne paie pas. En matière pénale, ce principe revêt une importance d’autant plus capitale qu’il conditionne à la fois la crédibilité et l’efficacité de la réponse pénale. Selon l’ancien principe de droit romain, nul ne doit tirer profit de son délit.
Aussi, les dispositifs de saisie et de confiscation qui permettent d’appréhender les biens issus ou en lien avec des activités délictuelles sont des leviers puissants de lutte contre la délinquance et la criminalité organisée. Il apparaît en effet que les acteurs craignent davantage qu’on s’en prenne à leur portefeuille qu’à leur liberté.
C’est tout le sens de la proposition de loi que nous examinons, qui vise précisément à améliorer l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
Je salue le travail important de son auteur, le député Jean-Luc Warsmann, ainsi que son engagement remarquable sur ce sujet, puisque c’est à lui que l’on doit la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.
C’est en effet en grande partie sur ce texte que repose notre système actuel de saisie et de confiscation, notamment la création de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui joue un rôle essentiel en assurant la gestion des biens concernés.
Ce système, tout comme la philosophie qu’il sous-tend, se révèle d’une efficacité redoutable, puisque le nombre et le montant des saisies et des confiscations réalisées sont en constante augmentation.
Ainsi, en 2023, le montant des saisies réalisées dépassait les 1,4 milliard d’euros, soit une augmentation de 87 % par rapport à l’année 2022, tandis que le montant des confiscations atteignait les quelque 175,5 millions d’euros.
Si ces résultats sont encourageants, d’importantes marges de progression subsistent. On estime, par exemple, que seuls 30 % des biens saisis finissent par être effectivement confisqués. Aussi faut-il se donner les moyens de frapper encore plus fort le patrimoine des délinquants, afin de les priver du fruit de leurs infractions.
À cette fin, le texte met en œuvre certaines des recommandations d’ordre législatif formulées par la mission d’évaluation conduite en 2019 par les députés Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin.
Certaines de ces recommandations ont en effet déjà été satisfaites, telles que la possibilité de réaffecter les biens confisqués ou la prise en compte des tiers dans la procédure de confiscation.
Concrètement, la proposition de loi que nous examinons s’organise autour de trois axes : l’amélioration du fonctionnement de l’Agrasc, l’élargissement des possibilités d’affectation des biens saisis et confisqués, et l’aménagement de la procédure pénale applicable aux saisies et aux confiscations.
L’apport majeur de la proposition de loi réside plus particulièrement dans la création, à l’article 3, d’une nouvelle confiscation obligatoire. Les juges auront désormais l’obligation de confisquer les biens qui sont l’objet, le produit ou l’instrument de l’infraction.
Composé initialement de trois articles, le texte a substantiellement été enrichi à l’Assemblée nationale.
Par exemple, la notification à l’Agrasc de toutes les saisies effectuées et de toutes les décisions de confiscation prises par les juridictions de jugement a été rendue systématique. Il s’agissait de pallier, à juste titre, l’absence d’information dont souffre l’Agrasc, qui engendre in fine d’importants frais de gestion.
Par ailleurs, un amendement du Gouvernement a ajouté les collectivités territoriales à la liste des personnes morales pouvant bénéficier du dispositif d’affectation sociale des immeubles confisqués. Je pense que cette mesure méritait d’être soulignée au Sénat, qui est la maison des collectivités.
La commission des lois de notre assemblée a salué un ensemble de mesures pragmatiques, qui visent essentiellement à faciliter le travail des enquêteurs et à renforcer l’efficacité des mécanismes de saisie et de confiscation, en conformité avec les besoins exprimés par les intervenants.
Je salue à cet égard l’esprit constructif et l’ouverture dont a fait preuve tout au long de l’examen du texte en commission la rapporteure Muriel Jourda. Son travail a permis d’aboutir à certaines modifications visant à faciliter l’appropriation par les acteurs des nouveaux outils créés par le texte.
Il en va ainsi des précisions apportées concernant la confiscation obligatoire figurant à l’article 3. Au terme de son examen en commission, celle-ci emporte désormais l’absence d’obligation de motivation, ce qui est cohérent avec l’objectif poursuivi de plus grande efficacité du dispositif.
En outre, alors que ce même article précise que la confiscation constitue un titre d’expulsion, un amendement adopté à l’Assemblée nationale a étendu la portée de cette expulsion, non seulement à la personne condamnée, mais aussi à tout occupant de son chef.
La rapporteure a apporté à ce dispositif une précision de bon sens, en prévoyant que la procédure d’expulsion, prévue à l’article 3, ne puisse pas viser des locataires légitimes, de bonne foi, étrangers aux agissements du condamné.
En visant à permettre aux mécanismes de saisie et de confiscation des avoirs criminels, véritables instruments de politique publique, d’atteindre leur plein potentiel, ce texte témoigne d’une forte volonté de renforcer l’efficacité de notre justice et sa réponse pénale.
Cet objectif doit nous rassembler tant il transcende les clivages politiques. Aussi, le groupe RDPI votera ce texte et restera attentif durant les débats à toute proposition contribuant à renforcer l’efficacité de l’action pénale. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, le 8 novembre 2023, le Sénat a créé une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Cette commission temporaire rendra ses travaux début mai, et je ne dévoilerai rien ici des conclusions qui en seront faites par son rapporteur, notre collègue Étienne Blanc.
Néanmoins, en tant que président de cette commission d’enquête, je peux évoquer plusieurs moments marquants des dizaines d’auditions que nous avons menées sans risquer de déflorer nos travaux. L’un d’entre eux me permet d’aborder la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels qui nous est aujourd’hui soumise.
Plusieurs témoignages livrés devant notre commission d’enquête sont allés en effet dans le même sens : la prison ne constitue plus une menace suffisante pour bon nombre de criminels liés au narcotrafic. « Le seul moment où on les voit pleurer, c’est quand on saisit leur appartement, leur compte en banque ou leur voiture ! ».
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Et voilà !
M. Jérôme Durain. Cette phrase revient souvent chez les policiers, les gendarmes, les douaniers ou les magistrats rencontrés.
D’ailleurs, plusieurs médias ont rendu compte, après l’opération « place nette XXL » menée à Marseille, de commentaires bravaches de dealers depuis leur cellule. Ces épisodes ont marqué l’opinion : les dealers continuaient de se moquer de la société et de gérer leurs affaires depuis la prison.
Rassurons-les, il existe des moyens de leur faire mal. Il s’agit de les frapper au portefeuille, car si la détention est parfois perçue comme une période de formation continue durant laquelle les affaires continuent de prospérer, les saisies et confiscations représentent une véritable remise en cause de la pyramide des valeurs sur lequel repose le monde des narcos.
En vérité, cette indifférence supposée à l’égard de la détention – car je veux croire qu’il y a aussi une part de mise en scène dans cette fierté déplacée – n’est pas le fait du seul monde des narcos. J’en veux pour preuve plusieurs scènes d’une série inspirée par une enquête de Fabrice Arfi, D’argent et de sang, qui évoque l’arnaque du siècle, la fraude à la TVA sur les quotas de carbone. Pour ne pas divulgâcher l’essentiel de l’intrigue, je me contenterai de dire que les personnages de ce psychodrame semblent n’avoir pas beaucoup de craintes quant au fait d’être incarcérés : ce qui les inquiète au premier chef, c’est de perdre le fruit de leur illégal labeur.
C’est tout l’enjeu du texte examiné aujourd’hui : il s’agit d’éviter que « le crime paie », pour reprendre un titre célèbre du rap français.
En la matière, notre pays ne part pas de rien. En 2023, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués a revendiqué un montant de saisies réalisées en hausse, dépassant 1,4 milliard d’euros, ce qui représente une augmentation de 87 % par rapport à l’année précédente. Le montant des confiscations a également augmenté, pour atteindre 175,5 millions d’euros en 2023. Mais on a parfois l’impression que, au jeu du chat et de la souris, cette dernière conserve en permanence un train d’avance : l’Office anti-stupéfiants estimait ainsi à plus de 3 milliards d’euros le chiffre d’affaires annuel du trafic de drogues en France.
Le texte que nous examinons prévoit quelques mesures techniques qui permettront sans aucun doute de lever certaines réticences ou craintes chez les magistrats. Mais le nerf de la guerre se situe aussi ailleurs : en ce qui concerne les axes d’amélioration des saisies, un consensus a émergé pendant les auditions de la rapporteure Muriel Jourda sur la nécessité d’une meilleure identification des avoirs criminels.
Ce week-end, M. Darmanin a annoncé que le Gouvernement entend « désormais » adopter un fonctionnement différent et donc plus efficace. Il prévoit ainsi de commencer par judiciariser les personnes avant de les interpeller. Cela signifie-t-il que c’est la réforme de la police judiciaire, dont peu de commentateurs envisagent que ses moyens soient renforcés, qui permettra cet état de fait ? Le « désormais » de M. Darmanin vise-t-il les opérations « place nette » ? La vérité, chers collègues, est sans doute ailleurs. Le rapport de M. Blanc au mois de mai nous permettra sans aucun doute de dégager quelques pistes.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Quel suspense !
M. Jérôme Durain. Quoi qu’il en soit, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain aborde l’examen de ce texte dans un état d’esprit positif. Nous avons repris des amendements proposés par Transparency International et Crim’Halt, parce qu’il nous semble normal d’entendre aussi les propositions de la société civile en matière de lutte contre le crime organisé.
À cet égard, je signale notre amendement visant à rendre obligatoire la confiscation de biens en cas de délit ou de crime puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Plusieurs groupes l’ont repris et nous avons hâte d’entendre l’avis de la commission et du Gouvernement sur cet amendement, qui vise à accroître les possibilités de frapper les criminels au portefeuille. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la France s’est montrée pionnière dans la législation anti-blanchiment, dès les années 1990, en affirmant que la confiscation des avoirs criminels était un objectif de politique publique.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de cette législation novatrice. Elle nous permet de réaffirmer que, sous aucun prétexte, le crime ne doit payer. Issue de l’Assemblée nationale, cette proposition de loi s’ajoute à la liste des nombreuses initiatives menées sur ce sujet par les députés Warsmann et Saint-Martin, dont nous tenons à saluer la rigueur et la précision du travail.
Mes chers collègues, il est tout bonnement insupportable de constater que seuls 30 % des biens saisis finissent par être effectivement confisqués par une juridiction de jugement, à cause de difficultés persistantes à identifier, de manière systématique, les avoirs criminels. Je rappelle que le chiffre d’affaires annuel du trafic de drogues en France est estimé à 3 milliards d’euros.
Si la grande majorité des dispositions de ce texte peuvent apparaître, de prime abord, comme de nature essentiellement technique, elles répondent en réalité à des impératifs simples et indispensables. Le produit du crime doit in fine profiter à la collectivité et être mis au service de l’intérêt général.
L’examen de ce texte est l’occasion de rendre hommage à l’action quotidienne et déterminée des enquêteurs de la police et de la gendarmerie nationales, des services des douanes, des magistrats, et bien sûr de l’Agrasc.
Pour l’année 2023, le montant des saisies réalisées dépasse 1,4 milliard d’euros ! Cette somme, loin d’être négligeable, est d’une importance majeure, au regard de l’état particulièrement dégradé de nos finances publiques…
Nous espérons que l’adoption de ce texte permettra de faire des progrès le plus rapidement possible. Ainsi, la mise en place d’une confiscation de droit de certains biens saisis, prévue par l’article 3, devrait produire des effets tangibles.
Par ailleurs, nous souscrivons pleinement à la modification apportée par la commission à l’article 1er bis C visant à recentrer la notification à l’Agrasc des décisions de saisie et de confiscation sur celles qui entrent dans le périmètre de ses compétences. Nous éviterions ainsi que cette agence se trouve noyée sous une masse de décisions qu’elle ne pourra ni exploiter ni conserver et qui n’auront pas d’intérêt opérationnel.
Il en est de même de l’extension aux CJIP en matière environnementale de la possibilité, prévue dans le texte pour les CJIP classiques, d’obliger la personne morale mise en cause à se défaire de tout ou partie des biens saisis pendant la procédure.
Sur proposition de la rapporteure, nous permettrons également aux officiers de police judiciaire de procéder, sur autorisation d’un magistrat, à certaines saisies spéciales nouvelles.
Notre lutte contre la délinquance, et singulièrement contre la criminalité organisée, ne doit pas faiblir. Il faut frapper au portefeuille les délinquants, pour qui les gains rapides et faciles sont encore trop attractifs.
Aussi, le groupe Les Républicains est pleinement satisfait des modifications apportées au texte par notre rapporteure, Muriel Jourda, dont je salue la qualité du travail mené sur un sujet essentiel, mais complexe.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera en faveur de la proposition de loi, telle qu’elle a été modifiée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel.
M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans notre pays, le crime organisé est particulièrement rémunérateur. Alors que l’on compte 5 millions de consommateurs réguliers de cannabis et 600 000 usagers de cocaïne, les stupéfiants rapportent environ 3 milliards d’euros chaque année aux trafiquants.
Dans ces conditions, la ponction financière est la meilleure des sanctions : pas un centime ne doit rester à ceux qui volent, extorquent ou dealent.
Nous devons garantir l’absence, dans notre pays, d’infractions lucratives. Or les chiffres actuels ne sont pas satisfaisants.
Malgré la création de l’Agrasc en 2010 et l’apport de la loi du 8 avril 2021 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, qui permet la mise à disposition des biens immobiliers saisis ou confisqués au secteur associatif ou à des organismes concourant à la politique du logement, à la suite du rapport de Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann, seuls 30 % des biens concernés sont finalement confisqués. Nous devons aller plus loin, beaucoup plus loin.
Quels sont les apports de la présente proposition de loi ?
Le texte que nous examinons vise à mieux identifier ces avoirs pour mieux les saisir. Les gendarmes et les policiers pourront réaliser des enquêtes patrimoniales destinées à priver les malfaiteurs de tout profit.
La présente proposition vise également à améliorer l’emploi de ces avoirs criminels. Elle permet à de nouveaux organismes d’en bénéficier, notamment à l’Agence française pour la biodiversité, grâce à un amendement de nos collègues Nathalie Delattre et Paul Toussaint Parigi.
À cet égard, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est particulièrement favorable à la possibilité offerte aux collectivités territoriales de bénéficier de la mise à disposition gratuite des immeubles saisis ou confisqués.
Une autre disposition du texte simplifie les procédures d’expulsion des immeubles faisant l’objet d’une décision de confiscation.
La confiscation, et c’est très important, vaudra désormais titre d’expulsion de la personne contre laquelle elle est rendue et contre tous les occupants de son chef. Cette solution permettra d’accélérer les procédures ainsi que la mise à disposition de ces immeubles confisqués au profit des victimes ou de l’intérêt général.
Le texte corrige également certaines anomalies.
Le droit actuel ne permet la restitution des biens mal acquis que lorsqu’ils font préalablement l’objet d’une cession. Cela empêchait précisément la restitution de sommes d’argent saisies. De même, les biens saisis ne donnent pas tous lieu à confiscation, certains d’entre eux étant restitués, d’autres restant dans les limbes, saisis, mais non confisqués ni restitués. Il était important de donner une affectation à cette catégorie de biens : la proposition de loi prévoit qu’ils pourront désormais être employés pour indemniser les victimes.
Enfin, en commission des lois, notre rapporteure Muriel Jourda a enrichi le texte et amélioré plusieurs de ses dispositions. Elle a notamment introduit la possibilité pour les officiers de police judiciaire de saisir plus rapidement les biens afin qu’ils ne disparaissent pas.
La confiscation des avoirs criminels pose des questions d’efficacité et de justice. Il n’est pas facile de mettre en œuvre un mécanisme parfait de confiscation des biens. De la même façon que nous nous sommes inspirés du dispositif italien, notre texte pourrait servir de modèle à l’Union européenne.
En effet, la question de la confiscation se pose de façon prégnante à cause des avoirs russes gelés. Ce texte pourrait être le moyen d’imprimer la culture juridique française aux textes européens en préparation.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est entièrement favorable à l’adoption de ce texte.