M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que celle contre les violences conjugales, figure au rang de nos priorités, décrétée grande cause du quinquennat, il subsiste dans notre droit certaines incohérences législatives – pour ne pas dire certains archaïsmes –, particulièrement préjudiciables aux victimes de violences conjugales.
Rappelons, s’il en est besoin, que ce sont en très grande majorité les femmes qui sont victimes de ces violences. En 2022, 81 % des victimes d’homicides conjugaux étaient des femmes, tandis que leurs auteurs étaient pour 84 % d’entre eux des hommes, selon les statistiques de la délégation aux victimes du ministère de l’intérieur.
Les 118 décès de femmes survenus en 2022 des suites de violences conjugales constituent une réalité préoccupante de notre société, une réalité insupportable, à laquelle le droit des régimes matrimoniaux reste étonnamment – scandaleusement – indifférent, puisqu’il permet au conjoint ayant provoqué ou tenté de provoquer la mort de son partenaire de bénéficier des avantages tirés du fonctionnement de leur régime matrimonial.
Alors que l’on a coutume de dire que le crime ne paie pas, il était plus que temps de mettre fin à ces situations.
C’est l’un des objectifs de cette proposition de loi, et je tiens ici à exprimer ma gratitude envers son auteur, le député Hubert Ott, pour son initiative et son engagement en faveur de la lutte contre les violences intrafamiliales.
Ainsi, le texte prévoit un dispositif de déchéance des avantages matrimoniaux largement inspiré de celui de l’indignité successorale.
Les travaux de l’Assemblée nationale ont par ailleurs abouti à l’ajout d’un nouvel article en matière matrimoniale.
L’article 1er bis permet de mieux garantir la protection des époux en cas de divorce, en garantissant l’irrévocabilité des clauses d’exclusion des biens professionnels.
L’article 2 traite des situations où des contribuables – là encore, ce sont souvent des femmes – peuvent être tenus de rembourser des dettes fiscales contractées à leur insu par leur ex-conjoint du temps de leur union.
Dans ces situations, la mise en œuvre effective du principe de solidarité fiscale conduit à considérablement fragiliser la situation économique de la personne injustement redevable.
Aussi, le texte assouplit les conditions dans lesquelles le conjoint injustement tenu au paiement d’une dette fiscale peut bénéficier d’une décharge de responsabilité solidaire et ouvre la possibilité pour l’administration de prononcer une décharge gracieuse, en faisant abstraction du critère de disproportion marquée.
Lors de l’examen du texte par la commission des lois, la rapporteure Isabelle Florennes, dont je tiens à saluer le travail, a déposé des amendements pertinents visant à sécuriser les principales mesures du texte tout en confortant l’objectif fixé par ses auteurs.
Ainsi, des modifications ont été apportées aux dispositifs de déchéance des avantages matrimoniaux. Elles visent à prévenir des situations dans lesquelles le conjoint auteur de violences pourrait exercer une emprise sur la victime. Cela nous semble aller dans le bon sens. Il en va de même de l’élargissement de la décharge de responsabilité solidaire à d’autres pénalités, ainsi que de la suppression des exceptions au principe d’une décharge totale, dès lors que les pénalités visées reviennent à faire peser sur le conjoint vertueux le poids des agissements frauduleux de son ex-conjoint. Si nous souscrivons sur le principe à cet apport de la rapporteure, nous émettons toutefois des doutes quant à l’efficacité du dispositif.
Mes chers collègues, l’objectif du texte dépasse largement les appartenances partisanes. Il s’agit de faire en sorte que les valeurs de justice, d’égalité, mais aussi de liberté, qui sont au fondement même de notre pacte républicain, soient respectées, et ce jusque dans la famille.
Cette proposition de loi est aussi l’occasion de réitérer notre refus des violences conjugales et de redire notre condamnation la plus ferme de leurs auteurs, auxquels elles ne sauraient profiter.
Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la solidarité fiscale entre conjoints, qu’ils soient mariés ou pacsés, est un principe fondamental en droit patrimonial. Cependant, au cours d’un divorce, lors de la dissolution d’un Pacs ou encore lorsque survient le décès d’un des conjoints, elle peut se transformer en une profonde injustice et accentuer les inégalités entre les ex-conjoints.
En effet, en cas de séparation, une dette fiscale peut peser injustement sur l’un des ex-conjoints. Dans 80 % des cas, ce sont des femmes qui sont concernées.
Cette solidarité fiscale suscite alors une violence inouïe, avec des conséquences particulièrement dramatiques dans certains cas. Cette triste réalité, c’est celle que subissent chaque année des milliers de femmes qui se retrouvent ainsi surendettées et parfois même spoliées.
Notre arsenal juridique visant à les protéger de ce type de situations est – hélas ! – aujourd’hui incomplet et imparfait ; cela a été souligné tout à l’heure. Alors que notre droit a progressivement été complété et conforté pour lutter contre les violences et les inégalités subies par les femmes, il reste factuellement insatisfaisant en matière de régimes matrimoniaux.
À ce jour, une personne qui serait reconnue coupable de violences et même de la mort de son conjoint ou de sa conjointe peut valablement bénéficier, en vertu des dispositions de son contrat de mariage, d’un avantage matrimonial. Quelle ineptie ! Quel scandale ! Quelle immoralité !
Pour les époux ayant adopté le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale au conjoint survivant, il est possible, par l’avantage matrimonial, de vider la succession de la personne assassinée et de léser ses héritiers.
Il s’agit là d’un angle mort de notre législation. Cette situation immorale se passe de tout commentaire, de tout qualificatif.
Pour faire face à ces terribles injustices, notre droit a lentement, mais insuffisamment évolué ces dernières décennies.
La loi de finances pour 2008 a notamment créé la décharge de solidarité fiscale, qui peut être accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur.
Mais cette condition est aujourd’hui difficile à établir, en raison d’une interprétation particulièrement restrictive de l’administration fiscale.
Je ne compte plus le nombre de situations où des ex-époux ou des ex-épouses surtout se heurtent à la citadelle déshumanisée de Bercy.
M. Hussein Bourgi. En dépit du bon sens, en dépit de la raison, en dépit de l’évidence, des agents du ministère des finances refusent trop régulièrement le bénéfice de la décharge de responsabilité solidaire.
M. Hussein Bourgi. Les dossiers s’épaississent et s’empilent.
Monsieur le ministre délégué chargé des comptes publics, je veux croire que les propos que vous avez tenus à cette tribune tout à l’heure valent engagement…
M. Hussein Bourgi. … pour aujourd’hui et pour demain.
De la même manière, si la loi de finances pour 2022 est venue assouplir une des conditions d’appréciation de l’état financier des conjoints lors d’une séparation, les situations d’injustice face à une dette fiscale demeurent et continuent de peser lourdement sur les femmes. Les pénalités et les majorations ressemblent parfois à de l’usure.
Dès lors, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui se donne pour ambition de remédier à ces nombreux écueils et à ces pièges, qui entravent et appauvrissent les ex-épouses.
Les dispositions de cette proposition de loi vont dans le bon sens et sont donc bienvenues.
L’article 1er prévoit la révocation d’un avantage matrimonial dans certains cas précis, notamment lorsqu’un époux attente à la vie de son conjoint ou de sa conjointe ou lorsqu’il lui fait subir des sévices. Notre groupe soutient évidemment cette disposition, qui aurait dû être incluse dans notre arsenal juridique depuis bien longtemps.
Je tiens ici à saluer le travail en commission de Mme la rapporteure, Isabelle Florennes, dont les amendements ont permis de sécuriser l’application du dispositif, tout en poussant plus loin la logique de protection.
Je pense notamment à la suppression de la notion de « pardon », présente dans la rédaction initiale de l’article.
Comme vous, chers collègues, nous pensons que, lorsqu’une victime est sous emprise, elle ne doit pas avoir la possibilité d’excuser les sévices et les violences qu’elle a subis. La société ne saurait pardonner au bourreau les atteintes à la dignité humaine qu’il a pu occasionner. De même, au nom de la morale, nous ne pouvons pas laisser un bourreau bénéficier de certains avantages matrimoniaux.
La nouvelle rédaction de l’article 1er nous semble bien plus à même d’atteindre l’objectif.
Nous avons également soutenu, madame la rapporteure, votre décision de supprimer l’article 1er bis A, visant à l’obligation d’inventaire au décès d’un des époux soumis au régime de la communauté universelle. Si nous comprenions les ambitions liées à cette disposition, vous avez su en démontrer le caractère inopérant et les formalités inutilement coûteuses qu’elle aurait pu créer.
Nous saluons également la pertinence de l’article 2 de la proposition de loi, qui modifie l’article 1691 bis du code général des impôts, encadrant les conditions d’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire, dans le cadre d’une imposition commune.
Mes chers collègues, cette proposition de loi apporte des réponses concrètes aux injustices subies par les femmes dans notre pays. Elle vient mettre un terme à des situations invraisemblables où des époux fautifs sont susceptibles de tirer avantage de règles matrimoniales défectueuses et imparfaites. Aussi, je forme le vœu qu’elle puisse être adoptée à une large majorité. C’est en ce sens que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de cette initiative parlementaire.
Avant de conclure, je voudrais remercier les femmes et les hommes victimes des failles et des insuffisances de notre droit. Ces femmes surtout et ces hommes ont su s’appuyer sur leur expérience douloureuse, sur leur expertise d’usage. Ils et elles ont pu bénéficier des conseils des avocats qui les ont accompagnés. Et c’est grâce à elles, grâce à eux, que nous sommes aujourd’hui réunis. Ils ont su interpeller et éclairer le législateur. J’espère que nous serons tous et toutes dignes de leur confiance et à la hauteur de leurs attentes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Elsa Schalck. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce jour s’inscrit dans la lignée de notre combat commun pour faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une réalité dans notre pays. Aujourd’hui, ce texte cherche à parvenir à une meilleure justice patrimoniale au sein de la famille, et notamment entre conjoints, en s’intéressant tout particulièrement aux régimes matrimoniaux.
Il s’agit de rectifier par la loi des situations aussi incompréhensibles qu’intolérables qui existent pourtant en droit positif et qui concernent en grande majorité les femmes.
En effet, est-il concevable qu’une personne qui tue son conjoint puisse bénéficier des avantages du contrat de mariage ? La réponse est bien évidemment non. Pourtant, et aussi surprenant que cela puisse paraître, rien ne l’empêchait jusqu’à présent dans notre législation.
Comme cela a été dit précédemment par M. le garde des sceaux, le crime ne saurait payer.
Ce texte a vocation à mettre fin à des situations aussi ubuesques qu’injustes en venant répondre à un vide juridique de notre droit matrimonial.
À mon tour, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue alsacien Hubert Ott, député du Haut-Rhin. Permettez-moi également de saluer le travail de notre rapporteure, Isabelle Florennes, et son implication sur un texte très technique. Elle a su en renforcer la portée et sécuriser juridiquement les dispositifs.
La présente proposition de loi prévoit en son article 1er un régime de déchéance matrimoniale pour un époux s’étant rendu coupable de faits particulièrement répréhensibles à l’égard de son conjoint.
Cette déchéance serait automatique pour un époux ayant donné la mort à son conjoint et facultative pour d’autres faits, comme la commission d’actes de barbarie ou de torture ou encore de viols ou d’agression sexuelle.
L’article 1er bis tend à apporter une réponse à une difficulté d’application qui est régulièrement pointée à la fois par la doctrine et par les professionnels concernant l’irrévocabilité des clauses d’exclusion des biens professionnels. Je partage la position que nous avons exprimée en commission des lois, afin d’étendre et de pérenniser une telle irrévocabilité.
L’article 2 de la proposition de loi vise à répondre aux difficultés qui découlent de la solidarité du paiement de la dette d’impôt sur le revenu en vertu duquel les contribuables sont solidairement contraints au paiement de dettes fiscales avec leur ex-conjoint.
Cela a été souligné, la décharge de responsabilité solidaire existe depuis 2008, afin de régler les cas où l’ex-conjoint est dans l’incapacité de faire face au règlement de l’impôt commun. Mais comme nous le voyons malheureusement, les conditions nécessaires pour faire jouer ce mécanisme rendent difficile sa mise en œuvre. Preuve en est, 75 % des demandes de décharge de responsabilité avaient été rejetées entre 2014 et 2022, sachant que 90 % de ces demandes sont émises par les femmes.
La loi de finances pour 2022 est venue assouplir ces conditions, mais sans avoir eu l’effet escompté à ce jour. Ainsi, 59 % des demandes de décharge sont toujours rejetées, du fait notamment que la situation patrimoniale est examinée avant la situation financière.
Il nous faut répondre à ces situations aussi difficiles qu’injustes dans lesquelles les conjoints sont contraints de céder leur patrimoine personnel pour régler une dette dont ils n’avaient pas connaissance, ou d’une dette provenant d’une fraude à laquelle ils sont parfaitement étrangers et dont ils n’ont pas bénéficié.
Je me réjouis à mon tour des engagements qui ont été pris au sein de cet hémicycle par le ministre délégué chargé des comptes publics, notamment sur la prise en compte de l’origine frauduleuse de la dette. Cela faisait l’objet d’un certain nombre d’amendements de différents groupes politiques. Nous les avions déjà déposés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Malheureusement, ils n’avaient pas été conservés dans le texte en vertu de l’application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. J’espère donc, et je l’appelle de mes vœux, que les amendements que nous serons plusieurs à défendre tout à l’heure pourront recevoir des avis favorables de la part du Gouvernement.
Je salue à mon tour l’engagement des associations qui œuvrent pour supprimer définitivement cette violence économique et cette violence psychologique faites aux femmes divorcées.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte modifié. Celui-ci permet des avancées significatives en apportant des réponses concrètes et vient mettre fin à des injustices insupportables qui n’étaient jusqu’à présent traitées ni par notre droit matrimonial ni par notre droit fiscal. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Michel Masset et Ludovic Haye applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi, d’apparence technique, présente un intérêt tout particulier : elle tend à remédier à la fois à une anomalie et à une injustice qui ne sont pas traitées à ce jour par le droit matrimonial et fiscal. En effet, elle concerne des situations humainement difficiles, voire intolérables, qui – hélas ! – sont loin d’être des cas isolés.
En premier lieu, notre droit ne permet pas la déchéance de l’avantage matrimonial consenti à l’un des époux lorsque celui-ci s’est rendu coupable du meurtre de son conjoint.
Si le droit actuel donne la possibilité, par les mécanismes de l’indignité successorale ou de l’ingratitude, de révoquer une succession ou une donation dans le cas où le bénéficiaire a attenté à la vie de son conjoint, il garde en revanche le silence sur la révocation de l’avantage matrimonial.
Aussi, je me félicite que l’article 1er de la proposition de loi crée un dispositif de déchéance des avantages matrimoniaux à l’égard de celui ou de celle qui a commis une infraction grave vis-à-vis de son conjoint.
En second lieu, je me réjouis de l’apport de l’article 2, qui corrige une injustice en s’intéressant au risque d’endettement de l’ancien conjoint en cas de fraude fiscale réalisée à son insu.
Cette disposition permettra fort opportunément de ne plus faire supporter une charge financière inique sur des personnes de bonne foi, essentiellement des femmes disposant de revenus modestes après leur séparation.
Je ne m’étendrai pas sur les autres mesures ni sur les modifications apportées en commission, qui vont dans le bon sens. Mais je souhaite attirer votre attention sur la nécessité d’encadrer l’appréciation, par l’administration fiscale, de la situation patrimoniale du demandeur, une femme dans la plupart des cas, lorsqu’il sollicite l’octroi d’une décharge de responsabilité solidaire dans le cadre d’une imposition commune.
Malgré l’assouplissement, en 2022, des conditions d’appréciation de la situation patrimoniale de ce dernier, le nombre de demandes de décharges rejetées par la direction générale des finances publiques (DGFiP) demeure élevé.
Ainsi, je proposerai avec d’autres collègues par voie d’amendement que l’appréciation du patrimoine du demandeur ne puisse pas porter sur les biens et droits immobiliers détenus antérieurement à la date du mariage ou de la conclusion du Pacs, ainsi que sur le patrimoine reçu par donation ou succession. Nous l’avions déjà prôné lors de l’examen du projet de loi de finances.
J’entends bien les réserves de la commission des lois, pour laquelle une telle proposition est excessive et ne se justifie pas par principe, ces biens et droits immobiliers pouvant constituer un accroissement des capacités contributives.
Or il faut garder à l’esprit le contexte dans lequel une décharge de responsabilité solidaire est demandée.
Il existe souvent des disproportions de revenus au sein du couple ; elles vont avoir des conséquences sur l’évolution des situations matérielles des conjoints en cas de divorce.
Dans de nombreux cas, les femmes se retrouvent dans une grande précarité, et il me semble injuste, pour ne pas dire indécent, de leur demander de contribuer à l’apurement de la dette fiscale contractée avant la séparation.
Le patrimoine immobilier possédé antérieurement au mariage ou à la conclusion du Pacs ou celui qui est reçu par donation ou succession constituent pour la femme une assurance vie à l’heure de la dissolution du couple. À ce titre, ils doivent être exclus de l’appréciation de la situation patrimoniale par l’administration fiscale.
Je salue donc à mon tour les engagements que vient de prendre M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
Le droit fiscal doit enfin se rapprocher du droit matrimonial dont il est détaché de longue date. Nous pouvons donc espérer que nos amendements recevront un avis favorable de la part du Gouvernement.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en comblant des lacunes de notre droit, cette proposition de loi a pour ambition de remédier à des situations très choquantes.
Très sensible à la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes et à celle contre les violences faites aux femmes, mais également très attaché aux principes de justice fiscale, le groupe Les Indépendants – République et Territoires apporte tout son soutien à ce texte, qui ouvre la voie à de réelles avancées. Il le votera à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cela peut sembler surprenant, mais, encore aujourd’hui, on peut tuer son conjoint et malgré tout en hériter.
En effet, aussi absurde que cela puisse paraître, l’avantage matrimonial permet au conjoint survivant d’obtenir une partie du patrimoine du conjoint décédé, quand bien même il serait à l’origine de ce décès.
Pour peu que les époux aient choisi le régime de la communauté universelle, ce sera une attribution intégrale au survivant. Je pense que nous pouvons tous imaginer la détresse des héritiers dans ce cas de figure et, bien entendu, l’injustice que cela représente.
L’article 1er tend donc à corriger cela en instaurant une déchéance matrimoniale applicable si l’un des membres du couple a attenté à la vie de son conjoint ou s’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves.
Ce dispositif parfaitement nécessaire et justifié a été amélioré par notre rapporteure, Isabelle Florennes, en tenant compte des situations d’emprise dans lesquelles peuvent se trouver ces victimes. En définitive, cet article 1er, dans la rédaction proposée par notre rapporteure, est une vraie avancée, une de plus, dans notre combat contre les violences intrafamiliales.
En outre, et de manière plus générale, ce texte permet de mieux encadrer les conséquences d’une séparation et d’améliorer la protection du patrimoine de chacun.
En effet, au regard de la loi, les époux et les partenaires de Pacs sont soumis au principe de solidarité fiscale, y compris d’ailleurs quand il y a un contrat de mariage : le fisc s’en soucie peu… Et au nom de ce principe, chacun peut être tenu responsable du paiement des dettes fiscales de son partenaire.
Si cela peut sembler normal durant la communauté de vie, en cas de séparation, ce principe légal continue de s’appliquer et est souvent source d’injustices, en particulier pour les femmes, d’autant plus quand la séparation entraîne déjà une perte sensible de niveau de vie. Nous le voyons en ce moment, puisque nous sommes en train de travailler sur les familles monoparentales, la perte de niveau de vie est en moyenne de 25 % pour les femmes qui se retrouvent avec la garde de leurs enfants, contre 3 % pour les hommes dans la même situation, ces derniers étant en général propriétaires de leur logement.
Leur situation financière peut être ainsi plus dégradée par le paiement d’imposition sur des revenus dont elles n’avaient pas connaissance ou dont elles n’ont pas bénéficié. L’éventualité d’une dette pesant sur l’ex-conjoint est d’autant plus contraignante lorsqu’elle se double d’une absence d’indépendance financière. Et, ne l’oublions pas, cette dépendance financière est l’une des raisons qui poussent les femmes à rester au domicile conjugal alors qu’elles sont victimes de violences intrafamiliales.
Mais M. le ministre délégué chargé des comptes publics vient d’indiquer ici avoir entendu les arguments de l’association qui lutte contre la solidarité fiscale. Je tiens à l’en remercier.
Ce texte comportait déjà des avancées, puisque l’article 1er bis venait sécuriser juridiquement les clauses d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation. Pendant longtemps, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, ces dispositions, censées être plus protectrices, étaient finalement rendues caduques au moment du divorce.
L’article 2 était aussi une avancée, puisqu’il améliore l’applicabilité de la décharge de responsabilité solidaire. C’était absolument nécessaire. En effet, si les décharges sont accordées plus régulièrement que par le passé, elles restent encore trop peu nombreuses, et la situation est particulièrement mal vécue quand elles sont refusées.
Je pense en particulier aux cas où le Trésor public vient réclamer à l’ex-épouse des dettes fiscales issues de manœuvres frauduleuses dont elle n’avait pas connaissance et dont elle n’a pas bénéficié. Là encore, j’ai bien entendu le ministre délégué chargé des comptes publics indiquer qu’il prenait cette situation en compte. Je n’ose donc imaginer les amendements que nous avons déposés en ce sens recueillir autre chose que des avis favorables ! (M. le garde des sceaux s’esclaffe.)
Au regard des avancées réelles que comporte ce texte, avancées qui seront encore renforcées par l’adoption de nos amendements, et du travail d’amélioration de notre rapporteure, le groupe Union Centriste est très fier d’avoir repris cette proposition de loi à son compte dans son ordre du jour réservé, et il la votera bien évidemment. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le couple, et en particulier le couple hétérosexuel, est pour les femmes un lieu rempli de risques… (Exclamations sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Il ne faut pas exagérer !
Mme Mélanie Vogel. Je sais que cela vous perturbe, mais c’est factuel !
Mme Françoise Gatel. Pas du tout !
Mme Mélanie Vogel. Il y a d’abord des risques de violences.
Les femmes sont en effet les principales victimes de violences conjugales. Elles représentent 82 % des personnes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. L’année dernière encore, 134 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. C’est presque une femme tuée tous les trois jours. Et ces chiffres, terribles, ne baissent pas.
Les femmes représentent aussi plus de 80 % des victimes de violences sexuelles dans le cadre conjugal hétérosexuel – désolée !
C’est aussi, dans l’écrasante majorité des cas, au sein de l’entourage que les viols ont lieu. Neuf victimes sur dix connaissent leur agresseur. Dans 45 % des cas, le violeur est le conjoint ou l’ex-conjoint.
Il y a ensuite des risques de violences économiques.
Les femmes sont en effet, structurellement, les grandes perdantes du couple hétérosexuel sur le plan financier. Les écarts de salaires entre hommes et femmes passent de 9 % entre célibataires à 42 % dans les couples hétérosexuels mariés. Pis, lorsque le couple cesse, les femmes s’appauvrissent encore, tandis que les hommes sont peu ou pas impactés financièrement.
En ce qui concerne le mariage, le divorce entraîne une perte de niveau de vie de 27 % pour les femmes contre 2 % pour les hommes.
Mais ce n’est pas tout.
Pendant ce temps, et jusqu’à aujourd’hui, des dispositions permettent aux hommes de bénéficier, financièrement, des crimes machistes qu’ils commettent. C’est quand même extraordinaire !
Aujourd’hui, un conjoint ayant tué sa femme peut hériter d’elle. En somme, un conjoint meurtrier peut tirer un avantage économique d’un féminicide !
C’est pourquoi l’adaptation des régimes matrimoniaux fait partie des nombreuses réformes nécessaires à la lutte contre les violences fondées sur le genre.
Et c’est dans ce domaine que la proposition de loi du député Hubert Ott, que je remercie, apporte sa pierre à l’édifice.
Nous soutenons évidemment totalement les dispositions sur l’héritage, que nous avons prônées avec les associations féministes depuis très longtemps.
J’en viens à l’article 2. Je voudrais, sans malice, rappeler que nous avions adopté ici, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, des amendements relatifs à la décharge de solidarité fiscale. Je me réjouis d’avoir de nouveau ce débat. J’espère que le Sénat sera cohérent avec ses positions passées et le Gouvernement avec ses positions présentes.
Il reste un article problématique : l’article 1er bis. En rendant possible la signature d’une clause d’irrévocabilité, celui-ci empêcherait certaines femmes de demander la révocation des avantages matrimoniaux dont bénéficie leur mari en cas de divorce.
Le mariage ayant en moyenne pour effet – c’est chiffré et objectif – de précariser les femmes et d’enrichir les hommes, il est essentiel que les femmes puissent conserver un maximum de choix au moment du divorce, qui est pour beaucoup le moment où certaines injustices sautent aux yeux et deviennent inacceptables.
C’est ce que Titiou Lecoq a appelé la théorie du pot de yaourt vide. Imaginez un couple inégalitaire qui achète une voiture chère. C’est l’homme qui paie la voiture, car il gagne plus d’argent. Pendant ce temps, et pour compenser, la femme, qui participe déjà plus aux tâches ménagères, fait davantage les courses. Et au moment du divorce, il reste à l’un une voiture et à l’autre, le ménage fait pendant vingt ans et des pots de yaourt vides !
C’est pourquoi cette disposition doit disparaître au profit d’une large amélioration du mécanisme de prestation compensatoire, qui, lui, permet de corriger les injustices.
Cela étant, notre groupe soutiendra naturellement ce texte. J’espère comprendre pourquoi mes propos ont semblé tellement perturber certains d’entre vous ; si vous voulez en discuter, ce sera avec plaisir ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)