M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Vincent Louault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons adopté la semaine dernière, à l’unanimité, un texte essentiel permettant d’améliorer le mandat des élus locaux grâce à un grand nombre de dispositions concrètes et bienvenues.
Aujourd’hui, c’est le volet sécuritaire qui nous réunit, sujet ô combien important ! Cette proposition de loi est attendue de très longue date. En cette période de crise de l’engagement, il était nécessaire de proposer de nouvelles solutions pour protéger les élus dans l’exercice de leur mandat.
Ce texte a été malheureusement rendu nécessaire par les récents drames qui se sont succédé ces derniers mois et la hausse des violences, injures et incivilités envers les élus locaux. Pis, ces violences intolérables sont en hausse, comme nous le martelons régulièrement au Sénat.
Selon un récent rapport du ministère de l’intérieur, plus de 2 000 plaintes ou signalements ont été recensés en 2022, soit une augmentation de 32 % en un an.
La parole s’est aussi libérée. Dès 2020, le garde des sceaux et le ministre de l’intérieur sont montés au créneau avec, en la matière, des consignes fortes et courageuses, renforcées par votre circulaire, madame la ministre. En plein contexte de crise démocratique, il faut couper court à cette vague de violences.
Je souhaite saluer les auteurs de ce texte et ses rapporteurs. Nous nous sommes félicités en octobre dernier d’avoir adopté ce texte, avant qu’il ne soit examiné par l’Assemblée nationale, le 7 février 2024.
Aujourd’hui, nous pouvons nous réjouir, puisque la commission mixte paritaire est parvenue à une rédaction commune de l’ensemble des dispositions restant en discussion.
Nous regrettons le rejet de l’allongement des délais de prescription en cas d’injure et de diffamation publiques envers des personnes dépositaires de l’autorité publique. C’était pourtant une bonne avancée. Nous espérons que le Gouvernement pourra s’en emparer.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire reprend largement les apports du Sénat.
Je pense, par exemple, à la mesure permettant la répression pénale de toute atteinte à la vie privée des candidats à un mandat électif. Il s’agit d’une bonne disposition.
Saluons ce travail collectif, qui permet d’aboutir à un texte concret, efficace et ambitieux. Il aidera utilement nos élus dans l’exercice de leurs fonctions.
Madame la ministre, il s’agit de poursuivre les efforts en faveur de la protection des élus, qui œuvrent au quotidien auprès de leurs administrés, ne ménageant ni leur temps ni leur peine. Par ce texte, nous reconnaissons et saluons leur engagement de tous les instants au service de leur territoire.
Nos élus peuvent compter sur notre entière mobilisation à leurs côtés. Cette proposition de loi en est une preuve supplémentaire.
Il s’agit désormais de les accompagner au plus près de leur mandat, en s’assurant que l’ensemble des services judiciaires, administratifs et étatiques mettent en œuvre toutes les mesures pour les protéger. C’est simple, si nous voulons dissuader les fauteurs de troubles et de violences, il faut punir plus fort et systématiquement. Nos élus attendent de la fermeté, et cette loi le permettra.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, notre groupe soutient avec force ce texte si important pour nos élus locaux. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer tous les élus victimes d’agression. J’ai une pensée particulière pour l’ancien maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, mortellement blessé en août 2019 par le conducteur d’une camionnette qu’il voulait verbaliser pour avoir jeté des gravats sur le bord de la route. Vous en conviendrez sans nul doute, ce texte doit lui être dédié.
Cette proposition de loi revue et corrigée en commission mixte paritaire a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale ce lundi. Ce vote a été obtenu malgré des critiques dénonçant son caractère trop laxiste ou, au contraire, trop répressif. Quelles que soient les observations pouvant être faites, j’espère que, ce matin, nous arriverons à un même vote unanime.
Le résultat est là : en quelques articles sont clairement posés l’aggravation des peines en cas d’agression contre un élu ou contre un ancien élu, ce qui permet de sanctionner des personnes malveillantes attendant la fin du mandat d’un élu pour agir violemment contre lui, la protection des candidats à un mandat électif, l’élargissement du bénéfice de la protection fonctionnelle, et le droit à l’assurance pour les permanences des élus et des candidats à un mandat.
Aujourd’hui, nous allons donc apporter une réponse circonscrite à des actes de violence ayant pris de l’ampleur depuis des années.
Si j’use du mot « circonscrit », c’est à bon escient : il ne s’agit nullement de diminuer la qualité du travail qui a été réalisé. Je relève simplement que ce texte fait partie d’un tout, constitué par la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, que nous avons adoptée la semaine dernière, ainsi que de la loi dite Engagement et proximité de 2019.
Ces textes contribuent à améliorer le quotidien des 500 000 élus que compte la France. Mais suffiront-ils à répondre au malaise qui s’empare de nombre de nos collègues et se traduit par des démissions ou le refus de se présenter à des élections ?
Selon une étude du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) et de l’Association des maires de France, parue fin 2023, 1 300 maires ont démissionné depuis juin 2020, ce qui équivaut à un rythme de 450 démissions par an. Ce chiffre, qui doit être comparé aux 350 démissions par an de la mandature 2014-2020, témoigne d’une hausse de 30 %.
En mars 2020, lors des élections municipales, 106 communes s’étaient retrouvées sans candidat déclaré. En 2014, les communes sans prétendant à la fonction de maire étaient au nombre de 62, soit une hausse de 70 % en six ans.
Ce désarroi a des origines complexes. Il est ainsi possible d’évoquer une forme de repli sur soi ou sur son proche entourage, une peur de l’engagement, qui entraîne trop d’obligations, ou une moindre appétence pour la chose publique due à la dégradation du débat public.
Par-delà les mesures que nous avons votées ou que nous allons adopter, posons-nous la question suivante : comment concevons-nous la condition des élus ?
Être élu, selon notre conception de la démocratie, c’est avant tout un engagement volontaire et personnel. Mais peut-on imaginer qu’être élu devienne un métier qui nécessiterait un diplôme ? Il existe, depuis des années, des formations pour devenir collaborateur d’élu. Peut-être faudrait-il en créer une pour être élu ?
Il y a aujourd’hui une telle suspicion à l’égard de la politique et des élus, considérés par la plupart des Français comme des privilégiés, que nous-mêmes, en tant qu’élus, avons peut-être peur d’aborder ces questions. Ces pistes de réflexion sont ouvertes à tous.
Pour revenir au présent texte, comme nous l’avons dit en commission des lois, toutes les évolutions législatives que nous pouvons adopter doivent nécessairement s’accompagner d’un changement de culture des acteurs judiciaires et étatiques, lesquels ne peuvent plus rester passifs face à cette violence.
Enfin, je tiens à remercier l’auteur de ce texte, notre collègue président de la commission des lois François-Noël Buffet, ainsi que Violette Spillebout, rapporteure pour l’Assemblée nationale et Catherine Di Folco, rapporteur pour le Sénat. Bien sûr, j’ai également une pensée pour ma collègue Françoise Gatel, que j’ai l’honneur de remplacer.
Vous l’avez compris, le groupe Union Centriste votera résolument en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de commencer, je souhaitais apporter également, au nom de mon groupe, mon soutien à François Patriat.
La semaine dernière, nous avons avancé sur le statut de l’élu local et les moyens d’action nécessaires dans ce cadre. Il est bon de le rappeler, ces moyens et ce statut doivent s’accompagner de la protection des personnes élues.
Notre chambre, dans son ensemble et sa diversité, restera toujours attentive aux problématiques de nos élus et de nos institutions locales. Ses nombreux travaux montrent et démontrent le besoin d’un renouveau de la démocratie locale, à laquelle nous sommes très attachés.
Notre démocratie doit accompagner et susciter la volonté d’engagement citoyen dans les projets et actions de transformation et de transition, au cœur de nos territoires.
La crise de confiance et la crise de l’engagement sont profondément liées. Le besoin de redonner aux élus locaux leur pouvoir d’agir dans de bonnes conditions, le besoin de conforter leur rôle essentiel de proximité auprès de nos concitoyens, la nécessité de revitaliser l’engagement citoyen, passent aussi par leur protection.
À ce titre, les écologistes ont toujours activement soutenu les réflexions sur le sujet et proposé des solutions permettant de désamorcer le niveau de tension existant entre élus et citoyens, qui a parfois entraîné des dérives violentes inacceptables.
Dès la remise des travaux du groupe voulu par le président Gérard Larcher, le 6 juillet dernier, notre groupe avait déjà pu se prononcer sur les problématiques auxquelles font face nos élus.
Notre groupe soutient l’action des élus locaux et s’associe à l’ensemble des propositions qui pourraient leur permettre une plus grande protection, un meilleur accompagnement dans leur engagement. Souvent non indemnisée, la conciliation avec leur vie professionnelle et personnelle peut être un frein à leur implication. Nous nous associons à la demande d’un véritable statut de l’élu plus protecteur et du développement de moyens concrets d’accompagnement pour améliorer la parité et la diversité des profils.
Cette proposition de loi ne résoudra pas ces crises. Toutefois, nous accueillons très favorablement ce texte, qui vise à améliorer la protection fonctionnelle des élus, sans aller assez loin, comme l’ont souligné Mme la rapportrice, dont je salue le travail, et Mme Marie-Pierre de La Gontrie, puisque cette disposition ne concernera ni tous les élus ni les collaborateurs.
Nous saluons également la volonté d’assurer une meilleure compensation par l’État des coûts de couverture assurantielle liés à la protection fonctionnelle. Vous le savez, les budgets de nos collectivités sont en souffrance : inflation, non-compensation, lisibilité pluriannuelle limitée… Le Sénat s’efforce de guérir toutes ces souffrances.
Nous sommes plus circonspects sur le lien entre aggravation des peines encourues et solution au problème de violences envers les élus.
Les périodes de campagne étant propices au déclenchement de violences, il est bienvenu que ce texte permette aux candidats déclarés d’être couverts par le mécanisme de protection fonctionnelle.
Enfin, nous ne pouvons que soutenir les dispositifs liés à la facilitation des relations avec les acteurs judiciaires et saluer l’équilibre nécessaire trouvé, en dépaysant d’office les affaires dont l’élu serait le mis en cause.
De manière générale, nous soutenons les mesures inscrites dans cette proposition de loi.
Pour autant, nous sommes très attentifs à ce que ce renforcement de la protection des élus ne puisse être perçu comme un ensemble de mesures inéquitables, accroissant ainsi le fossé entre élus et citoyens.
La hausse des violences envers les élus doit toutes et tous nous alerter et nous faire réagir, en tant que parlementaires, bien sûr, mais aussi et surtout en tant que citoyens.
Notre message est clair : quelles que soient leurs formes, les violences à l’égard des élus ne sont pas tolérables dans notre société et doivent être condamnées.
Pour autant, il s’agit non pas de faire des élus des citoyens à part, mais d’assurer leur protection dans l’exercice de leurs fonctions. Nous sommes très attentifs sur ce point : la justice ne doit en aucun cas être perçue comme une justice à deux vitesses. Nous continuerons, en particulier dans le cadre des discussions budgétaires, à prôner un réel renfort du service public de la justice et une meilleure utilisation des moyens en ce sens.
Oui, il est essentiel d’encourager et d’accompagner les dépôts de plainte pour violences envers les élus, car il est essentiel d’encourager et d’accompagner les dépôts de plainte pour l’ensemble des violences, notamment les violences au travail ou les violences sexistes et sexuelles.
Nous devons continuer de nous interroger sur le sentiment d’être perdu dans le parcours du combattant de la judiciarisation des actes subis par les victimes. Mais nous ne sommes pas dupes ! Ces violences contre les élus, aussi inacceptables et injustifiables soient-elles, s’inscrivent dans la perception d’un fossé entre le politique et le citoyen, la fin de la croyance d’une gouvernance pour l’intérêt commun, le sentiment accru d’une déconnexion entre la volonté citoyenne et l’action du politique, entre la vie au quotidien et notre capacité à la modifier.
La montée des violences trouvera aussi une réponse au travers d’un développement plus large de la démocratie locale. Attelons-nous à imaginer et initier des référendums citoyens, des budgets citoyens, des implications citoyennes bien en amont des décisions.
Pour toutes ces raisons, et conscient des risques et limites de cette proposition de loi, notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE-K, INDEP et UC.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements précédemment adoptés par le Sénat.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
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Dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française (projet n° 279, texte de la commission n° 391, rapport n° 390).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi de ratification de l’ordonnance du 24 mai 2023 s’inscrit dans une démarche de clarification et d’harmonisation, pour un droit plus lisible et mieux applicable en Polynésie française.
Je tiens tout d’abord à saluer le travail du sénateur Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois, qui s’est fortement impliqué sur ce texte. Je souhaite aussi remercier Teva Rohfritsch de son engagement, ici, au Sénat, au service des intérêts de la Polynésie française. (Mme Lana Tetuanui s’exclame.)
Pendant longtemps, le droit domanial applicable à la Polynésie est resté illisible en raison des nombreux régimes applicables et des différentes catégories de domaines.
Depuis 1977, la Polynésie française détient la propriété de son domaine, à la suite du transfert par l’État de la totalité de son domaine public maritime à cette collectivité, à l’exception notable des zones dédiées à l’exercice de sa souveraineté, comme celles qu’utilise la marine nationale.
Bien qu’ils jouissent d’une grande autonomie en matière de gestion domaniale, l’État et ses institutions publiques conservent un important patrimoine public, incluant des infrastructures telles que les aérodromes, tribunaux, ports ou écoles, ainsi qu’un domaine privé.
Au cours du précédent quinquennat, le Parlement a voté la loi organique du 5 juillet 2019 portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française, et ce afin de simplifier le droit applicable.
Cette loi a eu pour effet d’attribuer à l’État la faculté d’étendre les règles applicables à son domaine privé et à celui de ses établissements publics, tout en soumettant les dispositions législatives et réglementaires correspondantes au régime de l’applicabilité de plein droit.
Elle a en outre permis d’étendre le régime d’applicabilité de plein droit aux dispositions législatives et réglementaires relatives au domaine public des établissements publics de l’État, alignant ainsi le régime d’applicabilité de ces dispositions sur celui qui prévalait pour le domaine public de l’État.
Ainsi, depuis 2019, les règles relatives aux domaines public et privé de l’État et de ses établissements publics sont applicables de plein droit en Polynésie française.
En somme, en cohérence avec ce qui existait déjà dans les autres collectivités d’outre-mer, le présent projet de loi prévoit d’harmoniser les règles applicables et de donner à l’État une compétence en matière d’établissement des règles relatives à son domaine privé et aux domaines privé et public de ses établissements publics en Polynésie française.
Cette évolution positive méritait d’être mise en œuvre, puisque le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) n’avait pas été mis en cohérence avec ces nouvelles dispositions. Or nous devons à la Polynésie et à nos collectivités d’outre-mer un droit pleinement applicable et de qualité. Je sais que vous y êtes très attaché, monsieur le rapporteur.
C’est à cette situation que l’ordonnance du 24 mai 2023, que je vous propose de ratifier aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, vient apporter une réponse.
Ladite ordonnance s’inscrit dans le prolongement de la démarche de codification du droit domanial applicable à l’outre-mer engagée avec l’ordonnance du 28 septembre 2016 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à l’outre-mer.
L’ordonnance de 2016 a contribué à refondre la cinquième partie du code général de la propriété des personnes publiques relative à l’outre-mer, afin de rendre plus lisible l’application du droit domanial dans les collectivités concernées.
Les règles relatives au domaine privé de l’État en Polynésie française n’ont cependant pas pu entrer dans le champ de cet exercice de codification, le Conseil d’État ayant rendu un avis, le 15 septembre 2016, aux termes duquel a été retenue une interprétation stricte de la compétence de l’État sur son seul domaine public et celui de ses établissements publics.
L’ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 traduit, dans le livre VI de la cinquième partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, consacré à la Polynésie française, la nouvelle répartition des compétences entre l’État et cette collectivité qu’a opérée la loi organique du 5 juillet 2019. Elle permet ainsi de compléter la partie législative de ce code consacrée à l’outre-mer en renforçant, tant pour les praticiens que pour les usagers, la cohérence et l’intelligibilité des règles de droit domanial applicables en Polynésie française.
L’ordonnance est prise sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution, qui confère au Gouvernement une habilitation permanente pour étendre, par ordonnances, dans les collectivités régies par l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les dispositions législatives en vigueur en métropole dans les matières relevant de la compétence de l’État.
Si cette ordonnance donne davantage de lisibilité au droit domanial en Polynésie française, elle ne remet aucunement en cause – j’y ai été très attentif – les compétences de la collectivité.
Je veux par ailleurs rassurer : je sais que cette ordonnance a pu susciter des interrogations chez certains élus polynésiens, mais je sais aussi que le travail du sénateur Teva Rohfritsch et de sa collègue Lana Tetuanui…
Mme Lana Tetuanui. Quand même…
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … ont permis de lever ces doutes. J’en profite pour saluer le travail de concertation et le dialogue entre parlementaires et élus locaux. C’est l’exemple même de la relation de confiance qui doit se nouer pour œuvrer le plus efficacement possible au service de tous les territoires.
Je veux également souligner le travail de consultation qui a été mené et je note que l’assemblée de la Polynésie française avait émis un avis favorable sur la loi organique de 2019.
Je sais que le dialogue se poursuivra notamment avec la ministre déléguée chargée des outre-mer, Marie Guévenoux, qui est actuellement en déplacement en Guyane et que je salue.
À l’occasion de l’examen de ce texte, qui vise à mettre un terme à l’actualisation du code général de la propriété des personnes publiques, je tiens enfin à saluer le travail remarquable des agents de la direction de l’immobilier de l’État (DIE) et, plus particulièrement, l’engagement de Pierre Brun, administrateur des finances publiques, qui, je le sais, a consacré une grande partie de sa carrière à renforcer la lisibilité et à s’assurer de la bonne application du code général de la propriété des personnes publiques.
En conclusion, l’ordonnance du 24 mai 2023 harmonise les règles domaniales de l’État en Polynésie française. En contribuant à l’édification d’un ensemble unifié, celle-ci prévient par ailleurs les lacunes et les incohérences juridiques. Elle garantit également la conformité de notre droit avec le droit polynésien, en prévoyant une législation adaptée aux dispositions locales, évitant ainsi les contradictions.
Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à adopter ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, prise sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution, l’ordonnance du 24 mai 2023, qui est soumise à la ratification du Sénat, tend à compléter le livre du code général de la propriété des personnes publiques consacré à la Polynésie française.
Considérant cette ordonnance comme un facteur d’amélioration de la cohérence et de la lisibilité des règles de droit domanial applicables en Polynésie française, la commission des lois a approuvé sa ratification sans modification.
Avant le vote de la loi organique de 2019 portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française et l’ordonnance du 24 mai 2023 prise par le Gouvernement, la multiplicité des régimes applicables et des catégories de domaine rendait en effet peu lisible le droit domanial applicable sur ce territoire.
Vous le savez, l’une des spécificités du cadre juridique de la Polynésie française réside dans l’entrecroisement de différents niveaux de compétences normatives. La collectivité dispose d’une compétence normative de principe, tandis que l’État ne peut agir qu’au sein d’un périmètre de compétences qui lui est dévolu par la loi statutaire de 2004.
À cela s’ajoute la coexistence de différentes catégories de domaines. Depuis 1977, la Polynésie française est propriétaire de son propre domaine, auquel l’État a transféré l’entièreté de son domaine public maritime, à l’exception – il est bon de le noter – des dépendances affectées à l’exercice de sa souveraineté, comme celles de la marine nationale.
Dans cette collectivité d’outre-mer particulièrement autonome en matière domaniale, l’État et ses établissements publics conservent néanmoins la propriété d’un vaste domaine public, qui comprend des aérodromes, des palais de justice, des ports ou des écoles, et d’un domaine privé.
Jusqu’en 2019, seul le domaine public de l’État figurait parmi les compétences reconnues aux autorités étatiques par le statut de 2004. A contrario, l’État n’était pas compétent pour établir les règles relatives à son domaine privé.
Cette répartition des compétences était singulière, notamment en comparaison des autres collectivités d’outre-mer. À la lumière des auditions que j’ai conduites, elle semble davantage relever d’une omission que d’un choix délibéré.
Il en résultait une insécurité, si ce n’est un vide juridique. En effet, bien qu’ayant la compétence théorique pour légiférer sur le domaine privé de l’État, la Polynésie française n’en a jamais fait usage. Dès lors, le domaine privé de l’État se trouvait, en pratique, régi par l’ancien code du domaine de l’État, qui avait été maintenu en vigueur à titre dérogatoire.
Cette fragmentation normative a été naturellement préjudiciable à l’intelligibilité, mais également à l’évolution des normes. Comme le relevait le Conseil d’État en 2016, le législateur ordinaire demeurait en effet incompétent pour modifier une disposition touchant au domaine privé de l’État en Polynésie française.
Face à ce statu quo insatisfaisant, la loi organique du 5 juillet 2019 portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française a permis de faire un premier pas vers la résolution de cette situation. Elle a ainsi étendu expressément la compétence de l’État en Polynésie française à son domaine privé et aux domaines public et privé de ses établissements publics.
Par souci de simplification et de lisibilité, le régime de l’applicabilité de plein droit a été élargi, sur l’initiative du Sénat, au domaine de l’État et de ses établissements publics.
Cependant, cette réforme ne peut être pleinement effective sans une mise en cohérence concrète du code général de la propriété des personnes publiques. En effet, la loi organique ne permet pas à elle seule d’identifier dans ledit code les règles applicables, avec ou sans adaptations, et celles qui ne sont expressément pas étendues. L’ordonnance, que le présent projet de loi tend à ratifier, opère donc cette actualisation quatre ans après.
À cet égard, la commission des lois tient à déplorer les lenteurs de la réforme, au regard des enjeux particulièrement prégnants de lisibilité du droit en Polynésie. Ainsi, pendant vingt ans, près de quinze kilomètres carrés de territoire ont été régis en Polynésie française par des dispositions obsolètes depuis 2006, qui ont été maintenues en vigueur à défaut de solution.
Au-delà de son aspect très technique, cette ordonnance est emblématique des difficultés juridiques auxquelles sont confrontées les collectivités d’outre-mer : en premier lieu, elles résultent de la difficile appréhension de l’état du droit applicable, souvent peu lisible et accessible ; en second lieu, elles s’ajoutent à la nécessité de veiller à ce que cet objectif de clarté ne fasse pas fi des spécificités locales et ne conduise pas à omettre toute adaptation et toute prise en compte du statut particulier de la collectivité.
À ce titre, quinze articles sont insérés dans la cinquième partie du code général de la propriété des personnes publiques, afin d’adapter les dispositions applicables.
Certains articles n’opèrent que des ajustements mineurs, en supprimant par exemple la mention de codes inapplicables en Polynésie ou encore des éléments qui n’ont pas d’équivalent local, comme les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer).
Le travail le plus important réside finalement dans l’identification des dispositions relevant de la compétence de la Polynésie française.
Pour des motifs historiques et politiques, le statut de 2004 réserve en effet à la Polynésie française une compétence exclusive pour acquérir certains biens. Ainsi, la Polynésie française dispose d’un droit de préemption immobilier ; de même, elle est compétente en ce qui concerne les biens vacants et sans maître ou ceux des personnes qui décèdent sans héritier.
Dès lors, l’ordonnance exclut expressément l’application par l’État en Polynésie de ces procédures d’acquisition, qui risqueraient d’empiéter sur les compétences propres du pays.
Dans ce contexte, la commission des lois a accordé une importance particulière à un enjeu essentiel, le respect des compétences de la Polynésie française. Aussi déplore-t-elle que l’on n’ait pas fait en sorte que l’assemblée de la Polynésie française soit en mesure d’émettre un avis sur le projet d’ordonnance – même si cet avis est réputé favorable –, la saisine du Gouvernement étant intervenue en pleine période électorale, au mois d’avril 2023.
En tant que rapporteur, je me suis attaché, au cours des travaux préparatoires de la commission, à recueillir l’avis et les observations des représentants polynésiens, notamment le syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française, le SPCPF, le président de l’assemblée de la Polynésie française et notre collègue Lana Tetuanui.
Sans préempter le débat que nous ne manquerons pas d’avoir dans quelques instants, je vous assure avoir accordé la plus grande considération aux réserves formulées par les représentants de la Polynésie française.
Toutefois, au terme d’une analyse juridique approfondie, la commission est parvenue à la conclusion que cette ordonnance traduisait fidèlement les principes fixés par la loi organique de 2019, sans empiéter sur les compétences de la Polynésie française.
Ainsi, en matière d’acquisition des biens culturels maritimes, l’ordonnance se contente de mettre en cohérence le code général de la propriété des personnes publiques avec des règles qui figurent à la fois dans le code du patrimoine métropolitain et dans le code du patrimoine de la Polynésie française, comme je l’ai indiqué à mes collègues Teva Rohfritsch et Lana Tetuanui, tous deux très impliqués sur ce sujet.
Par ailleurs, je ne peux que regretter que l’amendement déposé par notre collègue Agnès Canayer ait été déclaré irrecevable, tant son dispositif semblait apporter une réponse attendue à la problématique de l’entretien des chemins privés ruraux en Polynésie. Sensible à ces enjeux, je souhaite qu’un prochain véhicule législatif nous permette d’obtenir des avancées en la matière.
En somme, la commission des lois a considéré que le présent projet de loi permettait de clarifier et de mettre en cohérence, avec du retard, mais une certaine prudence, le droit domanial de l’État en Polynésie française.
Au bénéfice de ces observations, la commission vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi de ratification sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et GEST.)