5
Enseignement privé sous contrat : quelles modalités de contrôle de l’État et quelle équité des moyens vis-à-vis de l’enseignement public ?
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « Enseignement privé sous contrat : quelles modalités de contrôle de l’État et quelle équité des moyens vis-à-vis de l’enseignement public ? ».
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la polémique de ce début d’année au sujet de l’établissement Stanislas a mis en lumière une vérité qui, jusqu’ici, s’énonçait à bas bruit.
Oui, faute de régulation suffisante, l’enseignement privé sous contrat est confronté à un certain nombre de dérives. Oui, il est temps d’y mettre un terme.
Comment concevoir que des établissements financés à hauteur de 73 % par de l’argent public n’acceptent pas de se soumettre aux règles qu’elles doivent respecter pour bénéficier d’un contrat d’association avec l’État ?
Lorsque nous avons examiné, en 2021, le projet de loi confortant le respect des principes de la République, le Sénat s’était prononcé en faveur d’un contrôle accru de l’instruction en famille au nom de la lutte contre le séparatisme et de la défense de nos idéaux républicains. Nous avons eu raison de le faire. Faisons preuve aujourd’hui du même courage pour lutter contre le séparatisme à l’œuvre au sein de certains établissements privés sous contrat !
Les exemples révélés par des enquêtes publiées notamment dans les journaux Libération et Le Monde ne manquent pas.
Ici, un enseignant en Auvergne est contraint de lutter avec son équipe de direction pour ne pas assister à une messe. Là, dans un établissement toulousain, on refuse à l’équipe éducative d’organiser la venue du planning familial. Dans un lycée de Compiègne, la direction s’oppose à l’organisation d’une sortie pour voir un film consacré à la vie de Simone Veil. Plusieurs établissements imposent des temps religieux à leurs élèves, comme le catéchisme ou la messe, alors que la loi prévoit leur caractère optionnel.
Si les langues se délient peu à peu, l’omerta reste de mise, frappant aussi bien les équipes éducatives que les élèves ou les parents. Il s’agit d’un « pas de vague à la puissance 10 », pour citer un professeur exerçant dans le privé.
Il est nécessaire de mieux objectiver l’ampleur de ce phénomène, en commençant tout d’abord par étendre le système de signalement d’atteinte à la laïcité. Récemment interrogé à ce sujet, le ministère de l’éducation nationale a réaffirmé que seul le secteur public était concerné par ce dispositif.
Il faut également obliger les chefs d’établissement de l’enseignement privé à signaler aux rectorats tous les problèmes graves survenus dans leur établissement, ce qu’ils ne sont pas tenus de faire, contrairement à leurs homologues du public, ainsi que le fait remarquer le rapport de la Cour des comptes publié en juin 2023.
J’en viens à la question du financement, particulièrement sensible, alors que l’on reproche à l’école publique, fragilisée faute de moyens, d’être moins attractive que sa concurrente du privé. En matière financière, les soupçons d’opacité et de contournement concernent les établissements privés, mais aussi, et surtout, les établissements publics. Cela doit nous interpeller, compte tenu de l’importance des sommes dont il est question – il s’agit de 8 milliards d’euros par an pour l’État.
Ce montant correspond pour l’essentiel aux rémunérations des 142 000 enseignants, qui sont, rappelons-le, des agents du public chargés de délivrer l’enseignement « selon les règles et programmes de l’enseignement public », pour reprendre les termes exacts de la loi Debré. Or les rapporteurs de la mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat, créée à l’Assemblée nationale, ont été alertés au sujet du rabotage d’heures de cours obligatoires pour mettre en place d’autres activités, comme l’initiation aux langues régionales ou des activités artistiques.
M. Max Brisson. Ce qui est très bien !
Mme Marie-Pierre Monier. Autre anomalie, la presse régionale et locale documente le fait que des chefs d’établissement n’effectuent pas les heures de cours qu’ils sont censés assurer et pour lesquels ils sont rémunérés. Quand ces heures de cours ont bien lieu, leur contenu pédagogique pose parfois question : cours de sciences de la vie et de la terre (SVT) où l’on promeut l’abstinence, cours de français où l’on consacre plusieurs mois à l’étude de la Bible.
Je n’oublie pas non plus l’argent versé par les collectivités et, en premier lieu, par nos communes. Le forfait d’externat contraint celles-ci à allouer des sommes importantes aux établissements d’enseignement privé sous contrat. Ces sommes doivent servir à rémunérer les personnels non enseignants et à financer les dépenses de fonctionnement, et ce alors que les communes ne disposent pas toujours d’une visibilité sur la façon dont ces fonds sont utilisés, en dépit des dispositions prévues par les textes.
Cette problématique financière est encore aggravée par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, qui oblige les communes à reverser aux maternelles privées des sommes équivalentes à celles qui sont données à l’école publique.
La chambre des territoires ne peut qu’être sensible à cette question, quand nos communes peinent de plus en plus à maintenir l’équilibre de leurs finances.
Le rapport de la Cour des comptes indique également que la répartition trop centralisée des moyens alloués sur le territoire se conclut sans les représentants des recteurs. Insuffisamment associés, les rectorats se retrouvent contraints d’accepter des ouvertures de classes, qui leur semblent difficilement compréhensibles au regard de l’évolution de l’effectif global des élèves. À l’heure où les mobilisations se multiplient partout en France pour lutter contre les fermetures de classes dans les établissements publics, ce fonctionnement n’est pas acceptable.
On nous reproche toujours, lorsque nous mettons en cause l’enseignement privé sous contrat, de vouloir déclencher de nouveau la guerre scolaire. Cet argument vise à faire oublier que le cadre légal d’ores et déjà en place n’est pas respecté, faute d’une volonté suffisante de la part des pouvoirs publics.
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
Mme Marie-Pierre Monier. La Cour des comptes recourt d’ailleurs, dans son rapport, à des formules cinglantes pour l’expliciter. Le contrôle financier y est qualifié de « largement inappliqué » et le contrôle pédagogique de « minimaliste » ; quant au contrôle administratif, il n’est organisé que « de manière ponctuelle ».
Je ne reviens pas sur le sort longtemps réservé au rapport de l’inspection générale sur Stanislas, car le problème ne se limite pas à ce seul établissement. Même lorsque les inspections ont lieu, quelle garantie avons-nous que les rapports soient lus et, surtout, pris en compte ? Une fois de plus, l’enseignement privé ne semble pas soumis aux mêmes obligations que l’enseignement public.
Je conclurai mon propos en évoquant les questions du recrutement scolaire et de la mixité sociale, en net recul depuis vingt ans dans l’enseignement privé. Selon les chiffres de la Cour des comptes, l’enseignement scolaire privé sous contrat du second degré accueille désormais une majorité – 55 % – d’élèves issus de milieux favorisés ou très favorisés, soit 23 points de plus que dans le public, et de moins en moins d’élèves de milieux défavorisés. Cette ségrégation rejaillit en miroir sur l’enseignement public.
Pour citer le seul exemple de Paris, où cette logique est exacerbée, Julien Grenet, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste de la mixité sociale, constate que les écoles privées sous contrat comptent en moyenne 3 % d’élèves issus de familles socialement défavorisées, quand les effectifs des écoles publiques sont composés en moyenne de 24 % de ces élèves.
Pourtant, la loi Debré prévoit bien que « tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyances » peuvent accéder à l’enseignement privé. Faute de transparence, les établissements privés n’appliquent manifestement pas cette logique et ne témoignent pas d’une véritable volonté d’ouverture dans leur recrutement. Là encore, la Cour des comptes appelle à mieux prendre en considération la composition sociologique et le niveau scolaire des élèves accueillis pour définir les moyens alloués par l’État.
Madame la ministre, l’enseignement privé sous contrat ne peut demeurer un État dans l’État. Nous attendons de votre part des réponses précises et concrètes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Monier, la liberté de l’enseignement constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle.
Il en résulte que, si l’organisation d’un enseignement public gratuit et laïque est évidemment un devoir de l’État, cela ne saurait exclure l’existence de l’enseignement privé, non plus que l’octroi d’une aide de l’État à celui-ci. C’est ce qu’a indiqué le Conseil constitutionnel dans une décision bien connue de 1977.
Je remercie donc le groupe SER d’avoir pris l’initiative de l’organisation de ce débat, qui doit nous permettre de clarifier un certain nombre de points relatifs aux moyens et aux modalités de contrôle des établissements d’enseignement privé sous contrat. Ce sujet est important. Il fait parfois l’objet de polémiques, avec des développements tantôt réalistes, tantôt approximatifs, tantôt excessifs. Il convient donc d’objectiver – c’est le mot que vous avez utilisé, madame la sénatrice – l’ensemble des données.
Donc la liberté d’enseignement existe, mais cette liberté n’est pas absolue : elle s’exerce, bien entendu, dans le respect de la Constitution, de la loi et de principes essentiels, tels que celui du droit de l’enfant à l’instruction. Le contrôle des établissements ayant passé un contrat avec l’État est ainsi prévu par le code de l’éducation et s’exerce sur le plan tant pédagogique que financier.
Alors que des financements publics profitent à l’enseignement privé sous contrat et que les enseignants y sont dans leur immense majorité des agents de l’État, il est en effet normal que ce dernier veille à ce que les engagements pris soient respectés.
Au cours des dernières années, nous avons souhaité renforcer ce contrôle sur les établissements privés sous contrat, afin d’en assurer l’effectivité. Cela était, me semble-t-il, attendu, et l’organisation de ce débat nous rappelle justement l’exigence démocratique en la matière. Cette démarche, qui est destinée à conforter ce contrôle et doit être poursuivie, se traduit de manière très concrète. Nous avons ainsi constitué, en 2023, un renfort de 60 équivalents temps plein (ETP) dans les académies, pour permettre la montée en puissance du contrôle des établissements sous contrat. Cet effort n’est pas faible.
Le contrôle que nous assurons sur ces établissements est assuré par des hommes et des femmes qui veillent d’abord au respect des exigences pédagogiques. Celles-ci doivent être évaluées dans des conditions comparables à celles qui existent pour l’enseignement public. En outre, ces hommes et ces femmes veillent aussi au respect de la liberté de conscience des élèves – vous y avez fait allusion –, qui doit demeurer absolument garantie. Nous sommes, de manière générale, particulièrement attentifs au bien-être et à l’épanouissement des élèves, dans l’enseignement tant public que privé ; en ce sens, l’enseignement privé doit aussi agir en matière de prévention et de lutte contre le harcèlement. En un mot, nos inspecteurs s’assurent que le contrat soit bien respecté, et je tiens d’ailleurs à saluer ici leur engagement.
Ce contrôle par la puissance publique est d’autant plus nécessaire que l’enseignement privé bénéficie lui aussi de financements de la part de l’État. C’est un principe ancré dans notre système scolaire depuis la loi dite Debré du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés, dans le respect d’un principe de parité avec l’enseignement public.
Aussi, en réaction à l’intitulé de votre débat, qui mentionne d’équité des moyens, permettez-moi de rappeler simplement quelques chiffres, que vous avez d’ailleurs repris en partie. En 2023, les dotations de l’État représentaient 55 % des ressources financières des écoles privées du premier degré et 68 % de celles des écoles du second degré. En comparaison, 59 % des financements des écoles primaires publiques et 74 % de ceux des collèges et lycées publics proviennent de l’État.
Dans les classes sous contrat simple ou d’association, l’État prend en charge – je me contenterai d’une brève énumération – la rémunération et la formation continue des enseignants, les aides directes aux élèves, comme les bourses et le forfait d’externat, ou encore certaines dépenses de fonctionnement.
Le financement des établissements privés fonctionne selon un principe de parité dit « 20-80 ». Le nombre d’élèves scolarisés dans les classes sous contrat représentant environ 20 % de l’ensemble des effectifs scolarisés – c’est en réalité un peu moins, 17 % –, on retient un taux de financement de 20 %, calqué sur ce ratio. Cela correspond au rapport démographique constaté entre l’enseignement privé et l’enseignement public depuis maintenant plusieurs rentrées.
Ces crédits, qui relèvent du programme 139 « Enseignement privé du premier et du second degrés » du budget de l’État, s’élèvent dans la loi de finances initiale pour 2024 à 9 milliards d’euros. Nous veillons de près à ce que ces fonds publics soient utilisés uniquement dans l’intérêt des élèves et dans le respect absolu des principes de la République.
Je souhaite également, comme vous, madame la sénatrice, dire un mot de l’exigence de mixité sociale et scolaire, qui est l’un des objectifs assignés au service public de l’éducation. Nous le voyons en comparant les indices de position sociale (IPS) des deux secteurs, les différences en la matière restent très nettes entre privé et public. Ainsi, à la rentrée scolaire de 2023, l’IPS moyen des collégiens dans le public, hors réseaux d’éducation prioritaire (REP), s’élevait à 106,1, alors qu’il était de 124,1 dans le privé sous contrat ; en outre, cet écart – il faut bien le constater – s’accroît depuis quelques années.
M. Pierre Ouzoulias. C’est bien de le reconnaître…
Mme Nicole Belloubet, ministre. Mais je dis les choses telles qu’elles sont, monsieur le sénateur.
Ce n’est toutefois pas une fatalité, c’est pourquoi nous nous travaillons sans relâche en faveur de la mixité, notamment en la prenant en compte dans la répartition interacadémique des moyens pour le privé. À ce titre, le protocole d’accord sur la mixité signé en mai 2023 par mon prédécesseur, M. Pap Ndiaye, décline un ensemble d’actions qui sont en cours de mise en œuvre et qui seront prochainement évaluées. Cela est essentiel, car la France reste l’un des pays de l’OCDE où les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire des élèves.
Enfin, disons-le clairement, contrairement à ce qui peut être lu ici ou sous-entendu là, l’État ne favorise pas l’enseignement privé par rapport à l’enseignement public. J’en veux pour preuve l’ensemble des actions et des indicateurs que nous mettons en œuvre : citons par exemple l’amélioration constante de la qualité de l’encadrement dans le secteur public, sous l’effet des politiques volontaristes menées par le Gouvernement et la majorité, ou encore le développement d’offres de formation attractives dans de nombreux établissements publics, notamment dans des secteurs défavorisés, ce qui permet de faire progresser l’IPS des établissements concernés. Je pense par exemple à des sections internationales de collèges implantés en REP, qui permettent des évolutions positives, ou encore au dédoublement des classes.
Voilà ce que je souhaitais vous dire en propos liminaire, mesdames, messieurs les sénateurs. Le Gouvernement est extrêmement attentif à la parité du financement comme à l’exercice effectif des contrôles.
(M. Dominique Théophile remplace Mme Sylvie Robert au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile
vice-président
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute. L’auteur de la question disposera alors, à son tour, du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. S’il est un objectif que nous partageons tous, c’est bien la lutte contre les inégalités de destin. Vous avez d’ailleurs récemment affirmé, madame la ministre, que vous refuseriez tout système de tri social dans notre école ; je salue vos propos. En effet, l’une des conditions pour que notre école fonctionne, pour que nos élèves non seulement acquièrent un savoir académique, mais encore apprennent à construire des liens sociaux, c’est que la mixité sociale soit garantie.
Une note d’analyse de France Stratégie révélait récemment : « Dès la petite enfance, on observe une empreinte massive des caractéristiques “héritées” sur les acquis et les performances, empreinte que n’effacent ni l’accueil des jeunes enfants ni le passage par l’école primaire. Au collège se produisent les premières bifurcations de trajectoires. Puis les orientations en fin de troisième amplifient [l]es divergences. […] Aux inégalités d’accès et de niveau de diplôme se superposent au lycée des inégalités liées à la nature et aux spécialités des formations, dont les choix sont eux-mêmes fortement dépendants de l’origine sociale et du genre des élèves. »
Si l’enseignement privé sous contrat doit justifier en toute transparence l’utilisation des subventions ou du forfait d’externat, par la mise en place d’une comptabilité analytique spécifique, par l’obligation de faire valider ses comptes par un commissaire aux comptes ou encore en communiquant l’ensemble du bilan et du compte d’exploitation à la préfecture pour publication, son implication dans la mixité sociale ne paraît pas aujourd’hui soumise à de tels outils de contrôle ou d’évaluation.
S’il est vrai que certains établissements privés sous contrat font le choix d’une forme d’élitisme, au même titre d’ailleurs que certains établissements publics, la grande majorité d’entre eux s’implique fortement dans cette volonté d’accueil de tous, voire des plus fragiles. Pour avoir été secrétaire général d’un lycée privé sous contrat pendant trente ans, je sais combien cette volonté est nationale et s’inscrit dans le projet pédagogique de l’immense majorité des établissements.
Ma question, madame la ministre, est donc simple : comment agir pour que la mixité sociale soit une réalité et comment proposer des critères objectifs, qui permettront une plus grande transparence des efforts des uns et des autres dans cette démarche d’accueil de tous nos jeunes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Lévrier, en effet, nous pensons que l’ensemble des établissements privés, qu’ils soient confessionnels ou laïques, est concerné par les enjeux de mixité sociale et scolaire.
Depuis plusieurs années, le ministère développe avec ses différents réseaux une politique que nous souhaitons très active en faveur de cette mixité. En particulier, le travail conduit avec le secrétariat général à l’enseignement catholique (Sgec), qui représente 96 % des établissements sous contrat, a conduit cet organisme à attribuer aux établissements les plus actifs en matière de mixité une dotation horaire complémentaire. Il a également doté son plan pour les réussites éducatives de plusieurs dizaines d’emplois.
L’État s’est par ailleurs engagé avec le Sgec, comme je le disais à l’instant à la tribune, dans une politique volontariste pour renforcer la mixité sociale. Le protocole signé en 2023 dont j’ai parlé prévoit plusieurs axes, dont les trois principaux sont : améliorer l’information des parents d’élèves sur les caractéristiques des établissements privés sous contrat ; renforcer la mixité sociale, en favorisant notamment la modulation des tarifs en fonction des revenus des parents – 50 % des établissements relevant de l’enseignement catholique devront ainsi proposer sur cinq ans des tarifs modulés – ; enfin, renforcer l’accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers. Nous aurons les premiers résultats de la mise en œuvre de ce protocole au mois de septembre prochain, comme le Sgec s’y est engagé.
En outre, la méthode d’allocation des moyens publics aux académies en matière d’enseignement privé est fondée sur la prise en compte des taux d’encadrement, des évolutions d’effectifs et de l’indice de position sociale, avec une forte pondération qui permet de favoriser les académies qui présentent les IPS les plus bas.
Au fond, cette méthode de répartition interacadémique des moyens correspond au modèle utilisé pour l’enseignement public ; elle prend non seulement en compte les besoins des académies, mais aussi les indicateurs de mixité sociale.
Voilà quelques éléments issus de l’ensemble des actions conduites par le ministère pour parvenir aux fins que vous évoquez, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Adel Ziane. Madame la ministre, l’enseignement privé sous contrat est tenu par un contrat d’association qui garantit en théorie des engagements de sa part, en contrepartie d’un large financement de la part de l’État, vous l’avez rappelé. Ce contrat prévoit d’importantes prérogatives en matière de contrôle sur l’utilisation de l’ensemble des moyens accordés.
Toutefois, la Cour des comptes, dans son rapport de juin 2023 portant sur l’enseignement privé sous contrat, a dressé un constat alarmant : les mécanismes de contrôle de l’État sont pour le moins limités, voire inexistants.
J’évoquerai à ce titre les trois types de contrôle.
Tout d’abord, le contrôle financier de l’État, censé être assuré par les directions départementales et régionales des finances publiques, est pointé du doigt, car il est largement inappliqué. Rares sont les établissements qui adressent leurs comptes aux directions territoriales des finances publiques dans les trois mois qui suivent la clôture de leur exercice et ces directions ont indiqué, dans le cadre de l’enquête de la Cour, que leurs services n’effectuaient pas ces contrôles.
Ensuite, le contrôle pédagogique réalisé par des inspecteurs académiques est jugé « minimaliste » par la Cour des comptes. Les professeurs délégués, équivalents des professeurs contractuels du public, représentent 17 % des enseignants sous contrat, mais ils sont rarement inspectés, ce qui compromet la qualité de l’enseignement dispensé. Par ailleurs, aucun inspecteur du second degré n’est chargé de vérifier les emplois du temps des élèves.
Enfin, le contrôle administratif, qui relève de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) et des recteurs, est trop sporadique pour être efficace. Un contrôle est destiné, par exemple, à vérifier qu’un professeur rémunéré par l’État n’enseigne pas sur son temps de service à des élèves d’une classe hors contrat, ou encore que les emplois du temps des élèves respectent les termes du contrat.
J’en viens à un dernier point : la Cour des comptes note que le suivi des contrats se révèle peu rigoureux, certains rectorats ne possédant même pas les documents sur la base desquels les sommes, pourtant importantes, sont versées.
Madame la ministre, le Gouvernement doit mettre en œuvre, à l’échelon des rectorats, un programme de contrôle des établissements sous contrat, en lien avec les directions régionales ou départementales des finances publiques. De surcroît, les responsables de l’enseignement privé se montrent favorables au contrôle prévu par la loi. Que compte donc faire le Gouvernement pour mettre en place, dans les plus brefs délais, les contrôles dans l’enseignement privé sous contrat, contrôles déjà strictement encadrés par plusieurs articles détaillés du code de l’éducation ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui pointe de réelles difficultés.
Je l’ai dit précédemment, nous progressons dans la mise en œuvre de ces contrôles et, comme je l’indiquais, en 2023, nous avons recruté 60 équivalents temps plein à cette fin.
Vous avez raison, il y a essentiellement trois types de contrôles. Le contrôle financier est a priori exclu du champ de compétences du recteur ; toutefois, en application de l’article R. 442-15 du code de l’éducation, les « inspecteurs généraux de l’éducation, du sport et de la recherche disposent des pouvoirs d’investigation financière nécessaires ». Nous mettons en œuvre ce contrôle de manière progressive lorsque nous prenons en charge le contrôle d’un établissement. Les contrôles augmentent, comme vous l’avez peut-être constaté dans l’actualité.
Quant aux contrôles pédagogiques, ils sont mis en œuvre essentiellement autour des rendez-vous de carrière des enseignants, puisque cette obligation s’impose au privé comme au public. C’est dans le cadre de ces rendez-vous, imposés pour le suivi de ces enseignants, que nous effectuons ces contrôles.
En ce qui concerne les contrôles financiers – j’aurais pu le préciser tout à l’heure –, nous commençons à mettre en place une programmation. Pour l’année 2023, une dizaine de contrôles sont programmés.
En matière de contrôle pédagogique, je précise que nous avons élaboré un vade-mecum pour donner des éléments très précis à nos corps d’inspection, afin qu’ils puissent effectuer très concrètement ces contrôles.
Enfin, le contrôle administratif est également mis en œuvre de manière progressive. Comme je vous le disais tout à l’heure, il faut sans doute faire monter en puissance l’ensemble des contrôles. De ce point de vue, nous entendons prendre pleinement nos responsabilités et assumer nos prérogatives.