Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Yan Chantrel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il s’agisse des étudiants actuels ou futurs, notre jeunesse est en proie à une forte anxiété. La période du covid-19 l’a profondément affectée et la santé mentale des jeunes de notre pays est devenue une urgence sanitaire.
Notre jeunesse souffre aussi d’une précarité grandissante que les files d’attente devant les banques alimentaires nous rappellent quasi quotidiennement.
On ne peut pas dire que les annonces de ces dernières semaines soient de nature à rassurer les jeunes : ni l’annonce de près d’un milliard d’euros de coupes dans le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui affectera nécessairement les conditions de la réussite de leurs études, ni la hausse annoncée de 3,5 % des loyers dans les résidences gérées par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui viendra frapper les boursiers au portefeuille, alors qu’ils logent déjà parfois dans des résidences vétustes et insalubres.
Les jeunes sont en proie à cette anxiété avant même que débutent leurs études, notamment lorsqu’ils sont confrontés au choix de leur orientation et qu’ils doivent apprivoiser la bête Parcoursup. « On est lâchés dans la fosse », m’ont dit les étudiants que j’ai pu rencontrer.
Cette anxiété découle d’un mensonge initial : Parcoursup a été présenté comme une réponse méritocratique à l’injustice du système précédent, et la sélection comme un remède à l’échec dans les études supérieures. En réalité, la fonction première de la plateforme a été de gérer la pénurie dans un système universitaire sous-financé : alors qu’entre 2008 et 2021 le nombre d’étudiants a augmenté de 25 %, le budget de l’enseignement supérieur a quant à lui chuté de 12 %. Parce que l’objectif réel de Parcoursup n’est pas pleinement assumé, la procédure s’apparente pour les candidats à un parcours semé d’embûches, source d’injustices et de défiance.
Le dernier rapport du comité éthique et scientifique de Parcoursup, publié lundi dernier, pointe de nouveau les failles du système, en particulier le manque de transparence de la sélection. Les auteurs du rapport regrettent l’opacité des critères quantitatifs utilisés pour le préclassement des candidats par les commissions d’examen des vœux. Alors que les responsables de certaines formations expliquent tenir compte des spécialités pour classer les candidats, les informations sur la pondération de ces notes sont absentes des grilles d’analyse présentes sur la plateforme.
Les candidats ont besoin d’informations claires pour orienter leur choix. Cette transparence est nécessaire pour que les lycéens aient confiance dans la procédure. Or, pour beaucoup d’entre eux, ce n’est pas le cas. Cette situation contribue à la fuite vers les établissements privés qui captent un nombre toujours plus important d’étudiants, alors que les formations laissent souvent à désirer, quand elles ne relèvent pas de l’arnaque.
Il faut désormais que les responsables de chaque formation rendent publique la formule permettant d’établir leur classement pédagogique. Cette approche faciliterait l’acceptation des décisions d’affectation et limiterait les soupçons comme les risques d’arbitraire. Vous engagez-vous, madame la ministre, à répondre enfin à la critique que vous fait chaque année le comité éthique et scientifique de Parcoursup ?
La seconde source d’injustice, c’est l’inégal accompagnement dont bénéficient les lycéens face à la masse d’informations présentes sur la plateforme pour détailler les plus de 20 000 formations qui y sont proposées.
En effet, parmi les lycées, il existe des divergences importantes selon les filières. Ainsi, les lycées professionnels mobilisent moins de ressources que les lycées d’enseignement général et technologique pour l’orientation de leurs élèves.
Malgré leur engagement, les enseignants sont eux-mêmes mis en difficulté par l’institution, du fait de leur manque de formation en matière d’orientation. En 2020, la Cour des comptes indiquait, dans l’un de ses rapports, que 85 % des professeurs principaux déclaraient n’avoir reçu aucune formation spécifique pour remplir cette mission.
Parallèlement, les anciens conseillers d’orientation, qui ne sont désormais plus que des psychologues de l’éducation nationale, sont en nombre trop restreint, puisqu’en moyenne il n’y en a qu’un pour 1 500 élèves. Leur rôle n’a pas été renforcé, alors que l’orientation est devenue un processus plus complexe depuis la création de Parcoursup.
L’attente, le stress, les éventuels refus essuyés par les lycéens mettent à mal leur estime de soi. C’est dans cette brèche que s’est engouffré le marché privé de l’accompagnement à l’orientation, dont le recours est socialement et économiquement inégalitaire.
Madame la ministre, comment comptez-vous renforcer le service public de l’orientation et mieux accompagner les lycéens les moins bien préparés pour faire face au flot d’informations présent sur la plateforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Yan Chantrel, comme je l’ai dit et redit, nous avons bien conscience qu’il y a encore trop d’angoisse chez les lycéens lorsqu’il est question de leur entrée dans l’enseignement supérieur. Toutefois, soyons honnêtes : si cette angoisse tient en partie à l’utilisation de la plateforme, elle résulte aussi des enjeux liés au changement de vie qu’induit nécessairement le fait d’aller vers son avenir et de quitter son lycée.
Ce stress a toujours existé, même s’il nous appartient – c’est vrai – de le minimiser et de mieux accompagner ces lycéens.
Monsieur le sénateur, je vous invite à m’accompagner dans les lycées pour rencontrer des jeunes et mesurer l’impact des évolutions intervenues sur cette plateforme. Vous citez les recommandations du rapport du comité éthique et scientifique de Parcoursup, mais ledit rapport montre également qu’il s’agit d’un outil d’orientation utile, qui a évolué positivement.
Cela étant dit, je conviens qu’un important travail reste à faire en la matière – je m’engage ici à le mener en lien avec ma collègue Nicole Belloubet – pour aider les enseignants à mobiliser la mine de données que contient Parcoursup bien en amont de la terminale – dès la seconde, voire avant –, afin de mieux orienter les élèves, de leur faire connaître plus précisément les différents parcours et les renseigner sur leurs chances de réussite et les options à privilégier pour mener à bien leur projet de poursuite d’études et, par la suite, de carrière.
Depuis plusieurs années, nombreux sont ceux qui travaillent à améliorer la transparence des critères. Chaque formation est désormais assortie d’une fiche détaillant les critères d’acceptation des vœux. Mais, derrière cette fiche, comme cela s’est toujours fait, des enseignants-chercheurs étudient les dossiers, en général avec bienveillance, pour permettre à nos élèves – nos futurs étudiants – de réussir dans l’enseignement supérieur.
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour la réplique.
M. Yan Chantrel. Madame la ministre, j’entends votre réponse, mais les améliorations auxquelles vous faites référence sont insuffisantes. Les moyens supplémentaires pour l’orientation que j’appelle de mes vœux sont des moyens humains pour accompagner concrètement les élèves.
Il est du reste évident que les élèves du lycée Stanislas sont beaucoup mieux accompagnés que les élèves des établissements de Seine-Saint-Denis, département où je suis né.
Mme Catherine Belrhiti. Bien sûr !
M. Yan Chantrel. Une distinction existe de fait.
Vous vous engagez, devant la représentation nationale, à améliorer l’accompagnement des élèves : très bien ! Mais, dans ce cas, engagez-vous également sur les accompagnants. Comme je l’ai évoqué, ceux que l’on appelait les conseillers d’orientation-psychologues ne remplissent plus leur mission d’orientation, se cantonnant à leur mission d’accompagnement psychologique, qui est, par ailleurs, essentielle – nous manquons de psychologues, faute de parvenir à pourvoir certains postes.
Il convient aujourd’hui de renforcer ces missions d’orientation ; j’espère que vous prendrez le sujet à bras-le-corps, car il existe, dans notre pays, une inégalité flagrante selon les établissements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Parcoursup compte déjà six ans d’existence. Pourtant, nous en sommes encore à discuter de l’équité et de la transparence du dispositif. Voilà, je crois, un court, mais parfait résumé de ses défaillances, encore trop nombreuses et criantes.
Certes, de nombreux progrès ont été réalisés, à l’instar de l’élargissement de l’offre de formation, de l’enrichissement de l’information ou de l’ajustement du calendrier.
Toutefois, comme le soulignait déjà Jacques Grosperrin, dans son excellent rapport d’information de 2023, « l’appréciation des usagers de la plateforme suit une tendance inverse » à ces améliorations.
Nous devons donc nous demander pourquoi, malgré les efforts consentis, prédominent dans le débat public une anxiété croissante et le sentiment d’un manque de clarté, d’équité et de transparence.
Nous devons également nous demander pourquoi cet outil, présenté comme « une procédure simple, juste et transparente » par Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer, s’assimile désormais de plus en plus à la matérialisation d’un cauchemar annuel pour les élèves et leurs familles.
Complexité technique de la plateforme, absence d’examen des lettres de motivation, opacité totale des critères de sélection… Les maux sont connus de tous et leurs conséquences sont de plus en plus préoccupantes.
Voilà en effet six ans que les étudiants cherchent des stratégies pour déjouer le plus habilement possible le dispositif, source d’angoisses et d’inquiétudes.
Voilà six ans que certains lycées réfléchissent à la meilleure manière d’accompagner leurs élèves, en poussant parfois le vice jusqu’à délivrer un double bulletin de notes – l’un constituant une vitrine pour Parcoursup, l’autre comportant les véritables notes de l’élève.
Madame la ministre, comment en sommes-nous arrivés là ? Comment en sommes-nous arrivés à ce que l’on pourrait considérer comme un paroxysme de bureaucratie, qui fait l’objet d’un autosatisfecit dans les bureaux parisiens de la rue de Grenelle et de la rue Descartes, alors qu’un consensus défavorable émane de l’ensemble des acteurs concernés ?
Ne nous y trompons pas : à travers Parcoursup s’esquisse un débat bien plus large. Au-delà d’une simple remise en cause de la plateforme, c’est au système d’orientation dans son ensemble qu’il convient de s’intéresser, tant ses faiblesses sont de plus en plus apparentes.
Or, pour de nombreux élèves, l’institution scolaire est le principal – voire le seul – vecteur d’accompagnement et de conseil en matière d’orientation. Il est donc indispensable de fournir une orientation de qualité au collège et au lycée. L’avenir de milliers de jeunes en dépend. Sinon, nous prenons le risque de renforcer les inégalités sociales, comme en atteste d’ores et déjà l’apparition de coachs privés en orientation.
Nous devons donc nous poser la question fondamentale de la formation des proviseurs et professeurs, qui sont en première ligne pour aiguiller les élèves dans leurs choix. En effet, selon un rapport de la Cour des comptes, 65 % des proviseurs et 85 % des professeurs déclarent n’avoir reçu aucune formation spécifique pour exercer leur mission d’orientation.
En outre, les récentes formations organisées par les rectorats portent principalement sur des points pratiques. Les professeurs principaux ne sont par conséquent pas réellement formés à l’accompagnement et au conseil des élèves.
Parallèlement à ce manque criant se pose la question de l’utilisation des heures allouées à l’orientation. Non inscrites dans l’emploi du temps, ces heures sont trop souvent employées par les professeurs comme des heures d’ajustement, leur permettant de venir à bout des programmes.
Par ailleurs, les établissements financent traditionnellement ces heures d’orientation de manière autonome, en recourant aux marges de manœuvre qu’on leur a attribuées. Or la réforme du lycée, fortement consommatrice de dotation horaire globale pour les enseignements de spécialité et les options, a fortement réduit ces marges – et, donc, le budget consacré à l’accompagnement.
En résultent des inégalités territoriales entre des lycées où la culture de l’orientation existe et d’autres, moins mobilisés sur le sujet, où l’équipe pédagogique préfère consacrer son temps à d’autres projets.
M. Pierre Ouzoulias. Très juste !
M. Max Brisson. Inscrire les heures d’orientation dans la grille horaire des enseignements et les sanctuariser ; renforcer la formation des professeurs principaux et des référents en matière d’orientation : voilà deux mesures – entre autres – qu’Annick Billon, Marie-Pierre Monier et moi-même recommandions en 2022 dans un rapport d’information sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat.
Voilà, madame la ministre, la manière dont je conçois le débat qui nous réunit aujourd’hui : posons les premières pierres du chantier de l’orientation que j’appelle de mes vœux et que nous nous devons de lancer au plus vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
MM. Pierre Ouzoulias et Stéphane Piednoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Max Brisson, je connais votre attachement aux questions éducatives, et à l’orientation en particulier, qui a coloré votre propos sur Parcoursup.
Au cours de votre intervention, vous nous avez rappelé que s’intéresser à Parcoursup sans élargir la réflexion aux enjeux d’orientation revient à se tromper de cible – je suis d’accord. Du reste, l’orientation constituait l’un des piliers de la loi du 8 mars 2018.
Permettez-moi de vous rappeler ce qui a été fait depuis 2018 : la désignation d’un second professeur principal en classe de terminale ; la mise en place de semaines de l’orientation dans les lycées ; l’augmentation des ressources… En 2023, 84 % des lycéens interrogés disent avoir bénéficié d’une aide pour préparer la phase de formulation des vœux.
Toutefois, comme vous l’avez souligné, il convient de faire mieux en formant davantage les professeurs principaux pour les aider à accompagner les élèves et à les informer sur l’ensemble des formations de l’enseignement supérieur, qui évoluent très vite.
Vous l’avez également noté, cette année, les lycéens en classe de seconde ou de première ont pu se créer un compte sur Parcoursup, profitant de nouveaux outils tels qu’un comparateur de formations.
J’assumerai toute ma part dans ce travail, notamment en me rapprochant des établissements pour favoriser les rencontres entre lycéens et enseignants du supérieur lors des journées portes ouvertes. Par ailleurs, une meilleure exploitation des données de Parcoursup doit permettre aux enseignants du second degré de mieux accompagner humainement les élèves.
Nicole Belloubet et moi-même continuerons à agir en ce sens, par exemple en utilisant au mieux les créneaux d’orientation. Le secteur de l’enseignement supérieur se joindra à cet effort en donnant les outils, les informations et les données nécessaires, afin de mener à bien ce grand chantier de l’orientation.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Madame la ministre, votre bonne volonté n’est pas en cause. Vous avez vous-même parlé de la loi ORE. C’est peut-être là – je le dis devant mon collègue Jacques Grosperrin, qui était le rapporteur du projet de loi au Sénat – que tout a très mal commencé, parce que l’on a mis la charrue avant les bœufs. (M. Jacques Grosperrin fait mine de s’en indigner.)
Peut-être aurait-il fallu penser la réforme du lycée et du baccalauréat et organiser l’orientation avant de voter cette loi ORE. Nous avions d’ailleurs dénoncé ce hiatus au sein de notre Haute Assemblée. Il fallait certes aller très vite au sortir de l’échec du système APB, mais ce mauvais choix de calendrier fut le péché originel à cause duquel vous avez hérité d’un système qui, malheureusement, ne fonctionne pas.
Au-delà du nécessaire chantier que vous annoncez, madame la ministre – ce dont je vous remercie –, il convient certainement d’aller plus loin et de repenser la place de l’orientation au lycée : elle est mineure, elle doit devenir majeure.
M. Jacques Grosperrin. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à huit jours de la clôture des inscriptions sur la plateforme Parcoursup, débattre de l’équité et de la transparence de cette procédure d’admission dans l’enseignement supérieur prend tout son sens.
Force est de constater que, depuis sa création en 2018, Parcoursup n’a jamais suscité la pleine et entière confiance des élèves et de leurs parents : ce dispositif fait l’objet de critiques récurrentes portant notamment sur l’opacité des modalités de classement et sur un certain manque d’équité. Or, sans confiance, il ne peut y avoir d’adhésion.
Toutefois, cette défiance repose en partie sur des appréciations infondées. Contrairement à ce que renvoie l’imaginaire collectif, Parcoursup n’examine pas les candidatures des futurs étudiants et ne procède à aucun classement. Ce rôle incombe aux établissements d’enseignement supérieur et aux commissions d’examen des vœux, dont les jurys sont souverains et les délibérations sont confidentielles, comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel.
L’indépendance des jurys et l’autorité de leurs décisions sont sans conséquence sur la qualité du processus de sélection. Bien entendu, la procédure est perfectible et doit encore gagner en lisibilité et en transparence – les membres des jurys le reconnaissent volontiers.
J’ajoute qu’elle doit aussi gagner en rapidité, car la longueur de la procédure et l’incertitude que cela emporte accroissent la défiance vis-à-vis de ceux qui prennent la décision d’admettre ou non un élève dans la filière de formation qu’il a choisie.
Les établissements d’enseignement supérieur sont d’autant plus incités à parfaire leur processus décisionnel que ce manque de transparence a été souligné à plusieurs reprises par le Défenseur des droits et la Cour des comptes, mais également par l’inspection générale de l’éducation nationale et le comité éthique et scientifique de Parcoursup.
Aujourd’hui encore, les élèves ne savent pas toujours selon quels critères leur dossier sera examiné et, le cas échéant, comment ces critères seront pondérés. Aucune information n’est donnée sur les éléments de notation utilisés par les commissions d’examen des vœux.
Dans ce contexte, il me semble extrêmement important que la fiche Avenir renseignée par les lycées soit la plus précise possible – plusieurs présidents d’université m’ont invitée à plaider en ce sens.
Celle-ci est particulièrement importante, car elle comporte des appréciations pour chaque vœu formulé par le lycéen pour la phase principale. Or le chef d’établissement doit émettre un avis portant aussi bien sur la cohérence du projet d’orientation de l’élève que sur sa capacité à réussir. Ainsi, le contenu de cette fiche lui permet de mieux cerner l’élève, ce qui peut faire une réelle différence en faveur de ce dernier au moment du classement des candidats.
Par ailleurs, nous pouvons légitimement nous interroger sur l’impact des algorithmes dans l’étude des demandes d’admission. Nous le savons, les universités recourent de manière systématique à un algorithme de préclassement.
Dès lors que le traitement informatique est prédominant, comment Parcoursup procède-t-il pour mesurer le mérite ? Quelle est la place des personnes chargées de la sélection au sein des établissements supérieurs ? Les algorithmes ne doivent pas remplacer l’humain, et l’opacité doit absolument être levée.
Il semble également pertinent de s’interroger sur l’équité du processus : dans quelle mesure est-elle garantie ?
À cet égard, les failles du dispositif foisonnent. Par exemple, certains élèves dont les résultats scolaires relèvent de l’excellence ne parviennent pas à obtenir les formations souhaitées.
En outre, la capacité des parents à s’impliquer dans la procédure Parcoursup semble constituer un élément prépondérant dans le succès de l’élève.
Ainsi, les parents issus de catégories socioprofessionnelles supérieures tendent à peser favorablement sur les perspectives d’études de leurs enfants et sur la construction de leur projet d’orientation en les poussant à multiplier leurs centres d’intérêt et en les inscrivant à des activités extrascolaires.
A contrario, les parents disposant de faibles ressources ou faisant preuve d’une implication moindre dans l’orientation de leurs enfants sont moins en mesure d’aider ces derniers à se construire des profils aussi complets.
Ainsi, des inégalités se creusent entre les élèves qui peuvent être accompagnés par leurs parents et ceux qui ne le peuvent pas.
Quant aux enseignants, ils en arrivent à ajuster les dossiers scolaires, afin de maximiser les chances de réussite de leurs élèves…
Un autre point mérite d’être relevé : les distorsions d’évaluation, que la plateforme ne semble pas être en mesure de pondérer, créent de véritables iniquités. Cela conduit certains parents à inscrire leurs enfants dans des lycées publics pour leur année de terminale, après une scolarité dans le privé.
Il convient évidemment d’adopter une procédure plus équitable, fondée sur les qualités réelles de l’élève, ses compétences académiques et son mérite, plutôt que sur ses engagements extrascolaires, qui sont souvent largement exagérés.
Le Sénat s’est saisi de ce sujet en juin dernier, en dressant un état des lieux du fonctionnement de la plateforme numérique. Notre collègue Jacques Grosperrin, dans son rapport d’information, a formulé huit recommandations qui pourraient remédier aux failles de Parcoursup.
Madame la ministre, si des améliorations ont été apportées à la procédure Parcoursup depuis sa création, de nombreux dysfonctionnements perdurent. Quelle traduction réservez-vous aux recommandations émises par Jacques Grosperrin ? Comment entendez-vous, in fine, redonner confiance aux élèves et aux parents ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Merci !
M. Cédric Chevalier. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice Laure Darcos, croyez-le bien, je partage avec vous cette ardente obligation de la transparence – j’y reviendrai –, de l’orientation – je me suis déjà exprimée sur ce point en répondant à M. Brisson – et de l’harmonisation des notes.
Comme vous, je considère que la transparence est un levier pour réduire le stress de nos lycéens et de leurs familles et leur donner confiance – ce mot est important – dans ce système d’information et d’affectation dans l’enseignement supérieur.
Je rappelle que Parcoursup existe depuis sept ans. La présentation de la plateforme, ainsi que la compréhension des critères d’analyse des candidatures se sont améliorées : là où il n’y avait rien, nous avons créé des attendus, puis mis en place une obligation de publication des critères d’examen des commissions des vœux.
Malgré ce que l’on en dit ici ou là, cette réalité est bien perçue par les lycéens : selon un sondage BVA de 2023, 64 % des lycéens interrogés ont déclaré avoir bien compris les critères ; 77 % d’entre eux ont par ailleurs affirmé que les informations trouvées sur Parcoursup leur avaient permis d’avoir une idée des chances de succès de leurs candidatures.
Toutefois, je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faut faire encore mieux en mobilisant les filières de formation pour harmoniser les informations disponibles sur la plateforme. C’est ce que nous faisons avec les enseignants qui traitent les dossiers et établissent les critères de sélection – je vous remercie de l’avoir évoqué.
Mais la transparence ne suffit pas : les parents s’inquiètent également de l’hétérogénéité des notations selon les lycées.
Là aussi, nous agissons. Pour preuve, dès l’automne 2023, chaque proviseur a été destinataire d’une note d’information sur les écarts de notes dans son lycée et a été invité à reprendre le travail sur le projet d’évaluation de son établissement, l’objectif étant de favoriser une harmonisation des pratiques d’évaluation et, donc, de notation.
Cela étant, comme vous l’avez noté, tout ne se résume pas à la question des notes. Nous devons aussi améliorer la qualité des appréciations consignées dans la fiche Avenir. Nous avons fait passer ce message aux établissements cette année, et nous recommencerons l’an prochain pour les encourager à poursuivre leur effort.
Tous ces chantiers sont en cours, et nous continuerons de les suivre de près.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (MM. Michel Laugier et Cédric Chevalier applaudissent.)
Mme Sonia de La Provôté. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en juillet dernier, cinq ans après le lancement de Parcoursup, la commission de la culture du Sénat a souhaité dresser un état des lieux du fonctionnement de la plateforme en lançant une mission d’information.
Des ajustements avaient été apportés à la procédure pour la session 2023, durant laquelle un nombre record de vœux – 11,8 millions – avaient été formulés.
Il convient de souligner plusieurs points positifs depuis la création de Parcoursup : la plateforme numérique a gagné en ergonomie ; ses contenus ont été améliorés tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif ; enfin, le calendrier du processus a été révisé pour inclure la réforme du baccalauréat et réduire les délais d’attente.
L’offre de formation s’est élargie : Parcoursup regroupe à l’heure actuelle 21 000 formations, dont 7 500 pour le seul apprentissage.
Pour autant, selon une récente enquête, 83 % des élèves continueraient de trouver le passage sur Parcoursup extrêmement stressant. Il est reproché au dispositif, entre autres, de manquer de transparence et d’équité.
J’aborderai la question de l’équité à travers trois sujets.
Le premier concerne les élèves boursiers. Pour faciliter l’accès à l’enseignement supérieur des élèves des catégories sociales les moins favorisées, la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a instauré, dans le cadre de Parcoursup, des quotas de boursiers dans les formations non sélectives en tension.
Pour autant, la Cour des comptes a démontré que ces quotas ont une faible incidence sur l’accès aux filières en tension : ils ne modifieraient que très modestement la proportion des boursiers admis dans ces filières et, plus globalement, celle de ceux qui sont admis dans l’enseignement supérieur.
Madame la ministre, quelles pistes envisagez-vous pour mieux intégrer les élèves boursiers ?
Le deuxième sujet a trait aux candidats dits « en reprise d’études ». Notre excellent collègue Jacques Grosperrin, rapporteur de la mission d’information précitée, a été sensibilisé par le comité éthique et scientifique de Parcoursup à ce cas particulier.
En effet, Parcoursup a d’abord été conçu pour les candidats néo-bacheliers. Or cette population d’étudiants en reprise d’études, mal identifiée, est en augmentation et atteint désormais près de 10 % des inscrits.
Comme l’a souligné le comité dans l’un de ses rapports annuels, ces candidats, contrairement aux néo-bacheliers, voire aux candidats en réorientation, ne disposent pas du même « environnement de conseil et d’orientation organisé » ni de « toutes les informations collectées classiquement par la plateforme et attendus des formations ». Cela démontre la difficulté de notre système à s’adapter à la diversité des parcours – un phénomène contemporain, qui s’amplifie.
Madame la ministre, que proposez-vous pour mieux accompagner ces étudiants ?
Le troisième et dernier sujet sur lequel je souhaite insister est l’accès aux écoles et classes préparatoires privées, réputé discriminant d’un point de vue social.
On le sait, l’accompagnement prodigué aux élèves compense différemment les inégalités sociales. Dans la mesure où la construction du projet de l’élève reste l’apanage de l’établissement, celui-ci est plus individualisé et plus précoce dans les lycées les plus favorisés, alors qu’il repose souvent, faute de moyens, sur des pratiques collectives dans les lycées les plus en difficulté.
Nous assistons au développement du coaching scolaire et du secteur privé de l’orientation. Ces pratiques payantes – et souvent onéreuses – facilitent l’intégration de grandes écoles et de classes préparatoires, parfois grâce à des stratégies auxquelles de nombreux élèves n’ont pas accès.
En parallèle, les formations privées qui ne sont pas obligées de passer par Parcoursup – argument commercial pour attirer étudiants et parents – se multiplient.