M. le président. Il faut conclure.
M. Robert Wienie Xowie. Laissons les partenaires calédoniens renouveler leur légitimité en mai 2024 ! C’est aussi cela l’exigence démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Catherine Conconne applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi organique nous rappelle une bien triste période : les affrontements identitaires du milieu des années 1980 entre Kanaks et Caldoches sont encore présents dans nos esprits.
Les accords de Matignon, en 1988, puis ceux de Nouméa ont permis de ramener la paix sur le territoire et d’ouvrir un nouveau chapitre institutionnel et politique. Nous sommes amenés aujourd’hui à nous réinterroger sur la structure du corps électoral de l’archipel, qui a forcément évolué depuis cette période.
Dès lors, nous considérons que ce projet de loi organique satisfait les exigences des parties engagées dans le processus d’accession à la pleine souveraineté prévu par l’accord de Nouméa et étalé sur vingt ans. Nos débats, portant strictement sur l’examen d’un texte qui reporte l’échéance d’élections, ne peuvent se mettre en retrait d’un contexte plus général relatif au dégel du corps électoral.
Le principe de restriction qui valait jusqu’alors était justifié par la reconnaissance de la citoyenneté calédonienne en complémentarité de celle de la nationalité française. Désuet, il constitue aujourd’hui une dérogation, si ce n’est une atteinte au principe d’universalité du suffrage fixé par l’article 3 de notre Constitution. Sans les deux textes que nous avons à examiner en ce début d’année, les dispositions actuelles continueraient d’exclure du vote un certain nombre d’électeurs pourtant nés et résidant depuis plusieurs décennies sur la Grande Terre.
Avec ces textes, quelque 25 000 Calédoniens pourront participer aux prochains scrutins locaux à partir de décembre 2024, ce qui apportera une solution équilibrée entre les diverses revendications qui s’expriment.
Le RDSE tient à saluer les efforts de toutes les parties pour faire accéder l’île et ses habitants à une plus grande sérénité institutionnelle, sociale et économique – sérénité évidemment sous-tendue par nos discussions. En effet, ces textes ouvriront une ardente bataille politique dans les assemblées locales et au congrès autour du processus d’autodétermination, sur la base du travail tripartite achevé en septembre dernier.
Ces projets de loi nous donnent une échéance, un horizon, pour nous laisser le temps de réfléchir à cette question : jusqu’où adapter le modèle républicain pour que la Nouvelle-Calédonie demeure française, si elle le demeure ?
Observons ici que bon nombre de femmes et d’hommes de par le monde aspirent à accéder à la nationalité française, et qu’il est surprenant que d’autres s’interrogent sur celle-ci ou rêvent de s’en libérer !
Le Gouvernement doit être en mesure de se saisir des travaux du Sénat, notamment des conclusions de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Nous serons particulièrement vigilants sur les points d’achoppements des deux parties. Les trois référendums passés ont laissé des plaies encore béantes et les clivages se sont considérablement accentués.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, il est tout à fait légitime que le Sénat vous demande des garanties sur la sérénité des discussions en cours. L’État doit être impartial et transparent, l’État doit être loyal, l’État doit être intransigeant, pour préserver la sûreté de tous les citoyens calédoniens.
Les auditions conduites par nos collègues l’ont montré : le lien de confiance entre les citoyens de l’archipel et l’État est au point mort. Or la confiance se perd en litres, mais se gagne en gouttes, comme aimait le rappeler l’ancien président de notre groupe, Jean-Claude Requier.
Cela m’interpelle. Certes, les nombreux déplacements de délégations métropolitaines vers l’archipel, ces derniers mois, vont dans le bon sens. Mais comment ne pas prendre en compte cet inquiétant facteur dans l’équation géopolitique de l’Indo-Pacifique, complexifiée par la stratégie agressive de la République populaire de Chine ?
Le désir d’indépendance ne doit pas occulter l’équilibre très précaire qui règne dans la région. L’avenir de l’archipel ne peut s’organiser sans mettre en place une coopération renforcée dans les secteurs économiques, énergétiques et sociaux, déjà en souffrance.
Enfin, le Sénat y tient beaucoup : l’avenir doit s’écrire avec tous les acteurs et respecter le processus démocratique exigeant, à la hauteur de la devise du Caillou qui a été rappelée par notre collègue Hervé Marseille : terre de parole, terre de partage.
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera ce projet de loi organique.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui prévoit le report des élections provinciales de Nouvelle-Calédonie du mois de mai à une date non précisée, mais qui ne pourra pas excéder le 15 décembre 2024. Il prévoit également le prolongement, par voie de conséquence, du mandat en cours des membres du congrès et des assemblées de province élus le 12 mai 2019.
Selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, les élections peuvent être reportées et le mandat des élus concernés prolongé, dès lors que la mesure est justifiée par la poursuite d’un intérêt général et qu’elle n’est pas disproportionnée.
Le Conseil d’État a estimé, dans ses avis du 7 décembre 2023 et du 25 janvier 2024, que le présent texte satisfaisait à cette double exigence de justification et de proportionnalité.
Il souligne d’abord que l’objectif est la mise en œuvre d’une révision constitutionnelle prévoyant la réforme du corps électoral en vue des prochaines élections provinciales. En effet, le corps électoral pour ces élections est gelé depuis la réforme constitutionnelle du 23 février 2007. Il en résulte qu’en 2022 près de 20 % des électeurs, soit 41 679 personnes, étaient inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie sans pour autant être inscrits sur la liste électorale spéciale pour les élections provinciales. Or les provinces exercent de larges compétences.
Organiser un scrutin sur cette base électorale restreinte pourrait entraîner des conséquences en droit électoral que personne ne souhaite. Il revient donc aux forces politiques calédoniennes de s’entendre pour déterminer la composition, dont on connaît l’importance et la spécificité pour ce territoire, du corps électoral appelé à voter pour les prochaines élections provinciales.
Ensuite, le Conseil d’État indique que le délai retenu, certes ambitieux, reste suffisant pour permettre la bonne tenue du scrutin.
Il vous appartenait néanmoins, monsieur le ministre, de parer à l’éventualité d’un échec des discussions. Aussi avez-vous déposé, le 29 janvier dernier, un projet de loi constitutionnelle modifiant le corps électoral pour les élections provinciales et l’ouvrant aux électeurs qui, inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, sont nés sur ce territoire ou y sont domiciliés depuis au moins dix ans. Cette révision constitutionnelle entrerait en vigueur le 1er juillet 2024, après adoption par le Parlement réuni en Congrès, sauf si un accord politique et institutionnel était conclu entre les partenaires avant cette date – ce qui reste, bien évidemment, l’objectif premier du Gouvernement.
L’atmosphère dans laquelle s’est déroulé votre récent déplacement dans l’archipel ne doit pas faire oublier l’attention particulière que le Gouvernement a portée aux positions exprimées par les membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, y compris ceux qui ont exprimé des réticences vis-à-vis de toute révision du corps électoral, pour construire une solution pacifiée.
Pour conclure, je dirai que nous avons tous été témoins de la capacité de la Nouvelle-Calédonie à trouver des accords ; nous savons qu’elle en a la force et les ressources. Elle nous l’a démontré à plusieurs reprises : en 1988 avec les accords de Matignon, puis en 1998 avec ceux de Nouméa. Elle nous l’a montré alors même que s’étaient produits des conflits si lourds et si tragiques. Je suis certain qu’elle saura dépasser les clivages, cette fois encore, pour parvenir à un accord qui satisfasse l’ensemble des forces en présence.
Comparaison n’est pas raison, mais je sais ce que c’est que d’appartenir à un territoire singulier. C’est pourquoi je veux assurer les Calédoniens du soutien et de l’amitié du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, qui votera en faveur de ce projet de loi organique reportant de sept mois au plus les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd’hui dépasse le simple cadre d’un projet de loi organique, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, le Gouvernement a fait le choix de lier le sujet du report des élections au projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral. Or ce dernier sujet, le corps électoral, est la clé de voûte des accords trouvés jusqu’ici. Sans cet élément majeur dans la construction de la paix en Nouvelle-Calédonie, c’est un compromis qui risque de s’effondrer – et je pèse mes mots.
En effet, au-delà du report des élections des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, c’est la considération de tous les Néo-Calédoniens qui est en jeu. Or c’est à eux, mes chers collègues, et à eux seuls, de trouver les chemins de la concorde.
Le sujet dépasse même les 270 000 habitants de l’île, car la méthode utilisée par le Gouvernement est contre-productive. Les accords de Matignon, signés en 1988 sous le Gouvernement de Michel Rocard, ou encore les accords de Nouméa, sous Lionel Jospin, ont pu être trouvés grâce à une logique de consensus, grâce à un credo : la discussion, encore et toujours, comme pilier de la résolution des conflits.
Aujourd’hui, le Gouvernement estime que les élections doivent être reportées – dont acte ! Il considère que le corps électoral doit être dégelé et il impose un délai de quelques mois pour que tout le monde se mette d’accord, en identifiant déjà dans ce projet de loi constitutionnelle une solution. C’est donc une rupture totale de méthode à laquelle nous faisons face ; cela ne correspond ni à l’histoire de ce territoire ni à l’esprit qui a conduit jusqu’ici aux solutions de paix.
Le sujet qui nous anime est celui de la décolonisation et son corollaire : quelle forme d’autodétermination ? Plus largement, c’est aussi la question du droit à l’émancipation qui nous est posée aujourd’hui. Ce ne sont pas là de vains mots, surtout pour la Nouvelle-Calédonie qui a une histoire complexe, parfois troublée, avec des drames faits de larmes et de sang.
Pour atteindre ses objectifs légitimes, l’État doit être le moteur et le pilier des discussions entre les partisans de l’indépendance et ceux qui s’y opposent, sachant que la diversité est grande dans les deux camps. Il doit faire preuve d’impartialité, j’y insiste, et de la plus grande neutralité, seules garantes de son rôle central et de la tenue de débats internes sereins.
En imposant une solution, en imposant des délais courts, le Gouvernement ne respecte plus ces préceptes et opère un changement de paradigme que j’estime dangereux. Quand la réflexion est contrainte, il ne reste souvent plus que l’émotion, qui est rarement bonne conseillère.
Les accords de Matignon comme de Nouméa sont le fruit de longs processus de discussion entre les forces en présence, animés par l’État, certes, mais sans que jamais celui-ci se substitue aux forces calédoniennes.
L’objectif qui doit rester le nôtre est le consensus. Les choix opérés depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron démontrent une partialité délétère. Ainsi, en 2021, comme cela a été rappelé plusieurs fois déjà, une controverse sur la date du dernier référendum prévu par l’accord de Nouméa a été soulevée et l’État a tranché de manière unilatérale, pour reprendre un terme utilisé tout à l’heure par le ministre de l’intérieur.
Mes chers collègues, nous ne nous prononçons aujourd’hui que sur un aspect très précis – rompant d’ailleurs ainsi avec l’esprit global de l’accord de Nouméa. Ce report, auquel nous sommes favorables, doit servir à de nouvelles discussions entre les responsables locaux, qui ont la lourde tâche de faire émerger une nouvelle solution partagée qui ne puisse pas être durablement remise en cause par un arbitrage trop dur de l’État – ce qui serait d’ailleurs contraire aux intérêts de la Nation.
Je veux dire au Gouvernement que la cohésion politique ne se décrète pas : elle se construit avec l’ensemble des acteurs locaux.
L’esprit de responsabilité qui a toujours animé les socialistes nous conduit aujourd’hui – même si nos amendements ne sont pas retenus – à constater l’impossibilité de tenir des élections et donc à être favorables au report. Il faut donner du temps au temps et, en Nouvelle-Calédonie, mes chers collègues, ce temps est nécessairement très long. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commence par remercier le rapporteur pour son travail et par rappeler l’attachement de notre groupe, présidé par Bruno Retailleau, à la Nouvelle-Calédonie.
Cet attachement semble réciproque, puisque, par trois fois, ses électeurs ont réaffirmé qu’ils souhaitaient lier leur destin à celui de la République. Mais, dans notre assemblée, acquise à la décentralisation, nous savons qu’on ne pilote pas une collectivité à 17 000 kilomètres de distance.
Les sénateurs du groupe Les Républicains soutiendront ce projet de loi organique reportant au plus tard au 15 décembre 2024 l’élection des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. En effet, ce report s’inscrit dans le cadre plus large des négociations lancées après l’achèvement du processus politique balisé par l’accord de Nouméa et marqué, je le rappelle, par le troisième vote défavorable à l’indépendance du 12 décembre 2021.
Depuis cette date, les discussions entre acteurs calédoniens, mais aussi avec l’État, se poursuivent et s’intensifient avec pour objectif d’aboutir à un accord politique global et consensuel. Ces discussions, difficiles, n’ont malheureusement pas encore abouti. Pourtant, leur conclusion positive serait le gage d’un avenir institutionnel serein pour le Caillou et le maximum doit être fait afin d’en réunir les conditions.
Évidemment, le déroulement, en parallèle, d’une campagne électorale, suivie du renouvellement des assemblées provinciales et du congrès, risquerait de parasiter les négociations, d’autant plus que les mécanismes institutionnels sont eux-mêmes l’un des points de la discussion.
Or, la date de ces élections étant fixée au 12 mai 2024, il n’est pas réaliste d’envisager de conclure dans ce délai. Non seulement l’enchaînement d’un hypothétique accord et du scrutin serait délicat sur le plan pratique, mais un tel empressement serait presque certainement nuisible à la sérénité des travaux. Si nous voulons donner une chance au dialogue, ce report s’impose donc.
L’objectif d’intérêt général justifiant de différer la date des élections est indéniable, comme l’ont considéré le Conseil d’État dans ses récents avis ainsi que notre rapporteur, Philippe Bas, fin connaisseur du sujet, dont je salue les conclusions.
En outre, la consultation préalable du congrès sur ce projet de loi organique a démontré que le report était largement approuvé par les élus du territoire, puisque les deux tiers d’entre eux se sont exprimés en sa faveur.
Quoiqu’il paraisse difficile de dire avec certitude si un accord sera trouvé d’ici décembre, la commission a estimé préférable de s’en tenir, à ce stade, à la date proposée par le Gouvernement, position partagée par les sénateurs du groupe Les Républicains.
J’aborderai également la question du corps électoral. Souvenons-nous que la création d’un corps électoral spécial était une dérogation d’une telle ampleur au principe d’égalité devant le suffrage qu’elle avait nécessité de modifier la Constitution. Son évolution nécessitera donc une nouvelle réforme constitutionnelle.
À ce sujet, je tiens d’ailleurs à m’associer au souhait exprimé en commission des lois d’inscrire le futur texte constitutionnel dans le cadre d’un accord global entre les partenaires calédoniens. Un tel compromis est plus indispensable que jamais pour l’avenir de ce territoire qui fait face à d’importants défis économiques et sociaux – l’incertitude institutionnelle ne rend que plus compliqué de les relever. La fragilité de la filière nickel en est une illustration.
Pour leur développement, nos collectivités ont certes besoin d’un cadre institutionnel adapté et accepté. Mais cela ne constitue qu’un préalable et non un aboutissement. Pour faire exister le rêve français jusqu’en mer de Corail, nous devons offrir des perspectives à la jeunesse insulaire. Et la prospérité de demain se bâtit aujourd’hui, en faisant travailler ensemble le Gouvernement, le Parlement, les élus et les forces vives de la Nouvelle-Calédonie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie
Avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Temal, Mme Narassiguin, M. Kanner, Mmes Artigalas et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La recherche du consensus, initiée depuis les accords de Matignon signés le 26 juin 1988 par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, sous l’égide de Michel Rocard, Premier ministre et l’Accord de Nouméa signé le 5 mai 1998 par Lionel Jospin Premier ministre, avec Jacques Lafleur, et Roch Wamytan, constitue une donnée fondamentale de l’élaboration de l’organisation politique qui doit prendre la suite de celle issue de l’Accord de Nouméa.
Ainsi, à l’occasion du report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, l’État prend toute sa part à la création des conditions indispensables à l’émergence, par le dialogue et la reconnaissance mutuelle, d’une solution politique équilibrée, consensuelle et durable quant à l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement vise à créer une forme de préambule au projet de loi organique, insistant sur la nécessité de préserver l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa. Il tend également à formuler une mise en garde.
En premier lieu, il rappelle que la méthode de discussion entre les partenaires, adaptée à chaque fois aux circonstances nouvelles, apparaît comme une donnée structurante, un cadre intangible et contraignant, qui s’impose aujourd’hui à l’action des femmes et des hommes impliqués dans l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie pour définir l’après-accord de Nouméa.
Le temps de la discussion et du compromis constitue une variable déterminante dans l’histoire récente de ce territoire. Cette méthode a fait ses preuves, en rétablissant et en maintenant la paix civile, en faisant fonctionner des institutions spécifiques, en engageant le rééquilibrage en matière de développement économique et de formation et en permettant d’insérer la Nouvelle-Calédonie dans son environnement régional.
Il s’agit également d’une méthode qui témoigne de la confiance accordée aux responsables politiques de la Nouvelle-Calédonie. Ceux-ci font preuve d’un grand sens des responsabilités et d’une profonde maturité politique, qui ont toujours permis de surmonter les moments de doute ou de découragement.
Aujourd’hui, l’option retenue par le Gouvernement est à l’opposé de cette démarche constructive et pragmatique, qui s’appuie sur la réalité de la destinée de la Nouvelle-Calédonie et qui rejette toute décision imposée unilatéralement sans profiter à personne.
Si le Gouvernement persiste dans cette voie inappropriée en maintenant le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral déposé dans le prolongement du présent projet de loi organique, il engage sa responsabilité au premier chef.
À chaque fois qu’il donne le sentiment d’être sorti de sa neutralité, il laisse la place aux tensions, qui risquent de s’aggraver, comme on a pu le constater à Nouméa lors du dernier déplacement du ministre de l’intérieur en Nouvelle-Calédonie. Nous appelons une fois de plus à de nouvelles initiatives pour retrouver la voie du consensus et de la conclusion d’un accord global.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a longuement étudié cet amendement. Elle en a débattu et je dois vous dire qu’elle en partage la bienveillance. En effet, la commission des lois tout entière souscrit à cette évidence, reconnue sur toutes les travées de notre hémicycle, que la recherche d’un accord est toujours préférable à l’action unilatérale de l’État.
Mais cet amendement n’est pas du droit ; il ne tend à poser aucune règle. Il s’agit, en quelque sorte, d’une profession de foi qu’on aurait fait précéder des mots « article additionnel » : ce n’est en rien un véritable article de loi.
La commission des lois approuve la profession de foi, mais elle est défavorable à l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un bien mauvais procès fait aux gouvernements qui se sont succédé depuis les accords de Matignon et de Nouméa que de considérer qu’ils n’ont pas tous été guidés par la recherche du consensus, dont le comité des signataires a constitué le creuset – un gouvernement socialiste y a d’ailleurs pris sa part.
Jamais, dans cette affaire, l’État n’est sorti de sa neutralité. Je rappelle que la consultation de décembre 2021 a été demandée par les indépendantistes en avril 2021 et que sa date a été fixée après avis favorable du congrès.
Parvenir à un accord global a toujours été et demeure l’objectif prioritaire du Gouvernement. Ce dernier a multiplié les échanges bilatéraux avec chacun des deux camps, à Nouméa comme à Paris.
Conformément à la demande du FLNKS, un bilan d’ensemble de l’accord de Nouméa et un audit de la décolonisation ont été menés, afin que ces documents servent de base aux discussions sur l’avenir institutionnel du territoire.
Plusieurs groupes de travail ont été mis en place l’an dernier, sous l’égide du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, pour explorer les diverses options possibles. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer s’est déplacé à six reprises – pas moins ! – en dix-huit mois dans l’archipel, pour tenter de renouer le dialogue nécessaire et de tisser des positions consensuelles.
Jamais – je dis bien jamais –, les membres du Gouvernement n’ont été aussi présents sur place et aussi soucieux de l’intérêt général de la Nouvelle-Calédonie. J’en reviens d’ailleurs moi-même. J’y ai passé cinq jours et j’ai fait un certain nombre d’annonces en matière d’immobilier judiciaire et de renforcement des ressources humaines et dans le domaine pénitentiaire.
Je ne crois pas que l’État soit d’une quelconque manière défaillant pour tenter de faire émerger une solution équilibrée, consensuelle et durable.
Le Président de la République a exprimé cette volonté avec force lors de son voyage officiel à Nouméa en juillet dernier, en invitant l’ensemble des Calédoniens à définir eux-mêmes le chemin de l’avenir, en ce qui concerne tant la question institutionnelle que bien d’autres enjeux essentiels, comme le développement et le rééquilibrage économiques, la lutte contre les inégalités ou la réponse, urgente, à apporter au défi du réchauffement climatique dans le Pacifique.
C’est pourquoi le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.
M. Georges Naturel. Les auteurs de cet amendement nous proposent en fait de consacrer ce que fait déjà l’État, depuis des années, dans les négociations entre les différentes parties en Nouvelle-Calédonie.
Malheureusement, l’article additionnel qu’ils nous proposent d’adopter constitue uniquement une déclaration d’intention. Il n’aurait aucune valeur, ni juridique ni politique.
Naturellement, sur le fond, nous nous rejoignons sur le fait que l’État doit jouer un rôle d’arbitre neutre dans le dossier calédonien pour permettre l’émergence d’un consensus et garantir la stabilité.
Néanmoins, qualifier d’« inappropriée », comme c’est le cas dans l’exposé des motifs de cet amendement, la démarche actuelle de l’État – démarche qui répond aux attentes des Calédoniens pour plus de justice et de démocratie – me semble exagéré et justement inapproprié…
Il est nécessaire de parvenir à un consensus et de continuer le dialogue. C’est important. Nous n’avons d’ailleurs cessé de le rappeler dans chacune de nos interventions sur ce texte et nous continuerons à le faire. Néanmoins, il n’est nullement utile de l’inscrire dans le corps même de ce projet de loi, qui vise uniquement à reporter la date des élections provinciales.
C’est pour cette raison que je voterai contre cet amendement et que j’invite mes collègues de la majorité sénatoriale à s’y opposer également. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement a effectivement, comme l’a indiqué le rapporteur, une valeur déclarative. Il traduit une intention : réaffirmer les principes qui ont toujours guidé la recherche d’un consensus aussi large que possible en Nouvelle-Calédonie.
Le but est justement, monsieur le garde des sceaux, de rappeler au Gouvernement que tous ses prédécesseurs ont, depuis 1988, recherché des solutions d’apaisement afin de mener à son terme le processus d’autodétermination.
Si nous avons choisi de déposer cet amendement et si nous le maintenons, alors que nous savons très bien qu’il n’a pas – je le reconnais – de portée juridique, c’est parce que le Gouvernement a fait le choix d’établir un lien entre ce projet de loi organique, dont nous ne contestons pas la nécessité, et le projet de loi constitutionnelle que nous aurons à examiner ultérieurement et qui constitue pour nous une rupture dans la manière de procéder ayant prévalu jusque-là.
C’est pourquoi nous voulons que le Sénat se prononce sur cet amendement. Son adoption constituerait une affirmation politique forte que la recherche du consensus est la voie qui doit prévaloir.