M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, issu des assises organisées au mois de mars dernier, le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires procède d’une intention louable qui doit tous nous mobiliser : lutter efficacement contre les dérives sectaires, dont la multiplication et la diversité doivent nous interroger collectivement.
Ce projet de loi marque un regain d’intérêt bienvenu pour la lutte contre les dérives sectaires, après des années de relatif désengagement.
Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a aujourd’hui dix ans, une période au cours de laquelle il n’a été suivi de presque aucun effet. Au contraire, ces dix années ont été celles d’une remise en cause de la Miviludes et de son fonctionnement.
Ce projet de loi est présenté comme une réponse aux nouveaux visages des dérives sectaires, que l’arsenal pénal existant peinerait à appréhender, en particulier dans le domaine de la santé.
En effet, l’ensemble des acteurs s’accordent à décrire deux évolutions majeures : d’une part, on assiste au développement des moyens électroniques de communication et des réseaux sociaux ; d’autre part, des polémiques ont éclaté autour de l’épidémie de covid-19, ce qui a provoqué une remise en cause du discours des autorités publiques en matière de santé, ainsi que des données scientifiques concernant les caractéristiques des pathologies, l’efficacité des traitements et leurs risques.
Toutefois, au lieu de procéder à une évaluation approfondie de l’arsenal pénal existant et de s’interroger sur les causes de l’émergence de nouvelles formes de dérives sectaires, le Gouvernement a considéré que les assises organisées au mois de mars dernier appelaient une réponse législative centrée, non pas sur un renforcement des moyens de la justice ou sur une meilleure formation des professionnels, ni même sur une véritable politique de prévention, d’éducation et de sensibilisation, mais sur la création de nouvelles dispositions répressives.
À l’issue des auditions de l’ensemble des acteurs impliqués dans cette lutte, ma conviction se trouve renforcée sur un point : il convient avant tout d’appliquer les lois existantes et de renforcer les moyens budgétaires et humains pour agir concrètement et pratiquement contre les dérives sectaires.
En conséquence, si nous ne pouvons qu’approuver les objectifs du Gouvernement, je vous propose, comme la commission des lois en est convenue, d’aborder l’examen de ses propositions avec pragmatisme, dans le souci de favoriser des solutions opérationnelles et inscrites dans la durée, plutôt que de nous contenter d’effets d’annonce et de solutions de façade pour affronter des problèmes malheureusement trop réels.
Juridiquement, le contenu de ce projet de loi n’apparaît pas à la hauteur des enjeux.
Je regrette en particulier que le Gouvernement ait tenu à maintenir certaines dispositions en dépit de l’avis négatif du Conseil d’État, qui a estimé, selon les cas, qu’il n’était pas nécessaire de légiférer ou que certaines dispositions pourraient être considérées comme inconstitutionnelles.
Il me semble que la gravité du sujet, ainsi que les difficultés que nous rencontrons pour combattre des acteurs parfois très organisés et disposant d’importants moyens, doit nous inciter à la plus grande responsabilité et, avant tout, à une vigilance particulière.
Depuis la loi About-Picard, le Sénat a toujours fait preuve de constance sur ce point : il n’est ni envisageable de proposer de fausses solutions aux victimes ni souhaitable de légiférer sans que la nécessité de le faire soit avérée, au risque de fragiliser tout l’arsenal pénal existant.
Il convient également de veiller aux effets de bord de règles que l’on nous dit destinées à lutter contre les dérives sectaires, mais qui auront en fait une portée générale.
La commission des lois a, en conséquence, décidé de supprimer les articles 1er, 2 et 4 du projet de loi.
L’article 1er doublait en effet les infractions existantes et risquait de créer une confusion dommageable dans l’application du droit pénal, notamment s’agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales.
L’article 2 en tirait les conséquences en créant, en miroir de la circonstance aggravante d’abus de vulnérabilité, une circonstance aggravante de mise sous sujétion pour les infractions les plus graves.
L’article 4 visait enfin à réprimer les provocations à l’abstention ou à l’arrêt d’un traitement susceptibles de porter gravement atteinte à la santé d’une personne, que cette provocation ait été ou non suivie d’effet.
Bien que restreint dans sa portée depuis les sévères critiques du Conseil d’État, cet article demeurait attentatoire aux libertés, sans pour autant garantir une grande efficacité contre l’essor du discours en faveur des dérives sectaires. Nous finirions paradoxalement par desservir la cause que nous prétendons défendre si nous laissions les tenants de ces dérives se draper dans le manteau des libertés.
D’autres dispositions proposées par le Gouvernement nous semblent en revanche aller dans le bon sens. C’est pourquoi nous nous sommes attachés, en commission des lois, à en renforcer la solidité juridique.
Je pense à l’article 3, qui vise à rendre plus aisée la faculté donnée aux associations de se porter partie civile, en substituant à la nécessité d’une reconnaissance d’utilité publique un nouveau mécanisme d’agrément plus souple. Cette mesure exprime une reconnaissance du rôle indispensable joué par les associations de défense de victimes aux côtés de la Miviludes.
De la même manière, l’article 5 renforce l’information des ordres professionnels, au premier rang desquels l’ordre des médecins, sur les décisions judiciaires prises à l’encontre de leurs membres pour des agissements impliquant des dérives sectaires en lien avec leur exercice professionnel. J’y vois une avancée qui éclairera les décisions ordinales dès lors qu’une condamnation ou un contrôle judiciaire en lien avec l’exercice médical aura été prononcé.
Enfin, l’article 6 prévoit de confier à la Miviludes le rôle nouveau d’amicus curiae, pour faciliter son intervention en tant qu’expert dans les procès.
Par ailleurs, la commission des lois a considéré que ce texte nous donnait l’occasion de mettre en œuvre les recommandations des rapports parlementaires ayant fait date, particulièrement celles du rapport de la commission d’enquête sénatoriale de 2013.
Nous avons tout d’abord voulu doter la Miviludes d’un statut législatif, ce qui permettra enfin d’inscrire cette mission dans la durée et de conforter sa vocation interministérielle, qui est actuellement très paradoxale pour un organisme rattaché à un service du ministère de l’intérieur. En outre, ce statut protégera son président, ainsi que les personnes qui lui adressent des signalements contre les procédures abusives.
Ensuite, je n’ai pu que m’étonner de l’absence, dans le texte du Gouvernement, de dispositions réprimant les nouveaux modes opératoires des auteurs d’infractions en lien avec les dérives sectaires, et ce malgré les récentes évolutions du droit pénal en matière de répression des infractions commises en ligne.
En conséquence, nous avons introduit dans le texte de nouvelles mesures renforçant la répression des délits d’exercice illégal de la médecine, de pratique commerciale trompeuse et d’abus de faiblesse, dès lors qu’ils sont commis en ligne ou au moyen de supports numériques ou électroniques.
En outre, j’ai apporté un soin particulier à la prise en compte de la situation spécifique des mineurs victimes de dérives sectaires, en prévoyant que le délai de prescription ne courra qu’à partir de leur majorité, et en renforçant les sanctions applicables au placement d’un enfant dans une situation d’isolement social. Je souhaite remercier sur ce point Nathalie Delattre avec qui j’ai travaillé sur ce sujet tristement d’actualité.
Enfin, il me semble que certains amendements déposés par nos collègues de toutes sensibilités politiques pourraient utilement compléter la version sénatoriale de ce projet de loi.
Je pense en particulier aux amendements de François Bonneau, Corinne Imbert et Martine Berthet relatifs à l’exercice illégal de la pharmacie et de la biologie en ligne, mais également aux amendements de Guy Benarroche sur le maillage territorial des acteurs de lutte contre les dérives sectaires. J’émettrai en conséquence un avis favorable sur ces amendements.
Pour conclure, il me semble que nous ferons œuvre utile si nous parvenons à ne pas donner l’illusion de créer ce qui existe déjà, si nous évitons par conséquent de faire moins bien et de contribuer à la confusion des normes et si, en revanche, nous conduisons un travail législatif réfléchi et transpartisan jusqu’à son terme.
Je vous propose en conséquence d’adopter ce texte, largement complété par la commission des lois et expurgé de ses principales fragilités juridiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’actualité souligne la pertinence de nos travaux. En effet, l’exploitation de femmes par un mouvement sectaire, au travers de pratiques tantriques, et l’enlèvement d’un enfant caché au sein d’un groupe nomade ont mis au jour le rôle de deux structures sectaires transnationales qui avaient échappé aux radars pendant de nombreuses années.
Dans ces deux cas, des groupes ont instrumentalisé nos libertés au détriment des intérêts de leurs membres, alors qu’elles ont été conçues au service de l’individu avant tout. La loi de 2001 avait déjà permis de souligner que de tels mouvements portaient atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Dans le cadre de la République, l’individu doit rester un citoyen souverain ; aussi doit-il être protégé. Faut-il rappeler, à la suite de Lacordaire, que, « entre le faible et le fort, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » ?
Nous espérions un projet de loi plus ambitieux. À l’occasion des assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires, qui se sont tenues au mois de mars dernier, le Gouvernement a présenté une feuille de route pour les dix ans à venir.
Ces assises avaient été précédées par de nombreux rapports rédigés par les membres de nos deux assemblées, qui avaient trait aussi bien à la situation financière de ces mouvements et aux mineurs victimes des sectes qu’à la santé. Je pense en particulier au rapport issu des travaux de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, présidée par mon collègue sénateur du Vaucluse, Alain Milon, rapport qui ne trouve aucun écho dans le présent projet de loi.
La feuille de route annoncée semble se réduire à la taille d’un confetti, même si j’ai bien conscience qu’il reste encore neuf ans pour la réaliser !
Cette déception est particulièrement marquée pour ce qui concerne le choix du Gouvernement de se concentrer sur la seule réponse pénale.
Faut-il lier cette approche à la décision gouvernementale, prise voilà quatre ans, de rattacher la Miviludes au ministère de l’intérieur ? Je le pense. Aussi souhaiterais-je que le Gouvernement prenne conscience de ce tropisme réducteur et rende à la Miviludes le caractère interministériel et l’indépendance nécessaires à l’exercice de ses missions. C’est pourquoi je souscris à la proposition de la commission des lois d’accorder un statut législatif à la Miviludes.
Renforcer les moyens humains et financiers de la Miviludes, comme l’a souligné notre rapporteure, est plus que jamais nécessaire pour prévenir efficacement la menace sectaire nationale et internationale, au sein de laquelle les réseaux sociaux, les outils informatiques, notamment l’intelligence artificielle, et les « gourous 2.0 », qui expriment souvent des thèses conspirationnistes, jouent un rôle prédominant.
Au lieu de renforcer la Miviludes, le Gouvernement abandonne pourtant l’accompagnement des victimes aux membres de la société civile, qui n’ont pas obligatoirement les compétences professionnelles requises, en dépit de leur engagement.
Disposer d’une législation spécifique contre les dérives sectaires est également nécessaire, malgré l’existence d’un arsenal législatif de portée générale. L’argument selon lequel la législation existante serait suffisante avait déjà été avancé lors de l’élaboration de la loi de 2001.
Toutefois, répéter aujourd’hui une telle antienne ne sert à rien. En effet, après une vingtaine d’années d’application timide, la loi de 2001 a montré ses limites ; aussi le volet pénal doit-il réellement être amélioré. Il est ainsi urgent d’attribuer un code spécifique aux affaires où une dérive sectaire est liée à une infraction dite « ordinaire », afin que la Miviludes en soit informée.
L’article 1er, qui visait à créer une infraction autonome d’abus frauduleux de la situation de faiblesse résultant de l’état de sujétion d’un individu, a été supprimé par la commission. Sa rédaction était certes problématique, mais cette suppression revient à vider de sa portée la défense des personnes ainsi mises en sujétion. L’article 223-15-2 du code pénal, à la rédaction souvent mal comprise, resterait difficile à appliquer. Les victimes pourraient en pâtir. Il faudra donc, à l’évidence, revenir sur ce sujet.
Pour comprendre cette difficulté d’application, il convient de revenir brièvement sur la genèse de l’article 223-15-2 du code pénal réprimant l’abus frauduleux de l’état de faiblesse d’une personne. Selon cet article, plusieurs catégories de personnes sont considérées comme particulièrement vulnérables : le mineur, la personne âgée, la personne atteinte d’une maladie, d’une déficience physique ou psychique, ou encore la femme enceinte.
C’est la loi de 2001, votée à l’unanimité, qui a élargi la protection des personnes vulnérables à celles « en état de sujétion psychologique ou physique », cette protection ne se limitant pas à celle de leurs biens. En outre, l’alinéa 2 de l’article 223-15-2 du code pénal dispose que, si l’infraction est commise par le dirigeant d’un groupement créant, maintenant ou exploitant une telle sujétion, les peines sont alors aggravées. Cet alinéa introduit surtout l’idée que la sujétion peut être créée.
La difficulté de distinguer les personnes intrinsèquement vulnérables de celles dont la vulnérabilité est due aux pressions exercées par le dirigeant d’un groupe abusant de leur faiblesse a été mise en évidence par les différentes décisions de justice rendues depuis 2001.
Certaines décisions exigent, à tort, que soit démontrée l’existence d’une vulnérabilité préexistante, alors que la loi précisait clairement que cet état pouvait être créé. Cette confusion découle de la façon dont la sixième catégorie de personnes vulnérables a été inscrite dans le code pénal par le législateur, animé par la volonté de protéger les biens de ces personnes.
C’est le déplacement de cet article du code pénal depuis le titre relatif à la protection des biens vers celui concernant les atteintes aux personnes qui a entraîné cette confusion. On a ainsi occulté l’intention d’assujettissement des personnes par les groupements cités dans cet article du code pénal, à l’encontre de l’esprit de la loi de 2001, qui rappelait l’atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales commise par un tel groupement.
L’article 1er du projet de loi visait à préciser quelque peu la situation de la personne assujettie en instituant un délit autonome permettant de réprimer les agissements ayant pour effet de créer cet état, ce qui était réclamé par les praticiens défendant les victimes de tels abus.
Toutefois, la suppression de cet article, du fait de sa rédaction problématique, peut-être hâtive, fait qu’il s’agit, à ce stade, d’un rendez-vous manqué.
Les dossiers d’emprise sectaire que je souhaite évoquer impliquent l’existence de la dimension de groupe mentionnée à l’article 223-15-2 du code pénal.
La cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires définit cette dimension comme une forme archaïque de gouvernement, au sein de laquelle le manipulateur cumule les trois pouvoirs normatif, exécutif et judiciaire. Cela crée une forme de toute-puissance qui légitime la soumission de l’adepte, tout en masquant la coercition à l’œuvre.
Cette dimension de groupe évite la confusion avec les conflits intraconjugaux. La réflexion sur la gouvernance interne des groupes de nature sectaire montre que la rédaction de l’article 1er du projet de loi aurait pu être retravaillée pour que cet article soit adopté, car il touche au fondement du paradigme démocratique.
Il importe de ne pas édulcorer, dans le présent texte, le caractère spécifique de l’emprise exercée par le groupe ; je souhaite vous mettre en garde contre ce danger, mes chers collègues. La Cour de cassation a très justement qualifié le groupe sectaire d’« institution », ce qu’il est réellement aux yeux de l’adepte assujetti.
Si les apports de la commission au présent projet de loi vont dans le bon sens, l’instauration de l’infraction de mise en état de sujétion, ou d’assujettissement, constitue, à mon sens, un outil indispensable, même si ce n’est qu’une des multiples facettes du sujet.
Mesdames les ministres, ce projet de loi est un rendez-vous manqué, car il a été rédigé de manière précipitée et n’est pas à la hauteur des enjeux décrits.
Il est nécessaire d’adapter les outils de lutte contre les dérives sectaires qui ont trait à la santé, à l’alimentation ou au développement personnel, qui utilisent le numérique et qui touchent les mineurs. Dans ce dernier cas, l’histoire d’Alex, jeune Anglais retrouvé après six années d’errance, illustre cette nécessité.
Le Sénat a travaillé avec sérieux et a amendé le projet de loi – seize amendements ont été adoptés en commission et d’autres le seront, sans doute, au cours de cette séance. Je profite d’ailleurs de l’occasion qui m’est offerte pour saluer le travail de notre rapporteure.
Toutefois, le sujet des dérives sectaires méritait mieux qu’une réaction précipitée. Il convient de protéger, selon les chiffres de la Miviludes, quelque 500 000 adeptes de mouvements sectaires et 80 000 enfants élevés dans un tel contexte, mais surtout de sensibiliser et de protéger tous ceux qui sont approchés par de tels mouvements chaque jour. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Vincent Louault. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en renforçant des dynamiques d’ores et déjà à l’œuvre, la crise sanitaire a considérablement accru la part du numérique dans nos vies. Les réseaux sociaux en ont massivement profité. Ainsi, TikTok est passé de 54 millions d’utilisateurs en 2018 à plus de 689 millions en juillet 2020.
Les algorithmes et les bulles de filtres fracturent nos sociétés et mettent en péril nos institutions. Sur ces plateformes, les individus sont de plus en plus seuls et la désinformation y circule de plus en plus vite. Alors qu’ils devaient nous lier les uns aux autres, les réseaux sociaux nous isolent.
Or les individus isolés sont des individus plus vulnérables. Le phénomène des dérives sectaires n’est pas nouveau, mais il s’adapte et tire avantage des évolutions technologiques.
L’arrestation de plusieurs responsables d’une secte de yoga sévissant en Europe nous rappelle la réalité des menaces qui pèsent sur les plus faibles de nos concitoyens : traite, séquestration, viol, ou encore abus de faiblesse.
Nous devons œuvrer davantage à leur protection. Aussi le Gouvernement entend-il, au travers du texte qui nous est soumis, renforcer la répression des mouvements qui exploitent la vulnérabilité des personnes.
La commission des lois a déploré, à juste titre, le manque de moyens de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. C’est d’autant plus regrettable que la Miviludes doit répondre à un nombre de signalements actuellement en forte augmentation, comme la commission a pu elle-même s’en convaincre.
La commission a également cherché à enrichir le projet de loi, notamment par l’introduction de circonstances aggravantes au délit d’abus de faiblesse relatives à l’utilisation de moyens de communication en ligne.
L’objectif de notre rapporteure a été, plutôt que d’ajouter de nouvelles dispositions au droit en vigueur, de mieux appliquer celles qui existent déjà.
Néanmoins, nous remarquons que le projet de loi n’a pas été réduit par la commission ; elle l’a enrichi, y compris pour transcrire dans la loi des dispositions aujourd’hui de valeur réglementaire. Nous craignons seulement que ces mesures soient insuffisantes.
La commission a, dans le même temps, supprimé l’article 1er, qui créait un délit de placement ou de maintien d’une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique, puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Tout comme les associations d’aide aux victimes, nous regrettons cette suppression. En effet, ce nouveau délit aurait contribué à mieux protéger nos concitoyens, en donnant aux forces de l’ordre et aux magistrats les moyens de poursuivre et de condamner les personnes ayant commis des actes qui échappent encore à la justice.
L’article 4 visait, quant à lui, à mieux réprimer les dérives relatives aux médecines alternatives. En la matière, la Miviludes indique faire face à une hausse très significative des signalements. La pandémie de covid a, semble-t-il, libéré la créativité des détracteurs de la science, et ce jusqu’au sein de notre assemblée !
La commission a choisi de supprimer l’article 4. Nous voulons croire que cette suppression a été motivée par les réserves exprimées par le Conseil d’État plutôt que par les centaines de courriels envoyés par les principaux intéressés. Reste qu’un moyen de mieux lutter contre les dérives sectaires en matière de santé devra être trouvé.
En l’espèce, l’article 5 constitue une avancée et nous nous félicitons qu’il ait échappé à la suppression. En effet, il nous semble important que les ordres professionnels soient informés des dérives de leurs membres et puissent prendre les mesures qui s’imposent à leur égard.
Dans un monde de plus en plus numérique, nous redoutons que les dérives sectaires continuent leur progression. La question des moyens financiers consacrés à la lutte contre de tels mouvements est assurément incontournable. Aussi devons-nous renforcer ceux de la Miviludes.
La prévention constitue également un aspect important de la lutte contre les dérives sectaires. Nous devons faire davantage en la matière si nous voulons éviter que nos concitoyens vulnérables en deviennent victimes.
Toutefois, notre arsenal répressif devra être adapté si nous voulons que la justice puisse agir avant que des drames ne se produisent.
Cela étant dit, notre groupe souscrit aux objectifs définis dans le projet de loi du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, aujourd’hui, les dérives sectaires se multiplient, en partie à cause des réseaux sociaux, qui permettent à ces discours de toucher le plus grand nombre.
Cette menace a aussi grandement évolué. Aux groupes à prétention religieuse vient désormais s’ajouter une multitude d’individus qui investissent plus particulièrement les domaines de la santé, de l’alimentation et du bien-être.
Ainsi, en 2021, 4 020 signalements ont été enregistrés – un record ! Ce chiffre est en augmentation constante depuis plusieurs années : +33 % entre 2020 et 2021, +86 % depuis 2015.
Devons-nous lutter, ou considérer que, après tout, chacun est libre de penser et de se soigner comme il l’entend ?
Pour ma part, j’estime que notre mission est de protéger la société d’individus qui, sous couvert de bienveillance, placent les gens sous leur contrôle pour faire d’eux leur « chose » et, au passage, accaparer leurs biens.
En effet, ne nous y trompons pas, derrière l’ouverture des chakras, la transcendance interplanétaire ou le traitement de la calvitie par le jus de betterave se cache une réalité bien plus matérielle, faite d’espèces sonnantes et trébuchantes. Les gourous recherchent, bien souvent, autant la soumission psychique que celle des comptes en banque…
Les Inconnus traduisaient bien cet état de fait, lorsqu’ils faisaient dire à Skippy, le grand gourou : « Tout bien que tu détiens est un souci qui te retient ! »
Il nous faut donc lutter contre de tels individus. Bien sûr, on pourra m’opposer que des sanctions pénales répriment d’ores et déjà les pratiques commerciales trompeuses, l’exercice illégal de la médecine, le harcèlement moral, ou encore l’abus de faiblesse. C’est vrai, mais est-ce suffisant ? Au regard des chiffres et des rapports publiés, il est probable que non. Après avoir entendu la cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires (Caimades), assurément, cela ne l’est pas.
En effet, nous sommes confrontés à une menace particulièrement difficile à appréhender, protéiforme, discrète, dont les auteurs jouent souvent avec les limites de la légalité, en s’abritant derrière la liberté de conscience pour isoler petit à petit leurs victimes, qui n’ont pas conscience de l’être.
Par conséquent, il est de notre responsabilité de doter l’État – les magistrats, les policiers et les gendarmes – des outils juridiques les plus efficaces. Ce n’est pas simple !
En effet, le périmètre du projet de loi du Gouvernement était apparemment trop large, en particulier pour les articles 1er et 4. Pourtant, à mes yeux, une réécriture plus fine des articles en cause aurait été préférable à leur simple suppression.
L’enjeu le mérite. Il semblerait que la nouvelle rédaction du texte ne convienne pas non plus. Espérons que la navette parlementaire permette d’aboutir à une version du projet de loi pointant au plus juste les dérives que nous combattons.
En revanche, je salue le travail de la rapporteure visant à consacrer les pouvoirs et le rôle de la Miviludes dans la lutte contre les dérives sectaires.
Les acteurs de cette lutte étaient très inquiets lorsque la Miviludes a changé de ministère de tutelle. Les remous qui s’ensuivirent autour de la figure du préfet Gravel ne firent qu’accentuer cette inquiétude.
Espérons donc que le présent projet de loi donne un nouveau souffle à la Miviludes, afin qu’elle puisse conduire les actions de prévention ambitieuses qui font aujourd’hui défaut à la réponse publique.
Notre groupe regrette également que la question des financements ne soit pas abordée par le Gouvernement dans ce projet de loi. Ma collègue Nathalie Goulet aura l’occasion de détailler nos préoccupations sur ce sujet.
En fin de compte, plus que louable, l’intention du Gouvernement est nécessaire. Ces menaces évoluent particulièrement vite. Or, en toute franchise, nous avons déjà pris du retard !
En ce sens, j’espère que nous aurons l’occasion d’enrichir le texte au cours de nos débats et de la navette parlementaire ; en attendant, le groupe Union Centriste votera le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)