Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette mission « Administration générale et territoriale de l’État » fait toujours l’objet d’une attention particulière au Sénat, parce que les services préfectoraux, qui en constituent le cœur, sont essentiels à l’efficacité de nombreux services publics, mais aussi parce que, étant pour beaucoup d’anciens élus locaux, nous sommes spécialement sensibles à la qualité de la relation entre lesdits élus et les préfets.
Il est une évidence qu’il faut rappeler : pour que le couple maire-préfet fonctionne, il faut que les préfectures fonctionnent. À cet égard, le projet de loi de finances pour 2024 comporte certains signaux positifs, notamment un infléchissement de la tendance qui fut celle, au cours des dix années écoulées, du programme 354 « Administration territoriale de l’État » : ce programme bénéficie pour 2024 d’une hausse de 232 ETP, dont 101 sont affectés directement au réseau préfectoral et sous-préfectoral.
Malgré tout, les moyens humains de l’État territorial demeurent rivés à des niveaux préoccupants : ces nouveaux postes compensent mal la perte de 14 % de l’effectif entre 2012 et 2020, pour un total actuel d’environ 30 000 agents des préfectures et sous-préfectures.
Du reste, si le renforcement du rôle de pilotage du préfet de région dans le redéploiement de certains effectifs constitue une intéressante action de déconcentration de certaines décisions dans le domaine des ressources humaines, il importe cependant que ce nouveau processus de décision ne se fasse pas au détriment de la bonne information du Parlement.
Concernant le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », on note un surcroît de vigilance et une réforme du secrétariat général du CIPDR ; voilà qui est bienvenu, surtout après la peu glorieuse – et pour tout dire piteuse – affaire du fonds Marianne.
La hausse importante des autorisations d’engagement de la mission n’est toutefois liée, pour l’essentiel, qu’à une opération immobilière de grande envergure – l’édification d’un nouveau site de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Saint-Ouen –, ainsi qu’à l’amorce de deux cycles électoraux, l’un européen, l’autre en Nouvelle-Calédonie.
Les dépenses engendrées par ces élections figurent dans le programme 232 « Vie politique », dont les crédits fluctuent logiquement au gré du calendrier électoral.
Ces facteurs étant mis à part, on constate que les crédits du programme « Administration territoriale de l’État » continuent de baisser : –7,9 % en autorisations d’engagement, et surtout –2,26 % en crédits de paiement, en euros constants. Un tel mouvement s’inscrit dans la continuité de l’érosion historique des moyens des préfectures.
Or, dans le même temps, de multiples versants de l’action territoriale de l’État restent confrontés à des problèmes considérables. Ainsi, le dispositif de délivrance des cartes nationales d’identité (CNI) et des passeports demeure sujet à d’importants dysfonctionnements : les délais de traitement sont trop longs et le recours aux personnels non titulaires se généralise au sein des centres d’expertise et de ressources des titres (CERT), qui sont chargés du traitement des demandes.
Songez que le nombre de contractuels a été multiplié par 11,7 dans les CERT CNI-passeport entre 2021 et 2023 ! On peut s’interroger, dans ces conditions, sur la capacité des services à tenir les objectifs qui leur sont fixés pour 2024 dans le projet annuel de performances en matière de délais d’instruction et de mise à disposition des titres, mais aussi sur les conditions de fonctionnement et de travail qui ont cours dans les services concernés.
La prise en charge des démarches administratives des étrangers continue elle aussi de faire l’objet de multiples difficultés, malgré la création de l’administration numérique pour les étrangers en France (Anef) : l’extrême longueur des délais d’attente complique les procédures, ce qui crée de l’insécurité juridique et des risques contentieux.
En matière de délai de traitement des demandes de renouvellement des titres de séjour, comment imaginer que l’administration puisse atteindre l’objectif de trente jours, quand la durée moyenne constatée est de soixante jours depuis la crise du covid-19 ? La politique française en matière de séjour des étrangers, quelle que soit au demeurant l’orientation qu’on entend lui donner, ne pourra tirer qu’avantage d’une accélération des démarches, dont les étrangers eux-mêmes bénéficieront.
La persistance de dysfonctionnements dans la mise en place des secrétariats généraux communs départementaux, entre préfectures et DDI, est notamment liée aux difficultés de gestion du personnel, qui ont grandement limité l’efficacité de cette réforme.
Enfin et surtout, les besoins en effectifs sont considérables dans le domaine du réarmement de l’État territorial, comme l’a rappelé fortement la Cour des comptes dans son rapport de mai 2022.
À cet égard, la réallocation des effectifs préfectoraux entre les territoires en fonction de leurs besoins demeure un impératif tout particulier. L’exécutif semble, ici ou là, le reconnaître. Cependant, comme l’a relevé le rapporteur spécial, les engagements du Gouvernement à ce sujet sont encore trop vagues : il reste à définir des critères objectifs et transparents de répartition des moyens humains entre les préfectures, prenant en compte les réalités propres à chaque territoire.
En parallèle, la priorisation des missions des préfectures telle qu’elle est présentée dans le document du ministère de l’intérieur intitulé Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 pose question : il semble en effet que cette sélection recoupe en réalité l’essentiel des missions exercées, ce qui limite grandement l’intérêt d’une telle démarche.
La position adoptée par le Sénat lors de l’examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) et les réflexions du groupe de travail sénatorial sur la décentralisation pourraient inspirer une définition intelligente des priorités ; il y aurait là un moyen utile de réaffirmer l’importance centrale du préfet dans le lien entre les services de l’État et les collectivités en général, mais aussi de promouvoir le développement de la fonction de conseil des préfectures auprès des collectivités locales.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. C’est bien, ça ! C’est dans cette direction que nous allons.
M. François Bonhomme. On est donc encore loin du réarmement de l’administration territoriale de l’État ! Au mieux, madame la ministre, l’appareil d’État s’est équipé d’un pistolet à bouchon (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.), ce qui n’est déjà pas mal et peut faire son petit effet… Mais cela ne suffira pas !
En tout état de cause, les progrès accomplis sont tout relatifs : le chemin à parcourir est encore trop long pour que l’on se satisfasse de ces crédits. Cette mission, relais budgétaire essentiel et naturel de l’action publique locale, ne répond malheureusement pas tout à fait ni aux enjeux ni aux besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » sont consacrés à la présence et à la continuité de l’État sur l’ensemble des territoires de la République, ainsi qu’au financement de la vie politique.
Ces crédits sont en augmentation de 15 % en autorisations d’engagement et de 2 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Cette hausse serait une bonne nouvelle si le diable ne se cachait pas dans les détails…
En premier lieu, le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur » se caractérise par une augmentation considérable des autorisations d’engagement, de l’ordre de 38,26 %, par rapport à 2023. Cette augmentation résulte principalement de l’engagement d’importantes dépenses au titre de la construction du nouveau site de la DGSI à Saint-Ouen.
En deuxième lieu, le programme 232 « Vie politique », qui finance l’exercice des droits des citoyens dans le domaine des élections, enregistre une explosion de ses crédits – +127,35 % en autorisations d’engagement – en raison du calendrier électoral marqué, en 2024, par le scrutin européen et par les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.
En troisième lieu, le programme 354 « Administration territoriale de l’État » supporte la majorité des crédits de la mission. Il comprend les moyens des préfectures, des sous-préfectures et des directions départementales interministérielles. Ce programme est fondamental pour l’équilibre des liens entre l’État, les collectivités et les citoyens. Et pourtant, ses crédits diminuent !
Je souhaite évoquer trois sujets qui me semblent importants.
Le premier thème saillant a trait aux délais d’instruction des demandes de documents officiels. La délivrance des titres sécurisés continue d’accuser des retards considérables : l’objectif de vingt jours de délai moyen fixé par la Première ministre lors de son discours du 21 avril dernier n’est toujours pas tenu.
Le deuxième point concerne les effectifs. La création de 232 postes semble loin d’être suffisante pour compenser la réduction puis la stabilisation des effectifs durant plus de dix ans.
Troisième sujet d’alerte : la dématérialisation des procédures. Compte tenu des évolutions technologiques, ce processus est nécessaire, et il s’est révélé efficace ; il a toutefois laissé de côté de nombreux citoyens pour lesquels la fracture numérique, territoriale et sociale est toujours une réalité quotidienne.
Madame la ministre, mes chers collègues, l’État doit répondre au sentiment d’abandon que ressentent de nombreux habitants des territoires ruraux : les relais physiques de l’État dans les communes ont trop souvent disparu au profit de services en ligne ou trop éloignés. L’État doit faire en sorte de revenir dans les territoires et de recréer le lien avec les citoyens.
Après des années d’éloignement et de sous-investissement, les attentes des citoyens sont grandes et ce budget ne semble toujours pas à la hauteur des enjeux. Pour cette raison, le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Paul Toussaint Parigi applaudit également.)
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans ce marathon budgétaire, nous voici ce soir réunis pour examiner la mission « Administration générale et territoriale de l’État », qui couvre l’un des champs d’action du ministère de l’intérieur et des outre-mer. Les crédits de cette mission permettent la mise en œuvre de trois de ses responsabilités fondamentales : garantir aux citoyens l’exercice des libertés publiques, notamment par le suffrage universel ; assurer la présence et la continuité de l’État sur l’ensemble du territoire de la République ; décliner localement les politiques publiques nationales.
Le montant des crédits du budget général s’élève pour cette mission à 5,6 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 4,66 milliards d’euros en crédits de paiement, soit des hausses respectives de 15 % et de 2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, conformes aux engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur pour la période 2023-2027.
Après des années de baisse des effectifs, puis deux années de stabilisation, le Gouvernement a enfin corrigé la trajectoire de dépouillement des moyens de l’État dans les territoires : il a décidé l’an dernier de mettre fin à l’hémorragie des effectifs des services déconcentrés de l’État, et en particulier des préfectures.
Le PLF pour 2023 prévoyait ainsi, chose inédite depuis dix ans, une hausse des effectifs des préfectures et des sous-préfectures. Aussi légère fût-elle – +104 ETP, dont 48 postes destinés à renforcer les effectifs des préfectures et sous-préfectures –, cette orientation concrétisait une inflexion de la politique menée par le Gouvernement en direction de l’administration territoriale de l’État, le leitmotiv étant désormais, et depuis 2020, de « réarmer les territoires ».
Il s’avère néanmoins que dans les territoires, et notamment dans nos préfectures et sous-préfectures, la pression est très forte sur le personnel ; les services chargés du contrôle de légalité dans les petits départements peinent par exemple à assumer pleinement leurs missions. Il peut s’ensuivre des contentieux et des difficultés pour les élus locaux.
Pour l’année 2024, le programme 354 « Administration territoriale de l’État » alloue environ 2,63 milliards d’euros aux services déconcentrés, ce qui représente une diminution des crédits de 5,6 %. Cette baisse entre évidemment en contradiction avec la volonté affichée par le Gouvernement de « réarmer » l’État territorial.
Ainsi, alors qu’au cours des dix dernières années plus de 11 000 ETP ont été supprimés, le schéma d’emploi du programme 354 ne prévoit la création que de 232 ETP. Si un tel solde est appréciable, puisqu’il est positif, les effectifs restent insuffisants pour mener à bien l’ensemble des tâches qui incombent aux services déconcentrés.
Comme l’a indiqué dans son rapport Mme la rapporteure spéciale, les délais de délivrance des titres sécurisés continuent de s’allonger et la saturation des services des préfectures, notamment ceux qui sont destinés aux étrangers, ne fait qu’empirer.
Je puis en donner la confirmation personnelle à propos de mon département des Hautes-Alpes, qui est particulièrement exposé aux migrations au long cours, en particulier à la frontière avec l’Italie : la préfecture y dispose de 3 ETP théoriques pour traiter les dossiers de près de 1 500 à 2 000 étrangers qui passent chaque année la frontière ; encore est-on, dans la réalité, plus proche de 2 ETP, puisqu’il arrive régulièrement qu’un poste reste vacant…
Vous comprendrez aisément qu’il soit difficile, dans ces conditions, de mener une politique qui ait quelque chance d’être perçue comme structurée et positive. Nombre de nos concitoyens peinent ainsi à comprendre que l’État soit si impuissant à traiter les demandes, au demeurant légales, déposées par des étrangers à leur entrée sur notre territoire.
Le réarmement des territoires que le Gouvernement appelle de ses vœux doit donc se concrétiser dans les faits. L’État territorial n’est pas un concept théorique : il doit se traduire sur le terrain par un renforcement des moyens humains et financiers.
Vous le savez tous ici, le couple préfet-maire, auquel il faut ajouter les élus locaux, est essentiel pour faire face aux difficultés que connaissent les populations. Je l’ai encore constaté ce week-end dans mon département, qui a été touché par les aléas climatiques ; je ne doute pas que Mme la ministre, qui s’y rendra demain, partage mon point de vue.
Le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur » connaît, quant à lui, un accroissement d’environ 38 % de ses crédits.
Ce programme budgétaire porte les fonctions de pilotage du ministère de l’intérieur et des outre-mer au travers des activités d’état-major, d’expertise, de conseil et de contrôle qu’il assure. La hausse de ses crédits s’explique par la poursuite de deux projets d’ampleur en 2024 : la création d’un site unique du renseignement intérieur et l’installation à Saint-Denis d’un pôle transversal des directions supports du ministère.
Le programme 232 « Vie politique » finance l’exercice des droits des citoyens dans le domaine des élections.
Si les moyens affectés audit programme ne s’élèvent qu’à 257 millions d’euros, on constate une forte augmentation des crédits – +127 % – liée à la conjoncture électorale de l’année prochaine, et notamment à l’organisation des élections européennes.
Mon souhait est que les moyens mobilisés pour accompagner l’action territoriale de l’État nous permettent d’améliorer la situation constatée dans nos territoires et de faire en sorte que le service rendu à nos concitoyens, à nos entreprises et à nos collectivités locales le soit dans de meilleures conditions.
Compte tenu de la dynamique plutôt positive de correction de la tendance très négative qu’a connue la présente mission entre 2012 et 2017, le groupe Union Centriste votera en faveur de ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir les crédits de la mission qui couvre notamment les moyens alloués à l’administration territoriale de l’État, c’est-à-dire, de facto, aux préfectures.
Les enjeux sont vastes et procèdent de la logique inversée qui a prévalu depuis 2012 : un démantèlement a eu lieu là où était nécessaire une restructuration vertueuse et efficiente de la déconcentration des services de l’État au profit des territoires.
Ce désinvestissement, la Cour des comptes l’a souligné dans son rapport de mai 2022, insistant sur la baisse disproportionnée et irréaliste des crédits de 14 % en l’espace d’une dizaine d’années, à rebours de toute logique et de tous les besoins exprimés dans les territoires.
Si notre groupe a déjà rappelé sa vive opposition à la concentration de trop nombreuses prérogatives dans les mains des préfets, nous voulons ici rappeler la nécessité de veiller à ce que la fonction préfectorale poursuive sa transformation vers un management participatif horizontal, vers davantage de collégialité dans les décisions et vers des moyens plus importants au profit des territoires, au moment décisif d’entrer avec ces derniers dans une logique de confiance.
Réarmer l’État dans les territoires, c’est remettre de l’action publique auprès des citoyens, c’est soutenir en ingénierie les projets de territoire.
Or, malgré l’inflexion décidée par le Gouvernement, qui vise à revenir sur la politique délétère de suppression et de précarisation des postes, le schéma d’emploi pour 2024 étant en hausse de 232 ETP, le réarmement territorial reste parcellaire, lacunaire ; il connaît du reste une érosion de ses crédits, en baisse de 5,60 %.
L’évolution est donc d’une ampleur limitée au vu des nombreux défis auxquels l’administration territoriale de l’État va faire face dans les prochaines années. À l’heure actuelle, ladite administration fonctionne surtout au moyen de contrats courts, ce qui engendre en son sein une perte de compétences essentielles, car l’expertise comme l’expérience, hélas ! s’étiolent.
Notre groupe a pourtant souvent rappelé ici même combien nous avons besoin d’un État du quotidien, au plus proche des territoires ; et il a dénoncé, dans le même sens, les failles qui grèvent les ambitions entourant le couple maire-préfet.
Parce que nous défendons l’égalité dans l’accès aux services publics, nous avons alerté sur les revers de leur dématérialisation massive : pour certains territoires, en particulier les territoires ruraux, comme pour certaines populations, notamment les 13 millions de nos concitoyens qui sont touchés par l’illectronisme, elle est vectrice d’exclusion davantage que de modernisation.
Nous saluons donc le commencement, attendu mais tardif, de l’augmentation des effectifs d’agents titulaires effectuant des missions d’accueil, qui s’étalera sur les trois prochaines années.
La volonté de remettre de l’humain dans les préfectures et les sous-préfectures existe ; encore faut-il qu’elle soit complètement déployée si l’on veut répondre efficacement – par le biais du fonds vert ou du programme Villages d’avenir – aux besoins croissants d’accompagnement des collectivités territoriales.
Nous comprenons l’augmentation des crédits du programme 232 « Vie politique », compte tenu de l’accélération du calendrier électoral en 2024. Nous continuons de regretter, toutefois, l’absence de fonds fléchés à destination de la démocratie locale et participative, ferment et terreau d’une démocratie vivante, élément indispensable du renouveau démocratique tant asséné, madame la ministre, par votre gouvernement.
En résumé, même si nous notons une inflexion positive qui traduit, nous l’espérons, une prise de conscience de la nécessité d’une déconcentration efficace, le besoin de réforme profond que commande cette exigence reste à notre sens largement sous-estimé au regard de tous les enjeux précédemment évoqués.
Pour ces raisons, nous nous abstiendrons de voter les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’exprimer ma gratitude envers nos deux rapporteures, et en particulier envers la présidente de mon groupe, Cécile Cukierman.
Je tiens à les remercier pour la qualité de leur travail, qui met en avant un impératif, à savoir la nécessité d’une présence accrue de l’État dans les territoires, au plus près des citoyens. À cet égard, le constat demeure inquiétant : après des années de coupes budgétaires, nous assistons à une stagnation des moyens de l’État à l’échelle locale. Une stagnation vaut certes mieux qu’une baisse, mais elle ne permet pas de compenser les diminutions des années précédentes.
Vous en conviendrez, la situation est paradoxale au regard de l’objectif, affiché par le Gouvernement, de « réarmer » les préfectures. Si elles sont réarmées, c’est à la petite cuillère, me semble-t-il…
Nous ne pouvons pas sérieusement examiner cette mission sans rappeler les dix années de coupes budgétaires qui ont conduit à la suppression cumulée de 14 % des effectifs de l’administration des préfectures. Depuis 2010, près de 12 000 postes ont été supprimés dans la préfectorale. Nous payons aujourd’hui amèrement les conséquences des politiques de réduction des dépenses : elles sont néfastes tant pour l’activité des services déconcentrés que pour l’accompagnement des usagers.
Le programme 354 prévoit certes la création de 232 ETP, mais cela ne représente une hausse que de 0,5 % des effectifs, soit un effort bien trop limité vu la baisse drastique observée cette dernière décennie.
Par ailleurs, ce texte prévoit une importante diminution du nombre de personnels de catégorie C, d’environ 100 ETP.
Dans ce contexte, l’ouverture annoncée de six sous-préfectures, dont cinq sont en réalité consécutives à des déjumelages, apparaît dérisoire eu égard à l’atrophie subie par les services de l’État territorial depuis plus de dix ans.
C’est pourquoi il nous semble que, sur au moins trois sujets, nous devons continuer à faire des efforts pour améliorer la situation.
En matière d’octroi des titres d’identité – premier sujet –, une amélioration a certes été enregistrée, mais il nous paraît essentiel de rester très vigilants.
Un deuxième sujet est particulièrement révélateur des difficultés auxquelles le réseau préfectoral fait face : c’est celui de l’accueil des étrangers. Les préfectures sont notamment chargées de garantir l’exercice des droits des étrangers pour ce qui est de l’obtention de titres. À ce propos, nous pouvons nous interroger : les moyens augmentent légèrement, mais cette hausse sera-t-elle durable ou s’agit-il en réalité d’un énième bricolage ?
L’encombrement des préfectures sous l’effet des demandes de titres de séjour est une question majeure dans tout le pays.
En outre, la généralisation des demandes de titres de séjour par prise de rendez-vous numérique n’est pas toujours adaptée au public concerné : l’accès en ligne est limité à certains horaires, parfois entre 2 heures et 3 heures du matin, ce qui donne lieu, d’ailleurs, à un commerce parallèle illégal de revente de créneaux de rendez-vous. (Mme la ministre déléguée proteste.) C’est une constante : quand l’État recule, ce sont les trafics qui avancent.
Dernier sujet, et non des moindres : la question de l’octroi des cartes grises et des permis de conduire.
Pour conclure, j’aimerais exprimer notre sentiment. Il nous semble que ce texte ne permet pas aux préfets d’assurer leur principale mission : celle d’être disponibles et de régler, dans la mesure du possible, les problèmes des Français à l’échelle locale.
À quoi sert une préfecture aujourd’hui ? Qui porte la parole de l’État dans les territoires ? Alors que nous sommes confrontés à une crise institutionnelle, l’État central, au lieu de produire des circulaires, devrait faire en sorte que les préfets puissent répondre aux attentes des citoyens.
Il ne nous semble pas que les crédits de cette mission permettent d’avancer dans cette direction. Pour cette raison, nous ne les voterons pas.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure spéciale, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse d’être parmi vous ce soir pour vous présenter les crédits pour 2024 du ministère de l’intérieur et des outre-mer consacrés à la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur et des outre-mer, qui ne peut malheureusement pas être présent à vos côtés aujourd’hui. Je vais tenter de vous convaincre d’adopter les crédits de cette mission.
L’exercice 2024 correspondra à la deuxième annuité de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, la Lopmi, que vous avez votée.
Le budget de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » est en diminution de 21 millions d’euros par rapport à la LFI pour 2023 : +42 millions d’euros pour la dotation du programme 354 « Administration territoriale de l’État » ; –62 millions d’euros pour celle du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur ». Cette diminution faciale s’explique par la rétrocession des crédits numériques, qui masque une augmentation réelle des crédits de la mission de 244 millions d’euros.
Les dépenses de personnel augmentent de 72 millions d’euros, notamment en raison de la prise sous enveloppe des mesures de revalorisation salariale dites Guerini, dont le coût est estimé à 48,5 millions d’euros en 2024 pour les deux programmes concernés.
L’augmentation des dépenses d’investissement et de fonctionnement – +174 millions d’euros, hors transferts numériques – a vocation à financer la mise en œuvre de projets numériques tels que le réseau Radio du futur, ainsi que les projets immobiliers portés par le programme d’administration centrale – il en a été fait mention.
Le produit d’affectation de taxe à l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) augmente de 24 millions d’euros afin de financer notamment le déploiement du projet France Identité Numérique, que j’ai eu le plaisir de présenter il y a un mois.
Par ailleurs, le budget du programme 232 « Vie politique » augmente de 138 millions d’euros, traduisant la tenue en 2024 de l’élection des représentants au Parlement européen et des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.
Enfin, le plafond d’emplois de la mission augmente de 165 ETP. Cette évolution s’explique principalement par notre volonté de renforcer le réarmement de l’État territorial et par la réinternalisation des compétences numériques.
Vous l’avez compris, le ministère porte une volonté de réarmement continu de l’administration générale et territoriale de l’État. Même si tout n’est pas parfait, nous avons bel et bien la ferme volonté d’opérer ce réarmement.
Conformément aux objectifs fixés par la Lopmi, trois grandes priorités seront mises en œuvre en 2024.
Premièrement, nous renforçons nos capacités numériques et cyber en développant le réseau Radio du futur, adossé à l’Acmoss.
Nous dématérialisons ainsi de bout en bout les processus métiers liés à l’accueil et au séjour des étrangers, ce qui permet de porter à un niveau très élevé l’authentification numérique régalienne de l’ensemble des personnes physiques.
Au total, le poids du numérique consolidé au sein du ministère – programme 216 et programmes métiers confondus – est en hausse significative en 2024, conformément à la trajectoire fixée par la Lopmi. Il atteint 634 millions d’euros en autorisations d’engagement et 576 millions d’euros en crédits de paiement. Nous recruterons d’ailleurs 75 ETP dédiés au numérique en 2024.
Deuxièmement, nous réarmons l’État territorial via la création de 350 emplois sur la période de programmation de la Lopmi. En 2024, 110 créations d’emplois sont prévues pour continuer à soutenir durablement l’exercice des missions préfectorales qui sont le plus en tension : instruction des demandes et délivrance des titres de séjour aux étrangers, gestion de crise, accueil des usagers.
On enregistre également la création exceptionnelle de 122 postes supplémentaires pour accompagner les préfets dans la mise en œuvre des politiques prioritaires et pour soutenir les services supports de l’administration territoriale de l’État (ATE). Nous accentuons par ailleurs les actions de prévention de la délinquance et de la radicalisation en renforçant notamment la vidéoprotection, à laquelle sont consacrés 25 millions d’euros en 2024, contre 22 millions d’euros en 2023.
Monsieur le sénateur Kerrouche, il n’y a donc pas de retrait de l’État. Les DDI, du reste, ne relèvent pas du périmètre de cette mission. On a parfois le sentiment que vous regrettez la baisse passée des crédits ; mais aujourd’hui nous avançons : nous créons des emplois et nous augmentons les crédits.
Troisième axe : nous accroissons la proximité, la transparence et l’exemplarité. Nous finalisons la création de nouvelles sous-préfectures, pour 8 millions d’euros ; la labellisation des sous-préfectures en espaces France Services ; la relocalisation de services de l’administration centrale dans les villes moyennes et les territoires ruraux.
L’année 2024 verra également une augmentation des moyens alloués à la délivrance des titres d’identité et de voyage, sachant que 14 millions de titres seront produits en 2024, contre 9 millions en 2019. En particulier, la dotation pour les titres sécurisés (DTS) fait l’objet d’une revalorisation exceptionnelle mais pérenne : elle passe de 48 millions à 100 millions d’euros.
Des moyens très importants, dont le renfort temporaire de 340 ETPT en 2023, ont permis de réduire les délais de rendez-vous en mairie à 13,6 jours actuellement, contre 77 jours en 2022, ainsi que les délais de délivrance des titres, qui sont passés de 35,5 jours à 26 jours, tout compris.
Nous donnons ainsi à l’État territorial, aux préfets et aux services déconcentrés les moyens d’agir le plus efficacement possible : tel est l’objectif du budget que je vous présente aujourd’hui.
Vous pourrez toujours compter sur ma détermination, ainsi que sur celle du ministre de l’intérieur et des outre-mer, pour œuvrer à cette ambition que j’espère collective. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)