M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Alexandre Ouizille. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au début du mois de novembre, la tempête Ciaran a frappé la France, laissant derrière elle un spectacle de désolation. De la Bretagne aux Hauts-de-France, on compte des milliers de poteaux à terre, des dizaines de milliers d’arbres arrachés, 300 000 sinistrés, plus d’un million de Français privés d’électricité pendant plusieurs jours – et trois morts.
Ciaran a occasionné 500 millions d’euros de dégâts matériels. Elle succède à Alex, qui avait déjà coûté au pays 200 millions d’euros en 2020.
J’en tire deux conclusions.
La première, c’est que nous ne sommes pas prêts. Mon collègue Uzenat le rappelait lors d’une récente séance de questions d’actualité au Gouvernement, relayant le sentiment de solitude des élus locaux face à cette catastrophe.
La deuxième, c’est que l’inaction climatique va nous coûter cher, et de plus en plus cher. Telle est d’ailleurs la conclusion du rapport Pisani-Ferry-Mahfouz que la Première ministre a elle-même commandé.
Si je rappelle ces évidences, c’est que débattre du budget écologique de la France revient à délibérer non seulement devant la Nation, mais devant l’espèce humaine tout entière, tant les quelques années qui nous séparent de 2035 et de 2050 sont fatidiques.
Depuis quelques semaines, monsieur le ministre, vous avez l’air fier comme Artaban et, pour tout dire, content de vous-même. Les adeptes de la main invisible du marché, dont vous êtes, parlent enfin d’une forme de planification écologique – cela fait des années et des années que nous le demandions.
À étudier votre projet de loi de finances, il nous semble toutefois qu’au mieux vous n’avez pas compris ce qu’est la planification et ce qu’elle emporte ; qu’au pire vous ne faites qu’entretenir l’illusion en faisant semblant d’y avoir recours.
En effet, rappelons-le, vous n’avez toujours pas présenté une stratégie nationale bas-carbone actualisée. Vous n’avez pas de programmation des financements et vous n’avez pas d’articulation entre une telle programmation, de toute façon introuvable, et les investissements des collectivités ; mais vous parlez quand même de « planification »… C’est tout à fait stupéfiant : vous planifiez sans plan !
Au vrai, pour 2024, votre planification écologique ressemble avant tout à un grand mea culpa, à moins qu’il ne s’agisse d’un petit remords, eu égard à votre inaction climatique depuis 2017.
Je reviendrai sur deux aspects de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du budget 2024, en me concentrant, d’une part, sur ses quelques aspects positifs – ils existent et nous les saluons –, d’autre part, sur l’impasse de votre méthode.
Ce projet de loi restera comme celui du réveil tardif du gouvernement d’Emmanuel Macron. Ça y est, vous cessez de détruire les services publics et les administrations chargées de la transition écologique ! Il était temps.
Ce budget contient 7 milliards d’euros de dépenses supplémentaires favorables à l’environnement. J’y note également la pérennisation et l’augmentation des moyens du fonds vert, qui sont portés de 2 milliards à 2,5 milliards d’euros, ce qui constitue une petite avancée. Les effectifs des ministères et des agences de la transition et de la prévention des risques progressent enfin, quoiqu’ils ne soient toujours pas à leur niveau de 2017, date à laquelle vous êtes arrivés aux responsabilités. L’effort de 300 millions d’euros consacré à la régénération du réseau ferroviaire n’est pas anodin, même s’il doit être mis en regard de l’impact de l’inflation sur les comptes de SNCF Réseau.
Cesser de détruire les services publics n’a pourtant rien à voir avec la planification de la bifurcation écologique. La planification se doit de hiérarchiser les priorités et de déboucher sur des actions claires, financées, dont les conséquences économiques et environnementales sont précisées. Il y va d’une question de méthode.
Or on la cherche encore, votre trajectoire financière ! La synthèse du plan France Nation verte ne contient par exemple aucun – aucun ! – chiffrage. Vous multipliez les plans sectoriels – plan Eau, plan Vélo, plan Biodiversité – sans programmation d’ensemble. Vous faites voter une loi relative à l’accélération de la production d’EnR et une loi relative à la construction de nouvelles installations nucléaires avant même d’élaborer votre loi de programmation pluriannuelle de l’énergie. Bref, vous partez dans tous les sens.
Les objectifs environnementaux ne devraient plus être affichés sans engagement quant aux moyens mobilisés pour les atteindre. Il est une démarche qui, de ce point de vue, aurait pu vous inspirer, celle des plans pour une nouvelle France industrielle d’Arnaud Montebourg. Transversaux, mettant autour de la table administrations et industriels, dotés d’échéances et d’objectifs précis, ces plans dessinaient une nouvelle forme de planification.
Je voudrais pour conclure rappeler le souvenir d’un moment auquel fait écho celui que nous vivons. Nous sommes le 4 mars 1933 ; le président Roosevelt, fraîchement élu, fait face, du haut du Capitole, à une foule compacte, bigarrée, mais heureuse, venue des quatre coins des États-Unis. D’emblée, dans son discours d’investiture, il rappelle comment les libéraux se sont comportés pendant la crise de 1929 : « À la vérité, ils ont essayé ; mais leurs efforts portaient l’empreinte d’une tradition périmée. […] Ils ne connaissent que les règles d’une génération d’égoïstes. Ils n’ont aucune vision, et sans vision, le peuple meurt. »
Il en va de même pour la planification écologique. Avec ce projet de loi de finances, vous essayez : c’est bien ; mais il serait temps d’avoir une vision. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen de cette mission intervient en pleine COP28. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable n’a pas souhaité s’y rendre, préférant échanger avant la conférence avec la ministre Mme Pannier-Runacher sur la position de la France, puis auditionner – ce sera mercredi prochain – notre ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, Stéphane Crouzat.
L’urgence climatique impose une révolution culturelle, c’est-à-dire une mutation plus qu’une transition. Nous allons devoir accomplir en dix ans ce que nous n’avons pas réussi en trente ans. Cette transformation d’ampleur de nos comportements, de nos modes de production et de nos modes de consommation implique des investissements considérables et a un coût économique et social.
Nos politiques publiques devront accompagner nos concitoyens pour que personne ni aucun territoire ne soit oublié. Pour un État fortement endetté comme la France, dont la société est fracturée ou en cours de fracturation, l’équation est compliquée et douloureuse ; mais le coût de l’inaction serait bien plus important.
La mission « Écologie, développement et mobilité durables » que nous examinons aujourd’hui retranscrit les mesures mises en place par la France pour s’adapter à cette urgence climatique ; il s’agit donc d’une mission aux multiples défis. Elle comporte pas moins de neuf programmes concourant à la mise en œuvre de politiques publiques nombreuses – transport, énergie, protection de l’environnement et de la biodiversité, lutte contre les pollutions, prévention des risques naturels et technologiques.
Pour réaliser son ambition d’accélérer la transition écologique et énergétique, le Gouvernement a défini trois priorités : réussir à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2030 ; accélérer la préservation et la restauration de la biodiversité ; assurer notre souveraineté énergétique.
Pour y parvenir, il consacre à la présente mission budgétaire 39,7 milliards d’euros de crédits, soit une augmentation d’environ 7 milliards d’euros par rapport à 2023. S’il faut évidemment saluer cette hausse inédite en faveur de la transition écologique, ce budget n’est encore une fois pas à la hauteur des enjeux. Mes collègues ont déjà cité à plusieurs reprises le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz sur les incidences économiques de l’action pour le climat ; les besoins d’investissement supplémentaires nets y sont évalués à 67 milliards d’euros, dont 25 milliards à 34 milliards d’euros pour l’État et les collectivités locales, à l’horizon 2030. Or nous sommes déjà en 2024 : il reste six ans pour atteindre cet objectif. Cela ne sera possible qu’à condition d’investir chaque année entre 5 milliards et 6 milliards d’euros supplémentaires.
Ce budget contient plusieurs mesures qui vont dans le bon sens. Je tiens tout particulièrement à saluer la hausse des effectifs en faveur de la transition écologique. On se souvient que la Cour des comptes, dans son analyse du budget de l’État en 2022, pointait la combinaison d’une baisse du nombre d’emplois et d’une augmentation des dépenses de personnel due à la hausse du point d’indice. Quant au budget voté l’année dernière, il prévoyait une hausse d’effectifs… nulle, si je puis dire.
Pour la première fois depuis des années, le projet de budget qui nous est présenté prévoit donc une augmentation des effectifs dont bénéficient principalement l’Office français de la biodiversité et l’Ademe.
Les crédits de paiement du programme 380, autrement dit du fonds vert, passent de 500 millions à un peu plus de 1 milliard d’euros. Cette augmentation semble plus conforme aux besoins que les dotations précédentes, bien que le dispositif reste sous-dimensionné et peu transparent. Le fonds vert devait pourtant être aux mains des élus locaux ; il ne l’est toujours pas…
L’année dernière, certains documents concernant ce programme avaient été communiqués très tardivement à notre rapporteure spéciale Christine Lavarde. Cette année, la répartition des crédits au sein des trois actions du programme est manquante. Le ministère s’est montré à plusieurs reprises incapable de répondre aux demandes des différents rapporteurs, ce qui témoigne à mon sens d’une certaine impréparation.
Ce projet de budget acte en outre plusieurs aides conjoncturelles, dont certaines demeurent mal cadrées. J’en veux pour exemple le chèque énergie. Dans son rapport d’information de juin 2023, Christine Lavarde dénonçait « l’usine à gaz des aides énergie » et appelait à une réforme en profondeur du chèque énergie.
Quant au dispositif MaPrimeRénov’, si sa refonte en deux parcours est une première étape, il doit encore gagner en efficacité. Il faut continuer l’œuvre de simplification et agir contre la fraude.
Hormis ces aides, le présent budget ne contient malheureusement aucune grande réforme structurelle : fait défaut une vision de long terme.
Premier exemple, nous savons depuis plusieurs années que le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles est en danger. Ainsi que l’a souligné la rapporteure spéciale Christine Lavarde, que je cite pour la troisième fois, la fréquence et l’intensité accrues des catastrophes naturelles vont exposer l’équilibre financier du régime à des tensions toujours croissantes. À l’évidence, les sommes allouées cette année ne permettront pas de satisfaire les besoins.
Quant au risque de retrait-gonflement des argiles, on sait que la notion de cumul de phénomènes de sécheresse est mal ou n’est pas prise en compte – je vous renvoie au rapport d’information sénatorial qui a été publié sur le sujet.
En tout état de cause, les récentes inondations ont mis en lumière la nécessité d’aller encore plus loin dans la simplification des demandes de reconnaissance de catastrophe naturelle.
Pour ce qui est – deuxième exemple – de la prévention des risques technologiques ou encore du risque inondation, notre collègue rapporteur pour avis Pascal Martin a parfaitement mis en lumière la nécessité de faire évoluer les dispositifs en vigueur.
Troisième exemple, le budget proposé renforce certes les moyens alloués aux infrastructures de transport, mais, comme l’a relevé très justement notre collègue rapporteur pour avis Philippe Tabarot, il ne traduit pas les engagements de Mme la Première ministre en matière ferroviaire.
Plus grave encore, on n’y trouve aucune stratégie de modernisation du réseau.
En matière de transport, la transition écologique ne peut se résumer à taxer les véhicules polluants. Certes, je caricature à dessein, mais leur interdire l’accès à certaines parties du territoire et accorder une prime à l’achat de véhicules propres sont des mesures qui restent bien en deçà des besoins. Les transports aérien, routier, fluvial et maritime méritent aussi notre attention.
Si le projet de budget qui nous est soumis peut encore gagner en efficacité, il acte cependant une dynamique assez forte que nous ne pouvons que soutenir. Avec les réserves que je viens d’exprimer, le groupe Les Républicains votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot et Mme Nadège Havet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis, applaudit également.)
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si les crédits du PLF dévolus à la mission « Écologie, développement et mobilité durables » diminuent sensiblement, cela tient avant tout à la réduction importante des dispositifs de soutien à la consommation d’énergie.
Ce choix est a priori compréhensible, au vu de la baisse des prix de l’énergie depuis leur pic de 2022 ; l’on aurait pu néanmoins envisager une dégressivité plus lente, le choc d’inflation restant très élevé pour les ménages, les entreprises et les collectivités.
Cela me paraissait d’autant plus souhaitable que le contexte international, notamment en Ukraine et au Moyen-Orient, risque de soumettre les prix de l’énergie à une volatilité démultipliée.
C’est pourquoi, à titre personnel, je pense qu’il serait utile, par exemple, de proposer une extension aux collectivités des tarifs réglementés de vente de l’électricité. Cela les préserverait des retournements de conjoncture trop violents et leur permettrait de mener leurs missions de service public sans avoir à les restreindre comme c’est désormais trop souvent le cas.
Dans le même ordre d’idée, je note que le chèque énergie exceptionnel disparaît ; mais il risque de revenir rapidement si les prix de l’énergie repartent à la hausse. Si tel devait être le cas, j’espère que le Gouvernement prendrait cette fois-ci en compte la situation difficile des ménages recourant au gaz, souvent la seule énergie disponible, avec le fioul, dans le monde rural : ils méritent d’être aidés tout autant que les autres.
Pour ce qui est du chèque énergie classique, les limites du dispositif sont d’ores et déjà identifiées : taux de recours insatisfaisant – 77 % –, montants trop faibles, surtout dans le contexte inflationniste actuel, difficultés d’application persistantes, par exemple pour les personnes en situation d’intermédiation locative. J’appelle une fois de plus le Gouvernement à trouver des solutions, comme le réclame le médiateur national de l’énergie.
Quant aux crédits attribués au dispositif MaPrimeRénov’, je me réjouis qu’ils connaissent une augmentation significative. Toutefois, les résultats de cette politique sont encore loin des objectifs affichés et certains publics, comme les bailleurs ou les copropriétés, sont de facto quasi exclus du dispositif. En outre, je regrette que le reste à charge soit encore très élevé et que les modalités d’application restent très complexes. Je compte sur le Gouvernement pour remédier à ces défauts.
Par ailleurs, la stabilité des crédits alloués au compte d’affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale », dit CAS Facé, apparaît pénalisante vu la multiplication des interventions des autorités organisatrices de la distribution d’énergie, désormais également compétentes en matière de flexibilité et d’hydrogène, depuis la récente promulgation de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi Aper.
Enfin, je tiens à saluer vos efforts, messieurs les ministres, pour densifier les effectifs de vos ministères et des agences qui sont sous votre autorité, telle l’Ademe. En effet, alors que 2023 s’annonce comme l’année la plus chaude jamais enregistrée, il est urgent de recruter pour permettre à l’État de mieux accompagner le traitement des défis posés par la transition écologique en cours. C’est pourquoi, malgré les inquiétudes exprimées et comme l’a déjà annoncé le président Longeot, le groupe Union Centriste votera en faveur des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau. (Bravo ! sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en introduction, je veux insister sur la trajectoire financière visée par le Gouvernement, qui se concentre sur le désendettement de l’État et sur la poursuite de la baisse des impôts.
Cette stratégie économique me paraît particulièrement risquée. Rappelons que, dans leur rapport, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz soulignent la nécessité, d’ici à 2030, de consentir chaque année 34 milliards d’euros d’investissements publics supplémentaires si nous voulons réussir la transition écologique. Cet effort est considérable, mais il est indispensable.
Dans le temps qui m’est imparti, je me concentrerai sur quelques-unes de mes préoccupations fortes concernant ce projet de budget.
L’essentiel du financement du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » est consacré, au sein de l’action n° 02 « Accompagnement transition énergétique », à MaPrimeRénov’ et au chèque énergie.
Si les crédits 2023 du chèque énergie sont renouvelés pour 2024, leur montant ne me semble pas à la hauteur de la situation : les ménages modestes ont en effet pâti de l’inflation et subi un accroissement de leurs dépenses contraintes d’énergie.
L’un des volets du chèque énergie ne fonctionne pas : seuls 900 chèques ont ainsi été utilisés en 2020 pour réduire la consommation d’énergie des logements. Cette statistique doit faire réfléchir le Gouvernement.
Il est nécessaire de rendre ce chèque plus inclusif, en élargissant son éligibilité au moins au niveau du seuil de pauvreté tel qu’il est défini à l’échelon européen, soit 60 % du revenu médian.
Toujours à propos du programme 174, je souhaite mettre l’accent sur les dépenses fiscales qui y sont rattachées : 4 milliards d’euros pour 2024. Je m’interroge fortement sur l’efficacité de telles exonérations.
Le dispositif de leasing social va permettre aux ménages modestes d’avoir accès à une offre performante, sur le plan environnemental, de location ou de vente de voitures électriques, financée par le programme 174. Il appelle de ma part deux remarques.
D’une part, aucun montant précis n’est renseigné pour cette aide, en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement. D’autre part, les ménages, pour y être éligibles, doivent avoir un revenu fiscal inférieur à 14 000 euros, ce qui est très restrictif ; il faut augmenter le plafond de revenus.
Concernant l’action n° 01 « Politique de l’énergie » du même programme 174, je suis particulièrement attentif à la sécurisation des barrages. À ce sujet, je veux interroger le Gouvernement : où en est le dossier, très sensible, de l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques ?
Au sein du programme 362 « Écologie » de la mission « Plan de relance », l’action n° 08 « Énergies et technologies vertes » me paraît particulièrement décisive : il s’agit de positionner la France à la pointe des technologies de production d’hydrogène renouvelable ; de soutenir les innovations au service de la transition écologique tout en développant des solutions innovantes pour la gestion des déchets radioactifs ; d’aider les secteurs aéronautique et automobile. Je m’étonne que cette action soit dotée d’aussi peu de moyens.
Enfin, le Facé est un outil essentiel de péréquation et d’égalité des territoires en matière de distribution de l’électricité.
Cependant, la stabilité, depuis plusieurs années, des dotations du compte conjuguant ses effets à ceux de l’inflation, la capacité du Facé à contribuer au financement des travaux de développement et d’adaptation des réseaux territoriaux de distribution d’électricité a tendance à s’éroder toujours davantage, alors que, de leur côté, les dépenses ne cessent d’augmenter.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je conclurai mon intervention en insistant de nouveau sur la nécessité d’accroître les moyens budgétaires pour une transition écologique juste. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, visiblement, il y a loin de la coupe aux lèvres, si je peux me permettre cette expression. Pourtant, nous sommes, comme vous, messieurs les ministres, assoiffés de transition écologique soutenable et souveraine, faisant toute sa place, essentielle, aux collectivités territoriales.
Je concentrerai l’essentiel de mon propos au volet transports de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
Tous les constats sont partagés, les propositions le sont aussi assez largement, au moins dans le domaine du ferroviaire. Or cela ne se traduit pas véritablement dans les PLF successifs qui nous sont présentés.
Je veux notamment me référer au rapport de contrôle que mon collègue Hervé Maurey et moi-même avons rendu, au nom de la commission des finances, sur la situation financière de la SNCF et de notre système ferroviaire.
Le Sénat, le président de la SNCF, le Groupement des autorités responsables de transport (Gart), le COI et même, croyait-on, le Gouvernement, tout le monde semblait d’accord sur le constat.
« Nous faisons donc le choix d’investir en priorité dans les infrastructures qui nous permettront de réussir la transition écologique, à commencer par le ferroviaire, qui est la colonne vertébrale des mobilités.
« Concrètement, cela signifie que l’État souhaite s’engager […] pour réussir une “Nouvelle donne ferroviaire”, de l’ordre de 100 milliards d’euros d’ici 2040. »
Ce sont bien là les mots de la Première ministre, prononcés le 24 février dernier, lorsqu’elle a annoncé que le gouvernement français souhaitait mettre en œuvre des investissements à hauteur de 100 milliards d’euros en faveur du transport ferroviaire d’ici à 2040.
Pareille annonce devait forcément se traduire dans le premier projet de loi de finances qui allait suivre, le PLF pour 2024. Si tel est bien le cas, les crédits sont loin d’être à la hauteur des enjeux.
Les moyens de l’Afit France devraient augmenter de 900 millions d’euros, via l’affectation du produit d’une nouvelle taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport longue distance et d’une fraction de TICPE supplémentaire. On ne peut que s’en réjouir puisqu’il s’agit là d’une préconisation qu’Hervé Maurey et moi-même avions faite. Mais comment prétendre investir 100 milliards d’euros d’ici à 2040 en n’inscrivant dans le budget de l’État, d’ici à 2027, que 1,5 milliard d’euros de crédits par an ? L’équation semble difficile à résoudre.
Messieurs les ministres, vous prévoyez en outre une affectation de 925 millions d’euros issus des bénéfices de SNCF Voyageurs pour abonder un fonds de concours fléché vers la régénération du réseau.
Avouons-le, c’est innovant ! Comme si notre système n’était pas suffisamment complexe…
Tout d’abord, l’État reprend la dette de SNCF Réseau.
Puis, SNCF Réseau maintient des redevances exorbitantes, que paie SNCF Voyageurs et qui pèsent sur les prix des billets tout en limitant l’ouverture à la concurrence. Ce système est unique en Europe, nous l’avons dénoncé, mais rien ne change.
Conséquence : SNCF Voyageurs développe son activité, maintient des tarifs élevés et, de ce fait, est excédentaire ; pour combien de temps, nul ne le sait.
L’État va donc ponctionner une partie du résultat de SNCF Voyageurs pour financer le réseau, dont cette entité, pourtant, n’a pas la charge, la privant ainsi de la possibilité de baisser ses tarifs ou d’investir dans le matériel roulant – je pense notamment aux trains de nuits et aux trains d’équilibre du territoire, qui en ont tant besoin.
Tout cela pourrait être tellement plus simple et bien plus efficace !
L’État doit assumer la charge du réseau, comme cela se fait partout en Europe, en procédant, selon le type de voies, en direct ou par le biais de sociétés de projets et en privilégiant les solutions innovantes par lesquelles il peut s’extraire de l’annualité budgétaire. De telles solutions existent, nous les avons pointées.
Concernant la situation des AOM de province, aucune réelle réponse ne figure dans le PLF. Heureusement, le rapporteur général a proposé, en première partie, l’affectation à ces autorités de 250 millions d’euros du produit, qui est perçu par l’État, de la mise aux enchères des quotas carbone. Nous avons aussi proposé le fléchage vers les AOM hors Île-de-France d’une partie du fonds vert et l’instauration du fonds climat territorial, sur lequel notre rapporteur spécial aura l’occasion de revenir.
Je me félicite d’une telle initiative, qui comptait aussi parmi les recommandations qu’Hervé Maurey et moi-même avions formulées dans le cadre de notre rapport d’information consacré aux transports du quotidien, publié en juillet dernier.
Un certain nombre de nos propositions pour Île-de-France Mobilités ont également été reprises : très bien ! Mais n’oublions pas les RER métropolitains, les mobilités du quotidien sur l’ensemble du territoire, les besoins en infrastructures ferroviaires, mais aussi routières.
S’agissant d’accompagner les transitions à l’œuvre, la mobilité et le logement sont les deux gisements majeurs de réduction significative des émissions ; mais si l’on veut que, sur chacun de ces deux volets, la réduction soit soutenable pour chaque Français, un accompagnement fort est nécessaire. Ces secteurs sont ceux où nous avons à faire face, comme on a coutume de le dire, à des chocs d’investissement.
Or ce sont ceux-là mêmes qui ne font paradoxalement l’objet, dans ce PLF, d’aucun réel effort, en tout cas d’aucun effort qui soit à la hauteur des enjeux, à la hauteur des annonces, à la hauteur de la trajectoire imposée et que nous devrons ajuster, comme nous le savons déjà tous.
Dans le domaine de la mobilité, nous devons faire face non seulement à un choc d’investissement, mais aussi à un choc d’offre.
Les régions y sont prêtes, s’y engagent, espèrent que les CPER qu’elles ont conclus satisferont leurs attentes et que l’État saura se montrer, dans ce cadre, à la hauteur des engagements qu’elles ont pris sur le matériel et sur le niveau de service. Il est enfin temps, je le redis, que l’État réponde présent sur les infrastructures et qu’il donne l’impulsion nécessaire à une nouvelle LOM, propre à répondre aux enjeux. Je sais que vous aussi, monsieur le ministre, vous l’attendez, vous l’espérez.
N’oublions pas, par ailleurs, que la mobilité en milieu peu dense repose – et continuera de reposer – sur les routes. Je ne peux donc passer sous silence la dégradation du réseau routier national, faute de financements suffisants. Celle-ci vient confirmer le désengagement de l’État de ce champ pourtant indispensable aux mobilités, en particulier en milieu rural. Les réseaux communaux et départementaux souffrent eux aussi, par manque de moyens.
Or les mobilités nécessitent et nécessiteront encore longtemps ces infrastructures routières qui irriguent notre pays et sur lesquelles nous pouvons faire circuler des véhicules décarbonés, y compris les bus à haut niveau de service (BHNS). Ces infrastructures existent ; faisons-les vivre, car, nous le savons tous, le ferroviaire, s’il doit être privilégié, ne peut répondre à tous les besoins.
Je dis quelques mots, pour finir, sur les autres programmes – hors volet transports – de cette mission.
Je ne reviendrai pas sur le volet énergie et électricité. Nous en proposons des modifications pour le rendre plus ciblé. Notre rapporteur spécial l’a dit et sa parole est d’autant plus forte que le Sénat, sur ces sujets – je pense au bonus écologique –, a toujours eu raison trop tôt.
Je me contenterai d’un focus sur deux points.
À propos du fonds vert, tout d’abord, j’exprimerai une satisfaction et une demande.
Une satisfaction : une partie de ses crédits est affectée à la mobilité, conformément, donc, à ce qu’Hervé Maurey et moi-même proposions.
Une demande : je plaide pour que le fonds soit mis à la main des territoires, selon une logique de gestion qui le rende complémentaire de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), les élus étant appelés à jouer, dans ces circuits, un rôle renforcé.
Pour ce qui est, ensuite, du CAS Facé, ses crédits sont limités, depuis 2018, à 360 millions d’euros. La Cour des comptes a fait valoir qu’un tel montant n’était pas suffisant pour répondre aux enjeux de l’électrification rurale. Je souhaite que cette dotation, qui est essentielle, soit revalorisée.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe Les Républicains, suivant l’avis des rapporteurs, votera, une fois adoptés les amendements de la commission des finances, les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)