M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quelques semaines après la discussion du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, l’examen de cette mission nous offre l’occasion de voir comment le Gouvernement entend accompagner budgétairement ses politiques d’asile et d’immigration.
Pas de surprise ! Ce budget traduit la bascule de l’exécutif vers une vision sécuritaire des mouvements migratoires.
Cette dérive, au-delà de son aspect idéologique, se fait au détriment d’un meilleur accompagnement des nouveaux arrivants, au détriment de leur accès aux droits, au détriment de l’intégration que ce gouvernement avait annoncé défendre.
J’ai eu l’occasion de le répéter, les coupes budgétaires sur l’allocation pour demandeur d’asile sont, à cet égard, très révélatrices et très préjudiciables.
À la baisse de 36 % votée l’année dernière, qui avait été fallacieusement justifiée par le changement à venir en 2023 des règles applicables à l’exercice du droit d’asile – changement qui, du reste, n’a pas eu lieu –, s’ajoute cette année une diminution de 10 %.
Comment penser l’intégration sans l’autonomie, sans moyens pour se loger, pour se déplacer, pour se soigner, pour se nourrir, pour s’éduquer ? C’est absurde !
La priorité du Gouvernement reste la lutte contre l’immigration irrégulière. Dont acte !
Mais cette politique repose sur une jambe : l’augmentation, encore et toujours, des places en centre de rétention administrative, cette rétention administrative qui s’apparente de plus en plus à une détention et que la loi continue d’admettre pour les enfants, en dépit de neuf condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Les millions alloués à la multiplication du nombre de placements en rétention, alors que des éloignements ne sont pas matériellement possibles et que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) pullulent sans effet, traduisent toute l’absurdité de cette politique d’immigration et le manque de discernement qui l’anime.
Une petite lumière isolée, cependant, scintille, j’ai nommé le début de commencement de prise en compte des problématiques de l’hébergement.
Je rappelle souvent au Gouvernement la promesse faite par le Président de la République à Orléans en juillet 2017 : « Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des hommes et des femmes dans les rues, dans les bois. Je veux partout des hébergements d’urgence. »
Promesse non tenue ! Paroles, encore et toujours !
Les chiffres disponibles concernant l’hébergement font état de la création de 1 000 places en 2024 – 500 dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile et 500 dans des centres d’accueil et d’examen des situations –, ce qui demeure insuffisant.
En 2024, de nombreux demandeurs d’asile continueront par conséquent de solliciter un hébergement en dehors des structures d’accueil, notamment au sein des structures d’hébergement d’urgence de droit commun, qui sont déjà saturées, nous le savons tous.
Autrement dit, le Gouvernement continue d’organiser la désorganisation.
Il organise les défaillances de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), qui manque de moyens et de personnel, et – en même temps – argue de délais de réponse trop longs pour justifier la réflexion sur une modification des règles de droit susceptible de limiter les recours.
Il accroît l’aspect sécuritaire de la politique migratoire et – en même temps – rend plus difficiles les prises de rendez-vous en préfecture pour l’obtention de titres de séjour.
À cet égard, je le rappelle, le tribunal administratif de Paris a condamné l’Ofii et la préfecture pour la mauvaise gestion de la plateforme téléphonique de prise de rendez-vous destinée aux demandeurs d’asile. Il leur a en outre intimé l’ordre de rendre son numéro gratuit et de mettre en œuvre des mesures afin qu’il soit répondu plus rapidement aux appels.
Où sont les crédits correspondants ? Où sont les crédits permettant de mobiliser un nombre suffisant de personnes pour répondre aux demandeurs d’asile ?
Ces délais et ces défaillances ont d’ailleurs été bien perçus, je le reconnais, par la majorité sénatoriale, qui évoque une « procédure longue et complexifiée par de nombreux aléas techniques – dysfonctionnement du site TLS contact, peu de rendez-vous disponibles, etc. – » et a donc décidé de changer les règles, mais – attention ! – seulement pour les citoyens anglais propriétaires en France !
Aurait-on là une immigration censitaire ?
L’obsession sécuritaire du Gouvernement perdure donc ! Elle en deviendrait presque caricaturale si ses conséquences n’étaient pas si dramatiques.
Entre 2017 et 2021, l’action « Lutte contre l’immigration irrégulière » a connu une trajectoire budgétaire impressionnante, avec une augmentation de 68,1 % de ses crédits, à mettre en regard de la baisse significative des crédits de l’intégration, –24 % sur la même période.
Moins d’intégrations réussies, mais sans davantage de réussite pour autant face à l’immigration irrégulière, c’est révoltant !
La situation exigeait un budget reflétant une vision humaine et réaliste des questions liées à l’asile et à l’immigration – accompagnement, effectivité de l’accès aux droits, intégration.
Or c’est loin d’être le cas ! C’est même l’inverse.
Aussi notre groupe ne votera-t-il pas ce budget cauchemardesque. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Colombe Brossel et Corinne Narassiguin applaudissent également.)
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, et auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville. « Tu me fends le cœur ! » (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat se tient dans un contexte bien particulier, puisque sera prochainement débattu en séance publique à l’Assemblée nationale le projet de loi Immigration, dont l’examen nous a également beaucoup occupés au Sénat.
Les divergences qui nous opposaient au Gouvernement au moment de la discussion de ce texte n’ont pas disparu aujourd’hui, alors que nous examinons les crédits de cette mission.
Au fond, il s’agit de savoir si nous pouvons faire sans l’immigration ou si nous considérons qu’il faut faire avec, car les flux migratoires sont inéluctables dans un monde où les difficultés – sociales, climatiques – sont de plus en plus importantes.
Notre conviction, celle qui anime notre groupe, est que ces flux sont inéluctables, que la France devra en prendre sa part et qu’il convient donc que nous nous organisions à dessein.
Dès lors, la question centrale devient celle de l’intégration, c’est-à-dire de notre capacité à faire des Français de ceux qui cherchent refuge en France.
Or nous considérons que les crédits de cette mission ne permettent pas de relever ce défi. En effet, madame la secrétaire d’État, les programmes dont les crédits connaissent la plus forte baisse, dans ce budget, sont précisément ceux qui sont consacrés à l’intégration, à l’hébergement et au plan de traitement des foyers de travailleurs migrants.
Aujourd’hui, la moitié des demandeurs d’asile ne reçoivent pas les propositions d’hébergement auxquelles ils ont droit.
Pourtant, comme mon collègue l’a indiqué à l’instant, le budget qui nous est présenté acte un nouveau retard en matière d’hébergement des demandeurs d’asile : 1 000 nouvelles places seulement sont prévues en 2024, contre 4 900 annoncées pour 2023.
Cette prévision est insuffisante – elle est préoccupante – dans un contexte de très forte tension sur le parc global d’hébergement. Notre groupe a déposé, pour cette raison, un amendement visant à augmenter significativement le nombre de places d’hébergement créées.
En outre, dans ce texte, le projet annuel de performance relatif à l’apprentissage du français comme vecteur d’intégration des migrants est très flou.
Nous avons besoin d’une évaluation sommaire des efforts consentis et des résultats obtenus pour comprendre les besoins et les effets de ces programmes.
Enfin, j’aimerais nous alerter collectivement sur le niveau auquel s’établissent les crédits alloués au financement de l’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA : leur stabilité pose question au regard du nombre de bénéficiaires et du montant de l’allocation, en particulier à la lumière de l’augmentation des dépenses contraintes des foyers en période d’inflation.
Je le rappelle, l’ADA s’élève à 6 euros par jour pour une personne seule, laquelle, en l’état du droit – j’espère que cela changera –, n’a pas le droit de travailler au cours des premiers mois de l’examen de sa demande. C’est pourquoi notre groupe proposera une revalorisation de cette aide.
Ainsi se trouve confirmé, à la lecture de ce budget de la politique migratoire, ce que nous constatons depuis 2017, à savoir une dégradation des conditions d’accueil et d’accompagnement des étrangers ainsi qu’une pérennisation des atteintes aux droits fondamentaux, ceux qui ont trait à l’hébergement notamment.
Surtout, cette orientation budgétaire souligne la priorité donnée à la répression et à la lutte contre l’immigration irrégulière au détriment des actions menées en faveur de l’intégration et de l’accueil des demandeurs d’asile.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la politique migratoire est aujourd’hui centrée sur le mauvais accueil, la restriction et le contrôle. Pourtant, la démonstration est faite tous les jours de l’échec patent de cette politique du chiffre.
Il est au contraire impératif, pensons-nous, de « faire avec » l’immigration en prenant la juste mesure des mouvements de population, en régularisant les travailleurs sans papiers et en favorisant la mobilité géographique des familles immigrées.
C’est la raison pour laquelle notre groupe votera contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà donc un budget que nous examinons entre deux autres textes qui ont trait au même sujet : d’une part, le projet de loi Immigration, qui aura fait parler du Sénat à différents titres, et, d’autre part, une proposition de loi constitutionnelle qui devrait, elle aussi, faire l’objet de discussions houleuses dans notre hémicycle.
La présente discussion témoigne d’une forme de paradoxe : nous allons consacrer à peine deux heures à l’examen de cette mission budgétaire quand, à la lumière de notre ordre du jour, le sujet apparaît fondamental.
Notre pays fait donc face à des pressions budgétaires importantes. En effet, nous sortons d’une crise sanitaire qui a grandement mobilisé nos finances publiques et, à présent, la crise énergétique et l’inflation affectent fortement la vie de nos concitoyens.
Ces pressions budgétaires s’exercent également en matière d’asile et d’immigration. Chacun le sait, les coûts associés à l’accueil, à l’hébergement et à l’intégration de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants sont très importants ; il ne faut pas le nier.
Que montrent les grandes lignes de ce budget ?
Ces dernières années, les moyens de la mission augmentaient ; ce mouvement se poursuit légèrement pour 2024.
Certains éléments de ce budget donnent satisfaction.
Par exemple, nous saluons la poursuite en 2024 du mouvement de création de places d’hébergement pour les demandeurs d’asile et les réfugiés vulnérables : 1 500 places supplémentaires sont prévues, dont 500 pour les réfugiés vulnérables.
Plus largement, nous nous réjouissons que ce budget, s’il favorise en priorité l’asile, promeuve pour une part significative la politique d’intégration.
L’action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants » connaît cette année une hausse de ses crédits ; c’est une bonne chose.
Comme nous l’avons indiqué voilà quelques semaines, les clés de la réussite, en matière d’immigration, sont à chercher dans l’apprentissage de la langue française, dans l’accès aux droits et dans l’accompagnement vers l’emploi des personnes étrangères.
Pour autant, nous restons vigilants quant aux moyens accordés à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Le financement de l’Ofii par l’État connaît au total une baisse de 40 millions d’euros. Nous comprenons que cette diminution résulterait de moindres versements de l’allocation pour demandeur d’asile et ne devrait pas avoir de conséquences sur les moyens de l’Ofii.
Madame la secrétaire d’État, il faudra veiller, dans les années à venir, à ce que cette tendance ne se poursuive pas.
J’en viens au sujet de l’immigration irrégulière, qui pose évidemment des difficultés à notre pays.
Certes, les moyens alloués aux dépenses d’investissement des centres de rétention administrative, des locaux de rétention et des zones d’attente sont en hausse.
Je m’interroge malgré tout sur l’intérêt d’une telle hausse pour ce qui est de régler la question de l’immigration irrégulière. Depuis plusieurs années, les mesures d’enfermement se renforcent, la durée de la rétention s’allonge, mais sans qu’en parallèle les mesures d’éloignement soient appliquées de manière efficace.
Nous ne sommes pas spécialement contre ces dispositifs, mais nous doutons de leur pertinence dès lors que leur durée s’éternise, et ce d’autant plus que les services qui sont chargés de leur mise en œuvre souffrent actuellement d’un manque d’effectifs.
Il conviendra donc d’observer comment sera gérée concrètement l’augmentation des places en centre de rétention administrative (CRA).
Bref, mes chers collègues, eu égard à toutes les réserves que je viens d’exprimer, notre groupe se montre…
M. Martin Lévrier. … partagé ! (Sourires.)
M. Michel Masset. … très partagé sur les crédits de cette mission.
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette mission incarne l’engagement du Gouvernement à maîtriser les flux migratoires, à faciliter l’intégration des étrangers en situation régulière et à garantir l’exercice du droit d’asile.
Trois grands objectifs en ont guidé l’élaboration en vue de l’année 2024.
Il s’agit, premièrement, de réduire les délais de traitement des demandes d’asile.
Afin de redonner sa pleine portée au droit d’asile, le Gouvernement souhaite ramener à six mois en moyenne le délai d’examen des demandes par l’Ofpra et par la Cour nationale du droit d’asile.
Depuis le début de l’année 2021, les délais d’instruction des demandes s’améliorent nettement, mais restent malheureusement éloignés de l’objectif de six mois. Le renforcement des effectifs de l’Ofpra devrait permettre à l’Office d’atteindre l’objectif d’un délai de soixante jours fixé par le Gouvernement.
Il s’agit, deuxièmement, d’améliorer les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers.
Le renforcement des capacités d’hébergement a déjà porté ses fruits, faisant progresser la part des demandeurs d’asile hébergés gratuitement de 45 % à 73 % entre 2017 et 2022.
En 2024, 1 500 nouvelles places seront ouvertes, portant les capacités du dispositif national d’accueil à 122 582 places.
Il s’agit, troisièmement, de renforcer l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Conscient que le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français reste trop bas, le Gouvernement s’engage à renforcer l’effectivité des retours forcés.
Par ailleurs, l’expérimentation de la « force à la frontière » dans les Alpes-Maritimes et les Hautes-Alpes ainsi que le financement britannique de 543 millions d’euros sont des témoignages de la détermination de l’exécutif à lutter contre les mouvements secondaires.
Pour ce qui est de l’immigration légale, le Gouvernement restera attentif à l’enjeu de l’immigration étudiante et cherchera à rééquilibrer la part de l’immigration professionnelle par rapport à celle de l’immigration familiale.
Pour ce qui concerne l’intégration des étrangers en situation régulière, l’Ofii continuera à mettre en œuvre des programmes visant à renforcer l’insertion professionnelle, linguistique et civique. C’est essentiel.
Sur ces sujets, le Gouvernement propose une série de mesures dans le projet de loi visant à renforcer le contrôle de l’immigration, à améliorer l’intégration et à garantir le respect des principes de la République, actuellement examiné par l’Assemblée nationale.
Nous pouvons citer la création d’une carte de séjour d’un an « travail dans des métiers en tension » destinée aux travailleurs irréguliers employés dans des secteurs sujets aux pénuries de main-d’œuvre ; la mise en place d’une nouvelle carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent-professions médicales et de la pharmacie » pour les praticiens diplômés d’un État situé hors Union européenne ; l’exigence d’un niveau minimum de connaissance de la langue française pour les étrangers demandant une première carte de séjour pluriannuelle ; la facilitation de l’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public, y compris ceux qui sont présents en France depuis longtemps ou y ont des liens familiaux.
Conjuguées, ces initiatives témoignent de l’engagement du Gouvernement en faveur d’une gestion équilibrée des flux migratoires, d’une intégration réussie et du respect des droits fondamentaux.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants compte sur votre soutien, mes chers collègues, pour faire de ces objectifs une réalité et construire un avenir plus juste et plus inclusif pour tous.
La commission mixte paritaire qui se réunira à l’issue de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration représente une occasion cruciale d’obtenir des résultats tangibles en conciliant les différentes perspectives et en élaborant des solutions consensuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après les débats intenses que nous avons eus sur ce sujet il y a un mois, nous voilà de nouveau réunis dans cet hémicycle pour évoquer la question de l’immigration.
Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2024 sont en hausse de 7,3 %. Nous sommes encore bien loin, néanmoins, d’une réelle prise en compte des besoins : s’agissant de répondre à l’enjeu une véritable intégration des personnes migrantes dans notre pays, ce budget demeure insuffisant.
Premier fait notable : la baisse du financement de l’allocation pour demandeur d’asile, qui passe de 314 millions d’euros en 2023 à 293,9 millions en 2024, alors même que le Gouvernement attend 180 000 demandes d’asile en 2024 contre 135 000 en 2023.
Contrairement à ce qu’allègue le Gouvernement, l’accélération des procédures d’instruction de l’Ofpra ne saurait à elle seule justifier ce net recul, d’autant qu’il n’est pas tenu compte, dans le PLF, de la prise en charge des personnes ayant fui l’Ukraine.
La Cour des comptes elle-même a vivement critiqué ce choix de non-budgétisation : « Si les besoins peuvent sembler en effet difficiles à calibrer, ils apparaissent néanmoins incontestables compte tenu du prolongement du conflit en Ukraine […]. Le défaut de sincérité budgétaire est établi à cet égard. »
De surcroît, madame la secrétaire d’État, nous aurions pu comprendre cette baisse du montant de l’ADA si la droite sénatoriale n’avait pas supprimé l’article 4 du projet de loi Immigration, dont les dispositions auraient permis aux demandeurs d’asile de travailler dès le dépôt de leur demande. Cet article a été réintroduit en commission à l’Assemblée nationale et nous veillerons à son maintien, qui nous paraît essentiel.
Je le rappelle, le montant journalier de l’ADA s’élève à 6,80 euros par jour pour une personne et il peut être majoré en cas d’absence d’hébergement. Ce montant dérisoire ne permet pas aux demandeurs d’asile de vivre dignement, ni même de manger à leur faim.
Leur permettre d’accéder à un travail dès le dépôt de la demande d’asile est une mesure de bon sens. Aussi, je ne comprends pas que la droite de cet hémicycle, si soucieuse de nos dépenses publiques, y soit opposée.
Nous tenons à saluer la création de 1 500 places d’hébergement supplémentaires pour l’année qui vient. Ce chiffre n’en demeure pas moins notoirement insuffisant à l’heure où seulement 58 % des demandeurs d’asile bénéficient d’un hébergement et où l’on déplore une saturation des dispositifs existants.
Il n’est pas acceptable de laisser ces hommes, ces femmes et ces enfants dormir sur nos trottoirs. Nous proposerons donc de créer 2 000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires, même si – nous en avons bien conscience – cela demeure insuffisant.
L’objectif de 3 000 places en CRA d’ici à la fin de l’année 2027, dont nous devons la paternité à Éric Ciotti et qui figure dans la Lopmi, est conforme à votre politique : un nombre toujours plus important de personnes retenues, pour des durées toujours plus longues. Nous saluons l’adoption par la commission des lois de l’Assemblée nationale de l’interdiction du placement en CRA des mineurs de 18 ans, mesure que nous avions déjà défendue au Sénat.
M. Darmanin prétend n’enfermer que les personnes dangereuses dans les CRA, mais il sera contredit, il le sait, par sa propre interprétation très large de la menace à l’ordre public ainsi que par le placement en rétention des étrangers « dublinés », qui découle du projet de loi Immigration.
Comme nous l’avions fait lors du débat sur ce dernier texte, nous tenons à donner l’alerte quant à la présence dans les CRA de personnes vulnérables, souffrant parfois de troubles psychiatriques, qu’il est nécessaire d’accompagner.
Relayant les nombreuses alertes émises par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, je tiens à rappeler que la priorité doit être donnée à l’entretien et à la réfection des locaux existants plutôt qu’à de nouvelles constructions.
Toujours dans le cadre du projet de loi Immigration, vous imposez une obligation de réussite à un examen de français pour obtenir une carte de séjour pluriannuelle, en prétendant qu’une telle mesure participe de l’intégration.
Mais nous avons bien du mal à comprendre comment sont répartis les crédits relatifs à l’apprentissage de la langue. Voici ce que M. Darmanin a déclaré en séance publique au Sénat : « Nous prévoyons d’augmenter de 9 millions d’euros les moyens consacrés par l’Ofii aux cours de français destinés aux étrangers qui passeront l’examen de langue que nous proposons de mettre en place. » Où sont les lignes de crédits afférentes ? Nous peinons à les repérer… Aussi aimerions-nous avoir davantage de précisions sur la ventilation des crédits d’intégration ; qu’en est-il en particulier de ceux qui sont consacrés à la formation linguistique ?
Madame la secrétaire d’État, augmenter les budgets, c’est bien ; encore faut-il mener une politique migratoire ambitieuse et digne.
Ce budget est la confirmation que le projet de loi de votre gouvernement n’a d’« intégration » que le nom.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas les crédits de cette mission.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, et auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de saluer nos forces de l’ordre pour le sang-froid et le courage dont elles ont fait preuve au cours de leur intervention samedi soir. J’ai évidemment une pensée très émue pour les victimes et pour leurs familles.
Je suis très heureuse d’être parmi vous ce matin pour vous présenter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », quelques mois seulement après l’octroi par le Parlement, via le vote de la Lopmi, de près de 15 milliards d’euros au ministère de l’intérieur et des outre-mer pour les cinq prochaines années.
Je vous prie de bien vouloir excuser le ministre de l’intérieur et des outre-mer, qui ne peut malheureusement pas être présent au Sénat aujourd’hui.
Pour 2024, le Gouvernement a souhaité vous présenter un budget en augmentation de plus de 7 %, pour un montant total de 2,2 milliards d’euros en crédits de paiement, soit environ 10 % des crédits du ministère selon le périmètre de la Lopmi. Cette augmentation représente près de 147 millions d’euros de crédits supplémentaires par rapport à la loi de finances pour 2023. Elle inclut les crédits issus de la Lopmi pour la période 2022-2027, soit +109 millions d’euros, y compris ceux du « plan CRA 3 000 ».
Ce budget marque une nouvelle étape dans les efforts conduits depuis 2017 pour consolider notre capacité à maîtriser les flux migratoires et à lutter contre l’immigration irrégulière, à garantir l’exercice du droit d’asile et à renforcer l’intégration des étrangers en situation régulière dits primo-arrivants.
Ce budget s’inscrit pleinement dans le cadre de la Lopmi, celui d’une programmation budgétaire inédite : en cinq ans, nous aurons fait progresser de façon réelle et inégalée les crédits affectés à la mission « Immigration, asile et intégration », c’est-à-dire à la politique migratoire de la France.
Les crédits du programme 303 « Immigration et asile » s’élèvent pour l’année prochaine à 1,7 milliard d’euros, soit une augmentation de 17,7 % par rapport à l’exercice précédent. Cette progression sensible reflète pour partie la rétrocession depuis le programme 216 des programmes numériques de la direction générale des étrangers en France et le transfert depuis le programme 104 des actions relatives aux places d’hébergement pour réfugiés ; mais on comptabilise également 165 millions d’euros de mesures nouvelles.
Les crédits du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » s’établissent, pour leur part, à 431 millions d’euros. Leur réduction, –20,6 % environ par rapport à 2023, correspond, pour l’essentiel, au transfert que je viens d’évoquer. Je veux par ailleurs souligner que ce programme prévoit une augmentation des places d’accueil en 2024.
Vous l’aurez noté, mesdames, messieurs les sénateurs, ces mouvements traduisent un rééquilibrage interne des actions soutenues, gage d’une plus grande lisibilité, mais sans incidence sur les grandes orientations de la mission.
En effet, cette année encore, près de 65 % des crédits de la mission seront consacrés à l’accueil et à l’examen des situations des demandeurs d’asile et des réfugiés. Le budget de 1,4 milliard d’euros qui est destiné à la mise en œuvre de cette politique doit permettre d’assurer les dépenses d’hébergement, à hauteur de 996 millions d’euros, les dépenses relatives au versement de l’allocation pour demandeur d’asile, à hauteur de 300 millions d’euros, et les crédits nécessaires au fonctionnement de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, à hauteur de 108 millions d’euros.
Par ailleurs, 20 % des crédits, soit 431 millions d’euros, seront consacrés à la politique d’intégration.
Ce sont 260 millions d’euros qui seront mobilisés en faveur de la maîtrise des flux migratoires au titre de la mission « Immigration, asile et intégration », en complément des dépenses relevant de ce même objectif qui sont inscrites dans les budgets de la police nationale, de la police aux frontières et de la gendarmerie.
Ce chiffre comprend notamment les crédits alloués à la politique des visas, à l’aide au retour ou encore au financement des lieux de rétention.
Naturellement, mesdames, messieurs les sénateurs, ce budget 2024 n’inclut pas les crédits qui seront rendus nécessaires par les mesures du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui est en cours de discussion à l’Assemblée nationale et que vous avez adopté le 14 novembre dernier.
Il n’intègre pas non plus les crédits rendus nécessaires par l’accueil et l’accompagnement exceptionnels des bénéficiaires de la protection temporaire qui ont fui l’Ukraine au mois de mars 2022. Je le souligne, la France accueille aujourd’hui quelque 73 000 personnes dans cette situation.
A contrario, ce budget intègre la prise en charge des coûts de la revalorisation salariale des salariés du secteur privé non lucratif, décidée par le Gouvernement en septembre 2022 afin que ceux-ci bénéficient d’une hausse de rémunération équivalente à l’augmentation de la valeur du point d’indice de la fonction publique, ce qui représente 19,4 millions d’euros de crédits inscrits au sein de la mission.
Sur le fond, j’insiste sur l’engagement total du Gouvernent en faveur d’une politique migratoire à la fois plus efficace et plus humaine. À ce titre, je tiens à vous présenter en quelques mots les principales évolutions des crédits de la mission.
En matière d’asile, tout d’abord, nous souhaitons continuer à améliorer l’accueil des demandeurs et l’examen de leur situation.
Au total, 138 577 premières demandes ont été enregistrées en 2022, chiffre proche de celui de 2019, année où la demande d’asile a été la plus forte en France.
Depuis le début de 2023, la hausse de la demande d’asile s’est poursuivie – elle est de l’ordre de 8 % –, mais à un rythme moins soutenu que dans le reste de l’Europe, où l’augmentation avoisine 30 %.
Aussi, dans un contexte de fortes incertitudes et de tensions internationales, le Gouvernement a-t-il établi cette programmation en anticipant 160 000 demandes d’asile en 2024, pour un montant de près de 300 millions d’euros au titre de l’ADA.
En complément, nous entendons maintenir les 500 places destinées aux sas d’accueil temporaire créés dans dix régions de métropole pour accueillir les personnes sans solution d’hébergement ou de logement, prises en charge dans le cadre d’opérations de mise à l’abri.
En matière d’intégration, ensuite, nous souhaitons poursuivre les efforts engagés depuis cinq ans, lesquels ont déjà permis de rehausser notre niveau d’exigence concernant les apprentissages linguistiques et civiques.
En matière d’immigration, enfin, nous mettrons en œuvre un dispositif d’aide au retour volontaire (ARV) refondu et plus incitatif : le montant de l’aide deviendra dégressif dans le temps et nous pourrons ainsi accélérer les éloignements.
En parallèle, nous poursuivrons l’augmentation très nette de nos capacités de rétention, dans le cadre défini par la Lopmi, en portant le nombre de places en CRA à 3 000 d’ici à 2027. Pour rappel, à la fin de l’année 2017, l’on n’en comptabilisait que 1 500 ; leur nombre aura donc doublé en dix ans.
Ainsi, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a récemment annoncé l’implantation de dix nouveaux CRA de plus de 100 places chacun. Le budget alloué à la lutte contre l’immigration clandestine sera accru de 90 millions d’euros, pour atteindre 261 millions d’euros en 2027.
En 2024, nous consacrerons également près de 15 millions d’euros au renforcement des moyens matériels afférents – achat de divers moyens de projection, dont des intercepteurs, constitution d’un état-major dédié.
J’ajoute que le Gouvernement déposera, dans les prochaines heures, deux amendements à l’article 41, qui n’est pas étudié aujourd’hui.
Le premier amendement vise à augmenter le plafond d’emploi de l’Ofii de 10 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Ces effectifs supplémentaires ont déjà été accordés en gestion en 2023 pour que l’Ofii puisse mettre en œuvre l’aide au retour volontaire dans le cadre de la stratégie de desserrement des places d’hébergement en Île-de-France et de la création des SAS. Il s’agit à présent de « socler » ces effectifs.
Le second vise à augmenter le plafond d’emplois de l’Ofpra de 8 ETPT, en sus des 17 ETPT supplémentaires prévus par le présent texte, dont 8 pour la division de la protection. Cette augmentation additionnelle fait suite à un amendement déposé en première lecture à l’Assemblée nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pourrez toujours compter sur ma détermination, ainsi que sur celle du ministre de l’intérieur, pour œuvrer au service de cette ambition.