PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des crédits de la mission « Cohésion des territoires ».
Cohésion des territoires (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Viviane Artigalas applaudit également.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la production du logement en France est au cœur d’une multiplicité d’enjeux politiques. Elle est en premier lieu une priorité économique, tant le secteur du bâtiment est considéré comme un important pourvoyeur de main-d’œuvre. Elle est une priorité sociale, comme le rappellent régulièrement les associations de défense des sans-abri. Elle est également une priorité environnementale, en particulier parce que les engagements du pays en matière de réduction des émissions de CO2 passeront par une autre manière de construire et de vivre le logement. »
Tels sont les mots par lesquels, il y a un peu plus de dix ans, vous commenciez votre thèse sur les politiques d’aide à l’investissement locatif, monsieur le ministre. (Sourires.)
Ce travail a une actualité étonnante, non seulement parce que vous êtes le ministre qui met fin au dispositif Pinel, mais aussi parce que le cadre que vous esquissiez alors est celui de la crise du logement que nous traversons.
Pour ce qui est de l’économie, 300 000 emplois seraient menacés d’ici à deux ans en raison d’une construction qui s’effondre, dans un contexte d’inflation, de hausse des taux d’intérêt et de reprise du chômage.
Pour ce qui est du social, la demande de logements sociaux et le mal-logement n’ont jamais été aussi hauts dans notre pays, avec la réapparition de campements et de bidonvilles.
Pour ce qui est de l’écologie, le recentrage du PTZ sur le collectif et les zones tendues, de même que les inquiétudes que suscitent les besoins de rénovation énergétique dans un parc locatif sous haute tension, sont autant de signaux d’alarme.
Toutefois, à examiner en silo chacune de ces questions, c’est la dimension proprement politique de la crise qui risque de passer sous silence. Il nous faut en effet prendre garde que cette crise du logement, que certains ont qualifiée de bombe, ne pousse nos concitoyens à chercher des solutions hors du champ républicain.
Les blocages et les tensions dont nous sommes les témoins dans le parcours résidentiel sont de puissants vecteurs de frustration et de ressentiment. Ne pas pouvoir accéder au logement social ou ne pas pouvoir en sortir, renoncer à un emploi ou à des études faute de logement, ne pas réaliser son rêve d’accéder à la propriété, ou même d’acheter une maison avec un jardin pour sa famille comme ses parents, constituent autant d’éléments qui alimentent un sentiment de déclassement, de relégation ou d’assignation à résidence.
À certains égards, la révolte des « gilets jaunes », les émeutes urbaines de l’été ou encore les réactions de plus en plus agressives contre Airbnb sont autant d’éruptions de violence face aux injustices dont le logement est la cause ou le symptôme.
Le logement est le cœur de la famille. Il n’y a pas de réindustrialisation ou de plein emploi sans logement. Le logement se conjugue aussi avec les questions de transport, de santé et d’éducation.
Le logement est au cœur du pacte social entre les Français, des solidarités intergénérationnelles et des solidarités entre catégories de revenus. Le logement, c’est aussi la manifestation d’une solidarité concrète de la société face aux accidents de la vie en cas de violence, de handicap, de divorce.
L’ensemble de ces solidarités qui s’étendent aux étrangers en situation régulière est en réalité l’un des socles de notre démocratie, liant droits et devoirs, impôts et services publics, citoyenneté et politique. La crise du logement abîme le contrat social.
Dans ce cadre, plutôt que de chercher à améliorer le solde national du logement en réalisant des économies sur le dos de ce secteur, comme cela semble être le seul objectif depuis 2017, je souhaite, monsieur le ministre, que vous retissiez ces liens.
Jean Monnet voulait des solidarités concrètes pour faire l’Europe. Ernest Renan affirmait qu’il faut des solidarités concrètes pour faire une nation et une démocratie. Dans notre assemblée, chambre des collectivités territoriales et des territoires, je veux souligner qu’il ne peut y avoir de maison commune si chacun n’a pas son toit.
Il va de soi que le groupe Les Républicains suivra l’avis du rapporteur spécial et rejettera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Guislain Cambier, Mmes Viviane Artigalas et Colombe Brossel et M. Ian Brossat applaudissent également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique de la cohésion des territoires repose sur l’ambition d’apporter une réponse à la question suivante : que nous habitions à la campagne, en ville, en banlieue ou dans les territoires ultramarins, comment chaque parcelle de France, chaque territoire, chaque collectivité, avec ses spécificités, son histoire et ses réalités, est-il en mesure de donner à partager un destin commun et de créer du vivre ensemble ?
Si nous vivons dans le même pays, nous ne partageons pas les mêmes réalités. Les résultats des dernières élections le prouvent : « Dis-moi sur quel territoire tu habites et je te dirai pour qui tu votes. » Cela en dit long sur la fracture territoriale qui s’est creusée dans notre pays depuis des années.
Compte tenu du temps limité dont je dispose, je n’aborderai que plusieurs points.
Le premier tient à l’amélioration de la répartition des capacités d’action entre les collectivités. Bien que celle-ci ne relève pas directement de la présente mission, elle est tout de même un préalable indispensable de la cohésion des territoires, singulièrement des départements.
Les départements sont en effet les collectivités des solidarités humaines et territoriales et, partant, celles qui accusent les écarts les plus importants, avec des moyens d’action par habitant et en euros qui vont de 1 à 5.
Tous les ans, des ajustements et autres péréquations horizontales sont apportés, à la marge, entre les départements. Mais il est nécessaire que le Gouvernement soit à la manœuvre pour proposer, voire imposer, un nouveau cadre de répartition. Il est, de fait, difficile de trouver un accord lorsque 50 % des parties ont à perdre et 50 % à gagner. Nous avons donc besoin du Gouvernement.
J’évoquerai ensuite ANCT, qui bénéficie de crédits en hausse constante.
Le soutien en ingénierie qu’elle l’offre aux collectivités est probablement utile – je l’ai en tout cas entendu plusieurs fois –, mais il faut reconnaître que les expériences divergent. Vue de l’Aisne, l’ANCT est un « truc » ou un « machin » dont on n’a pas encore exactement saisi tout ce qu’il pouvait apporter.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen. L’ANCT s’ajoute du reste souvent à d’autres structures départementales déjà existantes qui remplissent sensiblement les mêmes missions. Il serait bon d’apporter un peu de clarté et de cohérence en la matière.
J’en viens à un dossier explosif, celui des ponts, auquel la présente mission porte une attention particulière. Ce sujet est une bombe politique et financière à venir pour les communes et les départements.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. Pierre-Jean Verzelen. Les ponts ont généralement été construits ou reconstruits en même temps. Ils ont donc vieilli en même temps, et, pendant très longtemps, personne ne s’en est occupé. C’est par conséquent maintenant que les besoins en travaux s’imposent à nous.
Celles et ceux qui parmi nous ont dû baisser le tonnage d’un pont ou le fermer pour cause de travaux ou pour des questions de sécurité savent quelle désorganisation il en résulte pour les gens qui travaillent, pour les entreprises, pour les agriculteurs et pour le transport scolaire. Toute une partie d’un territoire se trouve de ce fait en difficulté.
À cela s’ajoutent les coûts. Le ticket d’entrée minimum pour les travaux d’un pont est de 1 million d’euros, voire 1,5 million d’euros. Il est donc nécessaire que les collectivités anticipent les travaux à venir et qu’elles établissent un ordre de priorités, ce qu’elles font déjà. Elles ont aussi naturellement besoin d’être accompagnées financièrement dans la réalisation de ces très lourdes opérations.
Je ne reviendrai pas longuement sur la politique du logement, qui est évidemment un enjeu essentiel de l’aménagement du territoire.
À ce titre, les deux questions essentielles sont les suivantes : qui loger ? Les personnes en difficulté, celles qui travaillent, celles qui sont touchées par la dépendance ou les handicaps ? Et où et dans quelles conditions loger ces personnes ?
Contrairement au mouvement de concentration auquel nous assistons depuis plusieurs années dans le logement et qui n’a pas fait ses preuves, nous souhaitons qu’une attention particulière soit portée aux bailleurs sociaux de taille départementale, ou devrais-je dire de taille humaine. Ces structures ont un mode de fonctionnement, un périmètre d’action et des objectifs qui nous paraissent tout à fait adaptés pour assurer au mieux l’aménagement des territoires, notamment ruraux.
Il faut enfin reconnaître que le déploiement de la fibre optique et l’amélioration de la couverture téléphonique ont avancé. Mais comme rien n’est jamais parfait, il reste des trous dans la raquette, des communes sans réseau téléphonique et des foyers, notamment dans les zones d’initiative privée, qui ne sont toujours pas raccordés. Lorsque nous expliquons aux personnes concernées que des progrès ont été accomplis, notre discours est totalement inaudible.
Les derniers engagements qui ont été pris par les grands opérateurs vont dans le bon sens. À présent, il faut absolument communiquer des délais tenables et sérieux à celles et ceux qui sont encore privés de raccordement.
Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en faveur des crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Guislain Cambier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà du seul exercice comptable et budgétaire, la mission dont nous discutons aujourd’hui – c’est également valable plus largement pour le projet de loi de finances – doit nous amener à réfléchir au modèle de société que nous souhaitons défendre pour les générations futures.
Logement, hébergement, insertion des personnes vulnérables, aménagement des territoires, rénovation énergétique : cette mission est au carrefour d’enjeux fondamentaux pour le quotidien des Français.
Comme notre collègue Jean-Baptiste Blanc l’a rappelé, la politique du logement fait pourtant face à une crise d’une ampleur inédite : baisse de 28 % du nombre des permis de construire, baisse de 40 % du nombre des crédits immobiliers accordés, baisse enfin de 30 % du volume des transactions immobilières. La bombe sociale est bien là, et tous les signaux sont d’un rouge écarlate.
Le chantier est vaste, et les premières pierres tardent à être posées. Depuis quelques mois, monsieur le ministre, votre gouvernement met en exergue l’augmentation des taux d’intérêt pour expliquer la crise du logement. Sachez toutefois que nous ne sommes pas dupes.
Si nous pouvons naturellement souscrire à cet argument conjoncturel, il ne peut justifier la situation structurelle que nous connaissons ni l’absence, depuis six ans, d’une véritable politique du logement dans notre pays.
Une fois l’inflation prise en compte, l’augmentation des crédits n’est pas au niveau. L’ensemble des observateurs s’accordent à dire que 5 millions de logements doivent être construits dans les dix ans à venir. Les crédits proposés ne permettront pas d’honorer la feuille de route du Gouvernement pour le logement annoncée par la Première ministre le 16 novembre dernier à Dunkerque.
En définitive, les moyens ne sont pas au rendez-vous, monsieur le ministre.
Je souhaite insister sur trois points qui me paraissent prioritaires si nous voulons agir très rapidement.
Il nous faut tout d’abord lutter contre le phénomène de raréfaction du foncier. Le raz-de-marée emporté par le zéro artificialisation nette (ZAN) va renverser l’équilibre précaire du marché. Les terrains sont déjà rares et la spéculation désormais quotidienne.
Nous devons nous appuyer sur de nouveaux outils juridiques dans les documents d’urbanisme, afin de sanctuariser du foncier pour nos communes et, partant, de préserver la possibilité qu’elles accueillent de nouveaux habitants et réalisent des opérations de mixité sociale. Figer les équilibres démographiques à tout de la mauvaise idée.
Pour ne pas faire du ZAN un dispositif punitif pour nos collectivités, il est donc primordial de rénover la fiscalité foncière et de soutenir financièrement les communes dans leurs dépenses d’ingénierie.
La rénovation énergétique doit ensuite être globale et totale. Sur 37 millions de logements dans notre pays, 6,5 millions sont encore des passoires thermiques. Nous devons faire plus et surtout mieux.
Si le groupe Union Centriste salue la refonte de MaPrimeRénov’ au titre de l’efficacité et de la montée en puissance des moyens qui lui sont attribués, il estime qu’il ne faudrait pas négliger les propriétaires qui souhaitent seulement faire des « monogestes » de rénovation ni ceux qui seront piégés par l’interdiction à venir des passoires thermiques. La rénovation énergétique se fera avec tout le monde, ou elle ne se fera pas.
Ce PLF porte enfin les crédits alloués à l’Anah pour la rénovation thermique des logements privés de 369 millions d’euros à plus de 1 milliard d’euros. C’est une bonne nouvelle, et nous la saluons, mais elle doit être assortie des moyens humains nécessaires, via la création de nouveaux équivalents temps plein.
Il ne faudrait pas que, en l’absence d’une organisation de l’offre, ces crédits ne soient que des effets d’annonce. Tel est le cas aujourd’hui, puisque le nombre de rénovations initialement prévues en 2023 n’est atteint qu’à 76 %.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas rester silencieux face à cette crise sans précédent. Il est de notre responsabilité de faire passer un message clair à l’ensemble des acteurs du logement et aux Français : nous sommes à vos côtés.
Nous attendons du Gouvernement un véritable choc de la politique du logement. Comme je vous l’ai déjà indiqué et écrit, monsieur le ministre, les parlementaires et les élus locaux doivent absolument être écoutés et associés dans le cadre du prochain projet de loi de décentralisation du logement. C’est donc aussi un changement de méthode qui est attendu.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste ne votera pas les crédits de cette mission.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette mission est directement liée aux prérogatives et aux préoccupations des élus locaux, dont les attentes principales sont que l’on muscle l’ingénierie territoriale – je vous l’accorde, monsieur le ministre –, mais, surtout, que l’on renforce l’autonomie opérationnelle et le pouvoir d’agir de leur collectivité.
Or je constate – et ces crédits le montrent –, que la logique gouvernementale conduit trop souvent à muscler l’ingénierie pour, en réalité, renforcer l’emprise de l’État, en considérant les élus locaux comme des sous-traitants des politiques nationales, qu’ils financent qui plus est avec leurs propres deniers, subissant une emprise à la fois financière et stratégique.
Tout en reconnaissant à mon tour que quelques efforts sont effectivement consentis par le Gouvernement dans le cadre de ces crédits, j’estime que ni les moyens financiers ni l’approche politique ne sont à la hauteur des enjeux.
J’en donnerai quelques exemples relatifs au programme 112, « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire ».
L’Agence nationale de la cohésion des territoires, tout d’abord, bénéficie effectivement d’un renforcement significatif de ses moyens pour 2024, avec quelque 800 projets qui doivent faire l’objet d’un accompagnement en propre par cette agence.
Je rappelle toutefois que, avec près de 25 000 communes de moins de 1 000 habitants, celles-là mêmes qui ont besoin d’un accompagnement renforcé, notre pays peut se targuer de renverser un adage bien connu : « Quand je me regarde, je me rassure. Quand je me compare, je me désole. »
Ensuite, si le programme Villages d’avenir atteste a priori une bonne intention, j’estime que le recrutement d’une centaine de chefs de projet et les crédits de 6 millions d’euros qui lui sont alloués, augmentés de 2 millions par un amendement déposé tardivement par le Gouvernement, auraient pu être mieux employés. Les services de l’État et surtout les collectivités disposent en effet de ressources humaines qui seraient déjà pleinement opérationnelles.
Si je n’entends pas refaire le débat sur l’évolution des zones de revitalisation rurale, on peut tout de même s’interroger sur la cacophonie qui a prévalu, y compris quant à la position du Gouvernement, dont nous avons bien noté qu’elle n’était pas constante. Tout cela suscite des interrogations et de fortes inquiétudes chez les élus.
La hausse des crédits alloués aux maisons France Services, nettement insuffisante, ne permettra de compenser que 40 % des coûts.
De même, les avancées actées par ce PLF pour le programme Territoires d’industrie ne sont pas à la hauteur des enjeux. La Bretagne, par exemple, avait demandé à être prise en compte dans son ensemble régional, ce qui n’est pas le cas. De plus, certaines régions – on ne peut pas le passer sous silence – perdront près de 500 000 euros d’ici à la fin du quinquennat.
Vous annoncez également quelques hausses du volet mobilité des contrats de plan État-région (CPER), monsieur le ministre, mais encore une fois, l’effort consenti n’est pas à la hauteur des besoins. En Bretagne, par exemple, l’État mettra sur la table 233 millions d’euros pour toutes les mobilités, pour toute la région et pour toute la période 2023-2027. Cette somme est à mettre en regard du coût de 111 millions d’euros qu’emporte l’achat de six rames de train.
En ce qui concerne enfin le programme 162, « Interventions territoriales de l’État », sur lequel nous reviendrons lors du débat d’amendements, l’État, qui a pourtant été sanctionné par la justice administrative pour l’insuffisance des moyens et des actions engagés, assène un coup de rabot de 5 % aux crédits de l’action n° 02 « Eau – Agriculture en Bretagne ». L’on peine à comprendre…
Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Genet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où nous allons conclure la discussion générale sur les crédits de cette mission qui porte le beau nom de « Cohésion des territoires », peut-être pourrions-nous nous arrêter quelques instants sur la notion même de cohésion.
S’il est un point qui inquiète beaucoup de nos concitoyens comme leurs élus, en effet, c’est bien l’affaiblissement de la cohésion au sein des territoires.
Les élus de mon département de la Saône-et-Loire que, comme nombre d’entre vous, mes chers collègues, je rencontre chaque semaine dans leur commune, se font l’écho de réalités partagées au niveau national : inégal développement économique, écoles en difficulté, santé à deux vitesses, quand l’accès aux soins n’est pas quasi impossible, difficultés de mobilité, montée de la violence et des incivilités. Ce sont là autant de symptômes de fragmentation préoccupante ou, pour paraphraser Jérôme Fourquet, d’« archipélisation » inquiétante.
Oui, à l’heure où les Français craignent de vivre face à face plus que côte à côte, la cohésion au sein de nos territoires doit être une véritable ambition nationale, au même titre que la cohésion des territoires.
L’augmentation de 5 % en euros constants des crédits de cette mission, portés à plus de 19 milliards d’euros, devrait naturellement offrir quelques espoirs, monsieur le ministre. Pour autant, le détail des choix budgétaires du Gouvernement ne peut qu’inquiéter.
Je m’arrêterai d’abord sur le logement.
Comme les rapporteurs l’ont indiqué, le logement traverse une crise historique dans notre pays. La production de logements neufs s’effondre dans tous les territoires, sous l’effet d’une triple crise, dont le rapporteur spécial Jean-Baptiste Blanc a souligné à juste titre qu’elle était à la fois une crise de la demande, une crise de l’offre et une crise du logement social.
Des milliers de Français se retrouvent bloqués dans leur parcours résidentiel. Des personnes refusent un poste et des étudiants renoncent à leur projet de formation, faute de logements abordables à proximité, alors que les demandes de logements d’urgence n’ont pour leur part jamais été aussi élevées.
Toute construction neuve en France doit pourtant désormais répondre à la double contrainte du ZAN et de la RE 2020, l’une des normes environnementales de construction les plus exigeantes au monde. Des entreprises du bâtiment licencient, ferment des activités, voire disparaissent d’ores et déjà.
Monsieur le ministre, les freins idéologiques mis au modèle du propriétaire occupant comme à la construction de logements neufs correspondent peut-être à votre vision du monde, mais ils ne répondent certainement pas aux aspirations de nombre de nos concitoyens, que vous devriez écouter avec plus d’attention.
Dans ma région, la Bourgogne-Franche-Comté, les premières tentatives de territorialisation de la politique de zéro artificialisation nette conduisent à des bugs insurmontables, certains territoires, comme la Bresse bourguignonne, devant porter leur effort de sobriété foncière, autrement dit le taux d’effort de réduction des droits à construire, à 68,1 %, au lieu des 50 % prévus par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience.
Je vous laisse imaginer, monsieur le ministre, le vent de révolte qui commence à se lever dans nos campagnes, alors même que la carte des nouvelles zones de revitalisation rurale n’a pas encore circulé localement.
Cela me conduit au second point que je souhaite aborder, les crédits d’ingénierie locale alloués dans le cadre du plan France Ruralités. Ces derniers sont certes en hausse, mais les principales dotations d’investissement aux collectivités territoriales – dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), etc. – diminuent en valeur réelle, au regard du contexte d’inflation et de la hausse substantielle des taux d’intérêt.
Vous conviendrez, monsieur le ministre, qu’il est quelque peu paradoxal d’engager davantage d’études pour financer moins de travaux ensuite !
Nos territoires ruraux se satisfont naturellement de la création du programme Villages d’Avenir, après Action cœur de ville et Petites Villes de demain. Je tempérerai toutefois l’euphorie de notre collègue Bernard Delcros : les affichages ministériels, la dilution de quelques millions d’euros à l’échelon national et la création d’un seul poste au niveau départemental à la préfecture ne sauraient compenser pour nos collectivités, en particulier rurales, les pertes de moyens subies depuis plusieurs années, de baisses des dotations en réformes de la fiscalité locale, en passant par les effets de l’inflation.
Devant de telles incohérences, pour ne pas parler d’« incohésions », sur cette mission, vous comprendrez que nous ayons quelques difficultés à faire confiance au Gouvernement, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Amel Gacquerre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Amel Gacquerre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du logement perdure et s’amplifie. Je ne reviendrai pas sur les chiffres et sur le diagnostic, mes collègues l’ayant déjà très bien fait.
Sur ces travées, nous faisons tous le constat de la conjugaison malheureuse d’une crise de l’offre et d’une crise de la demande de logements. En guise de réponse, le Gouvernement nous propose un PLF qui se situe dans la continuité. Où est la rupture avec les précédents PLF, qui ont relégué la politique du logement au rang de politique secondaire, monsieur le ministre ?
C’est proprement incompréhensible au regard des chiffres alarmants du logement, qu’il soit social, privé ou étudiant, ainsi que du mal-logement. Le parcours résidentiel souvent évoqué n’existe plus, ou difficilement.
Un nombre alarmant de destructions d’emplois est également annoncé, conséquemment à la crise immobilière que nous traversons.
Dans ce budget, rien n’est proposé pour réaliser le choc d’offre nécessaire pour un marché de la construction complètement atone, qui, en un an, a enregistré une baisse de 28 % du nombre de permis de construire délivrés et de mises en chantier.
Le secteur immobilier subit en outre de plein fouet une crise de la demande. Entre les taux prohibitifs des crédits immobiliers, la raréfaction du foncier disponible et la baisse du volume des transactions immobilières, la demande de logements a rarement été aussi faible.
Non seulement les Français ne peuvent plus accéder à la propriété, mais le manque de visibilité installe une perte de confiance, voire une crainte qui se traduit par des désistements sur des réservations et des projets stoppés.
Je salue les réflexions lancées par le Gouvernement lors du Conseil national de la refondation (CNR), qui ont abouti au lancement de l’opération Territoires engagés pour le logement, à une attention portée au logement locatif intermédiaire ou encore à la refonte de MaPrimeRénov’, afin d’encourager les rénovations globales de logements.
Nous devons toutefois nous atteler à certains chantiers prioritaires.
Il y a tout d’abord urgence à agir pour assouplir, ou tout au moins repenser, l’interdiction de louer des passoires thermiques. Il est inconcevable, dans le contexte de crise que nous traversons, que près de 650 000 de logements classés G disparaissent du logement locatif à court terme.
Il est ensuite tout aussi urgent de mettre en œuvre un « pack fiscal », fût-il temporaire, pour relancer la demande de logements. La primo-accession et l’investissement locatif des particuliers doivent redevenir attractifs.
Il est à ce titre primordial de tout mettre en œuvre pour abaisser les taux d’intérêt des crédits immobiliers. Si elle était engagée, la diminution du taux du livret A permettrait notamment de redonner des marges de manœuvre financières aux bailleurs sociaux pour la production de logements sociaux.
À ce titre, je ne peux pas ne pas évoquer le prélèvement imposé aux bailleurs sociaux via la réduction de loyer de solidarité. À l’heure où 2,4 millions de ménages sont en attente d’un logement social, il serait impensable de ne pas revenir sur cette faute.
J’en viens au rôle des collectivités en matière de logement. Il nous faut leur redonner les moyens d’agir, monsieur le ministre. Calquer les schémas nationaux sur l’ensemble des territoires est un non-sens. Chaque collectivité, dans un périmètre clairement défini – il faut donc le repenser – doit pouvoir agir ou du moins concevoir sa politique du logement en s’adaptant aux réalités qui sont les siennes.
Je souhaite enfin évoquer le mal-logement qui touche les publics les plus fragiles. Le logement insalubre, contre lequel vous prévoyez d’agir rapidement, ce que je salue, monsieur le ministre, le statut d’hébergement d’urgence qui est celui du logement étudiant et les situations indignes, qui, en 2023, perdurent dans notre pays, dessinant un paysage catastrophique – j’y reviendrai lors du débat sur les amendements.
Si je ne doute pas de votre ambition d’infléchir la situation, monsieur le ministre, j’espère sincèrement que vous réussirez pour les milliers de Français en mal de logement. La vraie question est toutefois de savoir si vous disposerez des moyens nécessaires pour changer de braquet.
Nous attendons en effet une nouvelle politique, une nouvelle vision du logement intégrant les mutations de notre société, le vieillissement de la population, le réchauffement climatique et l’évolution de nos modes de vivre ensemble.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe Union Centriste ne votera pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Somon applaudit également.)