Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le filet de sécurité devait aider les communes les plus en difficulté à faire face à l’explosion des prix de l’énergie et à l’augmentation de leurs dépenses contraintes, notamment du fait de la non-compensation de la hausse du point d’indice.
Pour mémoire, les communes de moins de 500 habitants ont touché un versement médian de 6 840 euros, et les communes de moins de 300 habitants un acompte médian de 29 860 euros. L’Association des petites villes de France pointe à juste titre le fait que 3 400 communes, parmi les plus importantes bénéficiaires du dispositif, vont devoir rembourser les acomptes versés par l’État.
Cela pourrait s’entendre si cela n’avait pas été les services déconcentrés de l’État qui avaient informé les communes qu’elles pouvaient bénéficier du dispositif. Cette défaillance de l’État fragilise les budgets locaux. Les maires, de bonne foi et encouragés par les services préfectoraux, ont sollicité ces acomptes.
Pour autant, aujourd’hui, les communes sont loin d’être sorties de l’ornière, et il est compliqué pour elles de rembourser.
Les communes demandent d’étaler l’échéance des remboursements le plus possible, afin que cela ne pèse pas davantage sur les finances locales et que la qualité des services publics dans les communes soit garantie. Celles qui ont souscrit des contrats d’énergie au plus fort du pic des prix de l’énergie sollicitent une prolongation de l’amortisseur électrique. Que leur répondez-vous ? Enfin, envisagez-vous de prolonger de façon ciblée un dispositif similaire au filet de sécurité destiné aux collectivités connaissant les plus grandes difficultés à faire face à l’augmentation de leurs charges ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je sais que les élus vous interpellent au sujet du filet de sécurité. Les services de l’État réclament leurs acomptes à un peu plus de 3 000 communes.
Je le dis avec la même fermeté qu’au rapporteur général voilà quelques jours : il n’y a pas eu de défaillance des services de l’État. Le Parlement avait voté des critères pour le versement des acomptes, en fonction des prévisions dont nous disposions sur, d’une part, la situation financière des collectivités et l’évolution de leur épargne brute et, d’autre part, les prix de l’énergie.
En réalité, nous sommes en face d’une bonne nouvelle : la situation financière des communes est meilleure que ce que nous avions envisagé, et les prix de l’énergie sont plus faibles.
Nous demandons donc en effet la reprise de cet acompte aux communes. L’acompte n’existe pas que pour les collectivités. Comment gérer correctement les finances publiques si nous devions annuler les acomptes versés ? Il ne s’agirait plus d’acomptes ! Et que dirions-nous aux collectivités n’en ayant pas demandé ? Il y aurait une rupture d’égalité devant l’impôt. Ni vous ni moi ne souhaitons nous engager dans cette voie.
Près de 520 communes ont demandé l’étalement du remboursement de leur acompte. J’ai adressé aux services déconcentrés un message de la plus grande souplesse. Le président Raynal a proposé que l’on aille plus loin et que le remboursement puisse courir sur plusieurs mois. J’y suis tout à fait ouvert, afin que l’on fasse du cousu main à destination de chacune des communes concernées.
M. Christian Bilhac. Très bien !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L’immense majorité des communes nous ont dit qu’elles rembourseraient tout de suite. Mais si des communes connaissent des difficultés, elles doivent solliciter localement les services des DDFiP, auprès desquels un message de grande souplesse a été passé.
Enfin, il y aura bien une prolongation de l’amortisseur électricité l’année prochaine, notamment pour les collectivités prisonnières de contrats signés au plus haut de la crise.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le ministre, les collectivités territoriales sont volontaires pour relever bien des défis, mais elles attendent un dialogue équilibré et fiable avec l’État.
Un certain nombre de collectivités sont en difficulté. Les précisions que vous venez d’apporter sont importantes.
Le Congrès des maires s’ouvre alors que l’inquiétude des maires grandit. Un autre signal alerte la sénatrice que je suis : l’augmentation du nombre des démissions d’élus ces derniers mois. Beaucoup de maires partagent le sentiment qu’ils n’ont plus les moyens de remplir le mandat pour lequel ils ont été élus.
En plus de la réforme primordiale des finances locales que nous attendons tous, il faut évoquer le malaise qui s’étend chez nos maires, afin d’éviter une crise des vocations en vue des élections de 2026. La création d’un fonds financier par l’État permettrait d’aider les communes à financer les dépenses relatives aux conditions d’exercice des mandats. Il faut aussi réfléchir à une réforme du statut des élus, et à une augmentation de leurs indemnités. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, de mon point de vue, ce volumineux rapport (L’orateur brandit un document.) illustre à merveille le mal profond de notre pays.
Au sortir d’une campagne sénatoriale qui nous a vus sillonner nos départements respectifs et rencontrer de très nombreux élus, au moment où s’ouvre le Congrès des maires, on mesure dans ce volumineux rapport de façon palpable le profond décalage existant entre la théorie et la pratique, entre le verbe et la réalité.
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, semble-t-il. Les dynamiques sont historiques, les péréquations veillent sur nous, la redistribution est à son comble. Encore un effort, et la félicité nous gagnera…
La réalité est tout autre, monsieur le ministre.
La triste réalité, que vous le vouliez ou non, c’est que d’une liberté constitutionnelle, pensée et conçue pour garantir la libre administration des communes, l’autonomie financière est devenue une coquille vide dépourvue de tout effet utile pour nos collectivités.
La triste réalité, monsieur le ministre, c’est qu’en vingt ans, le modèle de décentralisation à la française a perdu de sa pertinence face à un double mouvement opéré par l’État, qui a consisté à recentraliser le fonctionnement des collectivités locales tout en accroissant en même temps les charges pesant sur elles.
Aujourd’hui, réconcilier le pouvoir central et le pouvoir local apparaîtrait comme une œuvre historique pour notre pays ; je pèse mes mots.
C’est même devenu, je le crois sincèrement, un véritable enjeu de démocratie. Y êtes-vous prêt, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Voilà une bonne question.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez raison : il n’y a pas de libre administration des collectivités territoriales sans autonomie financière.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement suit de très près l’évolution de l’autonomie financière des collectivités territoriales, niveau par niveau. Dans le volumineux rapport que vous exhibiez – je rends hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont œuvré pour bien informer la représentation nationale – figurent à ce titre quelques chiffres intéressants.
Le taux d’autonomie financière du bloc communal s’élevait à près de 61 % en 2003 ; il est de 71 % aujourd’hui. À l’échelon départemental, ce taux était de 58 % en 2003, il est aujourd’hui quasiment de 75 %. Pour les régions, il est passé de 41 % à 75 %. (M. Jean-Raymond Hugonet proteste.)
Qu’est-ce que ces chiffres décrivent ? Une situation dans laquelle l’autonomie financière des collectivités a fortement progressé. (M. Jean-Gérard Paumier manifeste son désaccord.)
Ce qui n’a pas fortement progressé, voire qui a diminué, c’est l’autonomie fiscale. Mais la Constitution garantit non pas tant la capacité de lever un impôt, dont la collectivité ne choisit parfois pas le taux, que la liberté d’emploi de ces ressources et le libre choix des politiques publiques par les élus. Cette autonomie financière n’a eu de cesse de progresser ces dernières années.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, j’ai énormément de respect pour votre formation politique et pour le travail de tous ceux qui ont concouru à ce document, mais nos points de vue ne se rejoignent pas. C’est grave. La réalité des chiffres que vous évoquez ne correspond pas à celle que nous vivons. Nous sommes sous perfusion, et la perfusion se tarit. Entendez le cri des collectivités, au moment du Congrès des maires ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, je vais vous faire faire un transport transocéanique. Depuis quelques longs mois, une obsession hante les outre-mer : la réforme de l’octroi de mer.
Depuis que la Première ministre a annoncé engager une réforme en profondeur du régime et de l’économie de cette taxe, les élus ne sont pas tranquilles et craignent quelques surprises.
Je vous rappelle que, pour les cinq collectivités d’outre-mer, les recettes de l’octroi de mer représentent 1,6 milliard d’euros, et que cette taxe pèse entre 35 % et 45 % de leurs ressources, tant pour les régions que pour les communes.
Le Gouvernement a décidé d’engager une réforme. Depuis quelque temps, de fortes rumeurs, des craintes et des inquiétudes circulent. Quelles sont précisément vos intentions, vos réflexions, les pistes et les orientations retenues ?
M. Le Maire a déclaré un certain nombre de choses. Cette taxe sera-t-elle désormais appliquée à toutes les importations, et non uniquement aux importations de produits ayant des concurrents locaux ? Avez-vous l’intention de remplacer cette taxe gérée par les régions et les communes par une TVA recentralisée ? Comptez-vous lever le secret fiscal datant des années 1950, qui engage la responsabilité pénale des présidents de région ? J’en avais caressé l’idée lorsque j’étais ministre des outre-mer, mais les présidents de région y avaient renoncé…
Avez-vous l’intention, pour compenser l’éventuelle perte de recette des collectivités, de taxer les services, ce qui serait contraire à la philosophie et à la nature même de l’octroi de mer, puisque ces services ne sont pas délocalisables ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, le comité interministériel des outre-mer (Ciom) du mois de juillet dernier a notamment décidé d’ouvrir le chantier de la réforme de l’octroi de mer, avec une garantie exprimée de manière très claire : les ressources des collectivités territoriales ne seront pas affectées. Votre question me permet donc – du moins, je le souhaite – de tordre le cou aux rumeurs.
Vous me demandez si l’État compensera les pertes de recettes. Je le redis, et c’est l’engagement qui a été pris lors de ce comité interministériel, il n’y aura pas de pertes de recettes.
Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer, ouvrira ce jeudi la concertation. Chacun pourra naturellement exprimer sa position. Nous n’en sommes qu’au début de ce processus et nous n’avons pas défini à l’avance le point d’atterrissage de cette refonte. Mais, je le redis, nous avons apporté une garantie en amont de la réflexion : il n’y aura pas de perte de recettes pour les collectivités territoriales.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Cour des comptes a montré le 24 octobre dernier, dans son deuxième fascicule sur les finances publiques locales, que la situation financière des collectivités est moins favorable en 2023 que l’année précédente.
Pourquoi cela ? En raison du contexte économique inflationniste, mais aussi des choix récents du Gouvernement, particulièrement la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et de la CVAE, qui n’a pas été suffisamment compensée et dont il résulte la perte de plus de 1 milliard d’euros pour les collectivités.
Ma question porte donc sur l’autonomie financière des collectivités, un sujet cher aux élus, en particulier aux maires, dont le congrès se déroule cette semaine.
Par exemple, pour les communes, le coefficient correcteur, censé compenser le transfert de la taxe foncière des départements aux communes, sanctionne les communes rurales, qui en moyenne reversent plus d’argent que les communes les plus urbaines. Cette compensation est difficilement acceptable par les maires.
Il est nécessaire de renforcer l’autonomie financière des collectivités, qui a un statut constitutionnel depuis 2003 ; Jean-Raymond Hugonet l’a rappelé.
En effet, la suppression des impôts territorialisés a accru les mécanismes de transferts financiers de l’État pour les compenser. Ils atteignent désormais la somme colossale de près de 36 milliards d’euros, ce qui interpelle sur la gouvernance des finances publiques locales opérée par l’État.
Au total, l’autonomie fiscale des collectivités a été réduite au fur et à mesure des réformes menées par les différents gouvernements depuis 2018, qui ont également causé une perte de lien entre la fiscalité locale et le territoire.
Et si le Gouvernement continue sur le chemin de ses dernières réformes, la crainte d’une diminution trop importante de l’autonomie financière des collectivités pourrait aller jusqu’à entraver le principe de leur libre administration.
Aussi, monsieur le ministre, qu’envisage le Gouvernement pour permettre une réelle autonomie financière des collectivités ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux d’abord redire que la suppression de la taxe d’habitation n’a pas affecté la situation financière des collectivités, puisque – vous le savez – nous l’avons compensée.
Ensuite, j’ai plaisir à voir que vous citez les travaux de la Cour des comptes. Celle-ci dit une chose intéressante : les compensations mises en place à la suite de la suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE ont davantage bénéficié aux collectivités que ce qui était prévu. Ainsi, les collectivités ont perçu 6 milliards d’euros de plus que si elles avaient continué à percevoir ces impôts. Ces suppressions ont donc amélioré leur situation financière de 6 milliards d’euros. La Cour des comptes insiste notamment sur la situation des départements.
Je le redis, ne confondons pas autonomie fiscale et autonomie financière. Je vous suis sur la baisse de l’autonomie fiscale : quand vous enlevez un impôt local sur lequel les élus ont le pouvoir de taux, vous réduisez en effet l’autonomie fiscale. Pour autant, est-ce que l’on a amputé l’autonomie financière des collectivités ? C’est un débat entre nous, mais la réponse est non. Encore une fois, je renvoie à l’évaluation de l’autonomie financière : c’est un ratio très clair.
Enfin, on peut avoir un autre débat : peut-on réussir à avoir une libre administration sans autonomie fiscale ? Je renvoie, par exemple, au modèle allemand : les Länder, des collectivités très fortes, n’ont pas ou peu d’autonomie fiscale, mais elles ont une autonomie financière très importante.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet.
M. Fabien Genet. Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. En guise de compensation, les collectivités territoriales ont vu transférer à leur profit la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) prélevée sur leur territoire.
Pour assurer l’équilibre à l’euro près, l’État corrige l’écart provoqué par cette compensation en reversant aux communes sous-compensées un montant calculé sur la base d’un coefficient correcteur et prélevé aux communes surcompensées.
Dans mon département, la Saône-et-Loire, 316 communes sur 564 reversent ainsi 33 millions d’euros de fiscalité locale à l’État, quand 148 communes reçoivent 5,7 millions d’euros. Une belle évaporation !
Ce montant est souvent très important pour de nombreuses communes rurales, comme pour la commune d’Étrigny, 465 habitants : en application du coefficient correcteur, l’État lui ponctionne 72 124 euros sur les 154 806 euros de TFPB versés par les contribuables ; près de la moitié de la recette !
Cette situation est vécue par nombre d’élus locaux comme une perte de lien entre la fiscalité locale et le territoire, mais également comme une forme d’injustice, car ce sont des communes rurales, qui ont le sentiment de payer en faveur des communes urbaines.
Bien entendu, il n’est pas question ici de remettre en cause la nécessité impérieuse de compenser les suppressions de recettes locales décidées par le Président de la République ni d’ailleurs de contester la légitimité de la solidarité, voire de la péréquation entre les territoires.
Mais vous conviendrez, monsieur le ministre, que nous touchons là à la limite de l’exercice. L’empilement de toutes les réformes de fiscalité locale depuis plus de vingt ans et leurs conséquences, de suppressions en compensations, de transferts en garanties, font que plus personne n’y comprend rien !
Comment comptez-vous améliorer les choses ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je partage avec vous l’idée que le système de financement des collectivités territoriales est devenu extrêmement complexe.
M. André Reichardt. C’est le moins qu’on puisse dire !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. C’est le moins qu’on puisse dire, en effet. Il suffit de regarder le fonctionnement de la DGF ou des mécanismes de compensation.
J’ai d’ailleurs dit tout à l’heure que nous étions prêts à ouvrir le chantier de la refonte de la DGF. C’est un chantier extrêmement lourd, technique et difficile, mais je crois qu’il est nécessaire.
Le coefficient correcteur permet de s’assurer de la neutralité de la réforme : les communes qui ont reçu plus avec le transfert de la part départementale reversent le surplus et celles qui ont reçu moins récupèrent la différence. Ce coefficient correcteur permet de neutraliser l’effet de la réforme.
De plus, vous le savez, l’État a ajouté 600 millions d’euros pour assurer l’équilibre global de la réforme, le coefficient correcteur ayant lui-même embarqué la dynamique. Cela nous permet de dire et de réaffirmer régulièrement que la suppression de la taxe d’habitation s’est faite à l’euro près et qu’elle n’a pas privé les collectivités d’une ressource, y compris quand on réfléchit de manière dynamique.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.
M. Fabien Genet. Le coefficient correcteur a peut-être embarqué la dynamique, mais ce que nous craignons, c’est qu’on laisse sur le côté du chemin beaucoup de contribuables ne comprenant plus pourquoi ils versent à leurs communes de la fiscalité ensuite reversée à d’autres communes.
Plus globalement, monsieur le ministre, il faut se méfier des effets euphorisants de la lecture du rapport de la Cour des comptes : sur le terrain, beaucoup de communes ne vivent pas la même réalité !
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Forcées à faire toujours plus avec des moyens de plus en plus contraints, les communes ont de plus en plus de mal à se projeter financièrement avec sérénité.
Entre les avances à rembourser du filet de sécurité, la complexité des dispositifs d’aides, les transferts de compétences non compensés financièrement ou encore les décisions qui s’imposent du jour au lendemain, par exemple la récente augmentation de la valeur du point d’indice de la fonction publique, les sujets créant de l’invisibilité budgétaire pour les communes ne manquent pas.
Monsieur le ministre, je voudrais mettre l’accent sur les pertes de recettes fiscales liées à la non-compensation par l’État de l’exonération des parts communale et intercommunale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, lorsque les propriétaires se sont engagés dans une démarche Natura 2000.
En effet, au fil des ans et des lois de finances successives, cette compensation de l’État, qui était initialement de 100 %, s’est réduite comme une peau de chagrin : on est passé de 100 % à 84 % en 2009, puis à 23 % en 2016. Heureusement, ce taux a ensuite été figé.
Or le Gouvernement et les médias ne cessent de nous sensibiliser sur la nécessité et l’urgence de préserver la biodiversité. Les communes engagées dans cette démarche à plus-value environnementale incontestable sont de facto pénalisées par la réduction de la compensation dont je viens de parler. Il y a là une logique qui échappe aux communes concernées.
Certes, des dispositifs de soutien aux communes, fléchés sur la biodiversité, ont été créés par l’État. Mais ils ne compensent assurément pas de telles pertes fiscales.
Monsieur le ministre, en l’espèce, pourquoi toujours complexifier les dispositifs d’aides ? En l’espèce, pourquoi ne pas simplement veiller aux engagements initiaux de l’État, en revenant à la compensation intégrale des exonérations de taxes foncières sur les propriétés non bâties ? Ce serait beaucoup plus simple.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux d’abord redire que les communes bénéficient de ressources extrêmement dynamiques : +8,9 % de janvier à novembre 2023, et nous n’avons pas terminé l’année.
Pourquoi ? En raison du dynamisme de la taxe foncière. Quand on revalorise les bases de 7 %, on connaît une dynamique qui est plus forte que l’inflation, ce qui permet aux communes d’absorber l’augmentation des charges, qui elles-mêmes sont tirées par l’inflation.
Certes, la revalorisation du point d’indice est une charge. Mais elle vient aussi, d’une certaine manière, compenser l’inflation pour les agents publics territoriaux eux-mêmes…
On ne doit donc pas lire l’évolution de la situation financière des collectivités comme parfois on le fait, c’est-à-dire en regardant uniquement le volet charges. Tout cela est un équilibre entre des recettes et des charges. Et, je le redis, les recettes sont très dynamiques. (M. Fabien Genet s’exclame.)
La question est alors de savoir si les recettes sont suffisamment dynamiques pour compenser des charges qui le sont effectivement, par exemple sur l’énergie ou en raison de l’évolution du point d’indice. Et qu’observe-t-on de ce point de vue ? Que, pour le moment, le bloc local tient bien.
Vous évoquez l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les communes en Natura 2000. Or ces dernières sont éligibles à la dotation biodiversité.
Vous pourriez alors vous interroger : est-ce que le montant de la dotation biodiversité couvre le manque à gagner pour les communes concernées ? Ce n’était peut-être pas le cas en 2020, puisque le montant de la dotation était alors de 4 millions d’euros. Mais nous l’avons porté à 100 millions d’euros aujourd’hui. J’insiste sur cette évolution, parce que j’ai l’impression que ces dernières années, on a un peu perdu les ordres de grandeur. Ce n’est pas rien, une dotation de 100 millions d’euros ! Et cette dotation est vraiment au service de la biodiversité, notamment dans les communes en Natura 2000.
Pour autant, monsieur le sénateur, je suis preneur d’exemples de collectivités qui constateraient un manque à gagner, un déséquilibre, entre la compensation dont vous avez parlé et la dotation biodiversité qu’elles perçoivent.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Reynaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hervé Reynaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons depuis plus d’une heure de la situation des finances publiques locales. C’est heureux, mais il y a bien une situation qui n’est pas florissante : celle des départements.
La preuve par l’exemple : dans mon département, la Loire, en 2004, au moment du transfert de compétences du revenu minimum d’insertion (RMI), le reste à charge pour la collectivité était de 3,2 millions d’euros ; en 2023, il sera de 58 millions.
En 2013, le montant des dotations de l’État était de 182 millions d’euros ; il est aujourd’hui de 129 millions d’euros. Toujours en 2013, les recettes de fiscalité directe étaient de 225 millions d’euros ; elles sont de 48 millions aujourd’hui. Le compte n’y est pas, et un grand nombre de départements est dans la même situation.
Les dépenses de fonctionnement ne cessent d’augmenter ; le produit de certains impôts baisse en valeur absolue, particulièrement les DMTO, en raison du retournement du marché de l’immobilier. Dans le même temps, les dépenses liées aux achats de biens et services, la rémunération des agents – sans parler des annonces intempestives –, l’ensemble des prestations sociales et les frais financiers sont poussés à la hausse par des tensions inflationnistes.
L’effet de ciseaux – beaucoup en ont parlé – est particulièrement tranchant… Ces dépenses sont structurelles, alors que les recettes sont très volatiles, exogènes et conjoncturelles et qu’elles ne connaissent pas les mêmes dynamiques.
Mécaniquement, parce qu’ils ont l’obligation de présenter des budgets en équilibre, la capacité d’investissement des départements se réduit dangereusement, alors que les besoins ne cessent de croître et qu’ils sont des donneurs d’ordre de premier plan.
Monsieur le ministre, ce désengagement de l’État et ces transferts de compétences décidés depuis une dizaine d’années et non compensés en totalité rendent la situation intenable. Il est essentiel de prendre conscience de cette situation. Sur quels leviers envisagez-vous d’agir ? Une réforme de la fiscalité des départements ou une recentralisation de certaines compétences sont-elles sur la table ?