M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances, saisie pour avis, a émis un avis favorable sur ce texte, non parce qu’elle a considéré que la politique menée est la bonne ni parce qu’elle a jugé la trajectoire financière suivie convaincante, mais pour que le Sénat discute de ce texte et l’améliore.
Depuis la crise sanitaire, la situation des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’est redressée : un déficit de – seulement… – 8,8 milliards d’euros est ainsi attendu en 2023. Si l’on peut se réjouir que le déficit se réduise, il est toutefois inquiétant qu’il diminue moins qu’attendu.
La résorption du déficit résulte principalement du dynamisme des recettes, qui est lié à la progression de l’emploi et de la masse salariale.
Cependant, en dépenses, le fameux Ondam connaîtrait un dépassement de 2,8 milliards d’euros en 2023, qui s’explique notamment par l’évolution des soins de ville.
Ce dépassement intervient alors que les surcoûts imputables à la crise sanitaire se sont considérablement et logiquement réduits : ils ne représentent plus que 900 millions d’euros en 2023. Toutefois, la crise a durablement affecté la trajectoire de l’Ondam, qui s’établit en 2023 à un niveau supérieur de 14,2 milliards d’euros à celui d’un scénario sans crise et, surtout, sans Ségur de la santé.
En ce qui concerne 2024, la dynamique des recettes ralentirait, contrairement à celle des dépenses, qui s’accroîtrait. En clair, tout ce qu’il ne faut pas faire !
En ce qui concerne les recettes, la moindre progression de la masse salariale du secteur privé ne serait que partiellement compensée par le transfert à la branche autonomie de 0,15 point de CSG, auparavant affecté à la Cades.
L’objectif de dépenses pour 2024, quant à lui, connaîtrait un véritable rebond.
La hausse des dépenses de la branche maladie devrait en principe être modérée – l’Ondam n’augmenterait que de 2,95 % par rapport à 2023 –, mais les dépenses de la branche vieillesse devraient être soigneusement surveillées. À ce propos, madame, messieurs les ministres, le sujet des retraites a été quasiment absent de vos interventions – M. Cazenave l’a certes un peu abordé –, ce qui m’a surpris.
Le report de l’âge d’ouverture des droits ne produira que progressivement des effets, alors que les mesures d’accompagnement ont un résultat immédiat. Le solde de la branche se dégraderait ainsi de 4 milliards d’euros en 2024. Le déficit global repartirait à la hausse en 2024 pour s’établir à 11,1 milliards d’euros.
Il s’agit d’une situation inquiétante dans la mesure où le déficit, c’est de la dette – chacun le sait – et où les conditions de remboursement de la dette sociale se sont sérieusement dégradées ces dernières années. En effet, le taux moyen de refinancement de la Cades a connu une hausse inquiétante, en passant de 0,62 % au début de l’année 2022 à 1,93 % aujourd’hui, certains taux approchant même les 3 %.
Dans le même temps, les ressources dont dispose la Cades pour amortir la dette sociale ont diminué : 0,15 point de CSG lui est retiré en 2024 et le versement du Fonds de réserve pour les retraites passera, à partir de 2025, de 2,1 milliards à 1,45 milliard d’euros.
J’en viens aux prévisions pluriannuelles. Le déficit de la sécurité sociale continuerait à se dégrader pour s’établir à 17,5 milliards d’euros en 2027. Pire, ce scénario défavorable repose sur des hypothèses macroéconomiques de croissance qui ont été jugées « optimistes » par le Haut Conseil des finances publiques. Nous pouvons donc nous attendre à une dégradation encore plus importante.
Concernant la branche maladie, la progression continue des dépenses et les dépassements réguliers de l’Ondam de ville devraient faire l’objet d’une réflexion approfondie. En effet, le Gouvernement se refuse – cela a été patent lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques – à envisager sérieusement une régulation des soins de ville. L’avenir de la maîtrise des dépenses d’assurance maladie est donc un impensé de la part du Gouvernement.
Au sujet de la branche vieillesse, il est inquiétant de constater que la réforme des retraites produira vraisemblablement des effets moindres que ce qui était escompté. En particulier – et cela n’a pas été abordé –, la situation de la CNRACL est de plus en plus préoccupante : son déficit ne cesse de s’aggraver, il atteindrait près de 6,5 milliards d’euros en 2030.
Plus globalement, les déficits cumulés du budget de la sécurité sociale de 2024 à 2027 représenteraient quelque 60 milliards d’euros. Ils pourraient conduire à une nouvelle reprise de dette par la Cades, ce qui repousserait la perspective de son extinction au-delà de 2033.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ma position personnelle sur l’équilibre général du texte est réservée. (Mme la ministre des solidarités et des familles sourit.) Si la commission des finances a émis un avis favorable, j’appelle, pour ma part, à ce que nous recherchions ensemble toutes les sources d’économies possibles et à ne pas voter de nouvelles dépenses qui ne seraient pas financées.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. À défaut, nous continuerons d’être une génération d’égoïstes qui fait financer ses prestations par les générations futures. Cette manière de faire ne m’apparaît ni saine ni morale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’année dernière, le Gouvernement a dû utiliser les dispositions du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution afin que le projet de loi de financement de la sécurité sociale soit adopté par l’Assemblée nationale.
Comme l’année dernière, il en résulte, paradoxalement, des délais d’examen dégradés pour le Sénat. À cet égard, je tiens à saluer nos rapporteurs qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour présenter au Sénat, en commission, puis en séance publique, une position cohérente sur ce texte.
Ils ont d’autant plus de mérite que de nombreuses réponses à leurs interrogations leur sont parvenues très tardivement, voire jamais… Je pense, en particulier, aux éléments communiqués au président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de l’Assemblée nationale sur les franchises médicales, dont notre rapporteure pour l’assurance maladie n’a jamais obtenu la transmission. Cela ne me semble pas acceptable et contraire à la lettre, comme à l’esprit, de la loi organique.
Enfin, comme l’année dernière, l’engagement de sa responsabilité devant l’Assemblée nationale aurait pu permettre au Gouvernement de soumettre au Sénat un texte resserré sur l’essentiel et présentant des priorités claires. Or, une nouvelle fois, c’est un texte confus et bavard qui nous parvient, certes enrichi de dispositions diverses, mais souvent de faible portée, sans parler des nombreuses demandes de rapport émanant de l’ensemble des groupes politiques.
Sur le fond, les rapporteurs ont déjà présenté la position de la commission.
Madame, messieurs les ministres, vous l’aurez compris, nous souhaitons un débat complet sur ce PLFSS d’autant que l’Assemblée nationale en a été privée.
Nous souhaitons exprimer notre scepticisme au sujet de l’Ondam que vous proposez pour 2024 et notre vive inquiétude face à la dette perpétuelle à laquelle vous semblez condamner la sécurité sociale selon vos propres projections financières.
Nous souhaitons aussi formuler des propositions, tout d’abord, pour renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes sociaux – par exemple, en cas de dépassement de l’Ondam ou sur les crédits des agences –, ensuite, pour responsabiliser les différentes parties prenantes dans le domaine de la santé, qu’il s’agisse des patients ou des professionnels.
Nous souhaitons également mieux lutter contre la fraude et nous proposons des mesures ayant trait, d’une part, aux bénéficiaires de pension de retraite établis hors de France, d’autre part, à la carte Vitale biométrique, question récurrente que nous ne voyons pas avancer.
Mme Nathalie Goulet. Eh non !
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Nous souhaitons également aider le Gouvernement – oui, l’aider – à ne pas transformer des idées intéressantes en des échecs programmés faute de préparation adéquate. Je pense, bien sûr, à la réforme du financement des hôpitaux, mais aussi à la fusion des sections « soins » et « dépendance » des budgets des Ehpad. Dans un cas, comme dans l’autre, une expérimentation solide nous semble un préalable indispensable à une généralisation.
Nous souhaitons enfin indiquer nos priorités, en particulier en faveur des familles, peu présentes dans ce PLFSS – madame la ministre, si le discours existe, les traductions budgétaires sont plutôt absentes –, mais également en faveur des collectivités territoriales.
Nous avons par exemple entendu, ces derniers jours, les représentants de l’Assemblée des départements de France, qui s’inquiètent de leur situation financière. Madame, messieurs les ministres, nous devons soutenir les départements dans les efforts qu’ils fournissent notamment en matière de dépendance.
Nous marquerons aussi notre respect du paritarisme, en ne permettant pas que le Gouvernement se serve dans les caisses de l’Unédic et de l’Agirc-Arrco.
Enfin, comme notre rapporteure générale l’a indiqué, la commission soumettra à la Haute Assemblée le rétablissement des articles obligatoires de ce PLFSS que l’Assemblée nationale a supprimés et dont la suppression conforme aurait posé un problème constitutionnel manifeste. Néanmoins, elle le fera en proposant une révision de l’Ondam pour 2023, dont le volet hospitalier nous semble encore sous-financé.
J’espère que non seulement le Gouvernement saura y voir une main tendue, mais qu’il saura la saisir, notamment lors de la nouvelle lecture du texte à l’Assemblée nationale.
Pour conclure, je rappelle que nos propositions s’inscrivent dans un cadre strictement budgétaire – c’est un texte financier.
Elles ne sauraient donc remplacer de grandes lois structurantes, seules à même de remettre à plat des secteurs comme la santé ou le grand âge, pour lesquels la confiance des professionnels et des Français dans leur ensemble s’étiole année après année malgré une augmentation des moyens financiers. Un débat de responsabilité à l’égard des générations futures doit avoir lieu – vous l’avez également évoqué, monsieur le rapporteur pour avis.
Il nous semble nécessaire de remettre à plat un certain nombre de choses et de proposer un ensemble structurant de réformes. Il est impossible de se limiter à quelques propositions de loi, quel que soit leur intérêt. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités, les assumer et ensuite les traduire dans les PLFSS. Tel est notre état d’esprit aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 944.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3 du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (n° 77, 2023-2024), considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que nous entamons l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, soit un budget de 640 milliards d’euros, nous avons une pensée pour nos collègues députés qui n’ont pas pu en débattre. Une fois de plus, vous avez préféré un passage en force.
En ayant recours à votre sacro-saint article 49, alinéa 3, de la Constitution pour l’adoption des parties recettes et dépenses, seuls neuf articles sur les cinquante que compte le texte ont finalement été discutés par les députés.
L’absence de majorité parlementaire favorable au Gouvernement ne doit pas masquer la gravité de la situation de la sécurité sociale, victime de vingt ans de privations, d’étatisation, de désinvestissement et de réduction d’effectifs.
Le débat que nous entamons sur le budget de la sécurité sociale pour 2024 sera l’occasion de confronter nos visions de notre modèle social.
Lors de la réunion de la commission des affaires sociales, l’ensemble des groupes politiques, dans leur diversité, ont indiqué qu’il était impossible de continuer ainsi, sans réforme structurelle de la sécurité sociale.
L’hôpital public va mal, la médecine de ville est en crise, les difficultés d’accès aux soins progressent. Pourtant, les dépenses augmentent, se sont étonnés naïvement certains de nos collègues – nous pensons néanmoins qu’ils voteront le PLFSS…
Les gouvernements successifs, qui ont tenté de compresser les dépenses pour satisfaire aux exigences de Bruxelles, ont sous-estimé les conséquences de l’austérité sur notre protection sociale.
Les personnels du secteur sanitaire, médico-social et social, qui acceptaient, depuis des années, des conditions de travail dégradées et des rémunérations insuffisantes, ont craqué. Or, lorsque les personnels n’en peuvent plus, c’est tout un système qui s’effondre.
Ils ont craqué, car leur attachement au service public et le sens de l’intérêt général, qui les faisaient se lever chaque matin, ne suffisaient plus face à la mise en danger des patients.
La violence institutionnelle qui s’exerce sur les personnels qui refusent de continuer de subir une telle surcharge et de telles conditions de travail entraîne des démissions massives. On parle de 15 000 postes vacants chez les praticiens hospitaliers et d’autant pour les infirmières.
Selon la Fédération hospitalière de France, pour améliorer le recrutement, les capacités de formation devraient être augmentées de 20 %, s’agissant des médecins, et de 25 %, pour les personnels paramédicaux.
Quand prendrez-vous de véritables mesures pour pallier ces manques ?
Nous le savons : il faut, entre autres, améliorer les rémunérations, la qualité de vie et les conditions de travail – sans cela, c’est peine perdue ! Ce sont les seules véritables conditions qui permettront de retenir celles et ceux qui exercent aujourd’hui.
Je pense par exemple à Marie-Pierre, 27 ans, infirmière qui a quitté les urgences pédiatriques de l’hôpital Necker, car elle était arrivée à saturation et ne supportait plus la manière dont les patients étaient traités.
Ce témoignage sur le travail à l’hôpital, je l’ai également entendu dans les services médico-sociaux, dans les Ehpad et dans l’ensemble des services sociaux.
Toutefois, comment faire pour améliorer les conditions de travail sans moyens supplémentaires ? Est-ce alors sérieux de laisser miroiter que cela ira mieux demain ?
Les personnels n’en peuvent plus et le Gouvernement, d’un côté, agite le Ségur de l’investissement et, de l’autre, réduit de 500 millions d’euros les dépenses des hôpitaux.
En ajoutant à tout cela le coût de l’énergie et l’inflation, les hôpitaux sont au bord de l’implosion.
Le « en même temps » n’est pas une manière de gouverner, l’entre-deux en matière de santé n’est plus possible : l’austérité ou l’investissement, il faut choisir !
Le Président de la République, qui s’est déclaré favorable à l’organisation de référendums dans notre pays, devrait poser la question directement à nos concitoyennes et à nos concitoyens.
Devons-nous poursuivre les politiques d’austérité et de compression des dépenses de santé, en acceptant de patienter des jours, parfois des semaines, avant d’obtenir un rendez-vous chez un médecin, en acceptant des fermetures de services d’urgence les week-ends, en acceptant d’y attendre des heures entières sur des brancards ?
Ou devons-nous financer les dépenses de santé à la hauteur des besoins, en revalorisant l’Ondam de 10 milliards d’euros net, déduction faite de l’inflation ?
Cette politique n’est pas utopiste ; c’est un choix de société qui repose sur des choix de solidarité et de financement.
Pour financer notre système de sécurité sociale à la hauteur des besoins, nous proposons de revenir sur les exonérations de cotisations.
En 2024, le Gouvernement prévoit d’exonérer les entreprises de 87,9 milliards d’euros, soit deux fois plus qu’il y a dix ans ; 87,9 milliards d’euros, c’est autant d’argent public perdu pour les recettes de l’État ; 87,9 milliards d’euros, c’est autant d’argent supplémentaire pour les patrons et les actionnaires qui n’est consacré ni à des recrutements supplémentaires ni à l’augmentation des salaires.
Le directeur de recherche du CNRS, Bruno Palier, a des mots particulièrement durs sur les politiques d’exonération de cotisations sociales et d’aides aux entreprises. Selon lui, les politiques de baisse du coût du travail se sont révélées inefficaces en matière d’emploi et délétères pour le travail et, depuis 1993, les plans généraux de baisse des cotisations sociales, les allégements Fillon, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi de François Hollande ont eu pour effets de dévaloriser, d’intensifier et d’abîmer le travail en France.
Il faut ajouter à cela un transfert de financement : des cotisations patronales sont remplacées par des compensations partielles de la part de l’État via des fractions de recettes de TVA.
Ainsi, les entreprises ne participent plus au financement de la sécurité sociale en dessous de 3,5 Smic, tandis que nos concitoyennes et nos concitoyens qui achètent leur baguette de pain financent leur retraite et leur hôpital.
Cette incongruité pourrait nous amener à sourire si, en creux, elle ne remettait pas en cause le pacte social de la Nation. Les besoins augmentent et les dépenses continueront inexorablement à progresser avec le vieillissement de la société.
Pour réussir à financer notre système de sécurité sociale, il faut mettre à contribution les revenus financiers des entreprises et moduler leurs cotisations selon les politiques sociales et environnementales qu’elles mettent ou non en place.
Plutôt que de chercher de nouvelles recettes, le Gouvernement réduit les dépenses, en faisant les poches des malades au travers de son projet de doublement des franchises médicales. Selon un sondage Elabe du 2 novembre, 63 % des Français estiment que le doublement de la franchise sur les médicaments n’est pas acceptable et que cela contribuerait à détériorer l’accès à la santé.
Face au risque politique, le Gouvernement recule, mais il ne renonce pas à augmenter le reste à charge des malades par la publication d’un décret dans quelques semaines, ce qui lui évite un débat devant le Parlement…
Cet été, le ministre de l’économie avait dénoncé l’augmentation des dépenses d’indemnités journalières maladie au cours des dernières années. Si la proposition d’augmenter les délais de carence en cas d’arrêt maladie ne figure pas dans le PLFSS 2024, le débat pourrait être rouvert par voie d’amendement, cette année ou l’an prochain.
Ce PLFSS prévoit plusieurs mesures de culpabilisation et de stigmatisation des patients.
Je pense à la limitation à trois jours de la durée des arrêts de travail prescrits lors d’une téléconsultation, alors que six millions de Français n’ont pas de médecin traitant.
Je pense surtout à la suspension du versement des indemnités journalières après un rapport du médecin contrôleur jugeant un arrêt injustifié.
Cette suspension automatique des indemnités journalières versées par la sécurité sociale, à la suite du contrôle mandaté par l’employeur, est scandaleuse. Elle résulte de l’idée selon laquelle la hausse des dépenses d’indemnités journalières serait due à des médecins trop généreux ou à des travailleurs abuseurs.
En réalité, l’augmentation des indemnités journalières s’explique par le vieillissement de la population active. Cette progression perdurera du fait du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans.
Le contrôle des arrêts maladie indemnisés par l’assurance maladie doit rester l’apanage de cette dernière, avec des garanties de débat et de recours. Le risque de dérive vers une privatisation du contrôle de l’assuré social et l’instrumentalisation par l’employeur de cette procédure à l’égard de salariés en position de fragilité est intolérable.
Pour financer la réforme qui crée France Travail, le Gouvernement prévoit d’effectuer une ponction de 2,7 milliards d’euros sur les excédents de l’Unédic.
M. Xavier Iacovelli. Des excédents dus à la réforme des retraites !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ainsi, les économies réalisées sur le dos des chômeurs par la réduction de leurs droits permettront de financer la casse de Pôle emploi. C’est le « double effet Kiss Cool » de la réforme de l’assurance chômage : tu joues et, dans tous les cas, tu perds !
Le Gouvernement prévoyait aussi la ponction de 3 milliards d’euros sur les comptes de l’Agirc-Arrco. Après la levée de boucliers des organisations syndicales, il a été obligé de reculer, mais nous savons pertinemment qu’il n’a pas définitivement abandonné son projet. Il préfère présenter au Sénat un budget insincère !
Le Gouvernement renforce les contrôles sur les arrêts de travail au lieu de s’attaquer aux 8 milliards d’euros de fraude patronale et de réfléchir aux conditions de travail dans les entreprises.
En conclusion, le mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement, le 49.3 à l’Assemblée nationale, l’application de l’article 40 de la Constitution qui fait voler en éclats nos amendements, l’absence de refonte du financement de notre système de sécurité sociale avec un Ondam bien en dessous des besoins, alors qu’il aurait fallu l’indexer sur l’inflation, le manque de mesures concrètes, la stigmatisation des assurés sociaux, toutes ces raisons ne permettent pas de réunir les conditions d’un véritable débat politique.
C’est pourquoi le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky appelle à voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Ma chère collègue, vos premiers mots ont été pour souligner que l’Assemblée nationale avait été privée de débat.
Or, si nous votions votre motion, nous nous en priverions nous-mêmes, alors que vous avez déposé de nombreux amendements qui ne manqueront pas de susciter des discussions… Nous renoncerions ainsi à des moments enrichissants !
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Aurélien Rousseau, ministre. Madame la sénatrice, vous avez employé des mots très forts pour évoquer le supposé mépris du Parlement de la part du Gouvernement, mais je suis toujours surpris, quand on avance cet argument, qu’on fasse ainsi un tri entre les articles de la Constitution qui conviendraient et ceux qui ne conviendraient pas.
Vous défendez aujourd’hui une motion tendant à opposer la question préalable. Certains de vos collègues députés avaient déposé une motion de rejet préalable, du reste votée par les deux extrêmes de l’hémicycle, ce qui aurait eu pour effet de priver l’Assemblée nationale de tout débat…
M. Pascal Savoldelli. C’est quoi les extrêmes ?
M. Aurélien Rousseau, ministre. Les deux extrêmes de l’hémicycle (Brouhaha sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.) ont voté, que vous le vouliez ou non, mesdames, messieurs les sénateurs, la motion de rejet préalable qui, à quelques voix près, n’a pas été adoptée. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
J’entends par ailleurs que vous remettez en cause l’article 40 de la Constitution. Nous aurons du mal à trouver un terrain d’entente de ce point de vue.
Madame la sénatrice, au-delà de ce constat, je tiens à vous répondre sur quatre points.
Premièrement, ce n’est pas pour satisfaire les demandes de Bruxelles que le Gouvernement présente ce PLFSS.
La préoccupation qui m’anime, comme un certain nombre d’orateurs, est précisément à l’opposé de la vôtre : si nous ne parvenons pas à rétablir l’équilibre des comptes de la sécurité sociale en général et de l’assurance maladie en particulier, nous ferons voler en éclats l’idée que l’assurance sociale, l’un des acquis de 1945, est bien le système le plus efficace pour prendre en charge les dépenses liées à la santé, à la vieillesse et à l’autonomie de nos concitoyens.
Aujourd’hui, 82 % des dépenses d’assurance maladie sont prises en charge par l’assurance maladie obligatoire ; les complémentaires en couvrent quant à elles 14 %. Ce n’est pas pour satisfaire Bruxelles !
J’y insiste : si nous laissons le déficit se creuser chaque année, certains esprits bien intentionnés décréteront vite que l’assurance maladie obligatoire est moins performante que les assurances maladie complémentaires – or, aujourd’hui, celles-ci ne se cantonnent malheureusement pas aux mutuelles.
Maintenir un système d’assurance sociale viable et robuste : telle est la priorité du Gouvernement.
Deuxièmement, vous affirmez que le présent texte ne déploie pas de moyens supplémentaires. Les chiffres eux-mêmes vous contredisent – je suis au regret de vous le signaler. L’Ondam fixé pour 2024 dépasse de 8 milliards d’euros celui de 2023. (M. le ministre délégué chargé des comptes publics le confirme.)
Je vous en donne acte, nous demandons à l’hôpital un effort de l’ordre de 500 millions d’euros au titre des achats, mais nous finançons aussi de nombreuses actions en sa faveur. Je ne citerai que les dernières mesures annoncées, lesquelles portent sur le travail de nuit ainsi que sur le travail des samedis et dimanches : à elles seules, ces mesures, financées par l’Ondam, coûtent plus de 1 milliard d’euros.
Je rappelle que les soignants hospitaliers ont connu, ces dernières années, les plus fortes hausses de traitement accordées depuis trente ans. Ainsi les rémunérations du public ont-elles retrouvé le niveau du privé. Je parle notamment des professionnels paramédicaux et des praticiens hospitaliers, non de certaines activités libérales, qui sont évidemment beaucoup plus lucratives.
Vous insistez avec raison sur la qualité de vie des soignants et sur leurs perspectives professionnelles ; nous avons précisément ouvert ces chantiers.
Les mesures que nous avons prises en faveur de l’attractivité nous permettent aujourd’hui de rouvrir des lits. Or rouvrir des lits, c’est permettre les remplacements. Permettre les remplacements, c’est permettre les départs en formation. Et permettre les départs en formation, c’est offrir de véritables évolutions professionnelles. Pour moi, tout cela s’appelle le progrès.
Troisièmement, au sujet des exonérations, force est de constater un désaccord très profond entre nous.
Vous évoquez les exonérations de charges, que vous évaluez à 87 milliards d’euros. Mais si, à l’heure actuelle, notre système de sécurité sociale est viable, c’est parce que le chômage est tombé à 7 %. Nous en étions encore très loin il y a quelques années.
Pour une partie d’entre nous, nous avons vécu pendant des décennies avec le chômage de masse. D’ailleurs, nous ne mesurons pas encore complètement combien sa disparition transforme nos réalités sociales, notamment le rapport au travail.
Le meilleur moyen de maintenir tel qu’il est notre système de sécurité sociale solidaire, reposant sur la contribution des salariés et des employeurs, c’est le plein emploi ; et le plein emploi, c’est le cap que le Gouvernement ne cesse de tenir.
En la matière, il suffit de quelques décisions pour balayer tous les efforts accomplis. Voilà pourquoi nous restons fidèles à notre ligne.
À cet égard, M. le ministre chargé des comptes publics a évoqué un certain nombre de mesures prises au titre des recettes, notamment le gel des fameux « bandeaux famille », qui permettra d’économiser plus de 600 millions d’euros.
Comme beaucoup, j’ai grandi avec l’idée que le chômage de masse serait irréversible. Or, si le taux de chômage baissait encore de deux points, aucune des branches de la sécurité sociale ne serait en déficit.
Quatrièmement et enfin, vous associez à tort responsabilisation, culpabilisation et stigmatisation.
Quand, à patientèle égale, un médecin prescrit quatre fois plus d’arrêts de travail que la moyenne de ses confrères, je n’estime pas qu’il est nécessairement fautif. En revanche, je considère que l’assurance maladie est en droit d’aller l’interroger afin de comprendre ce dont il retourne.
De même, j’ai demandé à l’assurance maladie de me signaler les entreprises où les arrêts maladie explosent.