M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous présenter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, aux côtés d’Aurélien Rousseau et d’Aurore Bergé.
Tout au long de l’élaboration du texte, jusqu’à son examen à l’Assemblée nationale et, aujourd’hui, au Sénat, nous avons eu comme seule boussole de prolonger et d’amplifier l’investissement dans notre système de protection sociale et de santé, tout en cherchant à maîtriser nos dépenses.
Vous le savez, la maîtrise des dépenses, notamment celles de santé, est une condition indispensable pour préserver notre système à court et moyen terme. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur la question financière, car nous risquerions d’hypothéquer notre capacité à faire face aux crises de demain.
Si nous avons réussi à mettre en œuvre le « quoi qu’il en coûte » et à protéger les Français face à la crise sanitaire, c’est parce que nous avions des marges de manœuvre suffisantes pour le faire. Il faut les retrouver.
Cette logique est valable pour la sécurité sociale comme pour les finances publiques dans leur ensemble. Nous avons pour objectif de ramener le déficit public sous la barre des 3 % à horizon de 2027. Nous pouvons revenir à ce niveau, que nous avions atteint avant les crises, puisque le déficit avait diminué à 2,9 % du PIB en 2017 et à 2,3 % du PIB en 2018, pour s’établir à 3 % du PIB en 2019. Il faut que l’effort soit partagé entre l’État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale.
En parallèle, l’évolution de la démographie et le vieillissement de la population, ainsi que le renchérissement associé au progrès médical, rehaussent constamment et spontanément nos dépenses. Des mesures de maîtrise sont donc absolument nécessaires pour éviter que le système ne dérive.
Pour redresser nos comptes, ce PLFSS prévoit 3,5 milliards d’euros d’économies dans le champ de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Ces économies résident dans un effort partagé, demandé à tous les acteurs.
En premier lieu, les dépenses de médicaments ont augmenté de 4 % par an, en moyenne, au cours des dernières années. Au total, elles ont atteint 35 milliards d’euros en 2022. Des marges d’amélioration sont possibles, notamment en ce qui concerne les antibiotiques, pour lesquels notre consommation est supérieure de 20 % à la moyenne européenne.
Aussi, en 2024, des économies d’un montant de 1,3 milliard d’euros seront attendues spécifiquement sur les dépenses de médicaments et dispositifs médicaux. Afin d’y parvenir, nous nous assurerons de la baisse des prix de ces produits dans le cadre des négociations entre les industriels et le comité économique des produits de santé, pour une économie de 1 milliard d’euros.
Nous travaillerons également sur la maîtrise des quantités consommées, pour une économie de 300 millions d’euros.
Grâce à ce PLFSS, nous pourrons ainsi activer des mesures d’épargne, dont le conditionnement à l’unité, en cas de risque de pénurie sur les médicaments. Je souhaite que nous progressions encore à l’avenir, pour mettre en place ce conditionnement chaque fois que cela est possible, et pas seulement en période de pénurie.
Quant à l’effort et à la participation des complémentaires et des assurés, ils garantiront 1,3 milliard d’euros d’économies.
Ces économies ne proviennent pas nécessairement de dispositions législatives. Nous souhaitons continuer de travailler avec tous les acteurs concernés, ainsi qu’avec les parlementaires qui souhaiteront nous aider.
Parmi les mesures déjà décidées figure le recours au transport sanitaire partagé, disposition qui relève du bon sens. Les patients qui n’ont aucune contre-indication médicale se verront proposer un transport collectif dans le cadre de leurs soins. Cela permettra de réduire les dépenses en matière de transport et de contribuer à nos objectifs dans le domaine de la transition écologique.
Nous favoriserons aussi le recours aux médicaments génériques ou biosimilaires chaque fois que cela est possible.
Enfin, concernant l’Ondam, la maîtrise des dépenses au travers de mesures portant sur les soins de ville et l’hôpital permettra une économie à hauteur de 900 millions d’euros. Nous continuerons notamment de diminuer les dépenses sur les tarifs des actes de biologie et d’imagerie médicale, grâce à la réforme de leur financement.
À moyen terme, les amendements adoptés à l’Assemblée nationale, qui ont pour objet la dialyse et la radiothérapie à l’hôpital, permettront de réajuster le financement de ces soins.
Ce travail, qui favorise les économies nécessaires à la soutenabilité de notre système, doit se poursuivre au-delà de ce PLFSS. Je rappelle que la loi de programmation des finances publiques prévoit à partir de 2025 un objectif de 12 milliards d’euros d’économies nouvelles, dont 6 milliards d’euros dans le champ des administrations de sécurité sociale.
Pour l’atteindre, nous nous appuierons sur un nouveau cycle de revues de dépenses, qui visera à évaluer la qualité de l’action publique et à en améliorer l’efficience.
Nous engagerons aussi des réformes structurelles sur certains postes de dépenses. Comme l’a annoncé la Première ministre à l’été dernier, nous lancerons par exemple une concertation sur les indemnités journalières. Je souhaite que ce chantier puisse aboutir en 2025.
Enfin, nous renforcerons nos outils de pilotage de la dépense. En particulier, nous engagerons un travail sur l’Ondam, pour que celui-ci permette de mieux réguler la dépense et de garantir le respect des objectifs fixés chaque année avec les parlementaires dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).
Au-delà des mesures sur l’assurance maladie, nous favoriserons la maîtrise des dépenses sociales par la lutte contre le chômage et par nos actions en faveur du plein emploi.
Dans ce champ, nous bénéficions des réformes structurelles engagées par le Gouvernement et portées en particulier par Olivier Dussopt. La réforme de l’assurance chômage et celle des retraites permettent de limiter nos dépenses et d’augmenter les recettes des administrations de sécurité sociale.
Cette année, le niveau du taux de chômage est historiquement bas, à 7,2 %. Depuis 2017, quelque 2 millions d’emplois ont été créés. Pour atteindre le plein emploi et l’objectif d’un taux de chômage à 5 %, nous devons poursuivre dans cette voie. Nous assurerons ainsi la pérennité de notre système.
Le bénéfice de ces réformes doit être préservé. Je sais que les derniers débats sur l’Agirc-Arrco ont beaucoup préoccupé le Sénat. Je me réjouis de le constater, les partenaires sociaux se sont accordés pour discuter du financement des dispositifs de solidarité. Je souhaite que ce dialogue aboutisse, et qu’ils puissent s’engager dans cette voie.
Deux mesures concernant ce régime de retraite complémentaire figurent néanmoins dans le texte, sur lesquelles je souhaite apporter des clarifications.
L’article 8 du PLFSS prévoit de revenir sur le transfert aux Urssaf du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire, qui devait avoir lieu en 2024.
Dans un rapport d’information de 2022, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat avait souligné les risques liés à ce transfert et préconisé son report. Nous l’avons mis en œuvre en 2023 et nous faisons désormais le choix du maintien d’un circuit spécifique. Toutefois, je tiens à le dire, nous demeurons convaincus de la nécessité pour l’Agirc-Arrco et l’Urssaf de travailler ensemble pour faciliter la vie des entreprises.
S’agissant de l’article 9, il prévoit un transfert pour le financement des régimes spéciaux en extinction. En effet, le régime bénéficiera de nombreux nouveaux cotisants sans devoir effectuer de paiements de pensions avant de longues années.
Bien évidemment, la priorité reste donnée à la voie conventionnelle. Le Parlement a examiné des dispositions tout à fait similaires, par deux fois déjà, notamment pour la SNCF dans la LFSS pour 2020, sans les contester. Je comprends que le sujet soit sensible, mais j’espère que vous vous inscrirez dans ces précédents et que vous ne remettrez pas en cause le texte du Gouvernement.
En plus des économies que nous dégageons, nous augmentons aussi les recettes de la sécurité sociale.
L’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à contenir l’augmentation des allégements de charges patronales. Nous avons acté la stabilisation des barèmes à leur niveau de 2023 s’agissant des bornes à 2,5 Smic et 3,5 Smic, ce qui évitera une perte de recettes de l’ordre de 600 millions d’euros. Cette mesure ne modifie pas les exonérations déjà perçues par les différents secteurs économiques, ce qui permet de les sécuriser.
Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteure générale, qui, en commission des affaires sociales, a introduit un plancher supplémentaire pour empêcher que plusieurs gels successifs n’aboutissent à des seuils inférieurs ou égaux à 2 Smic. Nous sommes favorables à cette mesure, qui apporte de la visibilité à tous les acteurs, ce qui correspond pleinement à nos objectifs en la matière.
Les économies que je vous présente renforcent donc la pérennité de notre système. Elles nous permettront de continuer d’investir dans ce qui constitue les priorités des Français.
L’Ondam 2023 intègre ainsi l’enveloppe de 100 millions d’euros que la Première ministre avait annoncée, l’été dernier, dans le cadre d’un nouveau fonds d’urgence pour accompagner les Ehpad et les services à domicile rencontrant des difficultés financières.
En 2024, l’Ondam franchira le seuil des 30 milliards d’euros, au bénéfice du grand âge et du handicap. En effet, nous poursuivrons l’évolution du financement des Ehpad dans les départements volontaires.
Nous poursuivrons également la revalorisation des rémunérations des professionnels déjà actée, à l’hôpital comme dans les établissements médico-sociaux. Par exemple, pour les professionnels soignants, nous augmenterons la rémunération du travail de nuit, de manière qu’elle soit supérieure de 25 % à celle du travail de jour. Concrètement, un infirmier en milieu de carrière qui aura travaillé de dix à douze nuits par mois verra sa rémunération mensuelle brute augmenter de 300 euros par rapport à 2022.
Ainsi, les dépenses en faveur de l’hôpital atteindront en 2024 un niveau inédit et dépasseront les 100 milliards d’euros pour la deuxième année consécutive.
Nous avons aussi amélioré le texte grâce aux propositions des députés. Nous étendrons le champ de la vaccination contre le papillomavirus aux jeunes accueillis dans des établissements médico-sociaux et nous généraliserons le dépistage du cytomégalovirus pendant la grossesse.
En outre, comme le rappelait Aurore Bergé, nous avons acté la prise en charge à 100 % des fauteuils roulants et la suppression du délai de carence pour les arrêts de travail qui font suite à une interruption médicale de grossesse. Enfin, nous expérimenterons un nouveau parcours de soins pour les dépressions post-partum.
Au total, l’Ondam 2024 progressera de 3,2 %, soit un taux supérieur à celui de l’inflation, qui s’établira, quant à lui, à 2,5 %. Ce sera le cas également dans les prochaines années.
Hors du champ de l’Ondam, je souhaite rappeler que le Gouvernement maintient un système protecteur d’indexation des prestations sur l’inflation, pour un montant supplémentaire de 14 milliards d’euros pour les retraites et de plus de 1 milliard d’euros pour les prestations familiales.
En matière de pensions, le texte adopté à l’Assemblée nationale comporte également une réforme de l’assiette du prélèvement pour les travailleurs indépendants.
Cette mesure aura vocation à leur ouvrir des droits nouveaux pour la retraite, notamment via les complémentaires, tout en étant neutre pour les finances publiques. Je suis heureux que la rédaction de ce dispositif, fruit d’une longue concertation, ait abouti à temps pour figurer dans le texte, de sorte que nous pourrons l’examiner ensemble.
Ce PLFSS acte donc une trajectoire ambitieuse pour notre système de santé et de solidarité. Il s’agit de maîtriser les dépenses tout en investissant. Telle est la position d’équilibre à laquelle nous avons abouti et que nous souhaitons conforter lors de nos travaux.
Toutefois, cet équilibre est menacé par un autre paramètre, à savoir la fraude.
À cet égard, notre objectif de tolérance zéro reste inchangé. Le Gouvernement est résolu à tout mettre en œuvre pour détecter, poursuivre et sanctionner chacune des fraudes.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Il s’agit là non seulement d’un impératif financier, mais aussi d’un impératif d’équité et de justice sociale pour l’ensemble des assurés.
Il n’est pas admissible que certains éludent leurs cotisations, perçoivent indûment des prestations, abusent de leur expertise ou, comme nous l’avons vu dans l’actualité récente, facilitent la fraude. Je sais que la commission des affaires sociales et le Sénat tout entier portent avec force ce sujet, au travers de rapports et de propositions de loi qu’illustrent notamment les travaux de Mmes les sénatrices Gruny et Harribey.
Mme Nathalie Goulet. Et moi ?…
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ce PLFSS renforce donc notre arsenal de lutte contre la fraude. Nous sécurisons le circuit de paiement des cotisations des travailleurs des plateformes, en garantissant non seulement le paiement, mais aussi l’acquisition de nouveaux droits sociaux pour ces travailleurs.
Nous renforçons les sanctions contre les professionnels de santé fraudeurs. Ces professionnels devront rembourser les cotisations prises en charge par l’assurance maladie. Sur un montant de fraudes détectées de 316 millions d’euros en 2022, quelque 68 % sont le fait de professionnels de santé.
Un amendement adopté à l’Assemblée nationale vise à préciser que les informations sur les professionnels de santé fraudeurs seront transmises aux ordres professionnels.
Nous sécurisons le dispositif d’avance immédiate au crédit d’impôt sur les services à la personne, car, s’il simplifie l’accès à ces services, l’expérience a montré qu’il était aussi à l’origine de nouveaux schémas de fraude. Des discussions avec les acteurs sont encore en cours pour faire évoluer le dispositif dans les prochaines semaines, afin de trouver le bon équilibre entre la prévention efficace de la fraude et le soutien à ce dispositif qui rend service à plus de 800 000 Français.
Nous simplifions le circuit de contrôle des arrêts maladie et le rendons plus effectif, tout en préservant les droits des assurés. Un amendement a d’ailleurs été déposé qui vise à prévoir un schéma spécifique pour les assurés en affection de longue durée.
La lutte contre la fraude doit également permettre de traduire en justice et de sanctionner ceux qui en font la promotion ou qui mettent des outils de fraude à disposition. Nous créons donc un délit de facilitation de la fraude, assorti d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende. Lorsque les faits sont commis en ligne, les peines sont aggravées.
Nous proposerons également un amendement pour augmenter les peines lorsque les faits sont commis en bande organisée. Nous avons la même ambition en matière de fraude sociale et de fraude fiscale.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Ce PLFSS s’inscrit ainsi dans la mise en œuvre du plan de lutte contre toutes les fraudes, par ailleurs doté de moyens humains renforcés. Au total, 1 000 agents supplémentaires participeront à la lutte contre la fraude au sein des caisses de sécurité sociale d’ici à 2027.
Enfin, pour mieux combattre ces fraudes, nous devons mieux les connaître. C’est pourquoi j’ai lancé, au mois d’octobre dernier, le conseil d’évaluation de la fraude, auquel participent plusieurs parlementaires. Il travaillera à mieux évaluer les fraudes dans le champ de l’assurance maladie et à affiner l’évaluation de la fraude aux cotisations.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est donc un texte que caractérisent le sérieux et l’esprit de responsabilité. Nous continuons d’investir massivement dans notre système de santé et de solidarité. Nous amorçons une stratégie de maîtrise des dépenses, afin de retrouver les marges de manœuvre nécessaires pour faire face aux crises.
Enfin, nous pérennisons un système qui ne saurait tolérer d’être mis à mal par la fraude. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, mes chers collègues, nous nous apprêtons à examiner le deuxième projet de loi de financement de la sécurité sociale de la législature. Or, les conditions de cet examen sont étonnamment proches de celles d’il y a un an.
Tout d’abord, comme l’année dernière, dans le cadre de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a été conduit à recourir à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour faire adopter les deux parties relatives à l’exercice suivant.
Ensuite, comme l’année dernière, pour ne pas prolonger excessivement la durée d’examen du texte à l’Assemblée nationale, le Gouvernement n’a pas engagé sa responsabilité sur les autres dispositions du texte. Celui-ci nous arrive donc, cette fois encore, en étant dépourvu de certaines dispositions pourtant obligatoires, dont l’absence pourrait entraîner la censure de l’ensemble.
L’année dernière, il manquait le tableau d’équilibre rectifié et l’Ondam rectifié pour l’exercice en cours. Il en va de même cette année, mais il manque en outre l’article liminaire, relatif à l’ensemble des administrations de sécurité sociale.
Le Sénat fera, bien évidemment, preuve de responsabilité, et, comme l’année dernière, il rétablira les dispositions obligatoires manquantes.
Le PLFSS pour 2024 nous arrive donc tronqué. Surtout, le débat parlementaire lui-même a jusqu’à présent été tronqué.
Au vu des enjeux financiers et politiques très importants des projets de loi de financement de la sécurité sociale – madame, messieurs les ministres, vous venez de les rappeler –, nous avons la responsabilité de faire vivre au Sénat des débats complets sur le PLFSS pour 2024. Soyez sûrs que ces débats seront à l’image de la Haute Assemblée, c’est-à-dire non seulement sérieux et respectueux, mais aussi exigeants, et parfois en contradiction avec votre approche.
Un autre point commun avec la situation d’il y a un an est que, paradoxalement, l’examen du PLFSS pour 2024 coïncide, cette fois encore, avec celui d’un projet de loi de programmation des finances publiques.
En effet, le projet de loi de programmation des finances publiques, rejeté par l’Assemblée nationale et adopté, profondément modifié, par le Sénat, à l’automne de l’année dernière, nous est revenu de l’Assemblée nationale cet automne, le Gouvernement ayant eu recours cette fois-ci à l’article 49.3 de la Constitution. Le Sénat a adopté le texte en nouvelle lecture le 16 octobre dernier.
Des dispositions essentielles du PLFSS pour 2024 sont donc la déclinaison de mesures figurant dans le projet de loi de programmation des finances publiques. C’est le cas de celles qui visent à fixer jusqu’en 2027 le montant annuel des dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ou bien de celles qui sont relatives à l’Ondam.
La situation a toutefois évolué depuis le 16 octobre. Par exemple, compte tenu des perspectives d’exécution de 2023, l’Ondam pour 2024 peut désormais sembler optimiste, raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous proposerons de supprimer l’article 43.
Ces similitudes institutionnelles avec la situation d’il y a un an ne doivent pas masquer deux profondes évolutions, qui font de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale un texte de rupture.
La première rupture est celle de l’abandon affiché, non seulement de l’objectif de retour de la sécurité sociale à l’équilibre, mais aussi du simple objectif de stabilisation du déficit.
Ce dernier a atteint 40 milliards d’euros en 2020 du fait de la crise sanitaire, ce qui était inévitable et parfaitement normal, puisque la France a connu sa pire récession économique depuis la Seconde Guerre mondiale et a, de surcroît, dû assumer le coût direct de la crise sanitaire – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.
On peut aussi considérer que, pour l’essentiel, le point de départ de 8,8 milliards d’euros en 2023 est normal. En effet, le produit intérieur brut de la France a été réduit de manière durable, voire pérenne, par la crise, ce qui explique l’essentiel de ce déficit.
Ce qui est sans doute moins normal, c’est qu’à partir de ce point de départ de 8,8 milliards d’euros, la situation se dégrade fortement : l’augmentation du déficit se poursuivrait pour atteindre 17,5 milliards d’euros en 2027. C’est une différence majeure par rapport à la situation qu’a connue notre pays dans les années 2010 : après la crise des dettes souveraines, le solde des comptes de la sécurité sociale est passé d’un déficit de plus de 25 milliards d’euros au quasi-équilibre qui prévalait avant la survenue de la crise sanitaire.
Il y a là comme un aveu d’impuissance, l’idée assumée que l’on transmet notre dette sociale aux générations futures.
Schématiquement, la branche maladie, actuellement déficitaire d’environ 10 milliards d’euros, le resterait jusqu’en 2027. La branche vieillesse verrait, quant à elle, son déficit exploser : il passerait de 2 milliards d’euros en 2023 à 14 milliards d’euros en 2027.
Évidemment, il ne faut pas se tromper sur le sens à donner à ces chiffres concernant les retraites. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, qui supposait déjà dans sa programmation un report de l’âge légal de la retraite, prévoyait un déficit de la branche vieillesse de 15,7 milliards d’euros en 2026, déficit ramené à 14,2 milliards d’euros par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 qui a réformé les retraites, ce qui n’est pas significativement différent des 14 milliards d’euros de déficit actuellement prévus pour 2027.
Cette augmentation du déficit de la branche vieillesse n’est donc pas une nouveauté : elle était prévue lors de la récente réforme des retraites qui, selon le Gouvernement, permettra de réduire le déficit à 6,3 milliards d’euros en 2027.
Ce qui est nouveau en revanche, c’est que, contrairement à ce que les précédentes lois de financement de la sécurité sociale prévoyaient, on n’escompte plus d’amélioration du solde de la branche maladie. Le Gouvernement assume de financer durablement la santé par le déficit. Voilà ce qui est véritablement contestable dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La seconde rupture tient à ce que l’on assiste en 2023 à une déconnexion historique entre le déficit de 8,8 milliards d’euros de la sécurité sociale et l’excédent – je dis bien l’excédent, pas le déficit ! – de l’ensemble des administrations de sécurité sociale, qui comprennent, en plus de la sécurité sociale, des entités comme la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), l’Unédic ou les régimes complémentaires de retraite.
Ces administrations de sécurité sociale, dont le périmètre est donc nettement plus vaste que celui de la sécurité sociale, seraient très largement excédentaires cette année, ce qui est nouveau – un tel excédent est apparu l’année dernière seulement.
Le Gouvernement suppose que ce phénomène historiquement atypique, loin de se résorber, s’accentuera d’ici à 2027, année où l’excédent des administrations de sécurité sociale atteindrait un point de PIB, c’est-à-dire 30 milliards d’euros.
D’où ces 30 milliards d’euros d’excédent global proviendraient-ils ?
D’un côté, il y aurait 17,5 milliards d’euros de déficit de la sécurité sociale stricto sensu.
De l’autre, il y aurait une cinquantaine de milliards d’euros d’excédents divers, qui correspondent essentiellement à ceux de la Cades, de l’Unédic et des régimes complémentaires de retraite et à 6 milliards d’euros d’économies restant à documenter, monsieur le ministre (M. le ministre délégué chargé des comptes publics acquiesce.), dont on ne sait pas encore comment elles se répartiront entre la sécurité sociale au sens strict et les autres administrations de sécurité sociale.
Cette programmation conduit à se poser quatre questions.
Première question : cette prévision en matière d’excédents des administrations de sécurité sociale à l’échéance 2027 est-elle réaliste ?
La commission des affaires sociales juge pour sa part que cette programmation est optimiste.
Elle estime, du fait notamment d’une hypothèse de croissance elle-même optimiste de 1,3 % par an – plutôt que de 1,7 % par an, comme le prévoit le Gouvernement – et d’un Ondam plus dynamique, que le déficit de la sécurité sociale stricto sensu sera nettement supérieur en 2027 à ce que prévoit le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Elle considère en outre que les prévisions d’excédents de l’Unédic et des régimes complémentaires de retraite sont également optimistes.
Au total, en 2027, l’excédent des administrations de sécurité sociale, considérées dans leur ensemble, ne s’élèverait pas à plus de 30 milliards d’euros, mais, à notre avis, à quelques milliards d’euros seulement.
La deuxième question à se poser a trait à la gestion de cette situation de décalage entre une sécurité sociale stricto sensu en fort déficit et d’autres administrations de sécurité sociale en fort excédent, même s’il nous semble que cet excédent sera moins fort que ce que pense l’exécutif.
Le Gouvernement choisit de prendre de l’argent aux administrations de sécurité sociale en fort excédent et de le transférer à la branche vieillesse dans le cas de l’Agirc-Arrco ou à l’État dans le cas de l’Unédic. La commission des affaires sociales juge que ces deux mesures sont inappropriées : c’est pourquoi elle vous proposera de supprimer les dispositions correspondantes aux articles 9 et 10.
La commission considère, d’une part, qu’il ne faut pas réaliser subrepticement une nouvelle réforme des retraites en contraignant financièrement l’Agirc-Arrco et, d’autre part, que la priorité pour l’Unédic, comme d’ailleurs pour l’ensemble des administrations publiques, est de se désendetter. Si l’État veut financer de nouvelles dépenses, il doit le faire par des économies.
La troisième question est celle du financement d’une dette de la sécurité sociale stricto sensu qui continuera à croître. En 2020, la loi a autorisé le transfert de 136 milliards d’euros de dette à la Cades. Actuellement, seuls 8,8 milliards d’euros – cela tombe bien : c’est justement le déficit de cette année ! – restent disponibles sur cette enveloppe.
À droit inchangé, les déficits annuels s’accumuleront au niveau de l’Urssaf Caisse nationale, l’ancienne Acoss. Si l’on ne fait rien, dans dix ans, la somme pourrait atteindre 200 milliards d’euros. L’Urssaf Caisse nationale se finançant à court terme sur les marchés, cela serait dangereux, en particulier si la France devait connaître une nouvelle crise économique.
Quatrième question à se poser : que faut-il faire pour réduire le déficit de la sécurité sociale stricto sensu ?
Comme les années précédentes, la commission des affaires sociales a abordé chacun des articles de ce texte de façon constructive.
En particulier, elle propose de rétablir l’article liminaire et l’article 1er dans leur version initiale, ainsi que l’article 2, mais en modifiant, pour cet article, la répartition de l’Ondam pour 2023 entre ses différentes composantes.
Elle a par ailleurs exprimé son désaccord avec la trajectoire financière et l’absence de stratégie du Gouvernement, en proposant de rejeter l’article 16 et l’annexe A, ainsi que l’article 42.