M. Jacques Fernique. Le président Gontard, premier signataire de cet amendement, s’est rendu au cours de l’hiver 2020-2021, avec d’autres élus, à la frontière franco-italienne pour participer à des maraudes solidaires. Ils ont malheureusement constaté, à plusieurs reprises, le non-respect des droits des personnes migrantes par les agents de l’autorité administrative aux frontières.
En particulier, la procédure de refus d’entrée sur le territoire est détournée. En effet, les formulaires de refus d’entrée sont très souvent préremplis par les agents administratifs. Ainsi, la case « je veux repartir le plus rapidement possible », destinée à être remplie par les personnes migrantes, est souvent déjà cochée avant que le formulaire ne leur soit présenté.
Il est également courant que les personnes migrantes ne soient pas informées de leurs moyens d’action préalables, notamment du droit de recourir à un interprète et à un médecin, ou de leurs droits en matière de demande d’asile. À titre d’exemple, un ressortissant tunisien a même reçu une décision de refus d’entrée sans la page relative à ces droits. Ces constats traduisent une politique sciemment mise en place afin de limiter les demandes d’asile, au mépris de l’État de droit.
Au regard de ces atteintes claires aux droits des personnes exilées, cet amendement a pour objet de renforcer le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que de faire un nécessaire rappel à la loi. Toute personne se présentant aux frontières françaises doit être notifiée de la nature de ces droits, oralement et par écrit, dans une langue qu’elle comprend, afin de pouvoir les exercer en pleine connaissance.
C’est un droit, il doit être respecté. Tout être humain, indépendamment de ses origines, mérite le respect et la dignité, et cela sans conditions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Mon cher collègue, vous nous avez présenté ce qui pourrait être un nouvel alinéa de l’article 332-1 du Ceseda.
L’article 332-2 de ce code, qui est donc le suivant, précise que la décision de refus d’entrée est écrite et motivée, qu’elle mentionne les droits de l’étranger et qu’elle lui est notifiée dans une langue qu’il comprend.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 276, présenté par MM. Gontard et Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc, Dantec, Dossus et Fernique, Mme Guhl, M. Jadot, Mmes de Marco et Ollivier, MM. Mellouli et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’article 17
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois qui suivent la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant les premières conclusions du fonctionnement de la brigade mixte franco-italienne de police aux frontières déployée depuis 2020.
Ce rapport comprend nécessairement le nombre d’opérations effectuées, le nombre d’interpellations réalisées, un bilan du respect des droits et de la dignité des personnes migrantes et l’état de la survivance ou non d’opérations de la seule police aux frontières française en territoire italien.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. À la suite des attentats de novembre 2015, l’espace Schengen a été suspendu, et avec lui la libre circulation des personnes. Les contrôles aux frontières françaises ont été rétablis.
Huit ans plus tard, cet état d’exception est devenu la règle, avec des durcissements successifs de la militarisation de nos frontières. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, promulguée en janvier dernier, y a directement contribué. Cette politique, en plus d’être coûteuse, inefficace et dangereuse, a ouvert la porte à des opérations qui sont source de questionnements.
La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a étendu le périmètre des contrôles d’identité dans les zones frontalières.
Plusieurs associations d’assistance aux personnes migrantes, dont l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), ont signalé des incursions de la police française sur le territoire italien, notamment à la sortie du tunnel de Fréjus. Or cela pose de sérieuses questions de légalité et menace les droits des personnes migrantes prises en charge dans ces lieux hybrides.
En 2020, des brigades mixtes franco-italiennes de police aux frontières ont été mises en place et entérinées par le traité franco-italien, dit du Quirinal, du 26 novembre 2021. Cette expérimentation a pour objectif la surveillance conjointe des deux côtés de la frontière et la lutte contre les passeurs. Elle a également pour ambition de répondre à la difficulté juridique posée par l’intervention de la police française au-delà de ses frontières.
Face à ce constat, il paraît opportun, quatre ans après la décision d’expérimenter ces brigades, d’effectuer un premier bilan. Il est essentiel de mesurer l’efficacité du dispositif, mais surtout de s’assurer de sa sécurité juridique et de vérifier qu’il permet un meilleur respect des droits et de la dignité des personnes migrantes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Je vous remercie de cette proposition. Toutefois, comme elle vise à demander un rapport, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je ne reviendrai pas sur l’objet de cet amendement, qui a été présenté.
Selon M. le rapporteur, une demande de rapport entraîne automatiquement un avis défavorable de la commission. Je ne comprends pas cet argument.
Tout d’abord, ce n’est pas une règle absolue, comme je l’entends souvent. En réalité, de nombreuses demandes de rapport ont aussi été acceptées. Cela ne peut donc pas constituer un argument décisif en la matière.
Ensuite, le Sénat a vocation, me semble-t-il, à réaliser des rapports – il le fait souvent – lorsqu’il s’agit d’évaluer une expérimentation, ce qui en l’occurrence est exactement le cas.
En l’occurrence, ce rapport concernerait une expérimentation que le Sénat a toute légitimité à évaluer. Cette évaluation montrera peut-être que ladite expérimentation répond aux attentes…
À mon sens, la relation entre demande de rapport et avis défavorable de la commission n’est pas un argument recevable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 276.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 18
La section 2 du chapitre II du titre Ier du livre VI du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifiée :
1° Au second alinéa de l’article L. 612-6, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq » ;
2° Au second alinéa des articles L. 612-7 et L. 612-8, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « cinq ».
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 198 est présenté par Mmes de La Gontrie et Narassiguin, MM. Bourgi, Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Brossel, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Kanner et Marie, Mmes S. Robert et Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 324 rectifié est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L’amendement n° 456 est présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 198.
Mme Corinne Narassiguin. Nous proposons de supprimer cet article 18, qui porte à cinq ans la durée maximale de l’interdiction de retour sur le territoire français, alors qu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger.
Le cœur du problème est que, aujourd’hui, plus de la moitié des OQTF ne prévoient pas de délai de départ volontaire. En effet, la pratique administrative actuelle consiste à supprimer ce délai, dans tous les cas où il est légalement possible de le faire. (MM. Roger Karoutchi et Christian Cambon protestent.)
Le Conseil d’État nous a d’ailleurs adressé une mise en garde contre cette pratique, dont la conséquence est assez simple : plus de la moitié des OQTF, pour le seul motif qu’elles ne prévoient pas de délai de départ volontaire, pourront être accompagnées d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) allant jusqu’à cinq ans.
Cela paraît tout à fait disproportionné. Il serait inquiétant que la pratique qui régit les OQTF s’étende demain à celles qui prévalent aux interdictions de retour, à savoir l’alignement sur la norme la plus dure, et cela sans aucune raison valable.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 324 rectifié.
M. Guy Benarroche. Il s’agit également d’un amendement de suppression de l’article 18, lequel a pour objet d’allonger à cinq ans la durée de l’IRTF dont le préfet peut assortir une OQTF.
Introduite par la loi de mars 2011, l’IRTF a été considérablement durcie par les réformes successives. Ce pouvoir qu’exerce l’autorité administrative doit être concilié avec les droits conventionnels, notamment le droit au respect de la vie privée et familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant.
Or l’allongement de la durée de l’IRTF à cinq ans paraît tout à fait disproportionné et renforce la politique de bannissement correspondant à une politique du chiffre et au mépris, dans certains cas, des droits fondamentaux des personnes concernées.
Les conséquences des IRTF sont très importantes. Tout d’abord, elles s’appliquent non pas uniquement à la France, mais à tout l’espace Schengen, et la décision est signalée sur le système d’information Schengen (SIS). Ensuite, la date à partir de laquelle l’interdiction débute est non pas celle de la prise de décision, mais bien celle du jour où l’étranger quitte effectivement l’espace Schengen.
Compte tenu des conséquences graves et des ruptures dans les parcours de vie que peuvent entraîner les IRTF, notre groupe s’oppose à l’extension de leur délai.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 456.
M. Pascal Savoldelli. Cet article vise à interdire aux étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF au cours des cinq dernières années d’obtenir un visa pour se rendre en France.
Premièrement, personne ici ne met en doute la qualité du travail de l’administration, qui décide de l’obtention du visa. Cela ne me semble pas nécessaire de l’inscrire dans le droit.
Deuxièmement, il faut faire preuve de sincérité. Je me suis aperçu que la droite n’avait pas déposé d’amendement, alors que cela aurait dû être le cas.
La durée de l’IRTF est étendue à cinq ans, sans prendre en compte une question, à mes yeux, importante : l’intérêt de l’enfant.
Avec cette disposition, on se dirige de manière rampante vers un bannissement total. À un moment donné, il faut se dire les choses, les yeux dans les yeux ! C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Monsieur Savoldelli, il faudrait peut-être faire attention à l’emploi des mots. Le bannissement était le fait d’écarter, sous la monarchie,…
M. Pascal Savoldelli. C’est bien, un peu d’histoire !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. … un Français du territoire national. Or nous évoquons ici la situation des étrangers ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Concrètement, il s’agit d’empêcher un étranger ayant fait l’objet d’une OQTF de demander un visa en vue de se rendre en France avant un certain délai. Le droit en vigueur prévoit un délai trois ans. Nous avons vérifié : nous ne voyons pas de difficulté d’ordre conventionnel ou constitutionnel à l’étendre à cinq ans.
Il semble logique, lorsque notre pays a dû prendre, dans les conditions délicates que chacun connaît, des mesures d’éloignement, de prévoir une certaine durée avant que les personnes concernées ne puissent formuler une demande de visa.
La commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. La teneur des discours sur cet article 18, qui est assez simple, m’étonne.
Qu’essayons-nous de faire ? Nous tentons de lutter contre l’immigration irrégulière et de faire tout notre possible pour que les OQTF soient appliquées, alors qu’elles ont du mal à l’être. Beaucoup de raisons peuvent l’expliquer, comme nous l’avons déjà dit à propos des étrangers délinquants et de la levée des protections ; nous y reviendrons en discutant des dispositions ayant trait à la simplification des recours.
Lorsqu’une personne en situation irrégulière sur le territoire national a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, qui a été appliqué, il est compliqué de lui dire qu’un visa lui sera accordé juste après… (M. Roger Karoutchi approuve.)
M. Pascal Savoldelli. Il y a déjà un délai de trois ans !
M. Gérald Darmanin, ministre. Certes, mais des possibilités de recours sont prévues, monsieur le sénateur.
L’idée est de ne pas récompenser l’irrégularité. (M. Roger Karoutchi opine.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Exactement !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est ce que nous avons essayé de faire pour les entreprises, pour les passeurs, et en matière de logement ou de délinquance.
Le but est de donner toutes les chances de s’intégrer aux personnes qui jouent le jeu de la légalité, lesquelles peuvent solliciter un visa. Le groupe Les Républicains estime que nous en accordons trop : cela montre bien que nous n’avons rien contre l’immigration régulière !
Néanmoins, lorsqu’une personne veut entrer dans notre pays – je ne parle pas là des demandeurs d’asile –, la moindre des choses est qu’elle en demande l’autorisation et que nous la lui accordions. Lui répondre par la négative ou par l’affirmative relève de notre pouvoir souverain. La politique de visas peut être plus ou moins extensive, mais on ne saurait encourager l’irrégularité.
Monsieur Savoldelli, vos propos sont un peu excessifs, pour les raisons sémantiques invoquées par M. le rapporteur, et parce que la présente mesure est de bon droit.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le propos de notre collègue Savoldelli avait une vertu : souligner que la durée de cinq ans pendant laquelle la personne concernée ne pourrait se rendre sur notre territoire est tout de même très longue. Rappelons que nous parlons d’une infraction au séjour, soit un défaut de titre, et non pas d’une expulsion, d’un trouble à l’ordre public ou encore d’une infraction pénale !
Il s’agit de visas. Des personnes qui voudraient venir sur le territoire français pour rendre visite à leur famille ou suivre des études, par exemple, seraient donc également concernées. C’est là que réside la disproportion.
Les propos du ministre montrent qu’il existe un détournement de cette mesure : parce que vous n’arrivez pas à exécuter les OQTF, vous cherchez des méthodes secondaires afin que celles-ci soient appliquées de manière plus efficace. Cette disposition est détournée à cette fin !
Trois ans, c’est déjà une durée considérable. Cinq ans, c’est une autre histoire…
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Pour ce qui est du propos de notre excellent collègue Savoldelli, je précise que le bannissement était réservé aux ennemis du roi, donc par définition à des Français. Et il s’accompagnait, en général, de la confiscation des biens, voire de l’embastillement provisoire ou prolongé de leur famille. Donc, restons calmes…
Nous parlons en l’occurrence d’étrangers en situation irrégulière qui sont écartés du territoire national. Vous soutenez qu’il faudrait leur redonner un visa dans un délai très court. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Pascal Savoldelli protestent.)
Une durée de cinq ans, monsieur Savoldelli, c’est assez loin du bannissement à vie, lequel pouvait durer assez longtemps, selon l’âge de la personne bannie…
Lorsqu’une personne a été écartée du territoire national, après des procédures très longues et pour des raisons multiples, il est légitime de penser qu’elle ne respectera pas les règles afférentes au type de visa qui lui sera accordé. À mon sens, une durée de cinq ans est tout à fait normale.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Finalement, en vous écoutant, monsieur le ministre Karoutchi, je me disais que ce texte du Gouvernement était très bien ! (Sourires. – Mme Laurence Rossignol proteste.)
M. Roger Karoutchi. N’exagérez pas ! Vous parlez du texte du Sénat ? (Nouveaux sourires.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 198, 324 rectifié et 456.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 488, présenté par MM. Omar Oili, Bitz, Patriat et Mohamed Soilihi, Mme Schillinger, MM. Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud, Rohfritsch et Théophile, est ainsi libellé :
Après l’article 18
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au début du chapitre II du titre I du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 312-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 312-1-…. – Sans préjudice des conditions évoquées à l’article L. 311-2, les visas mentionnés aux articles L. 312-1 à L. 312-4 ne sont pas délivrés à l’étranger qui a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français depuis moins de cinq ans et n’apporte pas la preuve qu’il a quitté le territoire français dans le délai qui lui a été accordé au titre de l’article L. 612-1, ou le cas échéant dans les conditions prévues par l’article L. 612-2.
« Dans le cas où des circonstances humanitaires de même nature que celles prises en compte pour l’application des articles L. 612-6 et L. 612-7 sont constatées à l’issue d’un examen individuel de la situation de l’étranger, le premier alinéa n’est pas applicable. »
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Le présent amendement vise à introduire un nouveau motif de refus de visa, lorsque l’étranger ne démontre pas avoir respecté les modalités d’exécution d’une OQTF prononcée depuis moins de cinq ans.
Comme cela a été précédemment rappelé, la commission des lois a réécrit l’article 18, ce qui a pour effet de se priver de dispositions initiales du projet de loi. Après avoir pris connaissance des raisons qui ont justifié sa démarche, je souhaite apporter quelques précisions.
Tout d’abord, si l’administration peut d’ores et déjà y procéder sans s’appuyer sur une base légale, la commission des lois a adopté la même démarche qu’à l’article 14 ayant trait au visa laissez-passer consulaire (LPC), en voulant inscrire dans la loi cette capacité juridique. Notre assemblée gagnerait à suivre le même raisonnement, par homothétie.
Ensuite, des craintes ont été exprimées quant à la complexité des procédures de preuve. Or il suffit, pour l’étranger concerné, de fournir ses titres de transport, ce qui est assez simple.
Enfin, pour préserver le pouvoir discrétionnaire du préfet ou, en l’occurrence, de l’administration consulaire, le présent amendement pourrait être rectifié ou sous-amendé, afin d’indiquer que les visas « peuvent ne pas être délivrés », plutôt que « ne sont pas délivrés ».
Je soumets au débat cette proposition, afin de connaître la position de la commission sur le sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Vous souhaitez, non sans ténacité, mon cher collègue, en revenir à la version du Gouvernement.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Qui n’était pas si bien !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. L’idée du Gouvernement était de mieux contrôler les infractions administratives à la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers – en d’autres termes, les infractions administratives aux conditions de délivrance des visas – afin, bien sûr, de lutter contre l’immigration illégale. Sur ce point, nous sommes parfaitement d’accord.
Vous proposez d’introduire un nouveau motif de refus de visa, résultant de l’absence de démonstration par l’étranger qu’il s’est conformé aux conditions d’une OQTF prononcée depuis moins de cinq ans.
Le problème, d’ordre pratique, réside dans la notion de démonstration et concerne le recueil des preuves.
Les refus de délivrance d’un visa pouvant être soumis à l’appréciation du juge administratif, le Conseil d’État a indiqué que « la disposition envisagée ne manquerait pas de soulever des problèmes de preuve complexes et serait susceptible de générer un nouveau volet dans le contentieux des refus de visas ». Cette citation figure à la page 150 du rapport que nous avons rédigé.
N’ayant voulu ni compliquer le texte ni ajouter de source de contentieux supplémentaires, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je remercie le groupe RDPI et Jean-Baptiste Lemoyne de défendre le présent amendement, qui est cohérent avec l’article 18.
J’invite les sénateurs à continuer de durcir les conditions d’accès au visa pour les personnes ayant fait l’objet d’une OQTF. Nous leur demandons simplement de justifier qu’elles ont respecté cette obligation, ce qui me paraît assez normal.
Si nous voulons lutter contre l’immigration irrégulière, il faut appliquer une gradation. La personne en situation régulière qui demande un visa est la bienvenue. En revanche, il est normal de se montrer plus exigeant à l’encontre de celle, en situation irrégulière, qui a fait l’objet d’une OQTF, et encore plus dur envers la personne dont l’OQTF n’a pas été exécutée.
J’entends les nuances juridiques évoquées par la commission. Cependant, il me semble que le texte que nous examinons se situe dans un entre-deux, et que nous pourrions encore le modifier. Ainsi, monsieur Lemoyne, nous sommes prêts à sous-amender votre amendement.
À mon sens, cette disposition ne ferait pas naître de contentieux, monsieur le rapporteur, mais permettrait d’envoyer un message. Le président de la commission des lois dit souvent que le message est parfois plus important que la mesure. C’est tout à fait vrai !
Notre message est le suivant : si vous êtes en situation irrégulière sur le territoire national et ne respectez pas l’OQTF dont vous faites l’objet, vous ne disposez pas du même droit au visa que les autres personnes étrangères.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. La commission des lois ne voulait pas dire cela !
M. Gérald Darmanin, ministre. J’invite la commission à changer d’avis, peut-être après avoir écouté la réponse de Jean-Baptiste Lemoyne. Sinon, j’invite le Sénat à voter cet amendement, qui rétablit le texte initial du Gouvernement dans sa dureté – je le souligne. S’il le faut, nous le modifierons lors de son examen à l’Assemblée nationale ou dans le cadre de la commission mixte paritaire.
Le Gouvernement émet donc un avis très favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. J’ai bien entendu les propos de M. le rapporteur sur la difficulté, soulignée par le Conseil d’État, de recueillir les preuves. Or il me semble très simple de prouver que l’on a quitté le territoire, grâce à un billet d’avion ou de train, par exemple.
À mon sens, il est possible de conserver l’apport de la commission à l’article 18, tel que modifié, et la proposition intéressante d’instaurer un nouveau motif de refus de visa. On pourrait ainsi prévoir un refus non pas systématique, mais possible. Cette modification pourrait intervenir en séance, ou ultérieurement.
J’invite notre assemblée à ne pas mollir sur ce sujet important. Encore une fois, nous avons adopté la même démarche sur des articles précédents, afin de donner une base légale et une assise à des pratiques de l’administration.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je suis absolument désolé pour M. le rapporteur, dont j’approuve régulièrement les avis, mais sur cet amendement nous ne suivrons pas la commission. Comme l’ont souligné Jean-Baptiste Lemoyne et le ministre, nous devons veiller à la cohérence de l’ensemble.
Par conséquent, nous voterons cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 18.
TITRE IV
ENGAGER UNE RÉFORME STRUCTURELLE DU SYSTÈME DE L’ASILE
Avant l’article 19
M. le président. L’amendement n° 410 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Avant l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 1° de l’article L. 531-24 est abrogé ;
2° L’article L. 531-25 est abrogé.
La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Cet amendement, déposé sur l’initiative de Mélanie Vogel, a trait à la liste des pays d’origine sûrs.
Dans un contexte où les moyens alloués à l’examen des demandes d’asile sont insuffisants, il a été créé, parallèlement à la procédure ordinaire d’examen de la demande, une procédure accélérée, issue de la volonté de prendre des décisions plus rapidement.
Le classement en procédure accélérée a des inconvénients majeurs pour le demandeur.
Premièrement, du fait de cette volonté d’aller plus vite, sa demande n’est pas examinée avec toute l’attention qu’elle mérite.
Deuxièmement, il lui est plus difficile de déposer un recours contre une décision de rejet : la protection n’est plus accordée en cas de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et cette dernière statuera alors généralement à juge unique, ce qui, là encore, ne permet pas un examen très poussé du recours au travers d’une confrontation des différentes perspectives.
Force est de constater que ce classement intervient souvent du seul fait que la personne est originaire d’un pays inscrit sur cette fameuse liste des pays d’origine sûrs.
C’est là tout le paradoxe : alors que l’asile est accordé pour des situations individuelles, ce qui nécessite un examen au cas par cas, cette liste des pays d’origine considérés comme sûrs est, par nature, généraliste.
Un exemple qui pose problème est celui de la Géorgie. Ce pays est considéré, selon la liste, comme un pays d’origine sûr. Pourtant, des personnes LGBT+ y sont poursuivies. En 2021, la Marche des fiertés à Tbilissi a ainsi dû être annulée en raison des violences commises sur ces personnes. La Géorgie est donc, pour elles, tout le contraire d’un pays sûr… Il en est de même, par exemple, pour la Colombie.
Il n’existe qu’une seule option : supprimer cette liste des pays d’origine sûrs. Sept pays membres de l’Union européenne ne disposent d’ailleurs pas d’une telle liste ; nous pourrions donc aussi faire sans. Notre pays était l’un des premiers États européens à la mettre en place, il pourrait être le premier à la supprimer…