M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.
M. Alexandre Ouizille. Dans le cadre instauré par la circulaire Valls, la seule passerelle possible entre l’irrégularité et la régularité implique de commettre une irrégularité puisqu’il faut disposer de fiches de paie. Or le code du travail prohibe le travail des étrangers en situation irrégulière au motif qu’il s’agit de travail dissimulé.
Dans le système actuel, il est donc impossible pour un étranger en situation irrégulière de travailler sans commettre une irrégularité, monsieur Karoutchi.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je propose d’aborder ce sujet complexe par quelques idées simples.
Premièrement, il est préférable qu’une personne souhaitant obtenir un titre de séjour de notre République respecte les règles de celle-ci. Nous devrions tous encourager les étrangers à passer par une voie d’immigration légale, quitte à ce qu’on leur refuse un titre de séjour, plutôt que par la voie illégale. Sommes-nous d’accord sur ce premier point ? (Oui ! sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) C’est important, car à vous entendre, mesdames, messieurs les sénateurs, on a parfois l’impression que l’immigration irrégulière est une voie d’immigration légale…
Le principe général est que l’immigration légale est préférable à l’immigration illégale.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous n’avons jamais dit le contraire !
M. Alexandre Ouizille. Nous parlons de ceux qui sont déjà là !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Parce que vous dites des bêtises !
M. Gérald Darmanin, ministre. Non, et vous n’avez pas le monopole de la vérité, madame de La Gontrie ! Permettez-moi d’avoir un avis différent du vôtre, même si je sais que pour les gens de gauche, cela revient à dire des bêtises. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Thomas Dossus. Vous nous prenez pour des idiots !
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous préférons donc tous l’immigration légale à l’immigration irrégulière, laquelle est condamnable par principe, même s’il peut y avoir des exceptions.
Deuxièmement, les personnes qui sont en situation irrégulière, notamment celles qui travaillent, peuvent l’être pour différentes raisons. Certaines sont sciemment entrées sur le territoire national de façon irrégulière, d’autres ont détourné le droit d’asile ou produit de faux documents d’état civil.
La question posée par ces amendements est la suivante : doit-on régulariser des personnes qui produisent de faux documents d’état civil lorsque l’agent de la préfecture constate que ce sont des faux ? Non ! Il ne servirait à rien, sinon, de distinguer les vrais documents des faux, et plus généralement, le bien du mal. Du reste, on ne pourrait plus distinguer l’immigration légale de l’immigration irrégulière.
Nous condamnons la fraude, notamment documentaire. Nous le faisons déjà en pratique, et si l’amendement de M. Karoutchi est adopté, nous allons inscrire cette condamnation dans le dur de la loi.
Un autre sujet, celui des alias auxquels recourent certaines personnes en situation irrégulière, ne recoupe pas tout à fait celui de la fraude documentaire. Je pense, parmi les ressortissants africains, au cas des Maliens, dont le pays n’a pas d’état civil et est en guerre… (M. Fabien Gay acquiesce.)
Je ne crois pas qu’au travers de son amendement M. Karoutchi vise à interdire la régularisation de personnes qui n’ont pas fourni un faux, mais qui, pour être embauchées, se sont fait passer pour quelqu’un d’autre – un frère ou un cousin, par exemple –,…
M. André Reichardt. On s’accroche aux branches !
M. Gérald Darmanin, ministre. … parfois même à la demande de leur patron. Je connais en effet des employeurs qui fournissent des alias à leurs employés irréguliers. Pour employer votre vocabulaire, monsieur le sénateur Gay, du fait du rapport de force entre le capital et le travail, ces derniers n’ont alors pas d’autre choix que d’accepter l’alias.
M. Fabien Gay. On est d’accord !
M. Gérald Darmanin, ministre. J’estime que le cadre de la circulaire Valls ne permet pas d’apporter une réponse à cette question, car si l’employeur accepte que l’employé soit régularisé, la fraude est alors mise au jour.
Un employeur de bonne foi qui constate que son employé a été embauché sous un alias peut se tourner vers le préfet ou vers un parlementaire pour demander la régularisation de son employé qui lui donne satisfaction. Mais, encore une fois, lorsque l’employeur organise lui-même la fraude, il se tourne rarement vers l’État pour demander la régularisation…
Je rappelle, à ce titre, que plus de 50 % des employeurs qui embauchent frauduleusement des sans-papiers sont eux-mêmes des étrangers. Il nous faut combattre cette filière d’immigration irrégulière.
Troisièmement, certaines personnes sont en situation irrégulière sans avoir produit de document frauduleux, car elles le sont devenues après avoir été embauchées légalement et du fait de leur parcours administratif, parfois parce que la préfecture n’a pas répondu à temps. Leur statut a donc changé sans que leur employeur le sache, et elles continuent à payer des impôts et des cotisations sociales. Il est rare d’aller voir son employeur pour lui dire que son statut a changé ; on le cache plutôt, en général.
Ces personnes pourront être régularisées avec l’accord de l’employeur dans le cadre de la circulaire Valls si l’article 3, même modifié, n’était pas adopté.
Sauf erreur de ma part, monsieur Karoutchi, votre objectif, et celui de Mme Aeschlimann dans le complément qu’elle propose d’ajouter, est non pas d’interdire la régularisation des personnes dont la situation irrégulière découle de circonstances exceptionnelles se comprenant au cas par cas, mais bien de vous attaquer à la fraude, aux crimes et aux délits. Vous souhaitez que la fraude ne paie pas, en particulier qu’elle n’ouvre pas de droit à la régularisation. (M. Roger Karoutchi le confirme.)
Cela me paraît tout à fait conforme au texte, à la philosophie du Gouvernement ainsi qu’à l’objectif d’une lutte contre l’immigration irrégulière, dans le respect des personnes.
L’avis est donc favorable sur cet amendement et ce sous-amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 354 rectifié bis, modifié.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er D.
L’amendement n° 623, présenté par Mme M. Jourda et M. Bonnecarrère, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 1er D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa des articles L. 423-6, L. 423-10 et L. 423-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq ».
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cet amendement tend à allonger la durée du lien que les étrangers doivent entretenir avec les membres de leur famille de nationalité française pour la délivrance d’un titre pour motif familial.
Nous proposons que la durée du mariage d’un étranger avec un ressortissant français, de la résidence régulière d’un père ou d’une mère d’un enfant français résidant en France, ou de la résidence ininterrompue d’un conjoint de Français, qui permet aujourd’hui à un étranger d’obtenir une carte de résident de dix ans, soit portée de trois à cinq ans.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er D.
L’amendement n° 384 rectifié, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’article 1er D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 434’2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, après le mot : « internationales » sont insérés les mots : « et l’étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire accordée sur le fondement de l’exercice d’une activité professionnelle ».
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Avec le présent amendement, nous proposons de suivre la direction inverse de celle que le Sénat emprunte depuis le début de l’examen de ce texte, au fil des amendements qu’il adopte.
Il s’agit de permettre aux personnes qui pourraient prétendre à la régularisation prévue à l’article 3 du présent projet de loi de bénéficier du regroupement familial. Ces personnes devront résider sur le territoire français depuis au moins trois ans, soit une durée supérieure à celle qui est aujourd’hui nécessaire à un étranger en situation régulière pour avoir accès au regroupement familial.
Il serait absurde de ne pas autoriser ces personnes, qui sont dans notre pays depuis au moins trois ans, si ce n’est bien davantage, et qui sont titulaires d’un titre de séjour d’au moins un an, à faire venir leur famille. Nous l’avons dit à de multiples reprises depuis le début de nos discussions : le fait de permettre aux étrangers de vivre avec leur famille est un gage de leur bonne intégration sur notre territoire.
J’ai du mal à comprendre que nos collègues du groupe Les Républicains, alors qu’ils défendent la famille et veulent protéger la cellule familiale, s’opposent à ce que des personnes qui travaillent depuis parfois cinq ou six ans en France et qui sont en mesure d’être régularisées puissent faire venir leur famille.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission n’a pas tout à fait interprété le dispositif de votre amendement comme vous venez de l’exposer, madame Vogel : en effet, celui-ci ne prévoit en aucun cas de durée de résidence sur le territoire, mais simplement la possession d’une carte de séjour temporaire, qui est d’une durée d’un an maximum et dont même un travailleur saisonnier peut se prévaloir.
Il s’agit là d’un lien avec le territoire français beaucoup trop bref dans le temps pour que l’on puisse s’assurer de l’intégration d’un étranger et pour qu’on l’autorise à faire venir des membres de sa famille en France.
La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, et je vais vous expliquer pourquoi, madame la sénatrice : en réalité, l’article 3 – et c’est vrai pour tous les titres de séjour temporaire – n’ouvre pas droit au regroupement familial, contrairement au long séjour sur le territoire national.
De ce point de vue, le projet de loi ne change rien : l’article 3, s’il était adopté dans sa rédaction actuelle, créerait un titre de séjour d’un an renouvelable qui, à ce titre, pourrait devenir un titre de long séjour, et donc ouvrir le bénéfice du regroupement familial.
Pour autant, un titre de court séjour ne permet pas à un étranger d’accéder au regroupement familial.
Je citerai l’exemple, invoqué par Mme la rapporteure, de ces personnes qui viennent travailler cinq ou six mois en France, été comme hiver, dans nos campagnes : celles-ci ne font pas venir leur famille pour aussi peu de temps. On peut le regretter, mais on peut aussi estimer que cela relève du bon sens, car elles ne se trouvent que temporairement sur notre territoire, et non de façon définitive ou quasi définitive.
Ce que vous proposez, madame la sénatrice, sous prétexte du dispositif prévu à l’article 3, revient finalement à ouvrir à tous ceux qui sont titulaires d’un titre temporaire de séjour le bénéfice du regroupement familial. Ce serait totalement contraire, me semble-t-il, à ce vers quoi tend le droit français depuis bien des années.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 384 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er E (nouveau)
L’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « et qui, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié, » sont supprimés et, après le mot : « délivrer », sont insérés les mots : « , sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire et que cette prise en charge ne soit pas supportée par l’assurance maladie, » ;
2° Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début de la première phrase, les mots : « Sous réserve de l’accord de l’étranger et » sont supprimés ;
b) Après la même première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les modalités de ces échanges d’informations. »
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques.
L’amendement n° 17 rectifié bis est présenté par Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Bilhac, Cabanel, Gold, Guérini, Guiol, Laouedj et Roux, Mme Girardin, M. Grosvalet, Mme Pantel et M. Masset.
L’amendement n° 43 rectifié est présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 165 est présenté par Mmes de La Gontrie et Narassiguin, MM. Bourgi, Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Brossel, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Kanner et Marie, Mmes S. Robert et Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 472 rectifié bis est présenté par MM. Bitz et Patriat, Mme Schillinger, MM. Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili et Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud, Rohfritsch et Théophile.
L’amendement n° 501 rectifié est présenté par Mme Souyris, M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Senée.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. André Guiol, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié bis.
M. André Guiol. Voilà encore un article qui nous éloigne d’un possible consensus sur ce texte puisqu’il vise à durcir les conditions d’admission au séjour au bénéfice du titre de séjour dit étranger malade, en prévoyant notamment que le traitement soit dispensé aux patients concernés à l’exclusion de toute prise en charge par l’assurance maladie.
Notre amendement tend à revenir sur un tel durcissement qui, outre qu’il ne fait pas honneur à notre Nation et aux valeurs humanistes qu’elle a toujours portées, plongerait encore davantage les étrangers souffrant de maladies graves dans une précarité médicale, laquelle serait potentiellement dangereuse.
Si nous l’adoptions, cet article participerait à une dégradation durable de l’accès au droit au séjour pour raisons médicales, qui n’a pourtant jamais concerné un grand nombre d’étrangers.
Chacun le sait, le droit au séjour et la protection contre l’exclusion pour raisons médicales se situent à la jonction des problématiques de santé publique et privée et du droit des étrangers.
L’adoption d’un tel dispositif n’empêchera certainement pas les personnes malades de migrer dans l’espoir d’être soignées, dès lors que les soins dont elles ont besoin ne sont pas accessibles dans leur pays d’origine. En revanche, le durcissement de l’accès à la procédure « étranger malade » contribuera à accroître le nombre de personnes malades en situation irrégulière sur notre territoire, avec toutes les conséquences sanitaires que chacun peut facilement imaginer.
À long terme, il s’agira d’un dispositif inefficace, voire dangereux pour la santé publique du pays. Voilà pourquoi nous souhaitons la suppression de l’article 1er E.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié.
M. Ian Brossat. Le présent article, introduit par le Sénat en commission sur l’initiative des rapporteurs, durcit les conditions d’admission au séjour au bénéfice du titre de séjour dit étranger malade. Les conditions d’accès au séjour pour ce motif ont pourtant été considérablement restreintes depuis 2007, et le nombre de titres étranger malade est en baisse constante : en 2021, ils représentaient ainsi seulement 7,5 % du total des titres délivrés pour motif humanitaire. Or, avec ce projet de loi, vous voulez encore en durcir les critères.
Cet article, que nous contestons, vise en effet à supprimer le critère de bénéfice effectif des soins, selon lequel une personne étrangère gravement malade peut se voir accorder un droit au séjour si elle ne peut effectivement pas accéder aux soins essentiels dont elle a besoin dans son pays d’origine. Autrement dit, certains soins peuvent être théoriquement accessibles dans un pays, mais ne le sont de fait pas en raison, par exemple, de difficultés économiques, géographiques ou à la suite de discriminations.
Nous demandons donc la suppression de l’article.
M. le président. La parole est à M. Sébastien Fagnen, pour présenter l’amendement n° 165.
M. Sébastien Fagnen. Cet amendement vise à supprimer le présent article, pour les raisons que viennent d’exposer nos deux collègues. Nous estimons que l’article 1er E, tel qu’il a été introduit dans le projet de loi par la commission des lois, est à la fois injuste et inutile.
Il est injuste, car il privera de soins des personnes qui en ont urgemment besoin, en ne conditionnant pas leur prise en charge aux capacités effectives de traitement dans leur pays d’origine – des capacités qui peuvent être défaillantes du fait d’infrastructures hospitalières et de santé insuffisamment développées, mais aussi pour des motifs de discrimination financière, par exemple.
Il est par ailleurs inutile, car – Ian Brossat vient de le rappeler – cette procédure d’admission concerne une part infinitésimale des personnes étrangères résidant en France.
Nous en appelons donc au bon sens et au pragmatisme. Il faut faire en sorte que cet article soit supprimé, puisqu’il aura pour seul effet d’entraîner une perte de chance pour les personnes concernées et qu’il n’aura bien évidemment aucune incidence sur les flux migratoires.
M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour présenter l’amendement n° 472 rectifié bis.
M. Olivier Bitz. Cet amendement a pour objet d’inviter le Gouvernement à nous éclairer sur la compatibilité du dispositif prévu à l’article 1er E avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
En effet, cet article, qui a été introduit par la commission des lois, tend à modifier les conditions de délivrance d’une carte de séjour temporaire à un étranger malade, en supprimant la condition d’effectivité de l’accès de l’étranger malade à un traitement approprié dans son pays.
En réintroduisant la condition d’une absence de traitement approprié dans le pays d’origine, la commission propose de rétablir le droit en vigueur entre 2011 et 2016. Or un traitement peut exister sans que l’immense majorité de la population y ait effectivement accès.
Aussi, nous souhaitons savoir si la rédaction proposée est conforme à la jurisprudence de la CEDH selon laquelle les États doivent tenir compte de la possibilité effective pour un étranger malade d’avoir accès à des soins et équipements dans l’État de renvoi.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour présenter l’amendement n° 501 rectifié.
Mme Anne Souyris. Le titre de séjour étranger malade a été créé pour venir en aide à des personnes dont la santé est gravement menacée, et qui ne peuvent pas accéder aux traitements médicaux dont ils ont besoin dans leur pays d’origine.
Il repose sur le critère fondamental de l’accès effectif au traitement, que l’article 1er E vise à réduire à l’absence de traitement dans le pays d’origine. Cela signifie qu’une personne pourrait se voir refuser une carte de séjour temporaire, même si elle ne peut pas accéder à un traitement médical adéquat, simplement parce qu’un tel traitement est théoriquement disponible dans son pays d’origine.
Cette modification va évidemment à l’encontre du principe de réalité et de notre devoir à l’égard de la vie et de la dignité de tous et toutes.
De plus, l’article 1er E prévoit que l’assurance maladie ne prendrait plus en charge les traitements prescrits dans le cadre du titre étranger malade après la conclusion de conventions bilatérales avec les pays d’origine des étrangers concernés. Cette disposition met de facto en danger la santé de personnes déjà vulnérables et engage la France dans une démarche de rupture d’égalité face à la maladie.
Enfin, le présent article autorise les médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) à demander des informations médicales aux professionnels de santé qui en disposent sans l’accord de la personne étrangère concernée. Cette mesure porte atteinte au secret médical, un principe fondamental dans notre système de santé, et constitue une violation inacceptable du droit de chaque individu à disposer de ses données personnelles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La commission est défavorable à l’ensemble de ces amendements.
Tout d’abord, je tiens à ce que soient immédiatement bannies de notre discussion toutes les problématiques liées à l’aide médicale de l’État (AME) ou à l’aide médicale d’urgence (AMU) : il n’existe pas de problème épidémiologique derrière la question de l’étranger malade.
Pourquoi proposons-nous de restreindre l’accès au titre de séjour étranger malade ?
Tout d’abord, ce titre n’existe quasiment qu’en France. Nous sommes les seuls à considérer que nous avons vocation à soigner les personnes qui estimeraient ne pas pouvoir être prises en charge convenablement à travers le monde. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Il n’y a pas eu, contrairement à ce que j’ai entendu, de resserrement du dispositif il y a quelques années, mais à l’inverse un assouplissement de celui-ci.
Nous proposons en réalité de revenir à la procédure d’admission au séjour pour soins en vigueur avant 2016, c’est-à-dire de considérer qu’à partir du moment où le traitement existe dans le pays d’origine de l’étranger, la France n’a pas l’obligation de soigner la personne étrangère concernée en lieu et place dudit pays.
En outre, s’il existe effectivement des difficultés d’accès aux soins, nous proposons – car nous entendons bien ce que vous nous avez indiqué – qu’un accord entre les systèmes sociaux de notre pays et des pays concernés règle les conditions de prise en charge des malades étrangers. Autrement dit, la France ne fait aucune difficulté pour prendre en charge un malade étranger à partir du moment où son propre système de protection sociale l’admettrait.
Mes chers collègues, nous avons ainsi le sentiment de proposer un dispositif raisonnable et équitable.
Pour terminer, permettez-moi d’attirer votre attention sur un ou deux points.
Je vous demanderai notamment de vous reporter au dernier rapport de l’Ofii, établi par son service médical en 2021, dont l’un des chapitres est intitulé : « Le dispositif étrangers malades est à “guichet ouvert” en termes de coût de soins ».
L’Ofii appelle également dans son rapport « à une vigilance sur une potentielle augmentation des demandes de cette nature dans un contexte où le système de santé français affronte de sérieuses difficultés ».
Enfin, je ne veux être déloyal envers quiconque, mais je pourrais vous donner, parce qu’ils figurent dans les bilans communiqués par l’Ofii, quelques exemples du coût des traitements dont ont bénéficié les quelque 4 000 étrangers ayant été pris en charge en vertu d’un titre de séjour étranger malade. Mais je ne veux pas susciter la polémique et tiens au contraire à éviter que les réseaux sociaux ne s’enflamment.
Quoi qu’il en soit, si vous vous y intéressiez, vous seriez étonnés par le coût exceptionnellement élevé de ces traitements. Vous verriez qu’ils représentent effectivement une charge pour la Nation !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Il s’agit d’une question délicate, mais qui ne concerne – je tiens à le dire ici – que peu de personnes. En effet, les titres de séjour étranger malade délivrés étaient seulement au nombre de 6 850 en 2016, de 4 227 en 2017, de 4 958 en 2019, et de 3 280 l’an dernier.
La procédure « étranger malade » a déjà été réformée dans le cadre de la loi de 2016, défendue à l’époque par Bernard Cazeneuve. Celle-ci a réduit l’accès à ce titre de séjour, notamment en créant un service médical auprès de l’Ofii dont la mission est d’évaluer si les soins demandés sont justifiés.
À cette époque, il existait donc déjà une volonté du législateur et du gouvernement auquel appartenait M. Cazeneuve de réduire cet accès.
Je rappelle – et M. le rapporteur a eu parfaitement raison d’en parler – qu’il faut éviter de confondre ce dispositif, qui ne pose aucun problème de santé publique puisque l’on délivre des titres de séjour à des étrangers pour qu’ils viennent se faire soigner en France, avec l’AME. Ce dernier dispositif peut, en revanche, poser des problèmes en termes de santé publique puisqu’il concerne des personnes en situation irrégulière et que son objet est de déterminer qui, de l’État ou de la sécurité sociale, permettra à ces étrangers d’être pris en charge.
Je rappelle qu’historiquement les titres de séjour étranger malade avaient été créés pour aider des personnes atteintes du sida, qui ne pouvaient pas bénéficier d’une trithérapie dans leur pays d’origine. Aujourd’hui, ces titres ont quelque peu changé de nature, dans la mesure où les pathologies traitées pour ce motif ont évolué.
Je précise à cet égard que ces titres de séjour concernent parfois des enfants étrangers, ce qui révèle une forme de diplomatie sanitaire mise en place par notre pays.
Le titre de séjour étranger malade n’est pas à balayer d’un revers de main. Mais, je le répète, il ne concerne que très peu de personnes, sans compter qu’il diffère de ce pour quoi il a été créé et qu’il a déjà été réformé. On peut, pour autant, mener une réflexion à ce sujet, notamment à la suite des publications de l’Ofii et des apports de Didier Leschi au débat public.
Je comprends la volonté du législateur, incarnée ici par la commission des lois. Il s’agit en somme de ne pas changer grand-chose, mais de faire simplement en sorte que les soins soient effectifs, si j’ai bien compris la nuance apportée. (Marques d’approbation au banc des commissions.)
Je ne serais en revanche pas capable de vous dire quelles pourraient être les incidences d’un tel dispositif – cet article renvoie les modalités de son application à un décret en Conseil d’État – en termes de nombre de personnes concernées ou de pathologies…
Cela étant, puisqu’il s’inspire directement du rapport de l’une de mes directions – l’Ofii est certes indépendant, mais relève du ministère de l’intérieur –, je m’en remets à la sagesse de votre Haute Assemblée pour ce qui concerne cet article 1er E, tout en soulevant la question qui est, me semble-t-il, la plus importante, celle que posent les parlementaires du groupe RDPI : la procédure ainsi modifiée est-elle conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Je précise à votre attention, monsieur le rapporteur, que la France et la Belgique sont les deux seuls États européens à proposer un titre de séjour étranger malade. D’autres pays proposent certes des titres de séjour, mais ils sont quelque peu différents ; d’autres encore autorisent l’entrée d’étrangers malades en vue de leur prise en charge, mais choisissent de ne leur délivrer qu’un visa « classique ».
Je ne peux, à ce stade, que vous faire une réponse d’attente. Dès lors que je ne dispose d’aucune étude d’impact sur le sujet, il ne m’est pas possible de statuer de façon définitive.
Il serait sans doute très utile à la commission des lois de l’Assemblée nationale d’auditionner M. Leschi ; ses membres pourraient ainsi y voir plus clair. La position du Gouvernement, qui est aujourd’hui réservée, ne sera définitivement établie qu’après que la majorité, au sens très large, de l’Assemblée nationale aura défini sa position sur cette question.
Conjointement à mon avis de sagesse sur le dispositif adopté par la commission, je demanderai aux auteurs des différents amendements de suppression de cet article de bien vouloir les retirer, après avoir pris soin de leur indiquer que le Gouvernement s’engage à évaluer précisément les effets d’une telle mesure. À défaut, j’émettrai un avis défavorable sur ces cinq amendements identiques.