Mme Laurence Rossignol. Le sénateur ! (Sourires.)
M. Martin Lévrier. Je vois que vous suivez, c’est agréable, merci ! (Nouveaux sourires.)
Mme Laurence Rossignol. Il est difficile de résister à la féminisation, monsieur Lévrier !
M. Martin Lévrier. Il nous semble plus pertinent d’envisager l’élargissement du périmètre de ces deux circulaires que d’adopter une nouvelle loi spécifique sur l’écriture inclusive, d’autant que l’application de ce texte aux personnes privées risque de se révéler inconstitutionnelle.
Pour toutes ces raisons, notre groupe, dans sa grande majorité, s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Quel courage !
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Yan Chantrel. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chères collègues, chers collègues, alors que nos compatriotes subissent hausse du coût de la vie, crise du logement et difficultés d’accès aux soins, que la guerre sévit aux portes de l’Europe et que le conflit israélo-palestinien menace d’embraser le monde, la droite sénatoriale n’a pas trouvé mieux que de légiférer sur des marques de ponctuation ! (M. Francis Szpiner applaudit et ironise.)
Faute de pouvoir répondre aux préoccupations des Françaises et des Français, la droite sénatoriale nous inflige ses lubies rétrogrades et réactionnaires (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) avec cette neuvième proposition de loi sur le sujet depuis 2018.
Attardons-nous sur l’enjeu de ce débat. Pourquoi le langage non sexiste, ou langage égalitaire, a-t-il émergé et pourquoi est-il nécessaire ?
En 2023, la France se situe seulement au quarantième rang du classement des pays en matière d’égalité des sexes effectué par le Forum économique mondial. Pis, elle se classe au quatre-vingt-deuxième rang dans la catégorie spécifique concernant l’écart des revenus entre sexes.
Trois fois plus nombreuses que les hommes à être embauchées à temps partiel, les femmes ne perçoivent toujours que 75 % en moyenne du salaire de leurs homologues masculins.
Malgré les lois votées ces vingt dernières années, qu’il s’agisse de la loi Génisson relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de la loi Copé-Zimmerman relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle ou de la loi Rixain visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, les comités exécutifs des 120 plus grosses sociétés françaises ne comptent toujours que 26 % de femmes. Seules trois entreprises du CAC 40 sont dirigées par une femme.
De même, dans notre assemblée, nous ne comptons que 126 sénatrices pour 348 élus, soit 36 %.
M. Max Brisson. Quel est le rapport avec le texte ?
M. Yan Chantrel. Ce taux ne progresse plus, puisqu’il était de 35 % avant le renouvellement sénatorial de 2023.
Comment s’explique ce plafond de verre ? Si nos politiques publiques n’ont qu’une efficacité limitée, c’est parce qu’elles sont mal appliquées et pas suffisamment accompagnées de sanctions, mais c’est aussi parce que les représentations et les stéréotypes sexistes, qui sont autant d’obstacles à l’égalité entre les femmes et les hommes, perdurent dans notre société. Or ces représentations passent par notre langue et par l’usage que nous en faisons.
C’est pourquoi il est important d’adopter un langage non sexiste, un langage inclusif, c’est-à-dire un « ensemble d’attentions lexicales, syntaxiques et graphiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes », conformément à la définition du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
C’est cette aspiration à l’égalité que prévoit d’interdire le présent texte. Interdire, prohiber, bannir, éliminer, annuler : revoilà donc les apôtres de la cancel culture.
M. Max Brisson. Trop, c’est trop, tout de même !
M. Yan Chantrel. Au-delà des considérations techniques que contient ce texte, sur lesquelles nous reviendrons au cours du débat, il faut bien avoir en tête le fond de la pensée de M. Blanc et de Mme Gruny pour comprendre les intentions que traduisent leurs propositions de loi respectives, que le rapporteur a fusionnées en un seul texte.
Dans son exposé des motifs, M. Blanc écrit : « Notre pays est la proie de revendications diversitaires et victimaires toujours plus véhémentes. L’exigence d’une langue “féminisée” est l’une de ces revendications. Il est de notre devoir de nous y opposer. » C’est écrit noir sur blanc : la cible de ce texte, c’est la féminisation de la langue et de la société. Dans la langue, comme ailleurs, il faudrait pour M. Blanc que le masculin continue de l’emporter sur le féminin.
M. Étienne Blanc. Je confirme !
M. Yan Chantrel. Quant à Mme Gruny, elle n’est pas en reste (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), puisqu’elle refuse pour elle-même la féminisation des titres et des fonctions et continue de se désigner sous les vocables masculins : « sénateur », « conseiller départemental » et « vice-président ».
M. Max Brisson. Et alors ?
M. Yan Chantrel. Ce texte, s’il était adopté, conduirait à interdire non seulement le point médian et le pronom « iel », mais également toutes les ponctuations médianes, comme les parenthèses que l’on trouve sur les cartes d’identité, qui seraient rendues caduques,…
M. Cédric Vial, rapporteur. C’est faux !
M. Yan Chantrel. … ainsi que « les pratiques rédactionnelles […] visant à substituer à l’emploi du masculin […] une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine », ce qui inclut les doubles flexions, comme « les sénatrices et les sénateurs ».
Ce que rejette la droite sénatoriale, c’est non seulement l’usage de formes féminines, mais leur existence même. Cachez ce féminin que je ne saurais voir !
Chers collègues, l’usage précède la norme et non l’inverse. Vous aurez beau dresser toutes les barrières et mettre toutes les œillères qu’il vous plaira, la langue française appartient non pas aux législateurs et aux législatrices que nous sommes, mais aux locuteurs et aux locutrices francophones qui la font vivre !
M. Stéphane Piednoir. C’est moche !
M. Yan Chantrel. J’étais présent ce matin à l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts. Dans ce magnifique écrin, on célèbre la vitalité d’une langue française en perpétuelle évolution depuis des siècles, une langue parfaitement équipée pour le féminin, comme le prouve l’existence des mots « autrice », « mairesse » ou « commandante » depuis le Moyen Âge ; une langue qui n’a jamais eu peur des abréviations comme en attestent tous nos pluriels en « x » ; une langue qui s’enrichit depuis toujours de ses néologismes.
Je conclurai sur ces mots de Victor Hugo, dans la préface de Cromwell, que vous avez citée, madame la ministre : « Les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent. »
Nous voterons contre cette proposition de loi rétrograde, car vouloir figer la langue française, c’est la faire mourir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans sa Lettre ouverte sur l’écriture inclusive, publiée le 7 mai 2021, l’immortelle Hélène Carrère d’Encausse écrivait : « Une langue procède d’une combinaison séculaire de l’histoire et de la pratique, ce que Lévi-Strauss et Dumézil définissaient comme “un équilibre subtil né de l’usage”. En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l’écriture inclusive violentent les rythmes d’évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l’écologie du verbe. »
Je pourrais arrêter ici mon intervention puisque tout est dit !
Oui, l’écriture dite inclusive menace la langue française, celle que Maurice Druon comparait à une horlogerie suisse qui marque toujours l’heure exacte : « une horlogerie de la pensée » avait-il écrit.
L’écriture inclusive trouve ses racines dans une politique plus générale de reconnaissance de la primauté des identités. C’est une idéologie mortifère, imposée par les campus américains ou ceux d’Europe du Nord. Sous prétexte d’égalité des sexes, elle vise à détruire le français en s’inscrivant dans une culture woke, une culture qui vise plus largement à contester notre modèle de civilisation.
Un exemple : pour les tenants du wokisme, la fonction neutre du masculin participe à l’occultation des femmes. Notre langue française serait donc sexiste ; par conséquent, il faut la détruire.
Pourtant, sur cette question de la neutralité du masculin, Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss rappelaient dès 1984 qu’il n’existait dans la langue française « aucun rapport d’équivalence entre le genre grammatical et le genre naturel ».
Par effet de convention, l’usage du masculin générique correspond au neutre, simplement au neutre, sans qu’aucune volonté de domination d’un sexe sur un autre découle de ce choix.
L’Académie française rappelle utilement que l’usage du masculin neutre – et il en serait de même si le féminin avait été neutre – permet de souligner qu’il y a du commun entre les deux sexes et que les hommes et les femmes ne sont pas deux espèces à jamais séparées. Elle rappelle également : « La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’induit [l’écriture inclusive] aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. »
Le Président de la République l’a d’ailleurs rappelé dans son discours, ce lundi 30 octobre à Villers-Cotterêts, sitôt contredit par Mme Rousseau, qui s’offusque de ce qui est pourtant une évidence.
L’ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 était courte : deux simples articles liaient la vie publique de la France avec l’usage scrupuleux du français.
L’article 110 prévoyait : « Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence [des arrêts de justice], nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. »
L’article suivant indiquait : « … nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, […], soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel français et non autrement. »
Voilà un modèle de clarté qui devrait inspirer et plus encore contraindre les législateurs que nous sommes, si enclins à sombrer dans un charabia juridique et un bavardage devenus aussi incompréhensibles qu’inutiles.
C’est pour cette raison que j’ai déposé une proposition de loi très courte, constituée d’un article unique de trois lignes, qui visait à déclarer nul tout acte juridique comportant l’usage de l’écriture inclusive.
Monsieur le rapporteur, vous avez bien voulu reprendre ma proposition de sanction de nullité et je vous en remercie. Vous avez, par votre travail, complété utilement le texte de Mme Gruny, en précisant à l’extrême ce qu’est l’écriture inclusive, pour aboutir à un texte absolument remarquable.
Cette nullité apporte à la proposition de loi de Mme Gruny une redoutable efficacité.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Étienne Blanc. Il sera loisible à tout citoyen de saisir le juge pour obtenir la nullité d’un acte civil, commercial ou administratif. Il n’est pas de sanction plus redoutable en droit que la nullité.
Ce faisant, nous parviendrons à chasser l’écriture inclusive de notre patrimoine commun qu’est la langue française, ce bien si précieux hérité de notre longue histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis nuitamment pour l’examen d’une proposition de loi qui aurait fait sourire il y a encore dix ans, mais qui, du fait de l’accélération de l’histoire et de l’amplification des phénomènes de déconstruction de notre société, apparaît aujourd’hui nécessaire.
Cette discussion générale vient néanmoins à point nommé puisque, aujourd’hui même, le Président de la République en personne a déclaré dans un discours, à l’occasion de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts – ville excellemment bien gérée par un maire du Rassemblement national –, qu’il ne fallait pas « céder aux airs du temps » et qu’il convenait de « garder aussi les fondements [de la langue française], les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe ».
Certes, l’on peut parfois douter de la sincérité des convictions de l’intéressé, mais il faut aussi se féliciter quand celles-ci vont dans le bon sens.
C’est d’ailleurs au nom de ce bon sens que l’Académie française, garante de notre langue, émettait en 2017, à l’unanimité, une solennelle mise en garde face à la diffusion virale de cette écriture prétendument inclusive. Ainsi écrivait-elle : « La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques que cette écriture induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs. » L’ancien professeur que je suis ne peut qu’approuver un tel constat.
Ne nous y trompons pas, les fondements de l’écriture inclusive ne relèvent pas, comme voudraient nous le faire croire ses partisans les plus habiles, d’une entreprise de modernisation, d’évolution, d’adaptation de la langue française aux temps actuels. Ils sont une démarche idéologique, une entreprise politique, concertée et méthodique, de déconstruction de la langue française.
Cette entreprise repose sur un confusionnisme linguistique, fondé sur la croyance naïve que le langage doit refléter ce qu’il désigne, sur une vision dévoyée de l’égalité entre les hommes et les femmes, sur un communautarisme rampant ou clairement proclamé qui ramène chacun à sa communauté d’appartenance au lieu de viser le sentiment d’appartenance à une humanité commune. En ce sens, l’écriture prétendument inclusive est un défi aux universaux de la République française.
Elle est aussi un défi au rayonnement de notre langue, et par là de notre pays, dont nous ne sommes que les héritiers et les légataires et que nous avons pour mission sacrée de protéger et de transmettre aux générations futures et aux 300 millions de francophones de par le monde.
À l’heure de la mondialisation, où l’uniformisation semble être l’horizon délétère, quel serait l’avenir d’une langue qui s’empêcherait elle-même par ce redoublement de complexité, face à un « globish » si puissant et simple à utiliser, lequel gagne déjà notre jeunesse ?
C’est la raison pour laquelle le Rassemblement national a déposé une proposition de loi similaire à l’Assemblée nationale il y a quelques semaines. En commission, les sénateurs du groupe Les Républicains ont voté pour cette proposition de loi, mais aucun d’entre eux n’a eu le courage d’être présent en séance ni même de participer à la discussion générale. Résultat : notre proposition de loi a été rejetée par le groupe Renaissance, allié à la Nupes.
Nous, nous ne faillirons pas et nous apporterons notre soutien à cette proposition de loi, au nom du bien commun et de l’intérêt supérieur de notre pays. (MM. Joshua Hochart et Christopher Szczurek applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France excelle toujours dans ce genre de polémique inutile, mais essentielle, car lancée par une minorité de militants décidés à enflammer le débat public et à semer la division quand notre belle langue devrait nous rassembler.
Si l’écriture dite inclusive semble partir d’un bon sentiment, elle est en réalité contre-productive. Elle n’est évidemment pas à la hauteur des enjeux liés à la nécessaire égalité entre les femmes et les hommes, laquelle ne se limite pas à un « e » final séparé par un point.
De plus, cette écriture s’accompagne d’un saccage de la grammaire française, construite au fil du temps et patinée par les usages. Elle constitue pour beaucoup un obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit.
Le texte que nous étudions aujourd’hui vise à préserver la lisibilité, la compréhension et la richesse de notre langue.
Comme cela a été rappelé, nombre de jeunes ne savent ni lire ni écrire à leur entrée en classe de sixième. Interrogez aussi quelques enseignants à l’université et ils vous diront de quelle situation dramatique ils héritent.
Nous sommes conscients que notre langue est malmenée depuis des décennies par des méthodes d’apprentissage sur lesquelles le ministre de l’éducation nationale est revenu, non sans un certain courage. Il faudra toutefois quelques générations pour que nos enfants maîtrisent de nouveau leur langue maternelle.
Si le partage d’une langue est un facteur essentiel d’union, il ne doit pas être un facteur d’exclusion. N’en rajoutons pas !
Avant d’introduire dans notre langue, au nom d’une idéologie, les artifices du langage inclusif, donnons la priorité à l’apprentissage des bases de l’orthographe et de la grammaire et transmettons modestement le goût tout simple de la lecture.
Qu’une élite souhaite partager ce langage, fort bien. Il ne s’agit pas d’interdire son usage : nous ne sommes pas des censeurs. En revanche, précisons, comme le prévoit ce texte, que les représentants du secteur public ne sont pas autorisés à utiliser l’écriture inclusive.
J’en profite pour vous demander, madame la ministre, le bilan de la circulaire du 21 novembre 2017 du Premier ministre Édouard Philippe relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, laquelle déconseillait l’usage de l’écriture inclusive, et de celle de Jean-Michel Blanquer du 5 mai 2021.
Aujourd’hui, le Président de la République était à Villers-Cotterêts, dans mes chers Hauts-de-France, à l’occasion de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française. Il a déclaré, à propos de la langue française, qu’il fallait « garder la force de sa syntaxe » et « ne pas céder aux airs du temps ». Si je ne peux que souscrire à ses propos, je m’interroge sur l’efficacité de ces deux circulaires, puisque six ans plus tard, le développement de l’écriture inclusive inquiète le Président de la République.
Madame la ministre, je sais que l’on nous apprenait que le masculin l’emporte sur le féminin, mais permettez-moi, en conclusion, de reprendre à mon compte la formule d’un sénateur honoraire, qui se reconnaîtra, prononcée lors d’un débat sur le thème de l’écriture inclusive organisé sur l’initiative du groupe Les Indépendants en 2021 : « Je n’ai pas oublié […] que les valeurs qui nous animent sont les principes de la République, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, quatre féminins dont [personne] ne revendique la masculinisation ! »
Au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, j’accueille donc favorablement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2024, la loi Toubon aura trente ans. Ce texte, et avant lui l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, mise à l’honneur aujourd’hui, garantit à nos concitoyens un « droit au français ». Hasard du calendrier, le président Emmanuel Macron inaugurait ce jour la Cité internationale de la langue française.
Nous examinons la proposition de loi de notre collègue Pascale Gruny visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive. Ce sujet fait débat et est source de divergences, vous l’aurez compris. Ce débat est non pas linguistique, mais idéologique et sociétal.
Les défenseurs de l’écriture inclusive affirment que la langue et la pensée sont liées. En modifiant la langue, en la rendant plus inclusive, on favoriserait l’égalité entre les femmes et les hommes. Une société qui inclurait les femmes dans son langage les inclurait dans son fonctionnement. Permettez-moi d’en douter !
Est-ce à dire que les pays qui ont recours au pronom neutre sont plus égalitaires et inclusifs à l’égard des femmes que les pays francophones ? Les femmes ne sont pas mieux considérées chez nos amis anglophones, et ce malgré une langue on ne peut plus inclusive, puisque non genrée. Le chinois et le turc sont également des langues qui n’appliquent pas l’accord masculin-féminin. Pour autant, la Chine et la Turquie ne sont ni connues ni reconnues pour être des modèles d’égalité entre les femmes et les hommes.
Dans la langue française, le recours au masculin n’a pas vocation à occulter le féminin. Je me dois de rappeler qu’en français le masculin est le genre non marqué qui peut jouer le rôle d’un neutre. Comme dans bien d’autres langues, le masculin a valeur générique et peut être utilisé quand le sexe de la personne n’est pas à prendre plus en considération que ses autres particularités individuelles. Au contraire, ajouter un suffixe féminin à la fin du nom masculin, c’est ne présenter les femmes qu’à moitié, comme accessoires.
La condition des femmes n’est pas une histoire d’orthographe. Nous ne devons pas la réduire à cela. La condition des femmes évoluera grâce non pas à un point médian, mais à des programmes de lutte contre les violences conjugales, à des cours d’éducation à la vie affective et sexuelle adaptés, à une prise en charge qualitative de leur santé, à la recherche de l’égalité salariale et à la protection de leurs droits fondamentaux.
C’est tout l’intérêt du travail que j’ai mené pendant mes six années en tant que présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. J’ai la conviction que l’écriture inclusive n’aurait pas fait avancer les combats que la délégation a menés, qu’il s’agisse de lutter contre les violences sexuelles et sexistes, d’en finir avec les zones blanches de l’égalité, de défendre la place des femmes dans l’entreprise et dans la fonction publique, d’améliorer la santé des femmes au travail ou de dénoncer les dangers de l’industrie pornographique.
Nos travaux ont permis de donner la parole aux femmes, de plonger au cœur des discriminations et d’aller chercher les maux à la source afin de mieux les soigner.
Nos travaux ont abouti à des mesures concrètes. Je pense, par exemple, à la récente adoption de la proposition de loi visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique, que j’ai présentée avec Martine Filleul et Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Enfin, je tiens à alerter sur les conséquences de l’utilisation de l’écriture inclusive. Selon une étude du ministère de l’éducation nationale publiée au mois de juin dernier, un jeune français sur neuf a des difficultés de lecture et près de la moitié d’entre eux sont en situation d’illettrisme.
Souhaitons-nous vraiment aggraver ces chiffres ? L’écriture dite inclusive est en réalité une langue d’exclusion pour plusieurs millions de personnes en France – environ 10 % de la population sont concernés. L’écriture inclusive est compliquée à appréhender et à manier, surtout pour nos concitoyens présentant des difficultés ou des handicaps tels que la dyslexie.
D’autant que l’écriture inclusive n’est pas la seule forme d’écriture alternative. Si nous normalisons le recours à l’écriture inclusive, nous ouvrons la porte à l’écriture non binaire et aux autres formes qui pourraient émerger. Il ne serait alors plus question de suivre l’évolution de la langue, mais, au contraire, de la réécrire complètement.
Mes chers collègues, le français est un trésor national que nous devons préserver. C’est notre patrimoine.
Selon le linguiste et cofondateur du dictionnaire Le Petit Robert, Alain Rey, l’écriture inclusive est inutile, parce qu’elle ne peut se représenter à l’oral. Un texte en écriture inclusive qui ne peut se parler, quelle aberration !
En conclusion, je tiens à saluer le travail du rapporteur Cédric Vial, qui a permis de préciser le texte par l’adoption de deux amendements en commission.
Le groupe Union Centriste entend donc mettre non pas un point médian, mais un point final à ce débat en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Karine Daniel applaudit également.)
Mme Mathilde Ollivier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce soir, nous examinons une proposition de loi visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive, un texte qui n’est pas sans rappeler la proposition de loi du Rassemblement national débattue dans le cadre de sa niche parlementaire à l’Assemblée nationale, le 12 octobre dernier.
On m’avait dit qu’au Sénat on respectait et on privilégiait le travail de fond. Or la première proposition de loi sur laquelle je dois me pencher est un texte démagogique…
M. Max Brisson. Vous vous y connaissez en démagogie !
Mme Mathilde Ollivier. … ayant pour objet d’interdire l’usage de l’écriture inclusive.
À l’heure où nous sommes frappés par les urgences et les crises d’ampleur internationale, nous sommes en droit de nous interroger sur votre sens des priorités. Selon toute vraisemblance, vous êtes davantage préoccupés de réaliser au Sénat ce que l’extrême droite fait à l’Assemblée nationale. (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Loin des fantasmes et des polémiques,…
M. Max Brisson. Éculé !
Mme Mathilde Ollivier. … intéressons-nous réellement à cette écriture qui déchaîne les passions de la droite et de l’extrême droite.