Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je viens d’un département où les parcelles sont petites, mais où l’attachement à la terre est grand.
J’ai souvenir de mon grand-père paysan, né en 1904, qui se déclarait « propriétaire » sur les actes d’état civil, en lieu et place de sa profession. Il ne possédait pourtant que quelques hectares de noyers dans la vallée de la Dordogne et de maigres landes sur le causse. Une fierté ! La mienne encore aujourd’hui.
Évidemment, cette proposition de loi est bien éloignée de ce modèle anthropologique, séculaire, qui sous-tend le rapport à la terre dans des départements comme le mien.
Pourtant, elle peut sûrement répondre à des réalités différentes, en d’autres lieux, ou nouvelles, en d’autres temps.
On se rappelle le slogan d’un rêve largement partagé à travers le monde : « La terre à ceux qui la travaillent. »
En dissociant propriété foncière et travail de la terre, ce texte touche à une fibre très sensible de nos représentations et pose la question d’un renforcement du capitalisme au sens premier du terme, dans l’agriculture.
C’était d’ailleurs mon premier élan : par principe, s’opposer à ce qui s’apparente à un pas de plus vers la marchandisation de la terre ou la financiarisation de l’agriculture.
À la réflexion, je pense que, comme souvent, l’écueil serait de se focaliser sur l’enjeu idéologique.
Le monde a changé. Pour nombre d’agriculteurs, la propriété n’est plus une priorité absolue. Ce qui compte, c’est la stabilité du foncier, que le bail rural peut, souvent, suffire à garantir complètement.
De plus, le capital des GFAE ne serait pas ouvert aux sociétés, à l’exception de celles qui sont autorisées par le code rural, et les Safer conserveraient leur droit de préemption en cas de cession de l’ensemble des parts. Bref, des garde-fous existent.
La mobilisation de capitaux privés dans la propriété foncière fera-t-elle plus encore de l’exploitant un exploité agricole ? Pas sûr ! Je pense que le mal dont souffre la profession prend racine sur d’autres terrains.
Chacun d’entre vous, mes chers collègues, connaît la réalité du monde agricole français. En une génération, nous avons perdu les deux tiers des effectifs.
Dernièrement, au congrès des maires du Lot, Jérôme Fourquet a eu cette formule frappante : « L’agriculture est le plus grand plan social silencieux de l’histoire de France contemporaine. »
Oui, il est urgent d’assurer le renouvellement des générations. À ce titre, l’idée de drainer l’épargne des Français vers le financement des acquisitions foncières n’est pas inintéressante, même si rien ne permet réellement de mesurer la portée ni l’impact de la présente proposition de loi.
Pour autant, le véritable besoin en capitaux pour l’agriculture devrait concerner non pas les acquisitions foncières, mais l’innovation, la recherche et le développement, afin de répondre aux grands défis qui nous attendent : l’abandon planifié de la chimie, la pénurie de main-d’œuvre, le coût grandissant des énergies fossiles.
On ne peut pas demander aux agriculteurs de trouver tout seuls les solutions à l’immense défi de transformation qui se dresse devant eux. L’heure est à l’ouverture d’une nouvelle ère du machinisme agricole, mobilisant des capitaux publics et privés. Or cela nécessite un effort d’investissement massif, accompagné d’un véritable plan stratégique.
C’est à ce prix que l’agriculture redeviendra une puissante économie productive et que la France protégera sa souveraineté alimentaire.
Le RDSE soutiendra malgré tout cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC. – M. Thierry Cozic applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi revêt une grande importance, dans le contexte de la profonde transformation du modèle agricole français et des défis auxquels sont confrontés les exploitants agricoles de notre pays.
La diminution du nombre d’exploitations agricoles, associée à leur concentration et à l’augmentation de leur taille, est un phénomène observé dans de nombreux pays ; la France ne fait pas exception. Aujourd’hui, le solde est négatif et, chaque année, 6 000 exploitants ne sont pas remplacés.
Face à ces enjeux majeurs, nous avons l’impérieuse nécessité de prendre des mesures appropriées pour soutenir et renouveler notre secteur agricole.
La récente évaluation de la Cour des comptes a mis en lumière des problèmes majeurs dans les politiques d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles en France.
Les insuffisances des instruments d’aide à l’installation et la faiblesse de la politique agricole en matière de transmission y ont été soulignées, tandis que des obstacles économiques importants à la transmission des exploitations ont été identifiés.
Pour y remédier, la proposition de loi déposée par Vanina Paoli-Gagin vise à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises. Elle prévoit la création d’un groupement foncier agricole d’épargnants, un mécanisme innovant qui permettrait de mobiliser l’épargne des Français en faveur de l’acquisition de terres agricoles.
Les épargnants pourraient ainsi investir dans le foncier agricole, lequel serait ensuite mis à la disposition d’un agriculteur au travers d’un bail à long terme, dans le cadre du statut de fermage.
Cette approche permettrait de séparer l’acquisition du foncier de l’acquisition de l’appareil productif et, ainsi, d’assurer pour les nouveaux agriculteurs, la stabilité de l’exploitation.
Nous sommes conscients que des préoccupations ont été soulevées sur la viabilité du GFAE, notamment en ce qui concerne son rendement potentiel et sa liquidité. Il s’agit de préoccupations majeures, en ce qu’elles risquent de décourager les investisseurs potentiels.
Cependant, ces questions ne doivent pas nous dissuader d’explorer de nouvelles voies pour soutenir le secteur agricole. C’est dans cet esprit que nous sommes très attentifs aux pistes innovantes étudiées par le ministère de l’agriculture. Elles pourraient corriger les angles morts de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Vous l’avez compris : la question de la transmission des exploitations agricoles est bien trop cruciale. Il est impératif de trouver des solutions garantissant la pérennité de notre agriculture et la sauvegarde de notre souveraineté alimentaire, par le développement de filières de production souveraines, compétitives et respectueuses de l’environnement.
Il est essentiel de rappeler que cette proposition de loi a émergé dans le cadre des concertations ouvertes par le ministre de l’agriculture au mois de décembre dernier, à la suite de l’annonce du Président de la République.
Notre collègue Vanina Paoli-Gagin a bien voulu se saisir de cette question et nous l’en remercions. Néanmoins, le chantier qui nous attend exige que toutes ces propositions soient traitées d’un bloc dans la loi d’orientation et d’avenir agricoles.
Nous nous engageons à travailler en concertation avec l’ensemble des parties prenantes pour trouver des solutions viables pour notre secteur agricole.
C’est pourquoi notre groupe, bien conscient des limites de cette proposition de loi, votera en sa faveur, tout en appelant à une discussion approfondie dans le cadre du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Raphaël Daubet et Michel Canévet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises permettrait de drainer l’épargne des Français vers l’acquisition de foncier agricole.
Elle a pour fondement l’idée que la continuité du foncier agricole est un enjeu majeur pour la souveraineté alimentaire de la France, en particulier en raison de la baisse du nombre d’exploitants, de l’augmentation de la taille des exploitations et du vieillissement des agriculteurs.
Si l’on peut partager ces constats et entendre la volonté de favoriser la transmission des exploitations agricoles, la méthode proposée dans ce texte ne nous convainc pas vraiment.
La création de groupements fonciers agricoles d’épargnants, devenus groupements fonciers agricoles d’investissement après le passage du texte en commission des finances, renforce une approche de gestion capitalistique de l’agriculture : les terres agricoles deviennent un objet d’investissement financier plutôt qu’un moyen de production agricole.
Cette orientation vers la finance peut détourner l’attention des enjeux clés auxquels est confrontée l’agriculture moderne.
L’agriculture doit, en effet, relever des défis majeurs liés à l’adaptation au changement climatique, à la préservation de la biodiversité, à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à la gestion durable des ressources en eau, et à d’autres aspects environnementaux.
Encourager une approche purement capitaliste peut conduire à négliger ces défis fondamentaux et à mettre en péril, à long terme, la durabilité de notre secteur agricole.
La création d’un nouveau dispositif d’aide économique comme le GFAI sans effectuer, au préalable, une étude d’impact approfondie sur les dispositifs existants comporte un risque sérieux d’éviction : les financements déjà en place, notamment dans le secteur forestier, pourraient être ignorés ou affaiblis.
Cette fragmentation des politiques économiques peut créer des incohérences et des distorsions dans le paysage agricole. Elle peut également se révéler inefficace sur le plan économique, entraîner une mauvaise allocation des ressources et nuire à la coordination des différents acteurs de l’agriculture.
En outre, ce nouvel outil ne résoudra pas les problèmes d’installation et laisse de côté le seul levier à même de répondre globalement à cet enjeu : la régulation foncière.
En la matière, l’état de la législation, qui a pourtant connu une évolution récente, ne répond absolument pas aux enjeux du renouvellement générationnel et de l’agriculture à taille humaine telle que nous la pratiquons dans nos territoires.
L’accès au foncier est l’un des freins à l’installation de nouveaux agriculteurs, notamment de ceux qui ne bénéficient pas d’une transmission de l’exploitation agricole de leurs parents.
Toutefois, le problème de la transmission ne peut se réduire à la question du portage foncier, car la reprise du capital d’exploitation pèse aussi lourdement sur les installations, parfois même plus que le foncier.
Au surplus, la perspective d’une prochaine loi d’orientation agricole rend cette proposition de loi peu opportune, en appréhendant les sujets agricoles sous un angle extrêmement réduit.
Il est essentiel de repenser notre modèle agricole à l’aune de nos objectifs environnementaux et de favoriser les pratiques agricoles bénéfiques pour la biodiversité.
Enfin, ce texte repose sur une baisse des recettes fiscales. L’État devrait, une nouvelle fois, renoncer à une part de ses revenus.
Dans un contexte économique marqué par l’incertitude et les défis liés à la crise, l’abandon de recettes fiscales affaiblit la capacité de l’État à financer les services publics et ne constitue guère une aubaine pour nos finances publiques.
En conclusion, nous plaidons en faveur d’une approche plus globale, équilibrée et coordonnée, qui soutienne les objectifs de durabilité, de sécurité alimentaire et de justice sociale. Ces sujets devront être abordés durant l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles.
Nous devons veiller à ce que notre politique agricole soit alignée sur les besoins de la société, sur les défis environnementaux et sur les principes de responsabilité budgétaire.
De notre point de vue, l’initiative de notre collègue Paoli-Gagin, telle qu’elle est présentée, ne répond pas à ces préoccupations.
Le groupe socialiste votera donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi de Vanina Paoli-Gagin vise à donner la possibilité aux épargnants d’investir dans le foncier agricole via un nouveau véhicule appelé le groupement foncier agricole d’épargnants, ce afin de favoriser la transmission du foncier agricole aux nouvelles générations d’agriculteurs et ainsi faciliter leur installation.
Il y a urgence : la moitié des agriculteurs ont plus de 50 ans et leurs exploitations sont à la veille d’être transmises.
Notre rapporteur Christian Klinger, dont je salue le travail de fond, a permis de mieux encadrer les dispositions de la proposition de loi au bénéfice de l’agriculteur.
Baux relevant du régime des baux ruraux, renouvellement de droit du bail, loyer encadré selon un barème établi par le préfet de département, droit de préemption de rachat ou encore possibilité pour les Safer de prendre des parts, voire toutes les parts, sont autant de dispositions qui offrent des perspectives encourageantes et un cadre légal rigoureux à même de garantir « une jouissance paisible d’un bien par son fermier ».
Néanmoins, au-delà de la volonté affichée de trouver des appuis financiers à l’investissement dans des exploitations agricoles pour l’installation des jeunes agriculteurs et favoriser leurs reprises, cette proposition de loi a été et reste l’objet d’interrogations.
Si le groupe Les Républicains est favorable à l’ensemble des leviers facilitant la transmission et l’installation des nouveaux exploitants agricoles, il n’en demeure pas moins vigilant sur les conséquences du dispositif proposé.
En effet, il est nécessaire de s’assurer, d’un côté, que ce dispositif répond aux besoins des agriculteurs français et, d’un autre côté, que ce type de produit présente une attractivité suffisante pour les épargnants. Il ne faudrait pas non plus que ces derniers, mus par un objectif de rentabilité, se livrent à la spéculation foncière ou que soit porté atteinte à la liberté des modes et types de cultures.
Les agriculteurs doivent pouvoir répondre aux attentes sociétales et environnementales, contribuer à notre souveraineté alimentaire et conserver la liberté d’entreprendre et de s’organiser entre producteurs dans un cadre collectif et réglementaire stabilisé.
Ne risque-t-on pas de favoriser une forme de financiarisation du foncier agricole, qui aurait des conséquences sur les transmissions agricoles familiales ?
Je rappelle que plus de 60 % de la surface agricole utile est déjà « portée » par des tiers à l’agriculture et louée en fermage. Dans la Somme, cette proportion atteint 80 %.
Le marché foncier annuel des ventes agricoles est de 7 milliards d’euros et les Safer orientent déjà le marché foncier agricole en intervenant dans 25 % à 30 % des ventes.
Les fermiers ne risquent-ils pas d’être exposés à des contraintes supplémentaires ? Des sociétés d’épargne largement « ou…vertes » ne pourraient-elles pas souscrire aux GFAI et imposer aux baux souscrits dans un maquis réglementaire déjà complexe des conditions agronomiques ou variétales plus contraignantes ?
Ce risque n’est-il pas de nature à déposséder les agriculteurs de leur liberté d’assolement ou de leur plan d’élevage ?
M. le rapporteur reconnaît, dans son rapport, les limites de l’initiative, en précisant qu’elle représente une piste de réflexion parmi d’autres.
Parmi ces dernières figure, à l’heure des projets alimentaires territoriaux (PAT), le développement de GFA mutuels, à l’instar de ceux qui sont proposés dans nombre de départements, sur l’initiative des chambres d’agriculture.
En cohérence avec l’élaboration d’un PAT, les collectivités territoriales, ainsi que les Safer et des investisseurs privés locaux, pourraient y participer, aux côtés des agriculteurs.
Cela permettrait à un exploitant agricole détenteur d’un bail rural à long terme accordé par ce GFA d’accéder à une forme de maîtrise du foncier qu’il exploite.
Cette nouvelle proposition, que nous étudions, ne garantit pas à l’exploitant d’accéder au capital, s’il ne dispose pas d’au moins une part sociale de ce GFA, lui permettant d’ouvrir un droit de préférence en cas de cession de parts sociales, conformément aux dispositions de l’article L. 322-5 du code rural et de la pêche maritime, qui accorde « un droit de priorité aux associés qui participent à l’exploitation des biens du groupement […] ».
Dans un rapport du ministère de l’agriculture publié en 2023, Stratégies d’usage des terres en France dans l’objectif d’assurer la souveraineté alimentaire et de préserver la biodiversité, les auteurs Valérie Baduel, Claire Hubert et Hervé Lejeune appelaient à l’établissement d’un « réel consensus pour promouvoir notre souveraineté alimentaire sur la base d’une définition d’objectifs clairs et d’outils à mettre en place […] au niveau le plus approprié […] pour optimiser les arbitrages fonciers entre protection de la biodiversité et souveraineté alimentaire ». Ils ajoutaient que « la loi d’orientation agricole en préparation pourrait permettre de telles évolutions ».
Un autre rapport, remis cette fois en 2017 par Charles Gendron et Yves Granger, précisait déjà les nécessaires évolutions des outils de régulation et diversification des outils de portage du foncier.
Les agriculteurs réclament un cadre clair et stable, que seule une loi d’orientation agricole définira.
Pour rappel, les GFA ont été créés dans la foulée des lois d’orientation de 1960 et de 1962, une fois que les objectifs avaient été définis et que le cadre réglementaire avait été stabilisé. Aujourd’hui, nous discutons des outils avant même cette première étape indispensable.
Monsieur le ministre, il est temps, dans le cadre d’une loi d’orientation, de définir les objectifs environnementaux et les politiques stratégiques en matière de production et de foncier agricoles, et de proposer les évolutions nécessaires du statut de fermage éventuellement, ainsi que les outils financiers qui seraient de nature à faciliter les reprises.
Mettre la charrue avant les bœufs n’est guère rassurant, ni pour le rendement attendu par les épargnants ni pour la production des agriculteurs !
Nous nous associons donc à la prudence de M. le rapporteur, en proposant une réflexion plus globale et plus approfondie, que nos débats du jour pourront éclairer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le foncier agricole est un sujet stratégique pour notre pays. Il y va de notre souveraineté nationale, en matière alimentaire comme économique.
Notre groupe s’est saisi de cette thématique voilà déjà plusieurs années. Comme l’a rappelé Vanina Paoli-Gagin, dont je salue le travail, Les Indépendants avaient inscrit ce sujet à l’ordre du jour des travaux du Sénat au mois de février 2020, juste avant la crise sanitaire.
Depuis lors, notre pays a traversé de nombreuses crises. Aujourd’hui, nous devons remettre l’ouvrage sur le métier.
Aussi, je suis heureux que le groupe Les Indépendants propose un dispositif opérationnel visant à garder la maîtrise de nos terres agricoles. J’espère que nos débats permettront de faire avancer les choses.
Le sujet n’est pas facile, car les enjeux varient d’un territoire à l’autre.
Dans le département du Nord, dont je suis l’élu, comme dans la plupart des territoires frontaliers, le foncier agricole fait l’objet de fortes tensions, en raison des écarts de prix entre les pays.
Selon le récent rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, la valeur moyenne d’un hectare agricole libre est ainsi de 6 000 euros en France, contre 12 000 euros en Espagne, 21 000 euros en Allemagne, 30 000 euros en Suisse et 63 000 euros aux Pays-Bas.
Le rapport précise aussi que « ce différentiel de prix facilite le rachat des terres agricoles françaises par les étrangers ». C’est exactement ce que nous constatons dans le Nord, en particulier dans l’Avesnois et les Flandres, le prix moyen de l’hectare étant également plus élevé en Belgique qu’en France. Nous assistons donc à une prédation sur notre territoire.
Monsieur le ministre, il est important d’avoir à l’esprit ces tensions près de nos frontières. Elles sont d’autant plus graves que, naturellement, nous partageons ces frontières avec nos amis et partenaires européens et que nous ne pouvons ni ne voulons faire de discrimination en raison de la nationalité.
Reste que le sentiment de dépossession est bien présent dans ces territoires. Nous aurions tort de le négliger, car nous savons à quoi il mène.
C’est pourquoi j’espère que cette proposition de loi contribuera à renforcer notre souveraineté sur le foncier.
Les groupements fonciers agricoles d’investissement devront permettre aux Français de se mobiliser pour conserver la maîtrise foncière sur le territoire national.
Vanina Paoli-Gagin l’a rappelé : le débat porte aujourd’hui sur notre capacité à attirer plus de capitaux privés pour acquérir des terres agricoles et pour aider à l’installation de nouveaux exploitants.
Ma collègue souhaite renforcer la capacité de notre pays à maîtriser son propre foncier. J’espère que ce dispositif pourra utilement y contribuer.
Dans tous les cas, monsieur le ministre, il faudra que votre plan pour l’avenir de l’agriculture apporte des solutions concrètes à ce problème. Agissons pour que les territoires frontaliers – Avesnois, Flandres, Nord – préservent leur foncier.
Plus que jamais, l’Europe doit jouer collectif pour garantir sa souveraineté alimentaire. Il est important que notre pays, grâce à l’intervention des Safer, ne soit pas perdant dans l’affaire. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient à remercier le groupe Les Indépendants et Vanina Paoli-Gagin de cette proposition de loi, qui est importante.
La France est un grand pays rural – et maritime – et nous sommes tous attachés à cette ruralité et à son avenir. Comme beaucoup, je vis à la campagne et je souhaite que la campagne soit active.
Le ministre l’a rappelé : nous faisons face à des défis de souveraineté alimentaire et énergétique que l’agriculture peut aussi contribuer à relever.
Depuis plusieurs décennies, le nombre d’exploitations a connu une baisse significative : divisé par cinq par rapport à 1955, il atteint aujourd’hui un peu moins de 400 000.
C’est dire combien il est nécessaire d’agir pour tenter d’enrayer cette érosion perpétuelle et continue. L’urgence est d’autant plus grande que 45 % des exploitants agricoles en activité ont plus de 55 ans.
Le défi du renouvellement des générations qui partent à la retraite auquel nous serons confrontés dans la prochaine décennie est immense. Pour le relever, nous aurons besoin d’outils.
Je tiens au passage à saluer le travail de M. le rapporteur, Christian Klinger. Cette proposition de loi est issue d’un travail préalable de la Cour des comptes, réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat, afin de bien appréhender la réalité de la transmission des entreprises dans notre pays.
Dans l’une de ses conclusions, la Cour des comptes appelait à promouvoir une palette d’instruments juridiques, financiers et comptables éprouvés ou émergents, susceptibles d’apporter des solutions à la variété des formes d’exploitation.
Je suis de cet avis et c’est la raison pour laquelle j’ai félicité le groupe Les Indépendants d’avoir saisi cette occasion de proposer un dispositif complémentaire.
Il s’agit bien, en effet, de rechercher la complémentarité. Un certain nombre d’outils, assez efficaces d’ailleurs, existent déjà pour accompagner l’installation des agriculteurs. Nous devons les multiplier, et cette forme de groupement foncier agricole est l’un de ces outils.
Je ne crois pas que, ce faisant, nous favorisions la marchandisation de l’activité agricole, comme le craignent certains. Plus de 60 % des agriculteurs sont aujourd’hui locataires. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter sur ce point.
Je vous rappelle, monsieur le ministre, que c’est un Finistérien célèbre, François-Tanguy Prigent, lequel fut votre prédécesseur, qui a créé, en 1946, le statut du fermage. (M. Ronan Dantec acquiesce.) Cette mesure a permis à tous les exploitants de travailler dans des conditions décentes, sans être asservis, ce qui est d’une importance capitale.
Nous devons réfléchir en termes de production. Il est clair, en observant la situation des exploitations, que beaucoup d’entre elles sont difficilement transmissibles. Ainsi, il est nécessaire de trouver des outils facilitant leur transmission. Comme l’autrice de la proposition de loi, je suis convaincu que la mobilisation de l’épargne publique peut y contribuer.
En tant qu’élu d’un département maritime, je constate que nous faisons face aux mêmes constats et aux mêmes difficultés pour le renouvellement des navires. Nous devrions nous inspirer de ces pratiques pour mobiliser l’épargne en faveur du renouvellement de la flotte de pêche, qui représente un enjeu de production pour la France. De la même manière, le renouvellement des exploitations est un enjeu majeur, et nous devons lui accorder une attention particulière.
Le groupe Union Centriste salue donc et soutient sans réserve cette proposition de loi.
J’aimerais également évoquer la nécessité d’une agriculture plus vertueuse. Les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) ont connu un grand succès en Bretagne, mais elles ont engendré une impasse financière qu’il serait utile de résorber. On constate l’engagement de nombreux exploitants dans la région pour des pratiques agricoles aussi vertueuses que possible – un objectif que nombre de mes collègues sénateurs partagent. Ces pratiques vertueuses doivent être encouragées et accompagnées. De cette façon, nous pourrons continuer à développer une agriculture plurielle. En Bretagne notamment, les élevages jouent un rôle majeur et leur niveau de capitalisation exige de nouvelles formes de financement. C’est précisément le but de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions. - M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du foncier agricole est un sujet fondamental pour l’avenir de notre agriculture. Les enjeux sont immenses : sa régulation doit permettre tout à la fois de favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs dans un contexte de renouvellement des générations et de chute du nombre d’actifs, de lutter contre l’agrandissement excessif et l’accaparement des terres, d’engager la nécessaire transition écologique, et d’assurer notre souveraineté alimentaire – et je parle d’une vraie souveraineté alimentaire, monsieur le ministre.
Avec ce texte, vous nous proposez de créer un nouveau véhicule de portage financier, les GFAI, c’est-à-dire des GFA dont les parts du capital social font l’objet d’une offre au public.
Je souhaite exprimer dès à présent notre perplexité face à ce nouveau dispositif financier.