M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ah, vous voyez ! (Sourires.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … dont le principe est enfin reconnu.

Mais, comme vous ne pouvez pas vous en empêcher, monsieur le garde des sceaux,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Qu’ai-je encore fait ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … et que vous avez trouvé une oreille attentive auprès du Sénat, il a fallu que vous introduisiez une disposition limitant la liberté d’expression des magistrats.

Il s’agit d’ailleurs d’une forme d’obstination de votre part, puisque vous avez saisi le Conseil supérieur de la magistrature pour tenter d’en savoir davantage sur ce que les juges avaient le droit de faire ou de ne pas faire.

Vous avez finalement dû renoncer – et la commission mixte paritaire avec vous – à la limitation du droit syndical des magistrats, qui pouvait paraître relativement compliquée à mettre en œuvre sous cette forme, mais vous avez décidé de faire réapparaître une mesure similaire dans un autre article de l’ordonnance, si bien que vous avez bel et bien fait voter une mesure limitant la liberté d’expression des magistrats. Pour nous, c’est grave !

Bref, au bénéfice de l’ensemble de ces observations qui, vous l’avez compris, sont favorables pour certaines, et traduisent notre inquiétude pour d’autres, nous nous abstiendrons sur l’ensemble des deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Anne Souyris applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Di Folco. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Les Républicains se réjouit de l’accord trouvé en commission mixte paritaire la semaine dernière.

Cela faisait plusieurs années que le Sénat appelait de ses vœux une loi de programmation pour la justice. On se souvient ainsi du rapport d’information de Philippe Bas fait au nom de la commission des lois en avril 2017 : Cinq ans pour sauver la justice !

Nous nous félicitons donc de la remise à niveau des moyens humains et matériels des services judiciaires et pénitentiaires qu’a défendue le garde des sceaux. L’ambition est forte, et dire le contraire aujourd’hui serait foncièrement injuste.

S’agissant des moyens humains, le Sénat s’est montré particulièrement attentif à la situation des greffiers, sans lesquels la justice ne pourrait mener à bien sa mission, en augmentant leur nombre de 1 800. Lors de l’Agora de la justice organisée sur l’initiative du président Larcher en septembre 2021, il avait d’ailleurs été préconisé de combler, en priorité, les vacances de postes de ces professionnels. Cela sera chose faite.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Absolument !

Mme Catherine Di Folco. Nous regrettons toutefois que l’embauche de 600 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation n’ait pas été retenue dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice officialise le lancement du chantier substantiel de la simplification de notre procédure pénale : nous y serons particulièrement attentifs dans les mois à venir.

Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez assuré qu’aucune modification de fond ne saurait être entérinée sans l’aval du Parlement. (M. le garde des sceaux acquiesce.) Nous formons le vœu que vous teniez cet engagement.

En matière de justice économique, le texte comporte des avancées notables, dont l’exclusion des petites entreprises de la contribution financière prévue, lorsque ces dernières engagent une action en justice devant le tribunal des activités économiques. Le Sénat y était particulièrement attaché.

Quant à la création des nouveaux tribunaux des activités économiques, nous ne pouvons que nous réjouir de l’adoption d’une mesure proposée par le Sénat là encore lors de l’Agora de la justice.

Je souhaiterais maintenant en venir au projet de loi organique.

L’accord trouvé avec les députés conforte le nombre d’acquis substantiels apportés par notre assemblée.

Le groupe Les Républicains se réjouit de l’apport, conservé en commission mixte paritaire sous réserve d’une modification, de notre collègue centriste Philippe Bonnecarrère, qui conforte le respect du principe d’impartialité des magistrats syndiqués. Loin de restreindre la liberté d’expression des magistrats, comme le déplore le Syndicat de la magistrature, il s’agit de fortifier l’exigence d’impartialité qui leur incombe.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout à fait !

Mme Catherine Di Folco. La liberté d’expression ne justifie ni la décision de suspendre l’évacuation du bidonville de Mamoudzou, ni l’édiction d’une contre-circulaire visant à l’impunité, ni l’animation de tables rondes lors de la fête de LHumanité. Nous sommes, et nous resterons, extrêmement fermes sur ce point.

D’autres apports notables sont à souligner, qu’il s’agisse de l’ouverture toujours plus importante du recrutement dans le corps de la magistrature ou de la création d’une charte de déontologie des magistrats, sur l’initiative du président Retailleau.

Enfin, le durcissement des exigences en matière de responsabilité devrait permettre de renforcer le lien de confiance entre les Français et leur justice qui est, faut-il le rappeler, particulièrement abîmé, si l’on en croit le dernier sondage réalisé par le Sénat : en effet, 53 % des Français déclarent ne pas faire confiance à la justice.

Pour finir, le Sénat sera naturellement très vigilant quant au déploiement effectif des crédits au fil des années à venir.

Le groupe Les Républicains tient à saluer la qualité du travail des deux rapporteurs, Agnès Canayer et Dominique Vérien, lesquelles ont su apporter leur expertise pour bonifier ces deux textes aussi techniques qu’essentiels – M. le garde des sceaux l’a également souligné.

Je ne doute pas que la grande majorité de notre groupe se prononcera en faveur de ces projets de loi, tels qu’ils résultent des travaux des commissions mixtes paritaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Christopher Szczurek. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques mois après des émeutes qui ont révolté les Français, renforcé et corroboré le sentiment d’injustice et d’impunité, ces textes sont aujourd’hui soumis à notre appréciation. S’ils paraissent sous-dimensionnés au regard du contexte d’insécurité dans lequel nous vivons, ils constituent un progrès que nous reconnaissons.

La création annoncée de 1 500 postes de magistrats et de 1 800 postes de greffiers est évidemment un point positif. Nous regrettons en revanche que les greffiers ne voient pas leur traitement majoré, alors même qu’ils sont en première ligne et assurent le fonctionnement quotidien de notre système judiciaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Attendez, c’est en cours de discussion !

M. Christopher Szczurek. Les 18 000 places de prison, si elles sont pour l’instant largement en deçà des 85 000 places que nous préconisons, constituent également une avancée, si toutefois cette mesure vient à être pleinement exécutée, à plus forte raison à une époque où – nous le regrettons ! – l’emprisonnement finit par devenir l’exception et les mesures alternatives une généralité.

Permettez-moi de faire un aparté : les travaux d’intérêt général ne sont ni dissuasifs ni réellement punitifs ; ils correspondent à un moindre échelon de peine, qui facilite sans doute beaucoup trop le non-recours à l’emprisonnement, à tel point que les TIG représentent aujourd’hui la troisième peine la plus prononcée.

Mes chers collègues, le sentiment d’insécurité n’est pas qu’un sentiment : il s’agit de la légitime appréhension de nos compatriotes face à la réalité, mais surtout face à un quotidien qui se dégrade.

Les émeutes, j’en parlais tout à l’heure, sont venues rappeler que des territoires entiers ont été soustraits au droit commun, aux lois de notre République. Ceux-ci ont vu s’imposer un nouveau système de valeurs fondé sur la brutalité, la violence et l’absence de morale.

À notre sens, les textes dont nous parlons aujourd’hui n’inverseront pas la tendance, quand bien même nous en saluons une fois encore les progrès, notamment l’apport de nouvelles techniques d’enquête qui peuvent rendre plus efficace et réactive la lutte contre le trafic de stupéfiants par exemple.

Malgré tout, nous voterons ces textes. Mais attention aux politiques « cataplasmes » ! Si nous discutons ici du traitement des conséquences, ne perdons pas de vue une urgence fondamentale : il faut qu’enfin l’on s’attaque aux causes de l’explosion de la délinquance et de l’insécurité dans notre pays.

Pour paraphraser Blaise Pascal, la force doit être juste, la justice doit être forte. Ce n’est qu’ainsi que notre justice retrouvera son aura auprès de nos concitoyens. Plus que de s’attaquer à la sanction des crimes et délits, il faut à présent que la classe politique ait le courage d’en désigner les causes et de les combattre. Le système judiciaire doit punir, mais la peine doit être suffisamment forte pour qu’elle puisse dissuader. (M. Joshua Hochart applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (M. Emmanuel Capus applaudit.)

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice n’est pas un service public comme les autres. Sa mission est essentielle à notre démocratie.

Pendant des décennies, elle n’a pas été financée à la hauteur de son importance. Son budget devrait désormais passer de 9 milliards d’euros à près de 11 milliards d’euros par an. C’est une très bonne nouvelle pour les professionnels concernés, mais surtout pour l’ensemble de nos concitoyens.

La programmation inscrit dans la durée une tendance due à votre initiative, monsieur le garde des sceaux, ce dont nous vous savons gré.

Le manque de moyens, notamment humains, a « embolisé » bon nombre de nos juridictions, ce qui a allongé dramatiquement les délais de jugement.

Le projet de loi ordinaire prévoit d’y remédier avec près de 10 000 recrutements, dont celui de 1 500 magistrats et de 1 800 greffiers qui rejoindront les juridictions dans les prochaines années. Les attachés de justice contribueront à alléger la tâche des magistrats et permettront à ceux-ci de dégager un temps précieux.

L’augmentation du budget doit aussi permettre la construction de milliers de places de prison supplémentaires. Nous en avons un besoin urgent : entre 2000 et 2019, le nombre d’années de prison ferme prononcées par nos tribunaux a progressé de près de 70 %.

Le texte prévoit par ailleurs d’améliorer l’efficacité de nos services par le déploiement de nouvelles techniques d’enquête. Particulièrement intrusives, elles nous semblent néanmoins suffisamment encadrées pour que leur impact sur les libertés individuelles reste limité.

Hélas, la justice pénale n’est pas la seule à être en souffrance. Consacrer davantage de moyens à notre justice est bien sûr une nécessité, mais il est également nécessaire d’innover pour plus d’efficacité.

Nous nous réjouissons de l’expérimentation du tribunal des activités économiques. En confiant aux juges consulaires des contentieux qu’ils sont d’ores et déjà en mesure de traiter, il libérera du temps pour les magistrats.

Dans le même esprit, nous avons soutenu le transfert aux commissaires de justice des procédures de saisie des rémunérations. Elles seront désormais effectuées par les 3 700 commissaires de justice que compte notre pays, sous le contrôle, bien sûr, du juge de l’exécution. Il restera bien entendu possible de mettre en place des délais de paiement si la situation du débiteur l’exige, mais les créanciers devraient bénéficier d’une exécution plus rapide.

Le projet de loi organique vise à ouvrir le corps judiciaire et à simplifier son fonctionnement. Il renforce également la responsabilité des magistrats et leur protection.

Pour une justice plus efficace, mais aussi plus attractive, il est nécessaire que l’État concentre ses moyens sur ses missions régaliennes. C’est de ces dernières que dépend le bon fonctionnement de notre démocratie et de notre société.

Ces mesures sont attendues et viennent s’ajouter à celles qui existent déjà. Reste le problème posé par l’inflation normative, un cancer qui a atteint toutes nos réglementations. Le code de procédure pénale en est l’un des symboles. Il faudra absolument le clarifier et le simplifier.

Cette inflation normative constitue une source majeure de difficulté pour les juridictions. Elle pénalise aussi l’activité de nos élus, de nos entreprises et, plus généralement, de nos concitoyens.

Nous devons réduire le nombre de normes et veiller à en améliorer la qualité. La commission des lois du Sénat et vous-même, monsieur le garde des sceaux, y êtes attentifs. J’espère que nous pourrons obtenir des avancées concrètes en ce sens dans les prochains mois.

En tout état de cause, le groupe Les Indépendants votera en faveur des textes élaborés par les commissions mixtes paritaires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voilà enfin au terme de plusieurs mois d’examen de ces deux textes, un long travail nécessaire au vu des attentes légitimes du personnel de la justice bien sûr, mais également du grand public.

Ces deux textes ont une ambition commune : réparer notre institution pour la rendre non seulement plus efficace, plus rapide et plus accessible, mais aussi plus diverse et ouverte pour ce qui est des parcours et des profils de celles et de ceux qui auront à la composer.

Cette modernisation touchera aussi la gestion de la carrière de nos magistrats déjà en poste, avec un dialogue social amélioré et une plus grande place donnée aux syndicats.

Je souhaite également souligner la présence dans le texte final de la charte de déontologie, dans sa version issue des travaux du Sénat, ainsi que le maintien de la notion d’impartialité ou le renforcement des sanctions. C’est un prérequis nécessaire pour restaurer la confiance du public en la justice.

S’agissant du projet de loi, je m’associe évidemment à Agnès Canayer pour saluer la création de 1 500 postes de magistrats et de 1 800 postes de greffiers. Ce dernier point constituait une attente forte de notre chambre – et je remercie le Gouvernement, comme l’Assemblée nationale, d’avoir su nous rejoindre sur ce point.

Je souhaite également revenir sur les tribunaux des activités économiques : je suis heureuse que nous ayons trouvé une position qui concilie la vision des deux assemblées. Après un travail approfondi du Sénat, nous avions déjà supprimé l’échevinage – cela a été respecté par l’Assemblée nationale. Nous avons encore progressé lors de la commission mixte paritaire : nous avons ainsi exclu les professions juridiques et les baux commerciaux de l’expérimentation, tout en reprenant l’inclusion de l’ensemble des associations, ainsi que la participation des agriculteurs en qualité d’assesseurs.

Je connais les réticences de certains pans du monde associatif à ce sujet, mais je reste convaincue que leurs intérêts ne seront pas lésés et que les juges de ces futurs tribunaux des activités économiques sauront se montrer à la hauteur de cette expérimentation. En tout cas, pour ce que j’en sais, nous ne manquons pas de candidats pour cette expérimentation : nous pourrons donc en évaluer toutes les conséquences.

Je tiens également à souligner le fait que le Sénat ait obtenu le retour de l’article 17 dans sa version prévoyant le maintien du rôle de conciliateur du commissaire de justice dans le cadre de la procédure de saisie des rémunérations. Cette mesure permettra d’alléger la charge des greffiers et des juges ; je suis certaine, là encore, que les commissaires de justice seront dignes de la confiance que nous leur accordons.

Plus globalement, je souhaite remercier nos collègues de l’Assemblée nationale, avec lesquels nous avons su avancer dans un climat exigeant, mais respectueux, en vue d’aboutir à un compromis équilibré qui respecte l’esprit de la version adoptée par le Sénat.

En effet, les points les plus délicats, ceux qui faisaient débat, ont pu être réglés.

Nous avons su préserver, ma collègue Agnès Canayer et moi-même, les principaux aspects du texte qui nous tenaient à cœur : je pense, comme je viens de le dire, au champ de compétence du tribunal des activités économiques, mais aussi à la contribution des entreprises, qui ne s’appliquera pas aux plus petites d’entre elles, à la création d’un legal privilege à la française des juristes d’entreprise, qui tenait à cœur au président Hervé Marseille, au niveau d’études requis pour être formé à la profession d’avocat ou pour l’exercer, ou encore à la notion de danger imminent dans le cadre des perquisitions de nuit.

Monsieur le garde des sceaux, merci également pour votre écoute et la qualité de nos échanges, que nous aurons l’occasion de poursuivre, puisque, vous vous en doutez, nous aurons à cœur de prolonger notre travail de contrôle parlementaire, en particulier sur le volet programmatique et le rapport annexé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Vote sur l’ensemble du projet de loi

Explications de vote communes
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire
Explications de vote sur  l'ensemble du projet de loi organique (début)

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement.

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Vote sur l’ensemble du projet de loi organique

Explications de vote sur l'ensemble du projet de loi
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire
Explications de vote sur  l'ensemble du projet de loi organique (fin)

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l’ensemble du projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 2 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 251
Pour l’adoption 233
Contre 18

Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi organique. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-neuf, est reprise à dix-huit heures une.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur  l'ensemble du projet de loi organique (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire
 

7

Industrie verte

Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à l’industrie verte (texte de la commission n° 19, rapport n° 18).

La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, au nom de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, au nom de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lundi soir, nous sommes parvenus à un accord avec nos collègues députés, en commission mixte paritaire, sur le projet de loi relatif à l’industrie verte. L’Assemblée nationale en a adopté les conclusions hier.

Ce texte, qui vise à faciliter l’implantation d’industries vertes sur le sol national et à financer la transition verte a ainsi pu aboutir. Les industries vertes sont celles qui nous donneront les moyens de la transition écologique, tout en étant les moteurs d’une croissance durable. Elles sont indispensables pour le climat et pour l’environnement, mais aussi pour notre souveraineté, car nous ne pouvons plus dépendre des panneaux solaires chinois. En soutenant les filières des Big Five, nous construirons notre autonomie énergétique de demain.

Les industries vertes sont aussi un gigantesque gisement d’emplois et un relais de croissance.

Nous avions certes abondamment regretté dans cet hémicycle le manque d’ambition de ce texte composite, aux contours mal définis. Le travail parlementaire l’a quelque peu enrichi. Dans le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, la plupart des apports du Sénat ont pu être préservés, notamment ceux de la commission des affaires économiques, dont je tiens à saluer l’ancien rapporteur, Laurent Somon.

Ainsi, afin de renforcer l’accélération des procédures, le texte final permet, sur notre initiative, à l’ensemble de la chaîne de valeur des industries vertes de bénéficier de la procédure de déclaration de projet : c’est très important pour les sous-traitants, notamment les PME.

Nous avons également conservé les mesures introduites au Sénat visant à améliorer la requalification des friches industrielles et à faciliter la libération de foncier pour l’industrie : renforcement des capacités d’intervention des établissements publics fonciers (EPF), amélioration de la procédure du tiers demandeur… Je pense aussi à la rationalisation des obligations de dépollution des sols, pour accélérer la réimplantation d’industries sur les terrains industriels délaissés.

En outre, pour accompagner les collectivités dans la reconquête de leur foncier industriel, face au mur du « zéro artificialisation nette » (ZAN), le Gouvernement fournira un rapport sur les outils à leur disposition pour requalifier les friches anciennes.

Enfin, nous avions été attentifs à ce que l’État traite les collectivités non pas comme de simples gisements de foncier, mais comme des acteurs à part entière de la réindustrialisation, à l’échelle de leur territoire, en favorisant les synergies.

Ainsi, nous avons pu rétablir, quasi intégralement, notre rédaction de l’article 1er, qui confie aux régions de nouvelles compétences en matière de développement économique territorial. Conformément à ce que le Sénat avait souhaité, les départements seront consultés sur ce nouveau volet du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).

La version initiale du fameux article 9 avait provoqué un tollé parmi les collectivités, car la rédaction retenue ne prévoyait même pas de les consulter avant d’implanter sur leur territoire un « projet industriel d’intérêt national majeur ». Il s’agit pourtant de projets représentant plusieurs centaines de millions d’euros d’investissement et des milliers d’employés à loger.

Nous avions donc prévu, au Sénat, un avis conforme des collectivités pour cette implantation, en fin de procédure ; l’Assemblée nationale souhaitait un accord des collectivités en amont de la procédure.

L’accord des collectivités locales – il s’agit bien d’un avis conforme – interviendra finalement au cours de la première phase de la procédure, mais la rédaction retenue sécurise aussi les collectivités en précisant que celles-ci disposeront, pour se prononcer, de toutes les données disponibles sur le projet et sur ses incidences sur leurs documents d’urbanisme. C’est une avancée majeure par rapport au texte de l’Assemblée nationale. En outre, elles continueront d’être associées tout au long de la procédure de mise en compatibilité.

Nous avons aussi obtenu pour les régions le droit d’être également consultées sur ces projets d’intérêt national majeur. Elles pourront de même signaler au Gouvernement des projets à labelliser.

En ce qui concerne les autres volets du texte, au titre II, relatif au verdissement de la commande publique et dont la commission des lois et la commission du développement durable avaient été saisies pour avis, les apports du Sénat ont été conservés.

Au titre III, relatif au financement de l’industrie verte, les travaux en commission mixte paritaire ont permis de rééquilibrer le périmètre d’investissement du plan d’épargne avenir climat (Peac) dans un sens plus proche de ce qui avait été souhaité par le Sénat : alors que l’Assemblée nationale avait restreint le périmètre aux titres labellisés, l’ensemble des titres financiers considérés comme contribuant à la transition écologique seront finalement éligibles à ce produit destiné aux mineurs et aux jeunes adultes.

Nous avons également rendu facultative, pour les entreprises, la transmission à la Banque de France de leurs données sur les enjeux de durabilité. À cet égard, je tiens à remercier tout particulièrement notre rapporteur Christine Lavarde.

Je laisserai Fabien Genet revenir, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur les apports de la commission mixte paritaire.

Monsieur le ministre, ce texte ne nous fait pas entrer dans l’ère de l’industrie verte…

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Dominique Estrosi Sassone, au nom de la commission mixte paritaire. Il n’est qu’un tout petit pas sur le long chemin de la réindustrialisation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui – je parle en mon nom et en celui de Bruno Le Maire –, pour parfaire, je l’espère, l’examen de ce projet de loi relatif à l’industrie verte.

Madame la présidente, le hasard fait bien les choses. Quitte à sortir quelque peu du protocole, votre présence au plateau me permet de vous remercier sincèrement du travail que nous avons mené ensemble ces dernières années, lorsque j’étais votre homologue à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, lors de la précédente législature. Je tiens à saluer votre action, notamment ces derniers mois, lors de l’examen de ce projet de loi, avant que la présidente Estrosi Sassone, à laquelle je souhaite le meilleur à la tête de cette superbe commission, ne prenne votre relais.

Le 28 septembre dernier, à Grenoble, j’inaugurais la quatrième usine du groupe Soitec, l’un de nos grands champions, innovant, moderne, conquérant. Soitec réalise un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard d’euros et emploie plus de 1 650 personnes. C’est une entreprise présente dans quasiment toutes les technologies des composants électroniques, qui exporte 90 % de sa production dans le monde entier.

L’exemple de Soitec illustre tout ce vers quoi nous voulons tendre au travers de ce projet de loi.

Tout d’abord, l’autorisation de construire cette usine a été donnée très rapidement : entre l’annonce du projet de cette quatrième ligne de production et son inauguration, il s’est écoulé moins de dix-huit mois.

Par ailleurs, ce projet d’usine a été développé dans un souci de respect de l’environnement : Soitec investit plus de 1 milliard d’euros pour préserver la ressource en eau et pour en diminuer la consommation de 50 % dans toutes ses usines, à terme.

Bien évidemment, Soitec crée des emplois : plus de 400 emplois directs et 800 indirects. En outre, tout cela se passe sur un territoire industriel au sein duquel – j’ai pu m’en rendre compte par moi-même – l’ensemble des élus sont sur la même ligne en ce qui concerne l’industrie.

Soitec est donc une exception qui doit devenir la règle. En moyenne, il faut attendre dix-sept mois pour obtenir une autorisation d’installation d’usine en France. Grâce à ce projet de loi, nous réduirons ces délais à sept mois en moyenne pour l’ensemble des projets et non pour les seuls grands projets comme celui que je viens d’évoquer.

Soitec est l’exemple emblématique de ce que nous souhaitons tous : une industrie innovante, une industrie conquérante, une industrie qui s’inscrit dans un territoire, une industrie qui crée de l’emploi, une industrie qui respecte l’environnement et qui va vite et bien.

Ce texte, vous le savez, vise à libérer du foncier, à accélérer les procédures, à développer l’utilisation de matières recyclées dans l’industrie – l’industrie circulaire ! –, à mobiliser l’épargne au profit de l’industrie et à protéger le « fabriqué en France » grâce à des achats publics responsables.

Sur tous ces sujets, le projet de loi apporte des avancées concrètes, pragmatiques et audacieuses. Grâce aux principales mesures retenues, l’adoption de ce projet de loi devrait entraîner une baisse de plus de 40 millions de tonnes des émissions de CO2 d’ici à 2030, avec une réduction de près de 5 % de l’empreinte des importations et de 1 % de l’empreinte totale de la France.

Combiné avec le crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte, en faveur duquel j’espère que vous voterez massivement lors de l’examen du projet de loi de finances, ce texte vise à induire 23 milliards d’euros d’investissement et à créer 40 000 emplois directs sur le territoire d’ici à 2030.

Je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui ont contribué à ce texte : les présidentes et présidents des quatre commissions saisies au fond ou pour avis – lois, affaires économiques, développement durable et aménagement du territoire, finances – et particulièrement les quatre rapporteurs : Fabien Genet, Laurent Somon, Christine Lavarde et Jean-Yves Roux.

De nombreuses améliorations ont été apportées à ce texte, fort d’un large soutien in fine dans les deux chambres, après des discussions apaisées et constructives – vous y êtes plus habitués au Sénat, mais il en est allé de même à l’Assemblée nationale. (Sourires.) Je veux saluer quelques-unes des avancées apparues au cours des travaux parlementaires, y compris en commission mixte paritaire.

Nous avons pu sécuriser les acheteurs publics, notamment grâce à l’action du rapporteur Roux, dans le cadre de l’élargissement de l’amplification de la commande publique qui vise, je le répète, à acheter français, européen, plus social et plus responsable.

Nous avons arrêté la définition d’une stratégie nationale pour l’industrie verte, dont le processus avait été engagé ici même. Nous aurons l’occasion de vous la présenter dans le courant de l’année 2024, je l’espère au premier semestre.

Nous avons, grâce au travail extrêmement précis et rigoureux de la rapporteure Lavarde, apporté des précisions importantes sur le plan d’épargne avenir climat.

Comme l’a souligné la présidente Estrosi Sassone, l’implication renforcée des collectivités territoriales dans la stratégie territoriale a été précisée, notamment pour ce qui concerne les grands projets industriels – je profite de cette occasion pour saluer le rapporteur Somon.

Enfin, l’élaboration de l’article consacré à l’économie circulaire a, elle aussi, été circulaire (Sourires.) : le travail a connu des hauts et des bas, avec des apports des deux chambres, avant de parvenir à un consensus de nature à rassurer tout le monde. Je remercie sincèrement le rapporteur Genet, qui a beaucoup insisté sur la sécurité juridique des acteurs de ce nouveau processus, qui va nous permettre de recycler des déchets pour en faire de véritables matières premières au sein des plateformes, de manière efficace et responsable.

Vous aviez également exprimé le souhait que le fonds vert soit davantage mobilisé pour la réhabilitation des sites en vue de projets industriels. Aussi, je tiens à vous confirmer, d’une part, que le cahier des charges relatif au fonds friches va être modifié pour permettre de telles réhabilitations, d’autre part, que les industriels pourront postuler directement.

Par ailleurs, j’annoncerai demain, lors du congrès d’Intercommunalités de France, les modalités d’identification des cinquante sites clés en main que j’avais évoqués lors de la présentation de ce projet de loi.

Comme vous l’avez souligné, madame Estrosi Sassone, le travail transpartisan qui a permis de parvenir à un accord en commission mixte paritaire s’est matérialisé par le vote de l’Assemblée nationale hier ; j’espère qu’il se retrouvera aujourd’hui dans le vote du Sénat.

Madame la présidente de la commission, vous avez évoqué « un petit pas » vers la voie de la réindustrialisation. J’aimerais vous dire que c’est un pas de géant, mais faisons un compromis : nous faisons un pas en avant important, qui nous amène plus loin sur la route de la réindustrialisation verte que nous appelons toutes et tous de nos vœux.

Je vous rejoins : il nous reste beaucoup de travail, notamment en ce qui concerne notre capacité collective à attirer des jeunes, femmes et hommes, dans l’industrie. Hier soir, France Télévisions a consacré une soirée au monde des ouvriers. Si vous ne l’avez pas fait, je vous engage à regarder ces documentaires, notamment celui que nous avons présenté en avant-première à Bercy sur une école de production, à Cholet, dénommée Les Étincelants. On y voit de jeunes hommes et de jeunes femmes ayant épousé le métier de chaudronnier, qui ont tous passé leur certificat d’aptitude professionnelle (CAP) excellemment et qui se projettent vers l’avenir.

Nous devons attirer davantage de jeunes vers ces métiers. Le débat que nous avons eu nous aura peut-être permis, là aussi, de faire un petit pas. Continuons le travail, car c’est à une véritable révolution culturelle que nous devons nous atteler. À cette fin, nous aurons besoin de toutes les forces. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Vanina Paoli-Gagin et Sylvie Vermeillet applaudissent également.)