M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Monsieur le ministre, avant que ne commence la discussion de cet article, qui concerne l’accueil du jeune enfant, je souhaite formuler quelques observations.
Le 29 juin dernier, c’est-à-dire le lendemain de l’examen du projet de loi par notre commission, vous avez transmis aux membres du comité de filière de la petite enfance un document détaillant vos annonces concernant le renforcement des contrôles dans les crèches.
Nous avons été surpris de lire que le Gouvernement envisageait de traduire ces annonces par voie d’amendement au présent texte lors de son examen par l’Assemblée nationale, qui doit avoir lieu cet automne.
D’une part, il nous semble que des dispositions relatives au contrôle des crèches seraient éloignées de l’objet de ce texte – des amendements ayant un tel objet ont d’ailleurs été déclarés irrecevables par la commission au titre de l’article 45 de la Constitution.
D’autre part, monsieur le ministre, il n’est pas envisageable que vous contourniez ainsi le Sénat, première assemblée saisie sur ce texte.
Par ailleurs, vous annoncez dans ce document qu’entrera en vigueur début 2025 la stratégie nationale d’accueil du jeune enfant, que notre commission a pourtant supprimée.
Je préfère voir dans ces annonces une maladresse, plutôt qu’une indifférence pour les travaux du Sénat. Nous partageons vos objectifs : il faut répondre aux attentes des familles en développant une offre d’accueil de qualité, en fonction des besoins identifiés dans nos territoires. Pour ce faire, nous convenons avec vous qu’il convient de renforcer le rôle des communes en reconnaissant le rôle clé qu’elles jouent déjà, auprès des familles et pour l’aménagement du territoire, en matière d’offre d’accueil.
C’est d’ailleurs ce qui a conduit la commission à modifier cet article plutôt qu’à le supprimer. Nous allons proposer une modification supplémentaire, dans le prolongement de ce que nous avons déjà accompli.
En effet, nous avons encore des réserves sur le financement de ces nouvelles compétences. Des engagements devront être pris pour accompagner les communes.
Nous pensons toutefois qu’une stratégie nationale, arrêtée par le ministre, contraindra les initiatives locales et qu’elle sera redondante avec ce que l’État peut déjà faire. Le Gouvernement peut d’ores et déjà fixer des orientations sans que ce soit inscrit dans la loi. Ainsi, des objectifs et des moyens pour l’accueil du jeune enfant sont déjà fixés par la convention d’objectifs et de gestion (COG) conclue avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).
Je vous invite donc, monsieur le ministre, à prendre en considération les travaux de notre assemblée, guidés par de nombreuses auditions et par les retours qui nous parviennent des collectivités, des professionnels et des familles dans nos territoires. Il ne faudrait pas non plus oublier, bien sûr, les financements de ces mesures, qui sont à mes yeux essentiels.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Il ne vous aura pas échappé, mes chers collègues, que nous ne sommes pas vraiment en phase avec Mme la rapporteure sur ce projet de loi, mais je dois avouer que nous nous sommes, comme elle, interrogés sur le bien-fondé de cet article au sein d’un tel texte.
Certes, on sait que le manque de places, voire de structures, d’accueil de petite enfance constitue un véritable frein à l’emploi, notamment pour les femmes, mais c’est aussi le cas d’autres éléments, tels que le logement ou les transports, qui ne sont pas pris en compte dans ce projet de loi.
Cet article, qu’on pourrait qualifier de « cavalier législatif », a pourtant, en réalité, une réelle pertinence si l’on se place de votre point de vue, monsieur le ministre. En effet, si vous voulez le plein emploi, il vous faut de la main-d’œuvre. Sans vous faire de mauvais procès, je crois que le seul argument qui justifie l’introduction de cet article relatif à une stratégie nationale d’accueil du jeune enfant est une certaine vision utilitariste : cet aspect a d’ailleurs trouvé un écho dans le vote de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle intervenu en mai dernier, puisque seules les organisations patronales ont alors soutenu ces dispositions.
Nous considérons que cette stratégie n’est ni utile, puisque d’autres outils existent, ni placée dans le bon véhicule législatif. Pour autant, nous n’occultons pas les problèmes structurels de ce secteur d’activité, qu’il s’agisse des difficultés de formation, d’attractivité, de la pénurie d’effectifs ou de la question de la revalorisation salariale.
Par ailleurs – c’est notre souci principal concernant cet article –, les mesures que vous envisagez vont être financées exclusivement via la branche famille de la sécurité sociale : alors même que le Gouvernement a supprimé les cotisations sociales affectées à cette branche – en partie pour les cotisations des employeurs, totalement pour les cotisations des salariés –, vous allez lui demander plus encore. Personnellement, je ne serai plus membre de cette assemblée lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais soyez assuré que j’aurais voté contre la traduction budgétaire de ces mesures !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l’article.
Mme Michelle Meunier. Le titre IV de ce projet de loi pour le plein emploi décline l’exercice de la compétence d’accueil du jeune enfant. La portée utilitariste de ces dispositions est évidente – j’y reviendrai tout à l’heure –, mais je souhaite dès à présent prendre la parole pour regretter la manière dont le Gouvernement nous conduit à faire évoluer le cadre législatif de cette noble activité, de cette politique qui donne du sens à l’action publique.
Vous ne le savez peut-être pas, monsieur le ministre, mais je suis éducatrice de jeunes enfants ; cette activité professionnelle a nourri mon activité politique, tant à l’échelle locale qu’au Parlement. Je suis convaincue que c’est par l’éducation que l’on permet aux enfants de s’émanciper et de se construire ; je crois que la rencontre de l’altérité et la socialisation permettent d’acquérir très jeune les clés de la vie sociale.
Ces convictions, je les ai partagées, ici, avec nombre de mes collègues, y compris avec certains d’entre eux qui ne siègent plus dans cet hémicycle. Je pense notamment au pédiatre Claude Dilain et au principal de collège Jean-Louis Tourenne, qui ont été de fervents défenseurs de la politique publique de la petite enfance. Comme eux, je suis convaincue que l’attention portée aux enfants et à leurs familles est une clé de la réduction des inégalités de naissance.
Je mesure donc l’immense écart qui existe entre les dispositions relatives à la gouvernance en matière d’accueil du jeune enfant, dont nous débattons aujourd’hui, et la grandeur des missions dont il est question. Depuis des années, les professionnels de la petite enfance changent de regard. Une réflexion s’est développée sur les mille premiers jours, puis dans le cadre des séminaires « Premiers pas ».
Au regard de ces innovations qui émergent, ce que vous nous proposez ici est bien pauvre : c’est une forme de politique au rabais, bien loin de constituer un service public, ni même la préfiguration d’un service public, qui requiert des agents publics.
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, sur l’article.
M. Cédric Vial. Je suis un peu mal à l’aise avec cet article : c’est pourquoi je souhaitais prendre la parole avant que ne s’engagent les débats sur les amendements. J’ai entendu au sujet de cet article l’expression de « cavalier législatif » et, à vrai dire, je suis prêt à la reprendre. En effet, il aurait quasiment pu faire l’objet d’un texte spécifique, qui aurait permis un réel débat sur la politique de la petite enfance, sur laquelle il y a bien des sujets à traiter.
Cet article porte sur le fonctionnement des collectivités. Il suppose des transferts de compétences, notamment entre communes et intercommunalités. Pourtant, la commission des lois du Sénat n’a pas pu en être saisie ni même avoir des échanges à son sujet, ce qui me met, je le répète, assez mal à l’aise.
On voit bien que, comme Mme la rapporteure l’a dit précédemment, M. le ministre a probablement l’ambition de faire avancer ce dossier et qu’il a saisi pour ce faire l’occasion que constituait ce texte ; il semble même envisager de le modifier encore après son examen par le Sénat.
En outre, je trouve cet article assez maladroit, parce qu’il complexifie encore un certain nombre de procédures. Il rend par ailleurs obligatoire quelque chose qui existe déjà, puisque la compétence générale des communes permet à chacune d’entre elles de faire ce que vous voulez leur faire faire, monsieur le ministre. Seulement, vous voulez le rendre obligatoire, en donnant aux communes le rôle d’autorité organisatrice, c’est-à-dire d’opérateur de l’État. Le gouvernement auquel vous appartenez a très souvent adopté une telle approche à l’égard des communes : il les considère comme de simples opérateurs des politiques qu’il souhaite mener.
Cela dit, je salue le travail de la commission, qui a permis de retirer du texte la stratégie nationale que vous souhaitiez instaurer et dont la déclinaison allait faire des maires des opérateurs de votre ministère. Ma crainte est la suivante : si ce dispositif devait être rétabli, on le regretterait, parce que cela ferait persister la philosophie sous-jacente des dispositifs que vous avez souhaité mettre en place.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, sur l’article.
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, je vais commencer par vous adresser des encouragements !
Depuis le 25 mai dernier, vous avez trouvé des idées. Surtout, hier, vous avez enfin signé la nouvelle convention d’objectifs et de gestion conclue avec la Cnaf, après je ne sais combien de mois de retard sur lesquels je ne reviendrai pas.
Comme l’a dit Laurence Cohen, le plan pour la petite enfance que vous nous proposez repose entièrement sur la branche famille de la sécurité sociale. Il va donc falloir mettre rapidement en œuvre des réformes ; je vous rappelle que les comptes de la sécurité sociale n’ont pas été certifiés cette année…
Je veux à présent vous poser quelques questions.
Tout d’abord, vous affirmez qu’il y aura un soutien financier massif, mais ce soutien sera-t-il comme celui qui a été apporté aux collectivités lors de la mise en place de l’obligation scolaire dès 3 ans ? Pour le dire autrement, ce soutien sera-t-il uniquement destiné aux communes qui ne faisaient rien jusqu’à présent, laissant sur le bord du chemin toutes celles qui essaient depuis longtemps de mettre en place ce service public ?
Ensuite, vous annoncez la création de 200 000 places de crèche d’ici à 2030. Pourtant, pendant le quinquennat précédent, le Gouvernement avait déjà fixé un objectif beaucoup moins ambitieux, que vous n’avez pas atteint. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE) Alors, comment allez-vous y arriver ?
Le problème est non pas le nombre de places proposées, mais, en premier lieu, la qualité de l’accueil. Or vos propositions ne tiennent absolument pas compte du rapport de l’Igas, qui est particulièrement à charge sur la question de la qualité de l’accueil dans les structures de la petite enfance.
En fait, le problème de l’accueil est lié à un manque de personnel. Je lis dans vos préconisations que vous voulez abaisser le taux d’accompagnement d’un encadrant pour huit enfants à un encadrant pour cinq enfants. Or, aujourd’hui, de nombreux berceaux sont vacants, parce que le personnel est en nombre insuffisant pour accueillir autant d’enfants. Par conséquent, en abaissant le taux d’encadrement, vous n’allez faire qu’accroître le nombre de berceaux vacants.
Il est donc réellement urgent de rendre attractifs les métiers de la petite enfance. Vous avez proposé un bon nombre de mesures, mais j’aimerais bien savoir comment le coût en sera partagé et si le financement ne va pas reposer essentiellement sur les collectivités, qui ont déjà bien d’autres problèmes à régler en ce moment. (Mmes Michelle Meunier et Émilienne Poumirol applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, je voudrais vous expliquer en deux minutes les raisons pour lesquelles beaucoup d’entre nous ont signé des amendements de suppression de cet article.
Ce n’est pas que nous considérions que le manque de places de garde et d’accueil des jeunes enfants n’est pas un problème pour l’emploi. Bien sûr, nous voulons que les pères comme les mères puissent mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.
En revanche, les modalités retenues dans cet article, pour le dire très franchement, sont totalement archaïques. Vous considérez les communes comme les sous-traitants de l’État. Alors, à quoi cela sert-il que le Président de la République reçoive les maires, qu’il verse des larmes de crocodile sur leur situation ?
Aujourd’hui, en France, on observe un phénomène de grand découragement, de grande démission : au moment où je vous parle, 1 400 maires ont démissionné ! Pourquoi ? Parce qu’ils sont pris entre deux mâchoires : en bas par des administrés exigeants, parfois agressifs ; en haut, par un État qui les considère comme des sous-traitants. Ici, il leur impose un schéma national, comme si la vérité venait de l’État, et il met des mécanismes à la disposition du préfet afin de lui permettre de reprendre la main. C’est tout ce dont nous ne voulons plus !
Aujourd’hui, notre société est complexe ; on doit permettre aux maires et aux communes de respirer et leur offrir un peu de liberté !
Je remercie la commission d’avoir supprimé le schéma national et les mécanismes de reprise en main par le préfet. Heureusement, un nouvel amendement a été déposé par Mme la rapporteure pour aller plus loin.
Je me tourne donc vers les membres de mon groupe pour leur dire ceci : je pense qu’il ne faut pas voter les amendements de suppression de cet article, afin de ne pas envoyer le signal que le Sénat serait hostile à une politique familiale. Ce vote n’est pas souhaitable, parce que la commission accepte de supprimer, par ce dernier amendement n° 636, les scories qui restaient dans cet article.
Toutefois, monsieur le ministre, comprenez-moi bien : même si nous disons oui, bien sûr, à une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, franchement, en continuant de proposer ce type de dispositifs, vous allez achever de dégoûter les maires et de les décourager ! Merci de nous entendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, sur l’article.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le ministre, aujourd’hui, la délégation sénatoriale aux outre-mer et la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ont adopté un rapport d’information sur la parentalité dans les outre-mer. Parmi les différentes recommandations qui y figurent, nombreuses sont celles qui concernent la garde et la prise en charge des enfants, pour aider les parents, et particulièrement les femmes, à se former.
Les dispositions que vous nous proposez, monsieur le ministre, sont incohérentes. Le Président de la République a annoncé que serait mis en place un service public de la petite enfance, mais pour cela il faut des moyens, sans lesquels il n’est pas possible de réellement mettre en œuvre des politiques publiques pour accompagner les familles et les collectivités.
Ce que vous proposez me semble inopportun en l’état actuel de ce texte. Vous proposez un service public de la petite enfance alors que, dans nos territoires d’outre-mer, on constate de grandes disparités et des inquiétudes fortes. Pour y remédier, nous faisons des recommandations dans ce rapport d’information, que vous aurez très bientôt.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Je voudrais apporter à notre assemblée un complément d’information.
J’ai déposé tout à l’heure un amendement, qui a été adopté par la commission des affaires sociales, mais dont certains collègues qui ne sont pas membres de cette commission n’ont peut-être pas eu connaissance.
Par cet amendement n° 636, nous proposons, d’une part, de rehausser de 3 500 à 10 000 habitants le seuil à partir duquel les communes devront élaborer un schéma pluriannuel relatif à l’offre d’accueil du jeune enfant, d’autre part, dans le prolongement des modifications que la commission a déjà apportées à cet article, de supprimer la possibilité donnée aux comités départementaux des services aux familles de saisir la commune dans le cas où celle-ci n’élabore pas son schéma communal ou lorsque son schéma est incompatible avec le schéma départemental des services aux familles. Ainsi, on rendra de la liberté aux communes.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 47 rectifié bis est présenté par Mme Primas, MM. Retailleau, Anglars, Babary, Bascher, Bazin et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, M. Bonnus, Mme Boulay-Espéronnier, M. Bouloux, Mme Bourrat, MM. Brisson, Burgoa et Cambon, Mme Canayer, M. Chaize, Mme Chauvin, MM. Courtial et Daubresse, Mmes Del Fabro, Demas, Deseyne, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, MM. B. Fournier et Genet, Mme Gosselin, M. Houpert, Mme Imbert, M. Klinger, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Lopez, Malet, de Cidrac, M. Mercier, Muller-Bronn et Noël, MM. Piednoir et Pointereau, Mme Puissat, MM. Reichardt, Rojouan et Sautarel, Mme Schalck et MM. Sol, Somon, Tabarot, Rapin et J.B. Blanc.
L’amendement n° 69 rectifié bis est présenté par Mmes Meunier, Féret, Poumirol, Le Houerou et Lubin, M. Kanner, Mme Conconne, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mme Rossignol, MM. Gillé, Redon-Sarrazy et Devinaz, Mmes Artigalas et Monier, M. Houllegatte, Mme Harribey, MM. Tissot, Bouad et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Jacquin, Mmes G. Jourda, M. Filleul, Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 488 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Sophie Primas, pour présenter l’amendement n° 47 rectifié bis.
Mme Sophie Primas. Je ne prolongerai pas notre débat, M. Retailleau ayant exposé à peu près tout ce que je souhaitais dire, y compris les raisons qui justifient le retrait de mon amendement. Je tiens juste à vous rappeler, monsieur le ministre, qu’il est utile que la loi ne soit pas trop bavarde.
Or toutes les tâches que vous comptez confier aux communes en les obligeant à devenir des autorités organisatrices de l’accueil des jeunes enfants, donc des sous-traitants du Gouvernement, toutes ces tâches que vous décrivez, les maires s’en chargent déjà aujourd’hui. Qu’il s’agisse de recenser les besoins des enfants de moins de 3 ans, d’informer ou d’accompagner les familles, il n’est pas nécessaire de faire figurer tout cela dans la loi. Les maires, eux, ne sont pas des enfants, ils savent ce qu’ils ont à faire et ils se consacrent très régulièrement à ces tâches, dans un esprit de responsabilité.
Je partage tous les propos tenus par mes collègues, ainsi que leurs craintes sur les financements, au sujet desquels nous avons eu des échanges tout à l’heure, monsieur le ministre. Aujourd’hui, les financements sont insuffisants pour offrir en pratique les places qui sont ouvertes dans les communes, du fait surtout du coût des salaires. L’inflation étant en train de miner les finances communales, les communes n’ont plus d’autonomie financière. C’est pourquoi il leur devient de plus en plus difficile de financer ne serait-ce que les places déjà ouvertes aujourd’hui. Je suis donc très inquiète de la maigreur du tout petit alinéa consacré à ce problème à la fin de cet article.
Enfin, si je voulais me montrer facétieuse, je vous ferais remarquer que, dans votre rapport, il est indiqué que l’un des enjeux à aborder pour augmenter le nombre de places, c’est la libération du foncier… (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Je vous demande donc de faire déclarer d’utilité nationale par les différents préfets les projets nécessaires pour créer des places de crèche ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 47 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 69 rectifié bis.
Mme Michelle Meunier. Par cet amendement de suppression du présent article, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tient à faire part de l’incompréhension que suscitent les réponses qui sont apportées par le Gouvernement, dans ce projet loi pour le plein emploi, aux questions relatives aux freins au retour à l’emploi.
Comme nous le répétons depuis le début de l’examen de ce texte, les freins sont multiples et ils auraient mérité d’être traités dans un texte visant réellement à favoriser le retour à l’emploi. Nous aurions pu confronter des enjeux multiples et souvent combinés. Nous aurions évoqué les freins géographiques liés à la faible mobilité des salariés dans un marché du travail très déterminé géographiquement. Nous aurions discuté du transport et du logement des demandeurs d’emploi. Nous aurions également abordé les freins liés à la formation, qu’il s’agisse de la formation continue ou de la formation initiale, ainsi qu’à l’accompagnement – sujet dont nous rappelions l’importance cet après-midi déjà.
Nous aurions enfin débattu des freins liés à la nécessité, pour occuper un emploi, de confier ses enfants à un tiers, problème auquel vous semblez vouloir répondre par la mise en place d’un service public de la petite enfance.
Toutefois, je vous le répète, c’est une forme de duperie que vous nous proposez là : mettre en place un service public de la petite enfance, pour des femmes et des hommes politiques de gauche, cela signifie surtout répondre d’une manière éducative à une question éducative. Pour nous, l’éducation est gage d’émancipation et vectrice de réduction des inégalités sociales et des inégalités de destin, figées dès la naissance.
Au lieu de cela, vous nous proposez une vision utilitariste, une garde d’enfant visant simplement à remettre les mères au travail. L’articulation entre les temps de vie professionnelle et de vie familiale mérite mieux.
Nous souhaitons donc la suppression de cet article. Nous reparlerons du service public de la petite enfance lorsque vous ne négligerez ni la dimension éducative ni celle de la cohésion sociale, et lorsque ce service public s’appuiera sur des agents publics et sur des structures non lucratives. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 488.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le ministre, votre objectif de favoriser la reprise d’activité conduit évidemment votre gouvernement à faire de la commune l’autorité organisatrice de la politique d’accueil du jeune enfant.
Or les maires organisent déjà à 70 % cette politique, car ils savent, notamment dans la ruralité, que pour sauver leur école, il faut d’emblée fixer le jeune enfant au village en offrant aux parents des modes de garde.
Pour notre part, nous refusons la dénaturation de la branche famille en une branche détournée du retour à l’emploi. Une stratégie nationale fixerait les objectifs d’accueil du jeune enfant déployés dans les schémas départementaux des services aux familles et conduirait les communes de plus de 3 500 habitants à élaborer un schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant.
Derrière une volonté légitime de pilotage de la création de places en crèche apparaissent des inquiétudes et des interrogations. Aussi, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous poser quelques questions.
Comment va s’articuler la compensation financière des communes qui mettent en place des modes d’accueil du jeune enfant ? L’État va-t-il, dans le prochain projet de loi de finances, puiser dans le budget de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ? La sécurité sociale, et en particulier la branche famille, va-t-elle en assurer seule le financement ?
Nous sommes profondément attachés à ce que le scénario du transfert du RSA aux départements, c’est-à-dire un transfert de compétences accompagné d’une compensation financière ne suivant pas l’évolution des dépenses des collectivités, ne se répète pas pour les communes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Bien entendu, la commission s’oppose à la suppression de l’article 10.
En effet, nous avons modifié substantiellement cet article pour parvenir à le faire adopter, car les attentes des familles sont réelles. Contrairement à ce que vous croyez, il existe un véritable lien avec le texte, même si nous aurions dû y inclure d’autres freins dont les effets sont largement équivalents à ceux du mode de garde du jeune enfant.
Grâce aux modifications que nous avons apportées, nous laissons aux communes une liberté de décision. Je ne connais pas de maire qui se désintéresse de la petite enfance. Cela n’existe pas ! Ce sujet leur importe à tous.
Nous avons modifié le seuil en commission et avons déposé un amendement pour apporter des modifications supplémentaires. Nous avons supprimé l’élaboration par le Gouvernement d’une stratégie nationale, car nous savons très bien que, de toute façon, il lui est déjà possible de le faire. Nul besoin de l’inscrire dans la loi.
De plus, nous avons supprimé la possibilité pour le préfet, en cas de manquement de la commune, de mandater la CAF, car c’était inacceptable pour les maires.
Il faudra répondre sur les financements, non seulement des investissements, mais aussi du fonctionnement. Vous l’avez entendu, il s’agit d’une véritable question. Les attentes sont fortes. Le fait que des amendements de suppression aient été déposés sur toutes les travées traduit de réelles inquiétudes.
Cela fait longtemps que nous demandons un texte sur la petite enfance. Michelle Meunier, qui va bientôt nous quitter, a travaillé sur ce sujet. Des plans crèches, nous en avons vu passer de nombreux. Beaucoup de promesses ont été faites, et malgré ce énième plan, le seul sujet, au bout du compte, est celui de l’argent.
Nous souhaitons vous entendre sur cette question, monsieur le ministre. Au-delà du financement, nous attendons du Gouvernement qu’il soit aux côtés des communes, qu’il les aide, et non qu’il se montre excessivement exigeant et qu’il prenne la main sur elles.
La commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tâcherai de répondre à vos doutes et à vos craintes de la façon la plus exhaustive possible.
Cet article a toute sa place dans ce projet de loi. En effet, chaque année, 150 000 femmes renoncent à un emploi ou demandent une adaptation de leur temps de travail pour accompagner leur jeune enfant. Il s’agit donc de l’un des freins à l’insertion professionnelle. Ce n’est pas le seul, mais c’est un frein majeur, en particulier pour les femmes. Cette question recouvre donc un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes dans notre pays.
J’ai bien compris, mesdames les sénatrices, votre vision d’un service public de la petite enfance. Elle converge, me semble-t-il, avec celle du Gouvernement. C’est ce que j’ai essayé de démontrer en évoquant la deuxième jambe du service public de la petite enfance. Ce texte parle de gouvernance ; il parle d’augmentation du nombre de places.
Avant de présenter ce projet de loi, j’ai essayé d’élaborer un plan qualité qui remette, comme il se doit, le service public de la petite enfance au service de l’éveil et de l’éducation des enfants et de la lutte contre les inégalités de destin. En France, 71 % des familles avec un enfant de moins de 3 ans qui vivent sous le seuil de pauvreté ne recourent à aucune solution d’accueil, contre 33 % pour l’ensemble des familles. Nous répondons donc également à un enjeu d’égalité. La dimension sociale de ce sujet est extrêmement forte.
Conscient des limites du système actuel et des problèmes de qualité de l’offre d’accueil, j’avais commandé dès mon entrée en poste le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) auquel vous avez fait référence. Vous m’avez récemment interrogé sur ce sujet et je vous avais dit que nous prendrions des mesures pour répondre aux trente-neuf recommandations de ce rapport.
Une partie de ces mesures figurent dans cet article 10 ; une autre sera intégrée au plan qualité que j’ai annoncé et fera l’objet de discussions avec les collectivités. C’est pour cette raison que nous n’avons pas proposé de mesures pour la protection maternelle et infantile (PMI) : nous avons besoin d’un temps de négociation avec les départements. Je ne préjuge pas la recevabilité de vos amendements ni de ceux qui ont été déposés à l’Assemblée nationale, et notre objectif n’était pas de contourner votre assemblée.
Le rapport de l’Igas dénonce surtout l’hétérogénéité de la qualité des crèches selon les dispositifs et pointait du doigt les limites de certaines organisations par rapport à d’autres. Il me semble que nous pouvons tomber d’accord sur l’ensemble des objectifs que je viens d’énoncer.
Si nous voulons lever tous les obstacles pour atteindre ces objectifs, de multiples rapports consacrés au service public de la petite enfance en ont souligné deux en particulier : les défauts de coordination entre les acteurs et, surtout, l’absence d’un pilote local identifié de cette politique publique.
Ces deux manques constituent, de l’avis des experts – c’est d’ailleurs ce qui ressort du rapport récemment publié par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) –, un frein majeur au développement et à l’accessibilité de l’offre d’accueil. Je sais que nous allons en discuter, car l’accessibilité réelle de l’offre d’accueil à toutes les familles vous tient particulièrement à cœur.
Actuellement, la compétence des communes est facultative et se réduit à la seule gestion des crèches. Les communes n’ont ni droit de regard ni levier d’action sur les crèches privées associatives ou du secteur marchand – ou vaguement, par le biais des permis de construire, lorsqu’il y a des murs à construire – ni sur les assistants maternels, qui représentent pourtant 60 % de l’offre.
C’est à ces défauts que nous entendons remédier grâce à l’article 10. En cela, il constitue, je le pense sincèrement, un article de décentralisation, et non pas de recentralisation, en sacralisant cette compétence. Il reconnaît et conforte le rôle des communes et leur investissement majeur sur cette question, par deux moyens : en leur confiant une compétence obligatoire, mais aussi en leur donnant les moyens de l’exercer.
Par ailleurs, je souligne que, dès le début de la concertation que j’ai conduite avec les associations représentatives des collectivités, j’ai personnellement et expressément écarté, devant les représentants des communes et des intercommunalités, le scénario d’un droit opposable – sur le modèle du droit au logement opposable (Dalo), comme cela peut exister dans d’autres pays –, qui, naturellement, suscitait chez eux beaucoup d’inquiétude.
À l’inverse, l’article 10 retient le scénario d’un bloc communal chargé d’une mission d’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant. Il a été élaboré avec les communes et les intercommunalités, qui, jusqu’à présent, l’accueillent plutôt favorablement. Pour l’exercer, elles doivent évidemment être dotées de moyens dédiés.
C’est pourquoi le texte qui vous est proposé prévoit des leviers réglementaires nouveaux, en particulier un droit de regard des communes sur l’installation de nouvelles offres. De plus, il fixe le principe d’un accompagnement financier des charges induites par les compétences nouvelles.
Un groupe de travail incluant les associations représentatives des collectivités dessinera les contours de l’enquête consacrée à l’évaluation de ces charges dès le 20 juillet.
Les communes pourront compter sur les moyens des CAF, que nous avons massifiés et adaptés pour tenir compte des demandes des collectivités. La COG qui a été signée hier, avec quelques jours d’avance, et qui a demandé beaucoup de travail – je salue à cet égard l’engagement des agents qui ont participé à son élaboration –, prévoit, d’ici à 2027, de consacrer 6 milliards d’euros à cette politique publique, dont plus de 200 millions d’euros pour renforcer l’attractivité des métiers du secteur, et de financer 100 équivalents temps plein pour aider les communes ou intercommunalités qui le souhaiteraient à exercer ces compétences.
En outre, cette COG prévoit des moyens non seulement pour l’investissement, mais aussi pour le fonctionnement. D’ailleurs, les subventions aux collectivités augmenteront dès cette année de 6,7 %. Cette augmentation, substantielle, concernera aussi les places existantes et les communes qui ont déjà fait l’effort de développer cette offre d’accueil du jeune enfant.
Enfin, en réponse aux besoins qui ont été exprimés par les communes, nous améliorerons le financement de leur budget de fonctionnement. Cette COG définit des moyens pour les cinq prochaines années. Un volet qualité rééquilibrera notre approche du service public de la petite enfance en renforçant l’attractivité des métiers, notamment par une augmentation des salaires des professionnels et en révisant les cursus de formation.
Le rapport de l’Igas, entre autres, avait mis en lumière cette nécessité de rééquilibrage, notamment pour les assistants maternels, les éducateurs du jeune enfant et les auxiliaires de puériculture, dans une vision plus éducative de ce service public.
Nous renforcerons également les contrôles et relèverons notre niveau d’exigence en matière de qualité de l’encadrement et des bâtiments. De très belles initiatives ont été prises en la matière. J’ai par exemple accompagné la signature, il y a quelques jours, d’un contrat à impact pour rendre les crèches plus respectueuses de l’environnement et offrir aux enfants un cadre plus adapté à leur santé.
J’espère avoir répondu à la plupart de vos questions. Dans le cas contraire, j’aurai l’occasion d’y répondre au cours de la discussion des prochains amendements.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression.