M. le président. Mon cher collègue, pour les très nombreux téléspectateurs qui nous suivent, je précise qu’en 1833 il n’y avait ni Assemblée nationale ni Sénat. Le Parlement était alors composé d’une Chambre des députés et d’une Chambre des pairs. Respectons le calendrier. (Sourires.)
La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de nos différents échanges avec le Gouvernement, et encore à l’instant, les lois de règlements sont souvent comparées aux comptes administratifs de nos collectivités, qui doivent traduire l’exécution budgétaire d’un exercice donné.
C’est en effet globalement le cas et, bien souvent, les comptes administratifs sont approuvés par des élus n’ayant absolument pas validé les choix budgétaires mis en œuvre. Jusqu’ici, le raisonnement tient… à condition que l’exécution budgétaire corresponde bien aux prévisions données.
Or, monsieur le ministre, force est de constater que cette logique n’est pas au rendez-vous en ce qui concerne les deux projets de loi de règlement soumis à notre examen.
Nous retrouvons donc sans réelle surprise le projet de loi de règlement 2021, en plus de l’approbation des comptes pour l’année 2022, à l’ordre du jour de nos travaux.
Le projet de loi de règlement du budget pour 2021, que nous avons déjà rejeté l’été dernier, n’ayant pas connu d’évolution majeure – on voit mal comment cela aurait pu être le cas –, il appellera de notre part une conclusion identique.
Rappelons que le rejet de ce texte était largement motivé par de nombreux éléments remettant en cause la sincérité budgétaire. La Cour des comptes soulevait déjà une atteinte aux principes d’annualité et de spécialité budgétaires. En effet, le niveau des reports de crédits, environ 23 milliards d’euros, la confusion des exercices budgétaires, l’utilisation répétée de crédits de programmes budgétaires pour financer des dépenses relevant d’autres programmes ne pouvaient que nuire à la lisibilité de ce texte, une lisibilité pourtant indispensable pour démontrer l’efficacité de la politique menée, sauf à vouloir habilement camoufler son échec.
Plus grave encore, la logique employée n’affecte pas seulement la crédibilité du Gouvernement : elle a également un impact réel sur nos concitoyens en freinant la circulation d’argent et en ne permettant pas que soient investis dans l’économie l’ensemble des crédits qui devraient l’être.
Je ne vais pas reprendre ici la totalité des points défaillants de ce projet de loi de règlement 2021. Ils sont nombreux et ont conduit au rejet du texte par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Cette situation inédite sous la Ve République aurait dû logiquement inspirer le Gouvernement afin qu’elle ne se reproduise pas. Je ne prendrai pas les paris…
Manifestement, aucun enseignement ne semble avoir été tiré de l’expérience passée, le projet de loi de règlement de l’année 2022 reproduisant les mêmes pratiques budgétaires. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, le groupe socialiste ne validera pas davantage les comptes de l’exercice 2022.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, notre groupe s’était opposé à la poursuite du désarmement fiscal engagé par la majorité présidentielle, doublé d’une absence d’ambition réelle en matière de politiques publiques, tant en ce qui concerne la cohésion sociale et territoriale qu’en matière de transition écologique, dont l’urgence s’impose pourtant à tous. Ce projet de loi de règlement de l’année 2022 aggrave ces manques en actant, cette année encore, des montants disproportionnés d’annulations et de reports de crédits, à hauteur de 18 milliards d’euros, et ce au détriment de politiques publiques essentielles.
À titre d’exemple, parmi les 9,8 milliards d’euros d’annulations de crédits, la mission « Écologie, développement et mobilité durables » se voit amputée de 714 millions d’euros qui auraient pu aisément amorcer l’effort vers la transition écologique.
Nous venons de discuter voilà quelques jours du projet de loi relatif à l’industrie verte, et nous voyons bien que la question du financement d’un nouveau modèle économique est importante à plusieurs titres.
Nos propositions d’équilibrages fiscaux, tel l’ISF vert, sont jusqu’à présent écartées, mais nous ne nous désespérons pas. Elles sont totalement pertinentes, l’enjeu dépassant de loin l’aspect financier. En effet, la réussite de la transition écologique dépendra aussi de son acceptabilité sociale. Il serait dommage de ne pas l’entendre, mais comptez sur nous ! En la matière, nous saurons faire preuve de pédagogie.
S’il est à noter la diminution du déficit public, qui passe de 6,5 % à 4,7 % du PIB, la part du solde structurel dans le déficit public reste inquiétante et met en évidence la nécessité pour l’État et nos services publics de retrouver des marges de manœuvre financières. Cette année encore, l’importance du déficit structurel, à 3,4 %, témoigne une fois de plus de l’impasse budgétaire du Gouvernement, qui écarte obstinément toute réponse pour rééquilibrer les recettes de l’État. Le Haut Conseil des finances publiques alerte même sur le fait que ce déficit structurel pourrait se dégrader davantage.
Étant donné l’état de nos finances publiques, alors que de nouvelles dépenses devront être financées, la question des recettes ne pourra pas être sans cesse occultée.
Si l’on peut entendre, et même partager, le souci de maîtrise de la dépense publique, force est de constater que le Gouvernement s’est engagé dans une impasse fiscale en refusant, avec une constance qui interroge, de faire contribuer les entreprises et les plus aisés à la solidarité nationale, alors même que, rapport après rapport, l’ensemble des analyses témoignent de l’inefficacité de la théorie du ruissellement si souvent mise en avant.
Dans un tel contexte, était-il sérieux de se priver de recettes comme le prévoyait, cette année encore, la loi de finances initiale ?
J’ai la faiblesse de croire que les 50 milliards d’euros d’impôts auxquels le Gouvernement a renoncé ces dernières années auraient été fort utiles. Pourtant, loin de changer de braquet, de nouveaux cadeaux fiscaux sont envisagés.
Jusqu’à quand nos finances publiques pourront-elles supporter cette vision purement idéologique ?
Au-delà même des suppressions d’impôts ou taxes, comme la taxe d’habitation, la CVAE et, dernièrement, la contribution à l’audiovisuel public, toutes mesures que nous avons combattues, leur compensation par des fractions de TVA pose question.
Jusqu’à quand l’État pourra-t-il se priver de recettes dynamiques, alors que notre dette atteint les 3 000 milliards d’euros ?
Vous allez me dire, monsieur le ministre, à l’appui de votre choix de réduction d’impôts en faveur des entreprises, que le produit de l’impôt sur les sociétés (IS) s’en trouve grandement amélioré. S’il est vrai que les recettes de l’IS marquent une progression nette en 2022, il convient de rappeler que ces recettes sont particulièrement sensibles à la conjoncture, donc forcément fluctuantes.
En revanche, une chose est sûre : le désarmement fiscal continu ne permettra pas à l’État d’assurer des politiques publiques ambitieuses pour notre pays et de renforcer nos services publics.
Il est urgent de réorganiser la solidarité nationale, de renforcer la puissance publique et de lutter contre les inégalités, qui ne cessent de se creuser et fracturent notre société.
Pour l’heure, ainsi que nous avons pu le voir, ce projet de loi de règlement de l’année 2022 ressemble beaucoup à la mouture 2021.
Comme l’an passé, la Cour des comptes n’a d’ailleurs pas manqué de relever que l’ampleur des annulations et des reports de crédits posait problème, estimant que cette situation était de nature à remettre en cause le principe d’annualité budgétaire.
En effet, si ces reports s’expliquent pour partie par le contexte économique et social, ils témoignent aussi de l’absence de progrès du Gouvernement en matière d’engagement concret des dépenses votées par le Parlement.
Ce projet de loi de règlement de l’année 2022, comme la version 2021, marque une exécution budgétaire éloignée de l’autorisation parlementaire. Il signe une nouvelle fois l’entêtement idéologique du Gouvernement dans une politique purement libérale dont les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux.
Le groupe SER rejettera donc les projets de loi de règlement et d’approbation des comptes des années 2021 et 2022. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où les associations d’élus locaux, départementaux et régionaux ont refusé de participer à la grand-messe de l’austérité présentée sous le nom d’Assises des finances publiques, je souhaite, au nom du groupe CRCE, leur témoigner tout notre soutien : dire que nous n’acceptons pas les décisions non concertées, unilatérales, comme l’indispensable revalorisation du point d’indice, sans moyens nouveaux ; dire que le concept très « bercyen » d’autoassurance revient à s’attaquer non plus aux dépenses des collectivités, comme le faisaient les contrats de Cahors, sur lesquels le Gouvernement s’est obstiné, mais aux recettes cette fois-ci, les obligeant à créer des réserves. En gros, le message aux collectivités est le suivant : « Tu ne pourras compter que sur toi-même ! »
Le ministre Bruno Le Maire, dans une formule dont il a le secret, affirme que « l’assureur en dernier ressort des collectivités locales, c’est l’État ! ». Face à cet affront, qui s’appuie sur le fantasme d’une irresponsabilité des élus, je réponds que les collectivités territoriales n’ont pas besoin de cet assureur que serait l’État, celui qui les a laissé tomber et les a abandonnées face aux méandres du marché européen de l’énergie et à l’explosion des denrées alimentaires, nourrie pour moitié par la course au profit.
Le projet de loi de règlement de l’année 2022 est l’occasion de regarder quel assureur fut l’État. Au Sénat, le 2 août 2022, Bruno Le Maire, sous les hourras de l’hémicycle, s’extasiait devant le filet de sécurité : « Ainsi, plus de la moitié des communes françaises seront éligibles à ce dispositif. Je veux saluer une fois encore l’esprit constructif et de compromis ayant présidé à la rédaction de cet amendement et de ce sous-amendement, qui permettent, selon moi, de protéger le bloc communal contre les conséquences de l’inflation. »
Lors du débat sur les finances locales en amont du projet de loi de finances pour 2023, l’ex-ministre chargée des collectivités territoriales confirmait ces propos : « Dès cet été, le Gouvernement a proposé des mesures fortes dans la loi de finances rectificative, que vous avez enrichie et votée, mesdames, messieurs les sénateurs. Je pense en particulier au filet de sécurité de 430 millions d’euros pour aider les communes et les intercommunalités les plus fragiles à faire face à la hausse du point d’indice et des prix de l’alimentation et de l’énergie. »
Sur les 430 millions d’euros promis, ce filet de sécurité, trop complexe et restrictif, n’a finalement débouché que sur 106 millions d’euros de soutien, soit moins d’un quart de la somme initiale. Quant au nombre de communes, vous nous direz, monsieur le ministre, si les 22 000 communes éligibles, tel que cela avait été affirmé à l’époque, en ont effectivement bénéficié.
La situation est pourtant extrêmement grave pour les collectivités locales, qui ont vu leurs dépenses de fonctionnement bondir de 6 %, après 2,8 % en 2021. L’indice des prix à la consommation alimentaire a augmenté de 12,1 % sur l’année et l’énergie de 15,1 %. Le Comité des finances locales a calculé que le poste des charges externes est celui qui a le plus augmenté, à 11,1 %. Il a été tiré vers le haut par l’augmentation de 30 % de l’ensemble énergie-électricité, combustibles et carburants. Ce sont près de 4 milliards d’euros supplémentaires que les communes ont dépensés sur ce seul poste budgétaire. Que représentent à côté les 106 millions d’euros, avec un quasi-gel de la dotation globale de fonctionnement, qui diminue en volume à mesure que croît l’inflation ?
Les dépenses de personnels bondissent, elles aussi, de 4,9 %, après 2,5 %, notamment à cause de la revalorisation du point d’indice et de la revalorisation des carrières des agents de catégorie C.
Un phénomène analogue traverse les départements d’outre-mer, avec une explosion de la charge externe de 11,2 % à La Réunion et de 6,9 % à Mayotte, dont les communes subissent une augmentation des dépenses de personnel deux fois supérieure à celle de la métropole.
Je ne reviens pas sur tous les indicateurs financiers, si ce n’est pour rappeler que l’investissement a augmenté de 10,7 %, un montant « anormal » à cette période, du fait de l’envolée des prix des matériaux. L’autofinancement des communes a ainsi chuté de 2 milliards d’euros à 0,5 milliard d’euros, ce qui laisse planer la crainte d’un avenir sombre pour l’investissement public, pourtant moteur de la croissance économique.
Il est temps d’instaurer un moratoire sur les baisses de fiscalité locale, de soutenir les collectivités, non pas comme un assureur, mais dans un pacte financier entre l’État et les collectivités territoriales : un pacte renouvelé et respectueux, un pacte dans lequel il n’y aurait ni Cahors, ni injonctions, ni TVA pour seul lien entre la fiscalité et la valeur ajoutée.
Parlons de sécurité financière sans filet. Parlons-en !
Ce projet de loi de règlement nous a donné l’occasion d’évaluer une mesure que vous avez voulue emblématique de votre soutien au bloc local, mais qui n’a pas – sinon bien trop peu – permis aux collectivités d’affronter, en 2022, les aléas des marchés mondiaux et une conjoncture défavorable, dans le cadre budgétaire de gel des dotations que vous avez instauré. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lecture que je fais de ces projets de loi de règlement, au nom du groupe Union Centriste, n’est pas aussi négative que celle que je viens d’entendre.
Rassurez-vous, monsieur le ministre : on trouve un certain nombre d’éléments positifs dans le bilan de l’année passée.
D’abord, le déficit du budget de l’État a été assez proche de celui qui avait été prévu en loi de finances initiale : il a été inférieur de 2,4 milliards d’euros à ce qui avait été prévu en loi de finances pour 2022.
De surcroît, l’inflation a pu être maîtrisée. Comme on a pu le voir, notre situation est bien plus favorable que dans les autres pays européens, notamment grâce à l’intervention de l’État. Il faut s’en féliciter.
L’année 2022 a été riche en rebondissements, en particulier avec la guerre en Ukraine, qui a eu des conséquences extrêmement lourdes dans le monde entier, notamment une augmentation du coût de l’énergie qui a pesé sur l’activité : sur les entreprises bien entendu, mais aussi sur l’ensemble des particuliers. Les unes comme les autres ont pu surmonter cette inflation, notamment grâce au soutien de l’État en ces périodes difficiles.
Nous devons tout de même nous inquiéter de la situation.
D’abord, notre déficit a été assez important ces deux dernières années : il a atteint 170 milliards d’euros en 2021 et 151 milliards d’euros en 2022. L’ampleur de ces chiffres doit nous préoccuper.
Il en résulte une augmentation de la dette de notre pays, qui a atteint 3 000 milliards d’euros voilà peu. Là aussi, les conséquences sont assez importantes pour notre pays, parce que cela se traduit, notamment dans le contexte de hausse des taux d’intérêt que nous avons connu, par une charge des intérêts de la dette qui devient tout à fait significative – 50 milliards d’euros –, ce qui pèse considérablement dans le budget de notre pays.
Ce que nous pouvons craindre, si nous continuons à devoir nous endetter ainsi en permanence, c’est que cette charge des intérêts de la dette ne devienne le poste de dépenses le plus important du budget de l’État. Ce serait préoccupant, des investissements devant être réalisés pour préparer l’avenir.
Les investissements doivent notamment porter sur la formation. Aujourd’hui, le premier poste de dépenses de l’État est – c’est heureux ! – l’éducation nationale. Il doit le rester, mais cela ne pourra arriver que si la charge des intérêts de la dette ne croît pas.
Nous devons être particulièrement vigilants à cet égard. C’est le sens de l’alerte que le groupe Union Centriste souhaite lancer au Gouvernement.
Nous constatons que la situation est particulièrement difficile pour l’année 2022.
Bien entendu, nous nous réjouissons d’avoir pu adopter une trajectoire conduisant à la réduction des impôts ; c’est ce que tout le monde souhaite. On voit bien que la France fait aujourd’hui partie des pays où la fiscalité est la plus élevée au monde : il importe que nous puissions corriger cet état de fait. Cela a notamment été le cas s’agissant de l’impôt sur les sociétés sans qu’en découle pour autant une baisse des recettes, lesquelles ont, bien au contraire, augmenté. On peut se réjouir que l’on parvienne à augmenter les recettes en baissant les impôts, même s’il convient de préciser que le contexte économique était propice.
Nous le disons clairement, monsieur le ministre : les membres du groupe Union Centriste auraient souhaité, en 2022, que nous conservions un certain nombre de recettes. Je veux notamment parler de la contribution à l’audiovisuel public, que le Gouvernement a décidé de supprimer cette année-là, avec l’approbation du Parlement bien entendu, mais sans les voix du groupe Union Centriste.
Nous pensons qu’en conservant cette recette, il aurait été possible, par exemple, de supprimer le décalage de la récupération de la TVA pour les collectivités territoriales, puisqu’il se trouve que la moitié d’entre elles récupèrent encore la TVA en n+2. Il serait logique, pour une exécution budgétaire plus saine, de rapprocher le moment de la récupération de la TVA de celui où les collectivités acquittent celle-ci.
Cela n’a pas été fait. Si nous avions anticipé cette suppression de la redevance – elle était inévitable, puisqu’elle avait été annoncée par le Président de la République –, nous aurions pu la décaler dans le temps, ce qui aurait certainement permis d’améliorer un tout petit peu la situation financière.
Nous avions également proposé que la suppression de la CVAE, mesure à laquelle nous souscrivons évidemment, soit décalée dans le temps, ce qui nous semblait important compte tenu de la situation des finances publiques à l’époque. Cela aurait permis de retrouver quelques marges de manœuvre. De fait, nous nous retrouvons maintenant à devoir trouver 8 milliards d’euros à 10 milliards d’euros d’économies pour préparer le budget 2024, quand la Cour des comptes, dans sa publication de jeudi dernier, évoque la nécessité de réaliser 60 milliards d’euros d’économies d’ici à 2027. Ce sera difficile.
Par conséquent, il importe que nous puissions conserver les recettes qui permettent de réduire l’effort, les besoins étant extrêmement importants. Nous l’avons vu jeudi dernier, lorsque nous avons voté la loi de programmation militaire, qui prévoit un effort sans précédent. Nous le voyons aussi sur un grand nombre de nos dépenses budgétaires : je pense à la police, à la justice, à l’aide publique au développement. Ces secteurs demanderont un effort accru. C’est particulièrement le cas pour la police, comme le montre notamment la situation que nous connaissons actuellement. La politique de la ville devra sans doute aussi se voir affecter un certain nombre de crédits supplémentaires pour apporter des réponses au mal-être qui s’est exprimé.
Bien entendu, je n’oublie pas non plus la transition énergétique, qui appelle, là aussi, 50 milliards d’euros à 60 milliards d’euros d’investissements par an. Cela ne pourra se faire que si l’État est capable d’accompagner les projets et les mesures à mettre en œuvre.
Trouver des mesures d’économies dans le budget alors que nous avons des besoins importants est une difficulté d’ampleur.
Cela étant, le groupe Union Centriste, dans sa très grande majorité, s’abstiendra sur ces projets de loi de règlement. Seuls deux collègues, Vincent Delahaye et Jean-Marie Mizzon, partisans d’une réelle orthodoxie budgétaire, voteront contre. Les autres s’abstiendront ou voteront pour. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les soldes ont commencé mercredi dernier. Nous y sommes, avec deux projets de loi de règlement pour le prix d’un ! (Sourires.)
Le projet de loi de règlement du budget de l’année 2021 revient devant le Sénat après des rejets successifs, ce qui est inédit. Il reflète une année de gestion de crise sanitaire, avec plus de 40 milliards d’euros destinés à payer la facture du « quoi qu’il en coûte ». Il s’est caractérisé par des dépenses nécessaires pour affronter une crise déjouant toutes les prévisions. Je dirais simplement pour 2021 : à situation exceptionnelle, décisions exceptionnelles.
Aujourd’hui, l’incertitude reste une certitude, et pas seulement en matière d’orientation budgétaire. Notre pays, tributaire d’aléas internationaux, est aussi devenu, ces derniers jours, le théâtre de soubresauts internes, révélateurs d’une crise sociale profonde.
Dans ce contexte, la responsabilité du législateur est d’assurer la continuité de nos institutions, et cela passe aussi par le vote du règlement des budgets 2021 et 2022, bien que cet exercice reste quelque peu formel.
Comme il est difficile d’évoquer en cinq minutes deux projets de loi de règlement budgétaire, mon intervention portera surtout sur le projet de loi de règlement de l’année 2022, qui se résume ainsi : déficit à 151 milliards d’euros, non-respect des grands principes de la comptabilité publique.
La crise sanitaire passée, on aurait pu espérer que le budget pour 2022 s’en ressentirait par une baisse. Les 34 milliards d’euros du plan d’urgence sanitaire pour 2021 disparus en 2022 et les 7 milliards d’euros du plan de relance économisés en 2022 représentent 41 milliards d’euros. Une partie de ces sommes ont été réinjectées vers les 36 milliards d’euros de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », avec 11 milliards d’euros consacrés au bouclier énergétique contre la hausse des prix du gaz et de l’électricité de plus qu’en 2021.
L’objectif de redressement des finances publiques s’éloigne : on passe de 360 milliards d’euros de dépenses nettes du budget général en 2019 à 445 milliards d’euros en projet de loi de finances rectificative pour 2022 soit une hausse considérable de 23,7 %.
Par ailleurs, si l’on peut noter que les concours aux collectivités sont en hausse, avec un total de 43 milliards d’euros, il s’agit, en réalité, d’une évolution en trompe-l’œil, car il ne s’agit que de compenser les suppressions d’impôts.
Au sujet des collectivités, je ne reviendrai pas sur les crédits routiers ; M. le rapporteur général l’a fait.
Les recettes fiscales sont en hausse de 7,5 milliards d’euros en 2022, mais j’invite à la prudence, car l’écart entre prévisions et réalisations est devenu une tradition.
L’exécution du budget 2022 se caractérise donc par une situation très dégradée des comptes publics, où l’endettement atteint des sommets. Plusieurs facteurs expliquent la difficulté à redresser la situation.
Avec l’inflation, la hausse des taux d’intérêt alourdit le coût de la dette, malgré une légère baisse du ratio d’endettement, qui passe à 111,6 % du PIB, contre 112,9 % en 2021.
Le déficit effectif s’établit à 4,7 % du PIB, quand, pour mémoire, la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022 prévoyait un déficit de 0,3 %…
Le besoin de financement reste élevé et, pour y répondre, 260 milliards d’euros de dettes à moyen terme et à long terme ont été émis en 2022.
Les dépenses brutes augmentent de 21,3 milliards d’euros par rapport à 2021, pour atteindre 578,4 milliards d’euros.
Les trois premiers postes de dépenses restent l’enseignement scolaire, avec 78,5 milliards d’euros de crédits de paiement, puis les engagements financiers de l’État, avec 54,3 milliards d’euros de service de la dette, qui passent devant le budget de la défense, avec 51,7 milliards d’euros.
En conclusion, monsieur le ministre, nous devons garder en tête l’objectif du redressement des finances publiques. Nous en sommes encore loin.
Dans ce contexte, le groupe du RDSE votera en majorité en faveur du projet de loi de règlement du budget pour 2021, budget exceptionnel justifié par des mesures exceptionnelles, et s’abstiendra, dans sa majorité, sur le budget 2022. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, vous l’avez dit, l’analyse des comptes 2022 permet de dresser une photographie de l’économie française. Je peux vous dire que nous aurions aimé avoir une plus belle image à regarder !
L’amélioration, relative, du déficit, qui s’élève tout de même à 4,7 % du PIB, soit près de 125 milliards d’euros, repose sur la seule dynamique, très forte, des recettes fiscales, supérieure à la dynamique récurrente – il faut le reconnaître – des dépenses, alors même que les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités locales sont en baisse, de 2,4 milliards d’euros en cumulé.
Je ne peux d’ailleurs pas manquer de souligner que les collectivités sont financées à 93,4 % par la voie d’affectations d’impôts et de prélèvements sur recettes.
Les recettes publiques représentent 53,4 % du PIB. Ce chiffre est le même en 2018 et en 2022, mais cette stabilité cache un niveau historique pour les prélèvements obligatoires, qui atteignent 45,3 % du PIB. Je pense qu’il n’y a pas lieu de se réjouir…
Le déficit structurel, tenant compte de la dernière évaluation du PIB potentiel présentée dans le rapport économique, social et financier pour 2023, est de 4 %. Le déficit structurel attendu pour 2023 est également de 4 %. Par conséquent, il n’y aura aucune amélioration du déficit structurel entre 2022 et 2023… à moins d’une très bonne surprise.
Le Haut Conseil des finances publiques tire pourtant la sonnette d’alarme : « Une nette réduction du déficit structurel est nécessaire pour réduire l’exposition de la France à un risque d’insoutenabilité de sa dette. Alors que de nouvelles dépenses publiques devront être financées, notamment en faveur de la transition énergétique et des investissements pour renforcer la croissance, et au titre des lois de programmation sectorielles votées ou déposées, elle suppose une action résolue sur la dépense publique. » Et tout cela a été écrit avant la visite du Président de la République à Marseille ou encore les événements de ces derniers jours…
L’amélioration affichée du solde budgétaire – il serait de -151 milliards d’euros, après -170 milliards d’euros en 2021 et -178 milliards d’euros en 2020, contre -93 milliards d’euros en 2019 – résulte non pas d’un effort de gestion, mais seulement d’un effort en paiement. En effet, la comptabilité budgétaire permet de reporter le paiement de certaines factures sur l’exercice suivant, tout en reportant les crédits. Ainsi, 25 milliards d’euros de crédits n’ont pas été consommés, et 18 milliards d’euros ont été reportés.
Cela conduit à un constat sévère de la Cour des comptes : « la gestion 2022 prolonge ce qui avait été observé en 2020 et 2021 : une tendance marquée à la budgétisation d’enveloppes importantes qui apparaissent sous-consommées en cours d’année, reportées sur l’exercice suivant et parfois en partie redéployées. Cette tendance porte atteinte au principe d’annualité ; elle pose aussi question au regard du principe de spécialité. De surcroît, elle nuit à la lisibilité de l’autorisation parlementaire. »
En comptabilité générale, ou comptabilité d’engagement, la situation est beaucoup moins favorable. Le solde se dégrade, entre les deux exercices, de 4,5 milliards d’euros.
En effet, les dépenses de fonctionnement ont augmenté de près de 15 milliards d’euros par rapport à 2021. Citons pêle-mêle : 10 milliards d’euros pour la renationalisation d’EDF, 4 milliards d’euros de subventions à France Compétences, dont le sous-financement est structurel – j’ai bien noté que le Gouvernement envisageait d’adopter, dans le projet de loi de finances pour 2024, une mesure que j’ai défendue dans cet hémicycle à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2023 : nous avons perdu un an ! – ; 1,9 milliard d’euros pour financer l’amortissement de la dette de l’État. Ce ne sont pas des dépenses pour l’avenir, monsieur le ministre : ce sont des dépenses pour sauver des bateaux en train de couler !
Par ailleurs, les lois de programmation sectorielle ont eu un effet à hauteur de 70 milliards d’euros en 2022. Mais, en 2023, la dépense est déjà préengagée à hauteur de 20 %.
La dépense de l’État en 2022 est ainsi supérieure de 109 milliards d’euros à celle de 2019, soit une hausse de 31,9 %, alors même que l’inflation n’a été, sur la même période, que de 8,6 %.
Puisque je parle d’inflation, je poursuis naturellement avec la dette.
La hausse du service de la dette, en 2022, n’est qu’un « apéritif ». En effet, la hausse des taux d’intérêt a eu un effet nul en 2022. Ce ne sera plus vrai au cours des prochains exercices budgétaires : une augmentation de 1 % du taux moyen se traduit par un surcoût de 15 milliards d’euros à cinq ans et de 31 milliards d’euros à dix ans.
Par ailleurs, le roulement de la dette va être très rapide au cours des prochaines années : la dette à moyen-long terme doit avoir été remboursée à hauteur de 50 % en 2028, et de près de 75 % d’ici à 2032.
Monsieur le ministre, je veux aussi vous parler du schéma d’emploi, qui contribue, en 2022, à la modération de la masse salariale. C’est, en réalité, une source d’inquiétude. Pour mémoire, la loi de finances initiale pour 2022 prévoyait une légère hausse des effectifs de l’État. La baisse constatée, plus forte qu’en 2021, avec 5 700 emplois en moins, est portée par le ministère de l’éducation nationale et celui des armées. Les effectifs de ces deux ministères auraient pourtant dû augmenter !