M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Drexler, j’aimerais associer, si vous me le permettez, M. Lafon à ma réponse.
Il y a quelques mois, vous êtes venus me voir tous les deux pour insister sur le risque qu’il y aurait d’avoir une vision aveugle et uniforme des règles du DPE au mépris de la résistance et – j’utilise un mot que l’on n’utilisait pas à l’époque – de la résilience d’une partie de ces maisons de pleine pierre et de ces types d’habitats construits.
Il y a quelques jours, au début du mois de juin, la ministre de la culture et moi-même, compte tenu du lien hiérarchique que nous avons avec les ABF, avons entendu le cri d’alarme d’une dizaine d’associations patrimoniales qui ont relayé une partie des propositions formulées par votre commission. Je souligne ici à quel point nous prenons ce sujet au sérieux.
Nous avons demandé aux ABF de nous aider à montrer ce qui était possible. Cela est le cas avec l’hôtel de Roquelaure, que j’occupe de manière temporaire : nous sommes en train de creuser la question de la géothermie pour trouver un moyen de décarbonation qui ne touche ni aux façades ni à l’apparence du bâtiment. Des pistes sont proposées chaque fois qu’on se demande ce qu’il est possible de faire et non comment trouver une excuse pour ne pas faire…
Je le précise d’autant plus volontiers que ce patrimoine est une part de notre identité et de notre âme. Vous avez cité les longères de Vendée : il m’aurait évidemment plu que vous poussiez jusqu’aux troglodytes du Saumurois ou jusqu’à une partie des clochers tors du Haut-Anjou. (Sourires.)
C’est l’occasion pour moi de souligner qu’il y a sur nos territoires des collectivités qui ont pris à bras-le-corps la question du petit patrimoine. Ce sera pour moi l’occasion de saluer M. Retailleau. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ces collectivités se sont emparées de la question en mesurant combien agir en ce sens aidait à soutenir nos ruralités. C’est ce que la Première ministre a mis à l’honneur voilà quelques jours au travers du plan France ruralités qui nous donnera l’occasion de mieux accompagner l’ensemble des territoires, de préserver une partie de notre culture et de nous préoccuper de ce qui permet de préparer l’avenir en nous appuyant sur le passé.
Il faut une transition, mais adaptée à la réalité du patrimoine. C’est une nécessité non seulement de mémoire, mais aussi de cohésion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mercredi 28 juin, à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour un rappel au règlement.
M. Pierre Ouzoulias. Il s’agit d’un rappel au règlement commémoratif, qui se fonde sur l’article 36, quelque peu aménagé pour la circonstance…
Le 18 juin, le Président de la République a annoncé, au nom de la Nation, le transfert de Missak Manouchian au Panthéon, le 21 février 2024, jour du quatre-vingtième anniversaire de son exécution au Mont-Valérien. Il sera accompagné de sa femme, Mélinée.
Avec Missak Manouchian, ce sont le groupe de l’Affiche rouge et tous les étrangers morts pour la France qui entrent au Panthéon. La Résistance nationale, dans la pluralité de ses composantes et l’unité de son combat, est enfin rassemblée, du lieutenant de vaisseau Honoré d’Estienne d’Orves à l’apatride Missak Manouchian, de Geneviève de Gaulle-Anthonioz à Olga Bancic, du général Charles Delestraint à Georges Guingouin, de Marc Bloch à Edmond Michelet, d’Henri Frenay à Emmanuel d’Astier de La Vigerie.
Notre groupe se félicite de cette décision, qui honore ces résistants et une certaine idée de la France, de la République et de la Nation, pensée comme un projet politique collectif. (M. Bernard Buis opine.)
Avant de mourir, Missak Manouchian écrivait à sa femme : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire clignement. »
Chers collègues, restons dignes de leur combat et continuons de défendre, dans la pluralité de nos opinions et de nos parcours, les principes pour lesquels ils sont tombés : la liberté, la justice, la démocratie, la paix et les droits de l’homme. (Applaudissements.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
4
Candidatures à deux éventuelles commissions mixtes paritaires et à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat qu’ont été publiées des candidatures pour siéger au sein des éventuelles commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte commun, d’une part, sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la partie législative du livre VII du code monétaire et financier et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer et, d’autre part, du projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.
Par ailleurs, j’informe le Sénat qu’ont été publiées des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire internationale
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation internationale composée de plusieurs parlementaires du Brésil, du Botswana, de Colombie, du Mexique, du Pérou, du Royaume-Uni et de Zambie. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer, se lèvent.)
La délégation est particulièrement impliquée dans les politiques de développement durable et les efforts de conservation des ressources à l’échelle internationale. Elle est arrivée hier à Paris à l’occasion du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui se déroulera les 22 et 23 juin au palais Brongniart.
La délégation a été invitée aujourd’hui au Sénat par nos collègues Ronan Dantec et Christian Cambon pour une réunion de travail consacrée à la protection de l’environnement, suivie d’une visite institutionnelle du palais du Luxembourg.
Demain, elle prendra part à une table ronde organisée à l’Assemblée nationale par notre collègue député Hubert Julien-Laferrière.
Mes chers collègues, permettez-moi de souhaiter à nos homologues, en votre nom à tous, la plus cordiale bienvenue, ainsi qu’un excellent et fructueux séjour. (Applaudissements.)
6
Lutte contre le dumping social dans le transport maritime transmanche
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche (proposition n° 469, texte de la commission n° 735, rapport n° 734, avis n° 728).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Berville, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus d’un an, en mars 2022, la compagnie britannique P&O Ferries licenciait 786 marins, par visioconférence, sans préavis ! On a donné l’ordre à ces 786 personnes de quitter leur lieu de travail, de descendre de leur ferry, puis on les a remplacées par des marins deux fois moins payés, ne bénéficiant pas de jours de repos, pouvant embarquer jusqu’à quinze semaines en mer et travailler à un rythme effréné sans revenir à terre se reposer.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l’une des réalités du transport maritime dans nos eaux !
Nous voyons se développer des pratiques brutales, une course au moins-disant social, une concurrence déloyale qui peut détruire de nombreuses entreprises, des milliers d’emplois et qui, si nous ne faisons rien, emportera telle une vague scélérate un pan entier de notre économie maritime.
L’urgence de lutter contre le dumping social nous concerne tous, élus des territoires littoraux ou non, des Hauts-de-France, de la Normandie, de la Bretagne, des Pays de la Loire, de la Nouvelle-Aquitaine, de l’Occitanie, de la région Sud, de la Corse ou des outre-mer.
Je vous remercie – notamment vous, madame la rapporteure, car vous n’êtes pas issue d’un territoire de littoral, preuve qu’il s’agit là d’un sujet qui concerne tout le monde – de votre présence aujourd’hui et de votre implication sur cette proposition de loi, qui est cruciale pour préserver notre modèle social, assurer la sécurité en mer et protéger nos espaces maritimes, notamment du point de vue environnemental.
Dès le mois de juillet de l’année dernière, nous avons travaillé avec les organisations syndicales, la CFDT, la CFE-CGC, la CGT, et les organisations patronales – je remercie Armateurs de France –, notamment Brittany Ferries et DFDS Seaways, afin de trouver des solutions communes. Je tenais particulièrement à saluer à cette tribune l’implication remarquable de Jean-Marc Roué.
Nous avons d’abord construit une réponse collective pour mettre fin aux pratiques scandaleuses de dumping social sur le transmanche, c’est-à-dire dans les liaisons avec le Royaume-Uni. Ces pratiques sont une conséquence du renoncement, après le Brexit, au statut protecteur, bien que perfectible, apporté par l’Union européenne. Le Royaume-Uni est devenu un État tiers, ce qui a ouvert la voie à des pratiques dérégulées de la part de certains armateurs peu scrupuleux, pratiques contre lesquelles nous nous battons aujourd’hui.
Nous avons formé une coalition inédite. Nous avons cheminé ensemble et réfléchi aux solutions à déployer. Nous avons abouti dans un premier temps à la mise en œuvre par toutes les compagnies maritimes d’une charte d’engagement volontaire.
Cette charte a été élaborée en concertation avec les autorités britanniques, elles-mêmes désormais conscientes et inquiètes de la situation. Elle est conforme aux différents standards et définit un certain nombre de priorités.
Cette charte invite les armateurs à s’engager à aller plus loin que les exigences minimales en matière de formation, de congés, de pratiques environnementales, et à atteindre un niveau plus élevé, conforme à nos attentes.
Le Sénat a d’ailleurs largement participé à ces travaux précurseurs grâce, notamment, à la contribution d’Agnès Canayer, de Jean-François Rapin et de Michel Canévet. Tous ces travaux et ceux qui ont été menés en parallèle par les parlementaires de tous bords politiques ont abouti à un triple constat.
Tout d’abord, aucune entreprise respectant la concurrence libre et non faussée, à laquelle je sais que Mme la rapporteure est très attachée, ne peut s’aligner sur les pratiques déloyales proches de l’esclavage moderne que j’ai évoquées au début de mon intervention et que nous dénonçons collectivement.
Ensuite, aucune entreprise qui fait travailler ses marins à un rythme effréné ne peut nier qu’elle fait courir un risque à la vie de ses passagers et de ses équipages. La fatigue que ce rythme induit est une menace grave pour la sécurité maritime, tout particulièrement dans le détroit du Pas-de-Calais, l’une des mers les plus dangereuses et les plus fréquentées au monde.
Enfin, aucune entreprise ne peut prétendre contribuer à notre politique énergétique et environnementale lorsqu’elle pratique ce type de dumping social, à l’heure où nous voulons renforcer notre souveraineté et accroître la protection de la biodiversité marine.
C’est en réponse à ce triple constat, simple, clair et sans ambiguïté que le Gouvernement a soutenu cette proposition de loi du député Didier Le Gac, car elle s’inscrit pleinement dans le cadre défendu par le Président de la République lors la présidence française de l’Union européenne en matière de lutte contre le dumping social dans tous les modes de transports.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, les quatre articles initialement proposés dans ce texte sont fondamentaux pour lutter contre la concurrence déloyale et renforcer notre modèle social.
L’article 1er vise à réguler les liaisons internationales : premièrement, en imposant un salaire minimum horaire ; deuxièmement, en exigeant une équivalence entre le temps de repos et le temps de travail. L’objectif est double : il s’agit d’éviter le recrutement de marins moins payés que les marins français et de garantir la sécurité en mer en instaurant de réelles périodes de repos permettant de lutter contre la fatigue.
Les discussions que vous avez eues en commission ont visé ces mêmes objectifs et ont permis d’apporter des clarifications. Vous avez ainsi renforcé utilement la robustesse juridique du dispositif et supprimé du texte certaines mentions qui n’y avaient pas leur place.
Soucieux d’affermir encore les dispositions de la proposition de loi et de prendre en compte les remarques que vous avez formulées en commission, madame la rapporteure, nous présenterons un amendement visant à prévoir que l’article 1er ne s’applique qu’au transmanche, conformément à l’objectif initial de cette proposition de loi.
L’article 1er concernant les liaisons internationales, la restriction de son champ d’application aux liaisons entre la France et le Royaume-Uni permettra de faire face aux problèmes urgents que nous connaissons tous.
Le Gouvernement a d’ailleurs pris ses responsabilités sur ce sujet en interdisant, par décret paru ce matin, l’utilisation du registre international français sur cette liaison, comme nous l’avions fait sur le Maghreb par le passé. Dès lors, et je tiens à le redire ici, cette proposition de loi n’a pas pour objet les liaisons internationales en Méditerranée.
L’article 2, quant à lui, sanctionne pénalement le recours à des marins ne disposant pas d’un certificat médical de même niveau que les certificats établis en France. C’est une question de santé et de sécurité.
Les articles 1er bis et 1er ter sont fondamentaux pour lutter contre le dumping social sur toutes nos façades maritimes.
L’article 1er visait à régler de façon urgente les problèmes constatés uniquement sur les liaisons internationales avec le Royaume-Uni. Or nous nous sommes rendu compte au cours de nos nombreuses discussions que la concurrence déloyale était un fléau qui concernait toutes les façades maritimes, en raison en particulier du développement des éoliennes et des énergies marines renouvelables, qui est un sujet d’avenir.
Les navires qui construiront, installeront et assureront la maintenance des parcs éoliens sur toutes nos façades devront appliquer une partie du droit du travail français, y compris les navires étrangers. C’est le dispositif de l’État d’accueil, que le Parlement a étendu aux navires étrangers dans la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.
Ce dispositif s’applique aujourd’hui dans les eaux européennes uniquement au transport de passagers entre deux ports français, comme entre la Corse et le Continent, mais aussi sur toutes les îles de la façade Atlantique.
Par conséquent, l’article 1er bis vise à renforcer les sanctions pénales en cas de non-respect du droit français à bord des navires étrangers. Il s’agit d’aligner les sanctions prévues dans le cadre du dispositif de l’État d’accueil, qui existe depuis plus de vingt ans, sur celles du dispositif spécifique prévu à l’article 1er du texte concernant les liaisons transmanche.
En effet, comment pourrions-nous collectivement assumer que le niveau de sanction soit moins élevé dans les eaux nationales ou européennes que sur les liaisons transmanche ?
De la même manière, l’article 1er ter crée un régime de sanctions administratives, alors qu’il n’en existait pas jusqu’à présent dans le cadre du dispositif de l’État d’accueil.
Nous proposerons donc de rétablir les articles 1er bis et 1er ter, par cohérence avec les dispositions applicables aux liaisons transmanche, pour anticiper le développement de l’éolien en mer et rendre la loi plus efficace sur toutes nos façades maritimes.
J’ai suivi attentivement vos discussions en commission et je partage la nécessité de clarifier certains points. Toutefois, il est essentiel de rétablir ces deux articles. Sans eux, nous serions démunis pour lutter contre le dumping social, notamment dans le secteur en plein développement des énergies marines renouvelables, et pour atteindre l’objectif important de souveraineté énergétique et économique.
Tous les armateurs français, toutes les confédérations syndicales, tous les élus qui sont amenés à connaître le déploiement de l’éolien en mer nous alertent sur ce risque. De Fécamp jusqu’à Fos-sur-Mer en passant par Saint-Brieuc, l’île d’Yeu, Saint-Nazaire, nous avons besoin du dispositif renforcé de l’État d’accueil.
Grâce à la clarification que vous avez apportée en commission, madame la rapporteure, et aux améliorations que nous défendrons ici au cours de la discussion, nous pourrons bâtir ensemble un véritable texte de justice sociale, ambitieux, et envoyer un signal clair : la France refuse ces pratiques concurrentielles inacceptables, se bat pour assurer la sécurité en mer sur toutes ses façades maritimes et défend sa souveraineté.
Avec cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée, votre belle institution, peut hisser haut le pavillon de la France pour notre souveraineté économique, pour notre souveraineté énergétique, pour la réindustrialisation de notre pays, pour la défense de notre modèle social, pour le bien-être des gens de mer, pour la sécurité maritime et pour la protection de l’environnement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Gérard Lahellec applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Procaccia, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je sais que certains d’entre vous, férus de géographie, se demandent pourquoi une sénatrice dont le département n’est traversé que par la Marne et la Seine est rapporteur de ce texte ! Je pense tout simplement que la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, connaît mon goût pour les sujets originaux, mon attrait pour les mers chaudes et a voulu que je me plonge dans des eaux un peu plus froides. (Sourires.)
Celles de la Manche ont connu une diminution du trafic maritime consécutive au Brexit, puis à la crise sanitaire. L’arrivée d’un nouvel opérateur sur les liaisons transmanche a conduit certaines compagnies à abaisser les conditions de travail de leur personnel navigant pour optimiser leurs coûts et diminuer leurs tarifs. Elles ont opté pour des pavillons n’offrant que de faibles garanties en matière de droits sociaux pour les gens de mer.
Monsieur le secrétaire d’État l’a rappelé, le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries a licencié, avec effet immédiat, 786 marins.
Selon Armateurs de France, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries, dont les navires battent pavillon chypriote, font appel à du personnel international, mais aussi beaucoup européen, dont les salaires de base pourraient être inférieurs de 60 % aux salaires français. En conséquence, leur coût de production du transport serait inférieur de 35 % à celui des navires battant pavillon français.
Alors que Brittany Ferries et DFDS Seaways, dont les navires battent pavillon français ou britannique, appliquent une équivalence entre la durée d’embarquement et le temps de repos à terre, les durées d’embarquement du personnel navigant de ces compagnies sont bien supérieures.
Permises par le droit international et européen, ces pratiques de dumping social sont, hélas ! légales. Elles laissent peu de marges aux États pour les réguler.
La convention de Montego Bay et le droit de l’Union européenne permettent aux compagnies de choisir librement le pavillon de leurs navires et d’appliquer aux contrats de travail la loi de n’importe quel État. Ce sont donc les règles de l’État du pavillon qui prévalent pour les liaisons internationales. Si les navires battant pavillon français sont tenus de respecter le droit du travail français, certains pavillons n’imposent presque aucune garantie sociale. Je l’ai découvert, comme peut-être certains d’entre vous, en étudiant ce texte…
Pour autant, ces pratiques de dumping social ne sont pas acceptables : elles perturbent significativement le marché du transport maritime transmanche, elles se traduisent par des droits sociaux limités pour le personnel employé et elles fragilisent la sécurité de la navigation dans l’un des détroits les plus fréquentés au monde.
Dans cette situation, le droit européen offre la possibilité aux États de prendre une loi de police, qui vise à fixer des dispositions impératives, dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, au point d’en exiger l’application à toute situation, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat. Pour ma part, je vous avoue que, après dix-neuf ans de mandat, je découvre ce type de loi, que j’appelle un ovni juridique !
L’article 1er impose deux obligations aux employeurs du personnel embarqué sur les navires : d’une part, le versement du salaire minimum horaire de branche applicable en France ; d’autre part, une organisation du travail fondée sur l’équivalence entre la durée d’embarquement et le temps de repos à terre, qui n’est pas une obligation en droit maritime.
Pour être considérées comme des lois de police au regard du droit européen, ces obligations doivent apporter des restrictions aux libertés économiques proportionnées à l’objectif visé, afin de ne pas être censurées par le juge.
Tout en souscrivant pleinement à ces mesures, la commission a donc voulu sécuriser le dispositif, en assurant la stricte proportionnalité des sanctions prévues.
En matière de sanctions pénales, la commission a approuvé les peines prévues de 7 500 euros d’amende par salarié concerné, puis de 15 000 euros d’amende et de six mois d’emprisonnement en cas de récidive.
Ces sanctions sont très dissuasives, comme nous avons pu le constater au cours de nos auditions. C’est pourquoi l’ajout à ces sanctions, à la troisième infraction, d’une interdiction d’accoster dans un port français pour tous les navires de la compagnie fautive a été supprimé par la commission. Cette sanction, qui méconnaît les principes constitutionnels d’individualisation des peines et de légalité des délits et des peines, est manifestement disproportionnée.
Le texte issu de la commission prévoit la possibilité pour l’autorité administrative de prononcer, en lieu et place d’une amende, un avertissement à l’employeur ou à l’armateur en cas de manquement, alignant ainsi le régime de sanctions administratives créé à l’article 1er sur le droit commun du travail.
Nous avons décidé de fixer une date d’entrée en vigueur du texte afin de donner aux employeurs suffisamment de prévisibilité pour tirer les conséquences des nouvelles règles applicables. Ce sera le 1er janvier 2024, cette date coïncidant avec l’entrée en vigueur de la loi votée par le Parlement britannique, qui rendra applicable le salaire minimum horaire britannique sur les navires assurant un service international de transport de passagers.
Afin de renforcer la sécurité maritime, la commission a également adopté, à l’article 2, l’extension des sanctions pénales en matière d’aptitude des gens de mer au cas d’admission à bord d’un membre d’équipage ayant un certificat médical d’aptitude non valide établi à l’étranger.
En revanche, la commission a supprimé les articles 1er bis et 1er ter, ce que déplore M. le secrétaire d’État. Introduits à l’Assemblée nationale par voie d’amendements en séance publique, ils tendaient à renforcer les sanctions pénales ou administratives pouvant être prononcées sur les liaisons maritimes nationales où s’appliquent les conditions sociales de l’État d’accueil, notamment sur les liaisons entre la Corse et la France continentale.
Il existe sans doute des risques de distorsion de concurrence entre les compagnies battant pavillon français et celles qui opèrent sous le pavillon d’un autre pays européen, notamment italien. Ces dernières bénéficient en effet de conditions fiscales et sociales plus favorables, mais le droit de l’Union européenne l’autorise. Toutefois, le dispositif de l’État d’accueil, prévu par un règlement européen, limite fortement les possibilités de dumping social sur les navires concernés.
Les dispositions légales et les stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés sur ces navires sont celles qui sont applicables aux salariés des entreprises de la même branche d’activité établies en France. Elles portent sur le salaire minimum, la durée du travail, la santé et la sécurité au travail ou encore sur les libertés individuelles et collectives dans la relation de travail.
Par ailleurs, les gens de mer bénéficient obligatoirement du régime de protection sociale d’un État membre comprenant une couverture des risques santé, accidents du travail et maladies professionnelles, maternité, famille, chômage et vieillesse.
Dans ce contexte, la commission a considéré que les mesures proposées, qui ne portent que sur les sanctions et ne modifient pas les normes sociales applicables sur les navires concernés, ne sont pas de nature à répondre aux problématiques de concurrence sur le marché des liaisons entre la Corse et le continent. M. le secrétaire d’État vient de nous apprendre à l’instant que les installations éoliennes étaient également concernées par le dumping social…
D’une part, ces enjeux de concurrence relèvent du niveau de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne l’harmonisation des règles encadrant l’usage des pavillons internationaux sur les liaisons intraeuropéennes. Alors que la France exclut l’usage du registre international français (RIF) sur les navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières intracommunautaires, l’Italie permet, elle, une utilisation plus large de son pavillon international.
D’autre part, si le respect des règles de l’État d’accueil posait des difficultés, il serait plus efficace de renforcer les moyens de contrôle et d’appliquer effectivement les sanctions existantes. Je rappelle qu’il existe déjà un régime de sanctions pénales et que l’autorité administrative peut également infliger des amendes en cas de non-respect du salaire minimum. Encore faut-il que les contrôles soient effectifs.
Au total, la commission n’a pas été convaincue de la nécessité d’introduire ces mesures. Celles qui concernent le cabotage en Méditerranée, introduites en séance par voie d’amendements, dans un texte visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche, risquent de brouiller les intentions du législateur, alors que la situation de ces deux marchés est difficilement comparable. Surtout, et c’est la préoccupation essentielle, elles pourraient fragiliser le texte, ce que personne ne souhaite.
Suivant la position constante du Sénat, la commission a supprimé les articles 3 et 4, qui prévoyaient la remise par le Gouvernement de rapports au Parlement.
Enfin, en cohérence avec l’objet des articles 1er et 2, la commission des affaires sociales a modifié l’intitulé de la proposition de loi pour indiquer qu’elle vise également « à renforcer la sécurité du transport maritime ».
J’espère que vous avez compris que ma préoccupation et celle de la commission ont été d’assurer l’effectivité, la solidité juridique du texte et la proportionnalité de ses dispositions. Cette proposition de loi est d’ailleurs déjà sous les fourches caudines de la Commission européenne alors que le Sénat ne l’a pas encore examinée ni votée.
La situation sur le transmanche nous impose de légiférer en nous assurant que ce texte aura des conséquences réelles, qu’il permettra d’améliorer les conditions de travail des marins et de renforcer la sécurité maritime. Voter une loi d’affichage qui ne s’appliquera pas ferait à mon sens plus de mal que de bien et conforterait les comportements que nous voulons contrôler.
C’est pourquoi je vous invite à adopter le texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)