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Mécénat culturel
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande des groupes Socialiste, Écologiste et Républicain et Union Centriste, de la proposition de loi visant à développer l’attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l’ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues (proposition n° 69, texte de la commission n° 688, rapport n° 687).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi.
Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chaque année, nous finissons par évoquer la question de l’ouverture du mécénat aux sociétés publiques locales (SPL) culturelles.
Nous poursuivons ainsi la tradition – la série, devrais-je plutôt dire –, après les saisons 2019, 2020, 2021 et 2022, marquées par le dépôt d’amendements à des projets de loi de finances ou dans le cadre de lois relatives aux collectivités territoriales, par exemple la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.
L’ouverture du mécénat aux SPL culturelles est donc devenue un cheval de bataille sénatorial. Constante dans ses votes, notre assemblée a toujours soutenu, à l’unanimité, cette mesure. À certains moments, nous n’étions pas loin qu’elle devienne réalité, mais les compromis issus des commissions mixtes paritaires lui ont été systématiquement défavorables, charriant regrets et déceptions.
C’est pourquoi, en cette saison 2023, nous avons décidé d’innover et de « taper plus fort », afin d’inverser le cours de cette histoire. Ainsi, c’est par le biais d’une proposition de loi, et non plus par voie d’amendement, que nous voulons permettre aux SPL culturelles de bénéficier du mécénat.
J’utilise à dessein le pronom « nous », car il faut souligner qu’il s’agit d’une initiative transpartisane, traduisant fidèlement l’esprit de concorde qui unit le Sénat sur ce sujet. Les temps de concorde étant actuellement rares, savourons-les. J’espère que le Gouvernement, faisant preuve de la sagesse qui le caractérise, s’y joindra avec entrain.
En cette occasion, je salue et associe pleinement mes collègues Julien Bargeton, Hervé Marseille et Antoine Lefèvre, coauteurs de cette proposition de loi et partenaires précieux dans ce combat en faveur des collectivités territoriales et de la décentralisation.
En effet, cette proposition de loi vise avant tout à développer la culture et l’attractivité des territoires, en revenant sur une inégalité de traitement flagrante entre l’État et les collectivités. Rappelons que, à la lecture de l’article 238 bis du code général des impôts, l’État, « [seul] ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités territoriales », peut recourir au mécénat afin de financer des projets culturels. L’État et les collectivités territoriales peuvent donc s’associer et faire appel au mécénat pour mettre en place de tels projets.
La proposition de loi consacre ainsi cette logique d’association, vertueuse et si caractéristique de l’exercice de la compétence culturelle partagée, en l’appliquant aux collectivités territoriales qui s’unissent et qui désirent recourir au mécénat en vue de la réalisation d’un projet culturel.
En d’autres termes, il ne s’agit nullement de créer un dispositif ad hoc, dérogatoire au droit commun et spécifique aux collectivités, il s’agit bien plutôt de leur permettre ce que l’État s’autorise. En ce sens, ce texte répare une inégalité – d’aucuns diraient même une injustice.
Objectivement, quel argument pourrait justifier cette rupture d’égalité entre l’État et les collectivités, alors même que le périmètre du mécénat, ainsi que les finalités visées sont strictement identiques ?
Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins légitimes à s’associer entre elles pour développer des projets culturels via le mécénat ?
Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins garantes de l’intérêt général ?
Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins précautionneuses quant aux conditions de recours au mécénat ?
Je ne le crois absolument pas et, comme vous vous en doutez, monsieur le ministre, le Sénat ne pourrait que s’inscrire en faux devant une telle défiance. En effet, il ne s’agit que de confiance. Le Gouvernement est-il enfin prêt à faire confiance aux collectivités regroupées sous forme de SPL qui voudraient déployer une ambition culturelle sur leur territoire ?
Quand il est question de décentralisation, souvent sont invoqués un big bang territorial, un acte III, y compris d’ailleurs au sein du Gouvernement, mais la décentralisation peut aussi être approfondie par la méthode des petits pas, chère à Robert Schuman et Jean Monnet. Ce texte est un tout petit pas décentralisateur.
Si vous n’êtes pas décidé à y consentir, monsieur le ministre, comment pourrions-nous croire en la détermination réelle du Gouvernement de « mener ensemble une nouvelle étape pour une vraie décentralisation » ? Saisissez donc cette proposition de loi comme un moyen de prouver en actes la confiance que vous revendiquez d’accorder aux collectivités.
Par ailleurs, j’ai entendu les questionnements juridiques que pouvait faire naître ce texte. J’aimerais y apporter plusieurs réponses.
Premièrement, en vertu de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, les seuls actionnaires des SPL sont les collectivités territoriales. Cet actionnariat public permet aux collectivités d’œuvrer en commun pour mener des actions d’intérêt général. Mutualisation, souplesse, partenariat public-public à l’échelle locale et subsidiarité effective peuvent ainsi caractériser ces entreprises publiques locales (EPL).
Deuxièmement, les SPL ne peuvent pas créer de filiale et se contentent d’agir pour le compte de leurs collectivités actionnaires.
Troisièmement, en aval, les SPL font l’objet de contrôles multiples et renforcés. S’il était besoin de rassurer, nous pourrions même affirmer qu’elles sont les structures les plus contrôlées ! Elles le sont par les collectivités actionnaires, par les chambres régionales des comptes, par les commissaires aux comptes. Elles sont en outre soumises au contrôle de légalité, ce qui permet à l’État de s’assurer de la conformité des actes pris par les SPL. En d’autres termes, les SPL sont considérablement contrôlées, tant en interne qu’en externe, ce qui apporte de nombreuses garanties.
Quatrièmement, la loi 3DS et ses décrets d’application ont affermi les règles en matière de déontologie, de transparence et de prévention des conflits d’intérêts applicables aux EPL.
Cinquièmement, grâce au rapporteur que je souhaite vivement remercier, ce texte est encore plus sécurisé, puisqu’il est désormais prévu que le conseil d’administration ou le conseil de surveillance statue sur l’acceptation des dons consentis aux SPL au titre de leurs activités culturelles ou patrimoniales, par analogie au régime qui prévaut pour les dons et legs faits aux communes. Par conséquent, l’édifice visant à prévenir les conflits d’intérêts est consolidé, pour ne pas dire parachevé.
Du point de vue budgétaire, des réticences ont été exprimées. Soyons précis : nous parlons d’une dépense fiscale estimée à 1,7 million d’euros par an, laquelle ne prend aucunement en compte les retombées fiscales et économiques indirectes qu’elle génère : augmentation des recettes de la TVA et des taxes de séjour, ainsi que de l’emploi et de l’activité économique dans les territoires concernés.
Lors des auditions que j’ai menées, tous mes interlocuteurs, du MuséoParc Alésia au Palais des papes d’Avignon, ont insisté sur cet aspect : la culture sert de levier pour renforcer l’attractivité touristique et économique des territoires. L’ouverture du mécénat aux SPL élargirait la palette aux mains des collectivités pour dynamiser leur territoire. Les incertitudes étant aujourd’hui nombreuses, il devient fondamental d’octroyer un maximum de moyens aux collectivités, tout en les laissant libres d’y recourir.
C’est pourquoi je ne pourrai pas comprendre un quelconque dogmatisme qui s’arrêterait à l’évidence, considérant qu’il s’agit d’une dépense fiscale. Oui, et alors ? A-t-elle une incidence positive sur l’activité ? Oui ! Rapporte-t-elle aux collectivités, ainsi qu’à l’État ? Oui ! La dépense fiscale n’est pas mauvaise en soi, si elle est un investissement, ce qui est le cas.
J’ajoute qu’une évaluation du dispositif sera toujours possible – elle sera même souhaitable et bénéfique –, afin de mesurer ses effets aussi bien sur les finances publiques que sur l’activité économique, les collectivités territoriales et les secteurs culturel et touristique.
Enfin, cette proposition de loi est évidemment un soutien à la culture, qui a été mise à rude épreuve pendant la crise sanitaire. Je n’en ferai pas l’historique, mais, vous le savez, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la culture fait partie des secteurs qui ont été les plus fragilisés durant cette période. La reprise reste lente, timide, et la relance n’est pas définitivement stabilisée.
Parallèlement, d’autres inquiétudes ont émergé eu égard à la dégradation très nette de l’environnement global. Je pense au renchérissement du coût de l’énergie, mais pas seulement.
Pour le dire clairement, les arts et la culture sont fragilisés : perpétuelles variables d’ajustement dans les discussions budgétaires, terrain de prédilection du résurgent combat idéologique et civilisationnel, comme on le voit aujourd’hui. Il faudra probablement ouvrir une réflexion pour rendre la compétence culture obligatoire et rénover la matrice de nos politiques publiques culturelles. En tout cas, il est une certitude : il faut protéger la culture, tout de suite et maintenant.
Cette proposition de loi apporte ainsi son modeste écot à cet objectif. Elle fait partie d’une politique plus large de sauvegarde, de développement et de valorisation de la vie culturelle de nos territoires. Répondant à la fois à un besoin et à un désir de mécénat de proximité, elle conduirait également les collectivités à amplifier leur politique culturelle, le recours au mécénat n’étant ouvert aux SPL que si leur activité principale est de nature culturelle.
Élan décentralisateur, rigueur juridique, en particulier dans le contrôle, dépense faible par rapport au retour sur investissement, instrument au service d’une ambition et d’une vision culturelle du territoire, les raisons sont multiples et variées de soutenir cette initiative.
Connaissant l’attachement du Sénat à cette mesure, je ne doute pas de son soutien plein et entier ; en revanche, j’espère sincèrement que le Gouvernement s’y montrera favorable et qu’il enverra ainsi un signal positif à la fois aux collectivités territoriales et au monde culturel. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Canévet, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est un pays connu à travers le monde pour son rayonnement culturel, pour la diversité des activités culturelles qui y sont organisées, mais aussi pour la richesse de son patrimoine.
Cette diversité et cette richesse, on les doit aux nombreux acteurs culturels que compte notre pays, encouragés par les pouvoirs publics. L’État y prend sa part, bien entendu, mais désormais les collectivités territoriales sont aussi des acteurs absolument incontournables du développement culturel.
Par ailleurs, la vie associative, qui est elle aussi d’une grande richesse, permet d’animer et d’essaimer l’action culturelle sur l’ensemble du territoire national. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Je le dis d’emblée, la commission des finances soutient la proposition de loi que vient de nous présenter Sylvie Robert, car elle prévoit une mesure de bon sens.
Les sociétés publiques locales (SPL), créées par la loi de 2010 pour le développement des sociétés publiques locales, appartiennent, aux côtés des sociétés d’économie mixte (SEM) et des sociétés d’économie mixte à opération unique, à la catégorie des entreprises publiques locales (EPL) – je le dis sous l’autorité de Sonia de la Provôté, qui fait partie du bureau de la Fédération des élus des entreprises publiques locales.
En Bretagne par exemple, région que je connais le mieux, c’est une SPL, Eau du Ponant, qui gère à Brest le service public de l’eau et de l’assainissement. De même, dans le Morbihan, c’est une autre SPL, la Compagnie du Morbihan, qui gère les ports maritimes et de plaisance. Deux sociétés, Destination Rennes et Destination pays bigouden sud assurent le développement touristique de leurs territoires respectifs.
Près de cinq cents sociétés de ce type gèrent des équipements dans notre pays. Quand les élus choisissent de constituer de telles sociétés, c’est parce qu’elles sont les plus adaptées à la gestion et à la promotion de leurs activités. Cet outil a rencontré un certain succès depuis sa création en 2010 grâce, entre autres, à la promotion qu’en fait la Fédération des élus des entreprises publiques locales.
La proposition de loi qui nous est soumise vise à ouvrir le régime fiscal du mécénat prévu à l’article 238 bis du code général des impôts aux sociétés publiques locales, régime dont bénéficient les sociétés de capitaux dont les actionnaires sont l’État ou un ou plusieurs établissements publics nationaux, seuls ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités le cas échéant.
Je rappelle que les sociétés publiques locales doivent réunir au moins deux collectivités territoriales. Ce sont des outils exclusivement publics et seules des collectivités territoriales peuvent être impliquées dans leur gestion.
Par ailleurs, il est important que, aux côtés des acteurs publics, les acteurs privés se mobilisent en faveur de la culture. Tel est finalement le sens de la proposition de loi que Sylvie Robert et ses collègues nous soumettent aujourd’hui.
L’ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales va-t-elle coûter très cher ? Franchement, non !
Tout d’abord, le mécénat d’entreprises connaît de très fortes variations. Le coût pour l’État des exonérations fiscales à ce titre est ainsi passé de 900 millions d’euros en 2017 à 1,2 milliard en 2020, puis à 1,07 milliard en 2021.
Ensuite, selon les services de Bercy, le coût pour l’État de l’élargissement du mécénat culturel aux SPL pourrait s’élever à 1,7 million d’euros, soit l’épaisseur du trait.
Il pourrait en outre y avoir des effets de bord. Certains acteurs locaux, au lieu d’encourager des projets nationaux, pourraient préférer des projets locaux. L’incidence financière de l’ouverture du régime fiscal du mécénat aux sociétés publiques locales pourrait donc être bien moindre.
Mme Sonia de La Provôté. Exactement !
M. Michel Canévet, rapporteur. Il est important de soutenir cette mesure, car il n’y a pas de raison que le bénéfice du mécénat culturel dépende pour les collectivités territoriales du mode de gestion qu’elles ont librement choisi. C’est incompréhensible pour l’ensemble de nos concitoyens.
Les collectivités territoriales doivent bénéficier d’une égalité de traitement. Or, aujourd’hui, quand elles assurent la gestion en direct ou par un établissement local de leur musée ou de leur action culturelle, par exemple, elles peuvent bénéficier de la disposition fiscale dont nous parlons. Il n’y a pas de raison que cela ne soit pas le cas pour les SPL.
La proposition de loi qui vous est soumise étant empreinte de bon sens, je vous invite à la soutenir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Madame la présidente monsieur le rapporteur, madame la sénatrice Sylvie Robert, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a vingt ans, la loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, donnait un nouvel élan au mécénat en France, en permettant que les versements des entreprises au bénéfice d’organismes dont l’objet est culturel, philanthropique, éducatif, scientifique, social ou familial ouvrent droit à une réduction d’impôt.
Aujourd’hui, un ensemble de trois réductions d’impôt est ouvert aux entreprises et aux particuliers au titre de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune immobilière.
L’effet de levier fiscal recherché par la loi Aillagon est devenu la colonne vertébrale du soutien à la générosité dans notre pays. Pour nos finances publiques, cela représente chaque année un effort important de plus de 3 milliards d’euros : près de 1,1 milliard d’euros pour le mécénat des entreprises, 1,8 milliard d’euros pour les dons des particuliers et plus de 130 millions d’euros au titre de l’impôt sur la fortune immobilière.
Ce système permet à chaque donateur de choisir, parmi un large éventail d’activités d’intérêt général, à qui allouer sa contribution. Grâce à ce système, la vitalité de notre tissu associatif et l’intérêt général sont encouragés par la puissance publique.
C’est ainsi que les dons des entreprises sont soutenus pour une variété d’œuvres d’intérêt général. Il s’agit des œuvres à caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social ou familial ; des œuvres humanitaires, y compris hors des frontières de l’Union européenne ; des activités des organismes qui concourent à la défense de l’environnement naturel ; des activités des organismes qui diffusent notre culture, notre langue et nos connaissances scientifiques ; des activités d’aide à la création d’entreprises ; enfin, des activités à caractère sportif et culturel, ainsi que de celles des organismes qui mettent en valeur notre patrimoine artistique ou organisent des spectacles.
Le champ culturel, objet de la présente proposition de loi, est particulièrement bien couvert. Les arts plastiques, la musique, la danse, le théâtre et les spectacles, le livre et la littérature, le cinéma et l’audiovisuel, le patrimoine et la connaissance du patrimoine, les musées, le développement de la vie culturelle, la formation artistique, le dialogue entre les cultures, les liens entre la vie culturelle et la vie économique ou scientifique ou encore la restauration des monuments : toutes ces activités sont aujourd’hui éligibles au dispositif d’exonération fiscale.
Le mécénat permet aussi la prise en compte de contributions en nature, comme le mécénat de compétences des entreprises ou encore certains frais engagés par les bénévoles au profit des associations dont ils sont adhérents.
Ce soutien fiscal s’accompagne enfin d’autres exonérations, notamment en matière de donation. Je pense en particulier à l’exonération de droits de donation pour les dons au profit des organismes éligibles à la réduction d’impôt sur la fortune immobilière, qui représente environ 100 millions d’euros chaque année.
C’est donc un dispositif très complet qui laisse à chaque Français et à chaque entreprise une grande liberté pour choisir celles des causes d’intérêt général qu’il souhaite voir l’État soutenir financièrement. Cette liberté de choix, c’est la clé du succès du dispositif de la loi Aillagon.
Cet environnement fiscal, nous devons le préserver pour ses vertus. C’est pour cela que cette majorité a souhaité, en 2020, relever le plafond de versements pour les petites entreprises, en portant ce montant de 10 000 euros à 20 000 euros. C’est aussi pour cela que des aménagements temporaires ont été prévus pour de grandes causes nationales, comme la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, à la suite du tragique incendie de l’année 2019, ou pour lutter contre les violences domestiques.
Pendant la crise sanitaire, nous avons également relevé le taux applicable aux dons aux associations caritatives venant en aide aux plus démunis.
Nous avons aussi, avec le prélèvement à la source, introduit une amélioration considérable, en intégrant la réduction d’impôt pour les particuliers dans le champ de l’avance versée en janvier : chaque année, désormais, les foyers qui ont effectué des dons éligibles au titre de l’avant-dernière année se voient verser à cette date une avance de 60 %.
Nous avons enfin aménagé le régime de TVA des dons des entreprises et introduit des dispositions favorables pour les entreprises qui donnent des biens achetés dans le cadre de leur activité économique à certaines associations.
Vous le voyez, le Gouvernement a considérablement mobilisé le levier fiscal au service de cette nécessaire générosité.
Préserver le mécénat, c’est aussi se garder de toute dérive et rester fidèle aux grands principes qui le rendent légitime pour les Français, qui, à travers leurs impôts, contribuent à soutenir les dons éligibles à ces différentes formes de soutien fiscal.
Ces principes sont bien connus et ils sont fondamentaux. Il s’agit de la poursuite d’un objectif d’intérêt général, défini largement comme je l’indiquais plus tôt, et de la gestion désintéressée de l’organisme. Le but est notamment d’éviter que les dons ne financent, même indirectement, la rémunération des dirigeants de l’entité. Enfin, les organismes soutenus ne doivent pas être lucratifs. Cela signifie en particulier qu’ils ne peuvent pas prendre la forme d’une société commerciale. C’est l’un des points au cœur de la discussion.
Je sais le Sénat particulièrement sensible à la bonne utilisation des deniers publics. C’est pourquoi le Gouvernement, ces dernières années, a travaillé avec votre assemblée, et le Parlement en général, au renforcement du dispositif de contrôle de la défiscalisation des dons.
Cette sensibilité est partagée, entre autres, par la Cour des comptes. Comme vous le savez, dans son rapport de novembre 2018, la Cour insistait sur le dynamisme de la dépense fiscale, notamment pour les entreprises, dans un contexte marqué par la baisse du taux normal de l’impôt sur les sociétés.
Parce que nous avons l’un des dispositifs de défiscalisation les plus généreux au monde et certainement le plus efficace – et nous en sommes fiers ! –, il faut préserver ses grands principes de fonctionnement.
La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise prévoit de rendre éligibles au mécénat les dons à des sociétés de capitaux dont les actionnaires sont des collectivités territoriales ou des groupements. Ce texte vise en particulier les sociétés publiques locales, aujourd’hui exclues du champ du dispositif en raison de leur caractère lucratif, parce qu’il s’agit de sociétés commerciales.
Elle prévoit de le faire dans deux situations précises : lorsque ces sociétés ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques, audiovisuelles et de cirque ou l’organisation d’expositions d’art contemporain, ou lorsqu’elles ont pour activité l’accès public au patrimoine ou la gestion de musées.
Le Gouvernement n’est pas favorable à ces dispositions, malgré l’enthousiasme et la conviction des auteurs de cette proposition de loi et de la commission, et ce pour plusieurs raisons.
En premier lieu, nous devons à tout prix éviter, dans les incitations fiscales à la générosité, d’organiser une hiérarchie des causes d’intérêt général.
Je pense que nous ne serions pas collectivement en mesure d’expliquer pourquoi les activités que je viens de citer seraient éligibles à un dispositif dans une situation où les versements au profit d’associations caritatives, de bienfaisance ou concourant à la protection de l’environnement ne le seraient pas.
En deuxième lieu, et c’est important, cette proposition de loi aboutirait, si elle était adoptée, à faire financer par l’État, même pour des montants modestes, des organismes qui sont lucratifs par nature.
Nous parlons ici de sociétés composées d’actionnaires, ayant une raison sociale. Cette forme sociale est adaptée, dans notre droit, à la recherche d’un profit. Le Gouvernement considère qu’il ne serait pas justifié que le budget général de l’État, même si les sommes sont faibles, contribue au financement des activités de ce type d’organismes.
Votre proposition de loi a ainsi pour objet d’étendre très substantiellement une disposition, elle-même dérogatoire, mais circonscrite. Les termes actuels de la loi garantissent que cette exception reste minimale par une condition forte : la présence de l’État au capital.
Le Gouvernement est d’avis que cette exception doit être préservée. Ouvrir des dérogations supplémentaires pourrait fragiliser la cohérence d’ensemble de ce que le législateur définit comme une activité non lucrative et d’intérêt général.
En troisième lieu, le volet de votre proposition de loi relatif au patrimoine aboutit à intégrer dans le champ de la réduction d’impôt, uniquement lorsque ces activités sont exercées par des sociétés lucratives, des activités qui ne sont aujourd’hui même pas éligibles à la réduction d’impôt de droit commun.
La rédaction vise ainsi l’accès à tous les biens immobiliers et mobiliers qui présentent un intérêt esthétique ou encore les pratiques sociales et les événements festifs. Elle va au-delà de la notion de patrimoine retenue aujourd’hui pour l’application du régime du mécénat.
Pour que le régime fiscal du mécénat demeure efficace, il convient d’en maintenir le champ dans des proportions connues, cadrées. Un élargissement risquerait d’entraîner une dispersion de la générosité des Français dans un champ d’activités trop large, aux dépens des activités aujourd’hui éligibles.
Pour ces raisons, madame la sénatrice, le Gouvernement n’est pas favorable à votre proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mécénat culturel est un moyen à la fois ancien et efficace de soutenir toutes les formes de création artistique et la préservation de notre patrimoine.
Il est ancien, puisqu’il tire son origine d’un nom propre, celui d’un homme politique romain du Ier siècle avant notre ère, resté célèbre pour avoir consacré sa fortune à la promotion des arts et des lettres : c’est Mécène.
Il est efficace, dans la mesure où il constitue une alternative au soutien public : on l’a vu lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019, qui a suscité un afflux exceptionnel de promesses de dons, souvent défiscalisées il est vrai, ou encore avec le loto du patrimoine, qui a rencontré un réel engouement depuis sa mise en place.
Le secteur culturel et surtout, sans surprise, le spectacle vivant ont été fortement touchés par les restrictions liées à la crise sanitaire, bien qu’ils aient aussi bénéficié des largesses du « quoi qu’il en coûte ».
Le mécénat culturel est aujourd’hui principalement le fait des entreprises, grandes ou moins grandes, mais il dépend fortement de la conjoncture et de la santé économique desdites entreprises, qui auront tendance à réduire en premier ce poste de dépenses en cas de difficultés. C’est un peu le drame des « non essentiels », même s’il faudrait plutôt parler de biens et services de première nécessité.
Selon les auteurs de la proposition de loi, les collectivités territoriales représentent près de 70 % de l’investissement public dans le secteur culturel, l’exercice de la compétence culture étant partagé avec l’État.
La volonté de trouver de nouvelles sources de financement est louable et rappelle des discussions que nous avions déjà eues il y a deux ans lors de l’examen de la loi 3DS.
Ayant été moi-même pendant près de trente ans maire de Martel dans le Lot, qui est labellisé comme l’un des plus beaux villages de France, je suis particulièrement sensible aux questions de valorisation du patrimoine historique et architectural.
On peut aussi penser à la réserve parlementaire, supprimée en 2017, qui était un levier d’investissement dans le patrimoine local en dépit des défauts qui ont conduit à sa disparition.