M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
J’ai bien entendu les arguments de notre collègue Michel Savin, mais je voudrais apporter quelques précisions.
Cet amendement vise à exclure de la liste des délits et crimes entraînant une incapacité à exercer la fonction d’éducateur sportif le fait, lors d’une manifestation, de ne pas se disperser malgré les sommations.
Je tiens à préciser que cela ne concerne que des personnes non armées. L’amendement vise seulement l’article 431-9 du code pénal.
Le fait de participer armé à une manifestation continue d’entraîner une incapacité d’exercer la fonction d’éducateur sportif. Ce délit est défini à l’article 431-10 du code pénal.
Par ailleurs, il existe un délit spécifique à la dissimulation volontaire du visage au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis.
Cette disposition a été introduite par la proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau sur le maintien de l’ordre lors des manifestations de 2019. Ce texte a créé un nouveau délit de dissimulation volontaire du visage à l’article 431-9-1 du code pénal, délit qui figure toujours parmi la liste des articles du code pénal entraînant une incapacité d’exercer.
Cet amendement ne vise donc pas à permettre à des Black Blocks de devenir éducateurs sportifs. Il tend seulement à prendre en compte le fait que les fins de manifestations sont parfois chaotiques et que des manifestants non violents n’arrivent pas toujours à se disperser malgré les sommations.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. M. Dossus propose de supprimer l’infraction de participation à un attroupement après sommation au motif que cette infraction n’aurait aucun lien avec la protection des enfants face aux problématiques de violences sexuelles dans le sport.
En réalité, le dispositif prévu par le code du sport, et que nous revoyons aujourd’hui, vise à protéger non pas uniquement les enfants, mais bien l’ensemble des pratiquants face à toutes les formes de violence.
L’objet de cette proposition de loi est la protection des mineurs, mais aussi le contrôle de l’honorabilité. N’ouvrons pas une brèche là où nous nous sommes efforcés sur l’ensemble du texte de les refermer le plus possible !
Au demeurant, l’infraction que vous souhaitez exclure est vraiment loin d’être anodine. Il s’agit d’un attroupement illégal après plusieurs sommations par les forces de l’ordre. C’est une incivilité grave, contraire aux lois de la République et source de troubles à l’ordre public. C’est la raison pour laquelle ce délit est d’ailleurs puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.
Dès lors, il me paraît nécessaire que ce délit soit maintenu dans la liste des condamnations incapacitantes, évidemment sous le contrôle du juge judiciaire, à qui il appartient, conformément à notre ordre républicain, d’apprécier souverainement les faits, afin, le cas échéant, d’écarter ou non les auteurs de telles infractions de missions en lien avec le service public dans le champ sportif.
Il importe que nous soyons cohérents jusqu’au bout.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour explication de vote.
M. Michel Savin. Mon cher collègue, notre volonté n’est pas d’exclure des personnes qui peuvent se retrouver dans des situations confuses en fin de manifestation et qui seraient arrêtées par les forces de l’ordre sans être condamnées par la suite. Ces gens-là ne sont pas concernés par le texte. Nous visons les personnes condamnées pour un délit, et Mme la ministre l’a bien compris.
Si un manifestant est condamné par un juge à un an de prison et 15 000 euros d’amende, c’est qu’il a commis des faits graves sur des personnes ou sur des biens. On ne peut pas leur confier la responsabilité d’encadrer des enfants dans des activités physiques et sportives.
Ne mélangeons pas les choses. J’y insiste, sont seulement ciblées les personnes condamnées par la justice, et non pas des manifestants qui peuvent être embarqués par la police, mais qui sont libérés rapidement.
Je souhaite que cet amendement soit rejeté pour éviter toute ambiguïté.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour explication de vote.
M. Jacques Grosperrin. Dans le dictionnaire, la définition de l’« honorabilité » est : « Qui mérite l’estime et la considération d’autrui. ». Le fait de continuer volontairement à participer à un attroupement après les sommations mérite-t-il l’estime et la considération d’autrui ? Je rappelle que cela peut être puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende par l’article 431-4 du code pénal.
Un éducateur se doit d’être exemplaire. Comment peut-il partir manifester avec un masque et revenir faire cours à des élèves comme si de rien n’était ? (M. Thomas Dossus proteste.) Cela révèle, me semble-t-il, un certain type de personnalité. Chacun a le droit de faire ce qu’il veut, mais l’exemplarité doit primer dans le sport. De même, les enseignants et les éducateurs doivent respecter une certaine déontologie. Je voterai contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour explication de vote.
M. Pierre-Antoine Levi. Les explications données par Mme la ministre et Michel Savin m’ont convaincu. L’intention de M. le rapporteur est louable. Mais, en l’occurrence, nous ne parlons pas de faits qui ne sont pas graves. Ne sont visées que les personnes effectivement condamnées après attroupement et sommation. Il est nécessaire de faire preuve d’une exemplarité totale quand on est encadrant.
Nous voterons contre cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Je pense que nous devrions tous faire preuve d’un peu de discernement. Je partage complètement les arguments développés par M. le rapporteur. Il ne s’agit évidemment pas de faire en sorte que des Black Blocs encadrent demain des jeunes dans nos clubs sportifs. Cependant, nous avons tous des témoignages. Nous avons même, pour certains d’entre nous, parfois vécu des manifestations qui ne se sont pas très bien terminées, à notre corps défendant, et nous nous sommes retrouvés piégés dans certaines situations.
Vous avez peut-être lu comme moi le témoignage d’une jeune femme qui, en sortant d’une séance de sport, s’est trouvée dans une manifestation, certes plus ou moins organisée, et qui a eu maille à partir avec la justice pour cette raison-là, alors qu’elle se trouvait là totalement par hasard. Nous devons donc être prudents.
En commission, je me suis interrogée sur le terme d’honorabilité. On m’a expliqué que c’était le terme juridique qui convenait en l’occurrence. Cependant, la définition que vient d’en donner Jacques Grosperrin ne me semble pas être la bonne. Lequel d’entre nous est habilité à juger de l’honorabilité, dans les termes qu’il a évoqués, de tel ou tel pour encadrer des jeunes dans des clubs sportifs ?
Je suis bien évidemment pour que l’on empêche des prédateurs d’encadrer des enfants. Nous devons être sans concession pour protéger utilement les sportifs en général, les enfants et les jeunes en particulier. Mais faisons-le avec discernement. Ne rajoutons pas du chaos au chaos.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. J’y insiste, on parle bien d’une condamnation. Cela signifie que la personne en question a été interpellée, qu’elle a fait l’objet d’une enquête, que l’intentionnalité et la culpabilité ont été établies. Encore une fois, on ne parle pas d’un simple militant manifestant pour une cause.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Il suffit d’avoir lu des comptes rendus ou d’avoir assisté à des comparutions immédiates après des manifestations qui se sont mal terminées pour comprendre que les jugements, dans ces circonstances-là, sont parfois rendus à la volée, dans des conditions peu respectueuses du droit et des principes de l’enquête. Il y a eu un certain nombre d’amalgames à propos de mon amendement. Tout cela n’est pas très sérieux.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 305 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 241 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1 est adopté.)
Article 2 (nouveau)
Le code du sport est ainsi modifié :
1° L’article L. 322-3 est ainsi rétabli :
« Art. L. 322-3. – L’autorité administrative peut, par arrêté motivé, prononcer l’interdiction d’exercer, à titre temporaire ou définitif, la fonction mentionnée à l’article L. 322-1 à l’encontre de toute personne :
« 1° Dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants ;
« 2° Employant ou permettant l’intervention, en méconnaissance de l’article L. 212-9, de personnes faisant l’objet d’une incapacité d’exercice prévue au même article L. 212-9 ;
« 3° Méconnaissant l’obligation prévue à l’article L. 322-4-1 d’informer l’autorité administrative du comportement d’une personne mentionnée au I de l’article L. 212-9 dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants.
« Cet arrêté est pris après avis d’une commission comprenant des représentants de l’État, du mouvement sportif et des différentes catégories de personnes intéressées. Toutefois, en cas d’urgence, l’autorité administrative peut, sans consultation de la commission, prononcer une interdiction temporaire d’exercice limitée à six mois. Dans le cas où l’intéressé fait l’objet de poursuites pénales, la mesure d’interdiction temporaire d’exercer auprès de mineurs s’applique jusqu’à l’intervention d’une décision définitive rendue par la juridiction compétente.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article. » ;
2° Le 1° de l’article L. 322-4 est ainsi rétabli :
« 1° D’exploiter soit directement, soit par l’intermédiaire d’un tiers, un établissement dans lequel sont pratiquées des activités physiques ou sportives en méconnaissance d’une mesure prise en application de l’article L. 322-3 ; »
3° Après le même article L. 322-4, il est inséré un article L. 322-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 322-4-1. – L’exploitant d’un établissement mentionné à l’article L. 322-1 est tenu d’informer sans délai l’autorité administrative lorsqu’il a connaissance du comportement d’une personne mentionnée au I de l’article L. 212-9 dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants. »
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Lozach, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 131-8-1 est ainsi rétabli :
« Art. L. 131-8-1. – Les fédérations agréées informent sans délai le ministre chargé des sports lorsqu’elles ont connaissance du comportement d’une personne mentionnée au I de l’article L. 212-9 ou à l’article L. 322-1 dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants. » ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. Cet amendement vise d’abord à donner une base légale à la cellule mise en place par le ministère, qui – plusieurs d’entre nous l’ont noté – a véritablement fait ses preuves.
Il s’agit également d’imposer une obligation de signalement de la part des fédérations et de mieux faire circuler l’information entre les différents niveaux.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Avis favorable. Je remercie M. le rapporteur de cette proposition.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Lozach, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
ou en méconnaissance de l’article L. 212-13, de personnes faisant l’objet d’une mesure prise en application du même article L. 212-13
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir une sanction administrative pour un président de club qui emploierait un éducateur sportif interdit d’exercer par le préfet, donc l’autorité administrative, parce qu’il présente un risque pour les pratiquants. Il s’agit de compléter le dispositif que nous avons adopté en commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Avis favorable. J’ai même indiqué dans mon intervention liminaire que c’était pour moi l’un des points majeurs du texte.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je vais mettre aux voix, dans le texte de la commission modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 306 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 343 |
Le Sénat a adopté à l’unanimité. (Applaudissements.)
La parole est à M. Sebastien Pla, auteur de la proposition de loi.
M. Sebastien Pla, auteur de la proposition de loi. C’est un match que nous avons joué en équipe, avec engagement et respect. Notre débat a donné une belle image du sport. C’est un pas de plus dans la lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs. Il s’agit d’un geste fort de soutien aux victimes et aux associations de victimes. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est parce qu’elles ont eu le courage de parler. C’est aussi un signal très fort adressé aux prédateurs sexuels : qu’ils sachent que les pouvoirs publics vont les traquer partout où ils sont et qu’ils mettront tout en œuvre pour que la honte change de camp. Nous avons la volonté d’ériger l’éthique du sport en valeur cardinale dans notre société.
Je remercie l’ensemble des collègues, notamment de la commission de la culture, qui ont participé à nos travaux, le ministère, qui a su nous accompagner dans une véritable coconstruction de ce texte, et mon groupe, qui a fait le choix d’inscrire cette proposition de loi dans son espace réservé.
Je salue tout particulièrement mon ami Jean-Jacques Lozach et les services de la commission, ainsi que mon équipe, qui travaille sur ce sujet depuis deux ans et demi. Enfin, j’ai une pensée pour Sarah Abitbol, qui m’a demandé d’excuser son absence en tribune. Elle vient de finir sa tournée Holiday on ice, et elle prend du repos à Miami. Je ne doute pas qu’elle sera très heureuse de ce vote unanime. Merci à toutes et tous du fond du cœur ! (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Registre national des cancers
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers, présentée par Mme Sonia de La Provôté et plusieurs de ses collègues (proposition n° 546, texte de la commission n° 704, rapport n° 703).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sonia de La Provôté, auteure de la proposition de loi.
Mme Sonia de La Provôté, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion que je viens ici présenter ma proposition de loi pour la création d’un registre national des cancers. Avant tout, je tiens à remercier mon groupe, l’Union Centriste, d’avoir permis sa discussion, ainsi que tous mes collègues, sur toutes les travées du Sénat, qui ont largement soutenu ce texte.
Je remercie également Mme la rapporteure, ma collègue Nadia Sollogoub, de son travail précis et argumenté, ainsi que la commission des affaires sociales, dont les apports ont modifié utilement le contenu du texte.
Je ressens une grande émotion, car cette proposition de loi est l’aboutissement de plusieurs années d’engagement et d’échanges pour faire prendre largement conscience de l’utilité d’un tel registre. Cet outil est déjà considéré comme indispensable par un très grand nombre d’acteurs pour améliorer et rendre plus efficace la lutte contre le cancer dans toutes ses dimensions.
Mes chers collègues, j’ai acquis la conviction de la vertu scientifique de cet outil à l’occasion de mon travail de thèse, soutenue en 1998 – ce n’est pas tout jeune ! (Sourires.) –, travail qui portait sur l’exposition professionnelle à l’amiante et le risque de cancers digestifs.
À l’époque, sans la qualité du registre des cancers digestifs du Calvados et l’accès simple à ces données, ce travail n’aurait pas abouti. Nous avions alors mis en évidence une surincidence de cancers digestifs dans une population professionnellement exposée et une relation dose-effets entre la quantification de l’exposition à l’amiante et l’apparition d’un cancer digestif.
Cela illustre parfaitement un fait : l’épidémiologie ne s’approche au plus près de la vérité scientifique que si elle s’adosse à une observation rigoureuse et réelle de la pathologie. En l’occurrence, c’est bien un registre national général des cancers qui nous autoriserait celle-ci.
Depuis ces années de recherche, j’ai acquis la conviction qu’il nous fallait en France nous doter d’un tel outil. Depuis, cette conviction s’est renforcée, et ce pour plusieurs raisons.
Les constants progrès des diagnostics, la nécessité d’améliorer sans cesse le dépistage et la prévention, les besoins d’identifier les facteurs de risques émergents dans un environnement changeant où les expositions à des facteurs exogènes sont nombreuses et liées à l’évolution rapide de notre mode de vie, la révolution thérapeutique, qui avance très rapidement… autant de défis qui méritent que nous nous saisissions de cette proposition, car l’accès rapide à une donnée fiable, éprouvée et rigoureuse est essentiel pour apporter un bon suivi et une bonne réponse.
C’est aussi de la société elle-même qu’est venu un mouvement de soutien à ce registre : chercheurs, médecins et professeurs, sociétés savantes, associations de patients, comme France Assos Santé, la Ligue nationale contre le cancer, le réseau des registres de cancers Francim… Toutes et tous ont la volonté que ce texte aboutisse.
Je tiens tout particulièrement à souligner le soutien efficace et constant du professeur Guillot, auteur d’un rapport adopté au mois de décembre 2021 par l’Académie nationale de médecine, qui se positionne de façon nette sur la nécessité d’un registre national des cancers. Grâce à lui, j’ai pu assister à de nombreuses auditions qui ont constitué la base de son rapport et qui ont bien sûr alimenté ce travail législatif.
C’est donc logiquement à l’issue d’un cheminement long et motivant que cette proposition de loi arrive aujourd’hui en examen au Sénat.
À ces arguments s’est superposée une motivation supplémentaire. Parce que la révolution numérique permet aux données de santé de connaître un développement certain, et parce que l’intelligence artificielle laisse envisager des perspectives nouvelles, nul ne peut ignorer la nécessité d’un contrôle public ferme et exclusif du recueil et de l’usage de ces données intimes. En effet, ces dernières alimentent de nombreux appétits, allant de la manipulation des données, parfois excessive et non encadrée de manière scientifique, aux usages à des fins mercantiles ou commerciales.
Ne soyons pas naïfs. Sur ces sujets, la start-up nation avance, mais l’expertise et le contrôle humain dans un but de santé publique deviennent encore plus indispensables.
UN registre des cancers national, aux données vérifiées, encadrées, sera une photographie actuelle des cancers et de leur évolution dans le temps. Il doit être hébergé par l’Institut national du cancer (INCa), dont la fonction éminemment d’utilité publique serait ainsi la garantie pour tous que ces données, propriété de chacun, resteraient protégées, protégeant en retour les citoyens.
Tels sont les éléments que je souhaitais vous apporter en préambule de ces discussions. J’y insiste, j’ai la conviction intime, profonde, que la création d’un registre national des cancers est absolument nécessaire.
Le temps est venu de mettre enfin un cadre à de nombreuses années de tergiversations pas toujours justifiées ni justifiables et de prendre la décision qui s’impose. Les outils et les compétences sont là. Vous pouvez compter sur ma détermination à faire avancer ce sujet jusqu’à son terme, forte des nombreux soutiens trouvés ici, au Sénat, et dans la société civile. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Sonia de la Provôté nous propose de mettre en place un registre national des cancers.
N’étant ni médecin, ni chercheur, ni épidémiologiste, je n’ai pas osé formuler ma première réaction à cette proposition ; je pensais que c’était en place depuis longtemps. Et je suis certaine que nombre d’entre vous le pensaient également. Eh bien non !
Aujourd’hui, en France, les indicateurs de prévalence, d’incidence, de mortalité et de survie du cancer dont nous disposons sont des estimations au titre de l’année 2018, extrapolées à partir de 24 % de la population.
Tout d’abord, je dois rappeler que les registres des cancers sont des outils, des recueils de données individuelles nominatives. Concrètement, les personnels des registres, des techniciens spécialement formés, vont chercher les informations nécessaires auprès de différentes sources – laboratoires d’anatomopathologie, laboratoires de biologie, établissements de santé, publics et privés, assurance maladie, réseaux de cancérologie, centres régionaux de dépistage du cancer –, afin d’assurer l’exhaustivité du repérage des patients. Ils consultent également les dossiers médicaux dans les établissements pour recueillir tous les items indispensables à la description du patient et de sa pathologie. La composante humaine de l’investigation permet la compréhension du parcours de soins dans sa globalité.
De l’avis général des spécialistes que nous avons auditionnés, le travail effectué sur le terrain conditionne la qualité des données.
Aujourd’hui, un parcours de soins est haché, et il existe beaucoup de données de santé chez le généraliste, chez le pharmacien, à l’hôpital… Aller chercher ces données suppose des recherches et prend du temps.
Les registres des cancers ont été créés progressivement depuis les années 1970. Il existe actuellement dix-neuf registres généraux couvrant vingt-quatre départements, dont cinq ultramarins, douze registres spécialisés pour certains types de cancers, deux registres nationaux pour les cancers des enfants et des adolescents, et deux registres nationaux pour les mésothéliomes pleuraux et les tumeurs rares du péritoine. Il s’agit d’outils très complets, dont l’unité d’enregistrement est l’individu.
Les modalités de gouvernance et de financement du système sont cependant complexes.
La base commune des registres, qui sont regroupés depuis 1995 au sein du réseau Francim, est hébergée par le service de biostatistiques des Hospices civils de Lyon, et gérée conjointement par l’INCa et Santé publique France, qui sont aussi les premiers financeurs de registres, à hauteur des deux tiers.
Souhaitons-nous soutenir dans nos politiques publiques la montée en puissance de cet outil potentiellement très puissant, qui permet de mieux connaître le cancer, et donc de le combattre ? Je rappelle que l’on parle de la première cause de décès chez l’homme, et de la deuxième chez la femme.
Si oui, il faut d’abord écouter les opérateurs et utilisateurs de ces données, qui nous demandent plus de souplesse dans leur interopérabilité et leur accès.
D’autres bases de données, tel le Système national des données de santé (SNDS), regroupant des données de consommation de soins dans un objectif économique, mais couvrant l’ensemble du territoire français, doivent pouvoir être croisées le plus simplement possible avec celles des registres. Il en est de même, par exemple, pour les données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). Que ce soit pour les expositions environnementales, les expositions professionnelles ou les trajectoires de soins, le croisement des bases de données est indispensable. Or il est actuellement réalisé de manière probabiliste dans la majorité des travaux. L’autorisation par voie réglementaire pour les registres d’utiliser un identifiant national, comme le NIR, en améliorerait grandement la qualité.
Les données, bien évidemment, sont « pseudonymisées », soigneusement encodées, ce qui respecte les exigences du Règlement général sur la protection des données (RGPD), mais, dans le même temps, les déconnecte du patient, et empêche d’avoir de lui une vision complète dans la durée. Dans le prolongement, il faudrait, par voie réglementaire également, autoriser aux registres l’accès aux certificats de décès nominatifs et aux données de mortalité en général.
Cette proposition législative vise à doter la France, comme beaucoup de nos voisins européens, d’un outil harmonisé, global et exhaustif, couvrant l’ensemble du territoire national. Évidemment, cette construction se fera dans le respect des outils actuellement en place, qui sont solides et qui ont fait la preuve de leur efficacité.
Une forte demande émane du monde associatif, des patients en général, tout autant que de scientifiques et de responsables administratifs. Le rapport de 2017 de Bégaud, Polton et Von Lennep encourageait à constituer des registres nationaux en cancérologie pour certaines molécules, afin de donner tout leur potentiel aux données en vie réelle, ce qui fait toute la différence avec les recherches sur un échantillon de patients sélectionnés. En 2020, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) relevait, en évaluant le troisième plan cancer, que « des données à une échelle géographique plus fine sont nécessaires ». En 2021, le Haut Conseil de la santé publique plaidait pour une meilleure homogénéisation des données et la création d’un dispositif national de détection des signaux faibles. L’Académie nationale de médecine, enfin, a appelé plus clairement en 2021 à la création d’un registre national des cancers, accompagné d’un mécanisme de déclaration obligatoire de la maladie, afin d’accélérer les remontées d’informations nécessaires à l’exercice d’une mission de surveillance sanitaire élargie.
J’ai été maire d’une commune située à deux kilomètres d’une centrale nucléaire, et je vous confirme la forte demande des populations pour un maillage territorial fin, permettant une connaissance précise, particulièrement à proximité des sites sensibles ou pollués, comme l’a souligné notre collègue Émilienne Poumirol.
Prévenir plutôt que guérir, mais aussi tordre le cou aux rimeurs, éviter les théories du complot. On sait qu’elles fusent vite et qu’elles sont difficilement contrôlables…
Si la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui fait suite à de multiples préconisations, y compris scientifiques, il faut dire que certains ont également exprimé des réserves sur la balance coût-efficacité de l’opération.
Je note à ce sujet, d’une façon générale, l’extrême inquiétude du monde de la recherche, déjà entendue lors d’un colloque à l’Académie nationale de médecine, quant à la difficulté d’accéder aux crédits qui leur sont consacrés, souvent dilués dans des budgets globaux, peu lisibles, difficiles à sanctuariser. La création d’un registre national des cancers ouvrirait la possibilité d’inscrire en loi de finances une ligne budgétaire dédiée.
Les moyens financiers des registres, pour la part qui est versée par l’INCa et Santé publique France, sont stables depuis quinze ans, alors que le nombre de cancers augmente. On peut comprendre cette inquiétude devant la fragilité des financements, qui motive certaines réserves, en particulier celles de l’INCa, mais il serait tellement dommage que le monde de la recherche s’autocensure !
Faire le choix de conserver des données parcellaires alors qu’il faut une information la plus précise possible pour planifier l’offre de soins serait par ailleurs difficilement compréhensible.
Certes, tout cela a un coût !
Comme je vous l’exposais en propos liminaire, les opérateurs des registres passent beaucoup de temps à rassembler des données. On nous a même dit que les chercheurs eux-mêmes passaient un temps énorme à saisir des données, voire à chercher des financements, temps qui n’est pas consacré aux travaux de recherche.
La généralisation d’une base de données nationale et la mise en commun de nombreuses informations permettront d’optimiser les opérations de saisie et rendront du temps à la recherche.
Elles permettront également d’éviter les doublons et les manquants, d’avoir une veille sanitaire plus large et de régler le problème du suivi des patients dans leur mobilité géographique : ceux-ci seront suivis dans leur environnement et leur contexte.
L’enregistrement systématique en continu de toutes les données permettra enfin de réduire les délais de production des rapports. Et n’oublions pas non plus, mes chers collègues, que les données de santé ont un coût, mais également un prix !
Si les industriels ne trouvent pas en France les données sur les cancers dont ils ont besoin pour mettre au point leurs traitements, ils iront les acheter ailleurs : en Allemagne, qui est en train de se doter d’un registre national, ou au Royaume-Uni, qui en dispose déjà. C’est un vrai enjeu de compétitivité mondiale et de souveraineté de la France.
La recherche avance chaque jour. Le niveau de connaissance de chaque pathologie s’affine. On ne peut plus parler désormais « du cancer » : il faut parler « des cancers », que l’on individualise de mieux en mieux.
En poussant le raisonnement, on pourrait presque considérer que chaque cancer sera bientôt un cancer rare, d’où l’intérêt des cohortes les plus larges possible, internationales ou au moins européennes, qui seront forcément plus pertinentes que les extrapolations ou les échantillons.
Après que le plan Cancer a créé en France l’INCa, qui est un modèle envié, il y a une vraie logique à mettre désormais entre ses mains un registre national des cancers, qui concentrera des données fiables, exploitables et, surtout, extrêmement utiles. Tout cela a du sens.
Mes chers collègues, nous nous apprêtons, par notre vote, qui sera observé, à donner un signe fort. Dès lors, puisque nous savons ce que nous attendons d’un registre national des cancers, à savoir qu’il nous aide à sauver le plus de vies possible, donnons-lui les moyens de le faire ! (Applaudissements.)