M. Guy Benarroche. Dans le même article, l’alinéa 5 va également dégrader la situation.
Supprimer la suspension de la clause résolutoire d’office par le juge va précipiter vers l’expulsion des dizaines de milliers de personnes, que les services de prévention des expulsions locatives, l’offre de logement social et les capacités d’hébergement, complètement saturées, ne seront absolument pas en mesure d’absorber. On peine déjà, je le rappelle, à reloger les ménages dont la situation relève du droit au logement opposable (Dalo).
Le locataire doit scrupuleusement respecter l’échéancier qui lui est fixé, en plus de payer mensuellement son loyer ; à défaut, le bail est résilié. Le bailleur n’est donc aucunement lésé : si la décision de justice est respectée, il est payé, et son locataire reste ; si elle ne l’est pas, l’expulsion a lieu.
Il faut prendre en compte le fait que cette disposition s’ajoute aux autres mesures de la loi, déjà très sévères et préjudiciables pour les ménages en impayés : réduction des délais en amont, réduction des délais pour quitter les lieux, lourde amende si ceux-ci restent dans le logement après décision de justice prononçant leur expulsion.
La grande majorité des impayés de loyer intervient à la suite d’un accident de la vie. Permettons au moins aux locataires qui en ont la capacité de rester dans leur logement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 31.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous insistons fermement : les propriétaires ne sont pas lésés dans la situation actuelle. Le locataire est en effet tenu de régler son loyer, conformément à l’échéancier défini. S’il s’acquitte de cette obligation, il peut rester dans les lieux ; dans le cas contraire, l’expulsion a lieu.
Par conséquent, je ne vois pas la nécessité d’enfoncer encore plus sous l’eau la tête de gens qui ne sont pas tous de mauvais payeurs ou des individus irresponsables. Il s’agit parfois de personnes confrontées à une détresse sociale temporaire ; aussi, au contraire, tout doit être mis en œuvre dans la société pour leur permettre de se rétablir et de retrouver une voie normale.
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
Lorsque le juge
insérer les mots :
se saisit d’office ou lorsqu’il
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Il s’agit en quelque sorte d’un amendement de repli, visant à fournir une garantie supplémentaire d’accès à un droit que certains justiciables sont susceptibles d’ignorer. Le bailleur et le locataire peuvent déjà saisir le juge afin de suspendre les effets de la clause de résiliation de plein droit, comme le précise l’article 4 de cette proposition de loi.
Nous proposons d’ajouter la possibilité pour le juge de s’autosaisir. Certains justiciables méconnaissent en effet leurs droits : les locataires en situation de précarité sont souvent mal informés sur ceux-ci et sur les modalités pour les faire valoir.
On pourrait arguer qu’il suffira d’améliorer l’information, etc. En attendant, la connaissance des droits est essentielle. Elle permet à l’individu de savoir ce qui lui est dû et à quoi il peut prétendre.
Or le droit peut être difficile à comprendre, voire inaccessible, pour les justiciables, qui ne sont pas nécessairement familiers des procédures. Je ne vois donc pas comment une telle possibilité d’autosaisine du juge pourrait être préjudiciable à qui que ce soit. Elle constitue la seule garantie que le droit à la suspension soit accessible à tous de manière équitable devant la loi.
Nous considérons en outre que le juge est un arbitre ; sa qualité de professionnel garantit une impartialité et une compétence pour juger de la nécessité de s’autosaisir. Compte tenu de la complexité du droit, et en particulier de la législation relative au droit immobilier, nombreux sont ceux qui ignorent qu’ils peuvent faire usage d’un tel levier.
Précédemment, nous avons refusé de faire confiance à l’État ainsi qu’aux préfets, maintenant nous refusons de faire confiance au juge. À quoi faisons-nous confiance ? Uniquement au droit de propriété ?
M. Pascal Savoldelli. Au marché !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, cet article 4 a constitué le principal point de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
L’Assemblée nationale souhaitait initialement supprimer intégralement les pouvoirs d’office du juge en matière d’octroi de délais de paiement, de vérification des éléments constitutifs de la dette locative, de contrôle de la décence du logement et de suspension des effets de la clause résolutoire – c’est-à-dire en matière de maintien dans le logement.
Cette suppression nous est apparue comme contre-productive, pour des raisons évidentes, aussi bien pour le locataire que pour le bailleur. En effet, le maintien dans le logement doit être privilégié pour inciter le locataire en difficulté à régler sa dette locative, selon un échéancier d’apurement établi par le juge.
C’est pourquoi nous avons, lors de la première lecture, rétabli les pouvoirs d’office sur tous ces points, en les conditionnant cependant à la reprise du versement du loyer courant par le locataire, ce qui nous semble constituer une condition minimale pour satisfaire le bailleur et responsabiliser le locataire, qui se doit d’honorer ses engagements contractuels.
Nous avons, en parallèle, ajouté des dispositions permettant de rendre plus précoce l’élaboration du diagnostic social et financier et d’accroître les pouvoirs des Ccapex, dans la perspective de mieux accompagner les locataires les plus en difficulté, sans que cela soit à la charge des bailleurs.
Mes chers collègues, je ne vous cache pas que la défense de ces points a nécessité d’âpres négociations avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, qui est également l’auteur de cette proposition de loi.
Nous sommes parvenus à une rédaction de compromis qui tient compte des lignes rouges du Sénat : les pouvoirs d’office du juge ont été en grande partie rétablis, même si j’aurais souhaité qu’ils le soient totalement. Nous pouvons donc nous satisfaire de cette rédaction, que je vous invite à voter conforme.
Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable sur ces six amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Klein, ministre délégué. Je tiens à ajouter que l’expulsion locative est un échec pour un locataire de bonne foi en difficulté. C’est la raison pour laquelle le travail que vous avez mené, qui renforce la Ccapex, me semble avoir porté ses fruits.
C’est important, car cet article présente ainsi un résultat équilibré. Il continue à préserver le pouvoir du juge, notamment celui d’apprécier la reprise des paiements avant le recours à la justice. Par la suite, en présence du locataire en difficulté ou de son représentant lors de la séance, le juge pourra accorder des délais.
Les pouvoirs du juge sont donc préservés et une position d’équilibre entre l’Assemblée nationale et le Sénat a été trouvée.
Par conséquent, je souhaite le maintien du texte en l’état et je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, puisque nous avons un peu d’avance (Exclamations.), je me permets d’intervenir.
Monsieur le rapporteur, vous avez expliqué avec brio l’amendement qui vous a été présenté, que vous auriez donc pu approuver. Faire et défaire, c’est toujours travailler. (Sourires.) Le Sénat a fait, et en l’occurrence bien fait ; l’Assemblée nationale a défait ; nous demandons au Sénat de refaire.
C’est pour cette raison que j’espérais un avis favorable de votre part.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 et 30.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 19 et 31.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour explication de vote.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Notre groupe se réjouit de l’adoption définitive de cette proposition de loi, qui a conservé, à l’issue de l’examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, la plupart des contributions apportées par le Sénat en première lecture.
Cela a été souligné à maintes reprises, ce texte a trouvé un véritable équilibre : d’une part, il renforce la fermeté à l’encontre des squatteurs et des locataires indélicats ; d’autre part, il prévoit une amélioration de la prévention des expulsions et un meilleur accompagnement des locataires en difficulté. En effet, nous nous gardons bien de confondre ces derniers avec des squatteurs ou des locataires de mauvaise foi.
Ce soir, nous envoyons également un message fort aux propriétaires, ce qui est très important. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye, pour explication de vote.
M. Ludovic Haye. Je souhaite avant tout à exprimer mes remerciements à l’égard de toutes les personnes qui se sont investies dans l’élaboration de cette proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite.
En premier lieu, je salue notre rapporteur, qui n’a pas ménagé ses efforts, ainsi que le président de la commission des lois, M. Buffet, et l’ensemble des membres de cette instance.
Comme vous le savez, ce texte a pour objectif, d’une part, de clarifier le régime juridique du squat et, d’autre part, de favoriser l’accélération du contentieux locatif.
Le Gouvernement a exprimé, tout au long du processus législatif, sa volonté d’équilibrer cette proposition de loi. Vous l’avez bien exprimé, monsieur le ministre, lorsque vous avez souligné qu’il ne fallait pas réagir de la même manière face aux squats, en particulier ceux qui sont orchestrés par des marchands de sommeil, et face aux impayés de loyers.
Compte tenu de ces arguments, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 303 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 248 |
Contre | 91 |
Le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi.
Mme Agnès Canayer. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Klein, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous exprimer ma gratitude pour le travail accompli. Grâce à l’effort concerté de tous les parlementaires, le texte adopté aujourd’hui est équilibré.
Au nom du Gouvernement, et en mon nom propre, je remercie sincèrement l’ensemble des sénateurs de la qualité des débats. Les échanges lors des deux lectures au sein de la Haute Assemblée ont souligné l’importance que nous accordons tous à la question du logement, en particulier à l’équilibre entre les propriétaires et les locataires. Ils ont montré l’attention que nous portons aux plus vulnérables, tout en respectant les droits des propriétaires.
De plus, nous avons été unanimes s’agissant des squats, qui constituent indubitablement des situations inacceptables et contre lesquelles nous devons lutter, en particulier lorsqu’elles découlent d’agissements de marchands de sommeil.
Je salue enfin Guillaume Kasbarian, qui a probablement suivi nos échanges en ligne.
Je ne suis pas tout à fait Cendrillon, mais il est presque minuit : à très bientôt ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 15 juin 2023 :
De dix heures trente à treize heures puis de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi visant à assurer la pérennité des établissements de spectacles cinématographiques et l’accès au cinéma dans les outre-mer, présentée par Mme Catherine Conconne et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 702) ;
Proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport, présentée par M. Sebastien Pla et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 700).
À l’issue de l’espace réservé au groupe SER (pour une durée de 4 heures) :
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
Proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers, présentée par Mme Sonia de La Provôté (texte de la commission n° 704) ;
Proposition de loi relative à la prévisibilité de l’organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l’adéquation entre l’ampleur de la grève et la réduction du trafic, présentée par M. Vincent Capo-Canellas et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 696).
À l’issue de l’espace réservé au groupe UC :
Proposition de loi visant à développer l’attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l’ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 688).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. Laurent Lafon, Mmes Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Elsa Schalck, M. David Assouline, Mme Sabine Van Heghe et M. Julien Bargeton ;
Suppléants : Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Cédric Vial, Mmes Béatrice Gosselin, Annick Billon, MM. Jean-Jacques Lozach, Bernard Fialaire et Jérémy Bacchi.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER