M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, défendre le droit de propriété n’est pas chose aisée. C’est un comble au pays des droits de l’homme ! La propriété occupe en effet une place centrale dans la Déclaration de 1789, où elle figure en deuxième position de la liste établie par l’article II, juste après la liberté – excusez du peu – et avant la sûreté et la résistance à l’oppression.
Défendre le droit de propriété, ce n’est pas prendre parti pour les propriétaires, ce n’est pas ignorer les difficultés sociales, ce n’est pas non plus militer contre le droit au logement. C’est simplement défendre la démocratie et ses valeurs.
Il me paraît important de rappeler ces évidences, car le droit de propriété est de plus en plus malmené en France, de facto et de jure.
De facto, parce que les intrusions et les occupations illicites sont devenues choses communes dans l’ensemble du territoire national.
Nous avons tous entendu parler de familles ou de couples de personnes âgées soudain privées de leur logement par des squatteurs. Ils se trouvent du jour au lendemain dans une situation extrêmement difficile : ils sont à la fois obligés d’assumer les charges induites par un logement dont ils ne jouissent plus et privés d’un bien qui leur est cher. Surtout, en raison de la complexité juridique et administrative, ces personnes, qui voient leur droit bafoué, pensent que la situation profite à ceux qui ont enfreint la loi et qui ne sont pas tenus de rendre des comptes.
Cette situation donne à penser que ceux qui ne respectent pas la loi peuvent agir en toute impunité. Elle est le terreau fertile de réactions virulentes, qui ne s’expriment pas dans les faits, mais qui le feront dans les urnes.
Mais le droit de propriété est aussi malmené de jure : les textes tendent à protéger les locataires contre les propriétaires. Cette tendance n’est pas nouvelle : Arthur Levasseur, premier haut-commissaire chargé du logement de France, en responsabilité lors du Cartel des gauches, déclarait devant la Chambre des députés : « Je serai le ministre des locataires ».
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il avait bien raison !
M. Pierre Médevielle. Depuis lors, notre droit n’a cessé de mieux protéger les locataires, pour contrebalancer le pouvoir dont les propriétaires disposent de fait. Ce rééquilibrage est sain dans la mesure où il permet d’éviter que des foyers précaires ne se retrouvent à la rue.
Mais les abus sont désormais légion. (Mme Marie-Noëlle Lienemann lève les bras au ciel.) Ils relèvent plus souvent de la mauvaise foi ou de la malhonnêteté que de la précarité. C’est pourquoi il était nécessaire de redonner force à la justice pour lutter contre l’occupation illicite des logements. Aussi, cette proposition de loi est la bienvenue ; je me réjouis que le Sénat puisse l’adopter aujourd’hui sans modification, afin de faciliter sa mise en œuvre rapide.
L’Assemblée nationale, en deuxième lecture, a conservé la plupart des améliorations que le Sénat avait apportées en première lecture. Ainsi, la réduction des délais, la simplification des procédures et l’aggravation des sanctions contre les squatteurs sont autant de réponses que nos compatriotes attendent depuis longtemps.
Enfin, le chapitre III de la proposition de loi, qui vise à mieux accompagner les locataires en difficulté, permet d’équilibrer le dispositif et d’apporter une réponse, certes incomplète, mais effective, à la crise du logement qui s’annonce.
Comme en première lecture, notre groupe votera ce texte à l’unanimité. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà la deuxième lecture d’une proposition de loi discutable, censée porter sur le sujet sensible et primordial du logement.
Discutable, car le titre est trompeur : le logement n’est pas le sujet central du texte, qui fait un amalgame entre logement, domicile et propriété.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est sûr !
M. Guy Benarroche. Au-delà des dérives certaines, dues à la précipitation dans l’écriture, mais déjà atténuées par le Sénat lors de la première lecture, cette proposition de loi est bâtie sur une prémisse très simple : le squat serait la conséquence de la carence du droit actuel, incapable de dissuader les squatteurs et leurs complices et de garantir les droits des propriétaires. Les auteurs du texte présupposent, d’une manière que je trouve caricaturale, une absence d’équilibre, qu’ils prétendent corriger, entre le droit au logement et le droit à la propriété.
En réalité, les résolutions de cas, parfois très médiatiques, montrent que le droit en vigueur est suffisant et qu’il n’est pas nécessaire de modifier la loi. Bien sûr, il faut permettre un recours rapide à l’autorité publique pour expulser des occupants illégaux d’un domicile principal ou secondaire. Mais la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi Asap, adoptée ici même en octobre 2020, le permet déjà. Elle a même considérablement durci la répression à l’égard de tels occupants. Pourtant, les auteurs de cette proposition de loi proposent d’aller plus loin – selon moi, beaucoup trop loin.
L’émotion et l’emballement médiatique offrent des opportunités à certains pour prôner une répression sévère, sans considération de l’état des locaux ou de leur occupation.
Je rappelle que les notions de domicile et de protection dudit domicile relèvent principalement du droit à la vie privée. Les auteurs du texte souhaiteraient infliger de nouvelles sanctions à toute personne se maintenant dans un bien immobilier, quel qu’en soit leur usage et que ce bien soit vacant ou non.
L’application à la lettre de ce texte pourrait doubler le nombre de personnes sans domicile, selon le Secours catholique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tout à fait !
M. Guy Benarroche. L’adoption de cette proposition de loi représenterait une régression rare du droit au logement, d’après cette même association, et une inquiétante criminalisation de la pauvreté, comme l’a rappelé aujourd’hui même la Défenseure des droits lors de son audition.
Cette proposition de loi instaure bel et bien des délits d’introduction et d’occupation d’un bien immobilier, qui seraient fondés non plus sur le domicile, mais sur le fait que ce bien serve de logement.
Monsieur le ministre, à l’heure où tous constatent l’échec du CNR Logement, le problème du mal-logement reste un sujet majeur : on compte près de 3,9 millions de mal-logés et 300 000 sans domicile fixe (SDF) dans notre pays. Or cette question n’est pas abordée ni même prise en compte dans ce texte !
Pourtant, en 2022, avant l’examen de cette proposition de loi, quelque 17 500 ménages ont été contraints de quitter leur logement avec le concours de la force publique. Il s’agit du plus haut niveau d’expulsions locatives jamais enregistré !
Le droit au logement est reconnu comme objectif de valeur constitutionnelle, mais les politiques du logement en France n’ont pas réussi à rendre concret ce principe. Aussi, renforcer l’arsenal pénal en étendant en quelque sorte le champ des squatteurs et le périmètre des condamnés potentiels dans ce contexte d’expansion du mal-logement nous paraît au mieux inapproprié.
Enfin, ce texte n’a pas bénéficié d’une étude d’impact, puisque la majorité présidentielle a préféré déposer une proposition de loi plutôt qu’un projet de loi, ce qui est regrettable.
Les carences de l’État, couplées aux dispositions de ce texte, ouvrent de trop grandes possibilités de sanctions, liées non pas à une situation de squat intolérable, mais à des occupations résultant d’actions revendicatives et militantes, voire de réquisitions légitimes.
Les associations ou les collectifs qui occupent de façon illicite depuis des années des bureaux vides pourront-ils être sanctionnés ? Oui !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !
M. Guy Benarroche. Qu’en sera-t-il des pénalités encourues pour l’occupation de la réception d’une entreprise lors d’une action associative ou militante ?
Les dispositions de la proposition de loi pourraient-elles s’appliquer en cas d’occupation d’un terrain sans destination ou d’un local agricole non exploité et sans meubles ?
Bien sûr, les propriétaires ne doivent plus subir les défaillances de l’État, qui est parfois incapable de les aider à reprendre possession de leur logement, alors qu’ils sont dans leur droit.
Aussi, nos préoccupations sur les conséquences de ce texte, à un moment où l’accès au logement devient un problème majeur dans notre pays, amènent les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires à s’opposer à cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une première lecture en décembre 2022, la navette parlementaire permet aujourd’hui de poursuivre l’examen de cette proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite.
Elle est la démonstration que l’examen parlementaire est un facteur d’amélioration des textes, à condition de laisser au Parlement le temps de travailler. Chaque chambre a pu enrichir la proposition de loi pour parvenir à une rédaction permettant un vote conforme.
L’atteinte à la propriété privée est un problème public d’ampleur, comme l’ont déjà souligné nombre d’orateurs précédents : on dénombre près de 500 000 commandements de payer et quelque 150 000 assignations en justice, pour 70 000 décisions d’expulsion ferme, dont 16 000 nécessitent le concours de la force publique.
Ce texte revêt une forte dimension symbolique. En ne laissant plus s’organiser un état de fait d’occupations illégales de propriétés privées ou de loyers impayés, son adoption permettra de renforcer la confiance dans l’État et dans les pouvoirs publics.
Dans un souci de justice, ce texte tend à défendre avec équité l’application de la loi et à empêcher que l’on abuse impunément des biens d’une personne.
Cette proposition de loi n’est pas une réponse de plus à un fait divers ; elle a une portée certaine sur un enjeu majeur, dont la politisation a empêché toute avancée plus rapide.
Ce texte s’inscrit en effet à la suite de plusieurs travaux sénatoriaux, en particulier de la proposition de loi déposée par notre collègue Dominique Estrosi Sassone, qui a été adoptée par le Sénat en janvier 2020. Je salue ici le travail important déjà engagé sur le sujet.
Le texte vise à mieux protéger la propriété privée, « droit inviolable et sacré » selon l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, contre les squatteurs. Cette proposition de loi vise également à rééquilibrer les rapports locatifs, à la lumière des nombreuses difficultés rencontrées par les propriétaires confrontés aux impayés de loyer.
L’adoption de ce texte permettra de rassurer les propriétaires et de favoriser – on peut l’espérer – le maintien et la mise en location de biens dans un contexte de très fortes tensions sur le marché immobilier à la suite des récentes contraintes liées à la rénovation énergétique et à la fixation des loyers.
En première lecture, la commission des lois et la commission des affaires économiques du Sénat ont réalisé un travail considérable. Ainsi, quelque vingt-huit amendements ont été adoptés, afin notamment de distinguer la situation du squatteur de celle du locataire défaillant et de prévenir les expulsions locatives dans l’intérêt commun des propriétaires et des locataires.
Le texte a également pour objet, d’une part, d’améliorer l’application de la loi, qui est particulièrement difficile en matière d’occupation illicite de logement ; de l’autre, d’accélérer la procédure contentieuse locative.
Je terminerai mon intervention par une pensée particulière pour les maires aux prises avec ce type de problème. Ils recueillent les doléances de leurs administrés et sont, en tant qu’élus de proximité, les premiers confrontés aux tensions résultant de ces situations. Espérons qu’ils constateront une amélioration à la suite de l’adoption de ce texte.
Je pense aussi aux préfets, acteurs essentiels en la matière, chargés d’exécuter les décisions de justice en apportant le concours de la force publique. Il s’agit de décisions forcément difficiles, mais nécessaires pour faire appliquer la loi dont nous souhaitons tous qu’elle soit plus efficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 5.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (n° 692, 2022-2023)
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, samedi 3 juin, à La Garenne-Colombes, une femme menacée d’expulsion s’est rendue devant la mairie. Ce n’était pas la première fois, mais cette fois-ci elle n’y demanda pas assistance. Désespérée, elle s’est aspergée d’essence. En situation de grande précarité, avec une dette locative élevée et trop peu de ressources pour y faire face, elle a mis fin à ses jours en s’immolant…
Cet exemple dramatique, même s’il n’est pas isolé, n’est pas le lot de toutes les situations de détresse rencontrées par nos concitoyens dans la précarité à qui l’on a asséné un commandement de quitter les lieux ou contre lesquels on a requis un concours de la force publique. Et heureusement, car ils sont 1,2 million en situation d’impayés, tous montants confondus. Je prends cet exemple, parce qu’il est significatif du désespoir engendré par de telles situations de pauvreté et du poids que ce texte peut ajouter sur des épaules déjà bien chargées par les dettes.
Véritable criminalisation de la pauvreté, cette proposition de loi ajoute de la dette à la dette en sanctionnant les impayés par des amendes pouvant aller jusqu’à 7 500 euros, les auteurs ayant même envisagé d’imposer des peines de prison à ceux qui se trouvent dans la misère locative.
Plusieurs d’entre nous pensent défendre ici les petits propriétaires, qui sont de plus en plus minoritaires,…
Mme Dominique Estrosi Sassone. Mais non !
M. Pascal Savoldelli. … puisque 3,5 % des ménages possèdent près de 68 % du parc privé ! Il y a des situations d’occupation de logement qui posent problème, il est vrai, mais elles ne seront réglées ni par une amende, ni par la force, ni par cette proposition de loi. Derrière un texte que vous avez intitulé « loi anti-squat » se dissimulent des mesures anti-locataires.
Le manque de logements accessibles avec des loyers adaptés aux revenus des ménages, le manque de logements tout court, avec un niveau de construction au plus bas depuis vingt ans, et, bien évidemment, le nombre insuffisant de places d’hébergement sont des éléments représentatifs du manque de moyens alloués à la politique du logement. Étant donné que près de 5,7 millions de personnes consacrent plus de 35 % de leurs revenus au logement, il paraît évident que seules la revalorisation des salaires et l’augmentation du pouvoir d’achat constitueraient une solution pérenne à la crise du logement.
Le délai anormalement long pour être reconnu prioritaire au titre de la loi Dalo ne fait qu’augmenter : il atteint dix ans – une décennie ! – à Paris et au moins trois ans en Île-de-France. Et pour beaucoup, partout, les délais sont souvent indéterminés et plus longs encore. Les hébergements sont toujours saturés, en nombre insuffisant et de mauvaise qualité.
Dans la rue, on ne vit pas, on survit, si on a de la chance. On est victime de violence, on est confronté à la solitude ou à l’isolement. Sans évoquer la situation des femmes à la rue, victimes de l’intersectionnalité de leur situation.
Les locataires endettés sont des êtres humains, des femmes, des hommes et même des enfants. Dans notre pays, les familles ne sont pas prioritaires pour un hébergement si leur enfant a plus de trois ans.
Comment ne pas penser au jeune Falou, âgé de 4 ans, et à sa maman. Passant d’hôtel en hôtel et de logement de secours en logement de secours pendant des mois, livrés à eux-mêmes et dépendants du fonctionnement aléatoire du 115. Cette situation ayant entraîné un retard de croissance inquiétant, le jeune Falou ne grandissait plus depuis ses 3 ans.
Mes chers collègues, alors que vous vous apprêtez à durcir les sanctions à l’encontre des locataires cherchant à se maintenir à l’abri, sachez que 611 personnes sans domicile sont mortes dans la rue l’an dernier ! Cette année, il y en a déjà plus d’une par jour, selon le collectif Les Morts de la rue. Sur la période 2012-2021, 126 personnes décédées étaient mineures ; en 2021, le plus jeune avait 1 mois ! Ceux-là ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? La convention relative aux droits de l’enfant, dont l’article 1er dispose que l’on est enfant jusqu’à 18 ans et l’article 27 réaffirme le droit à l’alimentation, à l’habillement et au logement pour tous les enfants, est pourtant très claire.
Certains d’entre eux sont des enfants sans toit, alors même qu’ils sont scolarisés, comme le jeune Falou, au groupe scolaire de l’Orme au Chat d’Ivry-sur-Seine. Je connais la stupeur de ses camarades de classe, des parents d’élèves et des enseignants confrontés à l’inaction. C’est pourquoi nous avons lutté tous ensemble, avec le collectif de parrainages civils de la ville, mais aussi, je le reconnais, avec la préfète du Val-de-Marne, qui a constaté avec nous l’imperfection des dispositifs d’hébergement d’urgence.
Dans la période que nous vivons – hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie sans hausse proportionnelle des salaires –, ce n’est pas le moment d’ajouter des punitions ni de se montrer plus sévère à l’encontre de celles et ceux qui n’y arrivent plus.
Pis, l’action mise en œuvre par le Gouvernement ces dernières semaines a eu pour seule conséquence de permettre une hausse des loyers de 3,5 %, à la suite d’une proposition de loi débattue la semaine dernière : nous l’avons rejetée, mais elle va revenir, avec l’aide de la majorité présidentielle, de la droite et de l’extrême droite, à l’Assemblée nationale. Comme si tout n’était pas déjà assez cher ! Comme si les APL n’avaient pas été les premières cibles de la politique du logement de M. Macron dès son premier quinquennat !
Le monde vers lequel vous nous conduisez prend déjà forme : quelque 330 000 personnes sont à la rue, près de 2,4 millions de ménages attendent un logement social, dont 100 000 dans mon département du Val-de-Marne, plus de 4 millions de personnes sont mal-logées et 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique.
Aux victimes de la bombe sociale provoquée par la crise du logement, vous répondez : « payez vos loyers ou vous payerez des amendes ».
Pourtant, notre droit protège ; et il doit d’abord protéger davantage celles et ceux qui en ont le plus besoin. Voilà notre rôle d’élus, de républicains convaincus !
Alors que les pouvoirs publics n’existent que pour favoriser la cohésion sociale, ils en sont aujourd’hui les destructeurs.
Une personne, qu’elle soit pauvre ou non, a droit à un toit. Elle a droit à un logement décent, quels que soient ses revenus. Et c’est d’ailleurs le problème de ce texte, qui tend à accentuer l’asymétrie de pouvoir entre les locataires et les propriétaires. Par cette proposition de loi, vous retirez des droits aux locataires, sans ajouter de devoirs aux propriétaires, comme si le marché réglait tout.
J’avais relevé en ce sens les propos du Président de la République qui déclarait, dans un élan de lucidité : « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » C’était le 12 mars 2020, au début de la pandémie de covid-19, mais les promesses du monde d’avant n’ont jamais vu le monde d’après…
Les essentiels, « que nos sociétés rémunèrent si mal », comme le Président ajoutait encore, comptent justement dans leurs rangs de nombreuses personnes prises à la gorge par le prix exorbitant de leur loyer, combiné à la faiblesse de leurs revenus et à la violence de certaines lois.
Vous vous rangez derrière le droit de propriété, c’est là votre seul argument – je viens de l’entendre de nouveau. Pourtant, ce droit n’est pas mis à mal, le propriétaire restant tout à fait propriétaire de son bien, qui doit demeurer différent de son domicile. Sur ce point aussi, la proposition de loi ajoute de la confusion en mettant sur le même plan les notions de propriété et de domicile. (M. François Bonhomme proteste.)
Je le dis avec force : le droit de propriété n’est jamais gagnant quand il s’appuie sur des fondements d’exclusion et d’inégalité d’accès. Je veux citer ici Eugène Varlin, figure de la Commune de Paris, qui disait très justement : « Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »
Que sont devenus le droit au logement, le droit à la dignité, le droit à vivre décemment ? Et nous allons déployer notre police et notre justice, pour punir les plus pauvres ?
Je veux vous rappeler les fondements de nos institutions. L’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, issue de la Révolution française, que nous célébrerons avec fierté dans un mois, garantit le droit à la vie privée. Cette vie-là ne peut exister dans la rue.
Comme nous le rappelait l’abbé Pierre, le logement est un droit, non un privilège. Les dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui ont valeur constitutionnelle et qui sont d’une très grande modernité, l’explicitent clairement. Le dixième alinéa dispose ainsi : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Le onzième alinéa est aussi très clair : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Que faisons-nous de ces valeurs constitutives de notre Nation ?
Ne perdez pas de vue l’idéal républicain et les valeurs qui ont fondé notre République, au prix de nombreuses luttes.
C’est aussi, et j’en termine ainsi, la demande formulée dans le courrier adressé à la France, le 30 mars dernier, par le rapporteur spécial de l’Organisation des Nations unies sur le logement convenable et par le rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et sur les droits de l’homme. La Défenseure des droits a aussi formulé une alerte, estimant que ce texte n’était ni nécessaire ni proportionné.
Vous n’êtes pas si sévère avec les marchands de sommeil – l’un d’entre nous a abordé ce sujet précédemment – dont l’activité est particulièrement lucrative. Vous me direz si je me trompe, monsieur le garde des sceaux, mais ils ne risquent au maximum qu’une amende de 15 000 euros, alors qu’ils profitent de la misère des gens. (M. le garde des sceaux le conteste.)
Les membres de mon groupe entendent ces nombreuses alertes unanimes. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons d’acter l’irrecevabilité de cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, contre la motion.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Elle permet, au contraire, d’assurer un équilibre entre le droit de propriété et le droit au respect de la vie privée, entre le principe d’inviolabilité du domicile et le droit au logement.
Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que le Conseil constitutionnel, le 24 mars dernier, a jugé conforme à la Constitution la procédure accélérée d’expulsion de l’article 38 de la loi Dalo, que la proposition de loi vise à renforcer.
Ce texte ne méconnaît donc aucun principe constitutionnel. Il est pragmatique et juste. Il a pour objet de rééquilibrer un arsenal juridique jusqu’alors favorable aux occupants. Je rappelle qu’actuellement un squatteur risque un an de prison et 15 000 euros d’amende, alors que le propriétaire qui change la serrure encourt une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. (M. François Bonhomme renchérit.)
Notre objectif est non pas de mettre plus en difficulté les personnes fragiles, mais de trouver des solutions durables pour tous. Il est intolérable de voir se multiplier les sites de promotion du squat. Nous devons être fermes et y mettre un terme.
Le squat est entouré d’un mythe politico-romantique qui cache une réalité plus sombre : la détresse de nombreux petits propriétaires, souvent sans recours.
Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera contre cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Mes chers collègues, sans surprise, la commission est défavorable à cette motion.
Son adoption irait à l’encontre de la position déjà exprimée par le Sénat en première lecture, au cours de laquelle nous avons soutenu ce texte, qui reprend très largement les propositions que nous avions déjà votées lors de l’examen de la proposition de loi de Dominique Estrosi Sassone, voilà près de trois ans.
Par ailleurs, la commission souscrit aux objectifs généraux fixés par les auteurs de ce texte, à savoir la lutte contre le squat d’abord, la sécurisation des rapports locatifs ensuite, la responsabilisation des locataires enfin. Je rappelle ce point très important, qui a déjà été mentionné plus tôt : le Sénat a substantiellement complété ce texte en ajoutant un nouveau chapitre tendant à renforcer l’accompagnement social des locataires confrontés à des difficultés. Nous pouvons donc considérer que cette proposition de loi est plutôt équilibrée.
Pour ce qui est des arguments des auteurs de la motion relatifs à l’éventuelle inconstitutionnalité du texte, je leur opposerai non seulement que le droit à la propriété privée est de longue date garanti par l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais aussi que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion, lors d’une question prioritaire de constitutionnalité de mars dernier, de se prononcer sur la procédure d’évacuation forcée, abordée dans la présente proposition de loi. Le Conseil a reconnu que le législateur pouvait légitimement « assurer l’évacuation à bref délai des domiciles illicitement occupés. Ce faisant, il a cherché à protéger le principe de l’inviolabilité du domicile, le droit au respect de la vie privée et le droit de propriété des occupants réguliers. »
Pour ces raisons, cher Pascal Savoldelli, la commission est défavorable à cette motion visant à opposer l’exception d’irrecevabilité.