M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Sans surprise, notre position est la même que celle de la commission.
Je préciserai un point tout de même, puisque vous m’y avez invité, monsieur le sénateur Savoldelli : les marchands de sommeil peuvent être punis de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende – et non de 15 000 euros, comme vous l’avez indiqué –, sans tenir compte d’un certain nombre de circonstances aggravantes.
J’ajoute qu’il est parfaitement possible de saisir l’immeuble concerné quand il sert à de tels hébergements indignes. De plus, grâce aux mécanismes que nous avons mis en place, nous pouvons réattribuer un immeuble, une fois qu’il a été saisi et confisqué, notamment à une association caritative, comme nous l’avons récemment fait à Dunkerque.
J’aurai un dernier mot pour Mme la sénatrice Lienemann. La phrase qui vous a tant choquée, je la reprends au mot près : la lutte contre le squat est indispensable – je pense que vous serez d’accord avec moi – ; c’est d’ailleurs l’une de mes priorités, car oui, la loi doit d’abord protéger les honnêtes gens.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et les autres aussi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je le confirme de nouveau ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite
Chapitre Ier
Mieux réprimer le squat
Article 1er A
(Non modifié)
Le titre Ier du livre III du code pénal est complété par un chapitre V ainsi rédigé :
« CHAPITRE V
« De l’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel
« Art. 315-1. – L’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
« Le maintien dans le local à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.
« Art. 315-2. – Le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois est puni de 7 500 euros d’amende.
« Le présent article n’est pas applicable lorsque l’occupant bénéficie des dispositions de l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, lorsque le juge de l’exécution est saisi sur le fondement de l’article L. 412-3 du même code, jusqu’à la décision rejetant la demande ou jusqu’à l’expiration des délais accordés par le juge à l’occupant, ou lorsque le logement appartient à un bailleur social ou à une personne morale de droit public. »
M. le président. L’amendement n° 20, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Dans le texte qui nous est transmis en deuxième lecture subsistent de nombreuses dispositions que nous avons tenté de retirer en première lecture. Les discussions ont alors été intenses, et les arguments avancés dans cet hémicycle, notamment pour durcir les sanctions contre les locataires en difficulté, étaient en complet décalage avec la réalité du terrain.
Les sanctions prévues à cet article incluaient même à l’origine des peines de prison contre les locataires qui connaissaient des impayés de loyers et qui ne quittaient pas leur logement après un jugement d’expulsion…
M. André Reichardt, rapporteur. Ce n’est plus le cas !
Mme Marie-Claude Varaillas. Quand on connaît la situation de ces familles en détresse, sur lesquelles planent souvent d’autres menaces que les seules dettes locatives, cela constituait déjà une offense à l’égard de nos concitoyens. La prison était démesurée, et nous avons obtenu sa suppression. Reste que l’amende proposée paraît complètement hors-sol, à l’image de ce texte qui généralise des mesures à partir de faits divers déconnectés du réel.
Il y aurait donc, dans notre pays, des personnes capables de payer 7 500 euros d’amende, mais qui n’auraient pu s’acquitter de leur loyer ! Certes, les loyers sont de plus en plus élevés, mais, si des personnes n’arrivent pas à verser un loyer mensuel de 1 000 euros pour un deux-pièces à Paris – voilà la réalité de votre politique du laisser-faire, messieurs les ministres –, croyez-vous qu’elles pourront payer les amendes ? Certainement pas !
Je le redis, notre pays ne manque pas de fermeté à l’égard des locataires les plus pauvres : il manque surtout de logements accessibles, de places d’hébergement et d’une hausse des salaires permettant à chacun de payer facilement son loyer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. L’objet de cet amendement est contraire à la position exprimée par le Sénat en première lecture et confirmée par la commission lors de ses travaux en deuxième lecture.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si je suis contre cet article, donc favorable à sa suppression, c’est parce qu’une autre solution existe.
On cherche à nous faire passer pour des gens qui considèrent que les propriétaires n’ont pas à percevoir leurs loyers, ni à retrouver le logement en bon état à la fin du bail. Or nous estimons seulement que les dispositions prévues à cette fin déséquilibrent le rapport entre le bailleur et le locataire, au détriment de ce dernier lorsqu’il est en difficulté.
La solution passerait par la garantie universelle des loyers (GUL), c’est-à-dire par la mutualisation des risques. D’ailleurs, on le constate, les risques d’impayés sont tellement importants qu’il devient nécessaire de mettre en place des garanties – je ne parle même pas des aides personnelles au logement. La GUL permettrait de garantir à la fois le locataire de bonne foi qui ne pourrait payer son loyer et le propriétaire, puisque celui-ci toucherait tout de suite son loyer.
Par ailleurs, le gestionnaire de la GUL pourrait se retourner contre les locataires de mauvaise foi, qui sont d’ailleurs rarement les plus pauvres.
Ce système a été voté dans le cadre de la loi Alur. Pourtant, on ne veut plus parler de ce système de mutualisation des risques à un moment où ces derniers ne font que croître.
Monsieur Patriat, je vous le rappelle, la critique sur le déséquilibre entre locataires et propriétaires a déjà été émise lorsque la gauche a fait voter en 1982 la loi relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs, dite loi Quilliot. C’est toujours la même chose : on finit toujours par nous dire que les avancées permises par la gauche ne sont ni légitimes ni sources de progrès ! Hélas, ce que vous proposez est un recul.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 22, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne vais pas vous étonner : il y a une cohérence entre nos arguments en faveur de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité et ceux que nous développons pour demander la suppression de cet article.
En effet, la mesure prévue ici constitue une dérive déjà présente en première lecture. Tout le monde l’a bien compris, les procédures d’expulsion des locaux ne pouvant être considérés comme des domiciles principaux seront accélérées. Pour notre part, nous considérons qu’il n’y a pas d’urgence à libérer un espace inutilisé ou vacant.
Ainsi, on va déployer des forces de police dont les effectifs sont souvent insuffisants dans nos communes pour remettre à la rue des personnes qui se retrouveront par conséquent dans une situation d’insécurité.
Je ne développerai pas d’autres éléments pour étayer mon point de vue. La suite de nos travaux, notamment l’examen de la prochaine loi de finances, montrera quels projets soutiennent les différentes sensibilités politiques de cet hémicycle : nous verrons alors qui encourage le développement de moyens à destination des différents types d’hébergements pour éviter ces situations.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
de deux ans d’emprisonnement et de 30 000
par les mots :
d’un an d’emprisonnement et de 15 000
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet article sanctionne de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende l’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel.
Si nous estimons que cette mesure est démesurée, régressive et intransigeante, c’est tout d’abord parce que cet article confond la propriété et le domicile. Il s’agit pourtant d’une distinction essentielle, car il n’est pas aussi grave de s’introduire dans un hangar que dans un domicile. Nous ne sommes pas opposés à la protection des deux, mais nous souhaitons que perdure, au minimum, la gradation de la protection issue de cette distinction.
Cet article présente une autre particularité, la création d’une peine de prison. Nous l’avons vu lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027, la semaine dernière, l’inflation pénale crée, de fait, de plus en plus de comportements illégaux et répréhensibles, lesquels se traduisent par une criminalisation et une pénalisation accrues, c’est-à-dire une incarcération des délinquants, qui sont très souvent des primodélinquants, ainsi qu’une amplification et une aggravation du phénomène de surpopulation carcérale. (M. François Bonhomme s’exclame.)
Qui plus est, les auteurs de ce texte veulent porter la peine prononcée pour l’intrusion de propriété, même inexploitée, au même niveau que le recel de cadavres !
C’est pourquoi nous demandons non pas la suppression complète de cet article, mais l’ajustement de la peine au délit. Un allégement de la peine à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende nous semble déjà plus que largement dissuasif, d’autant que l’ONU alerte le Gouvernement, rappelle que la France doit respecter ses engagements internationaux et souligne que cette proposition de loi empiète sur certaines libertés.
Les rapporteurs de l’ONU nous alertent aussi sur l’extrême pauvreté et les droits humains en matière de logement convenable. Ils font également part de leur inquiétude sur cet article.
Nous devrions donc poursuivre notre réflexion, pour trouver une sanction allégée et adaptée.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 1 rectifié ter est présenté par Mme Noël, MM. Panunzi, Cadec et Bascher, Mme Garriaud-Maylam, MM. Regnard et Calvet, Mmes Procaccia et Pluchet, M. Mandelli, Mme Muller-Bronn, MM. Houpert, D. Laurent, Pellevat, Bouchet, B. Fournier, Meurant et Cambon, Mmes Belrhiti, Petrus et Goy-Chavent, MM. Saury, E. Blanc, C. Vial, Gremillet, Duplomb et Klinger et Mme Chauvin.
L’amendement n° 4 rectifié ter est présenté par Mmes V. Boyer et Di Folco, MM. Perrin et Rietmann, Mmes Lopez et Thomas, MM. Bacci, Anglars, Tabarot, de Nicolaÿ et Savary, Mme Lassarade, M. Genet, Mme Bellurot et M. J.B. Blanc.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’interdiction du territoire français peut être prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-30, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable de l’infraction prévue au présent article.
La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour présenter l’amendement n° 1er rectifié ter.
Mme Laurence Muller-Bronn. Cet amendement vise à permettre à l’autorité judiciaire de prononcer une interdiction du territoire français dans les conditions prévues par l’article 131-30 du code pénal, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger qui aurait commis le délit prévu à l’article 315-1 du même code.
Le but du texte que nous examinons est de durcir la peine prévue à l’article 315-1 pour lutter contre l’occupation illicite des logements. C’est également l’objet de cet amendement.
Il convient de rappeler que le respect de la loi pénale est le minimum pour toute personne vivant sur le territoire français. Aussi, un étranger qui méconnaît ces dispositions doit se voir prononcer une peine d’interdiction du territoire français, et ce d’autant que cette proposition de loi a pour conséquence un durcissement de la peine encourue.
Bien sûr, cet amendement n’a pas pour objet de renvoyer tous les étrangers coupables de ce délit. Il vise simplement à laisser une marge de manœuvre plus importante à l’autorité judiciaire pour prononcer cette peine. Cette institution, « gardienne de la liberté individuelle » conformément à l’article 66 de la Constitution, assurera cette nouvelle possibilité dans le seul cadre légal prévu par le code pénal et appréciera chaque situation pour permettre de répondre aux exigences demandées par l’État de droit.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié ter.
Mme Valérie Boyer. Il vient d’être parfaitement défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. D’une part, au risque de me répéter, je rappelle que la rédaction de l’article 1er A nous semble constituer un équilibre entre les positions exprimées par l’Assemblée nationale et par le Sénat. C’est pourquoi la commission souhaite son adoption conforme.
En particulier, l’amendement n° 22, qui est un amendement de suppression, est contraire à la position du Sénat en première lecture, qui a été confirmée par les travaux de la commission en deuxième lecture.
D’autre part, l’adoption des amendements identiques nos 1 rectifié ter et 4 rectifié ter, dans leur rédaction actuelle, autoriserait le juge à prononcer une interdiction de territoire définitive pour les personnes étrangères condamnées pour squat, ce qui semble non seulement disproportionné, mais aussi contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au droit à la vie privée et familiale.
Qui plus est, l’article 226-4 du code pénal, qui sanctionne le squat du domicile, ne prévoit pas de peine d’interdiction du territoire. Il serait donc excessif d’instaurer une peine d’interdiction du territoire pour le squat des locaux à usage économique, alors que celle-ci n’est pas prévue pour le squat du domicile, qui est pourtant bien plus grave en termes de conséquences pour la vie privée de nos concitoyens.
Enfin, en ce qui concerne l’amendement n° 9, les peines encourues pour squat d’un local à usage d’habitation ou pour squat d’un local à usage économique ont déjà été abaissées par le Sénat en première lecture – le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, je le rappelle, prévoyait une peine de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende pour le squat des locaux à usage d’habitation et des locaux à usage économique, soit une peine identique à celle que l’article 1er prévoit pour le squat du domicile. La commission considère qu’il convient d’en rester au compromis trouvé pour maintenir l’effet dissuasif recherché.
J’émets donc un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement est tout à fait hostile à l’amendement n° 22. Point n’est besoin d’épiloguer !
Monsieur le sénateur Benarroche, je note avec grand intérêt que vous n’êtes pas contre le principe de l’emprisonnement, puisque, au travers de cet amendement, vous prévoyez une sanction d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Vous auriez pourtant pu proposer un travail d’intérêt général (TIG) ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Guy Benarroche sourit.)
Enfin, les auteurs des amendements identiques nos 1 rectifié ter et 4 rectifié ter y vont fort, si vous me permettez cette familiarité ! Un étranger qui entre dans un domicile ne risque pas d’être expulsé, alors qu’il risque de l’être s’il dort dans un hangar. Au fond, ces amendements tendent à inciter les étrangers à squatter un domicile plutôt que le hangar qui le jouxte…
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements identiques, dont l’objet est à bien des égards excessif.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Je voudrais simplement citer un certain nombre d’affaires qui ont beaucoup marqué nos concitoyens.
Le 10 mai 2022, cent quatre squatteurs étrangers ont été évacués de trente-quatre logements dans trois bâtiments différents de la cité Kallisté à Marseille.
Le 6 juin 2022, une personne de nationalité marocaine prétendument mineure et deux personnes algériennes ont squatté et dégradé une maison à Vienne, agressant le propriétaire à son retour.
Le 26 octobre 2022, à Bègles, onze personnes algériennes déboutées du droit d’asile sont expulsées d’un squat par le préfet.
Le 27 janvier 2023, dans le Val-de-Marne, un Tunisien sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) a été interpellé par la police dans un logement, causant des dégradations dont les réparations s’élèveraient à plusieurs milliers d’euros. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Mme Valérie Boyer. Eu égard à ces différentes situations d’occupations illicites – je n’en ai cité que quelques exemples, il y en a malheureusement plus –, il est logique que nous, représentants du peuple français, représentants des communes, nous fassions ce qui est en notre pouvoir pour mieux protéger nos concitoyens. Nous ne sommes pas seulement face à des faits divers : nous sommes face à de véritables faits de société et à des drames ! (M. le garde des sceaux proteste.)
Aussi, ces amendements identiques ont pour objet de permettre à l’autorité judiciaire de prononcer une interdiction du territoire français, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger qui aurait commis l’infraction prévue à l’article 1er A.
L’autorité judiciaire conserve une marge de manœuvre : il ne s’agit pas d’instaurer une peine automatique, ni forcément définitive ! La disposition proposée reste conforme à l’article 131-30 du code pénal, aux termes duquel, « lorsqu’elle est prévue par la loi, la peine d’interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit ».
Le respect de la loi pénale est le minimum pour toute personne vivant sur le territoire français. Celui qui méconnaît ces dispositions doit se voir prononcer une peine d’interdiction du territoire français, d’autant que cette proposition de loi a pour conséquence un durcissement de la peine encourue.
M. le président. Vous avez suffisamment expliqué votre vote, ma chère collègue !
Mme Valérie Boyer. Je tenais à insister sur l’objet de cet amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je reconnais bien là votre habileté, monsieur le garde des sceaux… (Sourires.)
J’en appelle maintenant à votre finesse de raisonnement. Au Sénat, nous adoptons des amendements à des textes, et j’ai bien entendu voté l’amendement du groupe CRCE visant l’abrogation totale de cet article.
Ce que nous votons a un effet sur les gens de la vraie vie. Ainsi, ceux qui ne pourront plus payer leur loyer et devront quitter leur domicile pour chercher à se loger ailleurs souffriront. Ils se heurteront au délit d’introduction.
Monsieur le garde des sceaux, il va de soi que je préférais qu’ils ne soient pas condamnés à des peines de prison. Reste que, si le juge peut les condamner à un an de prison et à 15 000 euros d’amende, c’est déjà mieux que deux ans de prison et 30 000 euros d’amende ! Je pense que nous pourrons partager ce constat, ce qui ne signifie pas que je sois favorable aux peines de prison.
J’ajoute, monsieur le garde des sceaux, que c’est à nous de faire en sorte que le condamné fasse des travaux d’intérêt général et ne soit pas incarcéré. Car à force de condamner les gens à des peines d’emprisonnement, vous aurez beau construire des établissements pénitentiaires, cela ne suffira pas !
Madame Valérie Boyer, je ne reviendrai pas sur les OQTF et les exemples que vous avez pris. Mais je pourrais vous citer autant d’exemples de situations dangereuses ou terribles de gens qui, étrangers ou pas, meurent parce qu’ils ne peuvent pas avoir accès à un logement et s’installent alors dans des locaux inoccupés pour survivre, y compris à Marseille.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je comprends que vous soyez titillé par mon propos, qui se voulait aimable, monsieur Benarroche. À tout péché miséricorde… (Sourires.)
Madame Boyer, il n’était pas nécessaire de nous égrener la liste des étrangers – Tunisiens, Marocains… – qui se sont mal tenus. C’est d’ailleurs une liste assez courte ! (Mme Valérie Boyer le conteste.)
Je me suis placé sur un terrain purement logique. Comment défendre un amendement qui vise à prévoir l’expulsion pour un étranger qui dormirait dans un hangar ou sur un terrain à la belle étoile, alors que celui qui s’introduirait dans un domicile ne risquerait pas une telle peine ? C’est tout ce que j’ai dit.
Au fond, vous auriez pu me dire que j’avais raison. Vous n’avez pas souhaité le faire. Il est inutile de polémiquer plus avant.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié ter et 4 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 6 est présenté par M. Bouad, Mme Artigalas, M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Kanner, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 23 est présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 6 et 7
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Denis Bouad, pour présenter l’amendement n° 6.
M. Denis Bouad. Il est particulièrement inquiétant que soit envisagée la pénalisation des personnes ayant occupé un lieu d’habitation alors qu’elles rencontraient des difficultés dans le paiement de leur loyer.
L’introduction d’une amende de 7 500 euros en pareille situation est véritablement disproportionnée. On voit d’ailleurs mal comment un propriétaire qui réclame des impayés sera aidé par l’accroissement de la dette de son locataire…
En vérité, avec cette mesure, le Gouvernement n’a qu’un seul objectif : accroître la pression sur les familles pour qu’elles partent d’elles-mêmes, évitant ainsi à l’État de trouver lui-même des solutions de relogement avant une expulsion manu militari. Voilà donc la réponse de la majorité gouvernementale à la crise du logement et aux milliers de gens qui éprouvent de grandes difficultés pour se maintenir dans leur logement.
Ce texte n’est ni juste ni équilibré. C’est pourquoi le groupe SER demande que cette sanction pénale soit retirée de la proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 23.
M. Pascal Savoldelli. Il est défendu, monsieur le président. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Bravo !
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer le montant :
7 500
par le montant :
3 250
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le garde des sceaux, je rappelle que, en première lecture, le Sénat a voté la suppression de la peine de prison qui était prévue à cet article – je répète à cette occasion que je ne suis évidemment pas partisan des peines de prison –, suppression qui a été conservée par l’Assemblée nationale, et c’est tant mieux.
Nous demandons maintenant que le montant de l’amende, aujourd’hui fixé à 7 500 euros, soit réduit de moitié et ramené à 3 250 euros. En effet, nous estimons que le maintien dans un local désaffecté ou dans un local habité n’a pas la même gravité et que, une fois de plus, cette proposition de loi confond domicile et propriété.
Le montant de l’amende paraît en outre disproportionné. Condamner des personnes en grande difficulté financière à une amende représentant à peu près douze fois le revenu de solidarité active (RSA) est totalement incohérent. C’est d’ailleurs le cas aussi pour le propriétaire qui est censé récupérer les loyers impayés, puisque l’amende est telle qu’elle empêchera les locataires, dont le porte-monnaie n’est pas extensible, de verser ce qu’ils doivent aux propriétaires. Une telle mesure ne leur permettra donc pas de régulariser leur situation. Au contraire, elle aggravera leur précarité.
Qui plus est, sauf erreur, cette amende est cumulative avec la peine déjà très lourde de l’introduction illicite dans un domicile ou une propriété. Ainsi, le cumul de ces deux peines est suffisamment dissuasif, même en ramenant le montant de l’amende à 3 250 euros, pour que l’on s’en tienne là.
Si quelques affaires de squat ont fait les gros titres et permis de légitimer auprès de l’opinion publique la mise en place de cette proposition de loi, la réalité est que ce texte s’attaque aux ménages les plus vulnérables et aura pour conséquence d’empiéter sur leurs droits. En d’autres termes et pour le dire sans ambages, il ne ressemble pas à un élan de solidarité de la part des députés Renaissance !
Cet article fait primer la propriété immobilière sur la nécessité pour un individu de disposer d’un logement. Je ne rappelle pas la position des rapporteurs de l’ONU à cet égard, sinon qu’« il faut donner la priorité voulue aux groupes sociaux vivant dans une condition défavorable en leur accordant une attention particulière ». C’est tout ce que nous voulons faire.