Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Lucien Stanzione. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le temps est venu de répondre à une réalité dérangeante en reconnaissant l’histoire tragique liée à nos musées et collections publiques. Ainsi, cette proposition de loi représente une avancée significative dans le traitement des demandes de restitution de restes humains en offrant un cadre clair et transparent tout en favorisant le dialogue scientifique et culturel avec les pays demandeurs.
Trophées de guerre, vols, pillages et profanations de sépulture : certaines pièces de nos musées ont été collectées dans des circonstances inacceptables et incompatibles avec le principe de respect dû à la dignité de chaque individu. Tel un écho du passé, ces vestiges silencieux nous rappellent l’histoire tourmentée de l’humanité.
Leur présence entre nos mains nous oblige à réfléchir profondément à la signification de la dignité humaine, à la compassion et au respect que nous devons à ces individus du passé. Il est temps de rétablir l’équilibre, de réparer les blessures de l’Histoire et d’honorer la mémoire de ceux qui ont été privés de leur droit fondamental à la dignité, même après leur mort.
Cette proposition de loi, fruit d’une initiative sénatoriale transpartisane, est un premier pas crucial. En visant à autoriser le déclassement des restes humains de moins de 500 ans présents dans les collections publiques, elle représente une lueur d’espoir pour les peuples et pour les nations qui cherchent à récupérer ces témoignages du passé.
La mise en place d’un dispositif-cadre dans le code du patrimoine offre ainsi une vision globale et cohérente de la restitution des restes humains. Nous ne serons plus confrontés à des décisions fragmentées et ad hoc, et nous pourrons gérer efficacement les futurs cas de déclassement et de restitution tout en préservant la dignité de chaque individu concerné.
Pourtant, allons plus loin. Pour mener à bien cette mission de justice, nous devons faire preuve de rigueur et d’impartialité. C’est pourquoi la proposition de loi tend à la création d’un comité scientifique composé de représentants des deux États concernés ainsi que des institutions détenant les restes en question. Ensemble, ils évalueront de manière précise les demandes de déclassement et de restitution en tenant compte des aspects humains, éthiques et scientifiques. Cette approche collaborative et pluridisciplinaire garantira que chaque décision soit éclairée et respectueuse des individus dont les restes sont en jeu.
Je salue les ajouts de la commission qui renforcent la validité scientifique des demandes de restitution. En effet, un amendement a été adopté pour empêcher la sortie des pièces avant la remise du rapport du comité mixte.
Néanmoins, nous estimons que des mesures complémentaires sont nécessaires. La commission demande donc au Gouvernement de fournir des ressources pour approfondir les recherches sur les collections. La documentation sur les restes humains est primordiale pour les restitutions et pour le respect de la dignité humaine.
Ce texte constitue une première étape pour les restitutions, mais n’aborde pas les restes d’origine française. Un amendement vise de ce fait à prévoir un délai d’un an pour trouver une solution pérenne pour les restes ultramarins conservés dans les collections publiques.
Chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous comblerons une lacune juridique majeure, réparant les brèches de notre histoire. Tout comme nous avons fait face à notre passé en adoptant la loi relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, spoliés entre 1933 et 1945, nous prouvons aujourd’hui notre engagement dans l’établissement d’une justice historique.
Toutefois, nous ne devons pas nous arrêter là. Une loi-cadre sur la restitution des biens mal acquis détenus dans les collections françaises doit suivre, témoignant de notre volonté inébranlable de faire face à notre histoire avec courage, honnêteté et responsabilité.
En défendant cette proposition de loi et les amendements qui l’accompagnent, nous affirmons haut et fort notre volonté de promouvoir la justice dans la gestion des biens historiques et culturels. Ainsi, je vous appelle à soutenir pleinement cette proposition de loi et à voter en sa faveur. Nous avons l’occasion de rendre hommage à ceux qui ont été oubliés, d’accorder une voix à ceux qui ont été réduits au silence et d’écrire un nouveau chapitre de notre histoire où la compassion et la justice prévalent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et au banc des commissions. – MM. Pierre Ouzoulias, Julien Bargeton et Thomas Dossus applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, madame l’ambassadrice, mes chers collègues, la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain a introduit dans le code civil un nouvel article 16-1 ainsi rédigé : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. »
Il a été complété par la loi du 19 décembre 2008 : l’article 16-1-1 dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence ». Nous devons à notre collègue le questeur Jean-Pierre Sueur cet ajout important. Sa proposition de loi déposée en 2005 fut une contribution majeure à la législation funéraire et à la définition du statut juridique de la dépouille mortelle.
En une dizaine d’années, la loi a considérablement évolué sous l’influence de réflexions éthiques qui sont devenues prépondérantes. Le corps humain post mortem est devenu un objet de droit particulier : il ne peut être possédé et doit être traité avec dignité.
Les collections publiques renferment des milliers de restes humains collectés en France métropolitaine, dans les territoires de ses anciennes colonies ou dans les pays étrangers. Leur traitement ne pouvait continuer à ignorer les évolutions éthiques et législatives qui ont conduit à la modification de notre code civil.
Ces vestiges humains ont été intégrés aux collections publiques à la suite de processus historiques, politiques et muséographiques extrêmement complexes. Permettez-moi de présenter deux exemples.
Le crâne de René Descartes, actuellement conservé au musée de l’Homme, fut acheté lors d’une vente par le chimiste suédois Berzelius, qui le remit à Cuvier en 1821. Les os ont été déposés dans une chapelle de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. On doit sans doute cette disjonction du « chef » du philosophe à l’indélicatesse du capitaine des gardes chargé de la première exhumation du corps avant 1767. Est-il justifié que le squelette de Descartes repose pour l’heure dans deux lieux différents ?
J’aimerais ensuite évoquer le destin d’un autre pensionnaire du musée de l’Homme, celui de l’assassin du général Kléber en 1800, au Caire, Soleyman el-Halabi. Empalé, il mourut dans d’atroces souffrances. Son squelette fut montré pendant de nombreuses années. Cette exposition prolongeait en quelque sorte son supplice public. Reconnaissons que cette monstration avait quelque chose de monstrueux.
Il m’est agréable de souligner que c’est au Sénat, en la personne de notre collègue Catherine Morin-Desailly, que s’imposa l’idée que nous ne pouvions plus traiter les restes humains du passé avec l’indignité que nous refusons désormais aux morts du présent. Son action en faveur de la restitution des têtes maories a été exemplaire et décisive. Une méthode a été alors mise en œuvre et elle inspire aujourd’hui la présente proposition de loi.
Permettez-moi de résumer les trois principes sur lesquels elle repose : la demande doit être instruite d’État à État ; elle doit être fondée sur un travail scientifique transparent et collégial ; et les vestiges restitués sont destinés à recevoir un traitement funéraire.
Ces principes avaient été énoncés, en 2010, par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé dans un avis consacré aux problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale. Il est regrettable que les institutions muséales aient tant tardé à s’en inspirer.
Gérer les collections publiques ne peut se faire sans réflexion éthique. En 2005, MM. Collinet et Metzger ont rendu au ministre de la culture et de la communication de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres, un rapport dans lequel ils préconisaient la création d’un comité d’éthique consultatif et indépendant rattaché directement au ministre.
Après la suppression de la Commission scientifique nationale des collections, une instance de ce type pourrait sans doute assurer une réflexion pérenne sur la gestion des restes humains par les services patrimoniaux.
Dans le même rapport, il était recommandé de mettre en œuvre un plan ambitieux de récolement des collections. Près de vingt ans plus tard, il manque toujours un inventaire précis de tous les restes humains conservés dans les collections publiques. La Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art a compétence pour s’assurer de la mise en œuvre de l’obligation du récolement décennal prévu par l’article L. 451-2 du code du patrimoine. En élargissant quelque peu ses missions, il serait peut-être judicieux de lui confier une mission de contrôle et de coordination de l’inventaire des restes humains conservés dans les collections publiques.
La loi votée, il restera, madame la ministre, un grand chantier afin que votre ministère mette en œuvre tous ces principes. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lorsqu’on explique à l’extérieur ce que l’on fait dans cet hémicycle, il est des sujets qui interpellent plus que d’autres.
Je ne sais, mes chers collègues, si vous avez fait l’expérience d’expliquer que vous alliez légiférer sur la restitution de restes humains… Auprès d’un auditoire profane, le succès, je peux vous l’assurer, est garanti. (Sourires.)
Il s’agit pourtant là d’un sujet concret qui n’a rien d’anecdotique, puisque nos collections publiques, qu’elles appartiennent à l’État ou aux collectivités locales, regorgeraient de restes humains : des squelettes, des têtes, des membres accumulés au fil de l’Histoire pour de multiples raisons.
C’est aussi un sujet à résonance géopolitique, puisque certains de ces restes humains sont d’origine étrangère et sont réclamés par des pays tiers ou des peuples. C’est le cas par exemple, en ce moment, pour l’Australie concernant des restes humains aborigènes.
Cette réalité géopolitique vient à son tour soulever un problème et un enjeu juridique. En effet, les restes humains conservés dans les collections publiques sont protégés par le principe d’inaliénabilité du domaine public.
C’est exactement la même problématique que celle de la restitution des biens juifs spoliés sous le nazisme, sujet sur lequel nous avons légiféré voilà peu de temps.
Toutefois, la situation des restes humains semble encore plus délicate juridiquement, dans la mesure où la procédure de déclassement n’est pas appropriée pour les faire sortir du domaine public aux fins de restitution.
Car l’article R. 115-1 du code du patrimoine interdit le déclassement du domaine public des biens qui n’ont pas perdu leur intérêt public. Ainsi, nous nous retrouvons toujours face à la nécessité de recourir à la loi pour effectuer de telles restitutions, ce qui, in fine, soulève une question de nature mémorielle et philosophique.
Car déterminer les conditions de restitution de restes humains appartenant à des collections publiques interroge notre rapport à la mort, à la mémoire, et même à l’humanité.
Le groupe Union Centriste, que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui, a été moteur pour bousculer les lignes sur cette question et faire avancer notre pays.
Ainsi, les deux premières lois de restitution de restes humains votées en France l’ont été sur l’initiative de membres de ce groupe. Nicolas About fut à l’origine la loi du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman – la fameuse « Vénus hottentote » – à l’Afrique du Sud. En 2010, Catherine Morin-Desailly parvint à faire adopter la loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.
Ces lois d’espèce ont eu une importance historique. Toutefois, face à l’afflux de demandes, on ne peut pas s’en tenir aux lois d’espèce.
Il fallait donc établir une procédure générale permettant de restituer les restes humains sans mobiliser à chaque fois le Parlement. C’est bien ce que clame notre commission de la culture depuis des années. Avec le présent texte, elle sera enfin entendue. Je ne peux que saluer sa détermination, d’autant que la proposition de loi que nous allons voter a bénéficié de l’ensemble des réflexions et travaux menés sur le sujet depuis plus de dix ans.
Je pense aux travaux de la Commission scientifique nationale des collections menés à la suite de la loi de restitution des têtes maories, relayée par un groupe de travail pluridisciplinaire mis en place par le ministère de la culture et le ministère de l’enseignement supérieur.
Ces derniers ont permis de définir les critères de restitution que nous nous apprêtons à faire entrer dans la loi et qui devront être constatés par un décret en Conseil d’État du Premier ministre.
Le champ du texte est restreint aux seuls restes humains identifiés d’origine étrangère. La restitution ne pourra être accordée qu’à des fins funéraires. La procédure est claire et les critères sont précis. C’est ce qu’il fallait faire !
Le texte ouvre enfin sur une dernière question qu’il faudra trancher, à savoir la restitution des restes humains ultramarins.
Fidèle à son implication dans ce combat, le groupe Union Centriste veillera à ce qu’un dispositif ad hoc puisse voir le jour.
En attendant, nous voterons bien sûr ce texte des deux mains, en remerciant et félicitant Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias de l’avoir porté sur les fonts baptismaux. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, madame l’ambassadrice, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler l’avis 111, énoncé en 2010, du Comité consultatif national d’éthique : « La conservation des vestiges humains ne saurait constituer un but en soi, a fortiori lorsqu’elle blesse l’identité des peuples dont ils sont issus. »
Le code civil nous rappelle que les restes humains des collections publiques ne peuvent pas être traités comme des biens ordinaires. Pierre Ouzoulias vient de le rappeler, « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » et « les restes humains doivent être traités avec respect, dignité et décence ».
Le code du patrimoine les considère comme des biens publics inaliénables et imprescriptibles. Les principes d’inaliénabilité et d’intérêt public compliquent ainsi la procédure de déclassement. À ce jour, seule l’intervention du législateur permet de sortir de l’impasse. Ces dispositions restrictives font obstacle aux demandes de restitution, alors même qu’un large consensus se dégage autour de la nécessité de les rendre possibles.
En 2022, le Sénat a pourtant adopté l’article 2 d’une proposition de loi définissant un cadre général de sortie. Nous pouvons regretter, madame la ministre, qu’elle soit encore dans les tiroirs du Gouvernement et de l’Assemblée nationale.
Le Sénat n’a pas été le seul à évoluer sur ce sujet. Dès 1986, le code de déontologie du Conseil international des musées, reconnu par l’Unesco, a qualifié ces restes humains comme faisant partie des collections sensibles. Par ce faire, il les a exclus des collections classiques.
En 2007, l’ONU a adopté une résolution inscrivant un droit au rapatriement des restes humains.
En 2010, lors des débats sur la restitution des têtes momifiées maories, le législateur avait mené une réflexion sur les voies possibles pour permettre les restitutions sans élaborer des lois spécifiques.
En 2018, un rapport d’enquête a été remis à deux ministères. Il dressait l’inventaire de 150 000 restes humains conservés dans 249 musées de France et 23 universités.
En décembre 2020, la commission de la culture appelait de ses vœux l’adoption d’une disposition législative générale pour faciliter la restitution de restes humains à des pays tiers.
Ces nombreux travaux soulignent la nécessité de cette proposition de loi. À cet égard, je salue la persévérance de Catherine Morin-Desailly. En adoptant ce texte, nous fixons un cadre juridique général attendu depuis longtemps.
Ce texte est en cohérence avec la récente adoption d’un projet de loi-cadre relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.
Il s’inscrit en phase avec notre tradition de restitution. En effet, la France a toujours restitué les restes humains demandés.
En s’appuyant sur les progrès de la médecine et des connaissances sur l’évolution de l’humanité, cette proposition de loi prépare les prochaines demandes de restitutions. Je pense au groupe de travail sur l’Australie, madame l’ambassadrice. En cela, elle participe à l’amélioration constante de nos relations diplomatiques.
Surtout, si un bien culturel n’est pas un bien ordinaire, les restes humains ne sont pas des biens culturels ordinaires.
Au moment où notre société débat de la notion de fin de vie, nous pouvons prolonger notre réflexion au-delà du trépas et considérer les restes humains avec toute la singularité et le respect qu’ils inspirent.
Cette proposition de loi nous y invite ; c’est la raison pour laquelle nous la soutenons. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains.
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, madame l’ambassadrice, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai eu l’honneur de rédiger avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias a été adoptée à l’unanimité par notre commission ; elle marque l’aboutissement des travaux conduits par le Sénat sur la question particulière des restes humains.
Au-delà, et sur l’ensemble du sujet des restitutions, comme l’a souligné Catherine Morin-Desailly, qui porte depuis longtemps, avec constance et expertise, cette question au Sénat, notre pays a besoin d’affirmer une position claire et de se doter d’un cadre partagé pour répondre aux demandes de restitution en toute transparence.
Car le sujet est complexe et sensible. La sortie de ces biens met en jeu le principe d’inaliénabilité de nos collections et la vocation universaliste de nos musées.
Pour ce qui est en jeu aujourd’hui, les enjeux sont plus simples. Les restes humains ne sont pas des biens ordinaires. Leur restitution se justifie en vertu de principes qui sont non pas d’ordre patrimonial, mais liés au respect de la dignité des personnes et à la considération des cultures et des croyances d’autres peuples.
La France a d’ailleurs déjà accepté le retour de restes humains sur la terre de leurs ancêtres par la voie législative, sur l’initiative du Sénat. À cet égard, je veux de nouveau saluer le travail de Catherine Morin-Desailly.
Cependant, depuis lors, d’autres voies ont, hélas, été empruntées, au mépris du rôle du Parlement. Ce fut ainsi le cas de la remise de crânes à l’Algérie en juillet 2020, en dehors de tout cadre légal. Certes, une telle restitution correspondait à une forte attente, mais on ne peut laisser prospérer des décisions fondées sur le seul « fait du prince ».
Aussi avons-nous voulu, lors de notre mission d’information de 2020, et pour l’ensemble des restitutions, fixer un cadre permettant de vérifier si la sortie du domaine public est bien justifiée et d’échapper à un traitement législatif au cas par cas.
À la suite de ces travaux, notre proposition de loi est restée lettre morte, madame la ministre, en raison du peu d’intérêt que lui a porté votre prédécesseur, qui rejetait l’idée même d’un conseil national de réflexion.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la ligne était coupée entre le travail de fond du Sénat et une approche libérée de tout éclairage scientifique, qui était alors le choix de l’exécutif.
Nous tenions en effet à ce qu’une instance constituée de spécialistes intervienne, afin de porter une analyse objective, hors de toute passion, sur l’origine de l’œuvre, son itinéraire, les conditions de son entrée dans les collections publiques. Force est de constater que nous avons été éconduits. Les temps ont changé. Fort heureusement pour le texte que nous vous proposons, un comité scientifique, accepté par le Gouvernement, sera bien chargé d’identifier les restes humains en cas de litige.
Les critères de « restituabilité » que nous proposons font d’ailleurs consensus.
Il s’agit d’abord d’une demande portée par un État étranger concernant des restes humains datés de moins de 500 ans, appartenant à un groupe vivant dont la culture et les traditions restent actives, et dont les conditions de collecte portent atteinte au principe de la dignité humaine ou dont la présence dans des collections est incompatible avec la culture et les traditions de ce groupe vivant.
Par ailleurs, la restitution ne pourra avoir lieu qu’à des fins funéraires.
Enfin, le texte prévoit un procédé permettant au Parlement de suivre chaque année l’évolution des travaux effectués et à venir, au moyen d’un rapport annuel du Gouvernement.
Après l’adoption à l’unanimité du projet de loi-cadre facilitant la restitution de biens culturels spoliés aux familles juives durant la période nazie, nous franchissons donc aujourd’hui une nouvelle étape. Le triptyque que vous nous aviez annoncé avance au Sénat et dans le consensus. Nous vous en remercions, madame la ministre.
Vous avez ainsi annoncé un troisième texte, afin d’étudier le cas des biens culturels étrangers acquis, notamment, lors de la colonisation de l’Afrique. Nous avons, lors de notre mission, fixé des pistes concrètes et exigeantes. Le Sénat est prêt à travailler avec vous sur ce sujet plus large, mais aussi plus polémique, afin de fixer un véritable continuum juridique en matière de restitutions, dans le respect de l’ensemble des cultures.
Notre ligne sera la même : éclairer l’exécutif par une analyse scientifique indépendante portant sur l’œuvre, ses origines et son parcours, afin d’éviter polémiques, réécriture historique et fait du prince.
Mais, ce soir, il s’agit d’approuver un texte que nous avons élaboré au Sénat et que vous soutenez.
Madame la ministre, en vous remerciant de votre écoute et en vous redisant notre disponibilité et nos convictions pour la mise sur pied du troisième volet de ce triptyque, le groupe Les Républicains votera bien sûr cette proposition de loi. (Applaudissements.)
Mme le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme le président. Je constate que le texte a été adopté à l’unanimité.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Je veux bien sûr saluer ce texte, que je qualifie de texte de progrès, au sens où Cicéron l’entendait, à savoir une vraie marche en avant.
C’est un progrès dans une relation lucide avec l’Histoire ; c’est un progrès dans le respect que nous devons à toute personne, même après la mort ; c’est un progrès, enfin, dans la dimension éthique de nos collections muséographiques.
Si ce texte apparaît aujourd’hui comme une évidence – le vote à l’unanimité en est le reflet –, ce serait réduire sa portée de penser que tel a toujours été le cas. En effet, il a fallu un chemin assez long pour arriver à ce vote unanime.
À mon tour, je veux saluer le travail constant, rappelé par les uns et les autres, mené par les sénatrices et sénateurs qui se sont penchés sur ce sujet. Je tiens en particulier à remercier les trois auteurs de la proposition de loi, Catherine Morin-Desailly, Pierre Ouzoulias et Max Brisson, qui ont su aller au terme de ce processus, avec l’aide de vos services, madame la ministre.
Je souhaite également saluer personnellement, sur ce sujet, la ténacité, la persévérance et la qualité du travail de Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements.)