M. le président. L’amendement n° 162, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Ce rapport étudie aussi les méthodes de déclaration d’intérêts, de récusation ou de dépaysement utilisées lors de l’expérimentation. Il évalue si les conditions d’impartialité ont été respectées, et émet des propositions en matière de déclaration d’intérêts, de récusation ou de dépaysement particulièrement dans le cas des personnes exerçant une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, avec votre accord, je défendrai dans le même temps cet amendement et les amendements nos 163 et 165, qui ont tous trois trait à l’intégration des agriculteurs au sein du collègue des juges des tribunaux des activités économiques.
M. le président. J’appelle donc en discussion les amendements nos 163 et 165.
L’amendement n° 163, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Concernant les personnes exerçant une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, ce rapport évalue les modalités de formation des juges sur les risques et les spécificités du secteur agricole, notamment sur les spécificités des procédures collectives dans ce secteur, les risques de conflits d’intérêts, et les risques psychosociaux.
L’amendement n° 165, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
En particulier, concernant les personnes exerçant une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, ce rapport se base sur les travaux d’un groupe de suivi associé à cette évaluation, composé notamment de représentants de débiteurs, de créanciers, de représentants des agriculteurs, en particulier de représentant de l’ensemble des syndicats agricoles représentatifs, et d’associations d’aides aux agriculteurs. Ce groupe de suivi évalue notamment, pour le secteur agricole, la proportion de redressements judiciaires par rapport au nombre de liquidations, le nombre d’emplois maintenus, et l’impact sur les risques psychosociaux agricoles.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. L’amendement n° 162 a pour objectif d’assurer une protection maximale du secteur agricole, maintenant qu’il est intégré dans l’expérimentation des tribunaux des activités économiques, quand bien même le système actuel était suffisamment rapide et permettait l’accompagnement des agriculteurs.
Se pose en effet la question des liens d’intérêts, ce qui n’a rien à voir avec une prétendue malhonnêteté de cette profession, madame la rapporteure. Des liens d’intérêts sont des relations avec des structures ou des individus ayant des intérêts dans les décisions qui sont prises. Le conflit a lieu quand l’expert ou le juge risque de prendre une décision qui serait différente si ce lien n’existait pas.
On considère qu’il y a conflit d’intérêts dès que les liens altèrent le jugement de l’expert ou sont perçus comme susceptibles de l’influencer. C’est toute la question de l’intégrité de l’expertise qui est en jeu. L’article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique définit pour la première fois la notion de conflit d’intérêts comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Il convient donc que le rapport d’évaluation de l’expérimentation prévu à l’article 6 soit particulièrement attentif à ces problématiques.
L’amendement n° 163 tend à prévoir une évaluation des modalités de formation des juges sur les spécificités du monde agricole. Ces spécificités et l’importance du secteur et de l’emploi agricole pour les territoires et pour la souveraineté alimentaire nécessitent une adaptation de la formation des juges consulaires des tribunaux des activités économiques expérimentaux.
L’amendement n° 165 est un amendement de repli. Il vise à prévoir une évaluation spécifique de l’expérimentation pour le monde agricole associant étroitement les acteurs du terrain via un groupe de suivi. L’objectif est de vérifier si le nouveau tribunal des activités économiques est d’une efficacité supérieure au système actuel.
Dans le système actuel, dans lequel les tribunaux judiciaires se prononçaient, un certain nombre de décisions étaient prises qui permettaient de diminuer le nombre de liquidations, et ce dans un délai rapide.
Aujourd’hui, dans un contexte de mal-être agricole, l’expérimentation qui est menée nous semble devoir faire l’objet d’une évaluation spécifique pour ce secteur. Cette évaluation devra s’appuyer sur les travaux d’un groupe de suivi associant les acteurs agricoles, afin d’établir non seulement que le taux de liquidation judiciaire et le maintien de l’emploi agricole ont été satisfaisants par rapport au système actuel, mais aussi que l’impact des nouvelles procédures sur les risques psychosociaux en agriculture a été positif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements.
Sur le risque de conflit d’intérêts, évoqué à l’amendement n° 162, je rappelle que des règles de déport sont obligatoires. Par conséquent, il ne semble pas nécessaire de prévoir des critères supplémentaires. De tels conflits et un trop grand nombre de déports seront évidemment pris en compte lors de l’évaluation de l’expérimentation.
L’amendement n° 163 vise à prévoir une formation spécifique des juges consulaires à la matière agricole. Dans la mesure où nous prévoyons que les juges consulaires comprendront désormais des agriculteurs, une telle formation ne paraît plus nécessaire. En revanche, comme tout juge consulaire, ceux-ci se verront dispenser une formation en droit. Par conséquent, cet amendement est en quelque sorte satisfait.
L’amendement n° 165 vise à prévoir la création d’un groupe de suivi. Nous sommes tous ici, nous le savons, de grands brûlés de l’évaluation, encore plus les membres de la commission des lois. (Sourires.) Nous avons vu des évaluations ne pas être menées à leur terme et des dispositifs être mis en place malgré tout. Pour autant, nous l’avons suffisamment rappelé au Gouvernement pour qu’il procède cette fois à une véritable évaluation de cette expérimentation avant d’en décider ou non la généralisation.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne sais pas combien de demandes de rapports ont été présentées au Gouvernement depuis le début de l’examen de ce texte, mais je n’ai sans doute pas assez de mes dix doigts pour les compter…
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 162. Il est cependant favorable à une évaluation, au sens défini par le Conseil d’État : il est indispensable de suivre ce que le Parlement a voté.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 163 relatif à la formation des juges aux risques et spécificités du secteur agricole. Il s’agit d’une mesure de nature à rassurer le monde agricole, dont les spécificités pourront être mieux prises en considération. J’entends toutefois le bémol de la commission des lois : des juges consulaires issus du monde agricole participeront aux décisions, ce qui présente une garantie supplémentaire.
En revanche, sur l’amendement n° 165 tendant à créer un groupe de suivi, le Gouvernement émet un avis défavorable. Je préfère un échange avec tous les acteurs, notamment les parlementaires. Cela me semble plus fluide, plus simple, plus direct et plus efficace.
M. le président. Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
À titre expérimental, par dérogation aux articles 1089 A et 1089 B du code général des impôts, pour chaque instance introduite devant le tribunal des activités économiques désigné en application du III de l’article 6 de la présente loi, une contribution pour la justice économique est versée par la partie demanderesse, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office.
Le montant de la contribution pour la justice économique est fixé par un barème défini par décret en Conseil d’État, dans la limite de 5 % du montant des demandes cumulées au stade de l’acte introductif d’instance et pour un montant maximal de 100 000 euros. Ce barème tient compte du montant des demandes initiales, de la nature du litige, de la capacité contributive de la partie demanderesse appréciée en fonction de son chiffre d’affaires annuel moyen sur les trois dernières années, de ses bénéfices ou de son revenu fiscal de référence et de sa qualité de personne physique ou morale.
Toutefois, la contribution n’est pas due :
1° Par la partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ;
2° Par le demandeur à l’ouverture d’une procédure amiable ou collective prévue au livre VI du code de commerce et aux articles L. 351-1 à L. 351-7-1 du code rural et de la pêche maritime ;
3° Par les personnes morales de droit public.
Les dispositions du code de procédure civile relatives aux dépens sont applicables à la contribution prévue au présent article.
Le recouvrement de cette contribution est assuré gratuitement par les greffiers des tribunaux de commerce, le cas échéant par voie électronique, lesquels émettent à cet effet un titre exécutoire. Le président de la juridiction ou le magistrat délégué à cet effet statue par ordonnance en cas de contestation.
En cas de recours à un mode amiable de règlement du différend emportant extinction de l’instance et de l’action ou de désistement, il est procédé au remboursement de la contribution.
En cas de comportement dilatoire ou abusif d’une partie au litige, le tribunal des activités économiques peut condamner celle-ci à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Cette expérimentation se déroule dans les tribunaux de commerce désignés dans les conditions fixées au III de l’article 6 de la présente loi.
Six mois au moins avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport procédant à son évaluation. L’ensemble des acteurs judiciaires et économiques est associé à cette évaluation. Cette dernière associe également, dans le respect du principe de parité entre les femmes et les hommes, deux députés et deux sénateurs, dont au moins un député et un sénateur appartenant à un groupe d’opposition, désignés respectivement par le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. L’évaluation repose notamment sur une appréciation de l’évolution de la part d’activité contentieuse subordonnée à la contribution ainsi que sur les effets de celle-ci, selon les domaines contentieux, en matière de recours à des modes de règlement alternatif des conflits ainsi que sur l’appréciation des auxiliaires de justice, au vu des statistiques fournies par le ministère de la justice.
Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les conditions de collaboration des greffiers des tribunaux de commerce ainsi que les modalités de pilotage et d’évaluation de l’expérimentation.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 23 rectifié bis est présenté par MM. Babary et Retailleau, Mmes Primas, Berthet et Chain-Larché, MM. Bouchet, Le Nay, Hingray et Canévet, Mme Chauvin, M. Duffourg, Mme Gruny, MM. Mandelli et Moga, Mme Puissat, MM. Klinger, Bonneau, Somon, Brisson, Bouloux, Panunzi et Guerriau, Mme Goy-Chavent, M. Burgoa, Mme Herzog, MM. Pointereau, Verzelen, D. Laurent et Pellevat, Mme Lavarde, MM. Savary et Charon, Mme Garriaud-Maylam, M. Lefèvre, Mme Imbert, M. Genet, Mmes Gosselin, Belrhiti et F. Gerbaud, MM. Tabarot, Cuypers, Détraigne et Chasseing, Mme Dumont, MM. Maurey, B. Fournier et Milon, Mmes Raimond-Pavero et Malet, MM. E. Blanc, Wattebled, Husson, Gremillet et Chauvet, Mmes Billon et Borchio Fontimp et MM. Sido, J.P. Vogel, Duplomb et Belin.
L’amendement n° 41 est présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 130 est présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
L’amendement n° 194 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Serge Babary, pour présenter l’amendement n° 23 rectifié bis.
M. Serge Babary. L’article 7, qui porte sur l’expérimentation des tribunaux des activités économiques, prévoit de mettre à la charge de l’entreprise requérante une contribution fixée selon un barème défini par décret en Conseil d’État.
Cette disposition déroge au principe de gratuité de la justice. En outre, accepter son principe, c’est prendre le risque qu’elle puisse demain être élargie dans son montant et son champ d’application à d’autres types de litiges.
Selon le Gouvernement, cette contribution permettrait de limiter le nombre de recours. Une telle disposition paraît toutefois inutile, dès lors que l’on a déjà constaté une réduction de moitié de l’activité enregistrée par les juridictions commerciales en quinze ans. Il paraît tout aussi injuste de faire peser sur l’entrepreneuriat privé le financement de la justice, alors que le service rendu par les tribunaux de commerce ne sera aucunement amélioré.
On rappellera en effet que les juges consulaires sont bénévoles et que les budgets de fonctionnement des tribunaux de commerce sont en constante diminution.
Par ailleurs, les charges administratives et les impôts qui pèsent sur les entreprises étant plus élevés en France que dans les autres États européens, il paraît inconséquent d’instituer une telle contribution.
En outre, faire varier la contribution en fonction du montant du litige frappera plus durement les petites entreprises, qui sont déjà contraintes de s’engager dans un contentieux lourd, tandis que, de leur côté, les plus grandes seront incitées à utiliser les règles de droit international privé pour contourner les tribunaux français. Il en résultera une rupture d’égalité devant la justice.
On soulignera également l’extrême complexité des critères retenus pour déterminer le montant de cette contribution, qui exigent de combiner des critères objectifs avec des critères subjectifs.
Pour toutes ces raisons, le présent amendement vise à supprimer l’article 7, qui instaure une nouvelle taxe ne disant pas son nom, limitant ainsi l’accès des entreprises à la justice.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour présenter l’amendement n° 41.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’ai déjà commencé d’évoquer ce sujet précédemment.
On ne comprend pas très bien la logique qui sous-tend cet article ou, plus exactement, on comprend qu’il s’agit d’une logique reposant exclusivement sur les recettes. Je veux donc appeler l’attention du Sénat sur ce que cela risque d’impliquer ensuite pour les autres contentieux judiciaires : pourquoi limiter au seul contentieux porté devant le tribunal des activités économiques l’idée d’une taxation liée à l’enjeu du litige ?
Je me souviens d’ailleurs du combat d’une partie du monde judiciaire – peut-être y aviez-vous pris part à l’époque dans vos fonctions antérieures, monsieur le garde des sceaux – contre le principe d’un timbre requis pour accéder aux procédures civiles et qui avait finalement été abandonné.
Notre collègue parlait précédemment de justice « gratuite ». La justice n’est pas gratuite, elle ne l’est jamais – il faut souvent recourir au ministère d’un avocat et les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle sont incroyablement restrictives –, mais l’accès au juge doit être le moins coûteux possible. Mais, là, on affiche clairement la couleur…
Nous devons donc combattre cette proposition et rien, dans vos explications, n’est très convaincant, monsieur le garde des sceaux. En effet, il existe d’autres voies pour responsabiliser les parties, notamment en sanctionnant les procédures abusives.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 130.
M. Guy Benarroche. Je serai bref, puisque M. Babary et Mme de La Gontrie ont déjà défendu la suppression de cet article.
J’ajouterai toutefois deux points à leurs propos.
D’abord, cette expérimentation entraînera une rupture très nette de l’égalité entre les justiciables, puisque, en fonction des territoires, selon que le tribunal est concerné ou non, les parties pourront être ou non assujetties à cette contribution, alors qu’il en aurait été différemment dans le département d’à côté. Cela ne semble pas très logique.
Ensuite, le Syndicat des avocats de France m’a fait une remarque judicieuse : les personnes morales n’ayant pas massivement droit à l’aide juridictionnelle, cette mesure pourra constituer un obstacle à l’accès au juge pour les très petites, les petites et même les moyennes entreprises.
Aussi, sur le fondement de ces deux éléments supplémentaires et de ce qui a été indiqué précédemment, nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 194.
M. Pierre Ouzoulias. Je ne vais pas répéter l’argumentation de mes collègues, mais, une fois n’est pas coutume, nous allons, dans cette partie de l’hémicycle, défendre les entreprises !
M. Pierre Ouzoulias. Les petites ou les grosses…
En effet, nous nous opposons à l’obligation qui leur serait faite de payer pour accéder à la justice. Nous défendons le principe de la gratuité de la saisine du juge, c’est fondamental ; il ne faut pas céder sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. L’idée d’une contribution financière nécessaire pour pouvoir saisir le tribunal des activités économiques mérite, selon la commission, d’être expérimentée.
En premier lieu, je le rappelle, l’accès à la justice n’est pas gratuit. Par exemple, en matière civile, un timbre fiscal de 225 euros est nécessaire pour faire appel et Mme Taubira elle-même avait instauré un timbre en matière de justice consulaire. En outre, lorsque l’assistance d’un avocat est obligatoire, cela entraîne des frais, sauf si l’on bénéficie de l’aide juridictionnelle, mais nous sommes nombreux à ne pas pouvoir en bénéficier.
En deuxième lieu, la commission des lois s’est déjà prononcée en faveur du retour d’une taxe introductive d’instance, dans le cadre de la mission d’information intitulée « Cinq ans pour sauver la justice ! » présidée par Philippe Bas.
En troisième lieu, la création d’une contribution économique est également une mesure portée par le comité des États généraux de la justice.
En quatrième lieu, enfin, cette contribution fera l’objet d’un encadrement strict, via un barème permettant de s’adapter à la situation économique de la partie demanderesse. En effet, ce dispositif cible les litiges d’un montant important – les montants supérieurs à 200 000 euros, ce qui ne correspond qu’à 16 % des affaires – et les entreprises financièrement solides ; le Gouvernement nous en dira sans doute plus à ce propos, conformément à ce que M. le garde des sceaux nous a indiqué en audition.
La commission a en outre adopté un amendement de ses rapporteurs visant à préciser les critères économiques à prendre en compte : nous proposons notamment d’étaler le nombre d’années de chiffre d’affaires à prendre en compte et de tenir compte du bénéfice, car le chiffre d’affaires ne permet pas de préjuger des gains de l’entreprise. Bref, les conditions socio-économiques de l’entreprise seront prises en compte pour déterminer l’assujettissement à la contribution.
M. Babary évoquait également le fléchage de cette contribution. C’est vrai, les tribunaux des activités économiques doivent être mieux accompagnés, car, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, la plupart des juges consulaires sont davantage des mécènes de la justice que des bénévoles et ils ont besoin d’une aide plus importante.
Néanmoins, ce fléchage ne peut être adopté dans le cadre de ce projet de loi, il ne peut se faire que dans le cadre d’une loi de finances. Nous veillerons donc, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, au fait que cette contribution soit bien fléchée vers la justice en général et vers la justice consulaire en particulier.
Ainsi, dans la mesure où le Sénat a toujours plaidé pour l’expérimentation de cette contribution, il me semblerait dommage que nous la rejetions. Il vaut mieux amender la solution proposée pour garantir que cette mesure ne touche pas les entreprises que nous voulons préserver, mais adopter néanmoins son principe.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Benarroche, sur la rupture d’égalité, je vous invite à relire l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi, car cette question légitime ne lui a pas échappé ; il y a répondu en indiquant qu’il s’agissait d’un motif d’intérêt général.
En réalité, l’idée est très simple, mesdames, messieurs les sénateurs : il s’agit de renforcer l’attractivité de la justice française.
En effet, alors que nous venons d’installer la juridiction unifiée du brevet, la JUB, l’attractivité de la place de Paris est remise en cause. Pourquoi ? Les États généraux de la justice l’expliquent parfaitement : de façon curieuse, voire paradoxale sinon incompréhensible, les acteurs économiques jugent la justice néerlandaise, la justice allemande et la justice britannique meilleures que la nôtre, parce qu’elles sont payantes. C’est le syndrome de la marque : entre deux costumes identiques, de même tissu et de même facture, mais dont l’un porte une marque et l’autre non, certains préfèrent le premier… C’est ainsi, je n’y peux rien ! Et les rapports des États généraux sont tout à fait explicites sur ce point.
Monsieur le sénateur Babary, j’entends vos préoccupations, ce sont aussi les miennes, mais je le répète : la contribution économique, dont je tiens à souligner de nouveau le caractère expérimental, ne sera due que par les grandes entreprises et pour les litiges les plus importants.
C’est pourquoi, avant même de définir les barèmes par décret, nous avons mis en place deux sécurités : d’une part, un mode de calcul tenant compte du montant de la demande, de la nature du litige et de la capacité contributive de la partie demanderesse, dans la limite de 5 % du montant du litige et de 100 000 euros, et, d’autre part, une exonération systématique de la contribution pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, pour les procédures amiables ou collectives et pour les personnes morales de droit public.
Je souhaite néanmoins être à votre écoute, car, par votre voix, ce sont les craintes de nos concitoyens – petits entrepreneurs, petits patrons – qui s’expriment. Aussi, voici ce que je vous propose pour répondre à vos préoccupations et sécuriser davantage notre dispositif : une quatrième cause d’exonération de la contribution, pour les entreprises de moins de 250 salariés.
Dans ces conditions, admettez donc, monsieur Ouzoulias – vous me permettrez ce petit clin d’œil –, que votre amendement vise à défendre les grosses boîtes… (M. Pierre Ouzoulias sourit.)
Ce seuil relatif au nombre de salariés nous est bien connu. Il a le mérite de la clarté et est en lien direct, du point de vue constitutionnel, avec l’objet direct de la contribution ; c’est important. Pour que ce seuil s’applique pleinement et qu’il nous permette d’atteindre notre objectif, il devra concerner tous les demandeurs – personnes physiques ou morales –, quelle que soit la nature de leur activité.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Fidèle à la ligne traditionnelle du Sénat sur cette question, le groupe Union Centriste soutient la commission.
Ce débat quasi idéologique oppose croyants et incroyants. On le connaît bien et il nous revient tous les dix ans ; il a ainsi passionné le monde judiciaire au travers de la question du droit de timbre, instauré puis supprimé.
Pour les uns, la justice est par principe gratuite ; pour les autres, elle a un coût et, dans une société démocratique, ceux qui en ont les moyens doivent participer à son financement, tandis que ceux qui ne le peuvent pas doivent bénéficier de la solidarité nationale via l’aide juridictionnelle. J’avoue me rattacher plutôt à la seconde opinion, d’autant plus que cela permet de surcroît de prévenir les contentieux de masse ou les procédures abusives.
Surtout – c’est l’argument le plus décisif en faveur de la position de la commission et du Gouvernement –, cela permet de donner une véritable chance au règlement amiable. Si l’on souhaite privilégier réellement ce type de procédure dans notre pays, il n’y a, me semble-t-il, pas d’autre solution que d’expliquer à nos concitoyens que la justice a un coût et qu’une procédure devant le tribunal des activités économiques doit se traduire par une participation à ses frais. Cela conduira donc, pertinemment selon moi, à donner la priorité à la conciliation.
Pour toutes ces raisons, nous restons alignés sur la position de la commission et du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour explication de vote.
M. Serge Babary. Certes, cette contribution correspond à une position traditionnelle du Sénat, mais encore faut-il tenir compte de la situation des entreprises dans le calcul de la contribution, ce qui n’est pas le cas !
Dans l’hypothèse où cette contribution serait déterminée selon les capacités financières de la partie demanderesse, si cette dernière est une grande entreprise ayant un différend avec une petite entreprise et que la partie défenderesse perd l’affaire et est condamnée aux dépens, celle-ci devra rembourser un montant de contribution démesuré par rapport à ses propres capacités !