M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Je tiens à remercier M. Benarroche d’avoir déposé ces amendements : la surpopulation carcérale est un sujet qui me préoccupe énormément, tout comme il intéresse nombre de nos collègues, ainsi que beaucoup d’associations et d’organisations.
Sur un tel sujet, il n’est pas possible d’en rester au statu quo, car la question a investi l’espace public.
Nous devons par ailleurs nous féliciter des travaux d’anciens collègues sénateurs : je pense en particulier à Jean-René Lecerf ou à Jean-Jacques Hyest, qui ont conduit des réflexions et réalisé plusieurs travaux sur ce thème, en formulant un certain nombre de propositions.
J’ai du mal à entendre l’argument selon lequel on ne pourrait rien faire, faute de quoi le Rassemblement national se mettrait en colère.
Mme Éliane Assassi. Pardonnez-moi, monsieur le garde des sceaux, mais le combat contre le Rassemblement national se mène au niveau des idées, et non en évitant de faire ce qui le mettrait en colère ou en mouvement.
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas possible de dire ce genre de choses ! (Mmes Laurence Rossignol et Mélanie Vogel, ainsi que M. Joël Bigot applaudissent.)
Madame la rapporteure, je veux bien que l’on construise 15 000 places de prison supplémentaires, mais nos prisons accueillent déjà 13 000 détenus de trop, que l’on se contentera dès lors de transférer. En réalité, la surpopulation carcérale ne cessera pas si nous ne prenons pas des mesures drastiques permettant de revenir sur un certain nombre de choses : je pense en particulier aux peines alternatives.
Monsieur le garde des sceaux, il s’agit là d’un vrai enjeu de société ! (M. le garde des sceaux acquiesce.) À partir des excellents travaux réalisés, notamment ici au Sénat, je propose que l’on dresse un état des lieux de la situation, afin d’avancer : on ne peut pas en rester, je le répète, au statu quo actuel sur un tel sujet.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il n’y a pas de statu quo : nous construisons des prisons !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le garde des sceaux, vous m’avez tendu une perche en évoquant l’artificialisation des sols. Je vais en effet parler – et je ne suis pas hors sujet en le faisant – d’un sujet qui nous tient à cœur, le « zéro artificialisation nette », le ZAN.
Quel lien y a-t-il entre ce texte essentiel et la question, elle-même d’une extrême importance, que je souhaite aborder ?
Vous l’avez dit : vous avez trouvé – et c’est tant mieux – des terrains pour construire de nouvelles prisons. De fait, j’aurai une question subsidiaire, mais primordiale : sur le quota de quel acteur public seront donc imputés les hectares artificialisés en vue de la construction de ces prisons ?
M. Michel Savin. Très bonne question !
Mme Françoise Gatel. Je vous interroge sur ce point, monsieur le garde des sceaux, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas construire de nouveaux établissements pénitentiaires ! C’est un tout autre débat.
Est-ce l’État, puisque de tels projets relèvent de sa compétence, qui assumera cette artificialisation ? Sortira-t-il l’enveloppe foncière du quota qui sera imputé aux collectivités locales, sorte de quota de crise, somme toute assez limité quand on est appelé à construire des logements et à soutenir la réindustrialisation du pays.
Nous comptons sur vous, monsieur le garde des sceaux, pour convaincre votre collègue Christophe Béchu de raisonner, comme le Sénat le fait, avec sagesse et justesse.
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Je suis quelque peu interloquée par notre discussion, en particulier par vos réponses, monsieur le garde des sceaux et mesdames les rapporteures, car elles révèlent une vision assez binaire de la question.
Mme Laurence Harribey. Les choses ne sont pas aussi simples que vous nous les présentez : nous ne vous disons pas que, parce qu’il ne faut pas forcément créer de nouvelles places de prison, il faudrait relâcher des détenus. Compte tenu de votre trajectoire personnelle et de votre expérience, monsieur le garde des sceaux, vous savez très bien que les choses sont plus complexes.
Ce n’est pas simplement en construisant des prisons que nous résoudrons le problème. Le cas de l’Allemagne en est la preuve : le fait que notre voisin ait une population supérieure à celle de notre pays, tout en disposant de moins de places de prison et en comptant moins de détenus, ne signifie pas pour autant qu’on y trouve davantage de délinquants.
Quand on observe les chiffres sur une durée de vingt ans, on constate que, après chacune des hausses du nombre de places de prison, on a assisté à l’augmentation du nombre de mises sous écrou. Les travaux menés au Canada à ce sujet sont très intéressants.
On dit souvent que les politiques publiques – je m’intéresse beaucoup à leur analyse – ne visent pas tant à résoudre les problèmes qu’à répondre à la manière dont l’opinion les perçoit.
Il me semble que, sur cette question, nous tombons complètement dans ce travers : on crée des places de prison et on affirme que la solution consiste à enfermer les gens, parce qu’il y aurait un sentiment d’insécurité dans l’opinion publique.
Personne ne peut nier qu’il faut améliorer la condition des détenus. Nous le savons tous. Moi-même élue du département de la Gironde, je suis alertée chaque semaine des conditions de détention au centre pénitentiaire de Gradignan. D’ailleurs, vous vous y êtes rendu, monsieur le garde des sceaux : vous connaissez la situation.
Nous savons très bien qu’il y a des problèmes et qu’il faut construire des établissements dignes de ce nom. Mais, s’il vous plaît, n’ayez pas une approche binaire et ne nous expliquez pas qu’il n’y a qu’une seule méthode et une seule réponse : ce résumé n’est pas fidèle aux travaux qui ont été menés.
Il convient d’être un peu plus fin et mesuré : le milieu ouvert et les autres peines alternatives sont tout aussi importants que la construction de nouvelles prisons.
Enfin, n’oublions pas – je réagis à la remarque d’Agnès Canayer – que les peines doivent certes être exécutées, mais qu’il n’y a aucune peine à appliquer aux 40 % de détenus en détention provisoire.
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.
Mme Marie Mercier. Monsieur le garde des sceaux, vous avez parlé d’une réponse pénale juste : j’ajouterai simplement qu’elle doit aussi être adaptée.
Nous avons tous ici visité des prisons et assisté à des séances de comparution immédiate au tribunal. Parfois, on se demande si les futurs détenus ont vraiment leur place en prison. On sait par exemple qu’un tiers des prévenus ne devraient pas être emprisonnés.
On devrait insister davantage sur la nécessité d’une éducation solide. Tout le monde n’a pas eu la chance que de bonnes fées se penchent sur son berceau. Certaines personnes naissent sous une mauvaise étoile, qui les guidera toute leur vie. Quelle société construire pour que ces individus soient pris en charge ? Il faut le faire, faute de quoi ils seront perdus à tout jamais, même ceux qui ont à peine plus de 20 ans.
Il faut leur donner accès à une éducation de qualité, avec des fondamentaux solides, et développer le secteur psychiatrique : certains détenus sont des patients, qui sont en prison, alors qu’ils n’ont rien à y faire.
Nous sommes tous catastrophés par la surpopulation carcérale, mais la prison est-elle vraiment toujours la bonne réponse ?
M. le président. L’amendement n° 157 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 218
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce programme doit se baser sur les besoins dûment recensés au travers d’une évaluation du nombre de personnes en demande de prise en charge psychiatrique.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. J’en viens à un autre de nos sujets de préoccupation : nous demandons un rapport sur les aménagements de peine en fonction des pathologies des détenus.
Nous saluons évidemment les prémices du développement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), mais nous regrettons, tout comme le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’en alarmait, que l’« on assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison ».
Depuis une vingtaine d’années, différentes études ont été menées par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) en matière de santé mentale en prison.
On a dressé à l’époque un constat assez alarmant, à savoir qu’un quart des détenus souffrent de troubles psychiatriques. Aujourd’hui, au moment où je vous parle, un suivi psychiatrique est préconisé pour la moitié des entrants en prison. Un sur deux !
Nous avons salué la création de nouvelles UHSA, mais nous souhaitons pouvoir en étudier le déploiement, pour nous assurer qu’il se fait bien à partir de besoins dûment recensés, au travers d’une évaluation du nombre de personnes en demande de prise en charge psychiatrique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.
Je tiens à souligner l’importance de cette évaluation préalable pour déterminer les moyens réels, en développement et en construction, nécessaires à la prise en charge de détenus souffrant de difficultés psychiatriques. Il s’agit d’un véritable enjeu – on parlait tout à l’heure des difficultés carcérales – : on sait que, pour certains détenus, l’enfermement s’ajoute à la maladie psychiatrique.
Il est nécessaire de prendre ces personnes en charge dans des unités aménagées, spécialement conçues à cet effet. C’est pourquoi nous pensons qu’il est vraiment bienvenu de mener une évaluation préalable, qui permettra de cibler les moyens sur les espaces et les lieux les plus adaptés.
Pour terminer, je souhaite à répondre à ce qu’a dit Mme de La Gontrie tout à l’heure : si nous retenons cet amendement, c’est parce qu’il est en phase avec une politique sur laquelle le Gouvernement s’est engagé, à savoir le développement des UHSA, et qu’il est donc conforme à la feuille de route que nous avons détaillée.
Il n’est pas nécessaire que le Gouvernement y soit favorable pour que cette mesure figure dans le rapport annexé au projet de loi. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie se montre dubitative.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je partage totalement avec vous la nécessité de renforcer la prise en charge psychiatrique des détenus.
Nous avons déjà une idée assez précise des besoins, pour les recenser et les analyser finement.
Je dois également vous dire que nous avons récemment lancé deux études en santé mentale.
La première étude est l’œuvre de la Fédération de recherche en psychiatrie et santé mentale : elle précise, dans un rapport de décembre 2022, que les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes sortant de prison ont au moins un trouble psychiatrique ou lié à l’usage de stupéfiants.
La seconde est en cours et s’achèvera en 2024 : elle vise également à évaluer la santé mentale des personnes incarcérées en maison d’arrêt.
Avec François Braun, mon collègue ministre de la santé et de la prévention, je travaille pour adapter au mieux les besoins en moyens en matière de prise en charge psychiatrique des détenus.
C’est sur ce fondement que trois nouvelles UHSA seront prochainement construites en Île-de-France, en Normandie et en Occitanie, et que les établissements publics de santé mentale seront sécurisés, particulièrement en outre-mer.
Vous demandez une expertise, monsieur le sénateur, parce que vous souhaitez en savoir davantage : je le comprends, et votre requête est parfaitement légitime, mais une telle étude est déjà en cours.
Votre amendement étant, me semble-t-il, satisfait, je vous en demande le retrait.
Je n’entends pas abuser de mon temps de parole, mais je souhaite profiter de l’occasion pour répondre à Mme la sénatrice Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Ah !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En premier lieu, sachez qu’en évoquant tout à l’heure l’artificialisation des sols j’adressais un petit clin d’œil à Mme la rapporteure Canayer. (Mme le rapporteur sourit.)
En second lieu, je peux vous assurer que les prisons sont incluses dans les grands projets d’envergure – c’est une formule que vous connaissez –, dont les surfaces artificialisées sont comptabilisées non à l’échelon de la commune, mais à l’échelon national, conformément aux engagements qui ont été pris par le Gouvernement devant l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité. (Mme Françoise Gatel manifeste son scepticisme.)
J’ajoute, même si vous le savez sans doute déjà, que je travaille en parfaite intelligence avec le ministre Christophe Béchu.
M. le président. L’amendement n° 152, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 235
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. On en revient à la question du numérique, mais cette fois-ci sous l’angle de son développement dans les prisons.
Nous pensons que, telle qu’elle est exprimée dans la feuille de route, sans autre précision, la généralisation du numérique pourrait nuire à la réinsertion et à la qualité des relations sociales, notamment celles que nouent les surveillants pénitentiaires avec les détenus.
En cherchant à déployer le numérique en détention, notamment à travers la réservation des parloirs par voie informatique ou la mise en place d’un certain nombre de formations par visioconférence, et même si cela peut ne pas paraître totalement absurde en soi, on contribue à diminuer les contacts humains et à isoler des populations vulnérables – nous sommes en milieu carcéral.
Les personnes vulnérables, qui n’ont pas la possibilité d’utiliser l’outil informatique, sont d’ailleurs plus nombreuses en prison qu’en dehors de celles-ci, de par la composition sociologique des détenus.
En raison du développement des outils informatiques en milieu carcéral, l’intervention des surveillants pénitentiaires se fera plus rare, mais progressivement de plus en plus conflictuelle.
Aujourd’hui, ces surveillants jouent un rôle bien différent : nous craignons que la généralisation du « tout numérique » à l’intérieur des prisons n’entraîne inéluctablement une réduction des interactions entre personnels pénitentiaires et prisonniers. Ces échanges ne seront plus naturels et ne prendront plus que la forme de conflits.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Vous proposez de supprimer toute la politique de numérisation des services pénitentiaires.
Or, mon cher collègue, les caméras-piétons et toute la modernisation des services d’information sont très attendus par les personnels pénitentiaires, comme par les détenus eux-mêmes, qui y voient une garantie de leur sécurité à l’intérieur des établissements pénitentiaires.
Par ailleurs, pour les familles des personnes détenues, pouvoir réserver un parloir à distance constitue une avancée.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La suppression de toute numérisation des services pénitentiaires ne constitue ni une bonne réponse ni une bonne solution à envisager.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, au fond, vous nous dites que plus de numérique, c’est moins d’humain.
En réalité, cette position est assez paradoxale parce que, tout à l’heure, vous vous inquiétiez du sort de ceux qui n’ont pas forcément accès à l’informatique, soit qu’ils n’aient pas d’ordinateur, soit qu’ils n’aient pas la possibilité d’aller davantage vers le numérique.
Permettez-moi de vous dire tout d’abord que le numérique en détention réduit la fracture numérique. Ensuite, je rappelle que non seulement 70 % des visiteurs utilisent aujourd’hui le mode de réservation en ligne, mais qu’ils en sont très satisfaits. Il n’y a en effet rien de plus simple que de réserver une date et un horaire de parloir.
À l’inverse de vos propos, je distingue d’autres fonctionnalités utiles, qui seront bientôt mises en œuvre à la maison d’arrêt de Dijon et au centre de détention de Melun.
Je vais vous les présenter brièvement.
Je pense d’abord à la possibilité pour les détenus de bénéficier d’un enseignement en ligne, ce qui n’est tout de même pas si mal, du moins selon moi.
Sachez aussi que les détenus auront la possibilité d’obtenir des réponses à leurs demandes de la part de l’administration – ce n’est pas mal non plus.
Autre avancée, la possibilité pour les personnes incarcérées d’acheter des produits de la vie courante – ce que l’on appelle la « cantine » – de manière beaucoup plus rapide.
Le numérique en détention n’a pas vocation à supprimer les liens entre le personnel pénitentiaire et les personnes détenues, bien au contraire. D’après moi, le fait d’obtenir une réponse plus rapide de l’administration, de disposer plus rapidement d’un tube de dentifrice et de ne plus avoir de problème pour obtenir un rendez-vous avec sa famille au parloir favorise la mise en place de relations apaisées.
Par conséquent, monsieur le sénateur, je suis défavorable à votre amendement, bien qu’il parte, je le sais, d’un très bon sentiment.
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.
Mme Marie Mercier. Ce sont les détenus eux-mêmes qui demandent un meilleur accès au numérique. Cet accès est surtout un moyen pour eux de préparer leur réinsertion.
En prison, les personnes se plaignent de leur éloignement du numérique ; ils nous disent tous que plus ils y auront accès, mieux cela vaudra.
Si l’on se doit d’être extrêmement prudent pour ce qui est de l’accès des enfants au numérique – vous connaissez mon combat personnel contre les écrans –, ce dont la Suède est en train de se convaincre puisqu’elle revient sur la généralisation des ressources numériques chez les petits enfants et à l’école primaire, il faut en revanche penser le déploiement du numérique en prison.
M. le président. L’amendement n° 205, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 266
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il convient de réformer en entièreté les décrets dits Magendie.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. La nécessité de réformer les décrets Magendie a fait consensus lors des États généraux de la justice.
S’agissant des avocats, tant le Conseil national des barreaux (CNB) que la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris réclament une réforme, voire, pour certains, une abrogation des décrets.
Notre groupe a décidé de se faire le relais de cette prise de position à travers un amendement que je qualifierai bien évidemment, puisque nous débattons de décrets, d’appel.
Le décret Magendie, malgré les objectifs de célérité et d’efficacité de la procédure d’appel qu’il cherchait à atteindre, a créé plusieurs problèmes et accentué les délais de traitement des affaires, notamment en provoquant un engorgement des affaires en cours, ce qui a engendré une accumulation des dossiers en attente.
Le délai impératif imposé par ce décret, sanctionné par la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions, a contribué à cette situation.
La charge de travail des magistrats et des greffes s’est alourdie. Ils doivent désormais veiller au respect d’une multitude de délais, demander de justifier de significations et organiser de nombreuses audiences d’incident et de déféré.
Cette surcharge de travail a eu des conséquences non négligeables sur la qualité des décisions rendues, en l’occurrence une dégradation de celles-ci.
Les avocats ont également été affectés par ces réformes : ils doivent travailler dans des délais courts, en se jouant à la fois des contraintes liées au manque de ressources et de délais stricts, assortis de sanctions rigoureuses.
Cette précipitation peut nuire à la qualité de leur travail et réduire leur capacité à se préparer correctement.
Notre amendement vise à concrétiser la réforme de ces décrets, afin de contribuer à l’amélioration de la procédure d’appel : nous souhaitons réduire les délais trop restreints, alléger la charge de travail des magistrats et des avocats et garantir ainsi des décisions de meilleure qualité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous partageons tout à fait votre constat, madame la sénatrice, et nous reconnaissons la nécessité de réviser ces décrets Magendie.
Comme vous l’avez expliqué, il existe un consensus sur le sujet. Le garde des sceaux s’est du reste engagé à procéder à cette révision.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. On nous avait promis la parution d’un certain nombre de projets de décret avant l’examen de ce projet de loi. L’un d’entre eux nous est parvenu à midi, ce qui laisse penser qu’un premier décret est sur le point d’être publié.
Monsieur le garde des sceaux, peut-être pourrez-vous nous dire quand le projet de décret sera adopté ?
Quoi qu’il en soit, je demande le retrait de cet amendement, car j’estime qu’il est satisfait. À défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, preuve est faite que nous avons été vraiment attentifs à ce que nous racontait l’écosystème.
Les avocats ne voulaient plus du décret Magendie pour tout un tas de raisons.
D’abord, ils avaient le sentiment qu’il avait créé un certain nombre de chausse-trapes, si j’ose dire, qui constituaient une entrave à la procédure. Les magistrats l’ont en outre accusé d’un certain nombre de maux.
Vous l’avez rappelé tout à l’heure, il fallait faire bouger le décret Magendie à l’unisson, le modifier, ce que nous sommes en train de faire. Vous aurez naturellement connaissance du calendrier de cette révision dans le détail.
Le CNB a travaillé à ces modifications avec la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), de même que la Conférence nationale des premiers présidents a bien sûr été consultée, ce qui est logique.
La réflexion est en cours et le contenu du décret sera très prochainement modifié.
Dès lors qu’il s’agit d’un décret, je vous demande de retirer votre amendement, madame la sénatrice ; à défaut, je me verrai dans l’obligation d’y être défavorable.
Mme Cécile Cukierman. Je retire mon amendement !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je le reprends, monsieur le président !
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 205 rectifié, présenté par Mme Marie-Pierre de La Gontrie, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 205.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Si j’ai repris cet amendement, c’est que quelque chose m’a échappé quant au calendrier du garde des sceaux.
Le 25 novembre 2022, vous indiquiez lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris que, la semaine suivante, vous présenteriez une réforme de l’ordre de la procédure civile et de la procédure pénale, notamment celle du décret Magendie.
L’autre jour, je vous ai vu à la télévision… D’ailleurs, il faut que je vous dise, monsieur le garde des sceaux, que je suis tellement contente de vous voir que, parfois, je vous regarde à la télévision, même quand vous vous exprimez à l’Assemblée nationale ! (Rires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous allons compter ensemble, comme vous l’avez fait au cours des débats sur la constitutionnalisation du droit à l’IVG : de novembre à juin, cela fait sept mois. (M. le garde des sceaux lève les yeux au ciel.)
C’est pourquoi je me suis permis de reprendre l’amendement : quand vous annoncez une mesure, cette dernière n’est pas toujours exactement mise en œuvre dans le délai indiqué.
Dans le cas d’espèce, vous aviez promis de nous transmettre le nouveau décret ; or ce n’est pas le cas…
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. D’abord, sachez que je suis ravi d’apprendre que vous me suivez à la télévision, et que vous le faites par plaisir.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Non, par besoin ! (Rires.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ah ! Madame la sénatrice, vous allez me faire rosir… (Mêmes mouvements.)
Pour le reste, je n’ai aucun souvenir d’avoir évoqué la finalisation de ces décrets la semaine suivant le 25 novembre 2022. Laissez-moi quelques instants pour vérifier ce point (M. le garde des sceaux relit ses notes.)… C’est bien ce qu’il me semblait : je parlais de la date du début des consultations autour des décrets, et non de leur révision.
Comment voulez-vous que je modifie le décret Magendie la nuit pendant que vous regardez la télé ? (Nouveaux rires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Dans ces conditions, je retire l’amendement !
M. le président. L’amendement n° 205 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 276, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 298 à 303
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
Ce travail nécessaire, réclamé par l’ensemble des acteurs et observateurs du monde judiciaire, comporte deux aspects indissociables qui doivent être conduits conjointement : d’une part, une clarification des dispositions existantes du code et la refonte de son plan et, d’autre part, la simplification des procédures.
Cette simplification doit permettre leur sécurisation juridique, la recherche d’une plus grande efficacité, l’allégement de contraintes formelles pesant sur les acteurs, le respect des garanties des droits de la défense et la réduction des délais de jugement.
Un comité scientifique composé de professionnels du droit de tous horizons (magistrats, personnels de greffe, avocats, professeurs de droit, représentants des services d’enquête…) sera chargé de formuler les propositions de clarification du code de procédure pénale qui serviront de base à l’ordonnance de recodification à droit constant prévue par la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice. Il débutera ses travaux courant 2023.
Ce comité formulera par ailleurs des propositions de simplification répondant aux objectifs fixés ci-dessus.
Un comité composé de parlementaires représentant tous les groupes politiques des deux assemblées sera chargé d’assurer le suivi de ces travaux. Lui seront présentés tous les trois mois l’état de leur avancement et les propositions de clarification et de simplification préconisées par le comité scientifique.
2.4.3.2. De nouvelles mesures de procédure pénale limitées et cohérentes
Dans l’attente des conclusions des travaux de clarification et de simplification de la procédure pénale, les nouvelles dispositions dans ce domaine seront limitées afin d’assurer la plus grande stabilité pour les praticiens et citoyens.
La parole est à Mme le rapporteur.