Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons traite d’une question essentielle : la place des mineurs dans le monde numérique. Ce n’est pas la première fois que le Sénat se penche sur cette thématique. Proposition de loi visant à lutter contre le cyberharcèlement, commission d’enquête sur l’usage de TikTok, proposition de loi protégeant le droit à l’image des mineurs en ligne : notre agenda législatif est bien occupé par la question.
Qu’est-ce qui différencie ce texte, proposé par le président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, de tous ceux que j’ai précédemment cités ? Il s’agit ici de réguler la présence des mineurs au sein d’espaces numériques dans lesquels ils peuvent être particulièrement vulnérables : les plateformes des réseaux sociaux.
Pour ce faire, et comme son intitulé l’indique, cette proposition de loi fixe une majorité numérique à 15 ans, âge en dessous duquel l’accord parental est indispensable pour l’inscription à un réseau social. C’est le cœur du dispositif.
Le texte prévoit d’inscrire pour la première fois dans la loi une définition juridique des réseaux sociaux reprenant celle du Digital Markets Act (DMA) européen. Corrigé – bientôt, je l’espère – par l’amendement qui en exclut Wikipédia, il constitue un pas en avant pour le législateur.
Il tend également à obliger les opérateurs de réseaux sociaux à diffuser des messages de prévention contre le harcèlement – cela ne mange pas de pain ! – ou à fixer un cadre plus contraignant dans lequel les opérateurs de plateforme en ligne doivent répondre aux réquisitions judiciaires dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance.
Toutes ces propositions ont été affinées et enrichies par la navette parlementaire et aboutissent au final à un texte qui va évidemment dans le bon sens.
J’aurais pu arrêter ici mon intervention, remercier notre rapporteure pour son travail et annoncer le vote positif des écologistes sur cette proposition de loi… Je vous rassure, c’est ce que je compte faire dans quelques minutes, mais ce texte pose tout de même un problème : en effet, il reste très flou sur les modalités de sa mise en œuvre, ce qui est d’autant plus ennuyeux lorsque cela concerne sa mesure phare.
En effet, comment contrôler effectivement l’âge des personnes qui s’inscrivent sur les réseaux sociaux ? La proposition de loi prévoit une solution qui n’en est pas une : ce sera à l’Arcom, après consultation de la Cnil, de définir un « référentiel » auquel devront se plier les plateformes. En un mot, on laisse l’Arcom se débrouiller pour mettre en œuvre une solution dite « technique » qui, à l’heure actuelle, n’existe pas.
Cela fait plusieurs années, bien avant cette proposition de loi, que la Cnil se penche sur la question de la vérification de l’âge : « S’agissant de la vérification de l’âge, […] les dispositifs existants ou envisagés sont généralement insatisfaisants à deux titres. Certains reposent sur une collecte massive de données personnelles et apparaissent dès lors difficilement conformes aux principes de protection des données […]. D’autres, moins intrusifs, sont cependant inefficaces parce que trop aisément contournés par les mineurs (par exemple systèmes déclaratifs […]). »
Ainsi, les experts – ceux-là mêmes qui devront élaborer le fameux référentiel de l’article 2 – reconnaissent leur incapacité à le faire.
Dès lors, j’estime que le texte que nous examinons aujourd’hui relève en quelque sorte d’un vœu pieux, de la pensée magique. Une croyance selon laquelle demain, peut-être, nous serons à même de résoudre un problème presque aussi vieux qu’internet.
Alors, pourquoi légiférer maintenant ? Pourquoi décharger le législateur de sa responsabilité à trouver une solution ? Car cette solution n’est pas uniquement technique, comme l’expose la Cnil entre les lignes : elle est éminemment politique.
La solution, qui sera peut-être un jour trouvée, mobilise des sujets aussi importants que l’anonymat sur internet, la protection des données, le rôle des algorithmes dans la vie de la cité, la place des géants du Net dans la mise en œuvre de la majorité numérique, la protection des enfants face aux contenus violents, haineux ou pornographiques. Toutes ces questions sont trop importantes pour que le législateur s’en dessaisisse, avec – il faut le dire – un peu d’hypocrisie.
Je pense que nous sommes tous, sur l’ensemble de ces travées, bien conscients de ce problème. C’est à mon avis une des raisons pour laquelle l’article 6 de la proposition de loi repousse la mise en œuvre des dispositions du texte.
Toutefois, au vu des autres avancées du texte, parce que celui-ci ne comporte pas de mesures que nous jugeons néfastes, parce qu’il peut aider les familles – cela a été dit – à accompagner leurs enfants dans leur découverte du numérique et pour reconnaître le travail de notre rapporteure, les écologistes voteront, comme je l’ai annoncé, la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. David Assouline et Jean-Jacques Michau applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout en ouvrant de nombreuses possibilités, le numérique est devenu dans le même temps une source de dangers, notamment pour les jeunes. Son utilisation par ces derniers entraîne – il est vrai – une exposition accrue aux risques.
Cela a été dit, 82 % des enfants de 10 à 14 ans vont sur internet sans leurs parents ; 95 % des adolescents sur les réseaux sociaux. Les jeunes font un usage massif de ces réseaux, et l’âge de la première inscription est en moyenne de 8 ans et demi, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner.
Cet usage a un lien avec le développement de certaines pratiques, comme les jeux vidéo, au détriment des devoirs ou des cours. Cette tendance a été en particulier accrue par le confinement, et n’a pas cessé depuis lors. On constate que TikTok est massivement utilisé – et pas que par les jeunes ! –, puisque le nombre de ses utilisateurs est passé en trois ans de 4,5 millions à 15 millions puis à 20 millions. Environ 60 % des jeunes utilisent un réseau social, notamment celui-là.
Cette massification de l’usage numérique par les jeunes a entraîné une maximisation des risques. Quels sont-ils ? Ils ont été cités : risque de dépendance liée aux algorithmes utilisés, risque de faire de mauvaises rencontres – prédateurs ou vendeurs de drogue –, risque d’isolement, risque de baisse d’estime de soi et risque d’une sédentarité accrue. La plupart des dangers du numérique sont désormais bien connus.
Les conditions d’âge ont été renforcées, mais, comme cela a été dit, encore faut-il pouvoir s’assurer que les vérifications sont réellement faites par les opérateurs. Des avancées doivent tout de même être notées – je pense notamment aux jeux en ligne, qui sont aujourd’hui beaucoup mieux contrôlés. En revanche, pour l’accès aux sites pornographiques, des efforts doivent être encore faits pour faire respecter la condition d’âge.
Un certain nombre de travaux ont porté sur les conséquences de l’utilisation des réseaux sociaux. Ainsi, une étude récente de la Fondation Jean-Jaurès indique qu’une exposition plus grande à ces réseaux induit une croyance dans des thèses complotistes ou antiscientifiques. Seuls 33 % des jeunes estiment que la science apporte plus de bien que de mal, contre 55 % en 1972 ; 82 % de ceux qui utilisent très fréquemment les réseaux sociaux croient en des contrevérités scientifiques, comme le climatoscepticisme, un taux qui décroît chez ceux qui les utilisent moins.
D’autres études montrent que l’utilisation des réseaux sociaux entraîne une sensation accrue d’isolement social – ce qui peut paraître contre-intuitif –, et un mécanisme psychologique bien connu agissant sur la dopamine, que l’on retrouve lorsqu’on joue par exemple aux machines à sous, et qui est lié aux algorithmes employés.
Enfin, mais je ne m’étendrai pas sur cette conséquence déjà largement évoquée, l’utilisation des réseaux sociaux impose les mêmes normes, ce qui peut entraîner des effets de comparaison négatifs.
Cette proposition de loi fait suite à une série de textes que nous avons déjà adoptés sur ce sujet. Je pense bien sûr à la loi de 2018, qui prévoyait un encadrement de l’utilisation des téléphones dans les établissements scolaires, et à celle sur le travail des enfants influenceurs, mais aussi à la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, sur laquelle une commission mixte paritaire a été convoquée le 11 mai dernier. Je pense aussi aux textes sur le cyberharcèlement, qui peut faire suite à du harcèlement scolaire : avait été notamment prévue la possibilité de confisquer les appareils ayant servi au cyberharcèlement.
On le voit, quatre textes ont précédé la proposition de loi sur la majorité numérique, et cet ensemble sera complété par votre projet de loi, monsieur le ministre, qui portera notamment sur la sécurisation de l’espace numérique.
Étape par étape, jalon après jalon, nous consolidons l’encadrement de l’utilisation du numérique par les jeunes.
Car, si la création d’internet et des réseaux sociaux a suscité un formidable espoir, on en a vu par la suite toutes les conséquences négatives. Après le temps de l’espoir et après celui de la prise de conscience des dangers et des risques, doit venir un troisième temps, celui d’un internet régulé et apaisé, pour le bénéfice de nos jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les sujets concernant la haine en ligne et les problématiques autour de la jeunesse et des réseaux sociaux ont toujours été au cœur des combats du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, au nom duquel je m’exprime.
En tant que rapporteur d’une mission sur ce sujet en 2008, j’avais souhaité intituler mon rapport : Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? Ce titre mettait déjà sur la table la problématique dont nous discutons aujourd’hui. À l’époque, on évoquait surtout les bienfaits du Net, dans lequel on voyait un moyen de libération, sans se rendre compte qu’il conduisait tous ceux qui éduquent les enfants et les jeunes – les parents et l’éducation nationale – à les abandonner en quelque sorte.
Cette proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne va dans le bon sens. En effet, quand nous regardons les chiffres, la situation est toujours plus inquiétante. Il est donc grand temps d’agir plus vite et plus fort.
Vous le savez et cela a été dit, les enfants sont massivement connectés aux réseaux sociaux et s’y inscrivent de plus en plus tôt. D’après une enquête de la Cnil de 2021, la première inscription sur un réseau social interviendrait en moyenne vers l’âge de 8 ans et demi, et plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur ces plateformes.
Ces données sont confirmées par une enquête de l’association Génération Numérique, selon laquelle, en 2021, 63 % des moins de 13 ans avaient un compte sur au moins un réseau social, alors même que ces réseaux leur sont en théorie interdits du fait de leurs conditions générales d’utilisation.
Parallèlement, les parents supervisent peu ou pas les activités en ligne de leurs enfants. À peine plus de 50 % des parents décideraient du moment et de la durée de connexion de leurs enfants et 80 % déclarent ne pas savoir exactement ce que leurs enfants font en ligne. Un chiffre qui n’a presque pas évolué depuis 2008, à l’époque où je préparais mon rapport…
L’exposition à internet et aux réseaux sociaux des plus jeunes peut avoir des conséquences telles que l’addiction aux écrans, des problèmes de sommeil, des troubles de l’humeur et de l’anxiété, des risques de dépression, de désinformation ou d’exposition à des contenus pornographiques ou haineux, ou encore le cyberharcèlement, véritable fléau pour notre jeunesse.
L’anarchie libérale, si j’ose dire, qui existe actuellement sur le Net et la trop faible régulation des plateformes sont un danger, car le seul but de ces dernières est de faire le plus de profit ; les enfants sont des proies faciles pour ces entreprises, comme vous le savez.
L’exemple le plus criant et qui est sur le devant de la scène depuis plusieurs années est TikTok. Ce n’est d’ailleurs pas anodin qu’une commission d’enquête ait été créée ici même, au Sénat, pour comprendre en profondeur les risques liés à cet acteur chinois qui inquiète.
Il faut davantage de contrôle de la consommation des médias sociaux par nos plus jeunes. Il était donc grand temps d’avancer sur ce sujet, même si des progrès ont déjà été enregistrés.
Je pense d’abord à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dont l’article 6 impose aux acteurs du secteur de lutter contre la diffusion d’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale ainsi que la pornographie enfantine.
Avec la loi Avia en 2020 et celle sur le séparatisme, d’autres avancées ont eu lieu, à côté de mesures plus contestées. Le texte que nous examinons aujourd’hui suit la logique d’un plus grand encadrement s’agissant de la haine en ligne, mais témoigne aussi de la volonté d’actualiser la réglementation découlant de la loi de 2004 en créant une majorité numérique.
Ces nouvelles réglementations pourront compléter les dispositifs existants, qui sont encore insuffisants pour protéger les enfants en ligne, comme le contrôle parental par défaut sur les appareils vendus en France, adopté en mars 2022.
Cette proposition de loi vise à donner une définition concrète des réseaux sociaux, reprenant celle qui figure dans la législation européenne sur les marchés numériques au travers du DMA. C’est une bonne chose.
Par ailleurs, notre groupe souhaite, au travers d’un amendement, exclure les encyclopédies en ligne à but non lucratif, comme Wikipédia, de la définition des « réseaux sociaux », à l’instar du choix opéré au travers de la directive européenne.
Ce texte tend également à contraindre ces réseaux à refuser l’inscription à leurs services aux enfants de moins de 15 ans, sauf si les parents ont donné leur accord. Pour ce faire, ces plateformes devront mettre en place une solution technique permettant de vérifier l’âge de leurs utilisateurs et l’autorisation parentale.
En toute logique, ce sera l’Arcom qui sera chargée de certifier ces dispositifs ; ils devront être conformes à un référentiel qu’elle aura élaboré, après consultation de la Cnil.
En cas de non-respect de cette obligation, le réseau social pourra se voir infliger une amende susceptible d’atteindre 1 % de son chiffre d’affaires mondial.
Des solutions de contrôle de l’âge en ligne existent, mais aucune n’est appliquée de façon satisfaisante. Il est nécessaire de progresser sur cet enjeu important, notamment concernant l’accessibilité des sites pornographiques aux mineurs.
Des évolutions adoptées par l’Assemblée nationale ont amélioré le texte : possibilité donnée aux parents de demander aux réseaux sociaux la suspension du compte de leur enfant de moins de 15 ans ; obligation de diffuser des messages de prévention contre le harcèlement sur ces plateformes et d’indiquer le 3018, numéro vert pour lutter contre le cyberharcèlement ; extension de la liste des contenus illicites que les utilisateurs peuvent signaler aux réseaux afin qu’ils soient retirés.
Toutefois, même modifié par la chambre basse et par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, ce texte ne va pas assez loin.
En effet, déjà dans mon rapport de 2008, j’insistais sur la nécessité d’instaurer une ambitieuse éducation aux médias et aux réseaux sociaux afin de sensibiliser à ces enjeux. On peut certes mener des actions de répression à l’encontre de certains d’entre eux, mais il faut d’abord aider les enfants à se protéger eux-mêmes, ce qui passe par l’éducation.
Parmi les recommandations du rapport, il y avait déjà le renforcement des messages de prévention sur les plateformes de blogs et sur les sites communautaires, le lancement d’une étude de grande ampleur relative à l’influence de la publicité sur la jeunesse et le renforcement du rôle des professeurs documentalistes.
Je proposais également que les nouveaux médias soient le support pédagogique prioritaire dans les cours d’éducation civique, permettant de réunir à l’usage le fond et la forme.
Je soutenais la mise en place d’un module de dix heures annuelles d’éducation aux médias en quatrième et en seconde, ou encore le renforcement des obligations de l’audiovisuel public en matière de programmation d’émissions de décryptage des médias, anciens ou nouveaux.
Je déplore que beaucoup de ces propositions n’aient pas été mises en œuvre depuis lors ou n’aient que peu avancé. Celles qui ont été intégrées au code de l’éducation bénéficient de moyens insuffisants pour leur permettre de devenir une réalité vécue par l’ensemble de la jeunesse au sein de l’éducation nationale. Il faudra continuer à progresser dans ce domaine.
En ce qui concerne le cyberharcèlement, l’article 1er ter de la présente proposition de loi traduit l’une des recommandations de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, que ma collègue Sabine Van Heghe a présidée. C’est une bonne chose.
Nous sommes également favorables à l’article 5. Il ne faut pas fusionner le 3018 et le 3020 : ils ont des spécificités et des utilités différentes qu’il ne faudrait pas fragiliser.
Nous avons déposé plusieurs amendements, que je présenterai de manière plus développée, visant à prendre en compte les recommandations formulées par Sylvie Robert dans le rapport rédigé au nom de la Cnil. Nous voulons avancer dans cette direction.
Ce texte va donc dans le bon sens, mais du chemin reste à parcourir. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique sera bientôt examiné ; il offrira de nouveau l’occasion d’aborder le sujet, de manière plus générale, pour protéger les enfants des dérives des réseaux sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes amenés aujourd’hui à débattre d’un sujet majeur : l’accès à internet et aux réseaux sociaux pour les mineurs, et l’usage que ces derniers en font.
Nous le savons, l’accès des plus jeunes à internet est devenu une tendance lourde. La première inscription à un réseau social interviendrait en moyenne vers 8 ans et demi et plus du quart des 7-10 ans se rendraient régulièrement sur les réseaux sociaux.
Ces réseaux font donc partie du quotidien de nos enfants et de nos adolescents, tandis que le risque d’addiction lié à leur consommation est réfléchi, méticuleusement organisé par des multinationales.
Les risques liés à ces usages sont nombreux.
Le premier, naturellement, qui vient à l’esprit, et qui est d’ailleurs l’objet de cette proposition de loi, est le cyberharcèlement. Selon une étude datant de novembre 2022, près de 60 % des enfants et adolescents déclarent avoir déjà été victimes de cyberharcèlement. Cela peut laisser des séquelles, conduire à la dépression, voire à des conduites suicidaires. Lorsque l’on sait que le suicide représente 16 % des décès chez les plus jeunes et qu’un enfant cyberharcelé sur deux a déjà pensé au suicide, il est clair que nous sommes face à un enjeu national de santé publique.
Pour donner un second exemple, cet accès précoce à internet induit, plus largement, le risque d’une modification de l’image de soi, d’une uniformisation, ainsi que – cela a été dit – d’une exposition tant à des sites à caractère sexuel qu’à des sites idéologiques, à caractère raciste, antisémite ou homophobe.
L’ampleur de ces phénomènes est attestée par plusieurs études. Utilisées à bon escient, il est indéniable que ces plateformes permettent d’acquérir des connaissances. En revanche, elles peuvent également mener à l’intériorisation de stéréotypes et exposer à des contenus violents.
À l’heure actuelle, il existe un gouffre entre les obligations réglementaires des plateformes et la réalité sur le terrain. En effet, alors même qu’il existe un âge minimum requis pour s’inscrire sur les réseaux sociaux, plus de la moitié des enfants de moins de 13 ans sont déjà inscrits sur l’un d’entre eux. À cela s’ajoute une précocité croissante dans l’accès aux smartphones, exposant de fait les enfants aux dérives liées à ces technologies.
Ainsi, le constat est double.
En premier lieu, la responsabilité des entreprises propriétaires des réseaux sociaux apparaît clairement. Il serait temps de les encadrer plus fermement pour qu’elles respectent les dispositions qui les concernent. Cette situation nous oblige, nous parlementaires, à élaborer des lois mettant en sécurité nos jeunes. Nos mains ne doivent pas trembler : la législation doit être suffisamment exigeante et contraignante pour que les plateformes mettent en place un arsenal de mesures réduisant au maximum les risques pour nos mineurs.
En second lieu, il est nécessaire que nous accompagnions davantage les enfants, dans leurs usages, et les parents, dans l’accès qu’ils donnent à internet, par des outils de prévention. C’est pour cette raison que nous sommes favorables à l’instauration d’une majorité numérique à l’âge de 15 ans. Cette mesure, conforme à la législation européenne et aux recommandations de la Cnil, aura aussi le mérite d’inciter à un dialogue entre parents et enfants sur les usages numériques.
En ce qui concerne la question proprement technique de la mise en place du contrôle de l’âge par les plateformes, nous devrons rester vigilants quant à la protection des données requises pour cette vérification.
Par ailleurs, il est également prévu dans cette proposition de loi de faciliter les demandes d’informations auprès des plateformes dans le cadre d’une réquisition judiciaire, dans un délai de huit heures pour les cas urgents et de dix jours pour les autres, afin de livrer toute information utile à une enquête.
Nous aurions préféré un délai plus court que dix jours : pourquoi pas quarante-huit heures, au regard des possibles conséquences gravissimes que peut entraîner la lenteur des procédures ? De plus, nous considérons que la sanction permettant de s’assurer que les plateformes respectent cette disposition n’est malheureusement pas en adéquation avec le poids économique de ces grandes entreprises. Il s’agit d’un manque notable de cette proposition de loi, alors même qu’à l’origine ses auteurs prévoyaient un maximum de 1 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.
Nous souscrivons pleinement à la demande de rapport inscrite à l’article 4 de cette proposition de loi. En effet, celui-ci nous permettra de gagner en efficacité par un apport de connaissances au sujet des conséquences sur les jeunes de l’utilisation des réseaux sociaux.
Toutefois, nous veillerons avec vigilance à ce que la fusion des plateformes d’appel destinées aux victimes de harcèlement scolaire et de harcèlement en ligne – fusion évoquée à l’article 5 de la proposition de loi issue des travaux de l’Assemblée nationale, lequel article a été supprimé par la commission –, si elle devait se réaliser, ne soit pas synonyme d’une baisse globale de moyens pour ces dispositifs de prévention indispensables dans l’aide aux victimes.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, malgré les quelques points de vigilance que j’ai soulevés dans cette intervention, nous considérons que cette proposition de loi constitue une première étape dans un contrôle de l’accès à internet par nos plus jeunes, et c’est dans cet état d’esprit que mon groupe la votera.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray.
M. Jean Hingray. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tenait à vous féliciter, madame la rapporteure, pour cette proposition de loi dont nous entamons l’examen.
Le numérique, internet, les réseaux sociaux, les tablettes et les smartphones ont pris une place centrale dans la vie des enfants et des adolescents. Je ne reviendrai pas plus longuement sur l’influence extrêmement inquiétante que ces nouvelles technologies, parfois utiles, ont sur notre jeunesse.
Notre rapporteure, que je félicite au passage pour l’excellence de son travail, en a déjà fait un bilan pour le moins éclairant. Quelque 60 % des jeunes âgés de 11 ans à 18 ans sont inscrits sur au moins un réseau social. Ces inscriptions interviennent de plus en plus tôt. Environ 80 % des parents déclarent ne pas savoir ce que leurs enfants font en ligne. Concernant ce dernier chiffre, en commission, l’une de nos collègues faisait surtout remarquer que 20 % des parents ne savent pas… qu’ils ne savent pas ce que leurs enfants font en ligne ! J’ai malheureusement trouvé cette réflexion frappée au coin du bon sens.
Nous le savons depuis longtemps : il faut protéger les mineurs de l’ensemble des dangers auxquels le numérique les expose. Ils sont nombreux ! Tel est l’objet de ce texte dont la proposition centrale est double : d’une part, obliger les réseaux sociaux à vérifier l’âge des utilisateurs et, d’autre part, garantir le consentement des titulaires de l’autorité parentale pour les moins de 15 ans.
Ce texte est d’autant plus pertinent qu’il a été simplifié en commission. En effet, l’Assemblée nationale avait prévu un dispositif plus compliqué : entre 13 ans et 15 ans, les jeunes n’auraient pu, avec le consentement de leurs parents, s’inscrire que sur des sites « labellisés ». On comprend l’intention : elle est louable. Pourtant, cela soulevait encore trop d’interrogations. Qui labelliserait ? Sur quels critères ? C’est pourquoi nous pensons que la commission de la culture a bien fait de supprimer ce dispositif.
Le présent texte fait écho aux travaux de notre collègue Annick Billon sur la protection des mineurs contre la pornographie en ligne, dont elle dira un mot dans quelques instants. Il fait aussi écho aux travaux de notre collègue Catherine Morin-Desailly, qui milite, depuis fort longtemps, pour une régulation des plateformes.
C’est le nerf de la guerre, mais c’est aussi là que le bât blesse. En commission, cette proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne a été presque unanimement plébiscitée. Pourtant, dans le même temps, tout le monde reconnaissait que, si l’on ne contraignait pas les plateformes à l’accompagner en jouant le jeu, ce que nous sommes en train de faire pourrait tout avoir d’un acte performatif : un geste aussi beau et politique que platonique. Tout le monde sait que proclamer des principes sans être capable de les faire appliquer ne sert à rien.
Heureusement, les choses semblent enfin évoluer dans le sens d’une véritable régulation des plateformes.
Au niveau européen, le Digital Services Act renforcera la responsabilité des plateformes sur leurs politiques de modération des contenus mis en ligne, tandis que le DMA rééquilibrera les relations entre les plateformes et les entreprises qui recourent à leurs services.
Au niveau national, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (Sren) aura pour objet de mettre en application ces principes au mieux et au plus vite.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi en ayant en ligne de mire l’examen du projet de loi Sren, qui donnera au présent texte tous les moyens de réussir et de se concrétiser. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Julien Bargeton applaudit également.)