Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Depuis toujours, le groupe du RDSE est attentif au renforcement des moyens de l’État dans les outre-mer. La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, dite loi Érom, a fixé un objectif de convergence des territoires ultramarins avec la métropole. Parvenir à l’égalité réelle des droits et des services pour tous nos concitoyens, où qu’ils résident, impose des obligations. L’accès de tous à une justice de qualité en fait partie.
Aussi, monsieur le ministre, souhaiterais-je vous interroger sur l’aide juridictionnelle, qui n’est pas suffisamment adaptée à la réalité des territoires ultramarins. C’est un point que le Parlement connaît bien, car les difficultés liées à l’aide juridictionnelle reviennent chaque année à l’occasion de l’examen de la loi de finances.
Mon collègue Stéphane Artano s’inquiète en particulier du problème des frais de déplacement des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle. Leur défraiement n’est prévu que pour la Polynésie française. Or les problématiques d’éloignement et de continuité territoriale se posent aussi dans d’autres collectivités ultramarines, parmi lesquelles Saint-Pierre-et-Miquelon. Le coût très élevé du transport en avion constitue un véritable handicap pour l’accès au droit des justiciables.
Je souhaite donc attirer l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’ajuster les modalités d’indemnisation des frais de déplacement engagés par les avocats qui prêtent leur concours aux bénéficiaires de l’aide juridictionnelle ; il faudrait notamment que cette indemnisation soit relevée dans tous les territoires où l’accès aux juridictions est particulièrement difficile.
Monsieur le ministre, doit-on rappeler que l’égalité est au cœur de notre pacte républicain ? (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Fialaire, la question d’importance que vous soulevez est bien prise en compte aujourd’hui par les services du ministère de la justice.
À l’évidence, les sujétions économiques des avocats doivent être prises en compte. Or, compte tenu des distances importantes qui, comme vous l’avez noté, peuvent séparer le lieu d’exercice professionnel habituel d’un avocat et celui de son intervention, du fait notamment de l’absence d’un avocat sur place, le coût induit par le seul déplacement est tel qu’il arrive que les avocats ne puissent parfois se rendre matériellement sur place. Je pense notamment à Wallis-et-Futuna, que j’ai cité tout à l’heure, et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ajoutons que l’exercice de la profession d’avocat est contraint par d’autres problèmes que ceux qui sont strictement financiers.
Je me dois toutefois de préciser que des dispositions permettent déjà la prise en charge de certains frais de déplacement des avocats intervenant dans le cadre de l’assistance judiciaire. Ainsi, c’est le cas pour les avocats de Nouméa qui se rendent à des audiences foraines dans l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. C’est encore trop restreint, mais le processus est engagé.
Il n’en demeure pas moins que de nombreuses situations ne sont pas aujourd’hui prises en compte ; nous en sommes parfaitement convaincus.
La seule réponse que je peux vous faire aujourd’hui est celle-ci : le ministère travaille sur ce sujet. J’ai confiance dans le fait qu’un certain nombre de sujets seront pris en compte. Ainsi de Wallis-et-Futuna : il faudra en la matière faciliter les déplacements depuis Nouméa, et non depuis Paris !
Le ministère de la justice travaille donc à modifier ces dispositions. L’augmentation de l’indemnisation des frais de déplacement ne sera pas le seul levier. Il faut aussi développer la « vidéo-intervention », si je puis dire, de l’avocat entre son lieu d’exercice et le lieu de la juridiction. En effet, soyez certain que l’aide financière offerte ne garantira pas la présence matérielle de l’avocat. C’est pourquoi il nous faut travailler en parallèle à une intensification du recours à la visioconférence, en pleine concertation avec les organisations représentatives de la profession d’avocat. C’est le plus important !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu que vous alliez travailler. Mais ce que nous voudrions maintenant, c’est que vous travailliez vite et bien, parce que l’égalité des droits sur l’ensemble de nos territoires est tout de même l’un des socles de notre République !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Monsieur le sénateur, l’ensemble des annonces que j’ai faites dans mon propos liminaire et des réponses que je vais apporter à vos questions démontrent que nous sommes en train de travailler vite et bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck.
Mme Elsa Schalck. Je me fais ici l’écho de ma collègue Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy, qui aurait souhaité vous poser cette question, monsieur le ministre.
Saint-Barthélemy fait face à une nette augmentation de la délinquance. Les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne ont connu une hausse de 50 % entre 2021 et 2022, les portant à 123 faits. Les escroqueries ont, quant à elles, connu une hausse de 25 %, de même que les atteintes aux biens. Pour autant, malgré une convention passée avec la collectivité, le nombre d’officiers de police judiciaire (OPJ) est insuffisant : 27 gendarmes mobiles y sont déployés, dont 10 OPJ.
L’île ayant jusqu’alors connu un niveau de délinquance très faible, elle n’était pas préparée pour faire face à ce phénomène relativement nouveau par son ampleur. Les effectifs judiciaires ont ainsi progressé moins vite que les besoins.
La première des préoccupations porte sur le rajeunissement des prévenus. Nombre d’entre eux sont mineurs et requièrent des dispositifs de protection judiciaire. Cette inquiétude est du reste au cœur des travaux que nous menons, avec la délégation sénatoriale aux droits des femmes sur la question de la parentalité outre-mer.
Le nombre des dossiers exige désormais que les audiences foraines se répartissent sur deux ou trois journées au lieu d’une seule. Comme vous le savez, monsieur le ministre, ces audiences sont un élément essentiel de la présence de la justice sur l’île. À cet égard, un épisode récent de renvoi d’une matinée entière d’audiences a mis en évidence la problématique de la continuité de la justice dans la zone.
Une part importante des délits est liée à la consommation d’alcool ou de stupéfiants. En la matière, la rapidité de la sanction judiciaire contribue à l’indispensable message de fermeté en matière de sécurité, a fortiori sur une île comme Saint-Barthélemy.
Depuis trois ans, les contentieux civils sont également en forte hausse. Saint-Barthélemy concentre 70 % des contentieux des îles du Nord. Ceux-ci portent principalement sur des baux d’habitation, des demandes d’expertise ou des successions.
Monsieur le ministre, ma question est donc simple : une mise à niveau des effectifs est-elle envisagée à court terme pour Saint-Barthélemy ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, votre question porte sur plusieurs sujets.
Le premier concerne l’assistance en matière de violences faites aux femmes. Je vous confirme la nomination toute prochaine d’une déléguée interministérielle pour les droits des femmes et l’assistance familiale spécialisée outre-mer. Nous avons eu hier une réunion de travail sur ce sujet ; certains d’entre vous étaient présents. La personne qui sera nommée a été choisie, les financements sont prévus, il ne reste plus qu’à procéder à la nomination. Nous allons aussi travailler, avec mes collègues Charlotte Caubel et Isabelle Rome, à apporter des réponses aux violences familiales, à l’image de ce qui se fait à Wallis-et-Futuna ; c’est très important.
Vous nous interrogez aussi sur les effectifs de police. Ils sont en augmentation, même si des problèmes globaux demeurent : nous sommes en train d’y répondre, grâce à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). Mon problème est de disposer de garde-côtes et de gendarmes supplémentaires à Saint-Barthélemy, notamment pour la gendarmerie aérienne de l’aéroport de ce territoire.
J’en viens à la question des magistrats. Saint-Barthélemy reçoit des audiences foraines du tribunal de Basse-Terre. La création d’un tribunal ressort directement de l’organisation de la justice. Pour l’instant, on s’en tient aux audiences foraines.
Au vu de la publication des mouvements annuels au sein de la magistrature, les effectifs du tribunal judiciaire de Basse-Terre seront au complet le 1er septembre prochain. Les manques de magistrats seront comblés grâce au lancement d’un appel à candidatures. Cela permettra de mieux servir Saint-Barthélemy. Ensuite, l’organisation locale de la justice dépend du président du tribunal de Basse-Terre, et non du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le ministre, je me fais l’écho de mon collègue Jean-Louis Lagourgue, qui souhaitait vous interroger.
Comme chaque territoire de la République, les outre-mer sont pluriels. On y retrouve néanmoins des problématiques similaires. L’état de la justice dans les outre-mer laisse en effet apparaître une surpopulation carcérale parfois plus importante que dans l’Hexagone, mais également une insécurité extrêmement préoccupante dans certaines collectivités. De nombreuses juridictions souffrent d’un manque d’attractivité. Il est bien difficile, dans ces conditions, d’assurer le remplacement des magistrats mutés.
Alors que les déserts médicaux, économiques et démographiques côtoient parfois des déserts judiciaires, la question de l’accès au droit se pose pour beaucoup de nos compatriotes ultramarins. Les difficultés géographiques et démographiques sont nombreuses. Chaque territoire tente de les résoudre le mieux possible.
Ainsi, en Polynésie française, une dotation existe, afin de prendre en charge les frais de déplacement des avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle. En revanche, à Wallis-et-Futuna, les accusés sont bien souvent défendus devant les cours d’assises par des citoyens défenseurs qui ne sont pas des avocats. En effet, l’aide juridictionnelle ne couvre pas aujourd’hui l’ensemble des frais de déplacement des avocats venant de Nouméa.
Monsieur le ministre, quelles solutions peuvent être envisagées pour permettre à tous nos concitoyens d’être assistés ou représentés par un avocat chaque fois que cela est nécessaire ? Serait-il possible d’étendre le dispositif polynésien à l’ensemble des territoires ultramarins ? Il est indispensable de garantir à chaque enfant de la République l’égalité devant la justice !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je vous remercie de vous être fait le porte-parole de M. Lagourgue.
Je me suis déjà exprimé sur les questions qu’il pose, ainsi que sur la question récurrente de la construction de prisons ; l’effort en la matière est considérable.
Pour ce qui est des citoyens défenseurs de Wallis-et-Futuna, la question est vieille comme ce territoire, si j’ose dire. On nous dit qu’il faudrait, pour la dépasser, créer un tribunal. La réponse, c’est du travail, encore du travail et des dotations budgétaires : ce qui me préoccupe le plus, c’est l’accueil des magistrats et l’attractivité des postes. Il nous faut travailler sur le logement, sur les primes, sur l’affectation ultérieure.
Cependant, je constate – vous me direz que c’est mon métier, mais les faits sont là – une amélioration depuis trois ans. Ce qu’il faut, c’est aller au-delà et plus vite ; en cela, je suis d’accord avec vous. Nous y reviendrons à l’occasion de la question de M. Sueur sur l’état des prisons : c’est la part la plus significative de notre action dans ce domaine. Vous n’allez pas y croire, monsieur le sénateur !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous verrons bien…
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues – je pense en particulier à Victoire Jasmin, qui est à l’initiative de ce débat –, le constat étayé qui est ressorti des États généraux de la justice, qui se sont tenus l’an dernier, était attendu, même si leurs conclusions sur l’état de la justice dans notre pays n’ont pas surpris grand monde : 70 % des Français estiment que la justice n’a pas les moyens suffisants pour faire son travail. La justice est malade ; c’est en effet le résultat d’une très longue histoire.
La situation est – hélas ! – bien pire dans les outre-mer qu’en métropole, comme pour beaucoup de services publics. Clairement, un effort financier a été entrepris par ce gouvernement, mais la répartition de ces hausses budgétaires et leurs objectifs ne permettent que trop peu de répondre aux attentes et aux besoins de la justice.
Vous le savez, notre groupe ne pense pas que la dématérialisation à outrance, l’apport d’assistants de justice – postes non pérennes –, l’envoi pour des périodes limitées de magistrats en renfort dans ces juridictions en souffrance ou encore la construction de places de prison comme marqueurs chiffrés d’une justice qui reprend vie soient la réponse appropriée.
Dernièrement, le vice-président de la Conférence des bâtonniers a pu s’exprimer sur le sujet, relevant la faible place octroyée aux outre-mer dans le rapport issu des États généraux de la justice. Il préconise, pour parfaire la connaissance du territoire, de « créer au sein du budget consacré à l’aide juridictionnelle une ligne budgétaire consacrée à l’outre-mer », jugeant que cela « permettra des chiffres précis pour mesurer la réalité de l’accès au droit par territoire ultramarin ». La spécificité démographique, géographique et sociologique de ces territoires riches de plus de 2,7 millions d’habitants doit être mieux prise en compte.
Aussi ma question portera-t-elle sur l’assistance des personnes placées en garde à vue, dont on sait que certaines n’ont parfois, pour des raisons d’éloignement, malheureusement pas la possibilité d’avoir un avocat à leurs côtés. Le Gouvernement compte-t-il réfléchir à la mise en place de dispositifs sécurisés d’assistance en garde à vue lorsque les distances rendent la venue d’un avocat impossible dans des délais raisonnables ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. J’entends ces questions, qui portent sur ce que vous considérez comme une insuffisance de l’aide apportée au citoyen dans sa défense.
La solution, je le redis, c’est un travail continu et permanent. À ce propos, je note que le budget de la justice outre-mer a augmenté de 14 % entre 2018 et 2022, et augmente encore en 2023. Faut-il une ligne budgétaire consacrée uniquement à l’outre-mer ? Je ne le crois pas. J’ai la conviction profonde que l’unité de la République s’exprime dans la prise en compte des outre-mer dans chaque décision budgétaire. Je ne crois pas, en revanche, à la nécessité d’un chapitre budgétaire spécifique pour la justice outre-mer : ce serait pointer du doigt des concitoyens qui rencontrent déjà suffisamment de difficultés.
Quant aux magistrats en mission, ils ne sont en effet pas la solution à moyen et long termes : ce n’est qu’un cautère sur une jambe de bois, en attendant l’arrivée de magistrats professionnels. Des postes sont créés ; on sait le manque d’attractivité dont ils souffrent, mais aussi les efforts faits pour cette attractivité et, surtout, pour la formation de ces magistrats et la suite de leur carrière. Voilà ma réponse : un travail continu. Je vous saurai donc gré de voter tous les budgets !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. Guy Benarroche, au nom de qui je vous pose cette question, vous demande de vous engager, au vu de l’ampleur de la fracture numérique dans ces territoires, à maintenir le recours au papier dans les territoires ultramarins où la couverture internet, voire téléphonique est défaillante.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. La politique « zéro papier » n’est pas pour demain ; c’est seulement pour 2027. On a donc le temps d’avancer. Il faut y aller très progressivement, car il serait à l’évidence impossible de supprimer d’un coup tout le papier, même si le temps viendra où il faudra prendre la décision définitive.
Néanmoins, on ne peut pas dire que tout va mal en matière d’accès numérique. Regardez ce qui se passe en Guyane actuellement : je pense notamment à ce que fait le recteur d’académie, en liaison avec le président de la collectivité territoriale, pour l’éducation par les réseaux informatiques. On parvient ainsi désormais à raccorder Saül à ces réseaux. Je pense que le plan France 2030 permettra de financer tout cela plus avant, d’ici à 2027.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Seules deux pages et demie, sur deux cent cinquante, sont consacrées aux outre-mer dans le rapport issu des États généraux de la justice. C’est peu lorsque l’on sait que les terribles constats qu’il dresse sont plus graves encore dans ces territoires. Entre particularismes géographiques, pauvreté, fracture numérique, barrières linguistiques, défaut d’attractivité et insécurité, les outre-mer cumulent les difficultés.
En outre, l’accès à la justice y est complexifié par l’absence d’effectivité de certains droits essentiels, comme l’aide juridictionnelle en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna ou l’indemnisation des frais de déplacement des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle devant les juridictions de Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin ou encore Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane.
Pour remédier à cet état de grande fragilité, le garde des sceaux a annoncé le recrutement de vingt-sept nouveaux juristes assistants et déployé à titre expérimental un dispositif de soutien à Cayenne et à Mamoudzou, en envoyant pour une période limitée des magistrats en renfort pour traiter les dossiers dans ces juridictions en souffrance.
L’utilité de ces fameux « sucres rapides », comme il les appelle, pour parer à l’urgence de la situation est démontrée depuis leur création.
L’inspection générale de la justice (IGJ) soulignait néanmoins, en octobre 2020, la nécessité de bâtir un plan stratégique d’actions à la fois communes et propres à chaque territoire ultramarin. Je rappelle que l’outre-mer compte 13 territoires répondant à 4 catégories juridiques différentes, avec, pour chacun d’entre eux, un cadre institutionnel différent !
Cela suppose, selon l’IGJ, de développer une fonction prospective jusqu’à présent peu investie par l’administration centrale. Aussi, quelles suites le Gouvernement entend-il donner à cette recommandation pour injecter, désormais, les sucres lents dont nous avons tant besoin ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Mohamed Soilihi, en effet, la justice ultramarine a besoin d’un plan stratégique. Celui-ci existe déjà pour les institutions pénitentiaires – je le démontrerai tout à l’heure.
Je tiens compte des conclusions des États généraux de la justice et je salue l’attitude du garde des sceaux. Celui-ci fait partie des ministres qui s’intéressent fortement à l’outre-mer.
Nous devons mener ensemble le combat pour la prise en considération des outre-mer dans chaque institution, qu’elle soit parlementaire, indépendante ou gouvernementale. Nous ne sommes pas au bout du voyage, mais je salue ce qui a été accompli en ce sens.
Je le répète, un poste de délégué aux outre-mer, directement placé auprès de la secrétaire générale du ministère de la justice, a été créé en 2021. De même, nous allons instituer un poste de délégué aux droits des femmes et aux violences intrafamiliales. Nous avons décidé hier, Isabelle Rome et moi-même, d’établir dans chaque territoire un plan stratégique sur ce sujet, que je déclinerai avec Charlotte Caubel. Et ce n’est pas une histoire d’argent, rassurez-vous.
Pour répondre plus précisément à votre question, deux coordinateurs locaux ont d’ores et déjà été recrutés là où les besoins sont les plus grands : l’un à Mayotte et à La Réunion et l’autre en Guyane. Leur action, combinée à celle du délégué, a permis des avancées concrètes : des concours nationaux à affectation locale sont organisés, dont l’un est en cours et permettra le recrutement au mois de juillet prochain de 7 greffiers à Mayotte – un territoire qui vous tient évidemment à cœur, monsieur le sénateur – et de 10 greffiers en Guyane.
Il nous faut surtout mieux informer les candidats potentiels aux postes localisés en outre-mer. Le secteur de l’informatique étant prioritaire, 14 techniciens du secrétariat général du ministère travaillent sur les réseaux depuis 2020.
Il reste beaucoup à faire dans le cadre de ce plan. Nous pourrons en reparler dans un autre contexte, en particulier pour ce qui concerne Mayotte.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour la réplique.
M. Thani Mohamed Soilihi. Ce plan stratégique est nécessaire. Le Gouvernement peut trouver au Sénat des partenaires qui l’aideront à le mettre en œuvre.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, j’évoquerai la surpopulation carcérale, qui s’élève à 123 % en moyenne dans l’ensemble des territoires ultramarins.
Comme vous le savez, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour l’indignité de ses prisons, en particulier à cause de trois établissements situés outre-mer : le centre pénitentiaire de Baie-Mahault, en Guadeloupe, celui de Ducos, en Martinique, et la prison de Faa’a-Nuutania, en Polynésie française.
J’ajoute que les conditions de détention sont particulièrement difficiles à Nouméa, où certains détenus – Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté s’en est émue – sont logés dans des containers marins sans isolation thermique ou phonique et sans système électrique sécurisé. Il s’agit d’un véritable problème et j’espère, monsieur le ministre, que vous ferez en sorte de mettre fin à ces conditions indignes.
Par ailleurs, j’ai sous les yeux un rapport de la Contrôleure sur le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly, en Guyane, dont je vous lirai seulement les titres : « La surpopulation est chronique », « Les conditions d’hébergement sont indignes », « L’hygiène désastreuse présente des risques pour la santé des personnes détenues et du personnel », « L’établissement connaît un climat de violence extrême dans un contexte d’inactivité généralisée », « Les mesures prises pour répondre à la violence ne sont pas suffisamment encadrées ».
Monsieur le ministre, allez-vous enfin parler de la régulation ? Vous évoquez la construction de nouvelles prisons et des créations de postes, mais nous savons que la question de la surpopulation carcérale en outre-mer – comme d’ailleurs en métropole – ne se réglera que par la régulation, c’est-à-dire en privilégiant d’autres peines à la détention, celle-ci n’étant pas, vous le savez très bien, la seule mesure applicable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Sueur, comme vous le savez, le rapport de la CEDH date de 2020, et mon impression, que j’essaierai d’étayer, est que ses conclusions ont été prises en considération.
Il est difficile de construire, mais je suis conscient du problème : je connais très bien la prison de Basse-Terre, où je me suis rendu, de même que celle de Nouméa. Celle de Baie-Mahault est plus moderne.
Pour ce qui concerne la régulation, nous menons des actions très fortes en matière de sécurité. Nous faisons face à des bandes de voyous ou de casseurs – pour ne pas dire plus – très violentes. Or la présence renforcée des gendarmes augmente le nombre d’interpellations et d’incarcérations. Il s’agit d’une partie du problème, l’autre étant naturellement la vétusté horrible de certaines prisons.
Aussi, plutôt que de réguler, notre réponse consiste à construire des prisons. Dans cette perspective, nous venons d’ouvrir, et je m’en réjouis, un établissement de 120 places à Koné, en Nouvelle-Calédonie, qui déchargera le centre de Nouméa et permettra d’incarcérer les délinquants nouvellement interpellés.
De même, une structure d’accompagnement vers la sortie (SAS) de 120 places sera ouverte dès 2025 en Martinique. Il s’agit d’un établissement axé sur la réinsertion – c’est, à mon sens, mieux que la régulation –,…
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut les deux !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. … disposant d’une plateforme animée par l’ensemble des partenaires locaux.
Par ailleurs, la régulation pose des problèmes de sécurité, compte tenu des personnes à qui nous avons affaire.
M. Jean-Pierre Sueur. Quand la situation devient explosive, il faut construire !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Nous sommes donc d’accord, il faut construire !
En Guadeloupe, les deux établissements pénitentiaires feront ainsi l’objet d’extensions, pour un total de 400 nouvelles places, qui seront livrées en 2024 pour le premier et en 2027 pour le second. De plus, 500 places supplémentaires sortiront de terre à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, où est prévue également la création d’un tribunal spécifique, ce qui désengorgera peut-être la prison de Rémire-Montjoly. Ces constructions sont extrêmement importantes, me semble-t-il.
Il nous faut également travailler sur le personnel pénitentiaire et sur la mise aux normes – j’ose ce mot, car il y a des établissements indignes, notamment ceux de Ducos et de Basse-Terre, que je connais.
Jamais, depuis quinze ans, un gouvernement n’a mené une programmation aussi ambitieuse que celle pour laquelle je me bats aux côtés du ministre de l’intérieur et du garde des sceaux. Il nous faudra nous y tenir. Honnêtement, la régulation n’est pas l’option que nous privilégions.